Allons.              

Eglise forteresse de Saint Clair de Gouts.

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Eglise Saint Clair de Gouts.

Edifice.

 

Édifice gothique du XIVe siècle. 

Un curé écrivait dans un rapport en 1846 : 

«Cette église est une des plus belle du diocèse d’Agen en fait d’église de campagne. 

Elle est vaste, très bien conservée et du style ogival. 

Tous les amateurs d’antiquités ne peuvent s’empêcher d’être saisis d’admiration en voyant un si joli monument du XIIe (sic) au milieu des landes arides. 

Ce bâtiment, ainsi que la voûte est toute en pierre de taille, chose étonnante dans un pays où il n’ y a aucune carrière. 

Le clocher de cette église correspond parfaitement bien au reste du corps des bâtiments. 

Deux tours également en pierre de taille son endossés audit clocher et le tout est surmonté d’une magnifique galerie. Il y a dans cette église une dévotion qui attire au pied de ses autels une foule immense de toutes les paroisses voisines. 

Ces pèlerinages donnent à l’église un revenu pour le culte. » Cette dévotion est attachée à trois fontaines dédiées à Saint-Clair dont la propriété serait de guérir les maladies des yeux.

(Archives modernes de l’évêché, liasse Allons). 

Journal du docteur Jacques Chapeyrou (a).

« Je croyais, me dit ma femme, qu’une préparation d’esprit, de l’ordre, étaient nécessaires à toute réalisation. A te voir faire, je m’aperçois que l’efficacité se passe très bien d’ordre et de logique… 

Tu improvises ton travail de bric et de broc et tu réussis ce que tu entreprends. A ton signal, des camions de matériel, des hommes sortent du sol comme par enchantement… Cela tient de la magie. »

Il y a du vrai dans les dires d’Yveline, pour qui, réussir à sauver des ruines est œuvre diabolique. 

L’ennui dans cette affaire, c’est que je suis seul à jouer le rôle du diable. Mais pourquoi en faire mystère ? Le seul facteur sérieux de réussite, c’est l’emballement et son prolongement dans les jours ternes, l’obstination.

En ce mois de septembre, j’ai la nausée de six mois d’efforts. Il me faudrait oublier ce jeu de massacre aperçu depuis quatre ans : mines chafouines, faciès ladres ou falots, arrivistes ricanant, blasés, risque-tout en pantoufles, défaitistes, indifférents au regard vide, faiseurs de compliments, faiseurs de promesses à tête de guignols. J

e devais uniquement retrouver la sympathie, la camaraderie, les yeux illuminés de l’amitié, le regard confiant des simples. C’est vers eux que je me retourne quand je doute de l’utilité d’efforts gratuits et insoutenables, et je reprends mes raisons comme un refrain.

J’aime la pierre et le bois ; j’aime vociférer, voir se démener les hommes et les commander ; j’aime manger avec eux et boire à la même bouteille ; j’aime la tuile rayonnante de chaleur ; j’aime l’humus des toits; j’aime l’épuisement, mes vêtements en loques couverts de goudron, de sueur et de plâtras ; j’aime me repaître de fatigue et « crever » les autres ; j’aime braver les voûtes à lézardes et les charpentes incertaines pour posséder cette certitude : ce toit, cette voûte, ce mur tiendront longtemps grâce aux quarante mains de mes hommes.

Ces ouvriers restent enfants comme moi. Ils aiment vaincre le poids et la dureté de la pierre, l’éclater, la tailler, la poser, trafiquer du mortier et du bois. Tel est l’homme du bâtiment que rien n’arrête. Tout, pour lui, est outil. Toute difficulté devient, entre ses mains, levier. Il sourit à l’effort car rien ne lui résiste. Ceux du bâtiment ne sont ni pressés, ni inquiets, ni moroses. Jongleurs, funambules sans public, ils ne travaillent pas, mais jouent à manœuvrer les choses. Sur ce, voici le sauvetage de l’église de Gouts.

Dressée sur une butte au bord du Ciron, l’église de Gouts observe la lande à vingt kilomètres à la ronde. Il faut une demi-heure de marche pour apercevoir son clocher-pignon au-dessus des grands pins.

Abandonnée, elle a été ruinée par la commune au Comité des Monuments.

Dimanche 9 juin 1968. – Dix hommes et femmes ont dégagé les taillis autour de l’église pour ne laisser que les ormeaux à lichen. Les branches et les troncs violets dans l’ombre contrastent avec le fond chaud des feuillages de juin.

« Attention ! Les enfants, vous n’êtes pas bûcherons, mais défricheurs paysagistes ! »

Les « enfants », qui peuvent avoir mon âge, sont sensibles à l’avertissement. Pour les ronces et les prunelliers, pour tous épineux, pas de quartier, mais les arbres architecturés les arrêtent, ils reculent et se concertent. L’un veut supprimer ces rameaux qui masquent une allée de lumière, conserver cette branche courbe qui répond à cette ligne droite. L’autre demande grâce pour telle aubépine de bonne venue.

Une tombe encore debout porte une attendrissante inscription : « Issi repocze Marie Castaing, dessedée le 8 juin 1920 à l’aje de 88 ans. P.P.E. ».

Les moustiques m’importunent dans ce cimetière où je m’étais étendu, surpris par la fatigue. Il faut bien supporter quelque inconvénient dans ce haut lieu ! C’est ce que j’affirme à mon réveil, à des scouts parisiens qui, cet été, veulent servir.

Les plantes grimpantes qui garnissent murs et contreforts jusqu’aux créneaux doivent être sacrifiées. Un tronc de lierre coupé au pied est détaché par une secousse qui progresse comme une onde et dégrafe l’énorme rideau vert qui s’effondre. 

Dans leur sobriété, se dévoilent les fenêtres longues et étroites, la rosace éclairant l’abside, le porche en trèfle ouvert dans un mur plat surplombé d’un arc altier formant mâchicoulis. Une charpente basse, très burinée, à cheval sur la porte et le mur à meurtrières du cimetière, pourrait abriter cent personnes.

10 juillet. – Téléphoné au maire de X qui est revenu sur ses intentions premières de collaboration. Les administrés ne sont pas chauds pour fournir des bois. Il me propose de faire moi-même la quête, le porte-à-porte chez les propriétaires. Toujours la même mentalité. Il y a longtemps que j’ai cessé d’être déçu. Le curé de Y me suggère de faire appel aux jeunes sur le ton de « Faites donner la garde ! »

« Ne dérangez pas les jeunes dans leurs complaisantes indispositions. » (J’écris plus poliment que je ne parle.) J’ai jugé de leur esprit de suite dans mon précédent chantier. Mes idées rétrogrades attristent le bon prêtre. C’est moi, médecin, qui manifeste une rancune de corbeau jurant, mais un peu tard, qu’on ne l’y reprendrait pas. Avec les scouts, jeune personnel encadré, c’est une nouvelle expérience que je tente.

Les volontaires couchent au couchant de l’église, dans une clairière dont le propriétaire est inconnu. Les responsables de la patrouille de « pionniers » me demandent un laïus sur le travail désintéressé. C’est pour moi la tarte à la crème. Mes digressions sur le plein cintre sont interrompues par deux chahuteurs. J’enchaîne en leur posant des questions. Mes petits bonshommes ne sont nullement intimidés. Suit le déjeuner précédé du bénédicité et du cri de guerre. Je trempe mon pain dans le chocolat communautaire. Mes scouts ne s’inquiètent guère de l’arc brisé, mais d’eau potable. Je leur fais observer :

« Mais vous avez le Ciron, qui vaut bien tous les robinets ! »

Les enfants grimacent leur catéchisme sur la pollution des rivières. Je rétorque :

« Et les sources miraculeuses envasées au pied de l’église ? Dégagez-en une, et vous verrez couler une eau plus pure que celle d’aucune bouteille. Qu’est-ce qui pourrait polluer notre eau de la lande ? »

Et mes vingt poulbots, leurs responsables, leur athlétique aumônier m’écoutent comme un prophète qui parlerait d’eau jaillissant dans le désert.

 

17 juillet. – Ce matin, vu mes scouts qui ont perdu beaucoup d’énergie à bricoler, à dégager vis-à-vis l’église une ruine promue salle à manger à ciel ouvert. Un drapeau tricolore étendu au-dessus du porche trilobé frappe agréablement par son audace de coloris. 

Ces enfants ont récolté sur les voûtes d’épaisses ardoises des Pyrénées, ancienne couverture de l’église. Pour leur dernière journée, je leur recommande de monter à pied d’œuvre mille tuiles par l’escalier à columelle (b) . 

Ils effectuent le passe-tuille illico en répétant à chaque tuile : «Danke schön Bitte schön ! » ce qui expose à certains embrouillages. Je contacte des industriels du bois qui me font, eux, sans ambages, cadeau de tous le bois d’œuvre. Voilà le bon esprit de clocher et le bon usage de la richesse de la lande !

22 juillet. – Journée de soleil landais. Chênes très verts aux ombres fortes et fraîches. La chaleur enveloppe et recuit les colonnes des pins. Le clocher de Gouts flamboie de toutes ses pierres. Bonne journée mal commencée. Pas de sable, pas d’eau, pas de bois, pas de personnel.

Je pars en camionnette à Casteljaloux avec Marc pour maugréer, me plaindre, gesticuler, tempêter. Mes colères sont bienfaisantes. Elles me procurent une certaine considération et galvanisent les « je-m’en-fichistes ». Je charge du sable et je reviens à Gouts. Mes tailleurs de pierre espagnols n’ont pas voulu suivre mon itinéraire mais demander leur route. Bien entendu, ils arrivent par le chemin et à l’heure des écoliers. Ils ont droit aux rires sarcastiques de la tribu.

Ils rebâtissent le garde-fou du clocher et couronnent des pans de murs. Pas de poulie : égarée par les scouts ! On doit « mascagner (c) » pour remonter, par câble, les moellons sur le clocher. Vers onze heures, mes bois d’œuvre arrivent sur un camion. L’eau du Ciron est montée dans des bidons attelés sur un traîneau de fortune. Le mortier se prépare sans relâche. Le temps perdu se rattrape toujours. Tout marcherait à souhait grâce à beaucoup de bras, d’ardeur, de chance si je ne m’abîmais l’épaule en plongeant dans le Ciron vraiment trop petit. Refroidi, je dois me borner à surveiller, besogne reposante et parfaitement efficace.

A la nuit, je rentre hagard, regard fou, louchant, brûlé de lumière, parfaitement heureux.

1er août. – Je suis fatigué, dominé. Je me suis laissé tellement peu de marge, qu’il faudrait déborder ma feuille pour écrire le livre de mes activités. Après quatre ans de batailles avec les ruines, il pleut chez moi, il pleut sur le lit de ma mère. Il faudra qu’une partie de l’équipe se détourne de l’« œuvre » pour remanier mes propres toitures. Je me sens coupable envers les monuments.

Dimanche 25 août. – « Campo ». Quel repos !

Samedi 30 août. – Pendant toute la semaine, les orages ont crevé sur les toits et sur le personnel. Trempés, il nous faut abandonner la place. Nous réparons l’escalier en colimaçon, qui n’en peut mais. Une marche a cédé, les autres suivent comme les mailles d’un tricot. Bientôt, un rayon de soleil et le vent sèchent les dos et les nuques.

Ce toit malade reçoit cent chevrons. Les pannes, le faîtage, les sablières sont doublés ou changés. Seules, les fermes en chênes tiennent bon. Faute de temps, nous recouvrons d’Isorel la volige neuve. C’est solide mais d’aspect sordide. Dernier argument, et air connu (cf. le château de Buzet), je ramène d’Agen mes vieilles tôles ondulées. Je sais bien que recouvrir de vénérables monuments avec tôles ondulées, c’est grand péché (Proverbe russe). Mais je ne déteste pas la provocation destinée aux conseillers. La couverture est achevée « à coups de poings », sous le crachin de cette fin d’août, en chantonnant, en disputant en tapant du marteau sur les pointes ou sur le bronze de la cloche.

« Sais-tu, me rappelle, patelin, un cousin, que c’est une dame de Saint-Exupéry qui fut marraine de cette cloche, l’an 1860 ? » Pour nous défouler, nous hurlons comme des démons sur cette arche émergée de la forêt, protégés des coups du vent ou menacés par le clocher éternel qui perd, à chaque coup de foudre, une pierre de glacis.

Au coucher du soleil, un ciel délavé se découvre magnifiquement calme, pour notre dernier jour de travail, à l’heure de l’angélus. L’église de Gouts, le pont d’Andiran, le prieuré du Paravis, un moment ranimés par le sabbat de l’été, retombent dans leur petite mort.

Docteur Jacques Chapeyrou.

(a) In Revue de l’Agenais, 1968, n° 3, p. 209 à 213 et Cf.. « L’église-forteresse de Goutz-d’Allons et de Saint-Pierre d’Aurival près de Laroque », par le Dr Jean Lepargneur (« Revue de l’Agenais », 1948, p. 226, chronique).

(b)Tuiles fournies par la fidèle Protection Civile et ses sapeurs-pompiers forestiers de Houeillès.

(c) On sait que mascagner, chez nous, c’est peiner maladroitement, avec de mauvais outils, en se pinçant les doigts et en jurant. C’est typiquement gascon.

Réalisée le 21 novembre 2010  André Cochet
Mise sur le Web : novembre 2010

Christian Flages