LES MINÉRAUX DE RAYNE VIGNEAU

 

CONFÉRENCE

 

par le M. le Vicomte de ROTON NOTOR.

 

Faite le 9 mars 1940

dans les salons de M. et Mme SAUTIER, à Bordeaux

 

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Mémoire de Bommes.  Livre 19.

    

   

 

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

 

Mille grâces je vous ai d'être venus nombreux ce soir à l'appel de cette chère grande Amie, Madame Sautier, Princesse de Science, notre Egérie aquitanienne, ouïr une conférence sur les minéraux de Rayne Vigneau. Une conférence, si l'on peut employer un tel terme ! Une, simple causerie à bâtons rompus, rien de plus.

 

Parler des minéraux de Rayne Vigneau, quelle difficulté pour votre serviteur, qui n'est nullement un minéralogiste de carrière, encore moins un savant ! C'est le cas de répéter le mot fameux de Beaumarchais : Là où il eut fallu un calculateur c'est un danseur qui l'obtint.

 

 Le danseur, c'est moi... Mais, oui, parce que les gens du monde de mon acabit, rien que des amateurs, comme chacun sait !  sont censés n'être, en quoi que ce soit, des provisionnels de quelque chose, et encore moins être des savants, pour parler doctement sur tel ou tel sujet scientifique. 

 

Et dame ! les minéraux, qu'ils soient de Rayne Vigneau, de Montredon-Labessonnié ou de Madagascar, ce sujet est tellement du ressort de la science minéralogique qu'il y faudrait, pour en parler en parfaite connaissance de cause, un, puits de science comme Alfred Lacroix, le plus grand minéralogiste des temps actuels, on encore un poète comme Paul Claudel, le génial auteur de « la Mystique des Pierres précieuses », alors que je ne suis qu'un humble chercheur, qu'un modeste inventeur (invenire, trouver). Aussi, avant de commencer, permettez-moi de réclamer votre indulgence, toute votre indulgence. J'en ai tant besoin, si vous saviez !  

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En vérité, que dire de plus que ce qui a été déjà dit cent fois et publié même à sons de trompe sur les gemmes de Rayne Vigneau, sur « ce Sauternais qui garde dans son sein les joyaux de Cléopâtre », comme dit  avec tant d'élégance et d'à propos Mme Sautier ?

 

Notre cher Dormontal, ici présent à mes côtés, le sait mieux que personne, lui qui s'est donné la mission hautaine d'en être l'historiographe.

 

Au sujet des gemmes de Rayne Vigneau, il faut toujours en revenir à la dépêche Havas, fameuse, de 1925, annonçant urbi et orbi la nouvelle de la découverte d'un gisement de pierres précieuses en Bordelais, dans le Pays des Grands crus de Sauternes, si admirablement, si génialement qualifié de Pays d'Or et de Diamant par l'ami Dormontal dans son ouvrage couronné par l'Académie Française. Suum cuique.

 

Un gisement de pierres précieuses, quelque part en France, à Bommes‑Sauternes, en Gironde, ah ! bah ! pas possible ! s'exclama-t-on de toutes parts. Il fallut pourtant bien se rendre à l'évidence. Et l'on connut bientôt que ce gisement fabuleux avait été découvert à Rayne Vigneau par un curiosus homo du nom dans le monde tout court de Roton, dans le monde scientifique, littéraire et artistique de Notor, les deux n'en faisant qu'un : votre très humble et très dévoué serviteur, pour vous servir, Mesdames et Messieurs.

 

On dit, couramment, des gemmes de Rayne Vigneau que ce sont des pierres précieuses. 

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Des pierres précieuses, cela semble vite dit ! Eh ! bien, mais, la preuve par neuf la voici. Il n'est que de se rallier purement et simplement à la thèse des savants eux-mêmes. Les minéralogistes partagent aujourd'hui les pierres précieuses en trois grandes classes :

 

La première, dont le carbone est l'élément constitutif, ne comprend qu'une seule pierre, le diamant, parce que la plus dure de toutes, sinon la plus rare, et qu'elle coupe le verre. La seconde, dont le principe est l'alumine, est formée des pierres très nombreuses groupées sous le nom indien de corindons, l'émeraude, le rubis, le saphir, la topaze, pour ne citer que les principales. Ces pierres peuvent rayer le verre, mais ne le coupent pas. Enfin la troisième classe comprend les pierres à base de silice, c'est-à-dire tous les quartz.

 

Voici donc les gemmes de Rayne Vigneau, parce que toutes à base de silice, scientifiquement classées dans la troisième classe des pierres précieuses. Grammatici certant, les savants plutôt. Ne chicanons pas. Combien honorable, combien glorieuse même, jusqu'à un certain point, cette classification des gemmes de Rayne Vigneau dans la troisième classe des pierres précieuses, la troisième classe, après tout, celle de Rohan. Vous vous rappelez du fier dict historique : Prince ne puis, duc ne daigne, Rohan suis. Rohan, en troisième classe, tout arrive ! A l'instar de Rohan, une agate de Rayne Vigneau au nom de ses nombreuses soeurs, les gemmes Sauternaises, pourra dire, elle aussi : Diamant ne puis, émeraude ne daigne, agate suis. Fière réponse, on en conviendra.

 

Une observation qui a son prix : on sait que le diamant est le plus dur des corps connus, sa densité étant de 3,52 à 3,60. Bien qu'étant la pierre la plus recherchée des élégantes, elle n'en sert pas moins, oh ! très démocratiquement, à couper le verre.

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 Mais alors, une question s'impose : prenez nos gemmes de Rayne Vigneau. Comment se fait-il que la plupart, je parle surtout des quartz, des agates, des calcédoines et des onyx, ne rayent pas seulement le verre, mais, tout comme le diamant, le coupent ?  

Ainsi vous prenez un morceau de verre, le long d'une règle vous y faites courir un fragment de quartz ou d'agate à peine, sinon même grossièrement épointé. Crac ! ça y est. Le verre est coupé exactement dans le sens de la rayure.

 

Combien. de fois ai-je fait l'expérience encore la semaine dernière en présence du Général La Bruyère de couper du verre avec n'importe quel fragment de quartz ou d'agate de Rayne Vigneau !

 

Mais alors, puisque le diamant occupe la première classe des pierres précieuses à raison de son extrême dureté et parce qu'il coupe le verre, devraient donc être rangées à la suite nos gemmes de Rayne Vigneau, puisque, pareillement, elles ont la dureté du diamant et que, comme lui, elles coupent le verre.

 

Sans compter que le pouvoir réfringent et le pouvoir dispersif que présente le diamant et d'où naît l'éclat de ses feux, en font. la pierre précieuse par excellence, un quartz très pur de Rayne Vigneau, finement taillé et poli, jettera tout semblablement de très beaux feux, à un moindre degré, j'en conviens, de très beaux feux tout de même. Alors, nos gemmes de Rayne Vigneau devraient bien être autorisées à monter de troisième en première classe, vous ne trouvez pas ?

 

Et ce serait justice, comme on dit au Palais.

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D'autre part, il est scientifiquement prouvé que les merveilleux minéraux de Rayne Vigneau possèdent toutes les qualités spécifiques d'inaltérabilité, de dureté élevée, de coloration éclatante et de prodigieuse rareté.

 

Au cours de plusieurs expériences faites au laboratoire de minéralogie du Muséum de Paris, certaines de ces pierres étranges ont révélé leur propriété de devenir fluorescentes sous l'action des rayons cathodiques et de la lumière ultraviolette.

 

Et maintenant, Mesdames, Messieurs, il me faut conter par le menu comment je fus amené à faire cette sensationnelle découverte de pierres précieuses, puisque pierres précieuses il y a, dans notre terroir Sauternais de Rayne Vigneau.

 

Toute une histoire, oh ! de la très petite histoire, qu'on ne s'y trompe pas !  Peu de temps avant la guerre 1914/18, mais surtout dans les années qui suivirent, attiré par l'extraordinaire variété, l'abon­dance véritablement inouïe de cailloux qu'on trouve dans nos vignes de Rayne Vigneau, je voulus me rendre compte de la composition intrinsèque.

 

C'est ainsi que je fus amené à reconnaître dans nombre d'entre eux ce que je supposais être, sans y croire absolument. des jaspes, des calcédoines, voire même des agates. Et je prospectais et tout et tout, sans y être autrement encouragé, comme vous l'allez voir.

 

Est-ce que les gens de la propriété, nos ouvriers, quoi ! me voyant, une loupe dans une main, un sac dans l'autre, ramasser des cailloux dans les vignes, cailloux qui, à leurs yeux, ne paraissaient que de simples, que de vulgaires cailloux, ne me montraient pas du doigt entre eux, oh ! de loin !  semblant dire : Il n'est pas un peu marteau, l'patron ?

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L'est vraiment piqué pour ne faire que ramasser des cailloux toute la journée. Une bonne femme du pays demandait une jour : C'est pourquoi, donc faire, M'sieu de Roton, que vous cherchez tout le temps des petits cailloux bleus, blancs, verts, jaunes, de toutes les couleurs ?

 

Et de me regarder fixement avec des yeux tout ronds de poule qui a couvé des petits canards, ayant tout l'air de me prendre pour une espèce de loufoque. Ainsi, pendant quelque temps, passai-je dans le pays pour toqué, si ce n'est pour complètement idiot.

 

Tant et si bien que, ne pouvant me tromper sur les dicts et pronostications des gens, pour ma plus complète tranquillité d'esprit comme pour sauver les apparences de ma petite fierté à moi, de mon petit amour propre de chercheur, je dus abandonner mes fouilles en semaine, pour ne plus les faire, ne riez pas ! que le dimanche.

 

Au moins ce jour-là je ne serais pas dérangé, pensai-je. Ah ! bien ouiche !

 

Voilà-t-il pas que les chasseurs, pas des chasseurs de gemmes, bien, sûr, quelle engeance que les chasseurs sachant, chasser !  pullulaient dans la propriété, le dimanche, à la recherche d'un introuvable gibier. Allons bon ! pas moyen d'être tranquille dans mes prospections, même le dimanche, un comble !

 

Qu'est-ce que Mossieu cherche donc tout le temps comme ça dans les vignes ? me demandaient, narquois, ces damnés chasseurs.

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 Ben, vous voyez, des cailloux, répondais-je pas plus fier que ça. Des cailloux ! ça se voit bien que Mossieu cherche des cailloux, mais c'est pourquoi en faire ?

 

Que répondre, oui, mettez‑vous à ma place, qu'auriez-vous répondu, Monsieur, Madame, si pareille question vous avait jamais été posée ?

 

 Eh ! bien, un peu hésitante, un peu flottante, ma réponse, car il fallait bien répondre quelque chose, n'importe quoi.  Bah ! si je ramasse des cailloux, c'est dans ... dans l'intérêt de la Science.

 

Oui, très, très intéressants certains de ces cailloux. Et mes gens, sceptiques, sinon de ricaner, du moins de sourire de coin d'un air entendu. Je les aurais broyés, pulvérisés, anéantis avec leurs airs entendus...

 

A noter un incident du même genre que ceux dont il vient d'être fait mention. Un beau dimanche, mais je ne sais trop pourquoi je vous conte ces billevesées qui n'ont pas l'ombre de sel... Votre illimitée indulgence, n'est-ce pas ?...

 

Un beau dimanche. donc, ma collecte de cailloux ayant été plus particulièrement abondante, je dus prendre, pour opérer le chargement desdits, une brouette, oui, parfaitement, Mesdames, une borrouette, comme disent les gens en, Picardie.

 

Et voici qu'en cours de route le malheur fit que je tombai sur une kyrielle de gens chic du voisinage. Immédiatement repéré, me sauver, impossible !  Eh ! là, M'sieu le cantonnier, s'esclaffe une délicieuse jeune femme, c'est-il pour les routes que vous travaillez maintenant ?

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Et tout le beau monde de rire à se tordre. Mon vieux Roton, vous n'êtes pas fou ? interroge un autre. J'étais furieux. Avec ma borrouette pleine de cailloux, ne pouvant pas expliquer que c'était dans l'intérêt de la Science, par un grand S, que je travaillais, il aurait pris, l'argument, ah ! bien ouiche ! Je balbutiai, je ne sais trop quoi, une ânerie quelconque, et m'en fus drapé dans ma dignité, mais, au fond, rempli de confusion.

 

Etre traité de marteau et d'idiot et sans doute aussi de vieille noix par mes propres ouvriers, et de fou par les gens du monde, évidemment, ce n'était pas très encourageant...

 

Après tout, c'est la foi qui sauve, n'est-ce pas ? La foi qui transporte les montagnes. J'avais la foi, j'avais le feu sacré, adoncques ! ….

 

Alors je pris mon courage à deux mains, comme on dit. Et, bravant l'opinion, je poursuivis, sans trop d'encombre, mes passionnantes recherches. Tant et si bien que je finis par ramasser non plus une brouette, mais toute une charretée de minéraux dont plusieurs paraissant tout à fait remarquables.

 

C'est ainsi que, par la suite, il me vint l'idée de montrer à M. Chaine, le savant conservateur du Muséum d'Histoire Naturelle de Bordeaux quelques-unes de mes trouvailles et, notamment, un quartz semblant d'une pureté admirable. M. Chaine en conclut que,  effectivement, ces minéraux de Rayne Vigneau étaient bien, comme je l'avais supposé, des jaspes, des calcédoines et des agates.

 

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Quant au quartz translucide, il n'hésita pas à le baptiser de saphir blanc, le qualifiant d'une eau parfaite. Et d'ajouter : « Donnez­ moi donc ces si intéressants échantillons pour mon Musée. Mais, auparavant, vous devriez bien les montrer à divers membres de l'Académie des Sciences et professeurs de géologie et de minéralogie que cela intéresserait fort; Et vous me permettrez de vous laisser votre admirable saphir blanc. Une fois taillé comme un diamant, il fera un bijou splendide.

 

Précieux, combien précieux encouragement ! Cette fois, je n'étais plus traité de marteau, d'idiot, de vieille noix ou de fou. Ah ! combien les dicts et pronostications de l'érudit M. Chaine me consolaient de tant de jours, de mois, d'années même de recherches patientes autant qu'obstinées !

 

            Lors, peu de temps après ma visite à M. Chaîne, je vis à Paris MM. de Launay, Alfred Lacroix, Wallerant, de ].'Académie des Sciences, M. Manguin, professeur de géologie à la Faculté des Sciences, M. Léon Bertrand, professeur à l'Ecole Normale Supérieure, e tutti quanti.

 

Ces illustres savants opinèrent tous en faveur du haut intérêt que présentaient les minéraux de Rayne Vigneau, ainsi soumis à leur critère. Puis, afin d'en pouvoir mieux scruter au microscope toutes les particularités, un essai de taille et de polissage de plusieurs de ces gemmes, du consentement de M. de Launay, directeur, fut fait à l'Ecole des Mines même.

 

Le résultat, escompté d'avance, faut-i1 le dire, fut merveilleux. Il apparaissait que ces agates, ces onyx, ces calcédoines, ces jaspes si variés possédaient, et comme couleurs et comme dessins, les qualités des plus beaux minéraux connus, et qu'on pouvait hardiment les mettre en parallèle avec ceux de Madagascar, du Brésil, de l'Australie et des Indes Anglaises, notamment.

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Peut-être, Mesdames, Messieurs, croyez-vous que j'invente pour les besoins de la cause.

 

De ce que je viens d'avancer en, voulez­vous la preuve ? Comme je visitais, avec M. de Launay, directeur, le Musée minéralogique de l'Ecole des Mines, l'un des plus beaux et des plus complets qui soient au monde, je fus frappé de la véritable splendeur d'un vitrail, je dis bien vitrail, composé d'agates taillées en lames très minces et, serties de plomb, tel un vitrail d'église.

 

Les couleurs, d'une très grande violence, en étaient admirables. Oh ! m'écriai-je, splendide ce vitrail d'agates ! Quelles couleurs ! Combien pâlissent à côté nos pauvres agates de Rayne Vigneau ! 

 

Détrompez-vous, me rétorque M. de Launay, les agates du vitrail sont teintes.

 

Pas possible ! 

 

Mais oui. Vous ne voyez donc pas que ces couleurs qui vous paraissent si éclatantes ne sont dues qu'à la teinture, une teinture spéciale, comme de juste.

 

Tiens ! elles sont teintes ?

 

Parfaitement !

 

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Ainsi, voyez, cette agate d'un bleu intense, eh ! bien, en la regardant par transparence, on s'aperçoit que la couleur d'origine était jaune orangé sale. Cette autre d'un rouge sang de pigeon d'un si vif éclat était verdâtre. Et les autres de même. La plupart du temps, les agates, celles de Madagascar entre autres, sont de couleurs fausses, sales. Trop peu avantageuses pour la vente, alors on les teint, on est obligé de leur communiquer des teintes artificielles.

 

Cas fréquent ?

 

On ne peut pas plus fréquent. C'est même la généralité des cas. Les anciens connaissaient déjà des procédés analogues, et Pline en fait mention. Allez ! ce n'est pas comme vos fines agates de Rayne Vigneau. Elles ont de si jolies couleurs naturelles qu'elles n'ont nul besoin d'être remontées, renforcées par des teintures appropriées.

 

Vraiment ! vous les trouvez si joliment colorées que cela, nos agates de Rayne Vigneau ?

 

Des petites merveilles de coloris et de dessin. J'ai, dit.

 

Non, mais, voir au Musée de l'Ecole des Mines à Paris des agates teintes pour qu'en soient renforcées leurs pâles couleurs, comme on pince les joues des petites filles pour leur donner un joli teint, si je m'y attendais, ah ! ça, par exemple !…

 

Nos minéraux de Rayne Vigneau, de chez nous, de France, comparés avantageusement aux plus beaux de Madagascar, des Indes Anglaises, du Brésil, ce n'était pas croyable ! Que voulez-vous ! le vrai n'est parfois pas vraisemblable...

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C'est alors que, encouragé par de hautes sommités scientifiques, comme m'en donnait, d'ailleurs, le conseil le directeur de l'Ecole des Mines, M. de Launay, par la suite je fis à Rayne Vigneau des fouilles méthodiques à même le sol à des profondeurs de 25 à 60 centimètres.

 

Est-il besoin d'ajouter que ces fouilles furent couronnées du plus grand succès, amenant chaque jour de sensationnelles découvertes d'agates, de quartz, combien d'autres encore, plus curieux, plus remarquables les uns que les autres.

 

Je me rappelle, notamment, de la trouvaille, formidable celle-ci, d'un quartz à zones en arcs de cercle d'améthyste violet noir très foncé, une pure merveille ! Et trouvé à Rayne Vigneau un tel chef d'œuvre de la nature, voilà bien le miracle !

 

C'est le 24 septembre 1924, un beau dimanche, dans la journée, sur le coup de 3 heures, que je fis cette merveilleuse découverte. Quand je trouvai cette pièce hors pair, je me souviens, j'en poussai un cri : Oh ! le cri du coeur, évidemment. Il faut savoir que, cette très belle pièce, jugée unique en son genre, m'est réclamée pour le Musée minéralogique de l'Ecole des Mines.

 

Très flatteur pour votre serviteur ! Je ne dis pas, non, je ne dis pas du tout que je ne léguerai pas mon quartz à zones d'améthyste violet noir foncé à l'Ecole des Mines, mais ... plus tard, si vous le voulez bien, beaucoup plus tard. Nous en reparlerons.,.

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Mes prospections, comme on vient de le voir, continuaient donc, donnant les plus beaux résultats, quand M. Stuer, expert en pierres précieuses, fournisseur des Etats, M. Armand Viré, professeur au Muséum de Paris, MM. Manville et Labrouste, chargés de Conférences à la Faculté des Sciences de Bordeaux, M. Repelin, professeur de géologie à la Faculté des, Sciences de Marseille, le même qui, il y a une trentaine d'années, avait déjà dressé la carte géologique de notre région de Bommes Sauternes, vinrent étudier sur place le gisement de Rayne Vigneau.

 

Des coupes dans les terrains avaient été faites à des étapes différentes. Il fut reconnu que ces terrains, affleurement de tertiaire, dit la carte géologique, étaient d'une richesse inouïe en minéraux extrêmement variés, depuis le quartz à zones régulières jusqu'aux agates cristallines les plus finement nuancées, en passant par les séries les plus diverses de calcédoines, de jaspes, etc.

 

En somme, tout cela était très concluant. Aussi plus que jamais et avec quelle ardente passion, quelle véritable frénésie, c'est le mot, je me mis à poursuivre mes recherches, vous pouvez le deviner. J'étais devenu, dans toute l'acception du terme, un terrible, qu'ils diraient à Tarascon, un terrible chasseur de gemmes, et pour ne chasser uniquement que sur nos terres, encore !

 

Dans le cas présent, il faut noter ceci, c'est qu'il ne s'agit nullement d'un gîte, d'un filon, si l'on préfère, qui eût pu être exploité, tel un, filon cuprifère comme à Penaroya en Espagne, une carrière d'onyx, comme au Maroc. Si se rencontrent dans le terroir de Rayne Vigneau tant et tant de beaux minéraux, des agates en si grande quantité, notamment, ce n'est, à proprement parler, qu'en ordre dispersé, je dis bien : qu'en ordre dispersé qu'on les trouve, une agate par ci, une ca1cédoine par là, mais jamais, et voilà le paradoxe ! jamais, comme qui dirait, rassemblés en groupes, formant comme des magmas, des masses, des tas, où il n'y aurait plus, comme on dit, qu'à se baisser pour les ramasser. Je dois, au contraire, les chercher la loupe à la main. Et il y faut, j'ose l'avouer, une de ces patiences d'ange, tenez, Mesdames, Messieurs, comme celle que vous avez pour m'écouter ! ...

 

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Car ce n'est, parfois, qu'au bout d'une heure ou deux qu'une agate, à demi enfouie dans la glèbe, vient à montrer ... le bout de son nez, pardon de cette expression familière qui dit pourtant exactement la chose. Donc, toute une journée, parfois, pour ne trouver que quelques rares échantillons minéralogiques. Mais aussi que d'intenses joies à la suite de la découverte d'une belle. pièce ! " La joie de connaître ", a dit excellemment le grand minéralogiste Pierre Termier. La joie de chercher, la joie de découvrir, dirons-nous après le Maître...

 

Un, soupçon de statistique, en passant. Mes collections minéralogiques qui, au début, vers les années 1925/26, comportaient environ 2.000 échantillons, ce dont je n'étais pas peu fier, je l'avoue, en comportent aujourd'hui plus de 20.000, dont 10.000 agates .(groupe des calcédoines onyx), plus 2.000 minéraux taillés et polis et 8.000 minéraux divers, en tout une vingtaine de mille d'échantillons, rien que de minéraux trouvés dans le seul terrain de Rayne Vigneau. Vous ne trouvez pas, Mesdames, Messieurs, ces chiffres formidables, pour employer le qualificatif en usage ?

 

Aujourd'hui, tout est formidable, qu'est-ce qui n'est pas formi­dable, à commencer par cette drôle de guerre qui n'est pas telle­ment drôle que formidable ? ... Alors, pas surprenant que mon musée minéralogique, avec ses 20.000 pièces dont 10.000 agates, le soit aussi, formidable !

 

En, vérité, 10.000 agates et plus et d'une variété inouïe, pas une seule de pareille, peut-on affirmer, toutes, toutes différentes et trouvées toutes, sans exception, ne l'oublions pas, sur une vingtaine d'hectares seulement dans la propriété de Rayne Vigne, et pour la plupart d'une beauté, d'une finesse de couleurs et de dessin absolument remarquables, n'est-ce pas spécifiquement unique ?

 

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Qu'on me cite une collection particulière, une Galerie de Minéralogie, comme celle du Muséum, un musée minéralogique comme celui de l'Ecole des Mines, par exemple, comportant 10.000 agates ! Cela n'existe pas, cela n'existe nulle part au monde. Et veuillez bien noter que, continuant mes recherches comme je continue à le faire, dans cinq ans, dans dix ans, j'ai encore un si bel avenir devant moi, n'est-ce pas ? à quels chiffres fabuleux, astronomiques n'atteindrai-je pas, pour peu que notre terroir de Rayne Vigneau s'y prête avec quelque complaisance ? Quo non ascendam ?  pourrai-je dire à l'exemple du Grand Roi.

 

10.000 agates, vraiment, on croit rêver ! ... Quelques détails, maintenant, sur l'extraordinaire variété de nos agates de Rayne Vigneau. Il faut savoir que l'agate est une variété de calcédoine présentant des nuances diverses, cependant que les différentes couleurs qui la composent sont réparties suivant des zones plus ou moins parallèles, ce qui est plus particulier à l'onyx, variété d'agate, dit le dictionnaire.

 

Lors, sous ce nom d'agate, l'on range généralement toute sorte de variétés de calcédoine, d'onyx, de cacholong, sorte de minéraux composés de quartz cristallin et de quartz amorphe. Mais le cacholong est blanc laiteux, reposant parfois sur une couche de calcédoine teintée, les calcédoines variées, cornaline, sardoine, chrysoprase offrent une teinte uniforme, alors que les agates onyx sont de nuances et de dessins extrêmement variés.

 

Et quelles variétés dans nos agates de Rayne Vigneau ! Il en est une, tout de suite, sur laquelle je veux, Mesdames, Messieurs, appeler votre très particulière attention : c'est celle des agates en paysages, variété rare des agates arborisées, renfermant, comme. ces dernières, dans leur pâte des dessins naturels qui les font prendre pour de véritables peintures, faites q'elles sont de matières diverses dans quoi semblent être pétrifiés des végétaux qui forment des figurations de plantes, de forêts, de fleurs, figures produites vraisemblablement par le précipité inégal de matières colorantes, dans le cas qui nous occupe, très riches de tons.

 

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Dans mon vaste musée minéralogique de Rayne Vigneau, je possède une agate arborisée jaspée (jaspée parce que mêlée à du jaspe) ayant tout l'aspect d'une peinture, et d'une invraisemblable beauté de couleur et de dessin, la plus belle agate jaspée in the World, suivant la flatteuse opinion de M. Lacroix, le grand miné­ralogiste. Cette très belle agate représente un paysage qui aurait pu être signé Corot.

 

En toute vérité, un pur chef d'oeuvre de la nature, ainsi que vous pouvez en juger...

 

C'est l'automne avec ses mélancolies d'arrière saison. Le soleil est déjà couché. Une brume légère envahit les choses. Le premier plan est formé par un terrain de la plus harmonieuse polychromie, où les rouges éteints, les ocres apâlis, les bruns noirâtres se tonalisent, s'harmonisent le plus heureusement du monde.

 

La rivière proche offre des teintes d'un vert foncé très assourdi. Le fond du tableau est occupé par des bouquets d'arbres, cependant que, sur la gauche, coupant un coin du ciel, une branche laisse retomber sa lourde feuillée. Une lointaine fumée annonce un feu d'herbes, là-bas, dans la campagne...

 

Mesdames, Messieurs, que dites‑vous de ce paysage ? Corot, que je citais tout à l'heure, a-t-il jamais perpétré pareil chef d'oeuvre ? En vérité, un chef d'oeuvre que ce tableau, un pur chef d'oeuvre de la nature. Ainsi le qualifia l'autre jour encore notre ami Sautier, le célèbre photographe, celui que tout Bordeaux nomme : le Rembrandt de la plaque sensible. C'est qu'il s'y connaît en chefs d'oeuvre, lui aussi, avec les admirables portraits en clair obscur à la Rembrandt qu'il perpètre chaque jour que Dieu fait !

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Le maître n'eut-il pas l'idée de faire passer mon agate tableau à la lumière infra rouge ?

Aussitôt, le paysage sembla comme illuminé par mille feux de Bengale. Ce ne fut qu'un, cri d'admiration.

 

J'entends encore cette femme si prodigieusement artiste qu'est Mme Sautier proclamer : Une féerie, c'est une véritable féerie !  Et, par la suite, le maître Sautier de faire un agrandissement au pastel de l'agate tableau. Un autre chef d'oeuvre, simplement !

 

Au sujet de cette agate tableau fameuse. pourquoi ne pas mentionner le témoignage si flatteur de M. le Colonel Vésignié, le distingué Président de la Société française de Minéralogie à Paris ?

 

C'est avec le plus vif intérêt que le célèbre minéralogiste, parmi plusieurs minéraux de Rayne Vigneau soumis à son critère, examina mon agate paysage. Aussi bien, déclara-t-il, ne pas posséder en ses collections pourtant très complètes semblable pièce, qualifiée par lui de rare, d'une beauté sans exemple, unique en son genre, il faut bien le reconnaître.

 

Ne fermons pas le chapitre des agates en paysages, sans dire un mot de cette autre, si évocatrice d'un volcan en activité. Le Vésuve à moins d'un mètre, quoi ! Rien de paradoxal dans la vérité que je viens d'énoncer. Examinez mon agate volcan par transparence, et dites si elle ne donne pas l'impression très nette du classique Vésuve coiffé de son panache de fumée, tel qu'on le voit de Naples ou, plus près, de Torre dell' Annunziata.

 

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Un détail savoureux : les tourbillons de fumée qui s'échappent tumultueusement du cratère sont comme chassés violemment par un fort vent d'Est, le vent, précisément, qui domine dans la Napo­litaine. Des scories, des laves se voient sur les peintes. Ne semble­t-il pas aussi qu'on entende ronfler le volcan, tant est formidable la masse de fumée qu'exhale son volumineux cratère ? Pour ceux qui, comme votre serviteur, ont fait l'ascension du Vésuve, l'illu­sion est complète.

 

Alors vous pensez si je suis heureux,  j'en bénis les dieux, de posséder une de ces trouvailles ! cette agate en paysage qui me rend si fidèlement l'impression du Vésuve en éruption, tel que je le contemplai au sommet même du cratère, le 4 septembre 1899, soyons exact, dame ! il y a longtemps de cela !

 

Une autre agate en paysage du même genre nous montre, cette fois, la montagne volcanique en, feu, au plus fort paroxysme de l'éruption. Par l'ouverture du cratère sortent des tourbillons de flammes accompagnés de nuées ardentes, sont vomies des matières embrasées, des laves ignées, des scories en fusion, des pierres incandescentes. Des coulées, des ruisseaux de feu courent, dévalent le long des pentes.

 

Ne croirait-on pas assister, muet d'épouvante, à la formidable éruption de la montagne Pelée à la Martinique ? Mon agate volcan semble comme illustrer la description qu'a faite de Lapparent de l'épouvantable cataclysme de 1902.

 

Je m'excuse, Mesdames, Messieurs, d'avoir quelque peu retenu votre attention sur certaines agates en paysages, orgueil de mes collections minéralogiques. Quelles variétés d'agates ne trouve­-t-on pas encore dans notre gisement de Rayne Vigneau ! Jugez plutôt : agates zonées, rubanées, brodées, mamelonnées, agates cristallines, agates émaillées, recouvertes en certaines parties d'une légère couche d'émail, je n'invente pas; agates en géodes tapissées de cristaux.

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A propos d'agates en géodes, que je vous conte l'histoire qui m'est arrivée l'été dernier. Un Américain, très chic, ma foi, sortant d'une Packard de 300 et quelques billets, s'amène pour voir mes collections. La porte de mon studio à peine franchie, mon Yankee de me lancer à brûle pourpoint :

 

Avé vo des géodes ?

Je sais, vo avé des beautiful mineral. Yes.

Et des géodes, vo avé ?

Mais oui, des calcédoines, des agates avec des géodes.

Aoh ! vo montré, !

Et j'étale des calcédoines, des agates avec des géodes tapissées de cristaux, tout endiamantées du plus bel effet.

Aoh ! beautiful ! Je avé vu. All right !

Après le shake hand de rigueur, salue et sort.

La visite n'avait pas duré dix minutes. Mon Yankee avait vu ce qu'il voulait voir, des géodes. C'était tout. Toujours pressés ces business­men ! Times, is money ....  

Revenons à mes moutons, à mes agates plutôt. Que dire encore de ces curieuses agates en oeil ou oeillées, ainsi nommées parce que constituées par une minuscule tache noire au milieu d'an­neaux diversement colorés, parfois en couches ondulées ou même orbicullaires et concentriques comme la prunelle de l'oeil, d'où leur nom d'agates oeillées. Je possède dans mes collections de Rayne Vigneau un grand nombre de ces agates en oeil ou oeillées tout à fait remarquables. Toutefois, si belles, si curieuses soient-elles, elles ne sauraient se comparer, je l'avoue très franchement.

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A une agate oeillée en provenance des îles Kerguélen, dans l'Océan Indien, un pur chef d'oeuvre, don princier d'un jeune et brillant Ingénieur Géologue, M. Edgar Aubert de la Ruë, grand prospecteur des Kerguélen.

 

Signalons encore, dans notre gisement de Rayne Vigneau, des agates mousseuses renfermant des inclusions de chlorite verdâtre et laissant apercevoir en elles une sorte de végétation ressemblant à de la mousse, des agates en cheveux de Vénus, en algues, un peu du même genre, des agates en ruines, des agates en fortifications dont les plans semblent avoir été donnés par Vauban en personne, enfin des agates nicolo (de l'ialien onicolo, petit onyx) qui ont une couche blanche, entre deux couches brunes ou rouges, agates propres tout particulièrement à faire des camées, etc., etc.

 

Différemment, de ces milliers et milliers d'agates de Rayne Vigneau, qu'elles applications, se demandera-ton, pourrait-on bien en faire ?

 

Mais des applications de toutes sortes, Ainsi, d'après mes indications personnelles et sur mes dessins propres, j'ai fait tailler et polir à la Taillerie de Royat (Puy-de-Dôme) un très grand nombre de ces agates : broches, bagues, pendentifs, boucles d'oreilles, barrettes, épingles de cravates, épingles de nourrice, boutons de manchettes, plaques de corsage et de ceintures, coupes à bijoux, drageoirs, cendriers, billes, cachets, coupe-papier, presse-­papier, commutateurs électriques, etc. Tout un magasin, quoi !

 

Le directeur de Madiélios, le grand magasin du boulevard de la Madeleine à Paris, lors d'une visite à Rayne Vigneau, voyant, dans mes vitrines toute une collection de cachets, de coupe-papier, de presse-papier, de déclarer ex abrupto : J'achète tout, je prends tout pour Madélios. Quel prix ?

 

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Permettez, rétorquai-je suffo­qué, ce n'est pas à vendre. Et le directeur de Madélios, avec autorité : si, si, j'achète. Payement comptant. J'emporte ! Mais c'est qu'il fallut me gendarmer pour ne pas me laisser déposséder de tous ces objets.

 

Bien qu'ayant une valeur très relative, ils sont sans prix à mes yeux, tenez, comme l'est cet intéressant collier, parure d'une belle Phénicienne d'il y a 8.000 ans trouvé dans une tombe phénicienne au Soudan.

 

Ce collier, voilà bien le curieux de l'affaire ! se trouve composé de gemmes identiques aux nôtres : agates, cornalines, sardoines, jadéites, calcédoines, cacholongs, jaspes. Aussi bien composer un collier semblable avec nos gemmes de Rayne Vigneàu ne serait nullement une gageure. Mais entre les deux 8.000 ans d'intervalle seulement. Une paille !

 

Je ne voudrais pas clore ce chapitre concernant le très important gisement d'agates de Rayne Vigneau, sans évoquer celui de Montredon Labessonnié (Tarn), découvert en 1928 par M. Mengaud, professeur de géologie à la Faculté des Sciences de Toulouse. En fait mention, précisément, cette lettre de M. Meugaud du 25 octobre 1928.

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Monsieur,

 

Voici que je viens de retrouver un nouveau gisement de calcédoines et d'agates, cette fois dans le Massif ancien compris entre le Castrais et l'Albigeois, massif que l'on peut comprendre dans le « Massif ancien du Rouergue ».

 

Il se trouve au nord du bourg de Montredon Labessonnié (canton situé au nord-nord-est de Castres), dans le bois de la Planque et sur les pentes de Lagriffoul (cote 584) où affleure un filon de quartz calcédonieux.

 

Les agates se trouvent en, fragments de toute taille, aux angles à peine arrondis dans une formation superficielle continentale, connue sous le nom d'« argiles rouges à gravîers ». Cet étage est à la base des couches tertiaires du Castrais et de l'Albigeois; peu épaisse ici, elle atteint parfois 810 mètres en puissance.

 

Pour moi, ces gros fragments d'agate viennent de la destruction du filon calcédonieux de la cote 584. On en em­pierre les routes et les beaux échantillons sont tellement abon­dants dans le bois de la Planque qu'on en chargerait rapidement un camion. Notez que les ravins profonds voisins de Lagriffoul sont sillonnés de ruisseaux qui se rendent au Dadou et par lui au Tarn.

 

Vous verrez par mon échantillon que ces agates sont bien les soeurs des vôtres.

Veuillez agréer ...

 

Un gisement d'agates, « d'agates qui sont bien les soeurs des nôtres », opine, péremptoire, le savant M. Mengaud, où donc que j'y coure ? Rien d'autre à faire que d'y courir, n'est-ce pas ?

 

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Le coeur bondissant sous la mamelle gauche, j'y courus, à Montredon Labessonnié, que dis-je, j'y volai, des ailerons aux talons comme Mercure, des ailes aux omoplates comme l'Amour. Comme l'Amour, voyez-vous ça ! Mais oui, Mesdames, comme l'Amour. Parfaitement ! J'y volai, donc, à ce sanctuaire, à ce Temple de l'agate de Montredon Labessonnié, une première fois, en septembre 1930, en compagnie du Comte et de la Comtesse J. d'Autras, mes beau-frère, et belle-soeur. Quelles admirables trouvailles d'agates ! Ce fut un enthousiasme débordant ! Une seconde fois, en septembre 1932, avec mon ami Pierre Charlot, de Caudrot.

 

Quelles admirables trouvailles encore ! Ce fut la grande passion ! Enfin, une troisième fois en septembre 1938 (septembre le mois des agates, comme mai est le mois des roses), en compagnie de très sapiente dame Sautier, du bon confrère Clauzure et de sa charmante soeur. En plus de l'enthousiasme débordant, de la grande passion, ce fut du délire. N'est-ce pas, chère Madame Sautier, que ce fut du délire ?  Ah ! vous voyez bien.

 

Qu'on se représente, dans le plus délicieux cadre de verdure qui se puisse imaginer, les pentes de la crête de Lagriffoul, cote 584, dont parle M. Mengaud dans sa lettre.

 

Outre que ces pentes sont sillonnées d'anciens torrents glaciaires, à sec, bien entendu, elles sont toutes parsemées, littéralement truffées, c'est le mot exact, d'agates de toute taille, de toute grosseur, de tout calibre, allant du poids plume au poids éléphant, en passant par le poids coq et le poids cul-de-plomb.

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Quel étonnement, quelle stupéfaction, quel émerveillement aussi de rencontrer dans un désordre inexprimable, au milieu de végétations folles, de rances, oh ! ces ronciers agressifs ! de chênes rabougris, entremêlées de blocs erratiques de porphyre, de roches quartzeuses, de nodules de fer oligiste, de laves scoriacées volcaniques, toutes ces si nombreuses et si diverses agates !

 

Et sur une surface d'à peine un hectare seulement ! Il n'y avait qu'à se baisser pour les ramasser. Presque trop facile, vraiment !

 

Disons tout de suite que ces agates de grosseur et de dimensions si diverses, plusieurs pesant au bas mot une centaine de kilos et même certaines pas très loin de 4 à 500 kilos, sinon même davantage encore, des blocs énormes de près d'un mètre de hauteur sur 0,40 à 0,50 centimètres de largeur, que ces agates, si diverses de grosseur, soient presque toutes de tons bleuâtres uniformes avec entremêlées des couches rougeâtres, ce qui leur donne à toutes un air de famille très prononcé, on a vraiment l'impression d'agates comme fabriquées en série.

 

Qui en a vu une, en a vu 100, en a vu 1.000. Des collections minéralogiques composées uniquement d'agates de Montredon Labessonnié seraient, de la plus désespérante monotonie, donnant toute sa force au dicton bien connu : L'ennui naquit un jour de l'uniformité. Fabrication en série, c'est le mot, si l'on peut dire, qui s'applique exactement aux agates de Montredon Labessonnié, nées, ne l'oublions pas, d'un filon calcédonieux détruit depuis des millénaires et des millénaires.

 

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A la grande différence des agates de Rayne Vigneau qui toutes accusent entre elles des différenciations de couleurs et de dessin extrêmement sensibles. Et de même aussi nos agates sont-elles de poids et de volume très inférieurs à celles du Bois de la Planque, leur maximum étant à peine d'un kilo.

 

Malgré ces justes observations qui ne sont nullement des critiques, tout de même très, très intéressantes ces agates de Montredon Labessonnié ! Ah ! Messeigneurs, quelle chasse aux agates pendant tout cet, après-midi du 5 septembre 1938 ! Au tableau, une centaine de pièces.

 

 Cette chère Madame Sautier, muée en Diane chasseresse, comptait à son actif plusieurs pièces de toute beauté, l'une d'elles, notamment, composée de volumineux cristaux de quartz, teinte vieux rose, montée sur un socle d'agate, un pur chef d'oeuvre !

 

On peut l'admirer ici, dans le petit studio d'à côté, avec d'autres très belles agates, sans compter un grand nombre d'admirables silex de l'époque paléolithique, provenant des fouilles personnelles de Madame Sautier à Domme en Périgord.

 

Le confrère Clauzure, lui, avait trouvé entre autres, une énorme agate figurant le célèbre  Petit Chapeau. Une merveille que ce Petit Chapeau en agate du Petit Caporal ! Quant à votre serviteur, grand chasseur de gemmes devant l'Eternel, comme chacun sait, il avait déniché, o fortunatum nimium ! Une grosse agate de plus de dix kilos dont les zones d'un brun rouge foncé alternaient avec des zones bleuâtres pâles, mais tellement bien conservée, tellement fraîche de couleurs, cette agate, à croire qu'elle sortait, fin prête, de ... de l'usine.

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Peut-être croyez-vous, Mesdames, Messieurs, que, avec une bonne centaine d'agates au tableau, nous avions, les uns et les autres notre compte. Que non pas ! Aussi bien, la chasse aux agates de recommencer le lendemain sur nouveaux frais. Comme la veille, succès complet. 

Des agates de tout acabit, mais la plupart d'un volume, d'un poids ! Tant et si bien que l'une de ces énormes agates extraite d'un mur, un mur bâti de blocs cyclopéens d'agate, si on, pense !  dut être au préalable insérée dans un grand sac à pommes de terre pour pouvoir être transportée jusqu'à l'auto. Et avec quelle difficulté ! tant pesait un poids formidable, 60, 70 kilos peut-être, cette formidable agate.

Oui, mais ... très joli ! A nous voir porter à quatre ce sac volumineux, je gage qu'un brave gendarme n'eût pas hésité, l'animal ! à nous prendre pour de vulgaires assassins transportant un cadavre. Pourquoi pas ? Les apparences y étaient, sûrement. Aussi, disons-le, ne fûmes-nous un peu apaisés, un peu rassérénés, que quand le ….. cadavre eut intégré l'auto...

Tout de même, quel gisement énorme, colossal que celui de Montredon Labessonnié ! Et maintenant, qu'on ne vienne plus nous parler des soi-disant célèbres gisements d'agates d'Oberstein dans le Palatinat, de Boruth au nord de Bombay dans les Indes, de Chine, de l'Uruguay, du Queensland, de Madagascar et des îles Kerguélen, gisements pour la plupart à peu près complètement épuisés.

 

Il y a bien, dans l'Amérique du Nord, la forêt pétrifiée de l'Arizona, où se rencontrent des bois pétrifiés transformés en pierres précieuses, agates, onyx, calcédoines. Mais ceci, comme dirait Rudyard Kipling, est une autre histoire. Chez nous, en France, nous avons aussi bien et, même beaucoup mieux, à la fabrique en série de Montredon Labessonnié, notamment, et surtout dans le terroir de Rayne Vigneau, d'où ont été extraites ces 10.000 agates dont il a été parlé tout à l'heure. Il faut être de bonne foi, vraiment. Où trouver mieux ?

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Tant qu'à parler agate, rappelons brièvement comment, dans les temps fabuleux, fut découverte cette pierre précieuse.

 

Légende de l'Agate

 

La jeune Perséphone, la charmante fille de Zeus et de Déméter, vivait quelque part en Trinacrie au milieu de la nature la plus agreste qui fut. Avec les Nymphes bocagères, ses habituelles compagnes, elle ne faisait que rire, chanter, danser du matin au soir. Très chaste très pure, elle craignait les dieux, mais bien davantage encore les méchants Lestrygons et les affreux Cyclopes, habitants de l'île, ce qui ne l'empêchait nullement, d'ailleurs, de toujours voir la vie en rose.

 

Un jour, cueillant des fleurs dans la riante vallée d'Enna, elle aperçut, sur les bords mêmes du fleuve Achates aux belles eaux murmurantes, des cailloux polis, lustrés comme marbres et d'une délicatesse ravissante de couleurs et de dessins variés.  Oioi akatai ! Oioi ! akatai ! » s'écria enthousiasmée la jeune Perséphone, empruntant du même coup au fleuve Achates son propre nom pour l'appliquer aux cailloux si beaux, si beaux qu'elle venait de découvrir. « Oioi ! akatai ! 0ioi! akatai ! » répétait après elle la nymphe Echo. Et la charmante fille de Déméter de se parer de ces belles agates, de s'en faire des colliers, de jouer avec comme font les joueuses d'osselets. Délicieuse occupation.

 

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Oui, mais ... Hadès veillait. Un jour que la jeune Perséphone se mirait dans Je fleuve avec, au cou, un collier de ces agates qui lui étaient si chères, le dieu, ivre de désir, fou de passion, s'élança brusquement et l'enleva peux la conduire aux Enfers. Quel hourvari ! Cela, fit bien du vilain auprès des Nymphes bocagères. Effrayées, elles s'enfuirent bien vite se cacher dans les bosquets voisins, tandis que Lestrygons et Cyclopes, attirés par le bruit, menaient de leur côté grand tapage.

 

A la fin tout s'apaisa. La jeune Perséphone voulut bien, consentir à suivre le roi des Enfers, mais à la condition de pouvoir emporter au. royaume des Ombres les précieuses agates qu'avec tant de juvénile passion elle avait recueillies sur les rives du fleuve Achates, autorisation que, galamment, lui accorda le royal ravisseur.

 

Par la suite, la Renommée aux cent bouches s'empressa de publier par le vaste monde que les agates étaient gemmes divines, entre toutes précieuses, pour avoir été aimées de Perséphone. déesse des Enfers, et lui avoir servi de parure…. Ainsi devait se poursuivre à travers les âges la pérennité de ces tant jolies pierres, les agates, orgueil aujourd'hui du Musée minéralogique de Rayne Vigneau.

 

Après avoir été chercher des agates, « Oioi ! akatai ! Oioi ! akatai !» dans la vallée sicillienne d'Enna en l'agréable compagnie de la jeune et charmante Perséphone, il nous faut quitter le fleuve Achates aux belles eaux murmurantes, pour revenir, dura lex o quantum ! au gisement de Rayne Vigneau.

 

S'il est d'une prodigieuse richesse en, agates, notamment, il abonde, également, en très beaux minéraux quartzeux. Quartz : silice anhydre pure. Cette qualité est le cristal de roche proprement, dit, incolore, transparent, tels les cailloux du Rhin, les cailloux du Médoc, a fortiori les cailloux de Rayne Vigneau.

   

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Indice de réfraction 1,55, densité 2,65, dureté 7. Extrêmement variable la couleur de nos quartz de Rayne Vigneau, ce qui constitue, à vrai dire, autant de pierres précieuses différentes. Blanc et translucide, c'est le quartz laiteux; coloré en violet par l'oxyde de mauganèse, c'est l'améthyste, coloré en rouge vif ou, en rose par l'infiltration, dans sa substance, du fer et du manganèse, le quartz hyalin s'appelle rubis de Bohême : c'est l'escarboucle des Anciens. Coloré en jaune, il est dénommé topaze de Bohême. Jaunâtre, c'est la goutte d'eau du Brésil; jaune vin blanc, vin de Sauternes, alors...? 

 

Mais oui, vin de Sauternes c'est la chrysolithe de Saxe. Pouah ! la chrysolithe de Saxe, quelle horreur ! Nous ne sommes pas en Hitlérie, nous sommes en France. La chrysolithe de Saxe, c'est la chrysolithe de Sauternes.  Chrysolithe de Sauternes....  Adopté ! Jaune safran, la topaze indienne; jaune rose, rubis du Brésil; jaune d'or, topaze pure; enfumé, brun roussâtre, diamant d'Alençon; rouge violet, l'Hyacinthe de Compostelle; rose, le quartzite rose.

 

Oh ! la jolie bague que j'ai en quartzite rose ! Violet rougeâtre, zinzolin; bleu, le saphir d'eau; quartz veiné, le quartz agatoïde, de la famille des agates; vert olive, péridot; quartz avec inclusion de baguettes de rutile, Flèches d'Amour; quartz. allophane, opale de Hongrie; quartz à rayures polychromes zigzagantes, pierre arc-en-ciel, etc.

 

Ajoutons que les cristaux de quartz susceptibles d'être taillés et polis sont dénommés  "Diamants " ou diamants du Dauphiné. Diamants du Dauphiné, parce qu'on en trouve là-bas, dans l'Isère, sans doute. Mais alors, puisqu'on trouve les mêmes cristaux de quartz à Rayne Vigneau, pourquoi, je vous le demande, pourquoi ne pas les baptiser "diamant" ? 

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Lapin, je te baptise carpe, déclare avec autorité Gorenflot. Quartz, je te baptise diamant, diamant de Rayne Vigneau, puis-je déclarer à la suite de l'ineffable Gorenflot.

 

 Exemple : cette bague à chaton de quartz qui brille comme, un diamant, vous ne la trouvez  pas belle, cette bague qu'un lapidaire (M. Voitel, 13, Galerie Vivienne à Paris, pour ne pas le nommer) estimait dans les 1.800 à 2.000 ?

 

Eh ! bien, pourquoi ne pas dire d'elle que c'est une bague en diamant de Rayne Vigneau ? .... Adopté, encore !

 

Je possède une bonne centaine de ces diamants que des lapidaires m'ont déclaré, je n'invente pas ! être, beaucoup plus limpides, être de bien plus belle eau que ceux, pourtant réputés, du Brésil. J'en ai fait tailler plusieurs en bagues, en broches, en épingles dites de nourrice, en épingles de cravate, en pendentifs, en « larmes de Christ ». J'ai la franchise de le dire, c'est très, très beau.

 

Dire que la plupart de ces variétés de quartz se rencontrent plus ou moins abondamment dans le terroir de Rayne Vigneau, voilà qui tient du miracle. De quoi monter toute une boutique de joaillerie. Fontan et Servan n'ont qu'à se bien tenir, ah ! mais !..

 

Sans compter que, dans cet extraordinaire gisement, l'on y trouve encore nombre de minéraux d'une variété inouïe, tels que des oolithes, plusieurs sont admirables, des lydites, des calcites, des aragonites, des obsidiennes ou verres des volcans, des jades et des jadéites d'un beau gris vert foncé, et enfin des jaspes, des jaspes de toutes les couleurs, tous susceptibles de prendre un très beau poli et dont plusieurs spécimens fort l'orgueil de mon musée. Certains de ces jaspes sont presque blancs et rappellent l'ivoire; d'autres sont noirs, rouges, bruns, verts, jaunes. 

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Plusieurs offrent l'aspect de marbres polychromes très riches, de couleurs.

Ce sont marbres siliceux, qu'il ne faut pas confondre avec les marbres calcaires de couleurs infiniment moins brillantes, de densité beaucoup moins élevée, également.

 

J'ai fait tailler et polir plusieurs de ces jaspes et marbres siliceux en coupe papier, en cachets, en presse papier, etc. Pièces de tout premier ordre que, notamment, admira fort, ainsi que bien d'autres de mes minéraux, une petite princesse annamite, venue visiter mes collections il y a tantôt deux ans, et déclarant dans un bel enthousiasme n'avoir pas vu plus beau, ce sont ses propres expressions, n'avoir pas vu plus beau dans les vitrines, pourtant très riches, du palais impérial de Hué.

 

Tout de même, que ne renferme pas ce formidable gisement de Rayne Vigneau, jusqu'à, et je termine cette trop longue énumération qui finirait par devenir fastidieuse ... eh ! eh ! si ce n'est pas déjà fait !  jusqu'à nombre de roches acides à l'état de cailloux roulés : granites divers, amphibolites, trachytes, psam­mites, phtanites, grès houillers, basaltes, et encore des poudingues, des limonites, des hématites, des calcaires à astéries roulés, des pyrites dg fer, oligiste, ilménite, et enfin, un comble ! quantité de laves ferrugineuses volcaniques, laves lithoïdes, laves scoriacées, laves vitreuses, laves amygdaloïdes, laves cordées, toutes laves et scories de densité très différente entre elles, mais d'origine nettement volcanique, voyez Plateau Central, voyez volcans d'Auvergne, où se rencontrent des laves et des scories,  décrites par A. de Lapparent dans son Abrégé de Géologie,  absolument identiques aux nôtres, rapprochement combien troublant et qui mériterait à lui seul toute une étude.

 

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A bien y réfléchir, le plus singulier de tout n'est-il pas de ne guère rencontrer tous ces minéraux d'une si extraordinaire variété que dans notre seule propriété de Rayne Vigneau. Ou ailleurs, dans le Médoc, à Montalivet, si rarement, bien peu de chose en comparaison de notre colossal gisement. Il y a là un problème de minéralogie comme de géologie qui n'est pas près d'être solutionné, j'en réponds. La petite scène dialoguée qui va suivre, Mesdames, Messieurs, va vous en convaincre.

 

Un beau jour s'amène, à Rayne Vigneau, mon excellent ami, le Marquis de Lur Saluces. Après quelques menues palabres :

 

Euh ! mon cher, me dit-il, il ne faut pas être jaloux. Mais là, vrai, ces collections de pierres précieuses, ces trésors de rajah que vous avez extraits de vos vignes et qui font l'admiration universelle, parlons-en ! Je voudrais bien en avoir autant, ne fut-ce que pour exposer quantité de ces gemmes dans mon musée du Vin en création au château d'Yquem, ce qui ne ferait pas mal dans des vitrines ad hoc. Croyez-vous que je puisse trouver de beaux minéraux, comme les vôtres, dans mon vignoble d'Yquem ?

 

Mais oui, mon cher, pourquoi pas ? Il n'y a pas de raison pour que ...

 

C'est ce que je me disais : il n'y a pas de raison pour que je n'en trouvé pas moi-même. Très vrai ! Mais alors pourquoi ne pas aller à Yquem nous rendre compte sur place ?

Mon cher, j'allais vous le demander.

Pas d'indiscrétion de ma part ?

Aucune. Eh ! bien, allons-y ! Ail right.

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Lors, munis de loupes, de microscopes, de sacs, Saluces et moi de filer dare dare en direction d'Yquem. Examen, superficiel du terrain à prospecter.

 

Bizarre, mon cher, s'écrit Saluces, j'ai beau écarquiller les yeux, je ne vois pas de cailloux !

Mon cher, j'ai beau écarquiller les miens, je n'en vois pas davantage, oui, bizarre !

Eh ! bien,, allons ailleurs.

Et nous voilà repartis pour ailleurs. Pour ailleurs, c'est vite dit. Des pièces et des pièces de vignes, dame ! Yquem compte quelque 90 hectares !  Mais de cailloux point ou si peu.

 

Enfin, dans une pièce un peu moins dépourvue de cailloux, une loupe dans une main, un sac dans l'autre, l'oeil aux aguets, les espoirs les plus fols habitant nos coeurs magnanimes, nous voilà prospectant à même ce sol fameux, célèbre, qui, à défaut de pierres précieuses, produit le premier vin blanc du monde entier.

 

Au bout d'une demi-heure, Saluces, la mine déconfite, le nez allongé, les bras ballants, de lancer ces mots dénués d'enthousiasme :

Mon vieux Roton, avez-vous trouvé quelque chose ? Moi, rien de rien !

Pas plus que vous, mon cher ! Rien dans les mains, rien dans les poches !  

Alors, rien dans mon pauvre Yquem ? (En parlant d'Yquem, Saluces dit toujours : mon pauvre Yquem, mon pauvre Yquem par ci, mon pauvre Yquem par là... mon pauvre Yquem qui..., mon pauvre Yquem que..., mon pauvre Yquem dont... ce qui a bien son chic, on en conviendra.  

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Alors, rien dans mon pauvre Yquem, éjecte Saluces, pas la moindre agate ?

Pas la moindre, jusqu'ici. Si vous voulez, essayons encore ailleurs. Peut-être que...

 

Mon cher, allez-y, si vous voulez. Moi, j'y renonce. C'est bien clair, dans mon pauvre Yquem, en fait de pierres précieuses, force m'est de constater qu'il n'y a que de vulgaires cailloux comme partout. Je m'attendais vraiment à mieux. Non capisco.

 

Moi itou. Non capisco.

 

Mais alors, mon cher, expliquez-moi donc comment il peut se faire que vous ramassiez à la pelle chez vous, à Rayne Vigneau, des tas de pierres précieuses, quand pas une ne se rencontre dans mon pauvre Yquem ?

 

Mon, cher, que je vous dise d'abord que notre terroir de Rayne Vigneau, très différent en cela de votre Yquem, est littéralement truffé de cailloux. Même une pièce est dénommée le Gaillau, tant il y en a. Et puis, sachez que mes fameux cailloux d'agates, de jaspes, de calcédoines, je ne les trouve pas partout dans nos vignes.

 

Comment pas partout ?

 

Il s'en faut ! Ainsi, ce n'est que sur une vingtaine d'hectares que, pratiquement, j'opère mes fouilles et que je trouve les minéraux en question. Il faut savoir, en outre, que notre gisement est nettement orienté Nord‑Sud...

 

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Comme le métro ?

 

Comme le métro, mais oui. Seulement, dans le métro, si on y rencontre des masses de voyageurs, par contre on n'y trouve aucune agate, tandis, que dans notre Nord-Sud de Rayne Vigneau, si on n'y rencontre aucun voyageur, par contre on y trouve des masses d'agates. Voilà.

 

Vous êtes plaisant, cher ami ! Alors, vous dites que votre gisement est orienté Nord-Sud ?

 

Parfaitement ! A l'Est, dans les vignes peu ou pas de cailloux roulés, à l'Ouest, rien de nouveau non plus. Comme dans votre Yquem, pas la moindre trace de gemmes, si modestes qu'elles puissent être. Tandis que dans le Nord-Sud…..

 

Sens unique, alors !

 

Sens unique, vous l'avez dit. C'est là que je trouve de véritables merveilles minéralogiques.

 

Heureux coquin !

 

Merci !  C'est la preuve, mon cher, que ce gisement de minéraux de Rayne Vigneau se trouve nettement localisé sur une très petite bande de terrain. Sans quoi, il est bien évident qu'on devrait trouver partout, dans votre pauvre Yquem comme dans toute la région, des gemmes aussi remarquables que celles de Rayne Vigneau.

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Cela me paraît de la plus diaphane, de la plus translucide évidence.

 

Oui. Ou alors, si l'on en trouve ailleurs, de ces précieux cailloux, c'est en si petit nombre et ils sont si éparpillés qu'on en peut difficilement faire état. J'ajoute que, avec mon ami Pierre Charlot, j'ai rencontré quelques jaspes, quelques. agates calcédonieuses dans les graviers de la Garonne. Mais si peu, mais si rarement que cela ne compte vraiment pas.

 

Alors, ce n'est qu'à Rayne Vigneau, veinard de veinard, que...  

Et moi qui, naïvement, croyais que dans mon pauvre Yquem je trouverais des trésors !

 

Pauvre de moi ! quelle déconvenue ! Enfin, passons !..

 

Si vous permettez, mon cher, une question: quelles pourraient être les hypothèses géologiques d'un si extraordinaire gisement de pierres précieuses tel que le vôtre de Rayne Vigneau ?

 

Difficile de répondre, vous savez ! Les opinions des savants sont très partagées. Massif Central, Pyrénées, Atlantide, disent les uns, formation sur place, origine cosmique, disent les autres.

 

Origine plutonienne, clament encore certains, origine neptunienne, proclament d'autres. Tot sensus quot capita. A qui entendre vraiment, dans cette Babel d'opinions diverses autant que contradictoires ?

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Qui croire et que croire ? Vous, mon cher, homo sapiens, auriez-vous un avis personnel à émettre ?

 

Modeste minéralogiste……

 

Modeste, vous dites. Moi, je vous trouve génial !

 

Génial, Môâ ? comme dirait Grock, laissez-moi rire.

 

Donc je poursuis : modeste, très modeste minéralogiste, il ne m'appartient guère de trancher le noeud gordien. Mais ayant personnellement recueilli, à Montredon Labessonnié (Tarn), ce que, du reste, avaient déjà fait, de leur côté, M. Mengaud au Sud et an aval de Gaillac, ainsi qu'à Labessonnié, et M. Bepelin à Réalmont, des agates et des calcédoines provenant d'alluvions anciennes du Tarn et du genre des nôtres, j'en infère que la plupart de nos minéraux, nos agates tout particulièrement, sont originaires du Massif Ceintral.

 

Du moins est-ce là mon humble avis. J'ai cherché, il est vrai, des agates, des calcédoines dans les Pyrénées, dans le gave de Pau, voire dans les graves de l'Adour….

 

Vous avez été prospecter jusque dans les Pyrénées, farfouiller dans les gaves ? Mon cher, vous êtes splendide ! Et qu'avez-vous trouvé ?

 

Moins que rien, ce qui s'appelle rien !

 

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Comme moi dans mon pauvre Yquem !

 

Exactement… Quoi qu'il en soit, les diverses opinions des savants exprimées longuement dans leur correspondance avec moi, basées toutes sur de consciencieuses études, prouvent le haut intérêt que porte le corps savant à notre merveilleux gisement de Rayne Vigneau.

 

Et qui est-ce le « corps savant » dont vous parlez ?

 

Mais des savants réputés : MM. Charles Manguin, Cayeux, Jacob, Alfred Lacroix, de Launay, Sabatier. Pierre Termier, Wallerant, de l'Académie des Sciences. Et combien d'autres, MM. Léon Bertrand, Delépine, Mengaud, Manville, Repelin, etc., sans compter des savants étrangers tels que MM. L,auréys, Pablo, Fabréra, Ferraz de Carvalho, Grégoris, Aminoff, Alberto Bétim, e tutti quanti.

 

Mon cher, c'est toute la Science que vous avez avec vous.

 

Parfaitement !

 

Et pour finir, une dernière question. Je me suis laissé dire que vous aviez donné des tas de vos minéraux de Rayne Vigneau a des établissements scientifiques. C'est exact ?

 

Asolument exact. Sachez tout d'abord, mon cher, que j'en ai donné près de l.000 taillés et polis et pas loin de 2.000 bruts, 3.000 en tout...

 

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Donné 3.000 de vos pierres précieuses, une quantité pareille 1 Mon cher, vous êtes le Pierpont Morgan de la France.

 

Comme vous exagérez ! Tout de même, ne confondons pas. Pierpont Morgan a donné pour des millions quantité, de pierres précieuses à la Galerie de Minéralogie à Paris. Mais moi, si j'ai fait des dons importants aux divers Musées d'Histoire Naturelle et laboratoires de géologie et de minéralogie de France et de l'étranger, il s'agit là, je veux bien, de belles silifications, certaines même d'une couleur et d'un dessin remarquables, mais, enfin, rien de plus.

 

La modestie habite votre coeur magnanime, cher ami. Et où avez vous donné de vos minéraux ?

 

Mais un peu partout, je vous l'ai dit. A Bordeaux, au Muséum d'Histoire Naturelle du Jardin Public, à la Société Linnéenne dont je fais partie, à la Faculté des Sciences, notamment. sans compter que le tout Paris scientifique possède de mes gemmes.

 

 Et où cela, en province ?

 

A Lille, Lyon, Marseille, Toulouse, Dijon., Tarbes, Agen, Nancy, Strasbourg, Pau, Poitiers, Grenoble, etc., etc.

 

Et aussi à l'étranger, je crois ?

 

Mais oui : au Canada à Montréal, à Coimbra au Portugal, a Vienne, en Suède à Stockholm et à Gothenbourg, à Madrid, enfin au Brésil à Rio-de-Janeiro.

 

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Galerie nationale de Minéralogie au Muséum (vitrine 56); Laboratoires de minéralogie du Muséum, de la Faculté des Sciences, du Collège de France, de l'Ecole Normale supérieure, de l'Institut Catholique (Musée de Lapparent), de l'Institut Agronomique, de l'Institut de Géographie, de l'Ecole Nationale des Mines, de l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, Musée de la Société Nationale d'Encouragement au Bien, à Paris; Muséum d'Histoire Naturelle, Musée des Echantillons de la VIIIème Région Economique (Palais de la Bourse), Laboratoires de Géologie et de Minéralogie de la Faculté des Sciences, Musée du Vieux Bordeaux (Porte de Cailhau), collections minéralogiques de la Société Linnéenne, à Bordeaux; Musées de La Réole et de Villandraut; Musée de la Mer à Arcachon (Gironde); Musée de l'Institut de l'Ouïe à Nice; le château de. Pau; Laboratoires de Minéralogie des Facultés des Sciences de Toulouse et de Dijon, de la Faculté libre des Sciences de Lille, des Instituts de Géologie de Nancy et de Strasbourg; Musée des Sciences Naturelles de Lyon; Muséums d'Histoire Naturelle de Marseille, de Montauban, de Dijon, d'Angers, de Grenoble, de Poitiers, de Mâcon; Musée Lecoq, à Clermont-Ferrand; Musées d'Agen (voir note)

 

Peste ! mon cher. Lui, Pierpont Morgan, n'a donné de précieux minéraux qu'à la seule Galerie de Minéralogie à Paris. Mais vous, c'est bien plus fort ! Car c'est dans les Deux Mondes que vous en avez donnés. Je comprends pourquoi votre gisement est tellement connu et réputé.

 

Eh ! mais, mon cher, c'est bien vous qui avez ouvert le feu, avec votre fameux Yquem, connu encore bien davantage que mes minéraux dans le monde entier.

 

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Votre fameux gisement, mon Yquem sont tous les deux de réputation mondiale, soit ! Seulement, vous avez sur moi cette supériorité... !

 

Quelle supériorité puis-je avoir sur vous ? Je suis curieux.

 

Attendez... Je dis bien : vous avez sur moi cette supériorité d'avoir fait, personnellement, à vous tout seul, cette découverte formidable, de pierres précieuses dans votre terroir. Tandis que moi, ah ! mon Vieux Roton, je n'ai jamais rien découvert de ma vie.

 

A Yquem la séance continue. Je continue. Voilà tout. Enfin, convenons-en, bien joli de pouvoir, comme nous le faisons tous les deux, chacun dans notre sphère, contribuer à augmenter dans le monde entier le patrimoine de prestige, de gloire même de la doulce France.

 

Ici, Mesdames, Messieurs, prit fin cet entretien entre le Marquis de Lur‑Saluces et votre serviteur, entretien rapporté aussi fidèlement que possible. Je me plais à penser qu'il n'aura pas trop, malgré ses grandes dimensions... en longueur, lassé votre bienveillante attention, la haute personnalité de mon ami de Saluces lui attirant, d'ailleurs, toujours et partout les plus vives sympathies. Je n'en demande pas tant pour moi, trop honoré et flatté si j'ai pu, aujourd'hui, avec cette histoire de minéraux de Rayne Vigneau vous distraire quelque peu des très graves préoccupations de l'heure.

 

Notre cher Pays est en guerre. Mais persuadons-nous bien que les portes de l'Enfer hitlérien ne prévaudront pas, ne prévaudront jamais contre la France invincible, contre la France immortelle. Le jour de la victoire finale, nous le marquerons si vous voulez, bien, d'un beau caillou blanc de Rayne Vigneau. Et ce sera justice, comme on dit chez Thémis.

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Inscription manuscrite ultérieure manuscrite ajoutée: 

 

Dieu, hélas ne le permit pas.

 

 

Vicomte de ROTON-NOTOR.

 

de la Société française de Minéralogie,

Membre associé de l'Académie Nationale des Sciences, 

Belles-Lettres et Arts de Bordeaux.

 

 

 

Note:

 Galerie nationale de Minéralogie au Muséum (vitrine 56); 

Laboratoires:

 de minéralogie du Muséum, 

de la Faculté des Sciences, 

du Collège de France, 

de l'Ecole Normale supérieure, 

de l'Institut Catholique (Musée de Lapparent), 

de l'Institut Agronomique, 

de l'Institut de Géographie, 

de l'Ecole Nationale des Mines, 

de l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, 

Musée de la Société Nationale d'Encouragement au Bien, à Paris; 

Muséum d'Histoire Naturelle, 

Musée des Echantillons de la VIIIème Région Economique (Palais de la Bourse),

Laboratoires de Géologie et de Minéralogie de la Faculté des Sciences, 

Musée du Vieux Bordeaux (Porte de Cailhau), 

collections minéralogiques de la Société Linnéenne, à Bordeaux; 

Musées de La Réole et de Villandraut; Musée de la Mer à Arcachon (Gironde);

Musée de l'Institut de l'Ouïe à Nice; 

le château de Pau; 

Laboratoires:

de Minéralogie des Facultés des Sciences de Toulouse et de Dijon, 

de la Faculté libre des Sciences de Lille, 

des Instituts de Géologie de Nancy et de Strasbourg; 

Musée des Sciences Naturelles de Lyon; 

Muséums d'Histoire Naturelle:

 de Marseille, 

de Montauban, 

de Dijon, 

d'Angers, 

de Grenoble, 

de Poitiers, 

de Mâcon; 

Musée Lecoq, à Clermont-Ferrand; 

Musées d'Agen, 

de Tarbes, 

d'Albi, 

du Périgord à Périgueux; 

Musée Pyrénéen, au Château Fort de Lourdes; 

Collections minéralogiques:

de l'Ecole Nationale des Mines de Saint-Etienne, 

de l'Abbaye de la Pierre-qui-Vire (Yonne); 

Musée de Minéralogie de Montréal (Canada); 

Musée national de Madrid et collections du Collège de Miranda de Ebro (Espagne); 

Musée géologique et minéralogique de l'Université de Coimbra (Portugal);

Institut de Minéralogie de Vienne (Autriche); 

Muséums de Minéralogie de Stockholm et de Gothenbourg (Suède); 

Musée de Géologie et de Minéralogie de Shambaganur (Inde)

 

 

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Réalisée le 19 juin  2002

 André Cochet

Mise ur le Web le  juillet 2002

Christian Flages

Mise à jour le

                 

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