Visages
de

Barsac.

Tome I.

Page 60.

 

 

 

Quatre petits contes pour les enfants.

                    

suite....

IV - Conte Allégorique.

Le Roi des Merles.

Le Roi des Merles avait épousé la troisième fille d'un homme brun, à peine âgée de 15 ans. La cérémonie achevée le Roi des Merles sortit de son manteau. 

Zig ! Zig !... homme brun, mes merles ont ordre d'emporter ma femme au château de mon père. Vite, qu'elle te fasse ses adieux !

Adieu, mon père ! Adieu, mes soeurs ! Je vais vous quitter pour toujours et je ne vous reverrai sans doute jamais, jamais !

Alors les merles prirent leur Reine et leur Roi et les emportèrent à travers les airs dans un pays lointain. 

Mais un violent orage surprit les voyageurs; ils continuèrent leur vol au milieu des rafales de vent et de pluie, au travers des nuages et des éclairs; mais quand le soleil reparut et que le ciel s'éclaircit, la Reine s'aperçut que son mari avait disparu.

Après avoir encore parcouru des milliers de lieues, la Reine arriva devant un magnifique château. Elle remercia les merles et leur dit : « Allez souper et dormir, vous l'avez bien gagné ! »

La Reine entra dans le château qui était sept fois plus grand qu'une cathédrale.

Partout brûlaient des lumières; les cheminées flambaient, et pourtant la Reine ne vit personne. En se promenant de chambre en chambre, elle arriva devant une vaste salle où il y avait des plats et des vins de toutes espèces.

Deux couverts y étaient mis; elle s'assit, mais ne mangea point, car elle pensait sans cesse aux siens et à son mari.

Une heure après elle s'alla coucher dans un grand lit fermé de rideaux d'or et d'argent et attendit sans dormir, en laissant brûler la lumière. Elle ne s'endormit qu'au petit jour. Et des jours et des nuits passèrent, longuement dans l'attente.

La pauvre s'ennuyait à vivre ainsi, sans jamais parler à personne. Pour se divertir un peu, elle partait parfois de grand matin avec un panier plein de vivres et courait à travers les prés et les bois sans jamais trouver âme qui vive.

Un matin, tout en se promenant, loin du château, après avoir marché plusieurs heures, elle arriva devant une grotte profonde; une vieille femme ridée comme un vieux cuir y était assise, en train de filer, et elle chantait :

« File, file les jours,
« File, file toujours,
« La vie des pauvres âmes. »

     « Bonjour, marraine ! Je vous apporte des provisions ! »

Elle n’eût pas sitôt versé du vin dans un verre, que le vin se changea en un bouquet de soucis.  

La vieille, qui était fée, comprit que c'était la Reine des Merles et dit : 

« Il y a longtemps que je t'attendais. 
Nos épreuves ne sont pas finies et nous n'avons pas achevé de souffrir. 
Ton mari a été enchaîné par un méchant gueux qui le tient en son pouvoir; il l'a emporté à la cime d’une haute montagne; dans le roc, il a enfoncé et scellé avec du soufre et du plomb la grosse chaîne de fer. 

Cela fait, il a sifflé et aussitôt sont accourus un loup noir et un serpent vert.

-Gardez bien le Roi des Merles !

-Maître, vous serez obéi.

Le serpent vert veillait le jour et dormait la nuit; le loup noir veillait la nuit et dormait le jour. 

Le méchant gueux partit, et le Roi des Merles resta seul avec ses gardiens sur la cime d'une haute montagne, dans une île de la mer. 

Il n'a pas fini de souffrir et nous non plus; mais il nous reste un peu d'espoir. Ecoute bien ce que je vais te dire, et tu le suivras point par point.»

 Tiens, voici un rameau de gui et une faucille d'or qui me furent donnés par un druide gaulois. 

Vas à la recherche de ton mari à la cime de la haute montagne, dans une île de la mer. 

Voici une besace magique afin que les vivres ne te manquent point et voici un sarment de vigne, un sarment de sauvignon, souple et nerveux, qui te servira de bâton pour marcher et pour te défendre.

Le bouquet de soucis montre l'étendue de nos peines, mais il y a des fleurs porte bonheur. Tu cueilleras sur ton chemin les jolies marguerites; tu en effeuilleras une chaque jour en disant :  

« Il m'aime un peu, tendrement, beaucoup, passionnément, point du tout. »

Si tu trouves, trois jours de suite, « passionnément : tu rechercheras alors un brin de muguet et tu seras près de délivrer ton mari.  

Quand tu arriveras près de lui, le grand loup noir se jettera sur toi; tu lui présenteras ton sarment, et pendant qu'il le mordra tu lui trancheras la gorge avec ta faucille d'or.

Le serpent vert arrivera alors, en sifflant, tu feras de même. Ton mari t'appellera et avec ta faucille d'or tu trancheras la grosse chaîne de fer.

Le bouquet de soucis qui me reste dans ce verre se dessèchera tout d'un coup; et je saurai ainsi que tes peines sont finies les miennes prendront fin aussi, et la vieille marraine redeviendra pour toujours une jeune déesse.

Pars vite, courage et bonne chance !

Trois jours après, la reine arrivait dans un pays où il ne fait jamais jour, ni lune, et où le soleil ne rayonne jamais. Quand elle avait faim, elle plongeait une main dans la besace et en retirait des mets exquis; quand elle avait envie de dormir, elle se couchait sur le sol et sommeillait. 

Au bout d'un an, elle trouva trois jours de suite « passionnément » en effeuillant la marguerite, et le lendemain elle rencontra le muguet, symbole de bonheur.

Il faisait nuit, et elle marcha longtemps parmi des épines. Elle marcha longtemps, et la nuit se fit moins noire, et l'aurore parut.

Elle arriva près d'une île et dans l'éventail de feu que déployait le soleil levant, elle aperçut son mari enchaîné sur la cime d'une haute montagne. Dès qu'il aperçut la reine, le grand loup noir s'élança, la gueule ouverte.

Aussitôt, elle lui présenta son sarment de vigne; le loup referma sa gueule, et, d'un geste subit, avec sa faucille d'or, la reine lui trancha la gorge. 

Le serpent vert déroula ses anneaux et se mit à onduler rapidement en sifflant. La reine s'avança, non sans frayeur, lui présenta son sarment, et pendant qu'il le mâchonnait, lui fit sauter là tête.

Alors le muguet se mit à parfumer tous les airs des alentours; le Roi des Merles se leva, droit et hardi, comme un Vercingétorix victorieux.

 Zig ! Zig ! Zig !... Merci ma femme, coupe vite ma chaîne ! 

Cela fait, il cria vers les quatre coins du ciel : 

 Libre ! Enfin libre ! Vive la liberté !  

Et aussitôt des nuées de merles arrivent de tous les points de l'horizon.

Le Roi des Merles avait repris la forme d'un homme, et quand ils furent tous là, le Roi dit : 

« Braves gens, mes peines sont finies, les vôtres aussi; voyez-vous ce bouquet de soucis desséchés ? Voyez-vous cette jeune déesse qui vole sur la mer, suivie de 7.000 vaisseaux et de 10.000 avions amis qui viennent nous chercher pour nous ramener au pays ? 

Dans quelques jours, nous reverrons notre patrie ! »

C'est ainsi que notre merlette apprit que ce n'est qu'avec beaucoup de soucis et de peines qu’on atteint aux rivages de l’amour et du bonheur.

 

NOTE :
Le méchant gueux qui enchaîne les hommes pour les faire souffrir, c’est le chancelier Hitler; Le grand loup noir, ce sont les méchants nazis; 
Le serpent vert, la féroce gestapo; 

Les merles enchaîné, ce sont nos déportés et prisonniers en Allemagne;

Les merlettes, ce sont nos jeunes femmes de France, soeurs de Jeanne d'Arc, qui gardent précieusement en leur cœur le gui gaulois, cachent le bouquet de soucis dans leur corsage et piquent dans leur cheveux les fleurs de bleuets, de marguerites et de coquelicots;

La déesse renaissante s'appelle la liberté, la bonne fée qui donne aux hommes la douceur de vivre.

P. G..., mai 1945.

(Voir, page 113 L'Attente et Le Châtiment)

 

Nous l'avons eu, votre Rhin allemand, 
Si vous oubliez votre histoire, 
Vos jeunes filles, sûrement, 
Ont mieux gardé notre mémoire;
Elles nous ont versé votre Petit vin blanc. 

« Rhin allemand », Alfred de MUSSET.

 

 

Réalisée le 10 avril  2004  André Cochet
Mise ur le Web le   avril  2004

Christian Flages