Un Resto du Cœur flottant sur la Garonne.

Le Bateau Soupe.

 

Article paru dans Sud Ouest du 18 août 2012

Is. de Monvert-Chaussy

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Ancêtre des Restos du Coeur, le Bateau soupe accueillait en 1912 plus de 2000 personnes
nécessiteuses.

0n peut parfois l'apercevoir, en regardant vers l'est, face au débarcadère de Pauillac, à marée
très basse.

Le bateau soupe « Osiris », une coque en tôle de 50 mètres de long et 12 au plus large.

Coulé en 1945 après avoir été réquisitionné et déplacé par les Allemands.

Le bateau soupe d'Osiris, une des plus belles aventures humanitaires de Bordeaux.

En 1907, un richissime philanthrope, Daniel Iffla Osiris, lègue à sa ville natale la somme
faramineuse de 2 millions de francs (environ 8 millions d'euros) pour faire construire un
bateau dont il a déjà validé l'avant-projet. 

Ce bâtiment est destiné à accueillir, nourrir, soigner les ouvriers âgés et les indigents.

 

Un héritage encombrant.

La ville n'est pas très enthousiaste, il y a déjà pas mal de structures pour pratiquer la charité,
municipales et confessionnelles. 

Le maire, Alfred Daney, aimerait plutôt racheter le bâtiment qui abrite l'antenne bordelaise de l'Institut Pasteur (l'actuel musée d'Aquitaine). Et il croit pouvoir l'obtenir, parce que l'exécuteur testamentaire de ce généreux et excentrique donateur n'est autre que le Dr Roux, qui dirige l'Institut Pasteur.

Lequel Institut reçoit, grâce à Osiris, le plus important legs de toute son histoire.

Le hic, c'est que le Dr Roux est intraitable. il respecte à la lettre les volontés de Daniel lffla
Osiris.

Autre hic, le testament très alambiqué du philanthrope fait que tous les héritages sont bloqués
dès lors que l'un des bénéficiaires tergiverse.

Or la fortune est absolument colossale, ( l'équivalent de 180 millions d'euros ) et les
bénéficiaires, nombreux.

Les mécontents aussi, ceux qui se sentent spoliés. À commencer par la famille d'Osiris,
notamment ses nièces, la comédienne Charlotte Lysès, première épouse de Sacha Guitry et
la cantatrice Emma Bardas, qui a quitté Fauré pour épouser Debussy.

 

Deux ans de réflexion.

Après deux ans de négociations, suivies par deux maires successifs, des relances de moins en
moins amènes, Bordeaux accepte, en 1909 et Jean Bouche confie le dossier à l'ingénieur chef
de la ville, M. Lidy qui constate le peu de pertinence du projet initial d'un bâtiment au milieu
du fleuve.

L'emplacement à quai pose aussi problème : il ne faut pas gêner les mouvements des navires
de commerce.

On déplace un ponton.

Le bateau sera amarré face à la porte de la Monnaie, le nez tourné vers le pont de pierre.

Construit par les chantiers Dyle et Bacalan, il sera mis à l'eau en avril 1912, terminé en
novembre, inauguré par Charles Grues, le 30 décembre, sous des trombes d'eau.

Coût total, passerelle comprise: 350 000 francs.

Il comprend trois réfectoires, des cuisines, deux salles d'attente, des chambres de repos, un
entrepôt de vivres et de vêtements, un logement de gardien et deux pavillons médicaux.

Les murs sont lavables, les pièces éclairées par de larges baies vitrées.

On rajoutera, en 1913, des rideaux sur le pourtour de la galerie supérieure, pour préserver l'intimité des « passagers ».

Le chauffage est assuré par un circuit d'eau chaude, l'électricité vient de la ville.

C'est un succès phénoménal, si on peut appeler succès la fréquentation d'un asile destiné à aider des nécessiteux.

Pour son fonctionnement, l'adjoint au maire, Lopès-Diaz crée un titre de rente annuel de 50.000 francs.

Au premier bilan, en juin 1915, le bateau soupe a servi en deux ans et demi 347.320 soupes et 74.327 repas, et accueilli chaque année 2.000 adultes et 250 enfants.

Sans compter le service de réquisition pour l'accueil des réfugiés et de soldats évacués pendant la guerre. 

On connaît le détail des rations, les horaires d'ouverture, la composition du service médical, de l'équipe de cuisine, les soins particuliers préconisés pour les femmes enceintes (l'épouse d'Osiris est morte en accouchant de jumeaux mort-nés).

 

Banquier juif bordelais.

Né à Bordeaux en 1825, Daniel IIffla (il adopte le patronyme d'Osiris en 1863) s'est fait
rapidement une place à Paris dans le réseau des banquiers juifs.

Après le décès de sa femme, il a changé radicalement sa conception de la fortune.

Certes, il l'entretient scrupuleusement et investit en particulier aux côtés des frères Péreire à
Arcachon, où il fait bâtir sept villas. Mais surtout, depuis son hôtel parisien, transformé en
bureau de bienfaisance, il se consacre au mécénat et à la philanthropie.

Il soutient la recherche médicale (Pasteur, Curie., .), les progrès techniques (Blériot), les arts,
l'action publique et l'éducation, finance des écoles (Jeanne d'Arc à Arcachon), huit
synagogues (Tunis, Paris, Arcachon, Bordeaux ..), dote Bordeaux de fontaines publiques pour
que tous aient accès à l'eau potable.

Entretient sa dévotion démesurée pour Napoléon et Jeanne d'Arc. Sauve le domaine de La
Malmaison de la ruine, et l'offre, une fois restauré, à l'Etat auquel il lègue également son
domaine de la Tour Blanche en Sauternais pour en faire une école de viticulture gratuite.

L'école existe toujours. Le bateau soupe, non, mais.. Le foyer Leydet, à Bordeaux, a été
reconstruit dans les années 50 avec l'indemnité de 2 700 000 francs perçue des Allemands en
compensation de la destruction du bateau soupe « Osiris ».

 

Ref : 

Osiris, mécène juif et nationaliste français », Dominique Jarrassé. Esthétique du divers, 25 E.

De ta charité à l'action sociale », actes de colloque, CTHS, 42 €.

Is. de Monvert-Chaussy

 

 

 

 

 

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