Visages
de

Barsac.

Tome I.

Page 111.

 

 

Quadrige patriotique.

II-Le Pacifiste.

Guerre sur la terre...Paix au ciel.

    Secteur de Mesnils-les-Hurlus , en Champagne, le 24 Décembre 1914.


Noël 1914.

  

Avec l'obscurité, l'artillerie s'est tue; de temps en temps, la lueur fugitive d'une fusée, suivie d'une courte fusillade; puis, c'est le grand calme de la nuit, entrecoupé parfois, au lointain, par un bruit de roues ou l'aboiement d'un chien.

 

Et voilà qu'une rumeur confuse, qui va crescendo, monte des tranchées d'en face; on tend l'oreille pour essayer de comprendre; ce sont bien des cantiques de Noël que chantent les Allemands. La vieille civilisation chrétienne se réveille en nous et cela nous procure une émotion intense.

 

Puis une autre rumeur nous vient de la droite, secteur qu'occupe notre corps colonial; c'est la Marseillaise que chantent nos poilus. Nous ne sommes qu'à quelques kilomètres de Valmy, et, dans nos souvenirs d'histoire, surgit celui des va-nu pieds de Kellerman qui ont chargé les Prussiens du Duc de Brunswick à la baïonnette et arrêté l'invasion au cri de : « Vive la Nation ! »

 

(Goethe, qui avait assisté à la bataille de Valmy et qui se retirait avec les armées prussiennes battant en retraite, pressentant l'avenir, avait proféré cette phrase prophétique : "ici commence l'ère d'une Europe nouvelle."

 

Cantiques et Marseillaise, ces deux expressions de la culture occidentale dans ce qu'elle a de meilleur, images d'une Europe de Hugo et de Beethoven, d'une ère de l'amour du prochain avec Jésus-christ et de celle de la liberté proclamée par ]a Révolution française de 1789; confondues en une vaste rumeur montent vers le ciel étoilé; et, pendant que ceux qui dorment rêvent peut-être à leur Noël d'enfant, ceux qui veillent aux créneaux sont envahis et secoués par un trouble indéfinissable.

 

Dans la veillée de cette nuit de Noël, tous ces combattants sentaient flotter autour d'eux les plumes blanches si tenues et si fragiles de la Colombe de la Paix, qu'ils auraient voulu saisir dans leurs mains débiles, que d'autres millions d'êtres humains auraient également voulu étreindre à jamais, avant qu'un nouvel Ouragan d'orgueil et de brutalité ne les chasse pour longtemps dans un endroit peut-être inaccessible à l'homme.

                P.G.

 

O Vent, si vient l'hiver,
Le printemps ne peut-il ne pas le suivre ?

Shelley.

 

 

 

Réalisée le12 avril  2004  André Cochet
Mise ur le Web le   avril  2004

Christian Flages