Conférence de M. DARTIGOLLES.

 2 MARS 2001 à Bommes

La vie quotidienne des femmes et des enfants du XVIIe au XXeme siècle.

Dans la haute vallée du CIRON.

 

 

 

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Sommaire : 

Introduction.
La naissance.
Survivre aux épidémies et aux maladies.
Les prénoms et surnoms.
La maison et le mobilier.
La daoune et la hiérarchie des femmes dans la maison.
Le savoir des femmes. Leur instruction.
Les enfants. Le travail aux champs. Le travail à la maison.
Les loisirs et la diffusion de l’information.
L’argent de poche des enfants.
Le vêtement.
L’alimentation. La subsistance.
Conclusion
.

 

Introduction :

L’histoire que l’on nous enseigne est, en général, une histoire évènementielle, c’est-à-dire qu’elle relate les grands évènements, et nous raconte la vie des grands hommes, mais plus rarement nous parle-t-elle des humbles et tout spécialement des paysans.

Et lorsque, d’aventure, elle s’en soucie, elle aborde le sujet d’une façon plus spécifiquement masculine, laissant dans l’ombre tout ce qui concerne les femmes et les enfants. C’est la raison pour laquelle je me propose ce soir de brosser un petit panorama de cette vie quotidienne des femmes et des enfants, telle qu’elle s’est déroulée dans nos contrées de la vallée du CIRON, depuis la fin du règne de LOUIS XIV jusqu’aux abords de la guerre de 1914.

Mon ambition et mon bonheur seraient de vous impliquer dans mon propos. J’aimerais vous voir entrer véritablement dans la peau de ces personnages de façon à partager leur sort, leurs fortunes et leurs infortunes.

Certes, cela vous demandera un très, très gros effort d’imagination mais, dans un temps où l’interactivité règne dans tous les compartiments de la communication, je pense que cette pressante sollicitation ne devrait pas trop vous surprendre.

 Ce sont là vos parents. Vous avez deux parents, 4 grands-parents, 8 arrières-grands-parents et puis, en enchaînant suivant une progression géométrique de raison 2, comme toute ascendance vous avez 16, 32, 64, 128, 256, 512, et 1024 parents.

Rassurez-vous, je n’irai pas plus loin. Mais pourquoi 1024 ? C’est tout simplement parce que cela représente la 10e génération, et que, pour des gens à peu près de votre âge, la l0e génération c’est l’extrême fin du règne de LOUIS XIV.

Donc,  pour que vous soyez ici ce soir, il a fallu 1024 ancêtres à ce moment-là, et puis il a fallu aussi, non seulement ceux de la 10e, mais de la 9e, 8e, 7e génération etc. Et si l’on fait le total de ces 10 générations, vous vous apercevrez, vous pourrez faire le compte en rentrant chez vous tout à l’heure, qu’il faut très exactement 2046 personnes, moitié hommes et moitié femmes, qui se soient rencontrés pour que vous soyez ici ce soir.

 Et s’il en manquait un seul, toute votre ascendance s’effondrerait comme un château de cartes, et vous ne seriez pas là. Avouez que ce serait bien dommage.

 Ainsi donc, 2046 personnes dans une période, en ce début du XVIIIe siècle, où plus de 80% de la population de la France était rurale. Et elle le restera longtemps puisque, sous la Seconde République, elle sera encore rurale à peu près aux 2/3.

 Nous sommes tous, tous, absolument tous d’origine paysanne, même ceux d’entre vous qui pourraient s’imaginer être d’origine purement citadine. Vous n’avez pas une chance sur 1000 d’être d’origine purement citadine. Disons que ceux d’entre nous qui sont les moins liés à la ruralité ont 2 ou 3 cents ancêtres paysans et puis, les autres, beaucoup plus, sans parler de ceux qui, comme moi, sont enracinés dans ce pays et peuvent en avoir jusqu’à 1900 et 2000 sans aucune difficulté.

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La naissance :

Vous êtes nés à la maison. Ce jour-là,  on a exclu tous les hommes. Ils sont là, sous l’auvent qui sert de hangar. Et l’intérieur de la maison reste le domaine des femmes où se trouve votre mère, bien sûr, et puis sa propre mère si elle vit encore, ainsi que ses sœurs, ses voisines, ses amies, ses cousines, bref un domaine entièrement féminin qui bourdonne autour de la sage-femme que le Gascon appelle la  "broye-hemne ". Vous apprécierez la nuance entre le gascon et le français : la broye-hemne c’est " la jolie femme ".

Cette sage-femme n’a aucune compétence médicale particulière, elle a été élue. Un jour, les femmes du village en âge de procréer, en état de situation de mariage, se sont regroupées dans le cimetière, devant la porte de l’église, et là, à l’exclusion de tout homme, ont largement débattu pour savoir laquelle d’entre elles, elles désigneraient comme étant celle qui aurait leur confiance pour devenir " la sage-femme ".

Lorsque ce choix a été établi, elles sont entrées dans l’église où le curé les attendait (mais le curé n’a pris aucune part à cette désignation). Et il fait jurer à la nouvelle élue, sur les saints évangiles, qu’elle se comporterait en toute circonstance en bonne chrétienne, tant on avait peur qu’elle puisse se transformer en faiseuse d’ange.

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Survivre aux épidémies et aux maladies :

Ce n’est pas tout que de naître, encore faut-il survivre, et là, vous allez être l’objet d’agressions multiples auxquelles vous avez échappé, (la preuve, c’est que vous êtes là !), Mais des agressions extrêmement nombreuses.

Celles des épidémies tout d’abord. Il y a longtemps que la lèpre a disparu, au Moyen Age ; la peste a aussi disparu mais plus récemment. La dernière épidémie est celle qui a affecté la région d’Aix-en-Provence vers 1705. Chez nous, c’est terminé.

Restent tout de même, et c’est extrêmement important, la variole et le choléra. La variole va s’estomper avec l’apparition de la vaccine de Jenner qui nous vient d’Angleterre, cette vaccine qui fait l’objet de vives contestations de la part du Parlement de Bordeaux par exemple, qui interdit, par un arrêt, à toute personne vivant dans son ressort (et nous étions tous ici sur son territoire) de se faire vacciner.

Il a fallu que Louis XVI (qui n’était pas, à beaucoup près, cet espèce de benêt que l’histoire nous présente), ayant saisi, très intelligemment, la portée de ce geste, se fit vacciner, très solennellement, devant toute sa cour. Ce qui, évidemment, ; changea le cours des choses

Et la variole, de ce fait, va disparaître lentement au fil de la Révolution et du Premier Empire On n’en parlera plus à la fin du  XIXe siècle.

Par contre, le choléra a subsisté très longtemps et la dernière grande épidémie de choléra en Europe Occidentale est celle que l’on a dénommée,  sous une forme variante, du nom de grippe espagnole en 1918 et qui a fait des centaines de milliers de victimes en allant de l’Espagne jusqu’au Danemark.

Outre les épidémies, se rencontraient des risques très graves du fait des maladies infantiles, mais également d’accidents de parcours que nous considérons aujourd’hui comme bénins. Une simple crise d’appendicite, ne l’oublions pas, a été mortelle très souvent jusqu’aux abords de la guerre de 14.

Vous avez eu, dans votre enfance, 3, 4, 5, 6, frères et sœurs. Ce sont des familles très nombreuses et vous allez les voir mourir les uns après les autres Et ceci va vous paraître, ainsi qu’à vos parents, tout à fait naturel. On est très familier avec la mort.

Rendu à l’âge adulte, c’est-à-dire l’âge de votre mariage, vous allez en avoir conservé 1 ou 2, les familles sont de 2 ou 3 garçons et filles.

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Les prénoms et surnoms :

Mesdames, vous avez toutes les chances de vous appeler Marguerite, Catherine, Jeanne ou Marie. Disons que 80 % des filles se retrouvent sous ces 4 vocables.

J’ai une ancêtre qui s’appelait Jeanne et qui a eu 2 jumelles et comment les a-t-elles appelées ? Eh bien !  Tout simplement, Jeanne et Jeanne. Et puis un autre également, lui s’appelait Jean, est mort en 1750. Il avait eu 3 fils qu’il a dénommés : Pierre, Pierre et Pierre.

En ces jours là, bien sûr, l’imagination n’était pas au pouvoir. Qu’importe, au demeurant, car on désignait surtout les gens par un surnom, ce qui était extrêmement important,  du fait de la rareté des prénoms, (et c’était bien pareil pour les hommes).Je me suis amusé à faire une espèce de photographie de tous les gens qui vivaient d’une façon contemporaine à BUDOS en un certain moment.  Et là, je me suis aperçu qu’il y avait 12 filles ou femmes qui s’appelaient Jeanne LACASSAGNE ! Alors comment les distinguer, sinon par un surnom qui était bien connu de tout le monde, et chacun disait : je m’appelle Untel, dit Untel.

Ces surnoms étaient, soit un diminutif : Margoton, Caton pour Catherine ou bien un descriptif de la taille, ou d’un tic, ou d’un travers, ou de la couleur des yeux. Peu importe, l’imagination était là très débridée et bien souvent encore, d’une façon beaucoup plus simple, on vous désignait par votre ordre d’arrivée en ce bas monde : 2e, 3e, 4e etc.

J’ai encore connu, c’est vous dire que la chose a duré longtemps, au fil des années 30, une Seconde, une Cinquième et une Septième C’était donc un usage parfaitement établi.

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La maison et le mobilier:

Venons en à votre maison. Tout d’abord, regardons l’aspect extérieur : 

Dans les zones proches de la Garonne où on trouve de la pierre abondante dans le terrain, ces maisons vont être construites en moellons. Mais dès que l’on arrive dans le sable de la lande toute proche d’ici, à la limite de BUDOS et de LEOGEATS, BALIZAC, les maisons vont être, très souvent, construites en torchis.

Le torchis est un matériau qu’il ne faut pas sous estimer car il est très isolant, aussi bien au froid qu’à la chaleur, et il est suffisamment résistant. La preuve en est, c’est que dans les pays où on ne l’a pas expressément démoli, dans la grande lande, du côté de SORE par exemple, vous en trouverez de encore nombreux exemplaires

On construisait des maisons à colombages comportant une forte charpente verticale, avec des croisillons de bois, et on garnissait les intervalles avec de la paille de seigle tressée que l’on pétrissait avec de la glaise. On colmatait tous les trous avec d’autre glaise et, par-dessus, on passait un badigeon de chaux vive, à l’extérieur et à l’intérieur

Ceci vous explique  que tous les voyageurs qui ont traversé notre pays au fil du XVIIe siècle nous racontent qu’ils sont entrés dans des maisons pauvres, très pauvres même quelquefois, mais toujours parfaitement nettes et bien tenues.

Cette impression était donnée par la blancheur des murs qui étaient entretenue par un badigeon renouvelé au minimum une fois par an, au printemps, et ceci était absolument nécessaire car l’éclairage dépendait de la chandelle de résine qui donne beaucoup plus de fumée que de lumière, Une fumée très grasse qui collait littéralement au plafond et aux murs et noircissait toutes les surfaces

Au sol, vous allez trouver de la terre battue  Les premiers carrelages apparaissent vers le milieu du XVIIIe siècle et vont se répandre, plus généralement chez les paysans fortunés, jusqu’à la Révolution. J’ai même trouvé un plancher de bois de pin dans une maison juste avant la Révolution Il y a là une incontestable évolution.

La toiture est faite de tuiles, à peu près partout, pour la maison. Les dépendances sont généralement couvertes en chaume.

Entrons dans cette maison : donc, tout de suite, impression de blancheur, et cette manière de blanchir les murs s’est prolongée très longtemps car, la dernière fois que j’ai vu blanchir les murs de notre vieille maison, ce fut en 1938, c’est donc quand même assez récent.

Notre première surprise en entrant dans cette maison est qu’elle ne comporte qu’une seule pièce. Une pièce très vaste, largement dimensionnée, rectangulaire, qui comporte sur l’un de ses petits côtés une grande cheminée. Et, dans cette pièce, on va trouver toute la vie de la maison, on va faire la cuisine, on va manger, on va dormir. Une pièce, et c’est au cours du XVIIIe siècle que ces maisons vont s’agrandir et acquérir quelques autres pièces.

Certes, certains riches paysans ont déjà des maisons à plusieurs pièces vers la fin du XVIIe siècle. Mais c’est une nouveauté et ce n’est pas très répandu, c’est très loin d’être une règle générale. A ce moment-là, c’est la pièce unique qui domine.

Donc, au fil du XVIIIe siècle, vous allez voir apparaître une seconde pièce, une troisième et quelquefois une quatrième à la veille de la Révolution. Reste que, au cours  du XIXe siècle, il va encore exister chez nous nombre de maisons qui n’auront encore qu’une pièce unique.

Mais les pièces vont se spécialiser, et on peut dire que le XVIIIe siècle a été le siècle de la conquête de l’intimité En particulier du fait que l’on a séparé les pièces à vivre des pièces à dormir

Dans la cheminée, on entretient du feu, pendant 365 jours par an, même aux jours les plus chauds de l’été, car il faut bien satisfaire aux exigences de la cuisine. Vous aurez un grand feu l’hiver, un petit feu l’été, mais il y aura toujours du feu.

Dans les deux coins de la pièce encadrant cette cheminée, il y a deux lits, d’un côté le lit des parents, de l’autre côté le lit des grands-parents. Ces lits sont en bois, assez élevés, généralement en pin, les plus riches en noyer et, quelquefois, en bois fruitier, quelquefois vous en trouvez un ou deux en cerisier.

Ces lits comportent un ciel de lit supporté par des colonnes avec des tringles tout autour et un rideau coulissant qui permet de les fermer complètement

La literie est constituée d’une grosse paillasse très épaisse, (elle fait facilement 40cm de haut) dans laquelle on met de la paille de maïs. A l’origine on y mettait de la paille de seigle mais elle a un gros inconvénient : elle se feutre, s’écrase et finit très rapidement par faire une galette très dure, ce qui est très inconfortable.

Ce maïs est arrivé chez nous vers 1750, venant du Béarn et de la Chalosse où il était connu depuis la fin du XVIe siècle, mais il n’avait pas traversé les Landes, (chez nous, on le voit apparaître dans les mercuriales des marchés à peu près vers le milieu du siècle).

On s’est alors aperçu que la paille de maïs avait la particularité de ne pas trop s’écraser et, surtout, qu’on pouvait lui redonner une consistance aérée dans la mesure où on la brassait.

Ces paillasses étaient faites en coutil, une espèce de grosse toile, qui a duré très longtemps, vous en avez même peut-être chez vous dans quelque grenier. C’était une toile généralement gris-bleuté. Sur le dessus, il y avait 4 ouvertures dans lesquelles on pouvait passer les mains et brasser la paille. Il arrivait souvent que cette opération dérange quelques souris qui avaient vécu dans l’intimité de votre chaleur au fil de la nuit et qui étaient entrées, là, attirées par quelques grains de maïs oubliés dont elles étaient fort friandes. Ceci n’attirait l’attention de personne, tout le monde trouvait cela parfaitement naturel.

Lorsque l’on a commencé à spécialiser les pièces, ce sont les lits qui sont sortis les premiers de la salle commune.

Mais, j’allais oublier de vous parler des deux autres coins de la pièce où se trouvaient les lits des enfants : d’un côté les garçons, de l’autre côté les filles. Il n’y avait généralement pas de bois de lit, c’était un simple cadre de bois posé au sol avec la paillasse directement posée sur le sol. La literie était constituée ensuite d’un drap unique, qui faisait à peu près entre 4 mètres 20 et 4 mètres 60, que l’on repliait en portefeuille.

La literie à deux draps est apparue, je ne sais trop quand, je n’ai pas trouvé de date précise, mais disons au début du XIXe siècle, en tout cas, déjà, en 1830, on faisait les lits avec deux draps.

Par-dessus, on mettait une couverture de laine que l’épouse avait apportée en dot, et cela figure toujours dans son contrat de mariage. Elle avait été faite avec la laine des moutons de la maison..

La plus neuve de ces couvertures est celle des parents en exercice, celle des grands-parents avait l’âge de leur mariage, quant à celles des enfants, c’étaient les vieilles couvertures que l’on avait récupérées sur les lits des anciens.

Au grand hiver, il arrivait que l’on recouvre le tout, d’une courtepointe. Le traversin était fait en plumes d’oie, pas de canard, des plumes d’oie, c’est toujours spécifié.

Lorsqu’un enfant sortait du berceau, cela faisait un garçon ou une fille en plus, on agrandissait alors le cadre en bois. Et puis, on les mettait au tas, car bien entendu, ils dormaient tous ensemble.

Lorsque, donc, ces maisons se sont agrandies, ce sont les lits qui ont disparu les premiers, vous disais-je. Et les places restées disponibles, ont été colonisées, en quelque sorte, par de nouveaux meubles, en particulier des armoires.

Jusque là, il n’y avait guère eu que des coffres. Quelques coffres, et il y  avait, au demeurant, si peu d’affaires à y mettre que cela suffisait largement. Ces armoires " cabinet " en gascon, ferment à clef, (c’est toujours précisé dans les contrats de mariage). Elles vont recevoir le linge et les rechanges de la famille, au demeurant peu nombreux, j’insiste une fois encore.

Et puis bien souvent, chez les plus fortunés, on voit apparaître, plus tardivement dans le siècle, un vaisselier. Dans ce vaisselier, la maîtresse de maison  va avoir la fierté de pouvoir présenter à la vue les 6 ou 12 assiettes de faïence grise dont elle dispose et que l’on n’utilisera jamais, bien sûr, sinon dans les très grandes fêtes, car, au jour le jour, on utilise de la vaisselle en terre.

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La " Daoune " et la hiérarchie des femmes dans la maison:

Cette maîtresse de maison s’appelle la " daoune ". Ce nom gascon vient directement du latin : domina, plus spécialement  de l’accusatif : dominam, qui a donné la " maîtresse " et en gascon, la daoune, c’est véritablement la maîtresse. Le français a tiré également  un mot de domina, c’est " dame ". Mais dame est un terme  de politesse qui n’implique aucune idée de maîtrise ou de domination.  Ce qui n’est pas le cas pour la daoune.

Cette daoune n’a pas de droits particuliers, du point de vue juridique elle est tout aussi mineure et incapable que toutes les autres femmes, elle est toujours inféodée, soit à son père soit, le plus souvent, compte tenu de son âge, à son mari, et on peut vendre ses biens, en disposer, sans même lui demander son avis à la seule condition de retrouver le montant du capital au moment de la dissolution de la communauté.

Donc, elle n’a pas de capacité juridique. Dans deux cas de figure seulement les femmes peuvent avoir une véritable capacité juridique. Le premier, c’est lorsqu’une femme remplit la triple condition d’être majeure de 25 ans, d’être orpheline et d’être célibataire.

Alors là, comme il n’y a aucun homme à l’horizon puisqu’elle n’a ni père, ni mari et qu’elle a plus de 25 ans, personne ne peut l’empêcher de gérer ses biens. Elle est dite :  " maîtresse de ses droits ".

Ce cas, au demeurant, est rare car dans ces temps-là il est extrêmement  difficile, pour une femme, même si elle le souhaitait vraiment, de pouvoir vivre sans un compagnon. Il faut absolument qu’elle soit mariée pour survivre, les temps sont vraiment trop difficiles.

Et puis le second cas de figure, plus fréquent, c’est celui des veuves.  Des veuves  que le mari a désigné comme tutrice de leurs enfants communs dans son testament, peu avant sa mort.

Il faut qu’elle soit bien désignée car si la femme n’est pas désignée par son mari, elle n’est pas tutrice de ses enfants. La tutelle passe alors à l’oncle le plus proche ou à un cousin, mais absolument pas à la femme

Si elle est désignée, il faudra une décision de la justice seigneuriale pour entériner cette décision, mais je n’ai pas trouvé d’exemple où la justice seigneuriale s’y oppose, ce sera systématiquement entériné.

En ce cas,  elle devient maîtresse des droits de toute la famille, de toute la communauté et gère les biens, en toute indépendance. Certaines d’entre elles les ont gérés fort bien et même ont rattrapé, dans bien des cas, certains nombres d’aventures  qu’avaient courues leur mari ou ceux qui les avaient précédés 

Toutefois, ceci n’avait qu’un temps, car lorsque son fils aîné arrivait au seuil des 25 ans, il fallait qu’elle lui remette les comptes et c’était le garçon qui devenait le maître de famille.

Reste que, si ces femmes n’avaient donc pas de pouvoir juridique particulier,  sauf ces deux cas-là,  elles avaient quand même un pouvoir moral tout à fait considérable d’arbitrage, dans les querelles de la famille et, surtout, elles tenaient les cordons de la bourse et même les plus machos d’entre les hommes y regardaient à deux fois avant d’affronter ouvertement la gestion financière de leur femme.

Cette gestion était relativement facile parce que les réserves d’argent étaient très, très minimes. L’argent, d’abord, était rare.  L’économie de ce temps-là était essentiellement fondée sur le troc

Peu d’argent circulait : le meunier venait quérir des grains à domicile et ramenait la farine, on ne le payait pas. Il avait prélevé 1/13 de la mouture pour son salaire.

Lorsqu’on avait longuement filé du chanvre et qu’on le portait au tisserand, il tissait une toile d’une certaine longueur, en prélevait un métrage pour se rémunérer, métrage dont il disposait pour aller le vendre sur un marché et il vous restituait le reste et vous ne le payiez pas.

Cette pratique a été très, très longue. Dans mon enfance, dans ma famille, tous les ans on coupait un vergne, un aulne et on le donnait au sabotier du village qui nous faisait gratuitement une paire de sabots à chacun. Il gardait le reste de l’arbre d’où il tirait tant et plus de paires de sabots qu’il vendait pour son propre compte et c’était sa rémunération

Donc, une économie de troc dans laquelle la monnaie était rare  Il n’y avait, bien entendu, ni billets de banque, ni effets de commerce, les lettres de change, de crédit et autres étaient l’apanage du commerce urbain et n’avaient absolument pas cours en campagne

Seule, circulait la monnaie métallique, monnaie de bronze pour les petites divisions et la monnaie d’argent avec des écus de 3 et de 6 livres.  Au-delà de 12 livres, c’étaient des pièces d’or, 12, 24,  48, suivant le système duo-décimal.

Mais, elles sont innombrables les Landaises, et même les daounes, qui ont géré les affaires des familles sans avoir jamais vu une pièce d’or.

J’ai, pour ma part, connu une brave femme qui était née vers 1890, dans les Landes les plus proches de nous, et qui me racontait comment, une fois, ses parents avaient réuni ses frères et sœurs ainsi qu’elle-même pour leur montrer " la médaille ".  La médaille c’était un louis, une pièce d’or. Cela se situait à peu près vers 1900. C’était la seule, l’unique réserve, l’assurance sociale, tout ce que vous voudrez, de la famille, à laquelle on ne toucherait que dans les cas les plus dramatiques. Il n’y avait qu’une pièce d’or dans la famille. Mais c’était en 1900, auparavant c’était encore bien plus rare.

Au sein de ces maisons, il y avait toute une hiérarchie féminine. Il y avait la daoune, donc, qui était généralement la grand-mère, la plus âgée en tout cas, et puis venait ensuite la femme de la maison, soit qu’elle soit fille de la maison, si son mari était venu de l’extérieur, ou qu’elle soit bru si elle avait épousé un garçon de la maison,

Puis venaient les filles, les filles de ce couple-là, (les petites-filles de la daoune) et puis, le temps passant, les générations s’avançant, on voyait venir ensuite, celles qui occupaient la toute dernière place de la hiérarchie, les petites belles-filles, les  " nores ", la dernière s’appelant la " nourette ". Elles n’étaient pas toujours bien accueillies, il faut le dire.

Disons  que dans des cas d’exceptions, on signale, que les toutes petites dernières venues n’avaient pas leur place à la table familiale. Leur jeune mari gardait et conservait sa place au sein de la famille, mais la toute petite dernière, elle,  la jeune mariée, allait manger toute seule sur son escabeau, tout comme Cendrillon sous le manteau de la cheminée. N’en faites pas un cas général, certes, et heureusement d’ailleurs, mais enfin on en signale quelques cas.

Qu’est-ce qu’on leur demandait ? eh bien,  essentiellement, de travailler, de travailler très dur et de faire des enfants, des garçons si possible. 

Alors elles attendaient, elles attendaient patiemment, très lentement, elles attendaient que le temps passe et que la daoune disparaisse. Et puis, après, la maîtresse de maison à son tour, et leur tour viendrait à elles, elles seraient daounes à leur tour. Mais c’était au bout de l5, 20, 25 ans, plus même quelquefois. Elles attendaient patiemment, la vie n’était qu’une longue attente.

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Le savoir des femmes, leur instruction :

Ces femmes, quelle que soit leur place dans cette hiérarchie familiale, avaient un savoir. Un savoir qui, hélas, est en grande partie perdu. Un savoir dans lequel les hommes n’avaient absolument aucune part et auquel ils n’étaient pas initiés.

Il était fait de toute une culture féminine, de secrets, de recettes, de tours de main, de superstitions aussi, bien sûr. Et il a été perdu parce que ces femmes ne savaient pas écrire.

Elles n’ont su écrire que très, très tardivement, dans un temps où déjà le XIXe siècle était presque passé. Une grande partie de cette science accumulée était devenue pratiquement inutile ou impraticable. Et on l’a oubliée.

Il faut dire que, à la veille de la Révolution, avec les sondages que j’ai faits, on constate que entre 7 à 9%, quelquefois 10%, des hommes, savent lire et écrire dans un village.

Quant aux femmes, c’est entre 0 et 1 %. Sous la Seconde République on va trouver à peu près 1/3 des hommes sachant lire et écrire et 1 à 2, quelquefois 3% des femmes, guère plus.

C’est Napoléon III, mesdames, qui vous a ouvert les portes de l’école communale, et il faut lui en être reconnaissant car il a eu beaucoup de mal pour ça. Si vous explorez les archives de chacune de vos communes vous y trouverez à coup sûr l’échange de correspondance entre les préfets de l’époque et les conseils municipaux des communes.

Cela donne à peu près ceci, cherchez entre 1864 et 1870 :

-Combien avez-vous de filles à l’école de votre village ? Réponse : il n’y a pas de filles à l’école du village.

-Il faut envoyer des filles à l’école du village, Réponse : nous n’avons pas les moyens d’envoyer de filles à l’école du village.

-Il faut envoyer quand même des filles à l’école du village. Réponse : Ce serait leur faire perdre leur temps, elles sont bien mieux auprès de leurs mères à apprendre leur travail domestique.

-Je vous donne des instructions, des ordres formels pour recruter l’institutrice  et ouvrir une école pour les filles etc… etc…, je vous fais grâce de la suite, vous trouverez là-dedans des morceaux savoureux de littérature municipale.

Enfin, c’est bien l’Etat qui a gagné et les filles sont allées à l’école.

Mais les gamines qui ont appris à lire à partir de 1865, 66, 67, ne sont parvenues à l’âge adulte où elles auraient eu la pleine connaissance de la science féminine que vers 1885 à peu près, et déjà tant de choses avaient passé…. !

C’est bien dommage parce que le peu que nous en savons nous montre à quel point cela pouvait être intéressant. Par exemple lorsque, dans la famille, quelqu’un avait une forte fièvre, les femmes savaient faire une tisane avec de l’écorce de saule. 

Pourquoi, tout simplement parce que,( elles l’ignoraient bien sûr, mais elles savaient qu’il fallait faire une tisane de saule), parce que dans l’écorce de saule il y a de l’acide acétylsalicylique, tout simplement ce que nous appelons de l’aspirine.

Lorsque quelqu’un avait une angine, elles savaient faire une décoction, pour un gargarisme avec des pointes de ronce et le remède est parfaitement efficace, vous n’avez qu’à l’essayer à l’occasion.

Si, dans la pharmacopée moderne,  vous achetez chez votre pharmacien, un remède quelconque, une médication pour les angines, vous avez 3 chances su 4 en lisant la notice pour voir que, dedans, il y a des pointes de rosacées. Les pointes de rosacées, c’est tout simplement des pointes de ronce.

Donc, un savoir, et un savoir hélas perdu. Il y avait d’autres recettes que nous aurions aimées connaître, notamment des recettes contraceptives. Mais là, il  est probable qu’elles ne devaient pas être très, très efficaces quand on voit la dimension des familles de l’époque.

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Les enfants, le travail aux champs, le travail à la maison :

Alors, si les enfants n’allaient pas à l’école pour apprendre à lire et à écrire, que faisaient-ils ?  Eh bien ! Tout comme les femmes, ils travaillaient.

Ils travaillaient très tôt, dès l’âge de 5 ans on commençait à leur confier des tâches au niveau de leur responsabilité, c’est-à-dire garder les oies, par exemple, où donner à manger à la volaille ou bien ramasser des glands pour le porc, etc…. etc….

Mais, très vite, très vite, on emmenait les enfants au travail des champs si bien, que, à 10 ans, un enfant était un travailleur à part entière et devait assurer sa subsistance.

Le signe en est certain, vous trouverez dans les contrats de tutelle, lorsque la justice intervient, que lorsque la pupille a 10 ans, on supprime l’allocation alimentaire, du tuteur, en disant tout simplement : puisque l’enfant a 10 ans, il subvient désormais à sa propre subsistance. Et  personne, absolument personne, ne le conteste.

Ce travail des champs est extrêmement pénible. D’abord les champs sont immenses, ils sont immenses dans la partie landaise là où on travaille dans le sable qui est une terre pauvre et dans laquelle, faute d’engrais, on ne peut faire venir que du seigle, disons à 95% à peu près, et 5% de blé, avec, en plus, un peu de mil et de blé noir.

En pays viticole, la terre est plus riche et on cultive la vigne en joualles espacées de 3 pas à peu près, on met 2 rangs de vigne côte à côte, 3 pas libres dans lesquels on va semer des céréales, puis 2 rangs de vigne etc….

Rares, rares, sont les vignes plénières. On appelle vignes plénières celles où il n’y a que des rangs de vigne, c’est-à-dire la vigne telle que nous la cultivons maintenant.

Donc, de très grandes surfaces et surtout dans la partie de terres pauvres, d’immenses surfaces, car les rendements sont très faibles. Les rendements sont de 4 pour 1 dans les bonnes années. 4 grains pour 1 grain semé.

Et, attention, dans ces 4 grains il faut en prélever 1 pour les semailles de l’automne suivant, à telle enseigne que, en net, vous n’avez que 3 grains pour 1 grain semé. D’où la nécessité d’emblaver des surfaces considérables pour ces familles qui étaient très nombreuses.

Alors, comme tout ce travail se faisait à la main, aussi bien du côté vigne que du côté lande, avec des petits sarcles dotés de manches d’une quarantaine de centimètres de long qui s’appelaient soit un " calet " soit un " primoun ", c’était la même chose. Le nez au ras du sol et les fesses tournées vers les étoiles, on travaillait courbé en deux et on grattait le sol au pied de la paille du seigle et on arrachait toutes les mauvaises herbes, le chiendent en particulier.

Ce travail était très long, cela durait des jours, des jours, et des semaines, et quand on avait terminé, au bout de ces semaines, il fallait retourner et recommencer de l’autre côté car déjà la terre s’était séchée, serrée autour du pied, et les mauvaises herbes recommençaient à pousser.

Les enfants participaient à ce travail-là.

Et le soir, éreintés de cette longue journée, tout le monde rentrait à la maison. La journée n’était pas terminée pour autant car les filles se précipitaient pour les soins de la maison, pour faire la " cruchade " du soir, la cruchade que l’on faisait avec de la farine de maïs à partir du moment où il a été connu en 1750 ou précédemment avec du mil, cette cruchade, une espèce de polenta landaise, ne se conservait pas.

Il fallait donc la faire le soir pour le soir-même et pour le lendemain matin. On la faisait donc tous les jours, c’était le travail des filles.

Il y avait également la lessive, et puis, une fois par semaine, la fabrication du pain. Le pain était expressément le travail des femmes et des enfants. Les femmes le brassaient dans la maie qui était très profonde et le pâton, pour toute une semaine, pour une famille nombreuse, pouvait bien peser 20 à 25 kilos et même davantage.

Il fallait le prendre, le soulever à hauteur de poitrine, le retourner et le laisser retomber. Et le reprendre, et ceci 80 ou 100 fois, c’était absolument épuisant. Les enfants boxaient dans la pâte avec leurs petits poings fermés ; étant enfant, j’ai boxé dans la pâte. On finissait par se faire vraiment  mal à la jointure des doigts. Ensuite, les femmes continuaient avec la cuisson.

Le pain était entre leurs mains jusqu’à la fin de la cuisson, nous verrons tout à l’heure ce qu’il deviendra.

Quand le soir on prenait le repas, un repas d’ailleurs très frugal, c’était un morceau de pain avec une part de cruchade et une pomme, quelques verres d’eau claire et on allait se coucher. Pas avant toutefois d’avoir encore travaillé, soit au coin du feu à la veillée l’hiver, soit sur le pas de la porte en prenant le frais l’été, les femmes filant, les filles tressant des paniers ou des chapeaux, et les hommes décortiquant du maïs.

Les garçons, pendant que leurs sœurs s’occupaient de la maison, filaient aux étables et levaient les fumiers, remettaient de la litière fraîche, participaient à la traite des vaches, s’occupaient d’amener les animaux pour boire etc……

Je voudrais vous inviter à une réflexion sur ce travail. Ces gens-là travaillaient, au fil des journées d’été, depuis avant le soleil levé et jusqu’au soleil couché et bien au-delà.

L’été était une période harassante. Par contre, l’hiver, suivant le rythme de la nature, ils se reposaient davantage pour la simple raison que, comme ils avaient très, très peu de lumière, ils ne pouvaient rien faire, à la nuit, en tout cas, aucun travail délicat. Les journées d’hiver étaient donc très courtes.

Ce faisant, ils ne faisaient que suivre une tradition qui avait commencé il y avait 400 000 ans, depuis le néandhertal, et qui a duré jusque dans les années 30.

C’est nous, nous qui à partir du moment où on a commencé à parler des congés, des loisirs, à partir des années 30, et depuis 70 ans c’est nous qui faisons exactement l’inverse, c’est-à-dire que nous travaillons l’hiver et que nous nous reposons l’été.

Je n’oserai m’engager et vous dire d’une façon certaine que ceci n’a pas, biologiquement, des conséquences. L’expérience de 70 ans est bien courte au regard des 400 000 ans de l’expérience contraire qui l’a précédée.

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Les loisirs et la diffusion de l’information:

Ces gens-là, puisque je viens de parler de loisirs, avaient précisément des loisirs : d’abord, ils avaient les dimanches Les dimanches et puis aussi des jours de fête

Évidemment, il n’y avait pas de congés payés, mais ils avaient beaucoup plus de jours de fête que nous n’en avons. C’étaient des fêtes toutes religieuses, les fêtes laïques du 14 juillet, du 1er mai, du 8 mai, ils ne connaissaient pas, bien sûr, pas plus que le 11 novembre.

Le premier de l’an qui est devenu une fête laïque, pour eux c’était la circoncision, comme autres fêtes carillonnées[1], vous aviez les Rois le 6 janvier, vous aviez la Purification le 2 février, vous aviez les mardis de Pâques et de Pentecôte qui étaient fériés, vous aviez également la St André, la St Pierre, la St Jean etc…. Donc, beaucoup plus de fêtes que nous n’en avons aujourd’hui, et ces jours-là ils allaient à la messe et ils y allaient joyeusement.

Certes, ils avaient une foi très profonde mais ils y allaient, je dis bien, joyeusement comme à un loisir, et tout simplement parce que l’église était un lieu de convivialité.

N’oubliez pas que, pendant toute la semaine, ces femmes et ces enfants s’étaient trouvés dispersés, chacun dans leur sillon, très isolés, et ils avaient travaillé, travaillé, travaillé sans voir grand monde, le soir ; leur propre famille mais rien de plus.

Et là, tandis que la semaine durant,  les hommes étaient à la vigne d’un côté ou à la résine dans les pins de l’autre, ils se retrouvaient tous ensemble le dimanche, car dans tout le village, personne n’aurait manqué la messe. L’église était un lieu très convivial.

On y chantait et c’était très gai, et ils aimaient chanter. C’était pour eux un large plaisir.

Et puis aussi, n’oublions pas qu’il y avait de la lumière ; chez eux, tout était sombre. Leurs quinquets fumeux leur donnaient à peine une lueur tremblotante, alors qu’à l’église il y avait des cierges, des cierges de cire pure à l’époque. Dans nos temps où la stéarine a complètement remplacé la cire, je ne sais pas si vous avez jamais vu brûler des bougies ou des chandelles de cire pure, cela donne une flamme très haute, très longue et très claire. C’était leur plaisir que de voir cette lumière.

Et puis il y avait encore, c’était une autre raison et non la moindre, il y avait les nouvelles. Quand le curé montait en chaire, il annonçait les nouvelles.

D’abord il prodiguait son enseignement, en gascon, bien sûr, car j’oubliais de le signaler, mais vous ne parliez pas français.

Seuls, dans les villages, le seigneur, le curé, le notaire, le juge seigneurial pratiquaient le français entre eux.

Donc, en gascon, le curé va prodiguer son enseignement et ensuite il va procéder à l’annonce des nouvelles..

Ces nouvelles sont de tous ordres. D’abord, il va vous parler de la santé du roi si l’occasion se présente, il va vous parler des naissances ou des mariages princiers, des deuils de la famille royale, ça c’est l’aspect Paris-Match et Gala.

Il va vous annoncer les nouvelles politiques : la paix, la guerre, les victoires, (annonçant plus rarement les défaites, bien sûr). Ca c’est l’aspect grande presse, c’est le Monde, le Figaro, Libération,

Les nouvelles plus locales. Il va vous dire par exemple que l’on a détecté à Langon, à Bazas ou à Bordeaux quelques cas de variole ou de choléra. Alors là, tous vont se dire " ce n’est pas le moment d’aller au marché la semaine prochaine " car ils connaissaient parfaitement tous les risques de la contagion, bien sûr. C’était l’aspect journal local : c’était Sud-Ouest.

Mais il y avait aussi des nouvelles touchant les faits-divers. Ainsi par exemple pour fixer vos idées, voilà que, au printemps de 1783, les curés annoncent dans toutes nos paroisses que 2 hommes, à Versailles, dans un panier d’osier, se sont élevés dans le ciel sous une boule en papier.

Comment voulez-vous que 2 hommes s’élèvent dans le ciel, première chose, et sous une boule en papier ? Le papier, ils ne savaient pas ce que c’était, tout au moins sous cette forme-là. Il n’y avait pas de journal, il n’y avait pas d’emballage.

Les seuls papiers qu’ils connaissaient étaient les deux feuilles de leur contrat de mariage qui étaient par là dans un coffre sous clef, ou le testament du grand-père, mais on ne voyait pas très bien le rapport entre ce genre de papier et 2 hommes qui s’élevaient dans le ciel. D’où, scepticisme poli, mais quand même confiant parce que c’était le curé qui l’avait dit, et le curé était généralement quelqu’un de sérieux.

Et puis voilà que le 16 juin 1784, c’est à Bordeaux que ça s’est passé, 2 hommes dans un même panier d’osier sous une grosse boule de papier, se sont élevés de la cour de l’ancien hôpital qui était à côté du quai de la Monnaie, ils sont montés dans le ciel, ils sont passés au-dessus de la toiture de l’église St-Michel au-dessus de la grosse cloche et sont allés se poser dans les jardins à la Chartreuse.

Et là, des dizaines de milliers de Bordelais l’ont vu, l’ont vu comme je vous vois. Dans la semaine qui a suivi, dans les jours qui ont suivi, tous ces gens-là se sont répandus dans les marchés, dans les foires, à droite, à gauche, les marchands ambulants, l’avaient vu, ils  l’ont dit, alors là on ne pouvait plus douter.

Le curé expliquait, il expliquait l’air chaud dans une boule etc… etc… alors là c’était l’aspect Science et Vie. Et puis en fait, dernier point, le curé aussi annonçait tous les textes officiels, les édits royaux, les arrêts du Parlement et ça c’était l’aspect du Journal Officiel.

Autres loisirs, en sortant de l’église, il y avait là le marchand qui vendait quelques gâteaux, sans crème c’était 1 sol, avec crème 2 sols.

Les grands allaient à l’auberge boire une pinte de vin avec les amis, c’était le seul endroit où l’on buvait du vin sauf chez les plus fortunés des paysans, mais pas tous les jours, bien sûr, dans les grandes circonstances seulement.

Même en pays viticole, on buvait de l’eau à table. Le vin était destiné à la vente. En pays viticole, on buvait de la piquette, dans la partie landaise, on buvait de l’eau. 

On jouait aux quilles également que l’on appelait le " rampo ", jeu qui chez nous s’est totalement perdu.

Autre loisir, c’était la danse aux grandes circonstances, à l’occasion des mariages. Et là, la sono n’était jamais pourrie, l’orchestre était constitué de " ripataoulayres " c’est-à-dire un fifre et un tambour et avec ça on dansait, on dansait le rondo, des danses où on se tenait quand même assez loin l’un de l’autre car le curé y aurait largement veillé.

Quelquefois, dans les grandes occasions, on faisait venir un violon.

Un violon, il y en avait un qui était très célèbre au XVIIIe siècle et qui résidait ici à Bommes, il était très demandé. Je le retrouve à Balizac, à Léogeats, à Roaillan, il était très demandé partout 

On mettait un tonneau sur champ  sur lequel on disposait un escabeau et là il " crincrinait " et faisait danser son monde. Voilà à peu près les loisirs.

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L’argent de poche des enfants:

Quant aux enfants, ces gâteaux à la sortie de l’église avaient évidemment toutes leurs faveurs. Les garçons faisaient les farauds en faisant tinter les quelques sols qu’ils avaient au fond de la poche de leur culotte.

Comment se procuraient-ils cet argent ? Eh bien ! Par leur petite industrie. Les filles par exemple tressaient des chapeaux et elles étaient très adroites. Elles apprenaient la vannerie avec leurs grands-mères dès l’âge de 5, 6 ans au coin du feu le soir.

Elles tressaient également des nasses pour attraper les anguilles avec des baguettes de noisetiers. Elles tressaient les " bournacs ", c’est-à-dire les ruches en lamelles de noisetier. Ce n’est pas elles qui faisaient les lamelles, mais c’est elles qui les tressaient, qui donnaient son corps à la ruche.

Les garçons, eux,  tendaient des collets, en toute illégalité d’ailleurs. Ils attrapaient quelques lièvres, quelques lapins, qu’ils allaient vendre à l’aubergiste du village, en passant par la porte de derrière, 10 sols pour un lapin, 15 pour un lièvre

Et quand ils avaient réussi à capter un essaim sauvage, ils le mettaient dans une ruche dont ils allaient vendre le miel et la cire sur le marché, c’était leur petit profit.

Les garçons, donc, se tiraient bien d’affaire. Quant aux filles, ah !  Les pauvrettes, elles gagnaient bien quelques sous en vendant leurs chapeaux ou leurs nasses mais on leur prenait tous leurs sous, elles ne pouvaient pas s’acheter les gâteaux à la sortie de la messe à moins qu’un grand frère leur en offre 1 de temps en temps mais elles n’ avaient rien pour elles.

D’abord parce qu’il ne paraissait pas très prudent  de laisser quelques sols à une fille, on ne sait jamais ce qu’une fille peut faire avec de l’argent…… peut-être s’acheter un bout de ruban ou autre colifichet inutile…. allez savoir…

Et puis on avait un excellent prétexte, c’était celui de conserver cet argent pour alimenter l’achat de leurs trousseaux plus tard. On commençait à leur prendre leurs quelques sols à l’âge de 6 ou 8 ans, elles avaient encore le temps, certes.

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Le vêtement :

Parlons un peu du vêtement.

Tout d’abord soulignons le fait qu’il n’y avait pas de vêtements enfantins. Les modes enfantines ne vont apparaître que très tardivement, à la belle époque, entre 1900 et 1914.

Remarquez, mesdames, dans le Jardin des Modes, une publication très connue, dont on a souvent fait  des sous verres. Ce sont ces jolies gravures du Second Empire, rehaussées d’aquarelles que l’on trouve encore parfois aux murs de nos maisons.

Vous verrez la dame, la maman, habillée avec sa crinoline et son ombrelle, et sa petite fille, à côté, elle est vêtue exactement de la même manière que sa mère. Vous trouverez également dans les portraits classiques, le duc de Choiseul, par exemple, au XVIIIe siècle, il est représenté en pied, en habit à la française avec son tricorne, l’épée au côté, et à côté de lui, son fils qui doit avoir à peu près 6, 7, 8 ans, peut-être. Il a le même tricorne en réduction bien sûr, son petit habit à la française et une toute petite épée. Il n’y a pas de mode enfantine.

Quant à vous mesdames, vous allez être revêtues d’une longue chemise en toile de chanvre tissée par le tisserand du village avec le fil que vous aurez filé vous-même.

Si vous n’en avez pas l’habitude, je ne vous en donne pas pour 2 heures avant d’être rouges comme des écrevisses, car c’est une toile qui gratte beaucoup ; c’est une toile assez rude.

Par-dessus cette chemise, vous allez porter une longue jupe, et puis un caraco, que l’on appelle une brassière. Vous en aurez généralement deux, une avec manches pour l’hiver et une sans manches pour l’été.

Vous aurez aussi un grand tablier, un " davantaou ", avec une grande poche devant dans laquelle vous allez mettre toutes vos affaires. Ce tablier est, généralement, de couleur très vive. Ce sont des couleurs qui sont précisées dans les contrats de mariage. Le rouge vif est très apprécié.

Sur la tête, vous allez porter un foulard qui est ou carré ou rectangulaire, on va le plier en deux en diagonale ce qui va faire un triangle, et ce triangle on va en mettre le grand côté sur le front, pour couvrir et cacher tous les cheveux, en portant le nœud sur l’oreille gauche.

Il y a donc 2 pointes. Ces pointes, pour les filles à marier sont dirigées vers le bas, voyez-vous c’est la pêche aux garçons.

Pour les femmes mariées, qui sont fières de l’être, ces deux pointes sont dirigées vers le haut.

Quant aux pauvres veuves qui n’attendent plus rien de la vie, elles dissimulent soigneusement et discrètement ces pointes à l’intérieur du nœud.

Aux pieds vous aurez des sabots avec de la paille l’hiver et l ‘été vous irez pieds nus comme tout le monde.

Dans sa vie, une femme reçoit, une robe, la seule de sa vie, et une paire de souliers. C’est le jour de son mariage et c’est son père qui les lui offre. Ceci va figurer expressément dans le contrat de mariage avec une description de la robe.

Ces robes étaient extrêmement solides puisque j’ ai trouvé des testaments de femmes léguant leur robe à l’une de leur fille. C’est une espèce de toile un peu comme de la toile de jean’s.

Disons que dans le fil du XVIIIe siècle, vers les deux tiers environ, quelquefois dans les familles fortunées on trouve une seconde robe, et j’ai même trouvé un cas, juste  à la veille de la Révolution, d’une troisième robe.. Tout au fil de ce siècle, la robe unique aura été néanmoins une règle très, très générale.

Les souliers présentaient la particularité, étonnante,  d’être très larges,  tout simplement parce qu’ils n’avaient pas de polarisation, il n’y avait ni pied droit ni pied gauche; on pouvait les mettre indépendamment tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, ceci afin de répartir l’usure des semelles.

Les souliers vont vraiment apparaître de façon un peu plus courante au cours du XIXe siècle. Reste que les enfants iront encore à l’école avec des sabots au-delà de la guerre 14-18.

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L’alimentation, la subsistance :

Un mot maintenant de l’alimentation. Nous avons vu combien les rendements des cultures étaient faibles, combien le travail était pénible pour obtenir ce seigle qui leur était si nécessaire.

Le seigle avait une particularité, qu’il a toujours d’ailleurs au demeurant, et tout à fait désagréable, c est qu’il est une céréale fragile.

Le mil se conserve pendant des années, le blé moins, mais enfin relativement longtemps, tandis que le seigle, passé un an, s’échauffe à moins de le conserver comme nous savons le faire maintenant avec des silos, des aérations etc…Choses qu’ils ne savaient pas faire à l’époque. Le seigle fermentait et survenait l’ergot du seigle, extrêmement dangereux, une espèce d’hallucinogène d’abord, mais qui, très rapidement, se transforme en poison violent. Et ça, ils le savaient.

Ceci aboutit à un paradoxe. A une excellente année où on avait une récolte surabondante, pouvaient succéder 1, 2, 3 années absolument désastreuses pendant lesquelles la disette s’installait. La famine survenait alors et il ne pouvait pas y avoir de lissage des stocks d’une récolte sur l’autre.

C’est la raison pour laquelle au printemps, vers le 15 avril  et jusque vers le 8 mai, ces gens-là vivaient dans l’angoisse, une angoisse que vous avez bien oubliée.

Pourtant, Dieu seul sait s’ils ont vécu malheureux, inquiets, et si le soir toute la famille sortait sur le pas de la porte pour interroger la nuit.

Est-ce que la nuit serait froide ? Est-ce que demain par hasard il n’allait pas geler ?

Cette angoisse était vitale car s’il gelait une seule nuit, un seul matin en cette période, c’était " adieu les fleurs ", certes ! Mais c’était aussi adieu les poires, adieu les pommes, adieu les châtaignes,  n’oubliez surtout pas les châtaignes.

Et si vous n’aviez ni poires, ni pommes ni châtaignes  qu’alliez-vous faire au mois de septembre ou octobre autour de la table familiale ? Alors qu’on aurait pu vous donner une bonne part de cruchade, un tout petit morceau de pain, une pomme dans chaque main, une poignée de châtaignes et quelques verres d’eau, vous seriez allé vous coucher sans avoir faim. Le pain que vous n’auriez pas mangé à ce moment-là, vous l’auriez économisé pour la fin de la période, au mois de mai suivant.

Car le problème de ces gens-là n’était pas le vôtre, mesdames, vous vous posez toujours la question : que mangerons-nous ce soir ?

Eux ce n’était pas leur problème, ils mangeaient à peu près toujours la même chose. Mais leur problème c’était de savoir : que mangerons-nous dans 6 mois ?

S’ils n’avaient eu aucun fruit à l’automne, ils mangeaient nécessairement, à ce moment là,  davantage de pain pour survivre. Or ce pain allait donc leur faire défaut tout à l’heure, au mois de mai et au mois de juin.

Ce qui vous explique que c’est dans ces mois-là que l’on trouve toutes les grandes émeutes, les grands soulèvements populaires

Le pain était donc l’objet d’une véritable vénération et, dès qu’il était cuit par les femmes, il était stocké sur une étagère qui était suspendue au plafond. Vous trouverez encore ces étagères, j’en ai vu une dans une vieille maison il y a 5 ou 6 semaines.

Ce sont 2 planches qui sont clouées verticalement sur des poutres, la planche transversale est au-dessous, et vous mettez le pain là-dessus.

On vous dira pudiquement que c’était pour éviter que les rats ne s’en emparent et n’y fassent des dégâts. Ce n’est pas vrai, les rats, les chats de la maison s’en occupaient.

C’était tout simplement pour mettre le pain à l’abri des convoitises des enfants affamés.

Le pain, c’était le père seul qui le gérait à partir du moment où il était sorti des mains des femmes ; le père qui était assis sur son petit banc en extrémité de la grande table rectangulaire, coupait le pain et le distribuait lui-même à ses enfants et à sa femme.

La taille des morceaux était en fonction des réserves de la famille et du travail de chacun,  c’était ça la modulation, en fonction du travail de force ou du travail plus léger que pouvait développer chacun.

Ils mangeaient beaucoup de soupe, parce qu’ils connaissaient pas mal de légumes qui leur venaient d’ailleurs depuis la nuit des temps, depuis l’antiquité : le chou, le potiron, les carottes, les haricots étaient connus.

On en faisait des soupes parce que c’était un plat facile à préparer, on pouvait le préparer le soir, on le mettait à cuire le lendemain matin devant un grand feu que l’on avait allumé et on partait au travail aux champs.

Et, de temps à autres, on envoyait un jeune enfant qu’on détachait du travail du champ en disant : " allez, va mettre du bois au feu ", le garçon ou la fille partait les coudes au corps, mettait 3 ou 4 morceaux de bois, revenait reprendre son travail et quand on arrivait, à midi ou le soir, la soupe était cuite. Donc, beaucoup de soupe, sans oublier le mil ou le maïs pour la cruchade

La pomme de terre n’a pas pris chez nous. Ils n’ont jamais mangé de pommes de terre. Elle est arrivée chez nous fin avril 1769, on le sait d’une façon très précise : c’était le subdélégué de la ville de Bazas, disons le sous-préfet en termes actuels, qui en avait acheté un bateau complet chargé de 70 tonneaux de semence. Cette semence, on l’avait distribuée dans 52 paroisses du sud-Gironde et du nord des Landes. Le subdélégué avait demandé à l’évêque de Bazas d’utiliser ses curés pour diffuser les instructions nécessaires à cette culture. Cette information fut donnée en chaire dans le cadre des nouvelles  dont je vous parlais tout à l’heure. C’est ainsi que les curés expliquèrent aux braves paysans comment on les plantait, comment on  les cultivait, comment on les récoltait, et comment on les mangeait. 

Ayant suivi la démarche jusqu’à la récolte, les pommes de terre sont venues, bien sûr, et pourquoi pas. Mais ils ne les ont pas mangées, et les plus hardis d’entre eux les ont données à manger aux cochons, mais ils ne les ont pas mangées eux- mêmes.

A la vérité, on ne connaît pas la véritable raison de cet échec. Personnellement, j’avance une hypothèse mais je vous demande : d’être très prudents et de ne la prendre vraiment qu’à titre d’hypothèse. Ceci n’est pas de l’histoire, c’est une construction personnelle. Donc, soyez très prudents :

De tout ce qu’on leur avait apporté, qui n’était pas dans leurs habitudes, à savoir le riz par exemple dont l’administration royale avait fait venir quelques péniches lors de la grande famine de 1772, des péniches qui venaient de Provence, le maïs dont nous avons parlé, tout cela pouvait aller au moulin et se réduire en farine.

Or la pomme de terre ne pouvait pas se réduire en farine. Ils auraient alors pensé que ce ne pouvait être un produit alimentaire parce qu’on ne pouvait pas en faire de la farine.

Alors, vous allez dire : on peut en faire de la fécule. D’abord la fécule c’est râpé, ce n’est pas moulu, et ensuite il fallait savoir la faire sécher et ça, on ne le leur avait pas dit, bref, ils n’ont pas mangé de pommes de terre.

La culture de la pomme de terre a été reprise et encouragée en 1793 par le gouvernement de la République. Ce n’est toutefois que sous le Premier Empire qu’elle a commencé à s’implanter chez nous pour connaître ensuite le succès que vous savez, au fil du XIXe siècle.

La viande, c’était celle du porc ; du porc de la famille. Mais un porc pour toute une famille, cela ne permettait pas de manger de la viande tous les jours, aux grandes occasions, seulement.

En dehors de ces cas, il fallait manger autre chose. Dans les familles les plus fortunées, on tuait une vieille brebis qui n’avait plus sa place dans le troupeau, le jour de Pâques. Mais ça, ce n’était pas un cas général.

Quant à la volaille, elle était très, très chère, et était exclusivement réservée au marché. On ne tuait de volailles dans la maison que pour les mariages ou tout au moins les grandes, grandes fêtes, Pâques peut-être, mais tout juste.

Quant à la viande rouge, elle était pratiquement inconnue du menu peuple. La viande rouge était réservée aux privilégiés, aux notables. On en achetait deux jours par an, au fil du XIXe siècle et au début du XXe. J’ai recueilli des témoignages de personnes âgées qui m’ont raconté que, jusqu’à la guerre de 14, cela a été comme ça chez nous. Dans les chaumières, dans les familles, on mangeait de la viande rouge 2 fois par an : le jour de la fête du village, alors qu’on avait invité les amis, et le jour tant attendu, le jour des grandes festivités, ce jour dont on parlait si longtemps à l’avance, ce jour au cours duquel, comme disent les jeunes maintenant, on s’éclatait, je veux parler du jour de Carnaval.

Ce pauvre carnaval que nous sommes en train d’oublier au bénéfice d’hallowen, hallowen, moi je veux bien, c’est une tradition anglo-saxonne et je me réjouis que les Anglo-saxons exploitent leurs traditions et vivent avec, mais je regrette infiniment qu’hallowen soit en train de prendre la place de notre carnaval à nous, qui fait partie intégrante de notre culture.

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Conclusion :

Je crois que j’ai été très bavard  et que je suis peut-être allé un peu trop loin, il y aurait tant et tant de choses à dire, j’ai conscience de n’avoir pas dit le 1/3 de ce qu’on pourrait raconter sur toutes ces choses-là mais il faut bien choisir.

Alors, faute de savoir où nous allons, car bien malin  serait qui pourrait le dire,  il n’est peut-être pas mauvais de nous tourner ainsi vers le passé et de jeter un coup d’œil sur les lieux d’où nous venons.

Ce faisant, nous prendrions quelque distance avec nos problèmes quotidiens, ceux qui sont les vôtres, les miens, ceux que nous avons laissés à la porte de cette salle en entrant, tout à l’heure, et que nous allons retrouver en sortant.

Prendre quelque distance vis-à-vis de ces problèmes en  nous posant la question de savoir s’ils sont à la mesure de ceux qu’ont rencontrés ces jeunes enfants au cours de ces travaux exténuants dès leur plus jeune âge, s’ils sont à la mesure de ces travaux, de ces inquiétudes, qu’ont eus ces femmes pendant toute leur vie, inquiétudes de nourrir leur famille, de savoir comment survivre, car toutes leurs forces vives, ils les consacraient à leur survie.

Toute cette vitalité qui était en eux et qui est encore en nous, car, biologiquement, nous avons conservé cette même capacité, cette même puissance, mais nous ne savons plus qu’en faire,  nous n’en avons plus de points d’application.

L’électroménager nous a dispensé de tout effort domestique, on a même inventé des commandes à distance pour nous éviter de faire 3 pas pour changer de chaîne sur notre télévision, même la direction de nos voitures désormais est assistée.

Et nous ne savons plus comment faire pour gaspiller cette énergie qui est en nous Alors c’est comme cela qu’on a inventé le jogging, qu’on a inventé l’aérobic, les salles de musculation et tout le sport en général.

Certes, il est bien plus agréable de vivre de notre temps, avec tout le confort dont nous disposons, mais encore faudrait-il que nous le reconnaissions, encore nous faudrait-il l’apprécier et dire un grand merci à ceux de nos parents qui, patiemment, au fil du temps et au prix de tant de peine, ont su préparer notre temps et nous faire finalement ce que nous sommes.

Alors, une petite pensée pour eux, merci

 

 

Texte enregistré, revu et corrigé par l’auteur.

Jean DARTIGOLLES.

23 avril 2001.

 

Transcrit par Suzette COCHET.

Mis en forme par André COCHET.

 



[1] Une fête carillonnée est une fête d’obligation religieuse

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