Les conférences du Ciron.

 

Les origines de la Révolution

dans 

dans la basse Vallée du Ciron.

 

à Bommes, le 31 mars 2005.

Jean DARTIGOLLES.

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Sommaire:
La Révolution est le fruit d'une lente maturation. Election des premiers Conseils Municipaux.
La famine n'est plus considérée comme une fatalité. Premiers travaux de ces Conseils.
L'arbitraire est de moins en moins toléré. Création et mise en place des Gardes Nationales.
Religion et superstition. Quelques vieilles habitudes résistent encore.
Le poids des traditions culturales. Une nouvelle organisation du territoire, la création des départements.
Persistance du respect qu'inspire la personne du Roi. Premiers conflits d'autorité.
Et d'abord le désastre de 1788. Intervention de police.
L'hiver 1788/1789. Des conflits éclatent entre la Municipalité et la Garde Communale.
La convocation des Etats Généraux. Un besoin de reconnaissance.
La rédaction des cahiers de doléances. La sécurité de la circulation passe par des limitations de vitesse.
La grande peur. La Constitution Civile du Clergé.
La suppression des privilèges. Quelques conséquences locales.
La pénurie monétaire. Le pic de l'Emigration.
La création des communes. L'apparition des Sociétés Populaires.
Monsieur Miran fait de la résistance. La fuite du Roi à Varennes.
Une subtile distinction entre impôt et contribution. La fête de la Fédération de 1791.
Une bien mauvaise surprise, un privilège auquel on n'avait pas pensé.

 

 

 

On présente souvent la Révolution comme un phénomène spontané, une sorte d'explosion qui se serait manifestée au pied des murs de la Bastille au matin du 14 juillet 1789.

Il n'en est rien.

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La Révolution est le fruit d'une lente maturation.

 

Cette Révolution est avant tout le fruit d'une lente maturation des mœurs, des conditions de vie et des idées, qui s'est poursuivie tout au long du XVIIIe siècle.

Cette évolution pourrait à elle seule faire l'objet d'une passionnante étude qu'il ne peut évidemment être question de développer ici ce soir. Mais, si l'on veut bien comprendre la suite des évènements il nous faut tout de même être attentifs à un certain nombre de signes avant-coureurs de l'évolution des mentalités.

Certains de ces signes remontant à bien des années avant l'explosion de 1789.

 

La famine n'est plus considérée comme une fatalité.

 

Les populations rurales avaient encore supporté sans broncher d'effroyables famines à la fin du XVIIe siècle. Devant une disette sévère, certes, mais sans commune mesure avec les précédentes, on voit les villageois de nos contrées se soulever en masse en mai 1773.

Des gens de Balizac, Budos, Noaillan et autres paroisses, qui vont attaquer et piller les greniers du marché de Villandraut en se livrant à toutes sortes d'exactions insurrectionnelles. 80 ans plus tôt, ils n'avaient pas bougé, c'est un signe.

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L'arbitraire est de moins en moins toléré.

 

Certes, les seigneurs locaux et les curés des paroisses restent respectés. Mais, à l'occasion, s'ils s'estiment lésés, les villageois n'hésitent plus pour faire valoir leurs droits à les citer en justice.

En 1784, à la veille de la Révolution, Monsieur de Castelnau de Sénault possédait une maison et ses dépendances qui n'était séparée du Ciron que par le chemin reliant les Chons à l'église de Bommes. A l'automne de cette année-là, il émit la prétention d'interrompre ce chemin pour aménager à son profit un accès direct et privatif à la rivière.

Les habitants des Chons, ses voisins, protestèrent vivement, mais il le prit de très haut et se flatta publiquement, s'ils insistaient dans leur contestation, de les ruiner en quelque procès coûteux.

Tout le village de Bommes s'enflamma tout aussitôt et, à l'occasion d'une Assemblée réunie le 27 décembre 1784 devant la porte de l'église, procéda à l'élection d'un syndic chargé de porter, sans attendre, cette affaire devant le Prévôt de Barsac.

Cette assemblée s'engageait de surcroît à partager entre tous les paroissiens les frais d'un procès qui ne concernait que les seuls intérêts des habitants des Chons.

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Religion et superstition.

 

Il est bien probable que, cent ans auparavant, cet élan de solidarité aurait été plus discret. Et l'on pourrait multiplier ce genre de signes dans lesquels il faut savoir lire cette évolution des mentalités dont je vous entretenais tout à l'heure.

Et pourtant … ce milieu rural restait profondément conservateur, tant dans son mode de vie que dans ses pratiques culturales. Ce milieu était toujours très religieux, toujours très assidu aux offices.

Les quelques rares personnes qui ne fréquentaient pas l'église étaient socialement marginalisées. Mais il s'agissait d'une religion souvent teintée de superstitions.

On croit encore beaucoup aux sorciers, mais attention ! Plus tout le monde…. A la fin du XVIIe siècle, on trouvait encore des juges pour poursuivre et condamner quelques malheureuses filles un peu dérangées…. A la veille de la Révolution, vous n'en trouverez pratiquement plus. Mieux encore ! On va s'adresser à un juge pour couper court à ces fariboles.

Ainsi, le bruit avait couru que le Curé d'Hostens aurait dit que Bernard Martin, un marchand de St Symphorien, aurait jeté un sort au fils de Jérôme Callen. Le 5 novembre 1783, Martin s'adresse au juge de Castelnau de Cernès en lui demandant de couper court à tous ces bruits car il se voit, dit-il :

"ainsi placé par le peuple imbécile et trop crédule au rang de ces êtres imaginaires, effet du fanatisme et de l'ignorance de nos anciens Pères…."

Et le juge le suit….

La sorcellerie ne fait plus recette dans les classes moyennes et dirigeantes, mais elle conserve, à coup sûr, son aura dans la population rurale.

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Le poids des traditions culturales.

 

Conservatisme également dans les procédés de culture : des semences de pommes de terre, importées d'Irlande, ont été systématiquement distribuées à vue en 1769 dans toutes les paroisses de la moyenne vallée du Ciron. Les curés avaient été chargés d'expliquer, en chaire, comment les planter, les soigner, les récolter, de dire aussi tout le bénéfice que l'on pouvait en tirer. Et ils l'ont fait.

Certes, on les a plantées et elles ont fort bien poussé. On les a aussi récoltées mais on n'y a pas touché, même pendant les famines de 1788 et 1789. Tout au plus, certains ont osé les proposer à leurs porcs qui s'en sont régalés. Mais c'étaient des porcs….. alors……

Autre exemple d'inertie : alors que l'on vivait en permanence en situation de grave pénurie de fourrages verts, le trèfle de Hollande apparut dans la région vers le milieu du siècle. Il ne fut pourtant ni adopté, ni cultivé. Et l'on pourrait multiplier ces exemples. Seul, le maïs a été accepté vers 1750. Mais peut-être parce qu'il était cultivé au sud de l'Adour depuis la fin du XVIe siècle et que les bergers basques et béarnais ont pu lui donner du crédit au cours de leur transhumance annuelle.

 

Persistance du respect qu'inspire la personne du Roi.

 

A cet attachement viscéral à la religion et aux traditions ancestrales, ajoutons enfin un immense respect pour la personne du Roi qui incarnait encore un mythe quasiment religieux. Aucun des malheurs du peuple ne pouvait lui être imputé. L'expression courante était alors : "Ah ! si le Roi savait ça !" Et il était bien admis et entendu que, si les choses allaient mal, c'est parce qu'il était mal informé.

Ce point est important pour bien comprendre dans quel esprit vont être rédigés les cahiers de doléances de 1789.

Et maintenant, précisément, où en étions-nous en cette année 1789 ?

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Et d'abord le désastre de 1788.

 

Les récoltes de 1788, dès le printemps, s'étaient déjà annoncées sous de médiocres auspices, lorsque survint le désastre du 13 juillet.

Au cours de cette sinistre journée, un terrible ouragan, un peu comparable à celui que nous avons connu en fin décembre 1999, balaya toute la France de l'Aquitaine à la Lorraine.

Rentrant d'une partie de chasse en forêt de Rambouillet et se hâtant de rentrer à Versailles, Louis XVI en personne en fut le témoin direct. Rattrapé par la tornade il n'eut que le temps de se réfugier sous un hangar à Trappes à une dizaine de kilomètres de son but.

Trappes qui était alors une vaste plaine de cultures sur laquelle il vit, littéralement sous ses yeux, s'anéantir tout espoir de récolter les blés déjà mûrs et tout proches de leur moisson.

Ce fut un véritable désastre.

Dans nos contrées on ne récolta même pas les grains nécessaires aux semailles de l'année suivante. Un témoin local rapporte :

"Sur toute espèce de fruits et de revenus qu'a épargné la grêle, nous n'avons jamais fait si peu de récolte…."

De l'été 88 à la mi 89, on avait survécu, fort mal d'ailleurs, grâce à des importations de céréales venues, en particulier, de Bretagne. Mais ce n'est pas tout car l'hiver 1788/89 fut l'un des plus froids des 30 dernières années du siècle.

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L'hiver 1788/1789.

 

Le gel sévit du 18 décembre 1788 au 20 janvier 1789. Dès le 23 décembre, la Garonne et le Ciron étaient pris par les glaces. Les vins de la récolte 1788, très médiocres, et particulièrement faibles en alcool, gelaient dans les barriques. Des charrettes chargées purent traverser la Garonne entre Rions et Podensac…où la glace atteignait une épaisseur de 23 centimètres.

La débâcle qui s'ensuivit se révéla catastrophique. Plusieurs bateaux furent emportés et brisés dans le port de Langon. Deux d'entre eux, chargé d'un blé très attendu, coulèrent corps et biens.

Cette débâcle emporta toutes les installations de pontons et d'estacades sur les rives du fleuve. Tout cela frappa très fortement les imaginations. Un témoin qui y assista, au port de Preignac, rapporte encore un an plus tard :

"Survint (la débâcle de) ces fameuses glaces qui portèrent l'épouvante partout et qui brisèrent et ravagèrent toutes ces contrées lors de leur défaite…. à cause de la rapidité des eaux et du bruit épouvantable des glaces lors de leur détachement…. Les riverains n'ont pu être que des spectateurs impuissants…"

Et sitôt après ce dégel, survinrent deux mois de pluies torrentielles jusqu'à fin mars, qui vinrent compromettre ce qui aurait pu être éventuellement sauvé des récoltes à venir.

Ces récoltes de 1789 allaient être aussi mauvaises que celles de l'année précédente. A partir du mois de mars 89, la famine hanta la plupart des foyers de la contrée et les gens n'étaient plus disposés, pour lors, à s'y résigner. C'est dans ce contexte tout à fait déplorable que, dans chaque village, furent désignés les électeurs envoyés à Bordeaux pour y choisir les députés aux Etats généraux.

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La convocation des Etats Généraux.

 

La tenue de ces états avait été décidée par un arrêt pris en conseil du Roi le 8 août 1788. Un règlement en date du 2 janvier 1789 avait précisé les conditions dans lesquelles se déroulerait la désignation des députés dans chacun des 3 ordres. Pour le Tiers Etat, ce scrutin se déroulerait à 2 niveaux :

  • celui de la paroisse désignant, suivant l'importance de sa population, de 1 à 2 délégués.

  • celui de la province pour y élire les députés qui se rendraient à Versailles.

Toute personne payant l'impôt royal, quel qu'en soit le montant, avait droit de vote. A aucun des 2 niveaux, il n'y avait de candidat déclaré, chaque électeur était également éligible. Dans tous les villages de la vallée, les scrutins paroissiaux se déroulèrent de la fin janvier à la fin février.

Le scrutin provincial se tint à Bordeaux le 9 mars pour une ouverture des Etats fixée au 5 mai 1789.

Mais dès ces premiers moments des contestations s'élevèrent. Il était prévu que les Assemblées locales devaient se réunir en présence d'un officier de la Justice Seigneuriale qui garantirait la régularité du scrutin.

Or, à Léogeats, les paroissiens, déjà très frondeurs s'étaient bel et bien réunis d'eux-mêmes sans aucun recours aux gens de Justice si bien que le 5 mars, le juge Seigneurial de Noaillan porta plainte contre eux auprès du procureur du Roi en la Sénéchaussée de Guyenne en demandant l'annulation pure et simple de cette réunion irrégulière.

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La rédaction des cahiers de doléances.

 

C'est dans le même temps que les Assemblées Locales travaillèrent à la rédaction de leurs cahiers de doléances, un par village, dont le but essentiel était d'informer le Roi de ce qui n'allait pas dans la France profonde.

Souvenez-vous de l'expression "Ah ! si le Roi savait ça !" Eh bien maintenant il allait savoir…

Aucun de ces cahiers ne nous est parvenu pour la Vallée du Ciron et c'est bien dommage car ceux qui nous ont été conservés ( en particulier pour la région du nord-Gironde) sont particulièrement riches d'enseignements.

Leurs propositions sont souvent judicieuses, elles concernent la fiscalité qu'elles ne remettent pas fondamentalement en cause mais qu'elles veulent voir plus équitablement répartie.

Elles concernent aussi, souvent, une demande d'unification des poids et des mesures etc.… etc.…

Mais il n'est pas tout à fait sûr que ces demandes aient fidèlement rendu compte des véritables aspirations populaires. N'oublions pas que ces cahiers ont été rédigés par ceux qui savaient écrire et que ceux-là étaient déjà des notables dans le village. On peut donc se poser la question de la réelle représentativité populaire des demandes formulées dans ces cahiers.

Dès maintenant les trois coups sont frappés et le rideau va se lever. Mais jusqu'à la mi juillet 89, alors que l'on s'agitait beaucoup à Versailles, il ne se passa rien dans nos paroisses.

Les gens y étaient, à coup sûr, beaucoup plus préoccupés de survivre à la famine que de l'évolution des événements politiques. Et c'est alors que, tout à coup, le 16 juillet, partout en même temps éclata dans la contrée un véritable vent de folie. C'est ce que l'on a appelé " La Grande Peur".

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La grande peur.

 

Nous sommes très mal renseignés sur ce phénomène spontané incontestable mais sur lequel les témoignages fiables sont très rares en ce qui concerne nos villages. Il semble qu'après cette explosion aussi brève que violente, chacun, reprenant son sang froid, se soit rendu compte du ridicule des situations que l'on avait vécues.

On aurait alors cherché à jeter un voile pudique sur ce souvenir désagréable en cherchant inconsciemment à l'effacer de la mémoire collective.

Me Lafargue, Notaire à Langon est l'un des rares témoins à ne pas esquiver l'événement :

"qui imprima à la France, écrit-il, au même jour et presque à la même heure, cette terreur panique qui pénétra dans les lieux les plus solitaires.

Partout on annonçait un ennemi (tout proche) prêt à fondre (sur la population), partout, chacun recueillit (et cacha) ses effets les plus précieux, partout les habitants d'un lieu couraient se réfugier dans un autre qui venait (lui-même) d'être abandonné (par ses habitants)".

 

Et Me Lafargue décrit ensuite la fuite éperdue des habitants de Saint Macaire dont il fut le témoin le jeudi 16 juillet vers 15 h 00 les malheureux se jetèrent follement, en un instant, dans toutes les barques qu'ils purent trouver pour passer la Garonne à force de rames et venir se réfugier à Langon pour fuir d'imaginaires "brigands" tandis que les Langonnais pas rassurés du tout s'apprêtaient à vendre chèrement leur peau.

On sait aussi qu'à Villandraut chacun, le même jour, s'arma comme il le pût pour se porter vaillamment au-devant des "brigands venus de la Teste" qui venaient de ravager Saint Symphorien et Saint Léger tandis que, dans le même temps tout Saint Symphorien prenait massivement les armes pour se porter au-devant des "brigands" qui venaient de dévaster Villandraut.

Ils se rencontrèrent à mi-parcours et coururent sus les uns sur les autres jusqu'à ce qu'ils soient à portée de se reconnaître.

Ce mouvement très général ne dura chez nous que quelques heures mais il fut absolument délirant.

Il fut probablement lié à l'annonce de la prise de la Bastille qui se répandit en province comme une traînée de poudre, un événement plus ou moins vécu comme une transgression fondamentale de l'ordre établi bien plus sensible dans les lointaines provinces qu'il ne fût à Paris même.

Dans certaines régions de France cette grande peur se prolongea en se transformant en séditions locales jusqu'à la fin du mois. Rien de tel dans nos contrées qui ne connurent ni violences, ni exactions envers la noblesse ou le clergé.

Aucune trace n'en apparaît et Me Lafargue, encore lui, l'atteste formellement :

"la Révolution arriva (chez nous) sans aucune secousse… nul n'en souffrit, ni dans sa personne, ni dans ses propriétés ; le clergé et la noblesse n'eurent même (pas à pousser) un soupir (qui fût) fondé, (ni) ici, ni aux environs…"

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La suppression des privilèges.

 

Mais quinze jours plus tard voilà que surviennent d'autres nouvelles, des nouvelles, à vrai dire, inimaginables.

Dans chaque village, le dimanche 9 août à la sortie des messes les notables locaux, gens sérieux et généralement bien informés prétendirent que, dans la nuit du 4 août précédent, tous les privilèges avaient été abolis, les droits seigneuriaux étaient supprimés, le Curé, les Seigneurs allaient payer des impôts comme le premier paysan venu !

La chose parut tellement énorme que, tout au moins dans les premiers temps, on eut beaucoup de peine à y croire.

 

A la fin août, début septembre suivants on trouve encore des Notaires qui n'ont pas réalisé la véritable portée de ces nouvelles dispositions. Dans les actes qu'ils rédigent, ils prévoient encore le versement des redevances féodales.

C'était pourtant vrai. Le 26 septembre, un décret de l'Assemblée Nationale décida que, dans chaque paroisse un rôle complémentaire de perception des tailles serait dressé sans délai pour y assujettir les ci-devant privilégiés sur l'exercice des 6 derniers mois de 1789.

Il fut fait sans tarder mais quelquefois non sans mal ainsi que nous allons le voir dans un instant.

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La pénurie monétaire.

 

Mais c'est ici le moment de rappeler la grave, très grave crise monétaire dont je vous ai entretenu ici-même, l'an passé en pareilles circonstances, et qui en moins de trois semaines paralysa littéralement tous les échanges commerciaux.

Lorsque le Grand Négoce Bordelais, inquiet de la tournure des événements se mit à exiger systématiquement des règlements comptant en monnaie métallique d'or et d'argent. La masse monétaire courante en fut évidemment rapidement réduite et ceci déclencha une panique de thésaurisation.

La bonne monnaie disparut ne laissant subsister que les piécettes de bronze.

L'état tenta de réagir, mais autant on battit de monnaie autant il en disparut tout aussitôt. Et c'est ainsi que l'on en vint à émettre d'énormes masses de piécettes de bronze totalement inadaptées au règlement des échanges courants même les plus modestes.

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La création des communes.

 

C'est aussi le moment où, par une loi du 14 décembre 1789 l'Assemblée Nationale institua dans chaque paroisse un corps municipal permanent. Il n'y en avait jusque là jamais eu.

Quand l'intérêt du village était en jeu, les paroissiens, au cas par cas, se réunissaient en Assemblée Capitulaire à la porte de l'église pour y élire un syndic qu'ils chargeaient de régler le problème.

Et même si, dans les moments difficiles, on a rencontré des cas de syndics permanents, ils n'ont jamais été assistés d'un Conseil. Désormais, chaque paroisse érigée en Commune sera dotée d'un Conseil permanent.

C'est ainsi que, de la simple gestion, l'administration locale allait passer à l'institution politique.

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Monsieur Miran fait de la résistance.

 

Je vous ai dit que l'abolition des privilèges n'avait pas toujours coulé de source. Ici ou là, il y a eu des réactions, parfois violentes.

Ainsi Monsieur Miran fût-il scandalisé d'avoir été assujetti à la Taille Royale sur le rôle complémentaire de Pujols établi pour le second semestre de 1789. Monsieur Miran était avocat auprès du Parlement de Bordeaux depuis tantôt 50 ans mais il était aussi un riche propriétaire terrien à Barsac, Pujols, Budos et autres lieux.

Or c'est Pujols qui avait fait la meilleure diligence pour les nouvelles dispositions fiscales en établissant, le premier, son rôle complémentaire des Tailles recensant les ci-devant privilégiés.

C'est donc sur Pujols que tombèrent les foudres de Monsieur Miran. Il tempêta et proféra toutes sortes de menaces.

"portant, dit le texte, une épouvante momentanée dans l'âme de (ses interlocuteurs)".

Les syndics rédacteurs du rôle rétorquèrent pourtant que, de par sa profession, Monsieur Miran se devait de connaître les lois mieux que quiconque. Peine perdue Monsieur Miran refusait toujours d'être imposé.

De guerre lasse, les Syndics convoquèrent la population Pujolaise en Assemblée Capitulaire le jour de Noël 1789 et là, ils exposèrent à tous la situation en précisant quel mode de calcul ils avaient adopté.

Puis, ils posèrent à l'Assemblée la question de confiance : Fallait-il poursuivre Monsieur Miran ou bien passer la main et laisser tomber ? La réponse de la population unanime fut qu'il fallait le poursuivre.

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Une subtile distinction entre impôt et contribution.

 

Dans les mois qui allaient suivre, Monsieur Miran allait rencontrer bien d'autres motifs de mécontentement. Mais peut-être allait-il aussi être quelque peu réconforté, en apprenant peu après qu'il n'aurait plus à payer d'impôts mais qu'il lui faudrait seulement s'acquitter d'une contribution aux charges de l'Etat.

J'ai déjà eu l'occasion, ici, même, il y a 2 ou3 ans d'attirer votre attention sur cette subtile distinction en précisant que nos ancêtres ne semblaient pas y avoir été sensibles.

Pourtant, et je l'ai découvert depuis lors, on avait pris la peine de la leur expliquer. Je viens de retrouver dans le Dictionnaire de la Constitution de Gautier le texte suivant qui est on ne peut plus explicite :

"Le mot contribution suppose le consentement de celui qui la paye puisque contribuer signifie donner. (Le mot) Impôt appartient au langage despotique ; Un peuple libre n'acquitte que des contributions ; Un peuple esclave paye des impôts."

C'est si clairement expliqué que l'on ne saisit pas très bien pourquoi nos ancêtres ont mis tant de mauvaise volonté à admettre une aussi évidente différence. Entre la contrainte qu'il y a à payer 10 livres d'impôt au Roi et le beau geste libéral du citoyen qui contribue pour 10 livres aux charges de l'état il y a la libre expression du peuple souverain. Dont acte….

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Une bien mauvaise surprise,

un privilège auquel on n'avait pas pensé.

 

Mais Monsieur Miran ne fut pas le seul à contester les suppressions des privilèges.

Les vignerons de nos villages allaient eux aussi en connaître les conséquences. Cette abolition des privilèges avait évidemment été très bien accueillie dans nos campagnes mais une bien mauvaise surprise attendait nos vignerons.

Il n'y avait pas que les nobles et le Clergé qui fussent privilégiés, le dernier des vignerons l'était aussi, mais il ne s'en doutait pas tant il trouvait la chose évidente et naturelle.

Les vignerons de nos contrées avaient le privilège, chaque année, de vendre leur vin sur la place de Bordeaux jusqu'à la fête de Noël à l'exclusion formelle de tous les autres vins venus du Bazadais, de l'Agenais, du Quercy, etc….

Ces vins ne pouvaient être présentés à Bordeaux qu'après Noël. Or, les flottes Anglaises et Hollandaises qui venaient s'approvisionner en vin nouveau arrivaient dans le port pour la foire d'octobre et repartaient dès qu'elles avaient fait le plein de leurs cales au grand plus tard à la fin novembre.

Les vins dit "du haut pays" ne trouvaient à s'exporter que lorsqu'une très mauvaise récolte dans les Graves n'avait pas suffi à satisfaire à la demande étrangère.

En année normale, sitôt les flottes parties les cours chutaient fortement et se stabilisaient à un bien moindre niveau. Seuls, nos vignerons Bordelais pouvaient donc bénéficier de cette situation hautement protégée.

C'était un privilège séculaire et tout le monde de Noaillan à Barsac trouvait cela parfaitement naturel et légitime.

Mais voilà qu'en octobre 1789 les vignerons du haut pays prétendirent, à très juste titre, présenter leurs vins sur le marché bordelais sitôt la fin de leur récolte. Tous les privilèges ayant été supprimés dans la nuit du 4 août. Celui-là, pas plus que les autres n'avait plus sa raison d'être.

On eût beaucoup de mal à se faire à cette idée dans les chaumières locales. Mais dans les mois qui venaient, il allait se passer tant de choses que cette rude déception finit par se noyer dans le bouillonnement du grand chaudron révolutionnaire.

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Election des premiers Conseils Municipaux.

 

Nous avons vu que l'Assemblée Nationale avait institué les municipalités à la mi décembre 1789. Restait à les désigner et à les mettre en place. On s'y attacha dans les premiers mois de 1790.

Nous ne pouvons évidemment entrer ici dans le détail de tous les événements survenus dans chaque commune mais nous examinerons le cas de Villandraut qui est assez caractéristique de ce qui s'est passé un peu partout dans la Vallée.

Le dimanche 7 février 1790 au prône de la messe, le Curé invita les citoyens à se réunir dans l'église le jeudi 11 afin d'y élire le Maire et le Corps Municipal. Mais attention ! Pas tous les citoyens… il s'en fallait de beaucoup….

Certes, on avait bien proclamé la "Déclaration des droits de l'Homme" le 26 août 1789.

Certes, tous les hommes naissaient désormais libres et égaux entre eux mais il faut bien le dire qu'il y en avait qui étaient plus "égaux" que les autres…

Seuls les citoyens dits "actifs" étaient appelés aux urnes.

Et pour être citoyen actif il fallait :

A ce compte là, nombreux étaient ceux qui restaient à la porte des bureaux de vote. Cette convocation fut répétée au son du tambour aux principaux carrefours du village.

Le jour venu, chacun des citoyens actifs dut, en préalable à toute opération, prêter un serment prévu par la Loi. Après quoi on commença par l'élection du Maire. Ce fut Remuzat qui l'emporta par 37 voix sur 47 suffrages exprimés.

Ce Remuzat n'était pas un inconnu, c'était un notable local, l'homme d'affaire du Seigneur de Villandraut. La continuité était donc assurée. Il fit tout aussitôt un beau discours qui fut fort bien reçu par l'Assemblée.

Après quoi, comme tout cela avait pris pas mal de temps et que la nuit était tombée, on renvoya la suite des élections au dimanche suivant. Ce jour là on procéda à la désignation des Conseillers soit : 5 Officiers Municipaux et 12 Notables, membres.

Et qui trouvons-nous parmi ces heureux élus ? 3 chanoines, 1 notaire et quelques riches propriétaires. Dès ses origines la Révolution s'affirmait délibérément bourgeoise.

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Premiers travaux de ces Conseils.

 

Le Conseil se réunit pour la première fois le 18 février, soit donc 4 jours seulement après son élection. C'est essentiellement pour constater qu'aucune ressource qu'elle qu'elle soit n'avait été affectée au fonctionnement des communes démunies de tous moyens.

 

Le toute jeune Municipalité ne pouvait guère nourrir que de très modestes ambitions. Ainsi donc, fort dépourvue, elle décida de s'approprier les recettes collectées auprès des privilégiés sur le rôle complémentaire de la taille établi sur le second semestre 1789.

Elle avait cet argent dans ses caisses et personne n'avait encore pensé à le lui réclamer. Cela faisait 174 livres, soit approximativement le prix de 140 brebis. Cela ne pouvait guère mener bien loin mais c'était toujours mieux que rien.

Cette décision prise, le Conseil s'ajourna au 25 février suivant. Ce jour venu, les Conseillers se retrouvèrent et se demandèrent à quoi ils allaient bien pouvoir consacrer les nouveaux pouvoirs qui leur avaient été définis par la Loi du 14 décembre 1789.

Il faut bien nous garder de sourire de leurs interrogations. Essayons plutôt de comprendre leurs hésitations car tout, tout, absolument tout était à inventer.

Ils décidèrent de s'occuper d'abord de salubrité publique et le discours que le Maire adressa à son Conseil nous a heureusement été conservé. Il nous fournit une bonne idée de ce que pouvait être, alors, le bourg d'un de nos villages :

"(l'air) que nous respirons devient d'autant plus infect et dangereux que les boues dont ce bourg abonde… sont sans cesse remuées par un nombre considérable de cochons qui s'y vautrent tout le long du jour…"

Le Maire rappelle ensuite que ces divagations d'animaux sont interdites et poursuit, en déplorant que ces cochons :

"ne cessent d'infecter (notre bourg) non seulement par des excréments multiples et journaliers qu'ils y répandent, mais encore en se vautrant, suivant leur inclinaison naturelle dans les différents bourbiers."

Enfin, dernier argument et non le moindre, ces animaux sont dangereux, tant il est vrai que :

"la voracité du cochon… prototype de la gourmandise, a souvent causé des accidents…qui font gémir les cœurs sensibles."

Voilà qui est dit et bien dit et à compter du lundi suivant toute divagation de cochon dans les rues du village sera sanctionnée par une amende de 3 livres.

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Création et mise en place des Gardes Nationales.

 

Depuis le 20 août de l'année précédente le pouvoir avait préconisé la création dans chaque commune d'un bataillon de gardes municipaux, en armes, recrutés sur place parmi les citoyens.

Villandraut fut la première commune, en Gironde, tout juste après Bordeaux, à se doter de cette nouvelle institution.

Un peu partout, la mise en place de ces unités paramilitaires s'improvisa rapidement avec les moyens du bord. L'armement fut constitué, le plus souvent, par les fusils de chasse des citoyens volontaires et bénévoles.

D'uniformes ? Il ne pouvait guère en être question sauf pour leur encadrement assuré, vous vous en seriez douté, par les notables locaux.

Et ceux-là prirent un vif plaisir à s'offrir, à leurs frais d'ailleurs, quelques tenues rutilantes qui leur conféraient dans le village une autorité de bon aloi.

Si les communes de la Vallée se contentèrent de constituer un simple bataillon, Villandraut n'hésita pas à se doter d'un régiment encadré par un Etat Major très étoffé avec :

à Un Colonel élu.

à Un Major.

à Deux Capitaines.

à Deux Lieutenants

Et je ne sais trop combien de sergents, etc…etc… Bref, une véritable armée digne d'une république bananière.

En attendant, les choses allaient bon train, les réformes pleuvaient littéralement sur le pays. Le 2 novembre 1789 l'Assemblée Nationale avait nationalisé les biens de l'Eglise et dès le lendemain 3 novembre, pour faire bonne mesure, elle avait supprimé les Parlements.

Le Pouvoir Royal s'y était essayé mais s'y était cassé les dents. Mais cette fois-ci la mesure passa presque inaperçue, dans l'indifférence générale. On en avait déjà vu d'autres et on allait, bientôt, en voir beaucoup plus encore….

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Quelques vieilles habitudes résistent encore.

 

Et pourtant au sein de ces chamboulements chaotiques certaines pratiques, en d'autres domaines, poursuivaient leur cours.

Les nobles locaux, toujours, plus ou moins, à court d'argent poursuivaient leurs vieilles habitudes et continuaient à emprunter de l'argent car nombre d'entre eux vivaient purement et simplement à crédit.

A qui empruntaient-ils ? A ceux qui en avaient bien sûr, quelques riches veuves ou quelques bourgeois terriens, ici encore des notables.

Entre la Noël 1789 et le premier de l'an, le Baron de Larroque, Seigneur de Budos qui, selon son habitude, passait l'hiver en son hôtel bordelais, s'en vint faire un saut en son château de Budos. Et là, il fit venir le citoyen Latapy qui habite au bourg du village et lui emprunte 40.000 Livres en belle et bonne monnaie d'or et d'argent.

Vous avez bien compris, 40.000 Livres ! soit la valeur de 1.600 barrique de vin local ! Cela représentait des sacs et des sacs d'or et d'argent que Latapy fut capable de lui remettre, là, sur le champs, en présence du notaire.

On peut se demander comment il avait pu conserver et protéger chez lui une telle somme, d'autant que, la chose mérite d'être soulignée, nous sommes là en pleine période de pénurie monétaire, au cœur de la crise de thésaurisation qui paralyse le commerce dans tout le pays.

Cette anecdote éclaire un aspect important de la Révolution. Les nobles jouissaient de privilèges et recevaient honneurs et considération mais c'étaient souvent les bourgeois et les négociants qui détenaient l'argent et ce sont eux, du moins en ses débuts, qui ont porté la révolution à bout de bras.

Deux mois après ce prêt, Latapy allait devenir le premier Maire de Budos. C'est tout un symbole.

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Une nouvelle organisation du territoire,

la création des départements.

 

Le 15 janvier 1790, l'Assemble Nationale divisa le territoire en 83 départements. Ce jour là disparut notre province de Guyenne pour voir apparaître la Gironde. Chaque département fut, à l'origine, subdivisé en districts.

En amont de Léogeats la Vallée du Ciron fut rattachée au district de Bazas. En aval, la rive droite fut attribuée à Langon et la rive gauche à Cadillac. Ceci ne faisait guère l'affaire de Budos, Landiras, Pujols, Illats, etc… qui dépendaient désormais d'un chef lieu situé sur l'autre rive de la Garonne en un temps où il n'existait encore aucun pont.

 

Les traversées étaient alors assurées par des bacs gouvernés par des passeurs qui, à tort ou à raison, avaient toujours eu une assez mauvaise réputation. Non contents d'avoir à subir les caprices de la Garonne, les citoyens de ces communes devaient également compter avec ceux des bateliers.

Dans le cadre de ces nouvelles structures administratives, chacun essayait de trouver ses marques et de définir les limites de ses compétences, le plus souvent au détriment de son voisin.

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Premiers conflits d'autorité.

 

Les jeunes institutions dont les pouvoirs n'étaient pas encore rigoureusement définis n'échappaient pas à ce risque. Un incident survenu à Villandraut à la fin avril 1790 est, à cet égard, tout à fait significatif.

Dès les premiers mois de son existence la jeune Municipalité avait montré beaucoup de zèle dans la gestion des affaires communales. Ce faisant, elle avait bien affirmé sa volonté d'assurer cette gestion sans partage.

Or, il était inévitable qu'une telle gestion ait pu léser, ici ou là, quelque intérêt particulier et suscité des mécontentements et c'est bien ce qui arriva.

Sous l'Ancien Régime, et jusqu'à la fin de l'année précédente, les syndics paroissiaux étaient élus pour exécuter les décisions prises par l'Assemblée du village. Feignant de croire qu'il en allait de même avec la nouvelle Municipalité quelques mécontents se mirent en tête de convoquer de leur propre mouvement une Assemblée Capitulaire selon les anciens usages.

C'était formellement méconnaître les nouvelles institutions communales auxquelles la Loi avait confié, pour la durée d'un mandat, une délégation générale pour la conduite des affaires du village.

Au prône du dimanche 25 avril 1790, circonvenu, on ne sait trop comment, le Curé annonça la convocation de cette Assemblée pour l'après midi du même jour à la sortie des vêpres.

Quelques citoyens, peu nombreux, y répondirent et au terme de leur délibération prirent un certain nombre de décisions qu'ils signifièrent sans plus tarder à la municipalité pour exécution.

C'était parfaitement illégal. Le conflit était ouvert. Trois jours plus tard, le Conseil Municipal se réunit et, se référant à la Loi déclara nulles et non avenues les délibérations prises le dimanche précédent.

Et pour faire bonne mesure, il décida également que les dispositions légales régissant les pouvoirs de la Municipalité ferait l'objet d'une lecture publique, par le même Curé, au prône de la messe du dimanche suivant.

Un peu partout, les Municipalités ont ainsi besoin d'affirmer leur autorité. Elles le font surtout dans l'exercice de leurs nouveaux pouvoirs.

Et en cela, elles auraient pu entrer en conflit avec les justices seigneuriales qui les avaient jusqu'ici exercées et qui sont encore en place. Elles ne disparaîtront que six mois plus tard en décembre 1790.

Et là, il semble bien qu'il n'y ait pas eu de conflit, aucun écho ne nous en est parvenu. Tout simplement peut-être parce que les Officiers de Justice des Cours Seigneuriales tous, notables locaux, se sont tout naturellement retrouvés membres ou même dirigeants des nouveaux Conseils Municipaux.

Comment seraient-ils entrés en conflit avec eux-mêmes…?

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Intervention de police.

 

Ces interventions de police pleine de zèle, au début, sont assez fréquentes.

Ainsi le 17 mai 1790, jour de foire à Villandraut, on voit le Corps Municipal, au grand complet, faire une descente sur les places du village pour saisir tous les poids et les mesures dépourvus d'estampille de conformité et prononcer sur le champs des condamnations à 30 sols d'amende à l'égard de chaque contrevenant et ils en trouvèrent pas mal. L'affaire fit grand bruit.

Et détail illustrant bien la grande détresse financière dans laquelle se trouvait la commune, le produit de ces amendes fut affecté :

"à l'achat de balles et de poudre pour s'en servir en cas de trouble sur la foire, et le reste à être distribué aux soldats patriotiques de la garde"

Et bien, cette garde, parlons-en …

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Des conflits éclatent entre la Municipalité

et la Garde Communale.

 

Dès le mois de janvier 1790, on avait commencé à déceler, ici ou là, dans les toutes jeunes communes, une sourde hostilité entre les deux nouvelles institutions, la Municipalité et la Garde Communale.

La seconde aurait logiquement dû être au service de la première mais…. mais…. ce n'était pas toujours aussi évident que cela. Ne nous y trompons pas pour autant, il n'y avait au fond de ces conflits larvés que de très banales querelles d'influence entre quelques notables locaux. Il n'en reste pas moins que le malaise était bien réel.

Prenons, parce qu'il est encore une fois significatif, l'exemple de Villandraut.

Faute de disposer de locaux adéquats la Garde Communale locale tenait ses quartiers dans la même salle où le Conseil Municipal tenait ses séances. Le 12 juin 1790, il se trouva que la Municipalité eût à délibérer sur le cas du tambour de la Garde qui avait tenu publiquement des propos scandaleux propres à troubler la tranquillité publique.

Pour assurer la confidentialité de leur délibération, les Conseillers prièrent les gardes présents de bien vouloir se retirer quelques instants. Cette très modeste demande provoqua immédiatement dans la troupe une rumeur qui, comme une traînée de poudre, enflamma tout le régiment.

Le Conseil les avait chassés de leur local !!!!

La garde se mit aussitôt en quête d'une maison à réquisitionner, fut-ce par la force.

Dès qu'il en fut informé, le Conseil s'alarma de la tournure que prenait l'incident et dépêcha deux de ses membres auprès de l'Etat Major de la Garde pour dégonfler la baudruche et lui expliquer l'exacte portée de cette modeste affaire.

Peine perdue, le conflit s'envenima et la Municipalité finit par abandonner à la Garde l'entière disposition de la salle commune.

Les réunions du Conseil se tinrent désormais à tour de rôle au domicile de chacun des Conseillers tandis que la Garde cultivait son oisiveté dans la salle qu'elle avait conquise de haute lutte. La garde de Villandraut ne devait pas oublier cette victoire.

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Un besoin de reconnaissance.

 

Cet incident est tout à fait significatif. La plupart des hommes que nous venons de voir s'affronter d'un bord comme de l'autre, étaient des notables du village. Sous l'Ancien Régime, ils avaient, bien souvent montré leurs capacités à gérer leurs affaires privées, mais nombre d'entre eux n'avaient guère eu l'occasion de gérer des affaires publiques et, sur ce plan, se sentaient, en quelque sorte, en manque de reconnaissance.

Or, voilà que les circonstances leur offraient, d'une façon inespérée l'occasion de montrer leurs capacités.

Il n'y a donc rien d'étonnant à, ce qu'ils se soient montrés particulièrement jaloux de leurs toutes nouvelles prérogatives et qu'ils aient activement cherché à marquer chacun leur nouveau territoire fut-ce au détriment de leurs plus proches voisins.

Ces gens là se voulaient importants et voulaient être reconnus comme tels. Et le fait que le régiment local fut plutôt désœuvré ne pouvait que renforcer la volonté de son Etat-Major dans sa volonté d'affirmer sa présence.

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La sécurité de la circulation passe par des limitations de vitesse.

 

La Municipalité avait moins de soucis à cet égard. En effet, à défaut de s'engager dans des projets dont, faute de ressources, elle n'aurait pu assurer le financement, elle pouvait néanmoins s'estimer utile en d'autres domaines notamment en matière de police.

Nous en avons déjà parlé mais c'était là, vraiment son domaine de prédilection.

Peut-être entretenez-vous le sentiment que notre temps, s'il n'a pas tout inventé, a du moins inventé bien des choses. Certes ! Mais sachez au moins qu'il n'a pas inventé les limitations de vitesse des circulations.

Le 26 août 1790 la Municipalité de Villandraut prit un Arrêté interdisant formellement à tout cavalier de traverser le village au galop. Et pour faire bonne mesure le texte précisait que cette mesure connaîtrait une tolérance zéro :

"tout cavalier de quelque condition qu'il soit…!

disait-il, la chose était bien claire.

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La Constitution Civile du Clergé.

 

Plus sérieusement c'est au cours de ce même été 1790 que vont être prises à Versailles des décisions d'une toute autre importance et tout spécialement la constitution civile du clergé votée à l'Assemblée Constituante le 12 juillet 1790.

Cette mesure visait à créer une église nationale dont les prêtres deviendraient fonctionnaires, nommés et appointés par l'Etat. C'était une suite assez logique de la nationalisation des biens de l'Eglise.

On avait disposé de ses biens au profit de la Nation mais on prenait en charge la subsistance de ses prêtres. Le 26 novembre l'Assemblée décida que ces prêtres devraient prêter serment à la Constitution. C'était aller plus vite que la musique car cette Constitution n'était pas encore rédigée et ne sera votée que 9 mois plus tard le 3 septembre 1791.

Jusque là, tout va bien et Louis XVI lui-même approuve la mesure. Mais voilà que le 10 mars 1791 le Pape Pie VI déclare que l'Eglise Catholique ne peut accepter de voir ses prêtres désignés par une autre autorité que celle de sa hiérarchie. Et il interdit à ses prêtres de prêter le serment requis.

Certain prêtres passèrent outre en acceptant de le prêter et devinrent "les Jureurs" ou "Constitutionnels" tandis que les autres s'y refusèrent devenant les "non Jureurs" ou " Réfractaires".

Dans notre région le partage se fit de façon inégale selon les différents districts. Sur celui de Bazas 68 Prêtres jurèrent et 13 refusèrent le serment. Mais à défaut de chiffres, autant que l'on puisse en juger, les "jureurs" furent moins nombreux sur les districts de Cadillac et de Langon.

C'est à partir de là que tout se mit à déraper. Les Prêtres réfractaires furent purement et simplement révoqués de leurs fonctions. Leur expulsion souleva tout aussitôt quantité de problèmes ne serait-ce que celui de leur remplacement car, avec un effectif ainsi réduit nombre de petits villages ne furent plus desservis.

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Quelques conséquences locales.

 

A Budos, le Curé Dorat refusa le serment mais, entêté comme il l'avait d'ailleurs été pendant toute sa vie, il refusa aussi d'abandonner son ministère.

Un dimanche matin, pendant la messe, son église fut envahie par un commando de sans culottes dont on nous dit

"qu'ils venaient d'ailleurs…."

Le Curé était en chaire en train de prononcer son sermon. Les intrus l'en descendirent sans ménagement, le tirèrent sur la place publique et le contraignirent à danser, vêtu de ses ornements devant toute la population que l'on avait fait sortir de l'église.

Ce pauvre homme avait alors 75 ans.

Les Budossais n'apprécièrent pas du tout cette mascarade. Certes, ils avaient souvent été en conflit avec le Curé Dorat, 25 ans auparavant, ils l'avaient même traîné devant les tribunaux, c'est tout dire.

Mais c'était leur Curé et ils n'entendaient pas, mais alors pas du tout, que des gens venus de l'extérieur viennent se mêler de leurs affaires. Et encore moins de façon aussi fracassante.

Ce n'était pourtant qu'un début. Ce pauvre Curé Dorat ne le comprit pas assez tôt et il finit quelques mois plus tard par être arrêté, conduit en prison à Bordeaux puis transféré dans la forteresse de Blaye où il mourut d'épuisement peu de temps après.

Le Curé Saint Blancart qui desservait une paroisse de l'Entre Deux Mers près de Targon avait été plus prudent. Ayant, lui aussi, refusé de prêter le serment requis, il avait abandonné sa cure de lui-même pour venir se réfugier à Budos auprès de sa famille qui vivait au quartier de Médouc.

Il espérait s'y faire oublier, mais il célébra nuitamment dans le chai familial quelques messes clandestines qui attirèrent bientôt beaucoup de Budossais, trop de Budossais. La chose se sut, il fut dénoncé et arrêté à son tour.

Plus perspicace fut le Curé Pradié, Curé de Balizac, lui aussi "non jureur." Il était originaire du diocèse de Mende. Il disparut sans crier gare, sans que l'on sache ce qu'il était devenu.

Probablement réfugié loin de tout, dans sa Lozère natale. Il reparut, après la tourmente, bien des années plus tard, tout aussi discrètement qu'il avait disparu.

Il reprit sa place dans son presbytère comme si rien ne s'était passé.

Nous sommes là au début du printemps de 1791. On sent bien que la Révolution se radicalise.

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Le pic de l'Emigration.

 

C'est à ce moment là que les nobles de la région émigrent en masse. Certains étaient déjà partis depuis plusieurs mois mais il semble bien que les mois de mars et avril 91 aient marqué le moment le plus fort du mouvement.

Il est très difficile d'être plus précis car ces départs se sont évidemment décidés dans la plus grande discrétion. C'est à ce moment là que le baron de Larroque, seigneur de Budos paraît au village pour la dernière fois. Sa mère, sa femme et sa fille se réfugièrent à Bordeaux et ne reviendront jamais à Budos.

 

L'apparition des Sociétés Populaires.

 

C'est aussi le moment où, un peu partout dans les villages se créèrent des sociétés populaires, souvent filiales des grands clubs parisiens, Jacobins et autres, se donnant pour mission de traquer les facteurs de désordre et de veiller à la bonne application de la Constitution.

Les toutes premières qui se forment sont celles de Villandraut le 5 mars 1791 et bientôt après de Noaillan. Celle de Villandraut se réunissait deux fois par semaine, les mercredis et dimanches soir. Celle de Noaillan d'une façon un peu moins régulière semble-t-il.

On y discutait à l'infini et faute d'activité concrète, on en vint très vite à analyser de façon plus ou moins bienveillante le comportement des citoyens locaux. Il ne semble pas que, sauf exception, les petits villages soient tombés aussi facilement dans ce travers.

En tout état de cause, ce n'était pas encore très grave mais cela allait bientôt le devenir jusqu'à effrayer les membres de ces sociétés eux-mêmes.

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La fuite du Roi à Varennes.

 

C'est aux premières heures du dimanche 26 juin 1791 que, dans tous les villages de la basse Vallée du Ciron, parvint la nouvelle de la fuite du Roi et de son arrestation à Varennes le lundi 20 juin précédent.

La nouvelle aurait dû, normalement, parvenir plus tôt, mais elle avait été filtrée à deux niveaux, le temps, pour l'Assemblée de prendre deux décrets et pour le département un Arrêté.

La nouvelle de l'événement et les textes l'accompagnant, fut immédiatement communiquée aux villageois au prône de la messe du même jour, là où, du moins, il y avait encore un Curé; ailleurs par les Municipalités.

Il s'ensuivit partout une très vive émotion qui, dans chaque village, se traduisit par des démonstrations publiques de fidélité à la Constitution.

 

La fête de la Fédération de 1791.

 

C'est dans cette ambiance à la fois exaltée et inquiète que, trois semaines plus tard se célébra la seconde fête de la Fédération.

Le 14 juillet1791, selon les instructions reçues du département, tous les citoyens se réunirent dans les églises à midi précise pour y entendre des discours enflammés et y renouveler leur serment à la Constitution.

A Villandraut, la citoyenne Dartigolles, chef du régiment féminin, monta à l'autel brandissant un sabre nu et prononça un discours plein d'enthousiasme qu'elle conclut en jurant

"d'élever ses enfants dans les principes de la Constitution, qu'elle maintiendrait jusqu'à la dernière goutte de son sang".

Dans la suite des événements, la Nation ne lui en demanda pas tant. Mais, de fait, sa descendance ne remit jamais en cause les principes républicains qu'elle avait si bien su inculquer à ses enfants.

On peut dire que là, vraiment, la Grande Révolution était désormais en marche.

Peut-être aurons-nous, une autre fois, l'occasion de mettre nos pas dans les siens.

 

Jean DARTIGOLLES.

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Réalisée le 19 avril 2005  André Cochet
Mise ur le Web le      avril  2005

Christian Flages

Mise à jour le 

                 

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