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La GARONNE
 
et ses
 
AFFLUENTS DE LA RIVE GAUCHE
par

André REBSOMEN 

FERET et fils éditeurs
 
9 rue de GRASSI
 
BORDEAUX
1913

Collection privée

Passage concernant:

BARSAC

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Un pont, jeté sur le Ciron, appelé autrefois pont des Chartreux ou pont aux Moines, et sur lequel passe la grande et belle route d'Espagne, unit Preignac à Barsac. Tout auprès se trouve un beau moulin à sept meules, appelé le moulin du Pont. Jadis, au XVe siècle, cet endroit était désert; des bois et des taillis voisins servaient de repaires à des « larrons, brigands et agresseurs de chemins ». Le pont était tombé en ruines, et l'on avait commencé à y édifier un moulin, mais personne n'osait y demeurer. Un brave habitant de Podensac, André Cavaud, pressé par le Parlement de Bordeaux qui S'intéressait à la sûreté de la route, accepta et promit de réparer le pont, de construire le moulin avec le concours des habitants du voisinage et de l'habiter.

Tout près du pont on remarque une haute tour carrée à trois étages et à toit pointu, accolée d'une tourelle, et fortifiée d'une bretèche, qui parait être du XVIe siècle. Cette tour dépend du château moderne de Rolland, et forme au milieu des grands arbres un petit décor fort gracieux. C'est actuellement la résidence de M. Raoul Froidefond.

Le Ciron dont nous n'avons plus guère à parler maintenant achève son cours et va unir ses eaux à celles de la Garonne au Port de ]Barsac.

Tant par la navigation du fleuve que par celle de la rivière, ce port est un des plus importants de la rive gauche de la Garonne. C'est l'entrepôt des marchandises que les landes expédient par eau à Bordeaux, telles que les pierres estimées appelées « pavés de Barsac », poteaux de mines arrivés en radeaux, bois merrains, planches et bûches de

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                                                                                                   pin, échalas de bois d'acacia, barriques vides qui se fabriquent en grand nombre à Barsac et à Preignac, sans compter aussi les barriques pleines des vins blancs exquis récoltés dans le voisinage. De nombreux maîtres de bateaux, appartenant à une race vaillante, assurent le transport fluvial de toutes ces denrées.

Nous ne laisserons pas Barsac sans avoir parlé des souvenirs anciens de ce bourg important, qui jouissait jadis du titre privilégié de ville de prévôté royale.

Les prévôts étaient dans le principe de simples fermiers du domaine royal, à qui le roi concédait dans l'étendue de la circonscription qui leur était assignée le droit de percevoir les revenus d'origine diverses qui constituaient l'actif du budget royal, moyennant une quote-part retenue à leur profit. Ce droit de perception entraînait par suite des attributions administratives pour veiller à la bonne tenue et à l'entretien des terres d'où provenaient les redevances, des attributions judiciaires pour contraindre les récalcitrants à payer, enfin des attributions militaires pour assurer par des troupes la police du domaine et l'exécution des sentences rendues.

Cette prévôté de Barsac avait une origine fort reculée puisqu'en mai 1254 le roi d'Angleterre, Henri III, écrit aux nobles et hommes libres « de la prévôté de Barsac » pour leur demander des boeufs et des charettes. Le souverain comptait peut-être se faire payer ainsi la faveur qu'il avait accordée, le 8 février précédent aux prud'hommes de Barsac, de fortifier leur ville, qui lui appartenait d'ailleurs.

Le premier prévôt dont le nom soit connu, est Jean Ferre qui reçut, en 1277, du roi Edouard I, par l'entremise du sénéchal de Gascogne, le titre de prévôt de Barsac. Le même, de son palais de Westminster, donne cette charge par bail à ferme, en 1285, à Jean Alègre, moyennant 145 livres de monnaie de Bordeaux.

Barsac était sans doute clos de remparts à cette époque, comme nous le disions plus haut, mais il lui manquait un château. Bernard de Budos avait demandé en 1319, au roi d'Angleterre, l'autorisation d'élever une maison forte: le roi refusa. Plus heureux que lui Gaillard de Syran, en 1340, obtint d'élever un fort dans la paroisse de Barsac ou de Preignac, « aux charges de le remettre toutes fois et quantes au roi ».

C'est qu'en effet le roi était le seigneur tout puissant à Barsac et il disposait à son gré de ses terres et de sa prévôté. Il donnait cette dernière à Thibaut de Budos en 1373, en 1381 à Jean de Stratton, et enfin au célèbre Nicolas Bowet, le futur archevêque d'Yorck, ce qui laisse entendre aujourd'hui que le titre devait être une judicature distinguée puisque des personnages aussi éminents en étaient revêtus.

Nous résumerons en quelques notes brèves l'histoire très intéressante de cette haute fonction. Après la conquête de la Guyenne, François de Montferrand est prévôt de Barsac (1471); après lui vient Guilhem de Mus, l'ancien boulanger « à la main de gloire », Pierre et Jean de Sauvage, ce dernier conseiller au grand conseil en 1583. La prévôté vendue et rachetée plusieurs fois fut déclarée inaliénable en 1585.

Jusqu'en 1643, elle comprenait neuf paroisses: Barsac, Preignac, Cérons, Pujols, Bommes, Sauternes, Villagrains, Saint Morillon et Saint Selve. Les trois dernières furent

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 démembrées en 1643 et les autres furent aliénées en 1708 si bien qu'il ne restait plus à cette date que Barsac seul.

A la fin du XVIIIe siècle, le prévôt portait encore le titre de prévôt royal civil et criminel.

Rentrés dans le bourg de Barsac, nous porterons nos pas d'abord vers l'église oeuvre fort élégante du milieu du XVIe siècle, qui constitue une de nos meilleures églises de la Renaissance dans la Gironde.

La façade se compose d'un mur uni au centre duquel est engagée la tour carrée du clocher. Ce clocher est soutenu par deux contreforts et comprend deux étages superposés décorés de pilastres ioniques surmontés d'une coupole finissant par un lanternon carré. Trois portes sur cette même façade donnent accès dans l'église.

L'intérieur, divisé en trois nefs, est, dans ses grandes lignes, de plan rectangulaire. A l'est, dans le chevet droit, s'ouvre une petite abside à cinq pans abritant le sanctuaire. Deux chapelles sur les bas-côtés, l'une, au sud, dédiée à saint Eutrope; l'autre, au nord, à sainte Anne, forment des enfoncements rectangulaires. Deux autres petites chapelles carrées s'ouvrent sur ces mêmes côtés, à l'ouest des premières. Une élégante tribune en pierre, au fond de l'église, surplombe les trois entrées: elle est bordée d’une rampe en fer forgé.

Les voûtes sont très élevées et leurs nervures retombent sur quatre piliers en carré parfait, cantonnés de quatre colonnes engagées. Les bases de ces piliers formées de simples moulures sont semblables aux chapiteaux, mais renversées. Enfin, le maître autel et les deux autels latéraux se détachent, avec leurs grandes statues aux draperies agitées, mais non sans mérite, sur un entablement corinthien, en pierre blanche et dorée, posé sur des chapiteaux dorés supportés eux-mêmes par des colonnes de marbre rose veiné.

Nous achèverons notre promenade dans Barsac en signalant le château Cantegril propriété qui appartint au duc d’Epernon, puis aux seigneurs de Cantegril. L'un de ces derniers épousa une demoiselle de Myrat et fit construire dans une partie du domaine de Cantegril, le château de Myrat actuel, gentille et coquette résidence. Aujourd'hui le château Cantegril appartient à M. Emile Raymond et le château de Myrat à M. Pierre Martineau. 

Enfin, nous n'oublierons pas le château de Bastard, habité par Madame veuve Baudère, ancienne demeure de style Louis XV, qui fut la maison

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                                                                                              natale de Mademoiselle de Lamourous, l’héroïque et pieuse fondatrice de l'oeuvre de la Miséricorde de Bordeaux.

Notre excursion sur les bords du Ciron s'achève ici; il est temps de clore ce chapitre, un peu trop long peut-être. Mais comment nous taire devant les souvenirs de premier ordre et les lieux remarquables arrosés par cette rivière, une des plus captivantes de notre région ?

Nous avons cherché à la tirer de l'ombre des pins où elle se cache, des gorges pittoresques où elle coule, nous voudrions l’avoir fait connaître de ceux qui l'ignorent ou même de ceux qui la connaissent mal.

Volontiers, après l'étude que nous lui avons consacrée, lui redirions-nous ces vers qu'Estienne de la Boétie, l'ami de Montaigne, adressait à la Dordogne:

 « Si je devine bien, on te cognoistra mieulx;
« Et Garonne, et le Rhône, et ces aultres grands dieux
« En auront quelque envie et possible vergoigne. »

 

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Réalisée le 10  janvier  2002  André Cochet
Mise sur le Web    janvier 2002

Christian Flages

Modifié le 20 mai 2002 AC.