Visages
de

Barsac.

Tome I.

Page 59.

 

 

 

Quatre petits contes pour les enfants.

                    

suite....

III - Le filleul du Roi...

 

 

Un treizième enfant, un, garçon, était né chez Jeantot, pauvre vigneron de la paroisse de Saint Vincent de Paul de Barsac.

 

A quelque temps de là, notre Jeantot rencontra sur la route le cortège du roi. Celui-ci, voulant s'amuser, fit approcher le bonhomme et le questionna.

 

Le roi riait de sa naïveté, puis, apitoyé sur son sort, il prit une coupe d'argent qui pendait à sa selle, la partagea en deux moitiés et lui dit ;

 

 " Je veux faire ton bonheur; je me fais parrain de ton nouveau-né; prends cette moitié de coupe, et quand ton Jeantot 13e aura quinze ans, qu'il vienne à ma cour avec ce signe de reconnaissance et j'assurerai son avenir."

 

Les mois passent; les 15 ans arrivent, et le filleul se préparait à rejoindre son parrain à la cour. On lui donna un vieux cheval, qui avait coûté moins d'un écu, une besace avec quelques vivres et la moitié de la coupe d'argent.

 

Le premier soir, après une longue étape, notre cavalier s'approcha d'un ruisseau pour y faire boire sa monture. Au même moment, un jeune mendiant, qui le guettait depuis un instant, s'approcha, agrippa furtivement la besace et précipita notre Jeantot 13e à l'eau; tandis que notre filleul royal se débattait dans l'onde et essayait de regagner le bord, le voleur monta rapidement en croupe et se sauva.

 

Ayant pénétré le secret, il fut admis comme filleul du roi.

 

Notre vrai filleul était désolé, mais il continua cependant sa route, espérant faire éclater la vérité et faire punir le voleur. Il y avait plusieurs jours qu'il marchait ainsi, traînant le pas et l'âme en peine, lorsque, en traversant un bois, il aperçut sur le seuil d'une cabane une vieille femme qui lui dit :

 

« Mon fils, tu as l'air bien fatigué, entre donc te chauffer; je vais préparer le repas. »

 

Il lui conta ses peines, et la vieille, qui était sorcière, lui dit, au moment de repartir :

 

« Vas jusqu'à la cour du roi et engage toi dans ses écuries; mais surtout, ne raconte rien de ton histoire, sinon tu es perdu. Au bout d'un an, il y aura du nouveau et le roi te reconnaîtra comme son filleul ! »

 

Un secret est bien lourd à garder pour une tête de quinze ans.

 

Notre Jeantot 13e eut la langue trop longue, et ces bruits arrivèrent à l'oreille du roi ; on le prit pour fou, heureusement pour lui, car s'il eût été convaincu d'imposture, il serait aller se balancer au gibet de Montfaucon avec beaucoup d'autres pendus.

 

Des jours passent, et voilà que notre faux filleul tombe malade, et, craignant d'être damné et d'aller brûler en enfer, à cause de son mensonge, il révéla l'exacte vérité au roi.

 

Il fut condamné, sitôt guéri, à aller ramer sur les galères royales. 

 

Quant à notre Jeantot 13% il prit sa vraie place; on lui donna un brillant costume de page et le titre d'échanson, c'est à dire qu'il était chargé de servir les vins à la table du roi.

 

Et c'est dans la coupe d'argent qui lui rappelait sa Jeunesse et son voyage en Guyenne que le roi se faisait servir les Vins du Bordelais et de la Prévôté de Barsac.

 P. G. 1945.

 

 

 Que le vin nous envoye

 D'agréables fureurs !

 C'est dans lui que l'on noye

 Les plus grandes douleurs.

(SCARRON, 1610/1660.)

 

 

Réalisée le 10 avril  2004  André Cochet
Mise ur le Web le   avril  2004

Christian Flages