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La GARONNE
 
et ses
 
AFFLUENTS DE LA RIVE GAUCHE
par

André REBSOMEN 

FERET et fils éditeurs
 
9 rue de GRASSI
 
BORDEAUX
1913

Collection privée

Passage concernant:

CAPTIEUX

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Quittant ce lieu plein d'attraits, nous descendons vers le Ciron qui se cache dans les arbres, et nous allons chercher à suivre ses bords. C'est chose difficile, ses rives sont presque à pic, dominant le cours d'eau de près de vingt mètres de hauteur et un voile épais de verdure dérobe aux yeux la rivière dont on entend à peine le léger bruissement.

Cette végétation est surtout formée de taillis de chêne, de massifs de pins et même de hêtres vigoureux.

Soudain une éclaircie se produit et nous voici devant l'embouchure de la Gouaneyre,  

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                      « les eaux noires », en patois gascon. Glissons-nous au milieu des arbustes et des arbres qu'arrose ce ruisseau et remontons son cours.

Après quelque temps de marche au milieu de cette forêt vierge nous inclinerons vers l’ouest pour atteindre d'abord le Brésigual ancienne habitation féodale aux croisées intéressantes,  puis la Graville.

Deux édifices existaient à la Graville le manoir et le couvent.

Le manoir, encore debout, appartenait à M. de Quincarnon, du présidial de Bazas, qui, en 1646, le légue aux solitaires de Port-Royal, à charge d'y établir un séminaire. Ceux-ci refusent, mais les religieuses de Port-Royal, substituées à eux, acceptent ce legs que peu après elles abandonnent, en 1655, aux Ursulines de Bazas. Le manoir vendu à la Révolution, fut acheté par le colonel Villars, ancien officier du premier empire. Il est maintenant la propriété de M. Marcel Courrégelongue, sénateur, conseiller général et maire de Bazas.

Quant au couvent de la Graville, il n'en demeure plus que des traces. C'est tout près de la Gouaneyre, au lieu dit le Coumben, un peu en aval du poétique moulin de Basset que l'on retrouve aujourd'hui avec peine, dans le sable, des débris de ses fondations. Ce monastère appartenait à l'ordre des Carmes. 

Il fut fondé en 1641 au moment où cette congrégation célèbre commençait en France à jeter le plus vif éclat. Le père Blanchard, originaire de Clermont, trouva en ces lieux, le « désert » convenable à la vie contemplative de son ordre, et, protégé par l'évêque de Bazas, autorisé du Pape et du Roi, il put, grâce à la générosité de M. de Quincarnon, mettre son projet à exécution.  

Nous savons peu de chose de cette communauté qui vécut seulement neuf années, mais qui s'illustra plutôt tristement par un de ses membres, le fameux Jean Labadie. Labadie, né à Bourg sur Gironde, en 1610, fut ordonné prêtre à Bazas, et erra de diocèse en diocèse et de congrégation en congrégation. Il finit par échouer à Port-Royal, revint à Bazas, d'où il fut chassé à raison de ses opinions hérétiques et enfin se réfugia à la Graville près du Père Blanchard (1649). 

Peu à peu, abusant de la confiance et de la crédulité des religieux, il arriva à les dominer et à leur imposer les excentricités les plus singulières en même temps qu'un mysticisme égaré. L'évêque de Bazas, Martineau de Turé, dut intervenir avec la force armée pour rétablir l'ordre dans le monastère. Labadie s'enfuit et se réfugia à Castets-en-Dorthe, près de Fabas. Là, il embrassait le protestantisme, puis il passa à Genève et mourut en 1674 en Prusse.

L'année du départ de Jean Labadie (1650), le Père Blanchard quittait la Graville, les autres religieux se dispersaient, et le couvent retournait à la famille de Quincarnon qui le garda jusqu'à la Révolution.

En continuant à remonter le cours de la Gouaneyre, nous découvrons un endroit où aboutissent un grand nombre de petits ruisseaux qui arrivent du fond des landes. L'un d'eux, le Jambon, nous conduit tout droit au bourg de Captieux.

Captieux ne tire son importance que de sa situation sur la route d'Espagne  c'est l'étape qui suit Bazas en allant vers les Pyrénées. C'est là où s'arrêtèrent, par la nécessité

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des relais, tous les grands personnages dont nous parlions précédemment à propos de leur passage à Bazas. En 1571, Jeanne d'Albret y couche, en 1581, Henri IV y dîne. En 1660, Louis XIV y passe la nuit et un tremblement de terre vient troubler son repos. La sentinelle qui veillait sous les fenêtres de sa chambre, effrayée et ne comprenant pas le phénomène, se mit à crier : « Aux armes! » Le roi se leva et s'étant rendu compte de la cause de l'alerte se recoucha paisiblement. 

Un peu plus tard, en 1674, la noblesse des sénéchaussées de Périgueux, de Sarlat et de Bergerac se réunit à Captieux, en tout, cent gentilshommes avec leur équipage. Ils étaient convoqués par le maréchal d'Albret pour repousser les invasions probables des Hollandais et des Espagnols. En 1745, c'est l’infante Marie Thérèse Antoinette Raphaële qui passe à Captieux, arrivant d'Espagne pour se marier au Dauphin Louis, fils de Louis XV.

Elle descend à la cure, seule maison convenable du lieu, où l'on avait fait de grands frais d'installation, et en son honneur on planta de pins la route de Captieux à Bazas pour rompre la monotonie du paysage.

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Quant à l'histoire de Captieux, elle est brève à narrer, les documents sont courts et rares. Nous savons qu'en 1273, Pierre de Cabanes et Guillaume de Lugarosse de Captieux sont tenus au devoir d'étage envers leur seigneur, probablement Gaston de Béarn, qui, à cette époque avait des droits seigneuriaux en ce lieu.

En 1299, Guichard de Marciac, commandant l'armée de Guyenne pour Philippe le Bel, protège le château de Captieux contre les Anglais. Plus tard, en 1425, Isabelle, comtesse de Foix, conclut une trêve avec Jean de Radcliff, sénéchal de Guyenne, en vertu de laquelle les Anglais pourront aller et venir dans sa terre de Captieux, sans que les habitants aient quoi que ce soit à redouter de leur part. 

Lors de la guerre de Richelieu avec les protestants (1621), on poursuit les rebelles qui courent « le plat pays », notamment ceux qui composent la garnison de Captieux.

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 Nous disions que Captieux avait un château, il n'en reste plus traces. Ses anciens remparts crénelés, ses portes, ses fossés, ses donjons ne sont plus. Son couvent de cordeliers avec hospice et chapelle a disparu ainsi que son ancienne église où la chapellenie de Saint Gabriel rappelait la fondation de la veuve de Jean de la Loubère, continuée par les sieurs de Testa, ses descendants.

Quand nous aurons mentionné le médaillon ancien de la Vierge et de l'Enfant, souvenirs d'une ancienne chapelle, enchâssé à la métairie de Moutchan, la fontaine de Saint-Blaise, les scieries de bois, les fabriques de paillons de paille de seigle, les tuileries, nous aurons tout dit sur le Captieux ancien et moderne.

Nous aurions cependant encore à parler de cette contrée des landes, bien intéressante par ses moeurs et son originalité.

Nous aurions à décrire ces vieilles métairies à l'ample toiture de tuiles creuses posée sur un mur de torchis et soutenue par des assises en briques. Elles forment un angle largement ouvert et présentent toujours à l'est, côté opposé au vent de pluie, un devant de porte abrité, ayant sur le côté une chambre de débarras en saillie. Deux poutres, maîtresses verticales soutiennent le toit qui surplombe en auvent. 

En-dessous les poules picorent, les enfants jouent, la ménagère prépare la « cruchade » faite de farine de maïs ou la « miffiasse » petits pains ronds de farine de millet Pour les cuire, elle les porte au. four, au « hourn » sans cheminée, coiffé d'un toit carré de tuiles, édifié tout près de la demeure et qu'elle chauffera avec de la brande. 

De beaux chênes noirs ou rouvres donnent une ombre bienfaisante près de l'habitation et tranchent sur la monotonie des pins environnants; dans leurs basses branches on a mis le « pourey » ou poulailler, afin que la volaille soit à l’abri des dents pointues des renards ou des fouines. 

C'est pour cette gent ailée que l'on a semé dans le voisinage la millade, pour les bestiaux que l'on cultive ce champ de topinambours aux fleurs d'or, et pour les oies et les cochons que l’on conserve ces lourds épis de maïs.

D'autres animaux plus petits qui se nourrissent tout seuls et qui donnent aussi un revenu avantageux sont installés dans un coin tranquille et isolé ce sont les abeilles. dont on ira à la fin de la saison, vendre à Captieux le miel assez estimé bien que grossièrement recueilli.

Dans l'étable aux litières faites de bruyère, on entend mugir les vaches bazadaises utiles par leur travail robuste et les vaches bretonnes qui donnent le lait et les veaux..

Un puits creusé parfois à une grande profondeur fournit l'eau nécessaire à tous ces êtres vivants. Pour amener le liquide à la surface du sol, une longue antenne basculant en son centre sur un montant vertical retient le seau suspendu à son extrémité au moyen d'une perche légère, rappelant les puits égyptiens.

Tout cet ensemble forme un tableau pittoresque plein de curieux et très gracieux détails. Et le soir, à l'automne, « à la basse », comme l'on dit en patois, quand le soleil est très bas à l'horizon, que ses rayons flamboient à travers la masse des pins élevés, que sous les bois, la fougère commence à prendre les chaudes teintes de la rouille, et que les. feuilles flétries des chênes tapissent le sol, le métayer ramène à sa demeure son attelage

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                      indolent. A ce moment l’atmosphère commence à s'imprégner des brouillards de la nuit, les odeurs délicieuses de la nature se mêlent aux bonnes senteurs d'étable que ces boeufs laissent en un odorant sillage. Les vaches conduites par un jeune berger rentrent doucement à la métairie en agitant leurs sonnettes harmonieuses dont le tintement folâtre se mêle au son plus grave de l'Angelus du soir

Puis tout se tait, la nature et les hommes vont prendre leur repos.

Le silence a levé son doigt mystérieux Et la lune apparaît lentement dans les cieux. (Camille Delthil, Les Sonnailles.)

C'est également à l'automne que toute cette région du Bazadais s'agite et se passionne pour son sport préféré : la chasse à la palombe. Quel entrain, quel branle-bas, quelle fièvre intense! Tout le monde est devenu chasseur, depuis le cultivateur qui pioche le sol avec son fusil en bandoulière, prêt à faire feu, jusqu'aux gamin qui sortant de J'école poussent le cri mystérieux et sacré : « Semè_ ro ! Semè... ro ! », quand ils voient voler dans les airs l'oiseau tant recherché.

La palombe est un pigeon sauvage au plumage brillant bleu cendré, au poitrail et au cou irisé cerné d'une blanche collerette. Ses pattes sont roses et son bec jaune ou rouge. Les palombes commencent à arriver par milliers du nord de l'Europe vers le 15 septembre, se dirigeant vers des contrées au climat plus doux: l’Espagne ou l'Afrique.

C'est alors que le chasseur avisé a organisé comme il convient sa palombière et ses appeaux. La palombière se compose d'abord de la cabane des chasseurs qui forme un couloir plus ou moins long, comme une galerie de mine, fait en branchages et laissant de place en place quelques ouvertures. 

Au-dessus de cet abri dans les branches élevées des pins, on installe une mécanique sur laquelle sont posés les appeaux qui est elle-même reliée à la cabane par des cordelettes. Quand le vol de palombes est proche, on tire avec art les ficelles, la mécanique bascule, les appeaux battent des ailes et les palombes sauvages se rapprochant de leurs congénères, se perchent sur les branches voisines. La première opération ayant réussi, il s'agit d'attirer le gibier à terre. Devant la cabane s'étend un grand rectangle soigneusement aplani, c'est le « sol ». 

On lance sur le « sol » d'autres appeaux appelés « poulets», qui à l'inverse des premiers ont les ailes liées et les pattes libres. On a répandu sur le sol du blé en abondance, les « poulets » s'y précipitent. Le chasseur doucement roucoule, il « chante la palombe ». 

Les oiseaux perchés au sommet des pins voient avec quelle avidité et satisfaction leurs semblables d'en bas se régalent de blé, ils se laissent duper encore par ce dernier stratagème et descendent les uns après les autres prendre part au repas. Voilà toutes les palombes agitées et heureuses, ne perdant pas un coup de bec. 

Soudain un déclenchement s'opère et les deux grands filets ou pantes qui bordent les deux côtés du sol et que les imprudentes n'ont pas vu, se rabattent, aussi prompts que l'éclair. Tout le vol est captif, se démenant, mais en vain, sous les rets perfides. La journée a été bonne!

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 Le vent et le temps ont sans doute été, eux aussi, favorables, car ils jouent un grand rôle dans cette chasse et peuvent réduire à néant toutes les plus savantes combinaisons. La date est également un facteur puissant : demandez aux Bazadais ce qu'ils pensent du 18 octobre. « A la saint Luc, disent-ils, le grand truc ». 

Ce jour-là est le point culminant de leur saison cynégétique et provoque la mobilisation générale de tous les chasseurs de palombes. C'est alors que dans toutes les demeures on se nourrit du délicieux gibier, cuit au four, en salmis, à la broche, chacun le

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                                                                                                                   prépare, le déguste, le savoure. C'est la spécialité du pays, le régal des gourmets.

Mais, déjà notre lecteur a trouvé que nous nous égarions dans les landes bazadaises, et pour un peu refuserait de nous conserver pour guide. Qu'il nous pardonne d'avoir voulu lui décrire ces régions très spéciales et mal connues et qu'il veuille bien maintenant reprendre avec nous notre promenade des bords du Ciron.

 

Réalisée le 20  août  2002

 André Cochet

Mise sur le Web    septembre  2002

Christian Flages

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