Chapitre 1

Le temps........!

Le temps de naître, le temps d'aimer et le temps de mourir.   



 

La naissance: 4
Le nom de baptême 6
Les surnoms 8
Les noms patronymiques 10
Le mariage 12
Le contrat de mariage 17
Les fiançailles 36
La proclamation des bans 37
Le jour du mariage 40
La mort: 42
Les testaments 44
La mort et les obsèques 49
La démographie: 53

 

 

 

  LA NAISSANCE.

 

Le 13 Janvier 1760 au matin, à ANDRIVET, un peu au-delà du Village de PAULIN, naissait Isabelle DUPRAT. Elle était fille de Jean DUPRAT et de Marie LEGLISE. Ses parents n'avaient guère couru le monde; sa mère en particulier était née elle-même à PAULIN, à quelques centaines de mètres de là.

 

Selon l'usage du temps, la petite Isabelle fut "portée à l'Eglise" le jour même pour y être baptisée. Son Parrain LARUE et sa Marraine Isabelle LAMAISON étaient sur place, et pour rien au monde, on n'aurait accepté de différer plus avant cette cérémonie.

 

Comme tous les petits Budossais de son temps, Isabelle était née chez elle, en la maison de son père. Entourée de ses parentes et de ses proches voisines, sa mère avait été assistée par une Sage Femme que l'on appelait aussi souvent "Femme Sage" et en gascon "Broye Hemne" ce qui, littéralement signifie "Belle Femme".

 

N'est pas Sage Femme qui veut. Il n'y en a qu'une par paroisse rurale. Elle n'a pour autant reçu aucune formation spécifique, sinon celle de l'expérience acquise au fil du temps. Mais elle bénéficie de la confiance des femmes du Village car elle a été élue au sein d'une assemblée dans laquelle les hommes n'ont eu aucune part. 

 

Elle a dû ensuite prêter serment entre les mains du Curé de la Paroisse car c'est l'Eglise qui réglemente cette procédure. Il ne s'agit point pour elle de vérifier une quelconque compétence médicale, mais elle cherche tous moyens utiles de se prémunir contre les risques d'avortements, qu'ils soient naturels ou plus ou moins provoqués. Et qui donc pourrait être mieux placée que la Sage Femme du Village pour se transformer en "faiseuse d'anges" ?

 

D'où le souci de l'homologation de la personne élue et la solennité du serment. Il n'a pas été possible jusqu'ici de retrouver trace de l'un de ces Procès Verbaux d'élection dans les archives Budossaises. Elections au demeurant très rares, car ni l'Eglise, ni les femmes ne tenaient à changer trop souvent de titulaire. 

 

Sur les trente années faisant l'objet de notre étude, peut-être y a-t-il pu avoir une ou deux élections, probablement pas beaucoup plus, et, à la limite, il se peut qu'il n'y en ait eu aucune ...    

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Si donc aucun texte précis n'a pu être retrouvé concernant BUDOS, les circonstances de ces désignations n'en sont pas moins parfaitement connues et communes à toutes les Paroisses du Diocèse de BORDEAUX. Un Procès Verbal extrait des archives de LEOGEATS fournit une bonne illustration de cet évènement :

 

" Aujourd'huy, le vingt troisième jour du mois de Septembre de l'année mille sept cent trente six, Jeanne LARUE, Veuve de Mathieu FORTON, habitante de cette Paroisse, âgée d'environ cinquante ans a été élue dans l'Assemblée des femmes de cette Paroisse à la pluralité des suffrages pour exercer l'Office de Sage Femme et a prêté entre nos mains le serment ordinaire à ce requis suivant l'Ordonnance de Monseigneur l'Archevêque de BORDEAUX, en foy de quoy j'ay signé : COMET, Curé."

 

A BUDOS, Suzanne LAPORTE, Sage Femme en titre sur une longue période, avait manifestement la confiance du Curé DORAT. En aucun cas, il n'a jamais formulé la moindre réserve au regard des décisions qu'elle a souvent prises d'elle même de baptiser un enfant au cours d'une naissance difficile. Il n'a même jamais jugé bon de justifier ces décisions dans les actes de baptême qu'il rédigeait ensuite lors de la présentation de l'enfant à l'Eglise. 

Par contre, il estimait utile d'attester de la qualité de "bon chrétien", ou de se porter garant de la "dignité de confiance" des tierces personnes pouvant intervenir dans les mêmes cas d'urgence. Visiblement, il établissait dans son esprit une hiérarchie d'appréciation entre les actes de la Sage Femme assermentée, et ceux des tierces personnes qui ne l'étaient pas.

Un tiers de ces enfants mourait avant l'expiration de leur cinquième année; de maladies infantiles certes, mais aussi très certainement d'épidémies ( en particulier de la variole et du choléra ) auxquelles ils semblent avoir été particulièrement sensibles. Si les statistiques portant sur le nombre des décès reposent sur des bases pratiquement indiscutables, elles ne peuvent néanmoins nous éclairer sur les causes exactes de cette mortalité infantile.  

On peut cependant relever des séries de décès impressionnantes dans lesquelles, sur le seul territoire de la Paroisse, on voit disparaître cinq, six, ou sept enfants en trois semaines, voire en quelques jours. C'est sur la base de telles séries que peut s'établir l'hypothèse d'épidémies qui, au demeurant, et au même moment, n'épargnaient pas davantage les adultes.

 

Lorsque ces décès affectent les membres d'une même famille, père, mère, ascendants et enfants, tous âges confondus et à très bref intervalle, on peut, sans risque d'erreur, tenir une épidémie pour responsable.

   

Au-delà de cinq ans, les décès se font plus rares et les chances de survie augmentent nettement. Il n'en reste pas moins que sur la période d'une génération, en cette fin du XVIIIème siècle, il est facile d'établir que 40 % au moins des enfants Budossais nés viables ne sont jamais parvenus à l'âge du mariage. Encore faut-il bien dire que cette situation constituait déjà une amélioration par rapport au siècle précédent.

 

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Sitôt nés, les jeunes Budossais font leur entrée dans la Communauté par la voie du Baptême. Celui-ci, nous l'avons déjà vu, ne saurait souffrir aucun délai. En règle générale, il est administré le jour même de la naissance ou le lendemain au plus tard si elle a eu lieu le soir ou dans la nuit. 

 

On rencontre quelques très rares cas d'attente jusqu'au surlendemain, situation très mal vue du Curé qui ne manque pas, en ce cas de signaler dans son acte qu'il n'est pour rien dans ce retard.

 

L'enfant est donc apporté à l'Eglise par son Parrain et sa Marraine afin d'y être "présenté" et d'y recevoir un nom.

   

LE NOM DE BAPTEME.

 

Il reçoit en effet un " Nom de Baptême " et non point un Prénom. Le Prénom est une invention républicaine instituée par le Décret du 20 Septembre 1792 qui imposa ce néologisme au lieu et place du "Nom de Baptême" jugé trop clérical. Mais nous n'en sommes pas encore là.

 

Dans la quasi totalité des cas, ce nom de baptême sera simple et unique.

 

Simple car on ne trouvera jamais à BUDOS ni de Jean-Pierre, ni de Jean­Paul, ni aucune autre combinaison binaire. Sur les 1.006 naissances enregistrées en trente ans, on trouve un seul Jean Baptiste, et encore faut-il bien souligner qu'il ne s'agit pas ici d'un nom composé puisqu'il s'agit d'un seul et même personnage : "Jean le Baptiste".

 

Il sera également unique dans la quasi totalité des cas, sauf dans les familles nobles et chez quelques bourgeois ou notables fortunés. C'est ainsi que l'on trouvera un Charles, François, Armand de LAROQUE, né au Château le 13 Décembre 1762; une Catherine Delphine de LAROQUE, née de même le 2 Juillet 1789; également un Pierre, Vincent COUTURES qui sera plus tard Greffier du Tribunal de BUDOS, ou encore une Demoiselle Rose, Athalie LABARTHE, fille d'un Bourgeois de BORDEAUX, mais cela ne va guère au-delà de ces quelques exemples. 

 

Tous les autres, absolument tous, n'ont qu'un nom de Baptême et un seul. A la vérité, rien ne se serait probablement opposé à ce que l'on fit usage d'un double ou triple vocable, mais force est bien de constater que ce n'était pas l'usage commun.

 

Au surplus, il est tout à fait évident que les Budossais manquaient totalement d'imagination quant au choix du nom de leurs enfants. Selon toute apparence, ils n'y attachaient guère d'importance.

 

Le garçon nouveau né recevait le nom de son Parrain et la fille celui de sa Marraine. C'est une règle absolue qui, bien au-delà de BUDOS, s'applique dans toute la région. En trente ans d'observation, de 1760 à 1789, on ne rencontre qu'une seule exception, et encore n'est-elle qu'apparente. 

 

Le 31 Octobre 1783, une petite PARAGE, née au quartier de JANOT BAYLE est appelée Jeanne en marge de son acte de Baptême et Isabelle dans le corps du texte tandis que sa Marraine est une Elizabeth.

 

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  Quand on sait que Isabelle, Isabeau, Zabeau, Lizabeth et Elizabeth sont constamment employés les uns pour les autres, parfois dans le cours d'un même document, ce cas n'est litigieux que par l'inscription marginale de Jeanne. On peut aisément l'inscrire au compte d'une simple distraction du Curé DORAT qui, au fil des pages, et l'âge aidant, n'en fût jamais avare.

 

Fidèlement observée, cette coutume de la transmission systématique des noms des Parrains et Marraines avait eu pour effet , au fil du temps, de restreindre singulièrement le patrimoine des noms de Baptême. A ce jeu-là, il peut toujours s'en perdre ( les plus rares et les plus originaux ) mais il ne peut pas s'en créer, sauf à aller chercher parrain ou marraine dans une paroisse extérieure où se pratiqueraient des traditions plus diversifiées. 

 

Encore faut-il ici compter avec la vigilance du Curé. Lorsque le 17 Novembre 1767, on lui présenta une petite BATAILLEY, née au quartier des MAROTS, avec pour Marraine une dénommée Simone, venue d'une Paroisse extérieure, le Curé DORAT resta perplexe et consigna son hésitation dans son registre :

 

" doutant si le nom de Simone ... est le nom d'une Sainte..." 

 

d'autorité, il la baptisa sous le nom de Marie qui lui parut constituer une valeur beaucoup plus éprouvée, et annota son registre en conséquence. De ce fait, et malgré eux, les BATAILLEY sont rentrés dans le rang; il n'y aura pas de Simone à BUDOS. Mais le plus piquant de l'histoire, c'est que la propre soeur du Curé, celle qui vivait avec lui et lui servait de gouvernante s'appelait également Simone... Il nous reste à imaginer comment ce pauvre Curé, tout au long de sa vie, a pu porter le poids de ce doute sur la validité du Baptême de sa sœur...

 

Au fil du temps, l'éventail des noms de baptême s'est donc de plus en plus refermé. Sur les trente ans de la période, les deux tiers des jeunes Budossais s'appelleront Jean( pour 33 % ), Pierre ( pour 25 % ) ou Bernard ( pour 10 %). Quant aux jeunes Budossaises, les trois quarts se retrouveront sous trois noms: Marie pour 38 % ), Jeanne ( pour 27 %) et Catherine ( pour 9 %)

 

Et même si l'on poussait un peu plus loin l'analyse, on s'apercevrait que l'imagination reste pauvre. On pourrait ajouter ainsi pour les garçons Arnaud ( 7,5 % ), François ( 5 % ) Raymond ( 3,5 % ) et Nicolas ( 3 % ); et pour les filles Marguerite ( 8 % ), Elizabeth et ses variantes Izabeau, Zabeth, etc... ( 6 % ), Anne ( 4 % ) et Pétronille ( 2 % ). En résumé, et pour abréger, sous sept noms masculins et autant féminins, on trouve 86 % des garçons et 94 % des filles !...

 

On notera qu'en trente ans, sur un peu plus d'un millier de naissances, on ne trouve pas un seul Henri, ni un Paul, ni un Marc, ni même un Romain qui est pourtant le Patron de la Paroisse; pas davantage on ne trouvera d'Elise, ni de Louise, ni de Paule, ni de Thérèse. 

 

Ce patrimoine est donc réellement très pauvre. Cette situation n'évoluera que très lentement en dépit des ouvertures nouvelles. Même après la Révolution, sur la période de 1800 à 1830, 51 % des petits Budossais s'appelleront encore Jean ou Pierre, et 63 % de leurs soeurs Marie ou Jeanne. 

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Dans ces conditions, innombrables seront les Jean, fils de Jean ou les Marie fille de Marie. L'absence d'intérêt est évident. On aurait pu par exemple penser que la naissance de jumeaux aurait pu fournir une occasion de diversification. Il n'en est rien. Deux jumelles naissent au quartier de PAULIN chez les FOURNIER le 16 Août 1764. 

 

On les appelle tout simplement Jeanne et Jeanne. Et le cas n'est pas isolé. Deux autres jumelles voient le jour chez les DUPRAT, au Bourg, le 18 Décembre 1785, elles s'appelleront toutes deux Marie. Dans l'esprit du temps, ces choix n'ont aucune importance. Il en va tout autrement pour ceux qui entreprennent aujourd'hui des recherches, en particulier généalogiques. En moins de trois ans, de 1762 à 1764, il naît cinq Marie DUPRAT dans le Village... Comment identifier celle que l'on recherche ?

 

Comment les reconnaître ? Mais aussi comment se reconnaissaient  ils entre eux ?.. C'est ainsi que nous pénétrons dans le vaste domaine des surnoms.

   

 

  LES SURNOMS

 

Bien rares sont ceux qui ne portent pas un surnom. Et bien souvent, si nous ne leur en connaissons pas, c'est. tout simplement parce qu'il ne nous est pas parvenu.  

Ce surnom n'a rien de péjoratif , même lorsqu'il est malicieux, et c'est souvent le cas. Il est parfaitement connu et admis par celui qui le porte. Il est même revendiqué par l'intéressé chaque fois que l'occasion s'en présente, devant un Juge, devant un Notaire ou devant le Curé. C'est bien souvent sa seule façon de s'identifier.  

Pour fixer les idées, en 1782, on dénombre à BUDOS au moins quatorze familles différentes portant le nom de DUPRAT. Ajoutons y quatorze autres familles portant le nom de LACASSAIGNE et huit du nom de DURON.... Tous s'appellent plus ou moins Jean ou Pierre, Marie ou Jeanne... On imagine aisément les cascades d'homonymies. C'est ce qui rend le surnom absolument indispensable.

 

Les chefs de famille des DUPRAT sont dits : NIN, LARROCHE, LAJEUNESSE, MESTRILLOT, LAFOLIE, COUSTET, CAPITAINE, POUIT, BUREOU, NENINE, MAUGIS, CANET, JEANTILLON et PRADOT.

 

Ceux des LACASSAIGNE sont CAOUDRE, LACALE, LARRAT, PELLET, BAYLET, CHAMPAIGNOT , BERTRANON, LAROCQUE, LAGNET, PEYTOT, PETIT, LAOUZET', ROY et CARCARET.

 

Quant aux DURON, on les appellera COUSIN, MISLET, MOUNAC, PITOY, JACOB, CHICOY, PESEOU et AYMAT.

 

Ces surnoms ont parfois des origines très transparentes, niais tout aussi bien quelquefois parfaitement obscures et indéchiffrables.  

 

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  Ceux qui sont tirés des noms de lieux sont les plus évidents Ainsi en va-t-il de Léonard CANTEAU dit ROY, tout simplement parce qu'il habite effectivement au Quartier du ROY, ou de Laurent SOUBES, dit FONBANNE, ou d'Arnaud DANGLADE, dit PANGASTE. 

 

De même avons-nous trouvé un LACASSAIGNE dit CAOUDRE, mais nous pourrions encore citer tel ou tel autre dit COUILLET, COUDEOU, CHOURIEU, COUCHIRE, MATOULET, POURRIERE, etc… autant de noms de lieux ou de quartiers de BUDOS.

 

D'autres surnoms, également limpides, sont purement et simplement des diminutifs, souvent venus de l'enfance, soit du nom de Baptême : BERNADOT, BERNACHON, JEANTOT, JEANTILLE, JEANTILLOT, PIERRILLE, etc.. 

 

Soit du Nom Patronymique lui-même tel COSTILLON pour un LACOSTE, COUTUROT pour un COUTURES, ROMATOT pour un ROUMAT, SOURBILLON pour un SOUBES ou MASSEROT pour un MASSE.

 

Viennent ensuite des surnoms faciles à interpréter mais dont la justification n'est pas toujours évidente. Pour un FRAYOT qui, dans la famille, était le petit frère d'un aîné ayant déjà fait sa place au soleil, ou encore un ESCLOUPEY ( en gascon, sabotier ) qui était effectivement du métier, comment interpréter un LAGNET ? 

 

Etait-il d'un caractère doux et accommodant comme un agneau ou, tout au contraire, par dérision, d'un tempérament difficile, ou encore frisé comme un mouton ? Et PESEOU ? Qu'avait-il de commun avec un pois ( péséoù en gascon ) ? MESTRILLOT, le petit maître autoritaire serait plus transparent.

 

Mais qu'en est-il des autres même lorsque le surnom est, en lui-même, parfaitement clair tel que LAOUZET ( l'oiseau ), CRABOT ( le chevreau) LARRAT (le rat ), LAMAILLUQUE ( la massue), AYMAT ( aimé) BETDENAS (beau du nez) MAOUARRIBAT ( mal arrivé ), BAYLET ( valet) ou COUDINEY (cuisinier ) ?

 

Enfin, il y a tous les autres, et ils sont légions, par dizaines, ceux qui ne comportent aucune explication évidente: les REYON, LACOCQ, MADAILLAN, BIBY, MANOU, MISSLET, MAUDELLAN, GARRAN, TANTOUVEL, etc… 

 

Une étude plus approfondie permettrait certainement d'identifier encore quelques sources mais, sauf coup de chance exceptionnel, il faut pratiquement renoncer à retrouver l'évènement spécifique ou la circonstance qui ont fait jaillir le surnom et qui l'ont littéralement imposé au consensus de la Communauté du Village.  

On remarquera que les femmes ne portent pratiquement jamais de surnom, du moins dans les actes officiels, car dans la vie quotidienne, il en allait tout autrement. En cas de besoin, on les identifiaient par le surnom de leur Père jusqu'à leur mariage, puis, par celui de leur époux, par exemple : " Marie de Jeantot ". Sauf exception, leur surnom personnel n'avait pas de valeur officielle. 

Ces exceptions visent en particulier le cas des servantes venues de paroisses extérieures et qui n'avaient aucun lien familial local qui puisse leur servir de référence. Ainsi voit-on Bernard PENICAUD, le 15 Mars 1790, parler de sa servante Catherine DUPRAT, en précisant "surnommée CATON ". CATON était célibataire et depuis fort longtemps orpheline, ce qui ne permettait plus de l'identifier à un groupe familial connu. Le système était donc logique jusque dans ses exceptions.

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Pour compléter ces quelques observations, il nous faut encore faire une rapide incursion dans le domaine des Noms Patronymiques.

 

LES NOMS PATRONYMIQUES

 

D'une façon très générale, les Budossais restent fidèles à leur Nom Patronymique. Cela nous parait aujourd'hui bien naturel et tout à fait évident. Ce l'était beaucoup moins sous l'Ancien Régime. Chacun avait alors la liberté de changer son nom pourvu que ce ne fût ni par dol ni par fraude. Le Pouvoir Royal n'était pas du tout favorable à l'exercice de cette faculté, mais il n'était jamais parvenu à la supprimer complètement. C'est encore la Révolution qui mit de l'ordre en la matière en posant pour principe, en 1790,

 

" qu'aucun Citoyen ne pourra prendre que le vrai nom de sa famille..."

 

En fait, les populations rurales de nos contrées, et celle de BUDOS en particulier, n'ont pratiquement jamais usé de cette possibilité lorsqu'elle demeuraient sur place. Dans toutes les familles, les filiations sont continues et ne se prêtent à aucune fantaisie.

 

Les patronymes sont nombreux, certains étant nettement plus répandus que d'autres. Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer le taux de fréquence élevé des DUPRAT, des LACASAGNE et des DURON. Mais il y en a bien d'autres, les SOUBES, les BEDOURET, les LEGLISE par exemple pour ne citer que ceux-là.  

Parmi les plus typiquement Budossais, il faut retenir ceux qui s'identifient à la toponymie locale. Pour eux, on trouve un recouvrement exact entre le nom du quartier dont ils sont issus et le nom de leur famille; c'est le cas des PARAGES, des COUTURES, des LANTRES, des FINORE, des CAZENAVE, des MARQUETTE et de quelques autres. 

Mais au fil du temps, parfois depuis des siècles, ils s'étaient déplacés. Rares sont ceux qui, à la fin du XVIIIème siècle habitent encore au lieu de leurs origines. Il y en a pourtant encore quelques uns : les MASSE à MASSE, une famille ROUMAT à ROUMAT, une famille COUTURES à COUTURES et la famille JAMART à JAMART, mais ce dernier cas est un peu particulier car ces JAMART sont des Budossais d'assez fraîche date, et c'est eux qui ont donné leur nom au lieu-dit en venant s'y installer. 

D'autres familles ont essaimé, généralement par suite de mariages. C'est ainsi que l'on trouve d'autres MASSE au quartier de PERRON et d'autres COUTURES à celui de MEDOUC. Les DAMBONS qui, à l'origine venaient de la métairie d'AMBONS, sur le ruisseau du TURSAN, à la limite de LANDIRAS, sont désormais séparés en deux familles dont l'une est installée aux PARAGES, et l'autre au Bourg, aucune d'entre elles n'étant restée sur place. Par contre, ce sont des COUTURES qui sont venus s'installer à AMBONS, tandis que d'autres, outre ceux déjà rencontrés à MEDOUC essaimaient à VERDUC et au quartier de LA PEYROUSE.

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A ce moment-là, il n'y a déjà plus de PARAGES au quartier du même nom, mais on les retrouve, en autant de familles, à MATOULET, au CENDRE, à JANOT BAYLE, à BOUILLON (où se trouvait une métairie du Baron, aujourd'hui disparue), ainsi qu'à FONBANNE. Les DESPUJOLS, issus de PUJOLS, comme leur nom l'indique, s'étaient implantés à MOUYET. Mais il n'est pas possible d'évoquer ici tous ces chassés croisés tant ils sont nombreux; nous en resterons donc là, mais en précisant toutefois que les documents qui nous sont parvenus permettent de les reconstituer avec assez d'exactitude.  

Les implantations familiales sont relativement stables; seuls, les métayers se déplacent de temps à autres au gré de leurs contrats encore que cela ne soit pas très fréquent. Les DURON sont installés au quartier des MOULIES depuis des siècles, tout comme les LEGLISE au quartier de PAULIN; ils ont là des racines si profondes que leurs descendants y habitent encore.

 

Il est rare , très rare même, que l'on puisse situer avec exactitude la date d'implantation d'une vieille famille à BUDOS. C’est pourtant le cas des BATAILLEY pour lesquels nous savons qu'Arnaud, né à SAINT SYMPHORIEN en 1715, au quartier de LASSUS, sur la route de BOURIDEYS, est venu se marier au quartier des MAROTS le 11 Janvier 1735 avec Jeanne ROUMEGOUX, fille unique d'une très ancienne famille Budossaise.

 

De cet Arnaud BATAILLEY sont issus, en deux mariages successifs, de très nombreux rameaux qui ont essaimé dans le village au XVIIIème siècle et dans les communes avoisinantes au cours du XIXème siècle. En dépit de cette très nombreuse descendance, leur nom a fini par se perdre dans la commune au début du XXème siècle, mais très nombreux sont encore à BUDOS ceux qui, sans le savoir, descendent de cet ancêtre commun venu tout seul de sa lande natale par un beau jour d'hiver d'il y a plus de 250 ans.

 

Pour être réellement admis dans la communauté paroissiale, celui qui venait de l'extérieur devait se marier dans le Village et y faire souche, ce qui avait bien été le cas d'Arnaud BATAILLEY. On était alors assimilé à une famille existante et reconnue, ce qui permettait d'acquérir au regard des autres, une sorte de " légitimité budossaise ".

 

Point de mariage, point de reconnaissance. Même au bout de dix ans de résidence, et parfois bien au-delà, on pouvait très bien, à l'occasion, n'être pas reconnu Budossais. Jean LACRACQUE, valet de ferme chez Bernard BRE, meurt au quartier de PINGOY le 20 Mai 1772 à l'âge de 80 ans. Personne ne se souvenait depuis combien de temps il était là, peut être y était il même arrivé dans sa jeunesse... Comment le savoir ? Cela suffisait il à en faire un Budossais ? Eh bien non ! Le Curé enregistre son décès :

 

« Jean LACRACQUE, 80 ans, étranger de CASTELJALOUX. »

 

 De même Jean GROUS, jardinier du Baron, au Château, décédé le 6 Août 1784 à l'âge de 55 ans, est dit :

 

“ natif de CADEILLAN, Diocèse de LECTOURE..." et l'explication suit aussitôt, d’un seul mot : " célibataire".

 

Un mariage local est donc bien le passage obligé pour les étrangers " en mal de " naturalisation budossaise

   

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Budossais ou " étrangers , ce mariage est pour tous une institution fondamentale, la base même de toute la vie socialedu Village, dans tous ses aspects, affectifs, certes, mais aussi économiques, religieux, et même politiques. Nous allons tenter d'en mesurer à la fois l'importance et la complexité.

 

LE MARIAGE.

 

A l'origine, les mariages ruraux étaient essentiellement endogamiques si l'on donne à ce mot un sens élargi à la Communauté paroissiale. Avec le temps, et tout spécialement à partir du XVIIème siècle, ces mariages ont commencé à devenir exogamiques, l'un des deux conjoints venant d'une paroisse extérieure. 

               Il n'est pas toujours facile de prendre l'exacte mesure de ce phénomène car son étude comporte quelques pièges qu'il faut tenter de déjouer.

Un dépouillement de tous les mariages célébrés à BUDOS de 1760 à 1789 révèle que sur 235 unions, soit donc 470 époux, il s'est trouvé 47 " étrangers " à la paroisse, soit donc très exactement 10 % des personnes. Mais ce chiffre est nécessairement erroné car un Budossais qui va prendre femme à l'extérieur se marie le plus souvent dans la paroisse de l'épouse, si bien que l'on trouvera de nombreux ménages fixés à BUDOS dont le mariage " mixte " n'y aura pas été enregistré.

Il est cependant possible de lever cette hypothèque par un examen attentif des fiançailles célébrées dans la paroisse. En effet, lorsque deux paroisses étaient ainsi impliquées du fait des deux familles, une coutume assez constante voulait que les fiançailles fussent célébrées dans l'une et le mariage dans l'autre.

 

Sur la période considérée, on trouve ainsi sur les Registres Paroissiaux de BUDOS 70 fiançailles dont les mariages ont été célébrés ailleurs ( sans autre précision puisque l'on ne peut que constater leur absence .)

 

Au demeurant, tous les couples ainsi formés ne se sont pas nécessairement fixés à BUDOS. Mais il faut tenir compte de le situation symétrique inverse dans laquelle un époux venant de l’extérieur est venu prendre femme  à BUDOS avec l’intention de fixer son foyer en son lieu d’origine.

 

A défaut de recensement fiable, il est donc pratiquement impossible de dresser une statistique sérieuse de l’origine des couples vivants dans la paroisse en un moment donné.

 

Par contre, on peut dire, sans grand risque d’erreur, que, globalement, de 1760 à 1789,  il s'est célébré 305 mariages ( à BUDOS ou ailleurs ) impliquant au moins un Budossais ou une Budossaise, et que 117 d'entre eux ont fait appel à un conjoint venu de l'extérieur. 

 

Le taux brut d'exogamie serait donc un peu supérieur à 38 %, ce qui est tout à fait considérable, et en tous cas très supérieur à certains chiffres auxquels aboutissent en d'autres lieux des études comparables. En fait, le phénomène est plus limité qu'il ne parait, et c'est encore un autre piège. Les deux tiers de ces mariages concernent les paroisses limitrophes de BUDOS et constituent ce que l'on pourrait appeler des " unions de proximité".

 

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Peut-on réellement considérer qu'un mariage entre deux jeunes, l'un issu du quartier des MOULIES à BUDOS, et l'autre de LAULAN, à LEOGEATS, ou bien encore du quartier de PERRON à BUDOS, et l'autre de MARON, à LANDIRAS, puisse être tenu pour exogame au sens que nous avons donné à ce terme, alors que quelques centaines de pas les séparent à peine par dessus la limite entre les deux paroisses ?

 

Et ces cas ont été nombreux... A la vérité, les mariages réellement lointains sont très rares et peuvent presque, en trente ans, se compter sur les doigts d'une main : un à BORDEAUX, un à COURS, en Bazadais, un près de SAINT FLOUR, en Auvergne, tous les autres, ou à peu près sont circonscrits dans un rayon d'une vingtaine de kilomètres à vol d'oiseau autour de BUDOS.

 

Il est donc évident que l'on ne sortait guère des limites du " pays ", et c'est plutôt sur cette base qu'il conviendrait d'apprécier le véritable taux d'exogamie.

 

On se mariait près, mais aussi on se mariait tard.

 

L'âge moyen du mariage se situait autour de 27 à 28 ans pour les garçons et de 24 à 25 ans pour les filles. Aucune règle n'imposait une telle attente, mais il s'agissait d'un usage solidement enraciné dans les traditions sociales. La seule dérogation un peu systématique que l'on rencontre concerne les orphelins, surtout les filles, que l'on marie assez volontiers dés 18 ou 20 ans. On peut y voir la volonté de leur tuteur de les " établir " sans trop tarder pour mettre un terme à leur responsabilité juridique et morale.

 

Ces mariages tardifs posent question car il ne s'agit pas, bien sûr, d'un simple phénomène local, mais, au contraire, d'un usage très général. L'explication la plus évidente est purement démographique. En retardant le mariage d'environ cinq ans par rapport à une échéance que l'on pourrait considérer comme normale, on faisait " l'économie " de deux ou trois enfants dans le foyer. Le mariage tardif serait donc une forme de contraception probablement plus instinctive que froidement raisonnée car elle ne semble pas avoir jamais fait l'objet d'une véritable théorie ou d'une quelconque obligation de la part de quiconque.

 

Un tel système ne peut évidemment se montrer efficace que dans l'hypothèse où des enfants illégitimes ne viendraient pas «  compenser " le contingentement des naissances légitimes. Or cette hypothèse est bonne car les enfants illégitimes sont très rares, bien qu'il faille encore ici examiner les choses un peu plus à fond.

 

Disons tout d'abord, qu'en milieu rural, toute forme de concubinage était rigoureusement exclue. Il s'en était rencontré un cas à BUDOS au XVIIème siècle; un cas qui avait déclenché un épouvantable scandale suscitant une enquête ecclésiastique spécifique dont les conclusions étaient remontées jusqu'à l’Archevéché de BORDEAUX. On en avait bien longtemps conservé la mémoire. C'étaient donc là des choses avec lesquelles on ne plaisantait pas.

 

Quant aux enfants illégitimes, une évolution s'est dessinée au cours du temps. Ils ont été très rares, sinon même inexistants

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à BUDOS , sur de longues périodes jusqu’à à la seconde moitié du XVIIIème sièc1e , moment à partir duquel l'évolution s'amorce. Plus précisément, un dépouillement systématique des Registres Paroissiaux, sur les trente dernières années de l'Ancien Régime, montre qu'il ne s'est pas trouvé une seule naissance illégitime de 1760 à 1778; après quoi, il en survient deux coup sur coup, en Juin et Septembre 1779, suivies de six autres jusqu'en 1789. 

 

Il y a donc là le signe évident d'une libéralisation des moeurs restées jusque là plutôt sévères. C'est un signe que l'on pourra noter entre bien d'autres indices surgissant ici et là en divers autres domaines, comme avant coureurs d'une profonde mutation de la société. Ce courant est irréversible, non point qu'il s’amplifie, du moins en milieu rural, mais suivi et constant au fil des décennies qui vont suivre. A titre d'exemple, en trente années consécutives, de 1800 à 1829, on enregistrera à BUDOS quinze naissances illégitimes. 

 

Rappelons bien que nous observons ici un milieu rural, car la société urbaine offre déjà un tout autre tableau. Sur la fin de la période d'observation, à quelques années de la Révolution, les enfants naturels ne représentaient en moyenne que 1,7 % des naissances survenues à BUDOS. Un dépouillement systématique de l'Etat Civil de BORDEAUX, paroisse par paroisse, pour l'année 1784 permet d’y dénombrer 697 naissances illégitimes sur un total de 3.480, soit donc 20 % ! Nous sommes ici manifestement dans un autre monde, presque sur une autre planète...

 

    Revenons aux mariages Budossais pour signaler une catégorie d'unions encore plus tardives celle des remariages après veuvage. Ces mariages étaient généralement très mal vus par l'opinion dans le Village. Ils fournissaient l'occasion de manifestations bruyantes d'un goût plutôt douteux, telle que la pratique du charivari. Ils étaient pourtant souvent indispensables à la survie de bien des veufs et des veuves, tout spécialement lorsqu'ils devaient subvenir aux besoins de très jeunes enfants. 

 

Dans la plupart des cas ces unions étaient bien davantage motivées par une pressante nécessité plutôt que par   une véritable inclination de sentiment. Conscients de la réprobation qu'ils encouraient aux yeux de l'opinion, les intéressés allaient jusqu'à justifier leur décision dans des actes notariés. Nous en emprunterons un exemple tout à fait typique aux archives de Me PERROY, Notaire à NOAILLAN, en date du 19 Mars 1772.

 

Jeanne LOUVERIE est tombée veuve à la suite d'une très longue maladie de son mari qui est resté totalement infirme pendant plus de cinq ans. Elle a travaillé tant et plus pour assurer la survie de ses deux enfants en bas âge, mais elle n’y parvient plus. Il faut dire qu'à cette date, la région venait d'essuyer la succession de sept années de récoltes médiocres sinon franchement mauvaises . Cette pauvre femme ne voit plus d'issue que dans un remariage mais, pour prévenir les suspicions de l'opinion, elle estime indispensable de préciser que, ce faisant, elle n'est nullement  « poussée par la nature":

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" L'événement funeste (le décès de son mari) ne l'a point décontenancée, sa confiance en la Providence l'a... encouragée, par amitié…pour ses enfants (et) dans l'espoir de les mettre en état de gagner leur vie, elle a ... employé jusqu'à présent toutes ses forces. Mais la rigueur du temps, (la) cherté des denrées et (le fait de n'avoir) nulle ressource pour pourvoir à la suffisance des aliments pour elle et sa famille (ont été) le principal motif ... pour passer en second mariage avec François LAPIERRE, parti avantageux pour elle et dont ses enfants ressentiront des faveurs .... elle n'a point d'autres (motifs qui pourraient être) agités par la nature n’y autrement"

On ne saurait mieux exprimer et dépeindre le contexte sociologique dans lequel se situaient ces unions.

 

Au demeurant, sans être rares, ces remariages n'étaient pas très fréquents. En trente ans, à BUDOS, 9 % seulement de l'ensemble des mariages comportent au moins un veuf ou une veuve dans le couple. Eu égard au risque relativement élevé de veuvage prématuré, compte tenu du taux de mortalité, ce chiffre peut être tenu pour assez modeste.

 

Restons dans le domaine des chiffres pour constater que le nombre des mariages évolue peu dans sa moyenne au fil de la période d'observation. Par contre, il varie beaucoup d'une année à l'autre. Autour d'une moyenne annuelle de sept à huit célébrations, on rencontre des écarts tout à fait surprenants. Pour seize mariages en 1781 et treize en 1767 et 1786, on n'en trouve qu'un seul en 1764 et strictement aucun en 1771. On a peine à croire que de telles variations soient le seul fruit du hasard. Quelles pourraient donc en être les causes ? 

 

Une première idée pourrait consister à lier ces fluctuations à celles des bonnes et des mauvaises années. Une bonne récolte pourrait susciter une sorte d'euphorie qui inciterait les jeunes au mariage en mettant à profit l'aisance du moment, tandis qu'une mauvaise produirait l'effet contraire. Selon toute apparence c’est une fausse piste.

 

De très bonnes années n'ont déclenché aucun accroissement du taux de nuptialité tant soit peu significatif tandis que l'on enregistre dix mariages en Février 1773 alors que se développait déjà l'une des plus dramatique disette du siècle. Il faut donc chercher ailleurs. Une autre hypothèse pourrait porter sur l'état sanitaire général de la population. Aurait-on l'idée de fonder une famille au moment des grandes épidémies, lorsque la mort frappe à chaque porte du Village ? Les rapprochements que l'on peut faire sur ce point donnent des résultats plutôt décevants.

 

 Certes, il y a certainement eu une épidémie locale à la fin de 1771 ( six décès en huit jours au mois d'Octobre) mais elle ne saurait en aucun cas expliquer l'absence totale de mariage sur l'ensemble de l'exercice. Nous verrons un peu plus loin qu'une très forte proportion des unions se célébraient au mois de Février, et le début de cette année-là s'était révélé plutôt favorable (quatre décès seulement sur l'ensemble du premier trimestre). 

 

Cette bonne situation sanitaire qui remontait déjà aux derniers mois de l'année précédente aurait pu constituer un encouragement à la nuptialité; il n’en a rien été. Aucune corrélation nette ne se dessine entre les deux séries d'observations. Alors faudrait-il peut-être orienter les recherches en direction de la Conscription.

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 Les hommes mariés échappant au tirage au sort de la Milice, on pourrait penser qu'une pression accrue du recrutement militaire aurait pu précipiter un certain nombre de mariages et faire monter le taux de nuptialité d'une année déterminée. Faute d'avoir pu retrouver les chiffres du contingent de la Milice, il ne nous a pas été possible, jusqu'à l'heure d'effectuer les rapprochements utiles. On peut estimer toutefois que cette hypothèse est également bien fragile.

 

En effet, en admettant que 1781 ( année record où l'on enregistra 16 mariages ) ait pu être une année de fort recrutement militaire et que de nombreux jeunes, pour y échapper se soient engagés dans la voie du mariage, il faudrait raisonnablement admettre que les années suivantes accusent un déficit marquant le contre coup de ces mariages anticipés. Or il n'en est rien, puisqu'on a célébré 9 mariages en 1782 et 7 en 1783, chiffres tout à fait normaux au regard de la moyenne générale. Force est donc de reconnaître qu'aucune explication simple et évidente ne peut être apportée aux fluctuations pourtant considérables du nombre des mariages enregistrés chaque année.

 

Ceci étant dit, on ne se mariait pas n'importe quand. Sauf dérogation expresse, un mariage ne pouvait se célébrer en période de Carême ou d'Avent, pas davantage aux moments dits " des quatre temps ". Seule une dispense accordée par l'Archevêché pouvait lever cet interdit. Elle n'était accordée que dans des cas bien définis. Par exemple celui d'un mariage un peu précipité lorsqu'il fallait absolument assurer la vraisemblance de la légitimité d'une naissance annoncée.

 

Ces interdictions expliquent l'absence quasi totale de mariages en Décembre ( deux célébrations seulement ce mois-là à BUDOS en trente ans ). Le temps de l'Avent et les fêtes de Noël excluaient pratiquement toute possibilité de cérémonie. De même pourrait-on souligner la rareté des mariages en Mars et Avril pour cause de Carême. Mais il existait également d'autres périodes de quasi interdictions qui ne devaient rien à l'Eglise ni à aucune règle établie, mais qui se référaient seulement à l'usage. 

 

Ainsi en allait-il des mois de Juillet et d'Août, mois entièrement dévolus aux moissons et aux récoltes, périodes où l'on avait toute autre chose en tête que de se marier. Pour être non écrites et dépourvues de toute sanction ces dispositions coutumières n'en étaient pas moins scrupuleusement observées : un seul mariage en Juillet et cinq seulement en Août sur trente ans d'observation. Autre période pratiquement prohibée, cette fois ci pour cause de vendanges, les mois de Septembre et Octobre ( respectivement quatre et cinq mariages en trente ans... ). Alors quand se mariait-on ? 

 

Essentiellement en Février et en Novembre. Au début du siècle, et depuis bien longtemps, ces deux mois se partageaient presque équitablement le nombre des cérémonies ( avec toutefois un léger avantage pour Février ). Lors de l'arrivée à BUDOS du Curé DORAT, le Jeune, en Juillet 1740, les mariages de Novembre ont vu brusquement leur nombre se réduire au profit de ceux de Février. 

 

On ne saurait trop dire pourquoi, mais le phénomène parait avoir été très lié à l'arrivée du Curé. A partir de ce moment-là, la proportion des mariages célébrés en Février est devenue littéralement écrasante près de 56 % pour ce seul mois en moyenne sur les trente ans ( et bien près de 60 % si l'on y adjoint les tous derniers jours de Janvier ).  ici

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Encore faut-il bien souligner qu'il s'agit de moyennes car certaines années, telles 1773 et 1776, 83 % des mariages sont célébrés en Février. Il ne reste qu'un grand vide à répartir sur les onze autres mois....

 

Outre cette concentration sur une période aussi étroitement définie, on pourra s'étonner de la pratique du mariage collectif. Le Curé DORAT célèbre huit mariages d'un coup le 13 Février 1768 (sur onze pour toute l'année ), huit autres dans une même cérémonie le 17 Février 1787 ( sur douze pour l'année ). il ne faudrait pas croire que ces cas soient isolés. 

 

Il célèbre six mariages le 17 Février 1776, et des quantités d'autres, par " fournées " de quatre ou cinq. Au demeurant, il ne s'agit pas d'un usage spécifiquement Budossais, la disposition est générale dans tout le pays. Le record parait appartenir au Curé de NOAILLAN qui célébra un jour onze mariages en une seule fois !

 

Derrière cet usage qui parait solidement ancré dans les moeurs du temps, on devine une certaine complicité du Village. Dans presque tous les cas, ces mariages collectifs se situaient un Samedi, et il fallait accorder l'ensemble des familles concernées sur cette date unique. Le système ne fonctionnait pas toujours sans à-coups. Ainsi vit-on célébrer deux mariages le 6 Février 1773, trois le 13 , deux le 18 et trois le 23; l'accord général n’avait pu être réalisé. De même en 1780, deux mariages sont célébrés le 7 et un le 8 Février. On en trouverait aisément d'autres exemples.

 

Pour que l'entente se fasse on peut supposer une certaine fusion des fêtes nuptiales. Il n'est pas en effet imaginable que l'on puisse convier un même jour huit familles Budossaises à des noces sans que de nombreuses personnes se voient conviées à divers titres à plusieurs d'entre elles simultanément. 

 

Les liens de parenté, de voisinage et d'amitié sont trop imbriqués dans le Village pour que des invitations concurrentes puissent être évitées. Aucun document ne nous permet de dire, ni même de suggérer que les fêtes nuptiales correspondantes aient pu être communes, mais on peut penser qu'elles ont eu entre elles quelques " perméabilités " afin de permettre à chacun de répondre aux diverses invitations sans avoir à formuler des choix trop difficiles.

 

Mais nous sommes allés là un peu vite en besogne car, avant d'en venir au mariage proprement dit, il fallait passer par un certain nombre d'étapes absolument indispensables qu'il nous faut maintenant examiner en détail, en commençant par les Fiançailles et le Contrat.

 

LE CONTRAT DE MARIAGE.

 

Le Contrat de mariage est un acte juridique, passé devant Notaire et qui comporte une triple fonction.

 

Il recueille et enregistre solennellement le consentement des Parents des deux parties; il consacre l'engagement de chacun des deux futurs époux envers l'autre, il règle enfin les conventions d'intérêts matériels ( dot, logement, conditions de travail et de vie commune, etc... )

 

Le consentement des Parents est un élément essentiel et

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préalable à tout projet de mariage. Jusqu'à l'âge de sa majorité, fixée à 25 ans, aucun jeune, garçon ou fille ne peut contracter mariage sans le consentement exprès de son Père, à défaut (en cas de décès ou d'absence reconnue par exemple ) de sa Mère et, pour les orphelins, du Tuteur désigné par le Juge Seigneurial. Au-delà de 25 ans ce consentement reste nécessaire, mais le jeune peut passer outre un refus de ses Parents moyennant la mise en oeuvre de la procédure des "Actes de Respects " que nous allons découvrir ci-après.

 

Lorsque les Parents assistent à la rédaction de l'acte,ce qui est, de loin, le cas le plus général, ils donnent leur consentement au Notaire qui en fait aussitât mention dans son texte. Et comme le mariage est avant tout une affaire de famille, il y ajoutera volontiers une formule telle que : il avec l'assentiment et le conseil de..." en ouvrant ici une énumération de tous les frères, soeurs, oncles, tantes, cousins, cousines, parrains et marraines des futurs époux qui peuvent se trouver présents en ce lieu. Si les Parents sont consentants mais qu'ils ne puissent se déplacer pour une raison quelconque, un Notaire se rendra à leur domicile pour les interroger et prendre note de leur autorisation:

             "parce qu'ils sont incommodés de leur corps ( au point de ne ) pouvoir marcher jusqu'au domicile de ladite DARGUENCE où doit se passer ledit contrat, ils consentent purement et simplement..."

 

Lorsque le jeune est parti au loin chercher fortune et qu'il risque de s'y fixer sans espoir de retour, les Parents peuvent l'autoriser à l'avance, de façon permanente, à contracter le mariage qui lui plaira. C'est ainsi qu'un Père adresse à son fils " exilé " en PERIGORD sa précieuse  autorisation de s'unir 

"avec tel parti sortable qu'il avisera et au premier moment qu'il lui plaira..."

 

Quelles que soient les circonstances et jusqu'à la majorité des enfants, le consentement des Parents reste absolument indispensable et parfaitement incontournable. Aucune autorité ne peut s'y substituer et leur décision est sans appel. Au-delà des 25 ans et quel que soit l'âge des futurs époux, ce consentement reste requis, mais, s'il est refusé, un recours est possible. L'intéressé va trouver un Notaire et lui demande de dresser, à l'intention de ses Parents, un " Acte de Respect" dans lequel il leur exposera ses arguments en vue de les convaincre et de les amener à consentir à son projet. C'est ainsi que le ler Février 1780, devant Me DUTAUZIN, Notaire à LANDIRAS:

 

"a comparu Basile COURBIN, vigneron, habitant de la Paroisse de BUDOS, fils majeur de plus de trente ans, fils légitime de Jean COURBIN et de Marie BRUN, habitants aussi de ladite Paroisse de BUDOS, lequel, sans s'écarter du respect et de la soumission qu'il a pour ses Père et Mère, persistant (dans) les humbles prières et supplications qu'il leur a ci-devant faites de consentir à son mariage avec Izabeau GAILLARD, veuve de Pierre LACASSAGNE, habitante aussi de ladite Paroisse de BUDOS, fille légitime de feu François GAILLARD et de Marie GRABINE, ses Père et Mère, qui est un parti sortable et avantageux pour lui, supplie et requiert de nouveau par les présentes lesdits Jean COURBIN et Marie BRUN, sesdits Père et Mère, de consentir audit mariage... "

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Le Notaire va signifier cet acte le jour même au domicile des Parents et leur en laisse un copie. Deux jours plus tard, le futur époux réitère exactement la même procédure, le second texte étant I'exacte copie du premier et faisant l'objet d'une nouvelle signification notariée. Enfin, après une troisième démarche identique, on admet que l'intéressé peut passer outre et se dispenser de l'autorisation parentale. De fait, dans le cas de Basile COURBIN, le contrat de mariage sera passé le 7 Février suivant, le mariage étant célébré le 4 Avril. 

 

Il arrive parfois, mais le cas est très rare, que les Parents cèdent à la prière de leur enfant. C'est généralement sous la forte pression morale d'un notable du Village qui a pris fait et cause pour le futur époux. Nous rapporterons par ailleurs l'anecdote dans laquelle, en pareille circonstance, le Notaire, allant signifier un Acte de Respect à Pierre BERGEY le 19 Juillet 1770, S'était fait accompagner du Curé DORAT et de son Vicaire SAINT BLANCARD, et comment ils parvinrent à arracher le consentement du Père récalcitrant. Une telle issue peut être tenue pour un cas d'exception.

 

Outre le consentement des Parents, le contrat de mariage entérine la volonté expresse des futurs époux de se prendre pour mari et femme à la première demande de l'un d'entre eux. C'est en quelque sorte la promesse " civile " d'un engagement qui sera aussitôt après consacré devant l'Eglise lors de la cérémonie des fiançailles. Après l'identification des deux parties et la mention des consentements, tous les contrats adoptent une formule à peu près identique à quelques mots près:

 

"lesquels futurs époux ont promis mutuellement et réciproquement se prendre l'un à l'autre pour mary et femme et entre eux s'unir par le Saint Sacrement de nariage en face de notre Sainte Mère l'Eglise Catholique, apostolique et romaine quand l'un d'iceux en sera requis par l'autre, ou leurs Parents ou amis le faisant pour eux, à peine et sous dépens de dommages et intérêts..."

 

Cet engagement est formel et ne pourra plus être éludé par aucune des deux parties. Nous verrons un peu plus loin qu'il en va de même pour les fiançailles. De nombreuses controverses en ont souvent pourtant découlé entre les deux familles; controverses portant essentiellement sur deux points: 

 

Les retards et procédés dilatoires de l'une des parties en vue de différer indûment le mariage, et les dommages et intérêts à régler par la partie qui se désiste en cas de rupture du contrat.

 

Les affaires de retards sont si nombreuses qu'il faut se résoudre à n'en retenir qu'un petit nombre de cas choisis parmi les plus caractéristiques. Ces retard peuvent parfois porter sur des années entières; on trouve des cas dans lesquels cinq ans après le contrat, le mariage n'était toujours pas célébré !

 

Jeanne DAMBONS a ainsi passé contrat de mariage le 20 Février 1734 avec Bertrand FERRAN, fils d'Arnaud. Tous habitent BUDOS. Ils se sont ensuite fiancés, et ont même publié leurs bans de mariage. Après quoi, il ne se passe plus rien pendant près de vingt mois. Les FERRAN ne bougent plus en dépit du fait que Jeanne DAMBONS:
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" les a souvent requis de procéder à la célébration du mariage projeté ... (et) de choisir pour cela un jour convenable aux fins de (recevoir) la bénédiction nuptiale..." 

"mais soit que lesdits FERRAN Père et Fils soient d'accord entre eux pour se (jouer de Jeanne) et se moquer de leurs conventions, soit qu'ils cherchent à lui nuire gratuitement, il est toujours sûr que, de concert entre eux, ils inventent de mauvais prétextes pour éluder ledit mariage. Ledit FERRAN Fils prétexta... dernièrement qu'il luy manquait de l'argent pour s'acheter des nippes et lorsqu'à sa (demande, Jeanne) luy eût fourny l'argent qu'il demandait, alors luy et son Père inventèrent encore de nouveaux prétextes qui confirmèrent à peu près tous (ses) soupçons..." 

"Ce qui est d'autant plus vilain de leur part qu'ils affectent en même temps d'afficher partout un air d'indifférence sur son compte (alors) qu'elle ne mérite certainement pas (cela) de leur part, ni du côté de sa famille (ou) de ses Parents, ni de celuy de ses moeurs et de sa conduite... C'est pourquoy (Jeanne DAMBONS), pour mettre fin à tout, d'une manière également satisfaisante (pour tous)... somme... lesdits FERRAN Père et Fils ... de se rendre Samedy prochain premier du Mois d'Octobre à dix heures du matin dans l'Eglise de ladite Paroisse de BUDOS (pour) la célébration de leur... mariage et (pour y) recevoir la Bénédiction nuptiale; (Jeanne DAMBONS) leur déclarant qu'elle (s'y) rendra de son côté avec ses Parents et qu'elle se tiendra prête (à y) recevoir ladite Bénédiction nuptiale..."

 

Si les FERRAN ne répondent pas à cette sommation, Jeanne DAMBONS:

   

" leur déclare qu'elle prendra cela pour un véritable refus de procéder audit mariage et qu'elle les fera (aussitôt) assigner (en justice) pour la dissolution des fiançailles... (et) pour tous les dépens, dommages et intérêts. "

 

Cet acte est signifié aux FERRAN le Mercredi 28 Septembre 1785, il ne leur restait donc plus que quatre jours pour préparer la noce... En fait, comme on peut bien s'en douter, ils ne se présentèrent pas; le contrat fut rompu et les fiançailles dissoutes après Procès devant l'Official de l'Archevèque à BORDEAUX. On ne voit pas très bien dans quelle ambiance auraient pu vivre ces deux époux après de telles prémisses...

 

    Plus complexe est l'affaire qui opposa les MARSADIE à Pierre BAUDRON en 1768. Etienne MARSADIE était laboureur à BALIZAC. Il avait accordé la main de sa fille à Pierre BAUDRON, vigneron à BUDOS. Ils avaient passé contrat à PRECHAC le 14 Mai 1767, les fiançailles ayant été célébrées le jour même dans l'Eglise de BALIZAC. Au surplus, MARSADIE avait versé à son futur gendre une dot constituée :

            

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d'une somme de trois cents livres en argent qu'il luy compta lors dudit contrat, (plus) un lit composé de coette et coussin rempli de plume, une courtepointe, un rideau de toile, un coffre, six (draps), douze serviettes et une nappe (plus les) nippes et hardes (de la fiancée) que ledit BAUDRON a également reçues sans qu'il (soit) jamais retourné chez (le Père) ni la fille pour la voir ni l'épouser, ce qui est une (manoeuvre) de sa part et une (mauvaise) surprise des plus blâmables..."

 En bref, MARSADIE estime que sa bonne foi a été surprise et qu'il a été purement et simplement escroqué. Aussi le 26 Décembre 1768, au terme de près de vingt mois d'attente, adresse-t-il à BAUDRON une sommation :

 

 " d'avoir dans huit jours à se présenter et épouser sa fille ou à luy remettre... ladite somme (de 300 Livres) et les susdits effets, non gâtés ni détériorés.."

 

Faute de cela, le Père se pourvoira en justice en vue d'obtenir la résiliation du contrat, l'annulation des fiançailles et la restitution des biens. Cet acte est notifié au fiancé récalcitrant dès le lendemain, mais celui-ci ne l'entend pas du tout de cette oreille. Il dicte tout aussitôt sa réponse au Notaire, disant : 

 

" qu'il est bien singulier de voir la sommation que luy fait ledit MARSADIE (alors) qu'après l'avoir (lancé) en de grosses dépenses... il luy a refusé sa fille, lui a dit et envoyé dire par plusieurs personnes qu'il ne vouloit (plus) la luy donner; sa fille luy a dit et aussi envoyé dire qu'elle ne vouloit (plus); ils s'entendirent même avec le Sieur Curé de BUDOS pour (l'empêcher de) l'épouser; cependant, (BAUDRON) n'en a pas moins fait les frais du contrat, des fiançailles et (du) festin... à plus de cinquante personnes (du côté) des MARSADIE et à peu près autant (du côté) de (lui-même)... Tous ces frais absorbent certainement tout ce que BAUDRON a reçu dudit MARSADIE."

 

Ici, BAUDRON ne manque pas d'aplomb car 300 Livres d'argent et le prix du mobilier et des effets (qui représente bien dans les 150 Livres) excèdent très largement les frais du contrat et du repas de famille, fût il de cent personnes ! N'oublions pas qu'en ce temps là, on achetait une brebis entre deux Livres et demi et cinq Livres selon grosseur, et qu'avec 25 Livres, on obtenait une bonne barrique de vin de Graves de la région. 

 

Avec 450 Livres, on pouvait donc voir très grand et même prolonger la fête pendant pas mal de temps. En fait, d'autres affaires le montrent, BAUDRON était un personnage peu conformiste, gérant ses biens de façon passablement aventureuse, et qui, d'ailleurs, finira ses jours assez misérablement. Il est probable que les MARSADIE n'ont réalisé tout cela qu'un peu tardivement. 

 

Le Père a dû alors concevoir quelques regrets d'avoir si légèrement engagé l'avenir de sa fille. Il est en tous cas bien établi qu'il a très rapidement cherché à se dégager de cette affaire mal venue. En effet:

 

" il... fit même dire et offrir (à BAUDRON) par le Notaire la somme de cinquante escuts sur la place de VILLANDRAUT s'il vouloit rompre (le contrat) et deux jours après, ledit MARSADIE (se rendit chez BAUDRON) pour luy demander ce qu'il vouloit de plus pour rompre, ce (à quoi il voulait arriver) disait-il, à quel prix qu'il en fût, estimant mieux tout perdre que de luy donner sa fille..."

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Sur ces bases confuses, un procès fut engagé devant le Juge de BUDOS et l'affaire traina longtemps selon l'usage. Elle trouva finalement son épilogue dans une transaction survenue entre les deux parties le 26 Décembre 1772. Il y avait donc cinq ans et demi que les choses traînaient ! Ainsi, MARSADIE et BAUDRON:

 

"ont par ces présentes (dispositions), de leur (plein) gré et volonté et d'un commun consentement, résilié le contrat de mariage entre eux passé... et que chacune desdites parties puisse se marier ailleurs ainsy qu'elles aviseront et que l'une d'elle (la plus diligente) puisse se pourvoir devant Monseigneur l'Archevêque pour obtenir la dissolution des fiançailles..."

 

Moyennant quoi: 

" ils se départissent purement et simplement de l'instance de procédure par eux (engagée) devant le (Tribunal du) Siège de BUDOS ... se mettant par conséquent hors de Cour et de procès..."

 

Les choses allèrent ensuite très vite. Huit semaines plus tard, Jeanne MARSADIE convolait en justes noces à BUDOS, le 23 Février 1773. Elle avait assez attendu... Mais ce qui donne à cette histoire un épilogue quasiment romanesque, c'est que Jeanne se mariait avec Etienne CARDONNE, au quartier de BLANCOT, dans la maison même où l'on avait recueilli BAUDRON, malade et plutôt misérable, et qu'il venait d'y mourir, à l'âge de 45 ans, il y avait tout juste un mois, le 22 Janvier 1773... Il n'est donc pas exagéré de dire que les choses étaient allé réellement très vite.

 

    Toutes les ruptures de contrat ne prenaient pas nécessairement un tour aussi complexe. Nombre d'entre elles s'effectuaient à l'amiable par consentement mutuel. Les deux futurs époux se retrouvaient devant le Notaire pour dresser un nouvel acte dans lequel ils constataient qu'ils ont passé un contrat de mariage en bonne et due forme et même :

            

"qu'ils ont reçu la Bénédiction des fiançailles aux formes ordinaires; et comme depuis ce temps, ils se sont aperçu que leurs caractères ne sympathiseraient pas ensemble et qu'ils ne pourraient pas vivre comme il convient entre mary et femme, ils ont été bien aise de se dispenser mutuellement de la promesse et      de l'engagement qu'ils avaient contractés de s'épouser..."

 

En pareil cas, ou bien les deux parties se tenaient quittes l'une envers l'autre des frais déjà engagés ( contrat, fête, etc ... ) ou bien celle qui prenait l'initiative de la rupture dédommageait l'autre.

 

C'est une matière particulièrement riche en anecdotes, même lorsqu'il s'agit de simple consentement mutuel. Pour en terminer sur ce point, nous en citerons encore un cas parce qu'il est particulièrement riche en rebondissements.

 

Le Sieur Jean Pierre MICHEL, Bourgeois de NOAILLAN, était le fils du Greffier du Tribunal Seigneurial du lieu. A l'âge de l'adolescence, il était parti de lui-même " à l'AMERIQUE" sans concours de quiconque ( et surtout pas de son Père ) pour y chercher fortune.

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 Il y resta 24 ans et y fit de bonnes affaires. Lorsqu'il revint à NOAILLAN, aux approches de la quarantaine, sa Mère était morte et son Père remarié. Il fut accueilli assez fraichement au foyer paternel. Cela dura sept ou huit mois et, 

 "comme il arrive ordinairement (avec les marâtre),il survint des ... incompatibilités qui forcèrent le Sieur (MICHEL) , nonobstant ses bons sentiments pour son Père, à déloger et ... à acquérir une maison pour (y) habiter.."

 

Dans sa nouvelle situation d'homme seul, 

 

"ayant nécessité d'une servante, il prit Jeanne DUPRAT, fille de la paroisse de BUDOS, âgée de 19 à 20 ans..."

 

En réalité, sa naissance, retrouvée à BUDOS montre qu'au moment des faits, elle avait tout juste 18 ans et demi. Certes, MICHEL:

 

"n'ignore point de quelle façon on doit se contenir au vis à vis d'un domestique, mais la passion l'emportant, il eut le malheur de succomber (et) il s'y livra au point de connaître charnellement ladite DUPRAT qui, sous la promesse de (MICHEL) de ne pas l'abandonner, consentit, et, étant devenue enceinte de ses oeuvres, accoucha d'une fille (aujourd'hui décédée)..."

 

 Et MICHEL tient parole. Il envisage d'épouser la petite Jeanne, mais pour cela, même à près de quarante ans, il lui faut le consentement de son Père. Il le lui demande et essuie un refus catégorique. Il lui faut donc se résoudre à en venir à la procédure des "Actes de Respect ".

 

Il adresse le premier le 3 Mars 1774. Le Père n'ayant pas réagi, il fait dresser le second deux jours plus tard, en évoquant :

 

" les tendres sentiments que (ce Père) avait cy devant marqués (à son fils) et réfléchissant sur les motifs qu'y ont donné lieu (à son silence, il a pensé que les pressions) des mal intentionnés (ont) formé une barrière insurmontable (à l'ouverture à son fils) de ses entrailles de Père..."

 

Manifestement, Jean Pierre MICHEL met ici en cause l'influence de sa Belle Mère qu'il ne semble pas tellement porter dans son coeur. Il en vient enfin au troisième Acte, le 7 du même mois qu'il n'établit, dit-il, que:  

"pour remplir l'esprit des Lois et Ordonnances..."

 ayant, à l'évidence, renoncé à tout espoir de consentement. Il y donne rendez-vous à son Père chez le Notaire :

 

"Jeudy prochain, dix du courant, à une heure de relevée (c'est à dire à 13 heures)..Iuy déclarant que s'il n'accède (pas) au désir du présent acte, le contrat dudit mariage sera passé en son absence, tout comme s'il était présent..."

 

 Le Jeudi suivant, bien évidemment, le Père ne parut point au rendez vous, mais toute la famille Budossaise était réunie autour de Jeanne, à commencer par son Père Jean DUPRAT, marchand, et sa Mère, Jeanne LACASSAGNE. Point de dot pour la petite, elle ne disposera, éventuellement, au décès de ses Parents que de leur héritage :

 

"qu'on ne peut évaluer, dans l'incertitude (où l'on est de savoir) s'il sera ou non (laissé) par eux (quelque chose)."

 

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On ne saurait être plus prudent ...

 

Nous sommes donc, ce jour-là, le 10 Mars. Ce mariage parait être en bonne voie. Or, il ne l'est pas. Les uns et les autres réfléchissent. Cette union s'annonce bien dépareillée tant du point de vue de l'âge que des conditions sociales. Et puis il doit bien y avoir aussi des pressions de la part du Père et de la famille de l'époux; toujours est-il que le 26 Mai suivant, tous se retrouvent chez le Notaire pour résilier ce contrat de leur bon gré " et à l'amiable.

 

Jean Pierre MICHEL n'abandonnera pas pour autant la petite Jeanne. Outre les gages de domestique qui lui sont dûs, et qui s'élèvent à 45 Livres, il lui constitue une dot de 400 Livres en argent et lui donne un lit complètement garni avec deux paires de draps et les habits qu'il lui avait fait faire. Il confie tout cela à son Père et l'en fait dépositaire sous garantie hypothécaire. 

"pour lui en faire raison à sa majorité, mariage, ou autrement ... ' 

Vingt et un mois plus tard, le 17 Février 1776, Jeanne se mariait à BUDOS avec un maçon, Pierre FINORE, à l'âge de 20 ans et demi, beaucoup plus tôt, par conséquent, que les filles de sa génération qui n'avaient pas connu les mêmes péripéties.

 

Cette dernière anecdote nous a mis sur la voie de la troisième fonction du contrat de mariage, celle du règlement des conventions matérielles, et tout spécialement de la dot et des conditions de cohabitation du jeune ménage avec les Parents.

 

Quant à la dot, il y a d'abord le cas le plus simple que l'on puisse imaginer, celui où l'un des époux ( sinon les deux), ne possède strictement rien et ne peut donc rien apporter en mariage, en ce cas :

 

" déclare le futur époux, n'avoir aucune espèce de biens à se constituer (en dot)..."

 

Du moins aura-t-on ici l'assurance d'éviter toutes contestations ultérieures...

 

Mais ce n'est pas le cas général. Les filles sont le plus souvent dotées , plus ou moins richement, mais dotées tout de même. Les garçons le sont rarement, et lorsqu'ils le sont, c'est souvent sous la forme d'une promesse d'héritage à l'échéance de la disparition de leurs Parents, ou encore par la remise d'outils professionnels nécessaires à leur métier, mais, répétons le, il s'agit là de cas d'exception. En principe, si une famille ne comporte que des filles, leurs dots seront modestes car, le moment venu, elles se partageront l'héritage des Parents. 

Si la famille comporte à la fois des garçons et des filles, le mariage de ces dernières sera l'occasion de les désinteresser en les dotant assez confortablement; moyennant quoi, elles ne prendront plus part à l'héritage familial qui, lorsque s'ouvrira la succession des Parents se partagera entre les seuls garçons. Bien qu'aucune règle ne l'impose, cette coutume est solidement implantée et ne souffre guère d'exception. 

 

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A noter toutefois, mais c'est un autre problème, que dans les cas peu nombreux où les Parents n'ont pas rédigé de testament, leur succession se partagera par parts égales entre filles et garçons sans considération de sexe.

 

La dot d'une fille est, dans la quasi totalité des cas composée d'une somme d'argent, de mobilier, de linge, et de vêtements.

 

La somme d'argent est plus ou moins importante suivant la fortune des Parents, et très dépendante également du nombre des enfants. Dans le milieu des petits propriétaires Budossais, ceux que l'on dénomme les " laboureurs " ou les " vignerons", une dot de 150 Livres peut être tenue pour très modeste, une dot de 1.000 Livres est, au contraire, déjà considérable, la moyenne se situant entre 400 et 500 Livres.

 

En matière de mobilier, le lit est toujours prioritaire. Il est neuf ou usagé selon les cas, mais toujours garni de ses montants, de son ciel, de ses rideaux et d'une literie complète dont la description est parfois minutieuse, surtout en ce qui concerne la couverture, toujours en laine et qui fait souvent l'objet d'une évaluation spécifique. Dans les mariages " aisés" on y ajoutera un " cabinet " c'est-à-dire une armoire, ou un demi-cabinet ( dont la porte est limitée à un seul battant );

 

S'il comporte un tiroir, ce sera précisé, sans omettre de dire s'il ferme à clé, ce qui est très recherché. Dans certains cas d'exception, on y ajoutera encore un coffre, mais nous sommes déjà, là, au delà de la simple aisance. La nature des bois de ces meubles est généralement indiquée. Lorsqu'elle est précieuse ( noyer ou cerisier par exemple ), seule la partie frontale en sera faite, le restant du meuble étant fait de chêne ou de pin. 

 

Il n'est presque pas d'exemple de  meubles entièrement faits de bois noble. Sauf rarissimes exceptions ( et encore dans des cas bien particuliers ) les dots ne comportent jamais de sièges. Chaises et fauteuils sont inconnus dans les maisons rurales. Pas davantage il n'est question de tables; et pourtant, de diverses sources, nous savons qu'il y en avait toujours au moins une dans la salle commune de la maison, mais elle n'apparaît jamais dans les contrats.

 

Le linge est essentiellement constitué de "linceuls c'est à dire de draps ) dont la longueur, lorsqu'elle est précisée, ne laisse pas d'être surprenante. Trois aunes et demi ( soit plus de quatre mètres ) par exemple... Ceci s'explique par le fait que les lits, à l'époque, étaient faits avec un seul drap replié en portefeuille. Viennent ensuite les serviettes, de 6 à 24 selon l'état de fortune, " ouvrées " ou non, et les nappes, à raison d'une ou deux, mesurant ordinairement deux aunes (environ 2 mètres,35 ). La nature du linge est presque toujours précisée. Il est fait de chanvre ( le lin est alors pratiquement inconnu dans les foyers ruraux Budossais.

 

Mais il peut être " de brin " ( la qualité supérieure " d'atraman " ou de " bourre " cette dernière matière étant, de loin, la plus commune.

 

Quelques exemples pris parmi tant d'autres, permettront d'illustrer les formes les plus classiques de ces constitutions dotales.

 

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Lors de son mariage avec François BATAILLEY, le 13 Janvier1776, Catherine DELOUBES reçoit de ses Parents 900 Livres en argent plus :

            

"un lit composé de coette et coussin rempli de plumes, une couverte de 33 Livres, les rideaux de cadix (ils s'agissait d'un tissus provenant, à l'origine, du sud de l'ESPAGNE, d'où son nom, mais fabriqué depuis lors dans la région de MONTAUBAN, et dans le GERS, tout spécialement dans la région d'AIGNAN ), un demy cabinet de bois (de) cerisier (et de) pin, huit linceuls, (dont) quatre de toile (de) brin et quatre d'atraman, une nappe de brin, une douzaine et demi de serviettes de brin neuves..."

 

Catherine ESTENAVE épouse Raymond HAURIERE le 13 Décembre 1783, on lui donne 400 Livres en argent et:

 

"un lit composé de son tour, ciel et dossier de cadix vert, une coette et coussin de coutil garnis de plume, un paillassier, une couverte de laine blanche de valeur de trente Livres, huit linceuls de trois aunes et demy de long chacun, une douzaine et demy de serviettes et deux nappes, le tout de brin; un demy cabinet, le devant duquel (est) en bois de cerisier et le derrière de pin, de valeur de quarante cinq Livres."

 

Il serait vain de multiplier ces exemples; aux variantes près, imputables aux situations de fortune, ces contrats sont tous bâtis sur le même modèle. Et dans tous les cas, l'inventaire du trousseau se termine sur la description des habits de la mariée.

 

Il n'existe pas à proprement parler de " robe de mariée" au sens où nous l'entendons aujourd'hui, celle-ci n'est apparue qu'au XIXème siècle et même, pour tout dire, de façon assez tardive. L'habit de noce est, dans son principe, assez voisin de celui de la vie quotidienne : des " brassières ", une jupe et un tablier, mais la matière en est plus recherchée, et la présentation plus ornée, en particulier celle du tablier.

 

C'est, pour beaucoup de ces jeunes filles, le seul vêtement neuf complet qu'elles auront dans toute leur vie. Elles le conserveront donc précieusement et ne le porteront que dans les grandes occasions. Il leur arrivera même de le léguer à leur fille. Aussi ce vêtement est il décrit avec une certaine complaisance par la plume des Notaires, surtout s'il est fait d'un tissu de soie ce qui fut, au début, le privilège envié de quelques filles particulièrement bien dotées et qui devint par la suite un peu plus commun, notamment vers la fin du siècle. Ici, on rencontre d'innombrables variantes au fil des divers contrats.

 

Commençons sur un véritable coup d'éclat. Lorsque Marie BATAILLEY épouse Pierre BOIREAU au quartier des MAROTS en 1763, son Père:            

"promet d'habiller la future épouse le jour de ses noces d'un habit d'étamine en soye, cotte et brassières."

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Ce qui n'est déjà pas si mal, mais,  

" le Père du futur époux promet lui en donner un autre de Cadix d'AIGNAN, rouge, complet ".  

Marie aura donc deux vêtements de noces ! Voilà donc une fille comblée; mais il faut bien dire qu'une telle opulence constitue un cas unique à BUDOS sur toute la période de cette fin de siècle.

 

Plus modeste, Marie CASTAIGNET, en 1773, sera

 

" habillée à neuf d'étamine en soye, chaussée de bas et souliers selon sa qualité. "

 

ce qui est néanmoins d'un très bon niveau, tout comme pour Catherine ESTENAVE, qui en 1783 sera habillée :

            

" de la tête à pieds d'un habit complet de camelot    en soye, indépendament de (ses) habits et nippes ordinaires ",

 

étant toutefois convenu que ses futurs Beaux Parents lui offriraient le tablier.

 

Catherine DELOUBES, quant à elle, en 1776, a des Parents libéraux et particulièrement compréhensifs car elle sera :

 

" habillée et chaussée à neuf comme elle le voudra, suivant son état, outre ses habits ordinaires. "

 

Anne DURON,en 1775, en plus des mêmes habits courants, aura pour le jour de ses noces:

        "un habit composé de brassières (et d'une) jupe d'étamine de soye, (étant) chaussée suivant son état."

seule, ici, la jupe est en soie, le niveau n'est donc plus tout à fait le même.

 

Enfin Jeanne DAULAN, en 1787, comme la majorité de ses compagnes Budossaises, devra se contenter plus modestement d'un habit de noces complet:

"savoir les brassières et jupe de camelot commun et le tablier de coton."

 

Les souliers de la mariée sont souvent évoqués; c'est que, faits sur mesures, ils représentaient une dépense tout à fait considérable. Toutes les jeunes épousées ne seront pas ainsi chaussées, il s'en faut de beaucoup ! Mais lorsqu'elles le seront, ce sera toujours " selon leur condition "; entendons par là que leurs souliers ne comporteront pas de boucle d'argent ( le grand luxe ... ), ni même peut être de boucle du tout. Ces chaussures seront bien souvent uniques dans la vie de ces jeunes femmes; ils ne remplaceront que très rarement leurs sabots quotidiens et feront l'objet de soins toujours très attentifs.

 

La seule présence de ces descriptions dans les contrats de mariage montre bien combien ces pièces de linge et de vêtement pouvaient être précieuses et quelle place elles pouvaient tenir dans l'économie d'un ménage. Nous sommes là évidemment bien loin de nos sociétés de consommation.

 

Mais une chose est de promettre, et autre chose de payer.

 

Généralement, il ne s'élève aucune contestation quant à la livraison du mobilier, du linge et de l'habit de la mariée. Mais pour l'argent, c'est bien autre chose

(Page 28)           

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Tout d'abord, les paiements de dot comptant sont si rares qu'on peut les qualifier d'exceptionnels. Au mieux, une partie de la somme promise sera réglée au moment du contrat, parfois purement symbolique, parfois plus conséquente. Le solde, en une ou plusieurs échéances sera promis au terme de six mois, ou d'une année, ou de deux, ou de bien davantage encore. En principe, ces reliquats, par convention, ne portent pas d'intérêts jusqu'à la date de l'échéance fixée. Au delà, il y aura retard et les contrats prévoient la perception de 'l'intérêt de l'Ordonnance " qui est alors fixé à 5 % .

 

 Mais on rencontre des cas bien plus aléatoires. Le 13Janvier 1787, le Père de Jeanne DAULAN marie sa fille à JEAN BEDOURET, vigneron journalier à BUDOS. Il promet une dot de 400 Livres dont il n'a pas le premier sou. Qu'à cela ne tienne, il payera cette dot:

    

"par convention expresse, immédiatement après le décès de Anne LALANDE, veuve de Jean DESPUJOLS, de la paroisse de LEOGEATS, (sa) Belle Mère... sans intérêts jusqu'au dit décès et, (celui-ci) arrivé, et jusqu'au payement effectif de ladite somme, avec intérêts..."

 

C'est bien ce qui s'appelle il avoir des "espérances ". En tous cas, personne ne s'offusque d'une pareille formule.

 

Il faut toujours garder à l'esprit le fait qu'il n'y a pas d'argent dans les maisons, ou tout au moins, le moins possible. Le monde rural ignore complètement la banque qui est une institution purement citadine et réservée au négoce. Lorsque l'on dispose de quelque numéraire, on ne peut le conserver que dans le bas de laine ou dans une cachette domestique. C'est très risqué. Aussi, dés que l'on a ramassé quelques écus au delà du strict nécessaire, s'empresse-t-on de les investir dans quelque chose de sûr, en général un peu de terre si peu que ce soit. 

 

Et lorsque l'on a ainsi incorporé quelques arpents supplémentaires au patrimoine familial, ils y sont aussitôt intégrés et deviennent un capital que l'on répugnera désormais vivement à réaliser et à revendre même s'il s'agit de recouvrer les liquidités nécessaires au paiement de la dot d'une fille. Ce qui a été acquis est acquis et ne doit plus ressortir du patrimoine de la famille sinon pour un échange ou pour une opération d'extension. 

 

Vendre de la terre constitue une sorte de régression sociale. Aussi préfèrera-t-on de beaucoup recommencer le jeu de l'économie, Livre par Livre pour amasser une nouvelle somme qui sera affectée, par échéances successives au paiement de cette dot. Ces échéances sont prévues dés la rédaction du contrat en fonction des prévisions d'épargne de la famille. Mais ces projets sont souvent pris en défaut. L'essentiel des rentrées financières d'un foyer rural est établi sur la valeur de ses récoltes et, à BUDOS, tout spécialement sur celle du vin. 

 

Survienne une mauvaise année, et le calcul s'effondre. L'échéance ne pourra être honorée, et des intérêts commenceront à courir en aggravant une situation déjà obérée. Les litiges en non paiement de dot sont innombrables, et trouvent là bien souvent leur origine. Il s'ensuit d'interminables procès dont certains sont portés jusqu'au Parlement de BORDEAUX et qui parfois ne sont pas encore réglés au moment du décès des Parents. Ils rebondissent alors de plus belle, la dot impayée dot impayée formant créance sur l'héritage au détriment des autres héritiers.

 

(Page 29)           

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               On n'en finirait pas d'évoquer ces affaires dont certaines ont duré vingt ans !

 

Pour écarter les conséquences de ces aléas, on voit souvent apparaitre des solutions ingénieuses, fruit de l'imagination de pères de famille avisés. S'ils n'ont que des filles, la solution est évidente, il suffit de leur promettre en dot une part du futur héritage, la moitié, le tiers ou le quart selon leur nombre. Cette part sera payable au moment du décès du dernier des Parents survivant. 

 

En ce cas, les dots se limitent au mobilier, au linge et aux habits, avec éventuellement versement d'une petite somme parfois symbolique, l'essentiel consistant en la promesse de part d'héritage. Si les pères de famille ont à la fois des filles et des garçons, ils s'engagent dans une politique de mariages successifs alternés entre les garçons et les filles de manière à payer la dot de celles-ci avec l'argent que leur apportent les jeunes femmes de ceux-là. Cette pratique, fréquente, et parfois complexe mérite d'être illustrée d'un exemple.

 

Arnaud BATAILLEY a un fils, François, qui épouse Catherine DELOUBES le 17 Février 1776, elle apporte une dot de 900 Livres dont une première échéance de 500 Livres est versée rapidement dés le 8 Mai suivant. Notons bien, et c'est très important que ce versement n'est pas effectué entre les mains de l'époux, François, mais entre les mains de son Père Arnaud. 

 

Tant que le Père vit, les jeunes ménages sont totalement écartés de la gestion de leurs propres intérêts, et ceci, quel que soit l'âge des époux. En bref , ici, il restera 400 Livres à payer. Mais Arnaud BATAILLEY a aussi une fille, Jeanne, qu'il avait mariée à Jean ESTENAVE en la dotant de 1000 Livres à verser en plusieurs échéances successives entre les mains de Bernard ESTENAVE, Père de l'époux ( tout se passant encore ici entre les Pères ). 

 

En homme avisé qu'il est, Arnaud BATAILLEY s'est ingénié à faire coïncider les échéances de ce qu'on lui doit pour le solde de la dot de Catherine DELOUBES, sa Belle Fille, avec les échéances de ce qu'il doit lui même pour la dote de sa fille Jeanne ... Et ceci a parfaitement fonctionné jusqu'au dernier terme, au vu et au su de toutes les parties intéressées car il n'y avait là aucun mystère entre eux. 

 

Le point final a été mis à l'opération le 11 Mai 1777 dans l'Etude de Me BAYLE, Notaire à PUJOLS, où tout le monde s'est retrouvé pour dresser une quittance définitive par laquelle Arnaud DELOUBES se libérait entre les mains d'ARNAUD BATAILLEY du solde de la dot de sa fille Catherine, lequel BATAILLEY, l'instant d'après, se retournait vers Bernard ESTENAVE, également présent, pour lui remettre ce même argent contre quittance du solde de la dot de sa propre fille Jeanne. Le Père BATAILLEY avait ainsi réglé une dot avec l'autre, l'argent ne faisant que transiter l'espace d'un moment entre ses mains.

 

Dans ce cas, et dans tant d'autres, on découvre ainsi une véritable politique matrimoniale dont le but évident, lorsqu'il y a à la fois des garçons et des filles, consiste à doter ces dernières afin de les désintéresser et, ce faisant, de les écarter de la succession future dont le partage se fera entre les seuls garçons. Donc, les doter, mais en touchant le moins possible à l'actif du patrimoine. 

 

(Page 30)           

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C'est le rêve de chaque Père de famille; un rêve pas toujours réalisable car il faut bien en venir parfois à payer la dot en terres; c'est à toute extrémité, car une telle situation est tenue pour un véritable échec. On la rencontre dans les cas de maladie d'un ou plusieurs membres de la famille, ou encore dans les périodes où une série de nauvaises récoltes n'a pas permis de rassembler les sommes nécessaires au paiement des échéances qu'avait prévu le contrat.

 

Ainsi par exemple, Basile LESPINE, vigneron au quartier de LA PEYROUSE, avait il marié sa fille Marie à Joseph BRUN, qui était serrurier. Il avait constitué en sa faveur une dot de 400 Livres:

 

"comme il n'a pu la payer en argent, qu'il se trouve malade et voit qu'il est sur la fin de ses jours…"

 

Il fait appel à des experts, tous Budossais, pour définir une dotation en terres équivalente aux 400 Livres promises. Le 5 Janvier 1770, devant Me BAYLE, toutes les parties tombent d'accord et le choix se porte sur un fonds composé de vignes, prés, taillis et terres labourables, le tout en un seul tenant, situé " Au Frère ", au quartier de LAUCHET, estimé à 430 Livres qui couvriront le montant de la dot, mais aussi les frais d'acte et d'expertise. Il était grand temps de conclure cet accord car Basile LESPINE, devait décéder quinze jours plus tard, le 21 Janvier.

 

On imagine assez mal l'importance capitale qu'ont pu revêtir ces affaires de dot dans les familles. Nombre de positions sociales se sont confortées ou dégradées au hasard de politiques matrimoniales plus ou moins heureuses. Si les sentiments ont pu parfois y trouver leur place cela aura été souvent par le fait d'heureuses circonstances plutôt que par celui d'une volonté délibérée. La voix du coeur restait plutôt discrète au sein du choeur des intérêts... 

 

Lorsqu'elle s'élevait un peu trop haut, ce n'était pas sans conséquence. Et même s'ils ne s'opposent pas formellement au mariage d'une fille amoureuse, comme ils en ont le droit le plus absolu, des Parents réticents à l'endroit de son union sauront bien lui manifester leur réserve au moment de la constitution de sa dot.

 

Jean DUPRAT n'a pas fait obstacle au mariage de sa fille Marie avec Thomas BAYLE, valet chez Monsieur le Président DUROY à PREIGNAC, mais quand on est petit propriétaire à BUDOS, on ne donne pas volontiers sa fille à un valet dépourvu de tous biens. Aussi, lors de la rédaction du contrat, le 10 Janvier 1784, se montre-t-il très réservé. Bien qu'il soit veuf et qu'il n'ait que cette fille, il ne va pas la doter, mais simplement lui laisser l'espérance de sa succession en termes totalement dépourvus de chaleur et d'empressement :

 

"le futur époux prend la future épouse avec tous ses biens et droits ( quels qu'ils soient ) et dont l'appréciation n'a pu être faite, attendu que son Père... ne lui promet rien."

D'autres fois, sur un fond de même méfiance, les choses prennent une autre tournure. Bernard DUME, laboureur à BUDOS, ne s'oppose pas au mariage de sa fille Marie avec Bernard FERBOS, journalier à SAUTERNES, mais il n'a aucune confiance dans son futur gendre ni, ce qui est peut être encore plus grave à ses yeux, dans ses Parents.

          
 (Page 31)

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 Confier l'argent d'une dot à unjournalier et à une famille qui n'offre aucune garantie foncière, constitue une opération risquée qu'il n'apprécie guère. Aussi va-t-il limiter cette dot à une somme dérisoire ( peut-être au demeurant ne pouvait-il pas faire mieux ... ) mais surtout, il va user d'un subterfuge pour la garantir, et dire tout crûment pourquoi, sans autre ambages, dans le contrat qu'il fait rédiger par Me DUFAU, Notaire à PREIGNAC, le 30 Décembre 1786. C'est ainsi que Bernard DUME constitue en dot à sa fille : 

" la somme de soixante Livres en argent que, attendu l'insolvabilité notoire du futur époux et (de) ses Père et Mère, (il) a présentement délivrée et déposée en bonnes espèces réelles (ayant cours), de leur exprès consentement, (entre) les mains de Martin GUICHENEY, dit CHICOY, aubergiste du Bourg (de) SAUTERNES, ici présent , qui a pris , compté et reçu ladite somme de soixante Livres, s'en est chargé et a promis de la garder (par devers) lui jusqu'à ce que le futur époux et... (ses) Père et Mère aient trouvé occasion de (1'investir) en fond solide."

 

Nous ne savons pas ce que la famille FERBOS aura pu penser de ces dispositions, mais on peut à tout le moins reconnaître à Bernard DUME le mérite d'une grande franchise.

 

Nous commençons à réaliser quelle emprise la toute puissance du Père peut exercer sur l'ensemble du patrimoine familial, quel que puisse être l'âge des enfants. L'idée que quelqu'un, dans la maison puisse disposer d'une fraction d'autonomie financière est proprement insupportable.

 

Lors de son mariage avec Raymond DUPRAT, Marie LAFITAN était venue s'installer comme belle-fille chez son beau-père Jean DUPRAT, dit LARROCHE. Or, avant son mariage, Marie avait gagné et économisé une somme de 180 Livres qui lui appartenaient en propre et qu'elle:

 

"avait dans ses mains à l'époque ..."

 

Mais elle n'avait pas jugé à propos:

 "de la remettre audit LARROCHE, son beau père, lors de son contrat de mariage, à cause qu'elle en avait projeté un autre emploi ... "

C'était là un bien grand désordre ! ... On imagine sans peine les pressions constantes dont cette belle-fille trop indépendante a pu être l'objet dans le cadre de sa nouvelle famille pour qu'elle remette cet argent à son beau-père. Elle dû avoir là quelques rudes moments à passer. Au terme de ce harcèlement, comme on pouvait bien s'y attendre, il a bien fallu qu'elle cède et le beau-père a fini par mettre la main sur ces 180 Livres.

 

Mais Marie LAFITAN est têtue et ne lâche pas facilement prise. Certes, elle se garde bien de suspecter la bonne foi de son beau-père, et elle le dit, mais elle l'amène à reconnaître devant Notaire qu'il est:

 

"juste de luy en donner une reconnaissance authentique et (de) luy en assurer (le moment venu) la ... restitution."

 

Et c'est  ainsi que le 2 Septembre 1790, elle obtient bel et bien une hypothèque sur les biens du beau-père afin:

 

"qu'elle puisse demander son remboursement quand bon luy semblera "

 (Page 32)

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et elle fait même préciser que si elle ne se décide à réclamerson dû qu'après la mort de son débiteur, elle pourra:

 

"prendre telle partie et telle nature de biens qu'elle jugera à propos et à son choix... (à concurrence des 180 Livres), le tout sans nulle (contestation) de la part des enfants dudit DUPRAT..."

 

Ce cas de résistance est à peu près unique. Ou bien Marie LAFITAN avait une très forte personnalité, ou bien elle disposait d'arguments et de moyens de pression qui n'apparaissent pas dans le dossier. Certes, il lui a bien fallu se plier à la règle commune et remettre son argent, mais elle ne l'a pas fait sans garantir ses droits, ce qui, dans le contexte du temps et dans ce milieu patriarcal, n'a pas dû être une mince affaire...

 

Or, une telle reconnaissance pouvait être très importante car, toute somme d'argent entrant dans une famille, pour quelque cause que ce soit, y était rapidement investie dans un accroissement du patrimoine ( toujours la fuite devant l'argent liquide... ) et s'y fondait souvent jusqu'a s'y perdre, au point qu'il n'était pas toujours facile de l'en  faire ressortir, même dans les circonstances les plus justifiées. Un exemple, entre autres, le montrera.

 

En 1759, Marie FOURNIE, veuve de Jean DURON, dit PEZEOU, avait marié sa fille Jeanne à Bernard COUTURES, dit COUTUROT, laboureur au lieu dit de VERDUC. En cette occasion, elle lui avait constitué une dot de 75 Livres, des meubles et du linge.

 

Après être restée huit ans sans enfant, une petite fille était née de cette union en 1768. Cette naissance fut si difficile qu'elle ne survécut pas plus de quelques heures. Dix jours plus tard, sa Mère Jeanne mourait à son tour des suites de ses couches. Faute de descendance, il était normal que, devenue sans objet , la dot de la défunte épouse soit restituée à sa Mère. Mais le gendre n'entend pas du tout procéder à cette restitution.

 

Ce qu'il avait reçu en dot était entré dans le patrimoine des COUTURES et allait avoir beaucoup de mal à en ressortir. Bernard COUTURES opposa à sa belle-mère toutes sortes d'arguments dont certains confinent à la mauvaise foi pure et simple. En particulier, il va imputer à cette dot :

 

" la moitié des frais funèbres tant de ladite DURON (sa femme) que ceux de ladite feue COUTURES leur fille; qu'en outre, par l'usage (qui en a été fait) des meubles, tant par  ladite DURON (sa femme) que par ladite COUTURES (safille), ils s'étaient (usés) et n'enrestait que des haillons de mince valeur qu'il offrait (de) lui remettre"

 

Comment prétendre que du mobilier et du linge que l'on se transmettait souvent d'une génération à l'autre ait pu se retrouver en un tel état de délabrement au bout de huit ans de mariage. Sans parler de la disproportion entre les quelques Livres qu'ont pu coûter la moitié des deux enterrements et des messes qui ont pu suivre, avec les 75 Livres de la dot.

 

Eh bien ces discussions vont durer plus de deux ans. Elles se termineront sur un arbitrage dont Marie FOURNIE ne tirera que 45 Livres pour solde de tout compte. Elle ne reverra jamais ni ses meubles ni son linge dans quelque état qu'il ait pu être…

Il n'était vraiment pas facile de faire ressortir un sol lorsqu'il était entré dans une famille ...

 

 (Page 33)

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Nous appréhenderons mieux encore le caractère patriarcal de ces familles Budossaises en examinant une autre série de dispositions habituellement prévues dans les contrats de mariage, savoir les règles de cohabitation.

 

Au regard des usages de l'époque, il n'était guère pensable qu'un jeune ménage puisse s'installer seul sur une exploitation et y gérer ses propres affaires. Cela pouvait tout au plus s'envisager si aucun des deux époux n'avait de famille. Dans tous les autres cas, le jeune ménage s'installait soit dans une famille soit dans l'autre, et ceci était expressément prévu dans les contrats sans oublier de préciser les sanctions encourues par ceux qui, ultérieurement, pourraient chercher a recouvrer leur liberté. Dans le langage du temps, on disait que celui qui allait s'installer dans l'autre famille " partait adventice ", entendons par là qu'il allait prendre le rôle de gendre ou de " nore " chez ses beaux-parents. Un bon exemple de ce genre de conventions éclairera les conditions de ces cohabitations mieux que n'importe quel exposé.

 

En Février 1776, Jean DAMBONS va se marier avec Anne DURON au quartier des MOULIES. Ils passent contrat devant Me PERROY, à NOAILLAN, le 11 Novembre 1775 et vont définir avec les Parents de l'épouse leurs conditions de vie commune :

 

"attendu que ledit DAMBONS, futur époux, doit aller adventice dans la maison desdits DURON pour, avec la future épouse, y faire leur continuelle résidence, vivre avec eux en communauté à même pot et feu, travailler de concert leurs biens, les honorer et respecter comme enfants sont tenus à Père et Mère, ainsi qu'il s'y obligent, et de rapporter dans ladite communauté le fruit de leurs travaux, gains, produits et industrie, sans pouvoir faire bourse à part n'y trafic particulier..."

 

"…pendant laquelle communauté (les Parents) promettent et s'obligent (de) nourrir et entretenir les futurs époux et leurs enfants s'il en survient, (qu'ils soient) sains (ou) malades, de toutes choses requises et nécessaires; et si de leurs économies il est fait des acquêts, (il) est convenu que... la moitié... appartiendra (aux Parents) et l'autre moitié aux futurs époux..."

 

" ... mais (s'il arrive) que les futurs époux, de leur (propre) mouvement et sans (que les Parents leur en aient donné l') occasion, viennent à quitter la maison et la compagnie des Parents, la donation (de biens qu'ils leur ont faite) sera et demeurera nulle."

 

 Ici, les conditions sont draconiennes. Si les jeunes s'en vont, ils perdent tout, et sous cette menace, il leur faudra probablement accepter bien des choses... Dans d'autres contrats, les choses sont parfois un peu plus nuancées. Le niveau de fortune n'y est pour rien, car on rencontre des exemples de ces clauses de sauvegarde aussi bien dans les familles aisées que dans les familles pauvres. Sans revenir sur les conditions de bourse et de " pot et feu communs ", pas plus que sur les obligations d'assistance qui, aux formulations près, sont les mêmes dans tous les contrats, citons deux exemples de garanties accordées aux jeunes époux.

 

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Le premier dans une famille jouissant d'une confortable aisance, chez les BATAILLEY, établis au quartier des MAROTS. A l'occasion du mariage de leur fils François en 1776 ( mariage que nous avons déjà évoqué en étudiant le jeu des compensations de dots ), Arnaud BATAILLEY, le Père, prévoit qu'au cas d'incompatibilité d'humeur avec le jeune ménage, il laisserait à son fils, aux conditions habituelles du métayage la jouissance de plusieurs métairies qu'il possède à SAINT SYMPHORIEN au quartier de LASSUS. Les jeunes quitteraient donc la famille et s'en iraient au loin, mais conserveraient de sérieuses chances de réussite sur un ensemble de biens fonciers évalué à 500 Livres.

 

Autre exemple pris, cette fois-ci dans une famille particulièrement modeste, chez les DULIN, à l'occasion du mariage de leur fils Jean en 1786. Ici encore, on a bien convenu de vivre ensemble, mais Jean, simple journalier,

 

" futur époux (recevra) ses outils du métier de vigneron que ses Père et Mère promettent (de) luy délivrer à l'instant de leur séparation s'ils ne peuvent s'entendre) ensemble, (le tout évalué à la somme) de quinze Livres."

 

Ils sont très pauvres; ils ne peuvent promettre davantage, mais du moins, le garçon, disposant de ses outils personnels, pourra-t-il entreprendre des travaux à façon lui assurant un minimum d'indépendance, bien modeste au demeurant.

 

Il ne faudrait pas croire que ces dispositions constituent de simples clauses de style. Il arrive en effet que des séparations se produisent. Elles revêtent d'ailleurs souvent des formes dramatiques surtout lorsqu'aucune clause de sauvegarde n'a été prévue au contrat en faveur des enfants. C'est bien ce qui se produisit chez les DELOUBES au cours de l'été 1776.

 

Arnaud CAUBIT avait épousé Marie DELOUBES le 22 Janvier 1774. Il avait été convenu qu'il irait s'établir gendre chez ses beaux-parents et que, sous cette condition, ceux-ci donneraient en dot à leur fille Marie un tiers de leur futur héritage (il s'agissait d'une famille dans laquelle il n'y avait que des filles ). Les Parents avaient constitué avec le jeune ménage une société d'acquêts dans laquelle chacun des foyers participait pour moitié aux revenus de l'exploitation. Mais il était expressément convenu que :

 

" si les futurs époux venaient, par caprice et sans motif légitime, à quitter la maison et compagnie (des DELOUBES), la donation (qu'ils ont) faite à leur fille (deviendrait) nulle ... et sans effet, (et ceci) par convention expresse."

 

La cohabitation commence alors, mais elle devient rapidement difficile. Le jeune ménage prétend que " des personnes jalouses" ont monté la tête des Parents à leur endroit. Ceux-ci, évidemment s'en défendent vigoureusement. Au début de Juin 1776, la situation devient confuse. Les jeunes disent que les Parents les ont mis à la porte et qu'ils ont été obligés d'aller se réfugier chez Pierre CAUBIT, Père de l'époux. La version d'Arnaud DELOUBES est toute différente. Pour lui, les jeunes époux sont partis d'eux-mêmes:

 

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"sans que ledit DELOUBES et son épouse y aient donné aucune occasion, et uniquement parce que Pierre CAUBIT, Père, a rappelé son fils et sa belle-fille auprès de lui "

 

et il le leur fait savoir par un acte notarié qu'il leur fait signifier le 18 Juin. Le jeune ménage attend trois semaines pour réagir, espérant qu'un temps de réflexion pourrait être le bienvenu, c'est ce qu'ils expliquent dans un autre acte notarié qu'ils font rédiger en réponse aux Parents :

 

"(ils) ont différé pendant quelques jours de fournir leur réponse à cet acte afin de donner le temps audit DELOUBES et (à) Marie BOIREAU son épouse de revenir de leur prévention, et comme ils espèrent aujourd'huy pouvoir être écoutés plus équitablement, ils leur représentent :

 

1° que ledit CAUBIT Père n'a point rappelé son fils ni sa belle-fille chez lui, qu'il ne les a reçu que par piété paternelle et provisoirement, en les exhortant à retourner chez leur beau Père et Père;

 

2° que ledit CAUBIT fils et son épouse n'ont quitté la maison et compagnie desdits DELOUBES et BOIREAU que par leur ordre exprès, et pour se soustraire aux progrès de l'aigreur qui leur avait été (manifestée), mais qu'il n'ont pris ce parti que pour le moment et dans le dessein de revenir aussitôt que lesdits DELOUBES et BOIREAU voudront le permettre ainsi que (leurs) gendre et fille sont prêts de le faire, purement et simplement, à toute heure, offrant de continuer et de redoubler, même, les témoignages de leur respect et soumission envers (les Parents);

 

3° que la privation de l'amitié de leurs dits BeauPère et Belle Mère serait infiniment plus douloureuse pour .. Arnaud CAUBIT et son épouse que la perte (de la donation faite) à cette dernière."

 

Moyennant quoi, le jeune ménage propose:

 

"de retourner en la maison et compagnie de leur... Beau-Père et Belle-Mère et de s'y comporter comme un gendre et une fille doivent faire."

 

Pour peu que l'on franchisse la barrière du style ,académique du Notaire, on devine derrière chacun de ces mots le poids de rancœurs, d'incompréhensions, et même de franche hostilité probable qui, aux torts ou aux raisons des uns et des autres, ont dû empoisonner la vie quotidienne de cette famille. A des degrés plus ou moins dramatiques, on pourrait en citer bien d'autres exemples. La cohabitation de trois générations, voire de quatre lorsque survivait quelque aïeul et que les enfants grandissaient n'a jamais été chose bien facile.

 Et elle était d'autant plus difficile que les conditions matérielles de vie en aggravaient l'exercice. Aussi, tout au long du XVIIIème siècle devine-t-on, en milieu rural, une lutte sourde en vue de conquérir un minimum d'intimité au bénéfice de chacun. C'est une lente, très lente évolution qui est partie de la grande pièce unique à la table centrale, les lits de chaque génération étant distribués dans les angles, les plus âgés se partageant le privilège d'être les plus proches de la cheminée. C'était le type d'habitat le plus commun à BUDOS depuis des siècles. A partir des environs de 1750, on a vu a pparaître, ici et là, une seconde " chambre basse " venue s'adjoindre à la chambre commune. Elle a permis une première séparation des générations, du moins quant au couchage. C'était assurément un progrès, encore qu'il fut bien loin d'être général; mais on n'est guère allé plus loin dans nos campagnes jusqu'à la Révolution et même bien au-delà.

 

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Le mariage, tout comme la vie familiale, était, en ce temps là, beaucoup plus une affaire de communauté qu'une affaire d'individus. C'était vrai dans ses aspects civils, mais ce l'était presque autant dans ses aspects religieux. Le mariage était bien, certes, et avant tout, un engagement personnel privilégié, mais il avait aussi une dimension sociale, celle d'un engagement pris devant l'ensemble de la Communauté paroissiale. C'est ce que nous allons découvrir en examinant successivement chacune de ses étapes jusqu'à sa célébration.

 

LES FIANCAILLES.

 

Les Fiançailles constituent une étape obligatoire dans le préparation du mariage religieux. Il s'agit d'un acte très solennel dont rien ne parait pouvoir dispenser. En tous cas, au résultat du dépouillement de plus d'un siècle des Registres Paroissiaux de BUDOS, il n'apparaît pas un seul cas de dispense.

 

Les Fiançailles consacrent devant l'Eglise l'une des dispositions déjà prises dans le contrat civil. Il n'est plus ici question ni de consentement des Parents, ni des dispositions matérielles, mais seulement de la volonté déclarée des futurs époux de se prendre pour mari et femme aux conditions définies par l'Eglise à la première requête que présentera l'un d'entre eux. Cela a déjà été promis dans le contrat notarié, mais c'était dans un acte privé. On vient maintenant en prendre l'engagement public devant l'Eglise et la Communauté paroissiale représentée par le Prêtre.

 

Cette cérémonie est toujours postérieure au contrat. Bien souvent de très peu car il est fréquent de voir les deux évènements réunis dans une même journée en présence d'un grand concours de parents et d'amis au sein d'une grande fête. Si les familles sont aisées le repas de fiançailles peut réunir des dizaines de personnes et jusqu'à plus de cent.

 

Dans la plupart des cas, les Curés dressent un acte à l'issue de la cérémonie et le transcrivent sur leurs Registres Paroissiaux. Il semble bien qu'ils n'y soient pas strictement tenus par les règlements ecclésiastiques car certains s'en abstiennent, mais il ne sont pas très nombreux. En fait, ces enregistrements leur sont parfois bien utiles car il leur faut revenir, à l'occasion, sur des fiançailles passées. 

 

Ce sera le cas dans l'hypothèse d'une rupture qui pourra intervenir bien des années plus tard. Mais beaucoup plus simplement ce pourra être aussi pour délivrer un certificat de célébration à l'intention du Curé d'une autre paroisse appelé à célébrer le mariage en question. Il est donc utile d'en prendre attachement.

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Dans tous ces textes, on notera que dans le langage du temps , le verbe " fiancer " est transitif . " Pierre a fiancé Marie" et non point" Pierre s'est fiancé avec Marie " comme nous le dirions aujourd'hui. Et ceci n'est pas dû à une fantaisie grammaticale d'un Curé, la formule est générale et se retrouve sous la plume de tous les clercs.

 

Habituellement, le mariage suit les fiançailles dans un délai de quelques semaines ou quelques mois, deux à trois mois en règle générale. Mais ce délai peut être ramené à quelques jours à p e i n e , surtout 1orsqu'i1 y a dispense de Bans, comme nous le verrons un peu plus loin , ou bien tout au contraire, prolongé de beaucoup, allant parfois jusqu'à plusieurs années. C'est affaire de circonstances.

 

Peu importe le délai, l'engagement demeure quel que soit le temps écoulé, et il ne peut en aucun cas être célébré d'autres fiançailles avec une tierce personne tant que l'on reste sous le coup d'une première promesse de mariage.

 

Nous avons vu que la rupture du contrat d'un mariage non encore célébré ne pouvait se faire que par acte notarié et donnait lieu, sur le plan civil a des dommages et intérêts. La rupture des fiançailles qui s'ensuivait était tout aussi grave et ne pouvait être prononcée que par l'Archevêque de BORDEAUX qui, seul, pouvait dénouer le lien de cette promesse après examen d'un dossier motivé constitué par le Curé de la paroisse. A cet effet, il était expressément prévu dans les actes de rupture que chacune des parties:

 

"puisse se pourvoir devant Monseigneur l'Archevêque pour obtenir la dissolution des fiançailles."

 

Il s'agissait donc bien d'une véritable procédure à la mesure de la solennité de l'engagement que l'on demandait de dénouer.

 

LA PROCLAMATION DES BANS .

 

Après avoir célébré leurs fiançailles, les futurs époux demandaient à leur Curé de proclamer les Bans de leur mariage. Au Curé de leur paroisse ou à chacun de leurs Curés si les époux appartenaient à des paroisses différentes. En ce cas, celui des deux Curés qui ne célébrait pas le mariage adressait à son confrère un certificat de publication.

 

Ces Bans devaient être proclamés par trois fois, en termes identiques, au prône de la Messe de trois Dimanches ou Fêtes d'obligation successifs. Le délai total était donc au maximum de quinze jours, encadré par deux Dimanches, en chacune de ses extrémités. Mais il pouvait être parfois beaucoup plus bref , c'était le cas par exemple dans la période de Pâques où trois fêtes d'obligation se succédaient en trois jours. Il n'y avait aucune condition d'espacement minimum entre chacune des annonces, c'était le calendrier liturgique qui en décidait. Le délai total était donc, somme toute , assez bref . Mais il arrivait qu'il fût encore jugé trop long. Ainsi en allait il dans les cas de mariages urgents cherchant à assurer un minimum de vraisemblance à la légitimité de la première naissance attendue.

 

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Le 11 Mai 1776, se célèbre un mariage

 

"avec publication d'un seul Ban et dispense des deux autres...'

 

Cinq mois plus tard, le 19 Octobre, il en naîtra un petit "prématuré" parfaitement viable... La publication du premier Ban est toujours obligatoire, la dispense ne peut porter que sur les deux suivants. Cette dispense est accordée par l'Archevêché, à la signature d'un Vicaire Général, et dans un délai particulièrement rapide. 

 

En trois jours au plus, on est assuré d'avoir une réponse, ce qui, compte tenu des moyens de communication de l'époque réduit les délais de Chancellerie à un strict minimum. L'Eglise faisait réellement tout son possible pour apporter son concours au règlement des situations délicates. Par ailleurs, les Curés ne manquaient jamais de faire mention de cette autorisation dans le texte de l'acte de mariage qu'ils rédigeaient après la cérémonie.

 

La proclamation des Bans constituait une mesure de publicité à la fois religieuse et civile. Religieuse, certes, en vue de répondre aux exigences du Droit Canon, très préoccupé de déceler d'éventuels liens de trop proche parenté entre les futurs époux. Mais aussi civile, car, sur ce plan là, nous l'avons déjà vu, le contrat passé devant Notaire entre les futurs était un acte essentiellement privé dépourvu de toute publicité. 

 

Or, à côté des obstacles religieux qui pouvaient s'élever, pouvaient tout aussi bien apparaître des objections relevant d'intérêts purement civils. La proclamation des Bans offrait donc l'occasion de se manifester à d'éventuelles tierces personnes concernées par l'union projetée. Si les obstacles religieux paraissent avoir été très rares, les contestations civiles l'ont été un peu moins. Un exemple illustrera les motifs et le mécanisme de ce genre d'intervention de tierces personnes.

 

Marie DAMBONS vit à BUDOS avec ses Parents au quartier des PARAGES; elle a vingt ans. Son Père, Bertrand, dit GRAND DIEU, est très malade et ne peut plus quitter son lit. Or, au début de Janvier 1789, Marie apprend que le Sieur LARGETEAU, Instituteur de son état, vient de faire proclamer les Bans de son mariage à SAINT SYMPHORIEN. 

 

Aussitôt, accompagnée de sa Mère, Marguerite DUPUCH, elle se précipite chez Me BAYLE, en son Etude de PUJOLS, dans l'aprés midi du 19 Janvier. Contrairement à toute attente, ce mariage la concerne, et même de très près. Elle a bien des choses à dire, beaucoup de choses! Et elle les dit…

 

Ce LARGETEAU était venu s'établir à BUDOS il y avait quelques mois de cela, et très spécialement au quartier des PARAGES où il vivait chez le dénommé GERMAIN. Mais laissons donc la Mère et la fille raconter cette histoire:

 

" tout de suite, il eût des inclinations, ou feignit d'en avoir pour se marier avec ladite Marie DAMBONS...et pendant... le séjour qu'il fit dans (ce) village, il n'y eut pas de recherche et persécution qu'il ne luy fit pour la faire succomber, luy promettant toujours de l'épouser; trois ou quatre mois après qu'il (fut arrivé) dans (le) village, il s'en fût (demeurer) dans le Bourg... de SAINT SYMPHORIEN, d'où il n'a pas (manqué) de venir voir ladite DAMBONS... pour la décider de se marier avec lui, ou pour la faire succomber, (ce) à quoi il parvint, un jour des Fêtes de la Pentecôte dernière.

 

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 Ladite DAMBONS ayant été à la fontaine de leur village y puiser un broc d'eau, il l'y suivit, et là, comme la fontaine est écartée des maisons et cachée, il la prit et la renversa dans la haie d'où elle ne put se dégager, où il connut l'heure qu'il recherchait depuis longtemps. ( C'est ainsi que) des oeuvres dudit LARGETEAU, ladite DAMBONS se trouve enceinte et elle vient d'apprendre qu'au lieu de luy tenir sa parole de l'épouser et de réparer son honneur, il vient de contracter (devant Notaire) et fiancer une autre fille dans le Bourg de SAINT SYMPHORIEN..." 

A partir de là, les deux plaignantes vont sommer le Curé de SAINT SYMPHORIEN de ne pas célébrer ce mariage tant que ne sera pas intervenue une décision de Justice qu'elles vont provoquer en portant plainte contre le Sieur LARGETEAU. A aucun moment, le Curé ne sera juge du fond de l'affaire, on lui demande seulement de surseoir à la célébration, mais on le lui demande en termes comminatoires car s'il venait à passer outre, les plaignantes se verraient opposer l'indissolubilité du mariage et n'auraient plus aucun recours, du moins sur le terrain civil. Il est donc très important d'engager la responsabilité personnelle du Curé. C'est ainsi: 

"(qu') elles présentent par les présentes (dispositions) à Monsieur le Curé (de) SAINT SYMPHORIEN qu'elles s'opposent formellement à ce qu'il fiance, proclame (les Bans), ni (confère) la Bénédiction nuptiale audit LARCETEAU (aussi bien) avec la fille avec laquelle il a déjà (passé contrat) qu'avec aucune autre, (et ceci tant) que par (décision de) Justice il (n'en aura) été autrement ordonné, protestant que si au (mépris) des présentes (dispositions) ledit Sieur Curé de SAINT SYMPHORIEN passait outre, (il deviendrait) garant et responsable en son nom propre (au regard des plaignantes)."

 

Moins de deux semaines après cette sommation, Marie DAMBONS donnait naissance à une petite Marthe née au quartier des PARAGES, officiellement "de Père inconnu". La disparition des archives concernant la période perturbée qui allait suivre n'a pas permis de reconstituer la suite de cette affaire.

 

Quoi qu'il en soit, cette anecdote, choisie parmi d'autres assez voisines, fournit une bonne illustration de l'intérêt s'attachant, sur le plan civil à la proclamation des Bans religieux du mariage. Elle met bien en lumière le rôle du Curé qui, bien que n'étant pas partie prenante dans l'aspect civil du contrat, n'en est pas moins personnellement impliqué, à titre conservatoire, en attendant que la Justice ait tranché le litige.

 

Ajoutons à cela que le Curé pouvait avoir aussi, de sa propre initiative, des motifs religieux de s'opposer à la publication des Bans. Nous verrons le Curé DORAT user de ce droit, non parfois sans quelque malice. C'est ainsi que nous aurons l'occasion de rapporter par ailleurs comment en Mars 1767, il refusa de publier les Bans du mariage de Jean MAIGNA parce qu'il n'était pas:

"suffisamment instruit de la Religion et (de ses) principaux mystères... pour recevoir les sacrements de pénitence, eucharistie et de mariage,"

 

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et ceci parce que, depuis son jeune âge, le futur époux s'était refusé à suivre les cours du catéchisme paroissial et n'avait pas voulu faire sa Première Communion. Patiemment le Curé DORAT avait attendu cette échéance... Elle avait fini par arriver... En d'autres circonstances, on pourra trouver d'autres formules, peu importe, l'idée de base reste la même. Quand Pierre BAUDRON désespère de voir publier son troisième et dernier Ban de mariage il interpelle le Curé sur les motifs de son refus d'y procéder. Il s'entend alors répondre que ce troisième Ban sera proclamé le Dimanche suivant, mais qu'il faudra: 

"qu'il se présente avant d'épouser pour voir s'il est instruit de ce qu'il doit savoir pour recevoir le Sacrement du mariage ainsy qu'il est porté sur le Règlement du Diocèse ". 

On peut penser que Pierre BAUDRON, qui a pour lors 39 ans, n'a pas été spécialement emballé par la perspective de cet examen de catéchisme...

 

Tant sur le plan civil que religieux, la proclamation des Bans d'un mariage est donc beaucoup plus qu'une simple formalité, et constitue la dernière étape importante avant la cérémonie proprement dite.

 

LE JOUR DU MARIAGE.

 

Vient enfin le jour de la Fête ....

 

Dans près de 60 % des cas, elle se situait un Samedi. C'était un choix judicieux quand on connaît le goût prononcé des Gascons pour les prolongations de Fêtes sur deux jours ( ce qu'ils appellent le "renoss "). Mais à la vérité, cette logique ne va pas plus loin car le jour le plus pratiqué, après le Samedi, est le Mardi, avec 20 % des cas. On ne sait pas très bien pourquoi un tel jour, isolé dans la semaine, a pu être si prisé, alors que le Mercredi qui semblerait bien pouvoir lui être comparé n'attire que 2,5 % des suffrages. 

 

On comprend mieux que le Vendredi ait été très peu pratiqué, ne serait-ce que du fait des restrictions et interdits alimentaires imposés par l'Eglise en ce jour là. Et pourtant, même ici se posent des questions. En 28 ans, de 1760 à 1787, il ne s'est célébré que huit mariages un Vendredi à BUDOS ( soit environ 3,5 % du total ) , et soudain, dans les deux dernières années de la période d'observation, en 1788 et 1789, il s'en célèbre huit autres, comme si tout à coup une sorte de verrou avait sauté. 

 

Aucune explication réellement convaincante n'est apparue jusqu'ici à ce curieux phénomène. Enfin notons que l'on ne se marie pas le Dimanche qui reste le jour du Seigneur par excellence. Trois mariages seulement en trente ans ont été célébrés ce jour-là, et encore n'est il pas impossible, pour deux d'entre eux, qu'il ne s'agisse d'une simple erreur de transcription dont le Curé DORAT était par ailleurs assez coutumier.

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 Ainsi donc, à BUDOS, et pour nous résumer, dans quatre cas sur cinq, on se mariait un Mardi ou un Samedi et l'on excluait pratiquement le Dimanche.

 

Si nous sommes parfaitement renseignés sur les préparatifs du mariage, tout comme sur les saisons et les dates auxquelles il se célèbre nous nous retrouvons passablement dépourvus quant il s'agit de décrire la Fête elle-même. Il faut bien reconnaître que les documents locaux nous font ici trop souvent défaut.

 

Les réjouissances accompagnant la cérémonie étaient probablement collectives dans les cas de mariages simultanés Rien ne permet cependant de l'affirmer de façon formelle.

 

Les parents et amis invités ne manquaient pas d'exhiber leurs plus beaux atours ... ainsi que leurs souliers dont tous faisaient le plus grand cas ... lorsqu'ils en avaient. Une note de gaieté semble avoir été apportée par les tabliers des femmes. Lorsque leur couleur est précisée, ils sont, le plus souvent, d'un rouge "incarnat ". 

 

Qu'elles soient habillées de soie ou de coton, les Budossaises devaient acheter leurs tissus à l'extérieur du Village, assez souvent à BARSAC, chez Simon VERGES, " sur la Grand' Rue du Bourg ", du moins jusqu'en 1772, date à laquelle il cessa son activité.

 

Le costume des hommes était fait de drap solide de fabrication souvent plus locale, tant pour les tissus que pour la coupe. Exceptionnellement, cet habit de noces pouvait venir de chez PARTARIEU, à LANGON, mais en ce cas, avec les fournitures, son prix dépassait trente Livres et peu nombreux étaient ceux qui pouvaient envisager une telle dépense qu'il fallait au surplus régler en bel et bon argent alors que le tisserand et le tailleur Budossais se payaient en nature sans qu'un rouge liard sorte de la maison.

 

Le repas des noces devait faire essentiellement appel aux ressources locales avec quelques extra parfois inattendus. Le sacrifice d'un ou plusieurs moutons pour un mariage était chose probable, le recours aux services d'un boucher certainement beaucoup moins fréquent. Dans la proche région, il n'y avait de boucher qu'à LANDIRAS et à BARSAC car la viande rouge constituait un luxe d'accès difficile. 

 

De même, dans un pays ou chaque famille s'efforçait d'élever au moins un porc, les charcutiers étaient-ils encore plus rares, si rares qu'à la vérité, on n'en découvre qu'un seul, Pierre LABORDE, joliment dénommé " boucher à cochon " et qui tenait boutique à BARSAC. Plus inattendu un jour de fête est le recours à la morue pour laquelle on trouve une facture de douze Livres à l'occasion d'un mariage célébré le 12 Janvier 1775. 

 

Evoquons enfin la très grande probabilité du pain blanc de froment ( du moins dans les années fastes ) car il était réservé aux très grandes circonstances pour bien les démarquer de la grisaille du pain de seigle quotidien. Quant au vin, c'était dans la plupart des cas celui de la récolte précédente car on ne le conservait guère, à l'époque, au delà de l'année; la mise en bouteille déjà bien connue dans les grands crus du MEDOC, n'était pas encore très pratiquée au Pays des GRAVES.

 

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La Fête n'aurait pas été complète sans musique. Aucune trace de musicien spécifiquement Budossais ne nous est parvenue, ce qui ne veut évidemment pas dire qu'il n'y en ait pas eu quelques uns. Par contre, un " violon " habitant à SAUTERNES parait avoir été très sollicité à l'occasion des fêtes Budossaises.

 

Il serait difficile de rapporter des faits beaucoup plus précis sur ces cérémonies de mariage, sinon en faisant appel à des connaissances générales ou à des témoignages étrangers à la paroisse. Ce n'est pas le propos du présent travail qui se veut essentiellement monographique.

 

On pourra toutefois remarquer et noter que les centaines de mariages célébrés à BUDOS au cours des trente années d'observation, n'ont strictement laissé subsister aucune trace d'une contestation quelconque alors que les rixes, querelles et provocations en tous genres issues des Fêtes villageoises étaient par ailleurs monnaie courante. On peut donc penser que ces festivités avaient su conserver un caractère familial de bon aloi dans un contexte social pourtant bien connu pour sa turbulence naturelle. Cette observation mérite d'être signalée.

 

Le temps de naître, le temps d'aimer, il nous faut en venir maintenant au temps de mourir.

 

LA MORT.

 

Les Budossais programmaient assez bien leur mort.

 

Ce propos va un peu plus loin qu'une simple boutade; mais il mérite, évidemment quelques explications.

 

Parvenus à l'âge adulte, après avoir surmonté les risques considérables qu'offraient les maladies de l'enfance, rares ont été ceux qui, disposant de quelques biens, se sont laissés surprendre par la mort sans avoir rédigé un testament et réglé leurs affaires de famille. Faute de pouvoir espérer retrouver la totalité des archives notariales, il n'est pas possible d'établir une statistique tant soit peu précise de ces décès dits "ab intestat". 

 

Mais on ne court certainement aucun risque d'erreur importante en disant qu'en cette fin du XVIIIème siècle, moins de 10 % des propriétaires Budossais se sont laissés surprendre par la mort sans avoir pris les dispositions testamentaires qu'ils avaient jugées les plus opportunes.

 

Par ailleurs, si nous ignorons le plus souvent la cause directe et immédiate des décès, nous sommes par contre très bien renseignés sur leurs circonstances. 

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Le souci constant du Curé était de préciser s'il avait pu ou non donner aux mourants les derniers Sacrements et , s'il ne l'avait pas pu, pourquoi il en avait été empêché. Les actes de décès qu'il dressait ont toujours été très explicites sur ce point là. Ceci nous permet de constater de façon très sure, que les décès d'adultes par accident ou mort subite étaient particulièrement rares .

 

Les conditions de vie de l'époque offraient relativement peu d'occasions de s'exposer à des risques d'accidents d'origine technologique. On travaillait dur, très dur même, mais à un rythme permettant de maîtriser l'essentiel de ces risques. C'est ainsi qu'en trente ans, on ne relève à BUDOS que quatre accidents mortels dont trois sont imputables à des noyades. 

 

Seul le quatrième pourrait bien relever d'une cause technique puisqu'il s'agit du décès d'un bouvier, le 10 Février 1765, "par un accident funeste" sans autre précision. La situation est parfaitement identique dans les villages voisins où l'on rencontre essentiellement des accidents imputables à des désordres de la nature ( personnes foudroyées au cours d'un orage ou emportées par des cours d'eau en crue par exemple ) plutôt qu'à des causes liées à l'industrie des hommes. Contrairement à toute attente, on rencontre quelques accidents de circulation, très rares au demeurant. Certains d'entre eux ont pu être assez graves pour engendrer des séquelles et handicaps divers, mais aucun n'a été mortel.

 

Les quatre décès accidentels survenus à BUDOS en trente ans représentent 0,5 % seulement de l'ensemble des décès enregistrés sur la période. C'est réellement très peu.

 

Les morts subites, toutes causes confondues sont un peu plus fréquentes, mais restent néanmoins relativement rares. Sur la même période, on en rencontre 24, soit environ 3 % du total des décès, avec quelques curieuses lois des séries qu'une analyse médicale pourrait peut-être éclairer en les attribuant à certaines formes d'épidémie. 

 

Ainsi rencontre-t-on par exemple quatre décès de personnes "ayant perdu subitement la connaissance et la parole" en trois mois seulement entre la fin Août et la fin Novembre 1771. Une telle répétition à aussi bref intervalle peut difficilement être imputée au seul hasard.

 

Quoi qu'il en soit, il apparaît bien que, dans la très grande majorité des cas, les mourants de cette fin de siècle ont disposé des délais nécessaires pour faire appel au prêtre et en recevoir en temps utile les derniers Sacrements. Certains d'entre eux, à l'occasion, ont également mis ces délais à profit pour régler leurs affaires familiales. Les formules notariales l'attestent sous diverses formes :

 

"retenu en son lit, malade, mais en son bon sens et mémoire..."

"sentant sa fin prochaine, mais néanmoins en son bon sens et mémoire..."

"indisposé de sa personne et retenu dans son lit... "

"acte dressé dans la chambre du testateur et près de son lit..." etc... etc...

 

 (Page 44)

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Mais plus nombreux étaient encore ceux qui n'avaient pas attendu d'être rendu en ces extrémités pour rencontrer un Notaire et lui dicter leurs volontés. Les actes, ici encore rendent compte à leur manière de cet esprit de prévoyance lorsqu'ils nous les décrivent comme:

 

"possédant une assez bonne santé de corps et d'esprit ainsy qu'il nous a paru, ainsy qu'aux témoins et par ses propres discours..."

 

"en son bon sens, mémoire et entendement, considérant la certitude de la mort, et l'incertitude de (son) heure, désirant nten être (surpris) sans avoir pourvu à la disposition de ses biens..." etc... etc...

 

En bref , qu'il soit préparé de longue date ou de toute dernière extrémité, le testament est un acte essentiel dans la vie de ceux qui possèdent le moindre bien si modeste soit-il.

 

             LES TESTAMENTS.

 

Les testaments sont rédigés par les Notaires sous la dictée des testateurs, soit dans leurs Etudes s'il n'y a aucune urgence, soit au domicile des intéressés lorsqu'ils sont incapables de se déplacer. Très exceptionnellement, en cas d'extrême urgence, et si aucun Notaire ne se trouvait disponible, on faisait appel au Curé du Village qui allait rédiger le testament sous la dictée du malade en présence de nombreux témoins spécialement requis. C'est ce qui était arrivé par exemple, pour Jeanne SAINT BLANCARD, le 21 Août 1748, alors qu'aucun Notaire n'avait pu être contacté en temps utile

 

"laquelle (Jeanne Saint Blancard), connaissant que l'heure de la mort est incertaine et ne désirant pas en être (surprise) sans avoir disposé des biens qu'il a plu à Dieu de luy donner, et sans avoir sur cela déclaré ses dernières volontés, à défaut de Notaire, elle m'a requis (moi Curé soussigné, de la Paroisse de BUDOS,Diocèse de BORDEAUX, en présence des témoins ci après nommés) de retenir le présent testament où sont contenues ses dernières volontés, lequel testament elle m'a nommé et dicté de son propre mouvement sans suggestion d'aucune personne, en (la) forme et manière qui suit..."

 

Dès le lendemain, le Curé reçoit, " dans sa maison curiale", le Notaire Me AMANIEU qui a pu, entre temps, être contacté. Il lui remet le texte écrit de sa main en présence d'autres témoins, particulièrement qualifiés puisqu'il s'agit de Me Pierre Vincent COUTURES, Greffier du Tribunal de BUDOS, et de Sieur Bernard PENICAUD, notable local qui deviendra, un peu plus tard, Procureur d'Offices du même Tribunal. Ce texte sera ensuite inséré à son ordre dans les minutes du Notaire, très exactement comme s'il s'était agi de l'un de ses propres actes. En ce cas d'exception, le Curé s'était fait assister, au chevet de la malade, de sept témoins, dont son propre vicaire. 

Un tel chiffre est en dehors des normes, mais il est néanmoins constant de s'entourer de très nombreux témoins à l'occasion des rédactions de testaments.

 (Page 45)

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Dans la quasi totalité des actes notariés courants, la présence de deux témoins était jugée suffisante, même à l'occasion des contrats de mariage qui, lors de leur rédaction, réunissaient pourtant, traditionnellement, des familles entières. 

 

Il semble qu'en matière de testament, les Notaires aient cherché à s'entourer de garanties supplémentaires pour le cas où, ultérieurement, un tiers s'estimant plus ou moins lésé, viendrait à contester les  "bon sens et mémoire " du testateur ou la spontanéité de ses dernières volontés. C'est ainsi que l'on trouve fréquemment quatre, et parfois cinq témoins au chevet d'un testateur malade. Les sept témoins requis par le Curé constituaient un véritable luxe de précautions.

 

Quel que soit leur contenu et quelle que soit l'importance de la succession, tous les testaments sont bâtis sur un plan identique.

 

Ils commencent souvent par une sorte de formule incantatoire :

 

" Au nom de Dieu soit...."

 

 qui leur confère une solennité particulière. Il ne s'agit pas d'une règle absolue, mais l'usage en est assez fréquent

 

Le Notaire identifie ensuite le testateur de façon précise par son nom, son nom de Baptême, son surnom, sa profession, etc... et décrit sommairement son état de santé apparent en insistant toutefois sur sa capacité à tester c'est là que se situe le rituel du " bon sens et mémoire " Vient ensuite une Prière dont les termes varient d'un acte à l'autre mais dont l'inspiration générale reste constante; par exemple:

 

"après avoir recommandé son âme à Dieu, le suppliant par l'intercession de la Glorieuse Vierge Marie, sa Sainte Mère, il lui plaise (de) lui faire .miséricorde et rémission de ses péchés et (de) recevoir son âme dans son Royaume des Cieux..."

 

ou encore :

 

" a recommandé son âme à Dieu, le Père Tout Puissant, le suppliant au nom, et par les mérites infinis de son cher Fils JESUS CHRIST et intercession de la Glorieuse Vierge Marie sa Mère, Saintes et Saints du Paradis, lui faire miséricorde et grâce de ses fautes (et) le puisse recevoir (et) le placer (lors de) la séparation de son corps au rang des Bienheureux..."

 

ou toute autre formule plus ou moins développée à la discrétion de chacun. Le testateur précise ensuite sa volonté quant à son inhumation: 

"a dit ledit testateur... son décès (étant) arrive, vouloir être enseveli dans le cimetière de la présente paroisse..."

 (Page 46)

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               A quelques variantes près, c'est la formule la plus générale. Mais il en est de beaucoup plus précises, car certains ont des idées très arrêtées sur leur sépulture. C'est le cas de Bernard PENICAUD, Greffier du Tribunal de BUDOS qui veut être enterré:

"dans le cimetière de l'Eglise SAINT ROMAIN dudit BUDOS, et (sous) le portique de (celle ci), du côté de la fontaine, à l'entrée de ladite porte ..."

 

un emplacement que l'on peut encore situer de nos jours à quelques dizaines de centimètres près tant il est rigoureusement défini. De telles exigences restent néanmoins l'exception car, à l'intérieur du cimetière, il n'existe aucune concession au bénéfice d'une famille déterminée ( il en va différemment pour les tombes situées à l'intérieur de l'Eglise). 

 

Pour le cimetière, il faudra attendre le 12 Avril 1855 pour voir un particulier demander, pour la première fois, l'attribution d'une concession privative, ce qui plongea d'ailleurs le Conseil Municipal de l'époque dans une grande perplexité. On s'adressa même à la Préfecture pour lui demander si une telle démarche était envisageable. On mesure bien par là à quel point, soixante dix ou quatre vingt ans plus tôt, on était loin d'imaginer que telle ou telle partie du cimetière puisse être attribuée en exclusivité et à titre définitif à une famille quelconque.

 

Le testateur se préoccupait ensuite de ses " honneurs funèbre " et des offices qui seraient célébrés à son intention. Sur ce point, les dispositions sont formulées de façon plus ou moins précises en fonction du degré de confiance que le testateur manifeste envers son exécuteur testamentaire. Tantôt il se fait précis, par exemple, il 

"veut que les services ordinaires lui soient faits suivant son état (de même) que les honneurs funèbres et qu'en outre il lui soit dit pour douze Livres de Messes basses de Requiem pour le repos de son âme, payées (en une fois) pendant l'an (suivant) son décès."

Tantôt il s'en remet en toute confiance à l'appréciation de son exécuteur testamentaire (en général son conjoint): 

"et pour les honneurs funèbres, prières et oraisons, il s'en remet à la volonté et discrétion de Pétronille BATAILLEY son épouse (qu'il) charge en outre de faire dire des Messes pour le repos de son âme dans l'année de son décès, à concurrence de la somme de six Livres payées (en) une fois dans (1')année par ladit BATAILLEY son épouse (qui) aura la faculté de les faire célébrer dans telle église et par tel prêtre qu'elle avisera."

 

Il est curieux de noter qu'aucun testament ne prévoit de Messe ou de service funèbre au delà de la première année suivant le décès. Tout se passe donc comme si nos ancêtres estimaient que leur sort dans l'au-delà se réglait dans ce délai et qu'aucune intervention humaine, au delà de ce terme, ne pouvait plus infléchir le cours de la Justice Divine... Réaction curieuse mais qui parait bien avoir été partagée par tous, du paysan au notable, quel que soit le niveau culturel du testateur.

 

On passait ensuite aux "charités". Ces libéralités étaient très variables. Certains testament n'en comportent pas, ils ne constituent pas un cas général. Et lorsqu'elles sont prévues , leur niveau est très variable en fonction de la situation de fortune et de la générosité du testateur:

 (Page 47)

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"donne et lègue ledit testateur aux pauvres les plus nécessiteux de la paroisse.. la somme de six Livres pour (leur) être payée dans ladite année par son exécutrice testamentaire.."

 

Dans le même cas, Pierre LATAPY, marchand aisé, laissera en 1771 cinquante Livres

"ès mains du marguillier (de l'Eglise de BUDOS qui sera) en charge lors de son décès." 

On en venait alors à la partie de l'acte qui fait du testament une pièce particulièrement précieuse pour les recherches généalogiques, partie dans laquelle, en quelques lignes, le testateur procède à une rapide synthèse de toute sa vie familiale: 

"déclare ledit testateur être joint en mariage avec..(une telle) ... duquel mariage sont nés et provenus (X) enfants vivants nommés (un tel, une telle... etc...)

 

C'est là que l'on apprend si le testateur a été marié une ou plusieurs fois et avec qui; combien il a d'enfants survivants ( on ne cite jamais que ceux-là ) issus de ce mariage ou de lits successifs et desquels, qui sont ces enfants et quelle est leur situation de famille, célibataires ou mariés, et en ce dernier cas avec qui. Autant de renseignements sûrs et précis qui permettent des avancées rapides dans l'histoire de la vie des familles.

 

Viennent enfin les dispositions testamentaires proprement dites. Elles sont si nombreuses dans leur infinie variété qu'il ne saurait être question d'en rendre compte ici. Le nombre des héritiers, leur répartition entre filles et garçons, la survie ou le prédécès du conjoint, l'importance des biens à partager, leur consistance, etc… sont autant de facteurs qui, imbriqués les uns dans les autres aboutissent à des situations toujours différentes et parfois originales. On peut néanmoins en dégager quelques grands principes que nous examinerons à loisir lorsque nous en viendrons, dans un autre Chapitre, à l'étude des modalités de transmission de la propriété et, plus généralement de la sauvegarde du patrimoine.

 

On pourra tout de même signaler un exemple à peu près unique d'humour testamentaire. Pourvu d'un patrimoine assez considérable, un célibataire avait trois soeurs avec lesquelles il devait avoir connu quelques difficultés, peut-être remontant très loin, qui sait ? peut-être jusqu'à l'enfance ... ? Toujours est-il qu'il ne leur portait aucune tendresse particulière. Lorsqu'après son décès elles prirent connaissance de son testament, elles découvrirent des dispositions plutôt originales ainsi conçues:

"A ma soeur Catherine, je lègue dix sols et un verre d'eau, à ma soeur Jeanne, dix sols et un verre d'eau et à ma sœur Marguerite, dix sols et un verre d'eau..."

Le reste de la succession ( assez considérable, répétons-le) allait à un tiers désigné. Ces verres d'eau n'auront certainement pas été de trop pour faire passer la pilule...

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Qu'importe ! Aux termes de la Coutume de BORDEAUX, il ne pouvait les déshériter totalement; il leur avait donc laissé quelque chose; la Coutume était sauve et le testament inattaquable.

 

Il y avait enfin des situations qu'aucun testament ne pouvait régler. En particulier le décès d'un homme jeune laissait souvent son épouse en situation difficile. Si ses Parents vivaient encore, le jeune mari ne disposait de rien et ne pouvait donc assurer l'avenir de sa femme. Passe encore si elle disposait d'une bonne dot ou encore si le couple avait plusieurs jeunes enfants. 

 

En ce dernier cas, les Grands Parents avaient l'obligation de subvenir à leurs besoins et d'héberger leur Mère. Mais s'il n'y avait pas d'enfant, la jeune veuve n'était plus rien dans sa belle famille où elle ne disposait plus d'aucun statut social. Elle pouvait du jour au lendemain se trouver tout à fait dépourvue. Ceci la conduisait souvent à un remariage hâtif dans des conditions qui, sous la pression d'une urgente nécessité, pouvaient s'avérer psychologiquement et matériellement désastreuses. 

 

Sans être très fréquentes, de telles situations n'étaient pas pour autant spécialement rares. Elles trouvaient parfois leur issue dans de curieux contrats tels que celui passé le 4 Février 1786 entre Marie CHAMPAIGNE et ses Beaux Parents, les époux LACASSAIGNE.

 

Marie CHAMPAIGNE avait épousé Aymond LACASSAIGNE, fils de Jean et de Marie RICAUD. Aymond était mort très tôt, la laissant veuve à 27 ans avec un enfant unique, une petite Catherine, qui a tout juste pour lors 4 ans et demi. Or:

 

"elle a réfléchi que si ladite Catherine LACASSAIGNE sa fille venait à décéder, elle se trouverait comme étrangère dans la maison dudit Jean LACASSAIGNE son Beau Père; que, dans (l'hypothèse) de cet évènement, et pour l'éviter, elle était presque décidée de se remarier (et de quitter cette maison) si ledit LACASSAIGNE son Beau Père ne lui assurait la tranquillité dans sa maison; (ce) à quoi celui-ci est pleinement disposé (du fait de) la bonne amitié et contentement qu'il a de (Marie) CHAMPAIGNE sa nore, ce qui a fait qu'ils ont convenu de ce qui suit:"

 

"savoir que ladite CHAMPAIGNE promet et s'oblige (à) ne point penser à se remarier (et de ne pas) quitter la maison et compagnie dudit LACASSAIGNE son Beau Père, ni celle de Marie RICAUD sa Belle Mère, aussi ici présente, (ainsi que) de sa dite fille Catherine pendant le vivant des autres trois, à la charge par lesdits LACASSAIGNE et RICAUD, Beau Père et Belle Mère, de lui reconnaÎtre... par les présentes (dispositions), la somme de douze cents Livres..(étant) bien entendu... que ladite CHAMPAIGNE ne se remariera point, ne les quittera point, qu'elle demeurera au contraire dans (leur) maison et compagnie... pour travailler à l'avenir comme ils ont fait par le passé et le mieux possible au profit et avantage de leur maison et de leur... fille et petite fille..."

 

Il est bien précisé qu'en cas de remariage, la convention deviendrait caduque.

 

 (Page 49)

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 Les Beaux Parents ( qui approchent de la soixantaine) s'assurent ainsi une présence active auprès d'eux pour leurs vieux jours et la jeune veuve assure la sécurité matérielle de son avenir. Les conditions de vie de l'époque, qui s'étaient pourtant déjà améliorées au fil du siècle, restaient encore très rudes. Une jeune femme seule n'avait de chances de survie qu'en se plaçant dans une maison à titre de servante; dure condition qui, dans la plupart des cas, revenait à exclure toute idée de remariage. A tant que faire, Marie CHAMPAIGNE, comme bien d'autres, a préféré rester là où elle était en s'assurant une meilleure indépendance.

 

Il est maintenant grand temps de revenir aux approches de la mort des Budossais et à la célébration de leurs obsèques.

 

      LA MORT ET LES OBSEQUES.

 

Une première constatation s'impose, la répartition des décès dans l'année est très irrégulière et ne semble obéir à aucune logique bien définie. En théorie, chaque mois devrait statistiquement représenter un douzième, soit 8,33 % du total des décès de l'année, moyenne autour de laquelle il serait normal d'enregistrer des écarts imputables à des causes naturelles, notamment saisonnières et plus particulièrement climatiques. 

 

Les mauvais jours de Novembre, à l'entrée de l'hiver, les rigueurs des froids de Janvier et Février seraient tout désignés pour expliquer un accroissement notable du nombre des décès; Or, si l'on constate bien des écarts sensibles par rapport à la moyenne, ils ne se situent pas toujours là où on aurait cru pouvoir les attendre. 

 

Sur les trente années qui se sont écoulées de 1760 à 1789, 3,9 % seulement des décès se sont produits au cours d'un mois de Juin et 4,6 % en Juillet. Nous sommes donc ici très au-dessous de la moyenne mensuelle théorique, mais ce sont les beaux jours et ce bas niveau peut paraître logique. Par contre, la pointe annuelle ne se situe ni en Novembre ( 10, 5 % ni en Janvier ( 8 , 6 % ) , encore moins en Février ( 7,8 % mais en Septembre, avec 13,2 % et en Octobre avec 11,9 % et il faut bien reconnaître que ce résultat est plus difficile à expliquer. 

 

Une étude plus fine, décade par décade ( et dans le détail de laquelle il serait fastidieux d'entrer ), ne fait que confirmer l'observation générale. Qu'il suffise de préciser qu'au fil des années, la pointe se déplace entre Septembre et Octobre sans modifier en rien le schéma général. Le record absolu appartient au mois d'Octobre 1771 qui, à lui seul, a enregistré 25 % des décès de l'année.

 

 Aucune des hypothèses envisagées n'a jusqu'ici apporté d'explication réellement satisfaisante à ce phénomène qui mériterait à coup sûr une étude un peu plus approfondie.

 

Quel que soit le moment de leur mort, nous avons déjà vu que la très grande majorité des Budossais a été en mesure de recevoir les derniers Sacrements de l'Eglise. Le Curé était appelé en temps utile et, en son absence ( surtout lorsqu'à la fin du siècle, il n'y eut plus de vicaire ), on s'adressait à un Curé voisin, qui fut souvent celui de LANDIRAS, et qui accourait tout aussitôt.

 

 (Page 50)

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Dès le décès, on " sonnait le trépas " avec les deux cloches paroissiales et l'on préparait aussitôt les obsèques qui, selon l'usage, se déroulaient le jour même ou, au plus tard, le lendemain de la mort. Tout dépassement de ce bref délai était assez mal perçu de l'opinion. Ainsi, pour Arnaud CASTAIGNET qui était mort un 28 Janvier, le Curé note-t-il sur son registre:

 

"son corps fut inhumé dans le cimetière de BUDOS le 30 du susdit mois par la faute des parents qui le gardèrent jusqu'à ce temps-là." 

On n'avait pourtant guère attendu plus de quarante huit heures. C'était un cas très rare.

On transportait le corps à l'Eglise en suivant un itinéraire immuable dénommé " chemin mortuaire " ou " chemin des morts" ou encore, en gascon " camin' gleysiey ", c'est à dire " chemin de l'Eglise ". Entre chaque quartier ou hameau de la Paroisse et son Eglise, il existait un tel itinéraire consacré par un usage immémorial et dont le tracé était absolument imprescriptible. Nul n'avait le droit de le détourner ni même de l'encombrer d'une quelconque contrainte de voisinage. Cette protection était placée sous la surveillance de chacun.

 

A l'Eglise, on sonnait de nouveau les cloches et l'on chantait l'Office des Morts en l'honneur du défunt, l'ensemble de ces rites étant désigné sous le terme général des " honneurs funèbres ". Toutefois. seuls y avaient droit ceux qui étaient morts " dans la Communion des fidèles ", c'est à dire ceux qui, fidèles pratiquants, avaient, de leur vivant, participé à la vie paroissiale. C'est ainsi qu'Arnaud CANTEAU, décédé au quartier de MARGES le 8 Septembre 1782, fut enterré " sans chant d'Office" parce qu'il n'avait pas :

 

"satisfait à son devoir pascal depuis plusieurs années"

 

A l'occasion des enterrements, on allumait des cierges de cire ( seule matière que l'on connût alors pour les fabriquer). Leur nombre et leur dimension variaient avec le niveau de fortune de la famille du défunt, car ces luminaires, vendus au poids, coûtaient très cher. Une facture de Mars 1776 nous apprend qu'à l'occasion de funérailles probablement importantes, on avait disposé six cierges pesant chacun 3/4 de livre ( 360 gramme) à trois Livres d'argent la livre de poids, soit un poids total de quatre livres et demi pour un prix de treize Livres et dix sols, somme tout à fait considérable ( à peu près le prix de trois moutons ) . La très grande majorité des enterrements budossais ne bénéficiait pas de telles illuminations, il s'en fallait de beaucoup.

 

Le lieu des inhumations était littéralement hiérarchisé. Nos ancêtres entretenaient volontiers l'idée que les chances de sanctification étaient d'autant plus grandes que le corps du défunt était plus proche du chœur de l'Eglise. 

 

Les prêtres avaient ainsi le privilège d'être enterrés dans le chœur lui-même, au pied ou aux abords immédiats du grand autel. 

 

Les De LAROQUE, Seigneurs de BUDOS, avaient leur caveau de famille dans l'Eglise, sous la Chapelle NOTRE DAME. La dernière inhumation qui y fut faite semble bien avoir été celle de Messire Michel Joseph De LAROQUE, décédé le 21 Novembre 1770.

 (Page 51)

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Quelques très rares familles, qui s'étaient montrées particulièrement généreuses envers la Fabrique de l'Eglise avaient également le privilège d'être enterrées à l'intérieur de l'Eglise, privilège rare car il n'y eut que quatre de ces inhumations au cours des trente dernières années de l'Ancien Régime. 

L'accès à ces tombes existe encore, mais il n'est plus visible depuis qu'il a été recouvert d'un plancher sur lequel a été édifié l'autel dédié à la mémoire des Morts des deux dernières Guerres.

Cet accès est constitué d'une lourde trappe ronde en pierre, percée d'un trou central mesurant environ 80 centimètres de diamètre et encastrée dans le dallage du sol, tout contre l'escalier conduisant à la tribune.

Venaient ensuite ceux qui, grâce à quelques libéralités, se faisait enterrer au plus près du porche, tel Bernard PENICAUD qui, nous l'avons vu, dans son testament avait déterminé avec beaucoup de rigueur l'emplacement qu'il désirait se voir attribuer.

 

A défaut du porche, on recherchait encore les emplacements situés " sous le rabelin " de l'Eglise, c'est-à-dire ceux qui, dans le cimetière, se situaient juste au pied des murs extérieurs de l'édifice avec les fondations desquels on pouvait encore avoir contact.

 

Enfin, et pour la très grande majorité des paroissiens, il restait le cimetière dans lequel aucune place n'était systématiquement réservée à quiconque. Précisons en outre que les Protestants et les Juifs ne pouvaient être inhumés dans le cimetière paroissial, mais seulement en campagne, généralement près de leurs habitations. Aucun cas n'en a été recensé à BUDOS au cours de la période considérée.

 

Tous les Budossais ne mourraient pas dans leur paroisse, en particulier les soldats. Il était parfois bien difficile d'établir leur disparition avec certitude. Les nouvelles étaient rares, et, en situation normale, on pouvait parfois rester des années sans rien savoir de ce qu'ils étaient devenus, surtout lorsqu'ils se trouvaient engagés en de lointaines campagnes. Il arrivait qu'un autre soldat, revenu entre temps au pays, puisse donner quelques nouvelles pour avoir rencontré tel ou tel en telle ou telle circonstance, mais ces renseignements remontaient bien souvent à plusieurs mois, sinon parfois à plusieurs années. 

 

En cas d'évènement particulièrement important il pouvait quelquefois arriver une lettre rédigée par un écrivain public et que l'on apportait au Curé ou à un Notable pour en entendre la lecture, mais c'était un cas tout à fait exceptionnel. A la vérité, dès qu'un conscrit avait quitté BUDOS, nul n'allait plus savoir pendant bien des années s'il était mort ou vivant et encore moins s'il reviendrait un jour. 

 

De telles situations étaient parfois très préjudiciables aux intérêts des familles, tout spécialement en cas de disparition des Parents ouvrant une succession entre plusieurs enfants dont un était absent. On s'efforçait alors, lorsqu'on le présumait, d'établir le décès du disparu par toutes sortes d'indices et de témoignages qu'il n'était pas toujours aisé de rassembler.

 

 (Page 52)

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Ainsi, le 6 Juin 1759, Etienne SOUBES, soldat à HARFLEUR, avait-il dicté une lettre à l'adresse de son frère Bernard resté à BUDOS, et entre autres nouvelles et recommandations, l'avait-il prié d'informer un dénommé LACOSTE; également de BUDOS, que son frère Pierre LACOSTE, dit CADICHE, était mort l'année précédente à COLOGNE. On pourra noter qu'en pareil cas, personne  ne semble avoir jamais songé à interroger les autorités militaires, pas plus que celles ci ne paraissent avoir pris le soin d'informer les familles. En tous cas, il n'est resté aucune trace de tels échanges d'informations tandis que les documents d'enquête des proches parents nous sont bien parvenus.

 

Or, il se trouve qu'il s'attachait un intérêt particulier à établir la réalité du décès de ce pauvre CADICHE. Presque trois ans plus tard, on découvrit un témoin en la personne de Bertrand DUBOURDIEU, Sergent aux Armées, revenu à LEOGEATS. Aussitôt, on lui demande de fournir une attestation notariée de ce qu'il a vu à COLOGNE alors que, au cours d'un épisode de la Guerre de Sept Ans, il se rendait en WESTPHALIE. Et c'est ainsi qu'il se retrouve devant Me BAYLE à PUJOLS :

 

"Aujourd'huy 23ème Avril 1762 avant midy, pardevant le Notaire Royal en GUYENNE soussigné, (étant) présents les témoins (ci après) nommés, a comparu Bertrand DUBOURDIEU, natif de la paroisse de LEOGEATS, Juridiction de NOAILLAN, Sénéchaussée de BORDEAUX, Sergent au Bataillon de LIBOURNE, Compagnie de Mr LAMOTHE, actuellement en (congé) et, ce jour, dans notre Etude pour y faire la déclaration qui suit ;

 

" ... lequel Bertrand DUBOURDIEU a dit qu'il a connu Pierre LACOSTE, dit CADICHE, et Etienne SOUBES, l'un et l'autre natifs de (la) paroisse de BUDOS, et que l'année 1758, ils étaient soldats et (Bertrand DUBOURDIEU) Sergent (dans) ladite Compagnie de Monsieur de LAMOTHE, et qu'en passant à COLOGNE, pour aller rejoindre l'Armée en BEHTFALIE (sic), leur Compagnie laissa cinq soldats à l'Hôpital de ... la ville de COLOGNE (et que) ledit LACOSTE (était) du nombre de (ces) cinq qui restèrent (à l') Hôpital, malades, (Bertrand DUBOURDIEU) l'ayant même fait saigner (auparavant) et payé pour lui la saignée ... ; quelques temps après, les quatre soldats qui (étaient) restés avec ledit LACOSTE (à) l'Hôpital vinrent rejoindre ladite Compagnie et rapportèrent (aussi bien) à (Bertrand DUBOURDIEU) en tant que Sergent ... qu'à Monsieur de LAMOTHE leur Capitaine et à Monsieur le Major, que ledit Pierre LACOSTE dit CADICHE était décédé audit Hôpital de COLOGNE (des suites) de la maladie (pour) laquelle il y avait été (admis) avec eux. Ce qui fait q u'on peut ajouter entière foi à la lettre ... d'Etienne SOUBES, autre soldat de la (même) Compagnie, qu'il écrivit d'ARFLEUR (sic) le 6ème (jour de) Juin 1759 à Bernard SOUBES, de BUDOS, son frère, par laquelle il le chargeait de dire à LACOSTE dudit BUDOS que ledit LACOSTE dit CADICHE, son frère (était) mort à COLOGNE; ce qui prouve la vérité et sincérité de la présente déclaration que (Bertrand DUBOURDIEU) atteste et certifie (sous) serment..." 

La famille disposait ainsi d'un témoignage privilégié; c'était le meilleur cas de figure que l'on puisse imaginer. Mais nombre d'autres situations furent bien plus délicates à dénouer, telle que celle de Jean DUPRAT, dit LATRAOUESSE, vigneron à BUDOS, qui se trouvait être l'héritier naturel

 (Page 53)

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"des biens du nommé BARBE, dit PETITON, son parent, germain, absent de ce Royaume (depuis) dix huit ans (et) qu'on assure être décédé..."

 

Jean DUPRAT ne pouvait en fournir aucune preuve. Il détenait ces biens en situation provisoire, et, ayant besoin d'argent, il voulait les vendre. A cet effet, on finit par mettre au point une formule inspirée des ventes à réméré. Le 30 Juin 1775, Jean DUPRAT vendit cette propriété à Guiraud TACHON, laboureur à DUDOS, sous réserve d'avoir à la restituer à BARBE :

 

"s'il venait à reparaître, contre restitution du prix et des loyaux coûts."

 

autrement dit des frais d'actes et autres dédommagements. Inutile de préciser qu'en un tel cas, le prix de vente soumis à une telle servitude ne pouvait guère se situer à un très bon niveau. C'était évidemment un pis aller.

 

Ainsi avons nous vu les Budossais naitre, vivre et mourir au quotidien. Avant de clre ce chapitre, il nous reste à prendre un peu de hauteur au regard de ces évènements et à tenter de dégager quelques idées un peu plus générales sur la démographie du Village et son évolution en ces trente dernières années de l'Ancien Régime.

 

 LA DEMOGRAPHIE.

 

Deux questions viennent tout de suite à l'esprit. Quel était en cette fin, de siècle le chiffre de la population de BUDOS et quelle était la tendance de son évolution ?

 

Si, comme nous le verrons tout à l'heure, il est relativement facile de répondre à la seconde de ces questions, il est bien plus difficile de se faire une idée sérieuse sur la première. Toutefois, au prix d'un travail patient et minutieux, il est possible de réunir quelques bonnes chances d'approcher la vérité.

 

Et tout d'abord, quelles sont les sources utilisables Elles sont diverses mais souvent peu sûres.

 

Le premier recensement précis et fiable de la population de BUDOS que nous ayions pu jusqu'ici retrouver est celui du 31 Août 1820, soit donc trente bonnes années après la fin de notre période d'observation. C'est bien tardif, et au surplus, bien des évènements exceptionnels sont intervenus dans l'intervalle. Quoi qu'il en soit, ce recensement fait état de 1026 habitants dont 14 militaires aux Armées, soit donc une population résidante de 1012 personnes. 

 

Tout espoir n'est peut être pas perdu de retrouver un jour les résultats du recensement de 1806 qui semble également avoir été fait de façon sérieuse. Ces résultats sont par exemple bien connus pour VILLANDRAUT, BALIZAC et SAINT LEGER de BALSON. En leur absence, pour BUDOS, on pourra se référer au recensement de l'An XIV (1805) établi sur des relevés de l'An XII (1803). Il dénombre 852 habitants.

 (Page 54)

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Mais il convient de bien préciser qu'il s'agit ici d'un document fiscal, dressé par les Communes pour servir d'assiette à l'impôt. A ce titre, il est fortement sujet à caution, la Commune n'ayant intérêt à se montrer ni trop prospère ni trop peuplée; cela pourrait expliquer que les chiffres qu'il avance soient d'une surprenante modestie. 

 

Toujours en remontant le temps, le Dictionnaire Universel de la FRANCE " cité par l'Abbé BAUREIN dans ses "VARIETES BORDELOISES" attribue à BUDOS, avant 1785, une population de 1300 habitants, chiffre dont l'origine et le mode de calcul ne sont pas précisés. Enfin l'Enquête Ecclésiastique menée à BUDOS en 1784 sur la question de savoir s'il fallait pourvoir un poste de vicaire, recense 625  "communiants " dans la Paroisse. C'est de ce document que nous partirons car, à la différence de la plupart des autres, il a un maximum de chances d'être solide et sérieux.

 

Nous le retrouverons à sa place en étudiant la situation religieuse de la Paroisse. Bornons nous pour l'instant à le situer rapidement dans son contexte en indiquant dans quelles circonstances il a été établi. Une querelle opposait le Curé DORAT à ses Paroissiens Budossais sur la question de savoir si la présence d'un Vicaire était ou non indispensable à une bonne desserte pastorale. 

 

Le Curé estimait qu'il était inutile tandis que les Paroissiens le jugeaient indispensable. Au terme de bien des démêlés que nous évoquerons le moment venu, l'Archevêque de BORDEAUX décida d'ouvrir une Enquête Ecclésiastique sur place. Jean DUZAN, l'Enquêteur désigné réunit face à face, dans l'Eglise de BUDOS, le 4 mai 1784, d'un côté le Curé DORAT, et de l'autre les représentants des Paroissiens, afin de les entendre dans un débat contradictoire. L'un des points de la controverse portait précisément sur le nombre des  " communiants ".

 

En effet les règles du Diocèse prévoyaient que la présence d'un Vicaire était nécessaire dans une paroisse lorsqu'elle dépassait le chiffre de 600 " communiants ". Ce point revêt donc une grande importance car les intérêts des parties en présence sont parfaitement contradictoires. Or, après discussion, tout le monde s'accorda sur le chiffre de 625. 

 

Nul doute que le Curé aurait bien aimé en trouver moins de 600, tandis que les Paroissiens auraient souhaité en trouver davantage. Si les uns et les autres sont tombés d'accord sur les 625, c'est bien que ce chiffre, au terme du débat, ne pouvait guère être contesté par personne.

 

Etaient désignés comme " communiants " tous les Budossais catholiques ayant fait leur Première Communion. Comme en dépit de recherches attentives, il ne se trouve dans la paroisse aucune trace de protestant ou d'israélite, les 625 personnes représentent donc bien la totalité des habitants majeurs de 12 à 13 ans. Ici, il faut accepter une légère marge d'incertitude car la Première Communion se faisait à l'appréciation du Curé et, probablement, selon la maturité des enfants soit à 12 ans, cas le plus général, soit, plus rarement à 13. 

Il faut donc déterminer combien il pouvait y avoir d'enfants mineurs de 12 à 13 ans vivants, à BUDOS, en Mai 1784 et en ajouter le nombre au chiffre des 625 pour obtenir le total de la population. Pour ce faire, il n'y a pas de méthode plus sûre que de dresser la liste nominative de tous les enfants nés dans la période, et d'en éliminer, un à un, tous ceux qui sont morts avant Mai 1784.

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 On trouve ainsi un solde net de 302 enfants de moins de 12 ans; on peut y ajouter quelques uns des 26 enfants qui sont dans leur treizième année et qui, sur décision du Curé pourraient ne pas avoir encore communié. Au regard des usages, ils ne doivent pas être très nombreux; arbitrairement, fixons leur nombre à 5, le risque d'erreur étant minime. 

 

Sur ces bases, la population de BUDOS, en 1784, s'élèverait à 932 habitants. Dans ce chiffre sont compris ceux qui, éventuellement, pourraient faire profession d'athéisme ( il y en a deux ou trois dans la paroisse ) parce qu'ils n'en sont pas moins décomptés comme des " ouailles " potentielles du Curé. Par contre, n'y sont pas comptés les militaires et les absents de longue durée dont le nombre ne peut absolument pas être précisé.

 

Cette population, nous allons le voir dans un instant, est en pleine expansion, au rythme de sept habitants de plus par an, en moyenne jusqu'en 1789. Toutefois, sous la Révolution et l'Empire, la conscription va nettement freiner ce mouvement, sans pour autant le faire totalement disparaitre. L'absence de plusieurs Registres de l'Etat Civil ne permet pas de prendre l'exacte mesure de cette évolution. 

 

Quoi qu'il en soit, les deux chiffres de 932 habitants en 1784 et de 1.012 en 1820 paraissent assez cohérents entre eux, alors que les 1.300 avancés par le " Dictionnaire Universel de la FRANCE " sont pratiquement inadmissibles. De même les 852 du recensement fiscal de l'An XIV sont-ils peu vraisemblables. Il nous semble donc raisonnable de retenir pour BUDOS, à la veille de la Révolution, un chiffre de 930 à 940 habitants.

 

Pour fixer les idées, la même année 1784, l'Inspection des Manufactures estimait la population de LANGON entre 1.200 et 1.500 habitants, et celle de CADILLAC à 2.000. L'importance relative de la Paroisse de BUDOS, au sein du Pays des GRAVES, n'était donc pas négligeable.

 

Cette population était, à peu près partout, en nette expansion et cela n'allait pas sans poser maints problèmes. Les statistiques que l'on peut établir à partir des Registre Paroissiaux de BUDOS confirment localement cette tendance. Non seulement la population augmente, mais elle augmente de plus en plus vite jusqu'à la cassure imputable aux conscriptions que nous venons d'évoquer. Les chiffres parlent d'eux mêmes:

Période Nombre 
de naissances
Nombre 
des décès 
Solde positif
1760-1769 347 309 38
1770-1779 308 262 46
1780-1789 351 227 124
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On notera que le solde positif n'est pas imputable à un développement des naissances, mais à un diminution sensible du nombre des décès. Les conditions de vie se sont donc, à l'évidence nettement améliorées. C'est une constatation de portée générale que l'on retrouve en particulier sous la plume d'Emanuel LEROY LADURIE dans son " Histoire de la FRANCE Rurale": 

 

"Si la mortalité (de nombreux paysans aisés) s'est réduite au XVIIIème siècle, c'est probablement, toute question de médecine mise à part, à cause de meilleures habitudes alimentaires et plus généralement, à cause d'un niveau de vie et d'un mode de vie devenus quelque peu supérieurs au mode et au niveau passé. "

 

L'exemple de BUDOS confirme tout à fait le propos. Mais ce surcroît de population exerce une pression défavorable sur le marché du travail. Faute de pouvoir faire vivre tout le monde sur le fond de propriété familial il faut rechercher des travaux salariés dont la rémunération suit mal le cours de l'inflation. Les gages des ouvriers agricoles n'évoluent guère. Sur les rives de la GARONNE, des jeunes se laissent tenter par l'aventure maritime en direction " des Isles " ou encore par " l'AMERIQUE".

 

Les exemples en sont nombreux, mais curieusement, l'influence de la mer qui se fait sentir jusqu'à PUJOLS, ILLATS, et même NOAILLAN, semble contourner BUDOS sans y pénétrer. On n'aime pas beaucoup s'y expatrier. Aussi, le travail non qualifié y devient il plutôt rare. Ajoutons à cela que, faute d'enseignement primaire, le niveau culturel local reste faible, du moins jusqu'à la Révolution. 

 

Il semble bien que tout le monde sache compter, quant à lire et écrire, c'est une toute autre affaire ! Cette carence ne permet guère aux élites rurales locales de déboucher sur des activités libérales, ni même sur le négoce. Celui ci exigeait déjà un minimum de formation de base pour tenir ses  "écritures", formation dont la majorité des Budossais ne disposait pas.       

 

Pire encore, il semble bien qu'à la veille de la Révolution, la situation se soit localement dégradée. Paradoxalement, en effet, le taux d'alphabétisation parait bien décroître en cette fin de siècle. On peut le mesurer approximativement par un dépouillement systématique des signatures recueillies au bas des Actes de Baptême dans  les Registres Paroissiaux. Les Actes de Sépulture sont à écarter car seul l'Officiant Curé ou Vicaire ) les signe; de même les Actes de Mariage sont-ils peu significatifs car les témoins sont en nombre très variable et sont même assez souvent étrangers à la Paroisse.

 

Par contre, les Actes de Baptême, outre le célébrant, comportent dans tous les cas deux protagonistes obligés et deux seulement : les Parrain et Marraine. Un dépouillement complet de tous ces Actes permet donc de dénombrer exactement les Parrains et Marraines qui savent au moins signer leur Nom et de définir ainsi un taux d'alphabétisation au moins approché. Ce dépouillement portant sur 1006 Baptêmes répartis sur trente ans donne les résultats suivants :

 

Période 
de
Parrains 
sachant signer
Marraines 
sachant signer
Total alphabétisé
1760-1769 16.9 % 3.6 % 10.2 %
1770-1779 14.2 % 2.9 % 8.6 %
1780-1789 8.9 % 0.6 % 4.7 %
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Si l'on voulait tirer de ces résultats des conclusions trop précises, la méthode donnerait à coup sûr des réponses péchant par excès car un certain nombre de ces personnes ont très bien pu apprendre à signer de leur nom sans pour autant savoir correctement lire et écrire. La maladresse de certains paraphes incite en effet à la prudence. Quoi qu'il en soit, deux faits majeurs sautent aux yeux : la disproportion entre le nombre des signatures masculines et féminines, et la dégradation de la situation au fil du temps.

 

Au résultat de ces observations, il apparait donc bien que la population ne cesse de s'accroitre, et de plus en plus vite, et que son niveau culturel aurait plutôt tendance à baisser, dans un moment où le travail rural, figé à un certain étiage, doit être partagé entre un plus grand nombre de candidats. Il en résulte une diminution relative des rémunérations.

 

A BUDOS, c'est un phénomène nouveau. Jusque là, la viticulture avait toujours absorbé la main d'oeuvre locale disponible en des travaux irréguliers, certes, du fait de leur dépendance des saisons, mais suffisants pour assurer un minimum de survie aux journaliers agricoles. On avait même parfois observé quelques insuffisances de main d'oeuvre qui ont fini par s'estomper et par disparaitre avant la fin du siècle.

 

On peut se demander si cette évolution dans la vie quotidienne des campagnes n'a pas finalement constitué un facteur déterminant dans la préparation de la Révolution, tout au moins dans la préparation des mentalités en milieu rural.

 

Assez paradoxalement, ce serait alors l'amélioration des conditions de vie locales qui aurait plus ou moins conduit à l'explosion finale.

 

L'expérience de BUDOS semble en tous cas le suggérer.