Conférence de M. Jean DARTIGOLLES.

9 avril 1999 à Bommes

 

Les ponts et les moulins sur le CIRON

Du XVIIIe au XXe siècle

 

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Sommaire:

Introduction.
Les moulins.

Les grands.

Les petits.

Comment fonctionne un moulin ?

                  Le rouet.

                  Les meules (consistance et entretien)

                  Moulins à point rond et à point carré.

A qui appartiennent les moulins ?

                  Les baux de fermage.

                  Le droit de pêche.

                  Le prix des fermages.

La vie des meuniers.

                  Rémunération.

                  Perception des péages.

Le flottage

Les ponts.

                  Leur rareté et leur état d’entretient

                  Exemple du pont d’Aulan.

Conclusion.

 

 

 

 

 

Introduction:

 

 

Je traversais l'autre jour un village dont l'unique usine, désormais fermée, venait d'être transformée en discothèque.

 

Cette usine avait longtemps été le moteur économique de la vie locale, et à ce titre, elle était morte, et bien morte.

 

Elle ne retrouverait une activité épisodique que le samedi soir pour la musique et pour la danse.

 

Et je pensais au CIRON

 

Lui aussi avait toujours été un moteur économique dans la vie de notre pays, et à ce titre, lui aussi est bien mort.

Il ne retrouve d'activité que sur des initiatives festives, telle sa fête nautique, par exemple, que vous connaissez bien, ou comme lieu de canotage et de loisir.

 

Mais pour aussi heureuses et sympathiques qu'elles soient, ces initiatives ne peuvent être à la mesure de l'événement.

 

Le CIRON, moteur industriel et commercial de nos contrées est mort, et bien mort. Tous ceux qui l'ont connu en d'autres temps ne manqueront pas de vous le confirmer.

 

Il est mort et c'est nous tous qui l'avons tué.

 

Le Ciron c'étaient de vertes prairies qui le bordaient ici et là ; les bois les ont envahies et dévorées, il n'en reste plus trace.

 

Et dans ces prairies, il y avait des vaches, 5 ou 6 sur cette rive, 7 ou 8 en face, d'autres plus loin ; des vaches que l'on gardait et qui mangeaient de l'herbe, bien loin d'imaginer que leurs arrières petites filles s'alimenteraient un jour de cervelles de moutons britanniques.

 

Au bord de la rivière s'activaient des lavandières au battoir énergique et au verbe sonore. MIELLE et BRANDT sont passés par là…… ! Et vous n'entendrez plus non plus les cris et les rires de leurs jeunes enfants poussant d'un bâton leurs petits bateaux d'écorce. Certes les enfants sont toujours au village, mais devant leur écran de télé avec leur NINTENDO à la main.

 

Qui de nous aujourd'hui, porterait son blé ou son seigle au moulin le plus proche ? Nous achetons notre pain chez le boulanger et notre farine, en poches, chez LECLERC, une farine que les Grands Moulins de BORDEAUX ou de PARIS ont traitée pour nous éviter les grumeaux, bien sûr……Aussi nos moulins sont-ils arrêtés et ruinés.

 

Et qui donc s'engagerait à gué à la MADELEINE ou ailleurs à la tête des ses bœufs ? Il n'y a plus de gué mais il y a des tracteurs et des ponts.

 

Que sont devenus les radeaux passant au fil de l'eau, et le chant des radeliers que l'on entendait venir de si loin, et les joyeuses invectives, toujours les mêmes au demeurant, qu'ils échangeaient avec les lavandières ?

 

Ou sont donc passées les colonies de castors que mes parents avaient bien connues, qui étaient là depuis l'origine des temps et qui ont complètement disparu ?

Nous traversons maintenant le CIRON en trombe, au volant de nos voitures, sans quitter la route des yeux. Le CIRON n'est même plus un spectacle, alors que dans mon enfance, il était encore un but de promenade dominicale ; on allait voir le CIRON, car il s'y passait toujours quelque chose.

 

Ce CIRON là est mort, et ce sont nos modes de vie qui, en moins de 20 ans, de 1930 à 1950, ont mis à mal tout ce qui avait constitué sa vie depuis bien des siècles.

 

Ne versons pas de larmes hypocrites, ces modes de vie, nous y tenons et nous n'envisageons absolument pas d'y renoncer en revenant au temps de la chandelle.

 

Tout ce qui a fait la vie de cette rivière et tout ce qu'elle a apporté à nos ancêtres appartient désormais au passé. Mais, de grâce ! N'en oublions pas la mémoire ! Et cette mémoire, j'aimerai vous y voir prendre part.

 

Les gens dont nous allons parler ce soir sont nos parents. Ils ont vécu leur présent tout comme nous vivons le nôtre, avec leurs joies et leurs peines, leurs succès et leurs échecs, leurs amours et leurs chagrins. Tout comme nous.……

 

Ils n'étaient ni plus intelligents, ni surtout plus bêtes que nous. Certes, nous savons aujourd'hui des tas de choses qu'ils ignoraient, mais ils étaient capables de faire bien des choses dont nous avons perdu jusqu'au souvenir.

 

Lorsque j'entrouvre la porte de l'histoire, je m'y sens aussitôt chez moi; accueilli, en quelque sorte par des gens que j'apprends chaque jour à mieux connaître et dont je me sens tout proche.

 

J'aimerai tant, ne serait-ce qu'un moment, vous faire partager un peu de ma passion.

 

Mais, voici qu'il est grand temps d'en venir à notre sujet.

Le CIRON est connu depuis l'Antiquité. Les romains le dénommaient SIRIO dont nous avons tiré deux noms: CIRON et CERONS car c'est bien là, qu'à l'époque, la rivière rejoignait la GARONNE.

 

Le CIRON prend sa source dans les LANDES, dans la lagune de LUBBON et après une très brève incursion en LOT et GARONNE, il pénètre en GIRONDE sur le territoire de la commune de LARTIGUE. Il poursuit son cours essentiellement girondin, sur 70 km jusqu'à son embouchure au port de BARSAC. Sa dénivelée est à peine supérieure à 1 mm par mètre ce qui lui assure un flux modéré mais suffisant pour produire une énergie que, de tous temps, ses populations riveraines n'ont pas manqué d'exploiter.

 

Cette énergie, et celle de ses affluents en a fait le moteur de nombreux moulins, plus d'une vingtaine, répartis tout au long des ses rives; mais elle en a fait également un moyen de communication en permettant l'acheminement par flottage, jusqu'à la GARONNE de quantité de produits de la lande girondine.

 

Mais s'il a été une voie de communication très active, le CIRON n'en a pas moins toujours constitué un obstacle aux échanges entre ses deux rives ce qui, au fil du temps et jusqu'à une époque récente, n'a pas manqué de soulever bien des problèmes qui se sont cristallisés autour des gués permettant de le traverser et des ponts permettant de la franchir.

­

Nous examinerons donc successivement la question des moulins, du flottage, des chemins et des ponts

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Les moulins

 

Et tout d'abord, qu'est-ce qu'un moulin ? La question peut paraître oiseuse... …Elle ne l'est pas tout à fait.

 

Un moulin traditionnel est une petite entreprise artisanale s'appliquant à des activités très diversifiées en utilisant une énergie naturelle, l'eau ou le vent.

 

Il y a eu quelques moulins à vent dans ce pays, ils n'entreront pas dans notre propos de ce soir. Quant aux moulins à eau, on peut en recenser une bonne vingtaine dans le bassin du CIRON et de ses affluents. La plupart d'entre eux se consacraient à la production de farines de seigle, pour l'essentiel, de mil et un peu de blé.

Mais certains ont fabriqué du papier, de l'huile, des tissus de feutre et, pour finir, au XIXe siècle, des manches à balai tournés dans des bois locaux à BUDOS, des pièces de forge et de fonderie à La TRAVE et à BEAULAC et même ici et là de l'électricité.

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Les grands.

 

Les plus importants de ces moulins, tels CAUSSARIEU, Le CASTANG, La SALLE, par exemple, tous situés sur le CIRON, se sont contentés d'édifier un barrage déversoir en travers de la rivière.

 

Une partie de l'eau ainsi retenue était dirigée, sous conduite forcée vers les pales de la grande roue à aubes. Le débit normal du CIRON était tel que son cours suffisait pour alimenter cette conduite sans qu'il soit besoin de former un étang en amont.

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Les petits.

 

Par contre, tous les petits moulins situés sur ses affluents ont édifié des barrages fermés, sans déversoirs (sauf en cas de crues ou de fortes eaux évidemment) et, arrêtant net le cours de l'eau, l'ont obligé à constituer en amont des retenues parfois fort importantes, l'étang de la FERRIERE par exemple, sur la HURE, qui mesure presque 1 km de longueur.

Ce système pose parfois problème car si les débits de la HURE ou du BALLION sont, à l'évidence, suffisants pour faire tourner un moulin, la modicité de certains petits affluents permet d'en douter.

 

Allez donc voir le ruisseau de la MOULIASSE entre LANDIRAS et PUJOLS et vous constaterez qu'il ne dépasse guère une centaine de litres à la minute. Et pourtant il actionnait un moulin, tout comme le bien modeste ROUS à NOAILLAN ou bien le ruisseau de LEOGEATS.

 

 

Mais chacun d'eux avait un débit régulier en toutes saisons, alors que d'autres petits affluents parfois plus importants disparaissaient en période sèche : le TURSAN par exemple et c'est la raison pour laquelle il n'a jamais porté qu'un seul moulin, de construction assez tardive et au fonctionnement plutôt aléatoire.

 

Le secret de ces vaillants petits cours d'eau résidait dans le fait qu'ils coulaient fidèlement jour et nuit en tout temps. Or, aucun moulin ne travaillait la nuit. Les

meuniers savaient, d'expérience que les poussières volatiles de la meunerie en milieu confiné, étaient dangereusement explosives au contact de la moindre flamme. Et elles le sont toujours puisqu'il y a encore des accidents dans ce métier en dépit de tous les progrès qu'il a pu connaître.

 

Ainsi donc on travaillait dans les courtes journées d'hiver avec l'eau que l'on stockait la nuit, les dimanches et les jours de fêtes car le cours de ces petits ruisseaux, eux, ne s'arrêtait jamais

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Comment fonctionne un moulin?

 

 

Le rouet.

 

Nous n'allons évidemment pas entrer dans le détail de la technique. Qu'il nous suffise de dire que le mouvement vertical et lent de la grande roue à aubes extérieure doit être transformé en un mouvement de rotation rapide horizontal de la meule tournante.

 

Cette opération de conversion s'effectuait au moyen d'un dispositif aussi simple qu'ingénieux appelé "ROUET" et qui ressemblait un peu à une cage d'écureuil à claire voie. Pour bien en comprendre le fonctionnement, je vous invite instamment à aller voir celui du moulin de MARQUEZE dans le parc Régional des LANDES à SABRES. Il est identique à ceux des moulins du CIRON.

 

Le rouet était en bois.

 

Un bois très dur, en cœur de chêne ou même en buis. C'était la pièce maîtresse du mécanisme du moulin. Et à ce titre, elle faisait l'objet d'une attention toute particulière Elle était fabriquée par des charpentiers spécialisés, mais toujours surveillée par le meunier lui-même qui devait avoir une certaine connaissance du travail du bois.

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Les meules.

 

Les meules parfaitement circulaires, étaient en pierre; une pierre spéciale dite "meulière", très rugueuse et offrant de nombreuses aspérités. Vous en avez tous vu ici ou là, servant d'ornement dans les jardins.

 

 

Elles allaient toujours par paire. L'une restait immobile, solidement fixée à un socle. En gascon, elle s'appelait le "soustre". L'autre, tournante celle-là, descendait, à la demande au-dessus de la première, rigoureusement dans le même axe. Les grains, introduits entre les deux pierres étaient écrasés et moulus, tandis que la mouture correspondante était progressivement rejetée vers l'extérieur par la rotation des meules. Dans cette mouture grossière, on trouvait bourre, balle, son et farine tout confondus.

 

Ces meules étaient fort lourdes, suivant leurs dimensions, chacune pouvait atteindre ou dépasser la tonne, et il fallait que les aspérités de la pierre soient maintenues en état d'agressivité constante. Ce n'était pas chose facile mais c'était absolument indispensable.

 

Entre deux meules lisse, le grain aurait glissé sans s'écraser. Or, le frottement constant de ces pierres l'une sur l'autre avait pour effet de les user et de les polir. C'est là qu'intervenait le meunier qui devait en raviver l'agressivité selon des lignes radiales très précises.

 

Ce travail s'effectuait au moyen de ciseaux à froid en fer sur lesquels on frappait au moyen d'un maillet pour faire éclater, coup par coup, des milliers de petits éclats de pierre laissant sur la meule autant de minuscules arêtes coupantes. C'était un véritable travail d'artiste.

 

Si l'on ne faisait pas sauter suffisamment de pierre, la meule restait trop lisse, et si l'on en faisait trop sauter, la meule s'usait trop vite. Or une meule coûtait fort cher et l'épaisseur de son caillou faisait l'objet d'un procès verbal spécifique, en présence d'experts qualifiés, chaque fois qu'un meunier prenait la ferme d'un moulin.

                               

Ainsi par exemple, au XVIIIe siècle, au moulin de CASTANG ou de la SALLE ou n'importe où ailleurs, au jour de l'entrée en possession du meunier, on constatait par exemple que les meules offraient 20 pouces d'épaisseur de caillou, soit 54 cm, et l'on convenait par contrat que chaque pouce d'épaisseur manquant à la fin du bail, lors d'une nouvelle expertise, serait facturé 6 livres.

 

C'est un prix à peu près constant pour tous les moulins et pendant tout le siècle. Six livres représentaient le prix de deux moutons et demi. Deux moutons et demi pour 27 mm de pierre.

 

Le meunier avait donc tout intérêt à avoir la main légère, tout en l'ayant assez ferme pour que ses meules soient efficaces.

 

Non content d'être un peu charpentier, un meunier se devait d'être aussi un fin tailleur de pierre.

 

Ce travail, avons nous dit, s'effectuait au moyen de ciseaux à froid que l'on appelait des "Pricqs" Ils étaient en fer, car l'acier était alors très rare et réservé à de plus nobles usages.

Aussi s'émoussaient-ils très vite, et il fallait les reforger sans cesse. C'était le travail du forgeron du village.

Le meunier disposait par exemple de deux jeux de 12 pricqs, et souvent davantage, dont un en service au moulin et l'autre en cours de réhabilitation chez le forgeron.

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Point rond et pont carré

 

 

J'ai bien dit tout à l'heure que nous n'entrerions pas dans le détail de la technique de la meunerie, mais nous ne pouvons passer sous silence le problème du "point rond" et du "point carré". Il a soulevé trop de polémiques et de contestations en tous genres dans le pays pour que nous puissions l'esquiver.

 

Dans un moulin à point carré, la meule dormante, circulaire, était inscrite dans un coffrage de bois carré. Une part très notable de la mouture, au lieu de s'écouler vers l'extérieur et de tomber dans le sac qui l'attendait, trouvait refuge dans les quatre angles du bâti et y demeurait.

 

A la fin de l'opération, on refermait le sac pour le rapporter au client, et le meunier récupérait discrètement pour son compte la part de mouture qu'il retrouvait dissimulée dans les angles.

 

Dans un moulin à point rond, le coffrage de bois était circulaire, épousant au plus près la forme de la meule dormante, si bien que la totalité de la mouture était bien obligée de s'écouler vers l'extérieur sans que subsiste aucun reliquat. C'était toute la différence, mais elle était considérable.

 

Le Parlement de BORDEAUX avait formellement prohibé l'usage des dispositifs à point carré. Mais la succession des Arrêts qu'il avait pris en ce sens est la meilleure preuve qu'ils avaient été peu écoutés et suivis. J'en ai trouvé de 1572, 1694, 1709, 1711, 1726, et je ne suis pas du tout sûr de les avoir tous recensés.

 

Le dernier en date, du 13 mars 1748, encore plus comminatoire que les autres, parvint dans nos villages vers la mi avril et fut lu en chaire dans chaque paroisse par les curés, le dimanche 21 avril 1748, afin que nul n'en ignore la teneur.

 

Normalement, le Procureur du tribunal seigneurial de NOAILLAN aurait dû se rendre immédiatement dans chacun des trois moulins dépendant de son ressort, ceux de NOAILLAN, du CASTANG et de LEOGEATS.

Il n'en fut rien. Il ne prit la route que le 15 juillet suivant pour visiter lesdits moulins et y dresser les procès verbaux de ses inspections. Le voici par exemple au CASTANG, et laissons le parler:

 

"y étant, avons remarqué qu'il y a trois meules audit moulin, qu'elles sont nouvellement mises au point rond, sans qu'il y ait aucune distance ny intervalle où il puisse rester de la farine".

 

Vous avez parfaitement compris. Depuis au moins 175 ans le Parlement de BORDEAUX exigeait que les moulins fussent au point rond, et en dépit de ses arrêts réitérés, en 1748, celui de CASTANG ne l'était pas encore.

 Le Procureur de NOAILLAN, complice, avait discrètement prévenu Jean FERRAND, le meunier, et il a attendu trois mois pour intervenir, le temps de lui permettre la mise aux normes de son installation..

 

Cette anecdote pourrait être transposée en bien d'autres moulins de la région, car il s'agissait là d'une situation très générale.

Et pourquoi donc cette complicité d'un officier de justice qui, d'ordinaire, se signalait plutôt par sa rigueur ?

 

Tout simplement parce que si la justice du Roi, siégeant à BARSAC, était venue mettre le nez dans cette affaire, elle n'aurait pas manqué de rechercher toutes les responsabilités, celle du meunier, certes, mais aussi celle du seigneur lui-même, propriétaire du moulin et surtout celle du Procureur de la justice seigneuriale, expressément chargé de surveiller l'application des arrêts du Parlement.

Cela aurait été d'un grand désordre. Mieux valait mettre le meunier en demeure de s'exécuter et de n'aller inspecter son moulin qu'après avoir reçu l'assurance que tout était bien en ordre. Ce qui fut fait.

 

Et cette anecdote nous conduit tout naturellement à nous demander à qui appartenaient les moulins.

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A qui appartenaient les moulins ?

 

La réponse est on ne peut plus simple et ne comporte aucune exception dans  notre région, les moulins, tous les moulins, appartiennent aux seigneurs, ou à des moines. Celui de VILLANDRAUT au marquis de PONS, ceux de NOAILLAN, du CASTANG et de LEOGEATS à M. Du ROY, celui de FONBANNE à BUDOS, ainsi que le foulon du BATAN au baron de La ROQUE, celui de la SALLE à M. De RUAT,

 

Sans entrer dans le détail du droit féodal, ce qui nous mènerait très loin, nous dirons qu'au Moyen Age, tous les instruments de production d'une paroisse appartenaient au seigneur du lieu. Mais depuis lors, le temps avait passé et les seigneurs avaient perdu, du moins dans nos contrées, la propriété exclusive des fours à pain, des pressoirs et autres installations du même genre.

 

Au XVIIIe siècle, il ne leur restait plus guère que la propriété des moulins, des voies de communications locales et des boucheries, au demeurant très peu nombreuses.

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Les baux de fermages.

 

Un moulin appartenait donc à un seigneur, ou à un couvent, mais il ne l'exploitait jamais directement avec son propre personnel, il le donnait en fermage à des meuniers au moyen d'un bail à durée déterminée qui ne dépassait jamais neuf années mais qui pouvaient

être renouvelé.

 

Ces contrats de ferme étaient très détaillés, disons même d'une précision extrême. Le meunier prenait possession du moulin et prenait en compte l'épaisseur des meules, l'état de leurs ferrures, l'état du rouet, de la toiture, l'étanchéité du barrage, etc...etc...

 

S'il y avait des réparations à effectuer il était souvent convenu que le seigneur fournirait les matériaux tandis que le meunier prendrait les travaux à sa charge. Ce fermage était toujours complété par l'attribution d'une ou plusieurs prairies car les meuniers étaient de gros consommateurs de foin.

 

Alors que tous les transports du village étaient systématiquement assurés par des bœufs, seuls les meuniers utilisaient des chevaux. C'était une règle commune dans tout le bassin du CIRON et probablement bien au delà.

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Le droit de pêche.

 

Lorsque le moulin comportait un étang, un paragraphe spécial du contrat concernait souvent le droit de pêche. Il était généralement concédé au meunier moyennant une redevance annuelle dont le montant, déterminé à part, était très élevé, Ici encore les conditions d'exercice de ce droit étaient rigoureusement définies.

 

On prévoyait généralement que l'étang serait vidé une fois tous les trois ans et le poisson capturé au filet. Un poisson qu'il pouvait vendre à son compte sur les marchés locaux sous la seule réserve de 20 à 25 kilos environ qu'il devait offrir gratuitemnt au seigneur.

 

Cette opération se pratiquait au moment du carême, période particulièrement propice à ce genre de vente. Mais il était toujours bien précisé que les alevins devaient être remis à l'eau, et leur définition était donnée: 240 grammes et au-dessous pour les carpes, 120 grammes pour les brochets, etc... Rien n'était laissé au hasard.

Dans le contrat de ferme du moulin de la FERRIERE du 21 mars 1764, le montant de la redevance annuelle était fixé à 800 livres. Et comme la pêche ne pouvait être entreprise qu'une fois tous les trois ans, ceci revenait à dire que le fermier versait au seigneur 2.400 livres pour chaque opération.

 

A l'époque, ces 2.400 livres représentaient le prix d'un troupeau de près de 100 vaches, ou de 60 à 70 barriques de vin de BOMMES, ou encore le prix d'un troupeau de bien près de 1.000 moutons. Il fallait que l'espérance du produit de cette pêche fut bien grand pour accepter, par contrat, le prix d'une pareille ferme.

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Le prix des fermages.

D'ailleurs, le prix des fermes des moulins était lui-même très élevé. Il était souvent exprimé partie en nature et partie en numéraire.

Pour un moulin à trois meules se situant donc dans la catégorie supérieure des moulins du CIRON, l'annuité s'élevait, en ordre de grandeur à 200 ou 220 hectolitres de seigle, une centaine d'hectolitres de mil, et une centaine de livres en argent.

 

 

 

A cela s'ajoutaient ce que l'on appelait les redevances qui pouvaient être très variées et même parfois originales. Ce pouvait être quelques paires de canards, ou encore dans l'un de ces contrats, 8 paires de chapons, ou bien quelques douzaines d'oeufs ou, plus insolite l'obligation : 

"de nourrir et rendre deux cochons gras, le seigneur luy fournissant

lesdits deux cochons de quatre à cinq mois de naissance....................... "

 

Tout cela faisait beaucoup. Si l'on tient compte des nombreux jours de fête de l'époque, on ne comptait guère plus de 280 jours ouvrés par an. Pour satisfaire au prix de la ferme, il fallait donc que le meunier trouve le moyen de prélever nettement plus d'un hectolitre de grain chaque jour, sur ses pratiques, en plus de l'argent frais, les cent livres, et les redevances

 

Cela donne une indication sur le niveau d'activité de ces moulins en rappelant bien qu'il s'agit ici des plus importants.

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La vie des meuniers.

 

Comment vivaient ces meuniers?

 

Ils constituaient de véritables dynasties. On était meunier de père en fils, et on apprenait le métier sur le tas, dans le moulin de son père

 

Les meuniers n'attendaient pas les clients à leur porte. C'est eux et leurs valets qui démarchaient leurs pratiques à domicile, y enlevaient les grains et y revenaient livrer le produit de leur mouture.

 

Ce démarchage donnait lieu à des compétitions féroces, chacun s'efforçant de conquérir le client du voisin. Et pour ce faire, tous les coups étaient sinon permis, du moins pratiqués, même les plus mauvais.

 

En doutez-vous ?

 

Le 27 février 1749, pierre, valet de Jean BOURRUT, meunier de VILLANDRAUT, revenait de la SAUBOTTE en rapportant des sacs de grain au moulin de son maître.

 

Un peu après le bourg de NOAILLAN, à la hauteur de GAHET, il tombe dans une

embuscade dressée par le valet et la servante de Jean FERRAND, meunier du CASTANG.

 

Ils avaient un couteau chacun à la main, ils le rossent et lui volent ses sacs pour les emporter dans leur moulin. Et l'on saura plus tard que la femme de Jean FERRAND, la meunière, était dans la prairie d'à côté, derrière la haie, supervisant le bon déroulement de l'opération. C'étaient de rudes gaillards.

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Leur rémunération.

 

Les meuniers n'étaient jamais rémunérés en argent, mais se payaient de leur peine par un prélèvement qui, dans toute la vallée, était de 1/16e sur les produits bruts de

mouture, soit donc un peu plus de 6%. C'était la source d'innombrables contestations dans le détail desquelles nous n'avons pas le loisir d'entrer

 

Pour obtenir de l'argent frais afin de payer son personnel, ses impôts seigneuriaux et surtout royaux, de beaucoup les plus élevés, pour régler le montant de ses fermes chaque meunier se doublait d'un négociant en grains et farines, vendant le produit de leurs prélèvements sur les marchés locaux essentiellement ceux de VILLANDRAUT, très important, LANGON et BAZAS.

 

A tort ou a raison, tous ces meuniers étaient perpétuellement soupçonnés de manœuvres diverses peu orthodoxes et portaient le poids d'une assez mauvaise réputation.

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Perception des péages.

 

De surcroît, ce qui n'arrangeait rien, certains d'entre eux se voyaient investis par le seigneur de la charge de percevoir pour son compte les péages établis sur le passage des radeaux, c'était le cas des moulins de CASTANG et de la SALLE, ou sur le passage d'un pont voisin comme à CAZENEUVE ou à CASTELNEAU de Cernes

 

Les péages établis sur les ponts étaient relativement acceptés car, après tout, on savait bien que les seigneurs les avaient fait bâtir à leurs frais. Les contestations s'élevaient plutôt lorsqu'ils étaient mal entretenus.

 

Par contre les péages établis sur le CIRON lui-même au passage des moulins étaient très mal vus et on le comprend sans peine.

 

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Le flottage.

 

Non seulement le seigneur coupait la rivière par un barrage formant ainsi un obstacle à la libre circulation du flottage, mais de surcroît, il faisait percevoir une redevance de 10 sols par radeau pour le franchir.

 

Les utilisateurs du CIRON, tant chargeurs que radeliers protestaient haut et fort, et d'autant plus fort qu'au XVIIIe siècle la politique royale visait précisément à pourchasser et supprimer systématiquement les péages injustifiés; et ils étaient encore nombreux.

 

Et non seulement ces braves gens se plaignaient de ces péages, mais aussi des modalités de leur perception. Dans une supplique du 18 avril 1775 adressée directement au ministère de VERSAILLES, ces braves gens dénonçaient aussi bien l'enrichissement sans cause de M. Du ROY pour le CASTANG, et de M. De RUAT pour la SALLE mais aussi l'attitude de :

 

"leurs fermiers qui se croyant tout permis, vexent les particuliers qui sont dans la nécessité de prendre cette voie pour les transports de leur bois. ..."

 

Ce qu'ils appellent vexation est facile à comprendre. Lorsqu'un train de radeau se présentait pour passer au passelis du moulin de la SALLE ou d'ailleurs, il est bien

probable que le meunier ne mettait pas beaucoup d'empressement à interrompre son travail de meunerie pour envoyer le courant de l'eau vers le plan incliné.

 

On devait souvent entendre dire" laisse moi terminer ce que j'ai en train, et je te ferai passer après", ce que les radeliers, toujours pressés de parvenir au terme de leur voyage, ne devaient pas beaucoup apprécier.

Encore est-il infiniment probable que ces propos ne s'échangeaient pas sur le ton de la conversation de salon et que chacun des interlocuteurs devait réciproquement mettre sérieusement en doute la vertu de leur mère respective... ...

 

Ce flottage sur le CIRON a été considérable. Au XVIIIe siècle, il portait essentiellement sur des bois ouvrés (planches, chevrons, etc..),  des bûches de pin destinées au chauffage de BORDEAUX, ainsi que sur les échalas destinés aux vignes de la région des GRAVES.

 

Cette activité devait se poursuivre tout au long du XIXe siècle et connaître soudain une

spectaculaire expansion lorsque les mines anglaises s'intéressèrent aux poteaux de soutènement que pouvait fournir la LANDE.

Ceci survint en 1865 lorsqu'à la suite d'un hiver particulièrement rigoureux, le golfe de BOTNIE vint à geler, si bien que les navires britanniques ne purent plus approcher des ports finlandais où ils avaient coutume de s'approvisionner.

 

Ce fut la chance de nos forêts qui se substituèrent à cette fourniture. Dès lors, l'activité du flottage ne cessa de s'accroître. En 1872 par exemple, on compta sur le CIRON le passage de 1115 radeaux représentant 19.000 tonnes de bois acheminées vers le port de BARSAC, et de là sur les docks de BORDEAUX.

 

Voie de communication évidente sur un axe sud/nord, nous avons dit aussi que le CIRON avait toujours également été un obstacle aux échanges d'est en ouest et réciproquement.

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LES PONTS.

 

Leur rareté et leur état d’entretien.

 

Les ponts étaient rares. Jusqu'au début du XIXe siècle, il n'y avait de véritables ponts sur le CIRON qu'en trois points : à CAZENEUVE, à VILLANDRAUT et à BARSAC.

 

Encore celui de VILLANDRAUT était-il dans un bien triste état depuis qu'un parti de Protestants en retraite l'avait fait sauter en 1592.

 

Et comme il était indivis entre les seigneurs de NOAILLAN et de VILLANDRAUT, aucune des deux familles, pendant 170 ans ne voulut prendre l'initiative de le restaurer de peur que l'autre lui laisse sur les bras la totalité de la dépense.

 

Pendant tout ce temps là, on y passa tant bien que mal, et beaucoup plus mal que bien, sur des planchers branlants jetés sommairement sur ce qui restait des piles effondrées.

 

Les autres passages, au Pont d'AULAN ou à la SALLE par exemple, n'ont longtemps été que des passerelles pour piétons, cavaliers et animaux de bât. Leur franchissement, surtout par temps de crue, restait hasardeux.

 

La chronique rapporte qu'en tel endroit un cheval passa à travers le plancher et se noya tandis que son cavalier restait suspendu au-dessus de l'eau et qu'au pont de la SALLE le 2 mai 1776, tout à l'inverse, un inconnu se noya tandis que ses mules demeuraient en arrêt devant le gouffre. Voilà qui n'était pas de tout repos.

Il y eut même des moments très difficiles, lorsque par exemple le pont de CAZENEUVE fut emporté par une crue du CIRON en février 1735 alors que le pont de VILLANDRAUT était impraticable.

 

Pendant un temps, il n'y eut plus que le pont de BARSAC et les différents gués, ceux-ci n'étant toutefois accessibles qu'en période de basses eaux. Pendant ce temps de crise, les marchés de VILLANDRAUT, LANGON et BAZAS ne purent communiquer entre eux, au grand dam du commerce local.

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Exemple du Pont d’Aulan.

 

Mais songez aussi aux problèmes rencontrés par les paroisses situées à cheval sur la rivière, telles LEOGEATS et NOAILLAN qui, pendant des semaines en temps de crues, et parfois des mois, se trouvèrent coupées en deux pour quelques dizaines de mètres infranchissables.

 

De tous ces passages, celui du Pont d'AULAN,a longtemps été l'un des mieux entretenus, et à cela il y avait une bonne raison.

 

Il appartenait en effet au baron de LAROQUE BUDOS, lequel avec sa famille, résidait effectivement chaque année dans son château de Pâques à la fin des vendanges. Le reste du temps il vivait à BORDEAUX.

 

Mais tout au long de la belle saison, il ne se faisait pas faute de circuler dans le pays. Il venait à BOMMES où il empruntait de l'argent à une veuve qui semblait en détenir pas mal, en tout cas plus que lui; il rendait visite à SAUTERNES ou à FARGUES, tant et si bien qu'il finit par mourir d'un coup de sang à la fin d'un repas à la table du curé de BARSAC.

 

Avant d'en venir à cette extrémité, il avait donc eu, chaque année, maintes et maintes occasions de franchir le CIRON. Disons qu'il était client de ce pont.

 

C'était une situation bien différente du pont de VILLANDRAUT dont les deux copropriétaires habitaient, l'un à BORDEAUX, M. Du ROY, où il était Président de la cour des AYDES, et l'autre à BERLIN, M. de PONS, où il était Ambassadeur de France.

 

Rien d'étonnant à ce que la reconstruction de leur pont n'ait pas constitué leur première priorité.

 

Reste que ces passerelles étaient toujours à la merci d'une crue un peu forte. C'est l'aventure qui survint en particulier au pont d'AULAN au début de la Révolution. Et là, la toute nouvelle municipalité de BUDOS se trouva fort dépourvue.

 

Elle prit soudain conscience que, le baron ayant émigré à COBLENCE, c'est à elle qu'incombait désormais la charge de rétablir ce passage. Elle en délibéra le 19 mai 1793 et décida de couper les bois nécessaires dans la forêt du ci-devant, entre temps devenue "bien national"

 

 

Ne disposant encore d'aucun moyen financier, elle taxa le meunier de FONTBANNE de fournir la main d’œuvre. Sans grand enthousiasme, il accepta néanmoins cette charge car la moitié de sa clientèle résidait sur les communes de BOMMES et de SAUTERNES et que la rupture du pont mettait son commerce à rude épreuve.

 

En fait, cette opération ne constitua qu'un rafistolage. Cet ouvrage fut de nouveau emporté.

 

En mars 1843, BUDOS et BOMMES en demandèrent le rétablissement. Un devis sommaire fut établi, il approchait les 1.500 francs.

 

Faute d'avoir les moyens de le financer, on s'en remit au résultat d'une collecte effectuée auprès des habitants de BOMMES, SAUTERNES et BUDOS. Hélas leur générosité, parcimonieusement mesurée, ne permit pas de réaliser ce projet

 

On y établit donc un bac vers 1850, mais il se révéla si peu rentable qu'en mai 1860 aucune des trois communes ne voulut en reprendre la concession.

 

Nous arrêterons là cette anecdote dont les développements administratifs sans grand intérêt nous conduirait jusqu'au XXe siècle. Et au surplus, pourquoi privilégier l'histoire de ce pont plutôt que celle de la passerelle du BRUHE ou du LANDON, ou d'autres encore. Il y aurait trop à dire, on ne saurait tout raconter.

 

Disons pour résumer que c'est à partir du Second Empire que les ponts que nous connaissons aujourd'hui ont commencé à relier les deux rives.

 

Et il y aurait ici tout un travail à entreprendre dans chacune de nos mairies car il apparaît qu'au fur et à mesure qu'on a lancé des ponts sur le CIRON, le nombre des mariages entre jeunes gens des deux rives n'a cessé de croître.

 

C'est une preuve, s'il en était besoin que le CIRON a bien constitué un certain obstacle aux relations de toutes natures entre les populations des deux rives.

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CONCLUSION.

 

Nous voici parvenus au terme de ce tour d'horizon. Il est assurément très incomplet. J'ai essayé de vous présenter une synthèse de l'essentiel de ce que nous savons sur ces quelques aspects de la vie du CIRON.

 

Nous disposons sur ces sujets de plusieurs milliers de documents exploitables répartis sur deux siècles. Où donc serions nous allés si nous étions entrés dans leur détail ?

Des journées entières d'exposés n'y auraient pas suffi, et la patience dont vous avez jusqu'ici fait preuve envers moi aurait été mise à rude épreuve.

 

C'est une expérience que je n'ai pas voulu tenter.

 

J'espère que vous m'en serez reconnaissant.

 

 

Jean DARTIGOLLES

 

 

Texte préparatoire à la conférence.

Revu et aménagé par l’auteur.

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Texte préparé le 11 juillet  2001             A.C.

Mis sur le site le

 

 

 

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