Visages
de

Barsac.

Tome I.

Page 47/48.

 

 

Académie Céleste.

                       

 

FONTENELLE, Secrétaire perpétuel.  

Mes chers collègues, je vous rappelle la question qui est à l'ordre du jour : le vin, sa limpidité par le siphon. Nous allons l'étudier dans l'ordre chronologique.

 

MONGE.  

Je vous l'ai déjà démontré : pour nous, il n'y a plus ni temps, ni espace; passé, présent et futur sont confondus; l'avenir, c'est du passé; le passé, c'est de l'avenir; tout égale zéro, et zéro égale infini.
Ne parlons plus ce langage des terriens.

 

FONTENELLE. 

Caton, vous avez la parole.

 

CATON.  

Je dois vous dire qu'un jour, visitant mes caves de Sicile, je vis un énorme dolium et je demandai à l'esclave qui m'accompagnait : « A-t-il été soutiré ? » Il me répondit : 
« Non, maître, car il est trop lourd pour le renverser et il nous faudrait des machines. »
Columelle doit connaître la question. .

 

COLUMELLE.  

J'en ai causé avec plusieurs de nos collègues, Maspéro, Corneille, Lavoisier et Franklin. Ils vont vous répondre.

 

MASPERO.  Le siphon a été inventé en Egypte sous le règne d'Aménophis II, vers 1450 avant l'ère chrétienne, et les peintures funéraires de Thèbes montrent des vignerons en train de siphonner des amphores.

 

CORNEILLE.  

Deux vers d'Horace (Ode III-29, vers 1 et 2) peuvent laisser croire que, pour soutirer, on inclinait simplement les jarres; mais il s'agit ici d'un cadus c'est-à-dire d'une petite amphore, et ce procédé, possible dans ce cas, cesse de l'être avec des dolia ou grandes amphores qu'on ne pouvait songer à soulever à cause de leur poids.

 

LAVOISIER.  

Je ne prétends pas être le seul à savoir que l'air contient de l'oxygène et que ce gaz ardent, dissous dans le vin, où se trouvent des particules de fer et de cuivre, y provoque des casses dangereuses.
Le matériel vinaire ne doit plus être en fer, ni en cuivre, mais en acier inoxydable aux acides du vin, le sulfureux et le tartrique.

 

OLIVIER DE SERRES.  

Un siphon en acier inoxydable, c'est très bien, mais il faut, en outre, que le tube en soit perfectionné pour guider les filets liquides aspirés et les empêcher d'entraîner les lies.
Alors le vin sortira tout à fait clair ; 
-les rayons du soleil y joueront comme dans du cristal ; 
-le vin rouge brillera comme un rubis et le vin blanc comme de l'or.
 

Newton pourrait nous calculer l'indice de réfraction des vins d'Italie, de Grèce, de Bourgogne, de Sauternes et de Barsac.

 

NEWTON.

Perfectly ! Je calculerai.
Et vous, Socrate, qui aimez les idées claires, vous serez content.

 

SOCRATE.  

De la clarté, de la clarté, toujours plus de clarté.

 

CATON.  

Je vois que notre cervelle reste toujours alerte et active, et je remercie tous les collègues qui ont bien voulu nous faire part de leur expérience en la matière. Et vous, Franklin, qu'en dites vous ?

FRANKLIN.  

Le soutirage mécanique ne peut être que grossier, et je  vois très bien un soutirage électrique avec un champ magnétique qui ferait le tri des molécules liquides et des molécules solides ou lies, et, le vin serait ainsi stérilisé cent pour cent.

Ou bien pourrait-on employer un courant continu qui entraîne telle ou telle partie du vin et le distille à froid, sans en altérer les éthers ? 

Peut être aussi qu'un fort courant électrique traversant le vin y produirait de l'ozone et un vieillissement presque instantané. Dans ce cas, une seconde vaudrait trois années de vieillissement, et la théorie de Monge sur le temps y trouverait une confirmation.

 

FONTENELLE.  

Nous avons fait le tour de la question d'une manière tout à fait complète, et notre collègue Caton doit être satisfait !

 

CATON.  

Oui, nous aurons encore de beaux jours et du vin parfait, car avec vos machines, je vais pouvoir soutirer mes dolia et mes amphores.

 

FoNTENELLE.  

Personne ne demande plus la parole ?

 

LOMONOSSOF (dit le Prestigieux Moujik).  

Un mot, je remercie Lavoisier de la modestie avec laquelle il a parlé de la composition de l'air et de l'oxygène, car j'avais prévu, quelques années avant lui, le rôle de l'air dans la combustion ; Monge dirait, simultanément. Mais qu'importe ! puisque nous sommes d'accord !

FONTENELLE.  

C'est bien fini. Je vous remercie ; la séance est levée.

 

Propos de couloir :

 

BOILEAU.  

Je vais vous proposer une charade

 

Mon premier se pêche à la ligne,
Dans mon second, on met le grain,
Et mon tout à l'honneur insigne
D'être le nom d'un très grand vin.

Trouvé !... Trouvé

 

MOLIÈRE.  

Et moi, une chanson

Qu'ils sont doux,
Bouteille jolie,
Qu'ils sont doux,
Vos Petits glouglous !
Mais mon sort ferait bien des jaloux,
Si vous étiez toujours remplie.
Ah ! bouteille, ma mie,
Pourquoi vous videz vous ?

P. G.

 

BÉRANGER 

(air Froufou)

 

Glou, glou, glou, glou,
Chanson de la bouteille !

Glou, glou, glou, glou

Musique sans pareille !

Glou, glou, glou, glou,

Hymne qui m'ensoleille !
Combien m'est doux
Ton céleste glou-glou !

A. P.

               

 

 

Réalisée le 10 avril  2004  André Cochet
Mise ur le Web le   avril  2004

Christian Flages