Visages
de

Barsac.

Tome I.

Page 27/28.

 

 

Vendanges Barsacaises.

 

 

 

Voyez-vous resplendir sous les feux de l'aurore

Les grappes revêtues de perles de rosée ?

Mais il ne suffit pas que le raisin se dore;

Pour qu'il puisse donner sa liqueur concentrée,

Il faut qu'il soit bien sec, réchauffé, succulent,

Tout à fait, dépouillé de son manteau d'argent.

 

Le soleil a chassé les bruines matinales;

Vendangeurs, reprenez vos paniers, vos ciseaux;

Au travail, sans retard; par troupes amicales

Pressez le pas : le ciel est clair, le temps est beau.

Parcourez du regard la vendange féconde,

Pour y chercher les grains duveteux et pourris;

Au vignoble, comme au restant du monde,

Il faut savoir trier et choisir ses amis.

Goûtez les meilleurs grains, bien rôtis et sucrés,

Qui se collent aux doigts, qui collent au palais;

Avant vous, au matin, les merles sont venus,

Puis sont allés dormir dans leurs buissons touffus.

Car le suc de nos crus qui grise les oiseaux,

Fait germer dans les coeurs, sans troubler les cerveaux,

La joie et la gaieté, la causette et le rire,

La gauloise chanson et l'amour qui soupire.

Lorsque nous vendangeons, toujours sont associés

La déesse Vénus et Bacchus couronné.

Ecoutez la Toinon décochant ses fléchettes

Sur le dos d'un voisin naïf ou complaisant;

Les caquets vont leur train, suivis de chansonnettes;

La malice et le miel s'y mélangent souvent.

Une piquante brune, au sourire mutin,

Arrêtant sa cueillette, entonne un refrain

 

Ninette, ma Ninette,

Viens donc vendanger,

Prends vite ta serpette,

Ton petit panier .....

 

Timide et rougissante, la tendre Noélie,

Avec sa voix flûtée, chante les mélodies :

 

Un poète m'a dit qu'il était une étoile...

Une étoile où jamais ne sonne l'heure brève,

L'heure brève où les coeurs se brisent en adieux.

 

Des points noirs dans le ciel ? C'est un vol de palombes ! 
Tous les nez sont en l'air à trois lieues à la ronde.

« Le choeur des Montagnards » a toujours du succès

Puisque l'on est debout, nous allons le chanter,

 

Montagnes Pyrénées-ées, vous êtes mes amours,

Rien n'est plus beau que ma patri-i-ie,

Bien ne plait tant à mon ami-i-ie...

 

Le repas de midi est vite expédié.

La cueillette reprend, c'est l'heure lumineuse

Où l'air pur et brûlant danse dans la clarté.

La terre se fendille et tous les cailloux blancs

Jalonnent chaque rège de leurs miroitements ;

Le Soleil fait sa loi; chaque grappe altérée

Se ratatine encore et gagne un degré.

Vendangeurs, pressons-nous, c'est l'heure lumineuse.

Ce n'est que sur le soir qu'on reprend les chansons

Le petit Antonin, de sa voix de fausset,

Module la romance du gai rossignolet

 

A la plus haute branche,

Le rossignol chantait;

Chante, rossignol, chante,

Toi qui as le coeur gai

Pour moi, je ne l'ai guère...

Ma mie m'a quitté.

 

Edgar, le baryton, s'essaye dans l'opéra :

 

Carmen : 

L'amour est enfant de Bohême

Qui n'a jamais connu de loi...

Faust :

 

Et je vois passer les bateaux,

En vidant mon verre ...

 

Et ainsi, tour à tour, indolente ou brève,

La voix berce et endort espérances et rêves.

 

A la Crête des pins,  Phoebus va s'abîmer,

L'ombre envahit les ceps et la fraîcheur arrive,

Vendangeurs, pressons-nous, le pssit d'une grive

Vous dit qu'il va falloir regagner vos foyers.

Videz donc vos paniers; dans le calme du soir,

Les chars vont emporter la vendange au pressoir

Où la trappe de bois, ou de fonte ou d'acier,

Exprimera les sucs de leur prison ridée.

Ca pèsera dix-neuf ! C'est une bonne trie !

Aux vendangeurs, au moût, souhaitons longue vie !

Mais quant aux grappillons qui passent par oubli,

C'est la part des oiseaux qui y viendront la nuit.

 

 

La lumière s'éteint, notre course s'arrête;

Ecoutez de Jasmin ce couplet de poète :

 

Déjà, la brume encrusmis la nature,

Tout es tranquille et tout cargo lou dot,

Dans lou cluché la brezague murmure

Et lou tuquet succède al rossignol.

 

 

 

 

Air : Les Montagnards.

 

Là-bas, dans la vallée,

Tout est silencieux;

Et la lune voilée,

Se dérobe à nos yeux.

 

On n'entend plus dans la nuit sombre

Qu'un vieux pressoir « cliquant » dans l'ombre,

O vendangeurs (bis) chantez plus bas (bis),

Vénus s'endort, Vénus s'endort,

Ne la réveillons pas.

Tra-la-la-la

Tra-la-la-la-la.

P. G. (octobre 1944).

 

 

Réalisée le 3 avril  2004  André Cochet
Mise ur le Web le   avril  2004

Christian Flages