TEXTES EN GASCON.

 

Ma Garbetto.

(Ma petite gerbe)

 

Chez les Pauvres.

Etudes de chez nous.

 

Ché lous Praoubes.

 

Estudos dé ché nous aouts.

 

Deux Souvenirs de Guerre. Dus Soubenis de Guerro.

 

Récits et poésies en Langue d'Oc (contrée de Lesparre) avec traduction de l'auteur.

 

Abbé D-M. BERGEY. Curé de Saint Emilion 
ex-Aumonier Militaire du 18 ème R.I.

Edition de la Revue Méridionale.  5 rue Fondaudège. Bordeaux. 1923.

Collection Christian de Los Angeles.

Le Caporal "Courge".

 

 

Lou Capoural "Cuyot".

 

Ces textes sont issus d'un livre ancien.
Photocopiés et scannés avec reconnaissance de caractères.
Ils peut subsister des erreurs, surtout en gascon.

Prière de nous les signaler. ancochet@wanadoo.fr

 

 

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Dédié à M. l'Abbé Doyhenart de Guétthary, 
ancien poilu du  12è.

Dediat à Moussu l'Abbè Daguzan de Paou, 
ancien pélut daou  12e
.

 Il était faucheur, autrefois, chez le châtelain de Tartuguière. 

Ero faoutsayre, a'stat, ché lou Moussu de Tartugueyro.

Il passait tous les matins, avec ses gros sabots, ferrés de larges clous à tête plate, sa pierre à aiguiser attachée avec une corde, sa faux sur l'épaule.

 Passaou touts lous matïns, en sas grossos galotsos, herrados de tatsos, sa couts estacado as rens en d'eno cordo, soun dail se l'espalo.

  Mais surtout il traînait derrière son dos une grosse diablesse de courge, suspendue à côté de sa gibecière... mais grosse ! grosse !! qu'un enfant de onze mois aurait pu s'y noyer dedans ! 

 

Aussi nous ne l'avions point épargné, le pauvre homme ! Tout de suite, il fallut l'appeler  " la Courge ».

Mais sertout roussegaou darrey l'esquino en gros diables de cuyot, pendut aou coustat de sa gebicièro... mais gros !... gros  !!... qu'en petit de oundze mes aourè pouscut se nega deden ! 

Tabè, l'aouièn pas manquat, lou praoube home ! Tout de ranc, fallut l'appera « lou Cuyot ».

Quand la guerre éclata, la Courge reçut sa feuille rouge.

 

De vieille classe, le voilà parti dans un régiment territorial.

Quant la guerro esclatèt, lou Cuyot recebut soun papey roudze. 

Estants de beillo classo, lou bala partit dens en regimen territorial.

Il fit son métier de soldat, comme il fauchait ses prairies... sans se presser, mais sans se plaindre ni se reposer. 

 

Si bien que son capitaine, un pauvre vieux qui vendait de la chandelle, avant la guerre, à Beychevelle, le fit nommer caporal : le caporal « Courge ».

Hit soun mestey de souldat coume faoutsaou sous prats... sens se precha, mais sens se plagne ni se paousa. 

Si bièn que soun capitaino, en praoube beil que bendè de la candelo, aouant la guerro, à Bacho-Belo, lou hit nouma Capoural : lou Capoural Cuyot.

Il venait juste de mettre ses galons, lorsqu'il passa, un soir de janvier, dans notre secteur, à toucher Berny, dans la Somme. Il suivait le boyau 4 qui menait vers le 18 et le 218.

Binè dzus de mètte sous galouns, quant passèt, en dessey de Janviè, dens noste secturt, a touca Berny, dens la Sommo... Siguè lou bouyèou quate, que menaou bèrt lou « dise hueyt » et lou « dus cènts dise hueyt ».

Tout à coup, il trouva un vieux, plein de boue jusqu'aux genoux, avec une capote toute sale. 

 

C'était le colonel C..., qui commandait une de nos brigades. 

 

Un brave homme !  Et point endormi ! 

 

Il aimait se promener seul, sans galons, dans tous les coins, pour bien se rendre compte. 

 

Un bon chef et un bon père, quoi !

Tout d'en cop trobo en beil, plen de hagno trunqu'as dzenouils, en deno capoto touto salo. 

Aco èro lou coulounel C..., qué commandaou uno de nostos brigados. 

En brabe home ! Apey brigo endroumit !

 Aymaou se premena soul, sens galouns, dens touts lous cugns, pré bien se rènde coumpte. 

En bon chèf et en bon pay, quoi !

La Courge le prit pour un vieux du 218.

 

 

Tout de suite, il s'arrêta avec lui pour causer :

Lou Cuyot lou prengut pr'en beil daou « dus cents dix heueyt ».

Tout de ranc s'arrèstèt en d'et pre caqueta.

"Dis donc, camarade, suis-je encore loin de Berny ? 

 

Avec leurs fourbis de boyaux, on ne sait jamais où l'on est !

« Dis donc, lou camarado, sey encaro lougn de Berny ? 

En lus fourbits de bouyèous, l'on sap jamès an l'on es !

Tu es presque arrivé, lui répond, en riant, le vieux. 

 

Tu as encore quatre ou cinq cents mètres...

Sès quasi ribat, yé dichut lou beil en ridènts. 

As encaro quate ou cinq cènts mètres...

Ce n'est, pas trop tôt, continua la Courge. Je suis trempé de sueurs ! 

 

Si ce n'est pas malheureux, à notre âge, de marcher dans de pareils fossés ! 

 

Regarde moi cette boue et ces trous ! on n'y mettrait pas des porcs !!

Es pas trop lèou, countinuèt lou Cuyot. Sey tout trèmpe de caout ! 

S'acos pas malherus, à noste adze, de marcha dens das houssats pareils !... 

Gayto m'aquero hagno, et aques cros !! Lon yé mettrè pas das tessouns !

Le fait est  que l'on tire la jambe, ici l Moi aussi je sue !

 

Parbleu, mon pauvre s….! C'est que tu n'as pas l'air jeune !

Lon fait es que l'on tiro la camo, aqui !! You tabè súdi !...

Pardi, moun praoube salop ! Cé que n'as pas l'air dzène !

C'est honteux des boyaux pareils ! Tu peux croire que les colonels, les états-majors et  tout le tremblement, ça ne viendra pas se promener par ici. 

 

Ça a peur de se salir, ces Messieurs ! Nous autres, les pauvres b....  nous pouvons nous en mettre jusqu'au nombril ils ne viendront pas voir, va !...'»

Acos narious, das bouyèous ataou ! Pos creyre que lous coulounels, lous estats-majorts et tout lou tremblemen, aco bindra pas se premena pr'aqui... 

Aco a poou de se sali, aquès Moussus !... Nous aouts, lous praoubes bougres, poudèn nous en mètte trunquos à l'emounil... bindran pas beyre, ba !... »

Le vieux riait…  Mais « la Courge » ne riait pas, lui.

Lou beil ridé... Mais lou Cuyot ridé pas, ét !

« Tu ris, Tu ris... Il n'y a pas de quoi rire ! Tu n'en es donc pas saoul toi, de leur rosse de guerre ! 

 

Moi tu sais, j'ai des douleurs partout... Je ne peux plus me traîner... et puis il faut donner le bon exemple aux hommes... Mais... tu sais.., il y a de quoi en être rassasié !...

« Rides ! Rides ! Y a pas dequé ride !!!  N'en sès pas hart doun, tu, de lu chibaou de guerro !! 

You, sabes, ey de las doulous pertout... poy pas mey me roussega... apey faou douna lou bon mouvemen as homes... Mais, sabes, ya deque n'esta harts !...

Ah ! tu peux croire, dit le vieux, que moi aussi j'en ai soupé ! Mais, comme tu dis, il faut faire son devoir. 

 

Et puis, il y a les enfants ! Il ne faut pas qu'ils voient ce que nous avons vu ! Alors... il faut achever le travail !...

Ah ! pas creyre, dichut lou beil, que you tàbè n'ey soupat !  Mais, coume dis, faou ha soun débé... 

Apey ya lous maynadzes !  Faou pas que nostes petits bèyen ce qu'èn bis  ! Alors... faou feni lou trabail.

Parbleu !  Je le sais bien, disait tout doucement « la Courge. », tout sérieux. Il faut que nous débarrassions nos gosses de ce sale peuple !

Pardi lou sàbi bè, didè tout doucemen lou Cuyot, tout serius. Faou que desbarrassièn nostes cochos d'aquet sale puble !

Ça me fait plaisir de voir un vieux comme toi dire ainsi de bonnes choses. Tu sais ... je suis caporal... Eh bien !  je te félicite  Tu es un bon b...  Tiens ...  bois un coup à la régalade ! »  

Aco me hey plesi de bèyre en beil coume tu, dire ateu de las bonos caousos,Sabes ? sey capoural.  Eh bè ! te feliciti. Sès en bon bougre. Tè ! buou en cop aou galet ! »

Il lui tendit son bidon et pendant que le vieux buvait quelques gorgées, « la Courge » continuait:

« Et puis, tu sais, si je peux quelquefois te rendre service... ne te gêne pas !

Ye tendut soun bidoun et tant que lou beil buè quaouquos gourdzados, lou Cuyot countinuaou :

"Apey, sabes, se poy das en cops te rènde serbice, te dzeynes past !

Oh ! merci bien !

Alors... tu es caporal ?

Oh ! mercio bien !

Alors... sès capoural ?...

Eh oui ! Ils m'ont f... ichu caporal. Je ne voulais pas, parce que l'on se fait engu….irlander du matin au soir. 

 

Mais ils m'ont dit qu'il fallait y mettre les plus intelligents... Alors... que veux-tu... Ils m'ont donné une escouade : Pour leur rendre service, je l'ai gardée ? 

 

Et toi, que fais-tu ? Tu ne m'as pas l'air bien endormi. Je suis surpris qu'ils ne t'aient pas nommé quelque chose...

Et  o !  m'an foutut capoural. Bouli pas, parço que l'on se hey engula daou matin aou dessey. 

Mais man dit que fallè ye mette lous pes intelligènts... Alors... que bos ? M'an baillat eno escouado... Pré ye sé rènde serbice l'ey gardado...

Et tu que has ? M'as pas l'airt bien endroumit... M'estouni que t'ayen pas noumat quaouquo rè...

Oh ! moi, se mit à dire le vieux... c'est comme toi ! Seulement... moi... ils m'ont f ... ichu colonel... »

 

La Courge faillit tomber à la renverse !  Il ouvrait des yeux comme un écureuil. Il était suffoqué !... 

 

« Colonel »  balbutia-t-il... mais tu fais ça... pour rire ?...

Oh ! you, se mettut a dire lou beil ... aco's coume tu ! Sélémen... you... m'an foutut coulounel... »

 

Lou Cuyot manquèt toumba de rebès ... Oubrè das èils coume en gat esquiroou ! Ero santrasit !...

 

Coulounel !... papouteyèt ... mais... has aco pré ride ?

Tu peux croire ! Vrai comme je te le dis  ! Colonel ! Je ne voulais pas, moi non plus...

 

 Mais ils m'ont dit qu'il fallait des hommes intelligents. Alors, que  veux-tu... ils m'ont donné une brigade... et il a bien fallu que je la garde...

Pos creyre ! Brayt coume te lou dédi ! Coulounel ! Bouli pas, you tabè... 

 

Mais m'an dit que fallè das hommes intelligènts... Alors, que bos ? m'an baillat eno brigado... et a bè fallut que la gardèssi  !... 

Mais ça ne m'empêche pas, tu le vois, de passer dans le boyau des pauvres b... et même de m'arrêter pour causer avec eux... 

 

Et le brave colonel riait à plein coeur.

Sélémen aco m'empècho pas, bès ?, de passa dens lou bouyèou das praoubes bougres... et mêmes de m'arresta a caqueta en d'éts.... »

 

Et lou brabe coulounel ridé tant que poudè !

En fin de compte, il serra la main du caporal :

 

« Tu es un brave homme. Ne crains rien !  Ton colonel est content de toi. 

 

Tu grognes... et tu accomplis ton devoir... Vous êtes tous les mêmes... »

Pré feni, sarrèt la man daou capoural :

« Sès en brabe home... T'enchantes pas ! Toun coulounel es couatènt de tu. 

 

Grougnes mais as boun co et has bien toun débé... Sèts touts ataou... »

Et, tout doucement, avec une larme à l'oeil, il ajouta :

 

C'est pour cela que je vous aime tant mes pauvres enfants !!!

 

« Allons ! Adieu !  Merci de ton pinard,  tiens ! voici cinq francs pour t'en acheter d'autre... »

Et tout doucemen, en d'eno lermo à l'èil, ajoutèt : 

« Acos pr'aco que bous aymi tant, mous praoubes maynadzes !!

« Anen... âdiu ! Mercio de toun pinart... Tè !  baqui cinq liouros pré t'en acheta de l'aoute.. ».

Le soir, dans la sape, quand la Courge raconta l'affaire à ses camarades, il posa sa main sur l'estomac. 

 

Et il répétait, tout troublé : « Eh bien ... ce colonel... il n'y a pas à dire…. voilà un brave drôle ! »

Lou dessey, dens la sapo, quant lou Cuyot countèt l'affa a sous camarados, se mettut la man se l'estoumac... 

et repetaou, tout brouillat :  Eh bé... aquet coulounel... ya pas a dire... Bala en brabe drole ! »

 Poste de secours Bergonié, Octobre 1918 (Laffaux).

Note: Ce récit parut dans "le Rayon" du 18è  R.I. (Octobre/Novembre 1918). 

 

L'auteur avait signé : Thoumille, Mareyeur du Marcadieu.

 

C'est notre aimable camarade Ulysse Dugos, secrétaire de mairie à St Emilion, qui a retrouvé et nous a prêté ce numéro. Nous lui disons, ici, toute notre reconnaissance.

Poste de secous Bergouniè, Octobre 1918 (Laffàux).

Noto: Aquet histoirt parechut dens « lou Ray » daou  Dise Huit » (Octobre/Nouvèmbre  1918). * 

 

L'aouturt aoué signat : Thoumillo, recardey aou Marcadio.

Aco's noste aymiable camarade Ulysso Dugos, secrétari de Mairio a Semelioun, qu'a retroubat et nous a prestat aquet numero. Ye didèn, aqui, touto nosto recounechènso

D-M. BERGEY.

 

Réalisée le10 octobre 2004

 André Cochet

Mise ur le Web le     octobre 2004

Christian Flages

Mise à jour le

                 

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