Visages
de

Barsac.

Tome I.

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Les crues de la Garonne.

 

Les esprits de la Garonne.

Par André BERRY (1942)

Notre Garonne était déjà gonflée,
Quand un beau jour, ensemble et tout d'un coup,
S'enflèrent l'Aveyron, le Tarn et l'Agoût. 

Ceux qui, de loin, entendirent la trombe,
Epouvantés, gagnèrent les coteaux,
Et, du versant, virent comme une trombe
Arriver la masse des eaux.Tel un seul bloc de chevaux à la charge,
Le flot passe, si puissant et si large.
Qu'en peu d'instant, des fermes aux châteaux,
Sur ses deux bords, il changea tout en tombe.

Il emportait dans ses rudes bouillons
Les gens avec les biens roulés en tourbillons.
Dans la distance, en pleines eaux bâties,
Saint Macaire et Langon semblaient sur pilotis.

Une heure encore, et de toute la plaine,
Sous la bise aigre et les oiseaux criards,
Il ne restait qu'un laguneux domaine,
Les platanes pour nénuphars

Où les hameaux, les villages, les villes,
Pour un moment formaient de faibles îles,

Où, soit rangés, soit vaguement épars,
Peupliers, tours, poteaux pointaient à peine,
Jusqu'à noyer digues et parapets
Montaient les flots plus noirs, plus lourds et plus épais.

Et des objets, des corps de toutes sortes
Filaient sur l'eau; des hommes retournés,
La croupe au ciel, et puis des femmes mortes,
Montrant au contraire le nez.

Se dandinant passaient de grosses outres;
C'étaient des boeufs. Tout droit, fonçaient les poutres.

Des bâtiments, par morceaux, entraînés;
Les toits rompus couraient après les portes.
Suivaient ce train des poulets par milliers,
Des cortèges d'habits, de coiffes et de souliers.

Comme tonneaux, au penchant des collines,
Cela roulait, sur les piles des ponts,
Rebondissait, se cognait aux ruines,
S'empêtrant dans les faibles fonds.

Les grands noyers semblaient chargés de singes; 
Gens qui hurlaient en agitant des linges;

D'autres, montés aux faîtes des maisons, 
Contre le flot raidissaient leurs poitrines; 
D'aucuns, leur porte, ou leur toit pour radeau, 
Ramaient, à moitié nus, drapés dans un rideau.

Si loin, pourtant, les ondes étalées 
Ralentissaient leur redoutable cours, 
Puis dégageaient digues, routes, allées, 
Bancs de boue et restes de bourgs,

Et dans la vase, au tiers ensevelies, 
Reparaissaient des maisons démolies. 
On appelait des gens qui restaient sourds; 
On appelait des bêtes envolées.

Les canards seuls, par des cris incongrus, 
Répondaient, préservés, au nom des disparus.

Ainsi la terre était assez marrie; 
A peine était un seul souffle tiré 
De tout ce qui, dans la calme prairie, 
Avait récemment respiré.

Trop bien avait de la rude Garonne 
Avait à ses doux bords paru l'âme félonne. 
Trop avaient cieux, ondes et nuit conspiré, 
Et maintenant, comme une moquerie,

Peignant de frais épaves et toits béants, 
L'inutile arc-en-ciel brillait sur ce néant.

 

 

 

 

 

Réalisée le12 avril  2004  André Cochet
Mise ur le Web le   avril  2004

Christian Flages