Visages
de

Barsac.

Tome I.

Page 69.

 

 

 

Le Roman du Verre.

 

I

Le verre, ce gai compagnon,
Toujours trottinant sur nos tables,
Toujours docile et trop affable,
Ne sait jamais nous dire : Non !

VII

C'est le quart de nos prisonniers 
Exilés sur terre étrangère 
Et qui n'ont rien pour s'abreuver, 
Sinon cafard, pensées amères.

 

II

Le joli petit gobelet 
De l'enfant sanglé sur sa chaise,
Roule souvent sur le parquet; 
Bébé pleure, maman l'apaise.

 

VIII

Puis c'est le verre du retour, 
Qu'on retrouve d'une main
tremblante, 
Qui fait espérer d'heureux jours, 
Avec sa liqueur vivifiante.

 

III

C'est le verre du samedi 
Qui vous fait des ronds sur la nappe 
Avec le gros vin du Midi, 

La femme crie, et l'homme frappe.

 

IX

Ce sont les verres de la victoire 
Où se reflètent nos drapeaux, 
Qui rappellent nos siècles de gloire 
Et qu'on porte toujours plus haut.

 

 

IV

C'est le cristal étincelant 
Avec un rutilant Bourgogne, 
La mousse d'un vin pétillant, 
Les ors d'un cru de Gascogne.

 

X

Un soir, hélas dernière ivresse
La coupe glisse de nos doigts.
Pleure, buveur ! Plus de liesse
Enfant ou homme, c'est la loi.

 

V

Ce sont les verres des jours de fête
Qui scintillent parmi les fleurs; 
On se grise, on en perd la tête, 
Vénus, Bacchus sont dans les coeurs.

 

 

XI

Et lorsque notre verre tombe 
Et se brise en mille morceaux, 
C'est notre âme qui va dans la tombe, 
Notre âme nue, sans oripeaux.

 

 

VI

Vidons les verres des accabailles
Où gazouillent de jeunes chansons; 
Dans les ventres tout ce jus travaille 
Et veut qu'on dise qu'il est bon.

 

XII

Mais si, dans notre passage sur terre, 
Nous avons fait joie et bonheur, 
Nous boirons encore dans notre verre 
Le vin des vignes du Seigneur.

 

P. G..., mars 1945.

 

 

 

Réalisée le 8 avril  2004  André Cochet
Mise ur le Web le   avril  2004

Christian Flages