La propriété foncière.

Chapitre 2

Posséder la terre; ses fondements, son acquisition, son exploitation, sa valeur. 


Les fondements légaux de la propriété. 58
L'aquisition de la propriété: 80
Acquisitions par échange 82
Acquisitions par achat 83
Acquisitions par succession 91
La gestion de la propriété: 104
Le faire valoir direct 104
Le métayage 109
Le fermage 112
La valeur de la terre 115

 

 

 

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 POSSEDER LA TERRE.

 LA PROPRIETE FONCIERE.

SES FONDEMENTS - SON ACQUISITION - SON EXPLOITATION - SA VALEUR.

 

A la fin de l'Ancien Régime, la propriéte foncière constituait véritablement le coeur de toute l'activité économique Budossaise. Ce n'était évidemment pas une situation nouvelle, car elle était déjà solidement établie dans ce rôle depuis la nuit des temps. 

Dans l'inventaire des Foyers fiscaux soumis au Rôle de la Taille tel qu'il fut établi par un beau Dimanche, le 3 Août 1783, devant la porte de l'Eglise, à la sortie de la Messe paroissiale, on dénombre: 

85 -Propriétaires fonciers ( laboureurs ou vignerons).
6 -Artisans.
11 -Foyers dont on a omis de préciser l'activité.
37 -" Pauvres " : manoeuvres, journaliers, métayers, etc...en tous cas tous dépourvus de biens fonciers.

Il apparaît donc que 61 % au moins des 139 Foyers fiscaux soumis à la Taille étaient des laboureurs ou des vignerons tirant leurs revenus de leur propriété foncière. En fait ce chiffre est certainement inférieur à la réalité, et ceci pour au moins deux raisons.

Tout d'abord parce qu'il ne tient aucun compte des propriétés qui, par privilège, échappaient à la perception de la Taille : les biens du Seigneur, certes, mais aussi ceux des nobles et bourgeois dont le domicile était établi en dehors des limites de la Paroisse ( à BORDEAUX par exemple ), et ils étaient assez nombreux.

Dans le Chapitre consacré à la Fiscalité, nous aurons l'occasion de prendre la mesure de ces importants exceptions. En outre, et c'est la seconde raison, parmi les 11 Foyers pour lesquels les enquêteurs ont omis, par simple oubli, d'indiquer une quelconque activité, il semble bien qu'une bonne part ait pu être constituée de propriétaires fonciers sans que l'on puisse toutefois définir son importance.

En définitive, et sans grand risque d'erreur, on peut tenir pour à peu près certain que près de 70 % des emplois des Chefs de famille Budossais relevaient de la propriété foncière à vocation agricole.

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 Au surplus, n'oublions pas que les presque 27 % des " Pauvres " recensés tiraient le plus clair de leur subsistance du travail offert par la propriété des autres.

C'est donc dire l'importance que peut revêtir l'étude du statut de cette propriété si l'on veut bien comprendre les ressorts fondamentaux de la vie économique de la Paroisse.

  LES FONDEMENTS LEGAUX DE LA PROPRIETE.

 Il ne saurait être question d'exposer ici dans ses détails la complexité du régime de la propriété foncière dans le Droit Féodal. Un volume entier n'y suffirait pas. Les quelques explications qui vont suivre constituent donc seulement le rappel aussi schématique qu'incomplet de quelques notions tout à fait élémentaires. 

Pour bien comprendre le fondement de ce droit, il faut remonter, en quelques mots, jusqu'au Moyen Age. 

A l'origine, et sous réserve de quelques rares exceptions (que l'on appelle des " alleux "), toute la terre appartient au Roi qui la distribue à quelques grands Seigneurs ( Ducs et Pairs du Royaume, Comtes, etc... ) qui deviennent ses " vassaux". On consacre expressement cette situation au cours d'une cérémonie solennelle dans laquelle le Vassal " rend hommage " à son Suzerain. Il se crée ainsi un lien personnel, d'homme à homme, entre les deux parties, par lequel l'un reconnait " tenir " telle ou telle Province de l'autre à titre de " fief ".  

A leur tour, ces grands Seigneurs partagent les territoires qu'ils ont ainsi reçus en subdivisions de moindre importance qu'ils confèrent à des nobles dont ils vont se faire une sorte de clientèle dévouée en instaurant une nouvelle chaîne de liens personnels. Il se constitue ainsi, du Roi jusqu'au Seigneur local toute une hiérarchie successive de Suzerains et de Vassaux, ceux-ci " rendant hommage " à ceux-là pour les terres qu'ils en ont reçues et déclarant solennellement les " tenir à fief" autrement dit, les avoir reçues à titre de " fief ".  

On en vient ainsi jusqu'au Baron qui reçoit la Seigneurie de BUDOS, avec droit de propriété plein et entier sur toute sa terre, droit de Justice, etc... A lui désormais d'en vivre, mais aussi de la défendre contre toute incursion, et de se tenir prêt à mettre sa personne et ses armes à la disposition de son Suzerain lorsque celui-ci le lui demandera. En bref, nous retiendrons de tout ceci que le Seigneur Baron de BUDOS est, au Moyen Age, le propriétaire pur et simple de toute la Paroisse et qu'il peut en disposer librement sous la seule réserve de " rendre hommage" à son Suzerain et de se conduire en fidèle Vassal.

 A BUDOS, les choses sont exceptionnellement simples car les limites de la Seigneurie coincident très exactement avec celles de la Paroisse. Il n'en allait pas de même partout, il s'en faut de beaucoup ! Ceci pouvait aboutir parfois à des situations extrêmement complexes dont l'histoire de BUDOS a pu heureusement faire l'économie.

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Tout au début, dans un très lointain passé, le Seigneur faisait exploiter la totalité de cet immense domaine par ses serfs, lesquels n'étaient autres que les premiers Budossais, attachés à la terre dont ils étaient indissociables. Mais le servage était assez mal vu par l'Eglise et, par ailleurs, de nouvelles conditions économiques se faisaient jour. De nouvelles formes d'exploitation du sol s'en sont suivies et c'est comme cela que. en abrégeant beaucoup, on est enfin parvenu au système de la " tenure ".

Le Baron va, par exemple, concéder un ou deux hectares de terrain à un serf affranchi et lui permettre d'y construire sa maison, moyennant le paiement d'un certain nombre de taxes, et la fourniture de quelques services.

Par un acte solennel, l'affranchi. reconnaitra " tenir " cette terre de son Seigneur et deviendra ainsi " tenancier ". Après quoi, dans les limites de cette "tenure " il cultivera le sol comme il l'entendra et devra en tirer sa subsistance et celle de sa famille. S'il s'acquitte régulièrement des taxes et fournit correctement les services convenus, personne ne pourra plus venir l'importuner, pas même son Seigneur qui ne pourra plus intervenir sur son fonds que dans des cas limités et très précisément déterminés. 

Franchissons maintenant quelques siècles et venons en tout droit en cette fin du XVIIIème siècle, objet de notre étude.

Que subsiste-t-il à BUDOS de ce droit féodal, et quel y est le régime de la propriété foncière ? 

Disons tout d'abord qu'il y a bien longtemps que l'on a oublié jusqu'au souvenir du servage. Depuis bientôt quatre siècles, les Budossais sont parfaitement libres de leur personne et peuvent aller s'installer où bon leur semble, à BUDOS, ou n'importe où ailleurs de par le vaste monde. 

Quant à la terre, le Seigneur a progressivement distribué, au fil du temps, la majeure partie du territoire de la Paroisse à des Tenanciers. Il n'a conservé pour lui que quelques métairies et quelques terres qu'il s'est réservées et qu'il fait valoir, par Régisseur interposé, mais en y veillant de près, en exploitation directe.

Dans le langage du temps, ces biens, pour ces raisons, s'appellent la " réserve " du Seigneur, ou encore: " la directe ". Les deux mots, sous la plume des Notaires sont tenus pour équivalents et utilisés l'un pour l'autre. 

Le Baron a ainsi conservé à son usage tous les terrains entourant son Château, la métairie de BOUYON (aujourd'hui disparue ), toute la pente du côteau, plantée en vigne, depuis les lieux dits du CASTERA et de LA TERCE, jusqu'à l'OUSTAOU NEOU ( la ferme de MARGARIDE exclue ) , les Moulins ( celui de FONBANNE et celui du BATAN ) , la métairie de NOËL, celle de LA SALETTE, celle de LANTRES. celle de MOULAS, et quelques maisons isolées, ici et là, pour loger son personnel, à MOUYET, à FONBANNE, au BOURG, etc.. Enfin des prairies tout au long du CIRON, de LA MADELEINE au Pont dAULAN, et quelques pièces de chènevières et de pins nécessaires à son exploitation.

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Les vignes du CASTERA et de l'OUSTAOU NEOU étaient cultivées par des valets à gages, logés, employés à l'année, renforcés, au moment des pointes des travaux par des journaliers rétribués, comme leur nom l'indique, à la journée plutôt qu'à la tâche. De même les prairies du CIRON semblent-elles avoir fait l'objet d'une exploitation directe. Elles fournissaient les fourrages nécessaires aux écuries et aux étables du Château, fourrages très recherchés parce que rares; BUDOS a toujours manqué de fourrages et nous verrons combien, de ce fait, le prix des prairies pouvait être élevé.

 Les terres autour du Château connaissaient le même régime, en particulier le Jardin, très important, situé au Nord-Est, à partir du bord du fossé. Il fut longtemps confié à un jardinier qui portait le nom prédestiné de MELON, qui eut pour successeur, à la fin du siècle, un certain MAS venu de la région de TOULOUSE. Les autres terres de la " réserve " étaient réparties en métairies ( LANTRES, LA SALETTE, BOUILLON... ) à l'exclusion de tout fermage.

Seuls, les Moulins étaient affermés parce qu'ils étaient considérés comme des établissements industriels et que le partage de leurs revenus se prêtait mal au métayage. D'une façon générale ( avec quelques exceptions ), les Seigneurs résidants avaient recours à la formule du métayage pour la partie de leurs terres relevant de la réserve qu'ils confiaient à des tiers.

 Les Seigneurs non résidants préféraient le fermage qui les dispensaient des problèmes de surveillance lors des partages de récolte. Le Baron de BUDOS, habitant son Château tout au long de la belle saison et ne se repliant sur son domicile Bordelais qu'en hiver était toujours présent au moment des récoltes. Il avait donc opté pour le système du métayage. 

Un tel choix n'était pas innocent. Il déterminait pour une bonne part le type de relations sociales qui s'établissait entre le Seigneur et ses paysans. Si les deux systèmes du métayage et du fermage ont en commun le propos de faire valoir la terre, ils n'en sont pas moins très différents quant à leurs modalités et à leurs conséquences.

Le métayage partage le produit des récoltes sur une base convenue d'avance entre le propriétaire et le métayer, souvent par moitié, mais ce n'est pas une règle universelle. Il existe parfois d'autres conventions. La part du propriétaire peut être réduite à un tiers ( comme à LA TERCE) ou même à un quart ( comme à CARTE ) .

Mais quelle que soit la proportion définie, lorsque la récolte est bonne, elle l'est pour tous, et lorsqu'elle est mauvaise, elle l'est autant pour l'un que pour l'autre.

 L'abondance et la disette se partagent et cela crée i immanquablement un lien d'intérêt et de solidarité entre les deux parties, une sorte de connivence passant par dessus les barrières sociales.

Dans le fermage, le propriétaire bailleur fixe son prix annuel que le fermier devra acquitter quel que soit le niveau de la récolte. Si elle est abondante, le bailleur n'en tirera rien de plus que le prix convenu, mais si la disette survient, le fermier sera souvent acculé à une situation désastreuse puisqu'il lui faudra, en priorité et coûte que coûte, payer le montant de son fermage avant de tenter de survivre avec ce qui pourra lui rester.

Dans cette formule, il y a donc une déconnexion totale entre le propriétaire et la réalité quotidienne de la vie rurale. Survienne une gelée printanière tardive ou une grêle d'été, et nous voyons le Baron de LAROQUE accourir aussitôt et parcourir ses terres de BUDOS, en compagnie de ses Paysans pour juger des conséquences. 

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Le Marquis de PONS, Seigneur de VILLANDRAUT, en même circonstance, ne quittera ni PARIS, ni VERSAILLES, car il a quant à lui, opté, dans la plupart des cas pour la formule du fermage. Il en résulte des attitudes et des comportements sociaux assez contrastés d'une Seigneurie à l'autre, et le fait méritait d'être signalé. 

En dehors de la Réserve du Seigneur, tout le restant du territoire de la Paroisse autant dire la très grande majorité des surfaces disponibles avait été concédé, au fil du temps, selon deux modalités distinctes : 

-sous forme collective, à l'ensemble des habitants de la Paroisse, toute la Lande de MEDOUC à COURNAOU et jusqu'à LANTRES exclu;

-sous forme individuelle, à une centaine de Tenanciers différents, le solde du territoire.

Nous réserverons pour le moment le cas de la Lande commune dite " vacante " pour un examen ultérieur car il obéit à des règles très particulières. Pour l'instant, nous allons étudier de plus près les droits et les devoirs d'un Tenancier Budossais sur sa tenure. 

Incontestablement, la terre appartient toujours au Seigneur; mais comme il y a quelquefois plusieurs siècles qu'il l'a concédée à une même famille exploitante, cette notion de propriété seigneuriale a fini par s'estomper sérieusement.

Au XVIIIème siècle, le Tenancier peut louer, échanger, vendre, ou même donner sa tenure à qui bon lui semble, tout comme. il pourrait le faire d'une propriété pleine et entière. Et pourtant, en droit, cette terre reste le bien du Seigneur. Ce droit reparaît en surface dans quelques cas bien définis que nous découvrirons tout à l'heure. 

Il nous faut maintenant entrer un peu plus avant dans le détail de ce dispositif juridique en essayant de simplifier au maximum une matière particulièrement complexe. Il faut bien dire qu'elle nous est devenue complètement étrangère alors qu'elle paraissait parfaitement évidente à nos ancêtres ( pourtant bien souvent illettrés ) qui la pratiquait au quotidien sans aucune difficulté apparente.

 Quand le Seigneur, à l'origine, concédait une terre à un tenancier, nous avons vu que celui-ci devait solennellement reconnaître qu'il " tenait " cette terre du Seigneur. Pour cela, il lui rendait hommage et lui. versait une " exporle ".

L'exporle est une redevance soit en nature , soit en argent, qui concrétise le lien féodal personnel entre le Seigneur et le Tenancier. Aussi fallait-il recommencer la cérémonie et reverser ce droit d'exporle à chaque changement de Seigneur ( pour cause de succession par exemple ) ou à chaque changement de Tenancier ( pour cause de vente de la tenure à un tiers par exemple ou, également pour cause de succession ) , de façon à ce que le lien, réaffirmé à chaque changement de partenaire reste véritablement un lien personnel.

L'exporle a donc une haute valeur symbolique, mais son montant qui, dans la quasi totalité des cas n'avait jamais été révisé depuis l'origine, est devenu, au fil du temps, parfaitement dérisoire. Pour une métairie d'honnête importance, il est généralement de quelques deniers, autrement dit de quelques dizaines de centimes de notre monnaie actuelle. On en était venu, même, peu à peu, à ne plus le percevoir et, au XVIIIème siècle beaucoup étaient en passe de perdre de vue sa signification première.

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Le " Cens " est un peu mieux perçu, mais à peine, du moins à BUDOS, car les situations peuvent varier d'un lieu à un autre. 

Le Cens est une rente annuelle que le Tenancier verse au Seigneur, une sorte d'impôt qui, en GUYENNE, était généralement très modeste alors qu'en d'autres Provinces du Royaume, il était nettement plus élevé. Ces distorsions dans le niveau des perceptions alimente depuis longtemps de nombreuses polémiques entre historiens qui ne peuvent s'accorder sur le poids exact de la fiscalité seigneuriale. En fait, il semble bien que ce poids variait effectivement beaucoup d'une Province à l'autre.

Dans bien des cas, comme en GUYENNE, le montant des perceptions n'avait pas été révisé depuis plusieurs générations, ce qui, avec l'érosion monétaire, l'avait souvent réduit à bien peu de chose. A BUDOS, c'était bien le cas, à tel point que, souvent, il arrivait qu'il ne fût plus perçu. On rencontre même des contrats de vente dans lesquels le vendeur est absolument incapable d'indiquer à l'acheteur de quel Cens sont grevés les biens qu'il lui vend.

Ainsi, mais ce n'est qu'un exemple entre beaucoup d'autres, Raymond DUPRAT vend-il à Arnaud DELOUBES, le 25 Février 1771, une petite maison et un bout de terrain attenant au quartier de LA PEYROUSE, en précisant qu'il lui transfère l'obligation de: 

" la rente dont ladite (maison) et lopin de padouen se trouvera chargée envers Monsieur le Baron de BUDOS, de qui elle relève "

Mais après en avoir discuté, les deux parties sont incapables d'en définir le montant:

" la quotité de laquelle rente les parties n'ont su expliquer..."

 C'est bien la preuve qu'elle ne devait pas être payée depuis pas mal d'années. 

En fait, le Seigneur disposait de trente ans pour réclamer son dû, et l'on rencontre des cas dans lesquels, au bout de 29 ans de passivité totale, ce Seigneur se manifeste soudain et réclame la totalité de son dû. C'est son droit le plus strict, mais cela ne va pas sans poser parfois de sérieux problèmes aux Tenanciers tombés dans ce piège. Certes, le Cens annuel est faible, de l'ordre de quelques dizaines de sols, mais la revendication de trente annuités d'un seul coup représente tout de même une somme non négligeable.

On rencontre un tel cas de figure, par exemple, au décès d'un vieux Seigneur débonnaire ayant plus ou moins laissé courir ses affaires et auquel succède un fils pressé par quelques besoins d'argent. Un seul exemple d'un tel avatar a été retrouvé dans l'histoire de BUDOS, mais il est d'importance. Il concerne le paiement du Cens de la Lande commune que les Budossais avaient durablement négligé de payer. Il s'ensuivit un long procès que nous découvrirons un peu plus loin.

 Ceux des historiens locaux qui admettent la modicité des droits seigneuriaux en GUYENNE l'expliquent, comme nous venons de le faire, par le phénomène de l'érosion monétaire.

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C'est à peu près établi. Mais on peut aller plus loin et dire que, de toutes manières, avec ou sans érosion, le montant du Cens était traditionnellement faible, en tous cas à BUDOS. Nous en tenons un preuve solide avec un acte du 12 Avril 1777 instituant une tenure nouvelle sur décision du Baron de LAROQUE au bénéfice de Monsieur de LA FEUILLADE.

 De tels actes sont assez rares car la Réserve du Seigneur n'est plus, nous l'avons vu, tellement étendue et qu'il n'a donc plus grand chose à concéder à des tiers. Du moins détenons nous cet acte là, et il est instructif. Il concerne le " bail à fief " autrement dit la constitution d'une tenure nouvelle, de diverses pièces de terre, vignes et bois autour de la métairie de MOULAS, entre les ruisseaux du CLEDON et de FONT DE BAQUEY, pour une superficie d'environ 13 hectares et demi.

Il est prévu que le Cens sera de 5 deniers et demi par journal. ce qui, après conversion, représente environ un sol et cinq deniers par hectare, soit donc pas tout à fait une Livre d'argent annuelle pour l'ensemble de la propriété. Ce montant est absolument dérisoire et d'autant plus significatif qu'il s'agit, soulignons le avec insistance, d'un contrat absolument nouveau pour lequel le niveau du Cens annuel pouvait être librement débattu entre le Baron et son nouveau Tenancier.

 Un taux aussi bas pourrait même, à la limite, nous conduire à nous demander s'il ne s'agirait pas là d'une convention déguisée permettant habilement, par une concession de terre, d'éteindre une dette entre les mains d'un créancier. La situation financière du Baron qui n'était pas spécialement brillante pourrait éventuellement le suggérer. Mais rien, absolument rien dans l'acte ne permet d'étayer une telle hypothèse. Nous ne pouvons donc qu'enregistrer, comme le Notaire, le niveau dérisoire du Cens exigé.

 Plus sérieux sont les " Lods et Ventes ". Il s'agit de droits de mutation que l'acquéreur doit verser au Seigneur chaque fois que l'on vend une propriété foncière. Les transmissions de propriété à titre de dot, en ligne directe en sont exonérées, mais toutes les autres transactions à titre onéreux y sont soumises. Ces droits sont fixés " au huitain denier " de la valeur du bien soumis à la vente soit, après conversion, une taxe de 12,5 % sur le capital.

Elle est donc bien loin d'être négligeable. Toutefois, ici encore, il existe des accommodements. Depuis le XVIIème siècle, les Seigneurs accordaient souvent des " relâchements ", entendons par là des réductions, parfois importantes, de l'ordre d'un tiers ou même de moitié. Si bien que la taxe tombait à 8,33 ou même 6,25 % du prix de vente. Même dans ces conditions réduites, le Seigneur, si nous procédons aux conversions nécessaires, percevait environ à ce titre de 70 à 95 Livres sur la vente d'un hectare de vigne et de 9 à 12 Livres sur celle d'un hectare de lande.

Non seulement cette taxe là n'était pas simplement symbolique mais de surcroît, elle était fidèlement payée car il s'y attachait un intérêt majeur pour l'acheteur. En effet, comme nous allons le voir très bientôt, la perception de cette taxe marquait la renonciation définitive du Seigneur à l'exercice de son " Droit de Prélation ", et rendait ainsi la vente définitive à son égard. Mais le Seigneur avait, lui aussi, intérêt à en surveiller la perception. Intérêt financier, bien sûr, car le produit des Lods et Vente pouvait, à BUDOS, atteindre quelques milliers de Livres annuelles, mais intérêt de gestion aussi.

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 En effet, depuis que la pratique de l'exporle était plus ou moins tombée en désuétude, la perception des Lods et Ventes était devenue pour lui le seul moyen de savoir en quelles mains passaient ses tenures. C'était très important pour l'avenir de ses revenus. Un Seigneur ne redoutait rien tant que de voir passer ses concessions de terres entre les mains de ceux que l'on appelait les " gens de main morte ", autrement dit les collectivités telles que couvents, confréries, h8pitaux, etc..

Une tenure entrée dans le patrimoine d'une personne morale n'en sort plus; comme il n'y aura donc plus, dans l'avenir aucune chance de mutation sur ce bien, c'est, par le fait même renoncer définitivement à toute occasion ultérieure de percevoir de futurs Lods et Ventes. Le Seigneur est donc très attentif afin d'éviter ce genre de mésaventure dont la répétition pourrait sensiblement réduire une source de revenus tout à fait appréciable.

D'autres charges pèsent encore sur le tenancier, mais elles sont assez modiques.

Citons le droit de " Fouage " qui, à l'origine, portait sur chaque " feu " de la Seigneurie. Chaque foyer indépendant était ainsi imposable, même dans le cas où deux familles vivaient dans une même maison. Par contre, si elles vivaient " à pot et feu communs ", un seul droit était exigible.

Ce droit, peu important était acquitté soit en argent soit en grains. Il semble avoir été assez bien accepté par les Budossais qui le confondaient plus ou moins avec la rente qu'ils versaient en contre partie de la mise à leur disposition, par le Seigneur, de la Lande vacante dont ils avaient le plus grand besoin. 

Citons encore la Corvée seigneuriale qu'il ne faut absolument pas confondre avec la Corvée Royale, laquelle donna lieu à bien des contestations que nous évoquerons dans le Chapitre consacré à la Fiscalité. La Corvée seigneuriale n'était plus, en cette fin du XVIIIème siècle qu'un très lointain souvenir des services personnels imposés par le servage médiéval.

Les Budossais n'étaient plus depuis bien longtemps " corvéables à merci " , autant dire sans limite, au bon gré du Seigneur. Leurs obligations se limitaient désormais à quelques journées annuelles de charroi, de labour ou de manoeuvre que le Seigneur utilisait par exemple pour faire transporter son bois au Château ou son vin à BORDEAUX ainsi qu'en témoigne une curieuse anecdote. 

Laurent CAPDEVILLE, dit CATARE, allait marier sa fille Catherine; le contrat devait être passé à BUDOS le 8 Mars 1788 devant Me DUFAU, Notaire à PREIGNAC. Mais voilà que le Seigneur inclût CAPDEVILLE dans un convoi de charrettes devant porter son vin à BORDEAUX, et cela juste à la veille du contrat !

 Voilà donc une affaire bien mal engagée. Mais les choses vont s'arranger; Me DUFAU rencontre le convoi à PUJOLS, au Carrefour de la SALLE, et c'est là, en bord de route, qu'il dresse un acte pour recueillir le consentement de CAPDEVILLE au mariage de sa fille ainsi que sa constitution de dot. Cet acte est ainsi passé: 

"sur la Paroisse de PUJOLS, près de la maison du dénommé LACOSTE, dit CADET de la SALLE, où nous (le Notaire) avons rencontré (Laurent CAPDEVILLE) vigneron  à BUDOS, allant à BORDEAUX conduire les vins de Monsieur le Baron dudit BUDOS. "

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On n'eût pas à chercher très loin pour trouver les témoins nécessaires, ce furent Louis CAUBIT et François PARAGE, tous deux laboureurs à BUDOS et qui faisaient parti du même convoi. Le lendemain 8 Mars, le contrat était passé à BUDOS chez les CAPDEVILLE, en l'absence du Père, mais avec son consentement en bonne et due forme.

 En y regardant de plus près, cette anecdote poserait bien des questions. N'aurait-on réellement pas pu trouver un remplaçant à CAPDEVILLE en cette occasion? Le convoi était-il vraiment à destination de BORDEAUX ?..Le vin, à coup sûr, mais le charroi ? Pourquoi aurait-il pris ce chemin des écoliers alors que l'itinéraire usuel s'établissait par LANDIRAS ? A la rigueur par ILLATS, mais sûrement pas par PUJOLS; n'aurait-il pas été plutôt en route pour le Port de BARSAC pour y embarquer le vin à destination de BORDEAUX, selon l'usage le plus général ? Mais en ce cas, CAPDEVILLE eût été de retour chez lui le soir même et l'acte du Notaire en bord de route devenait sans objet ... Il y a, dans cette modeste affaire quelque chose qui nous échappe ou que l'on n'a pas voulu nous dire...

 Quoi qu'il en soit, on ne peut pas dire que les prestations de la Corvée seigneuriale aient été écrasantes. Pour une tenure moyenne, elle pouvait à peu près représenter, à BUDOS, l'équivalent d'une semaine annuelle de travail pour un homme, et encore... disons une petite semaine. Cette contrainte était néanmoins fort mal perçue, et de nombreux Cahiers de Doléances s'en feront l'écho un peu partout en Mars 1789.

On comprendra aisément si toutefois il n'y a pas d'autre anguille sous roche... que Laurent CAPDEVILLE ait mal vécu son absence le jour du contrat de mariage de sa fille.... Et pourtant, les Budossais aimaient bien les charrois qui leur permettaient de sortir un peu de chez eux ( mais ni trop longtemps ni trop loin si possible... ) et de voir un peu de pays. Le phénomène était assez général. Les Intendants se plaignirent assez souvent de voir les paysans perdre leur temps en charrois divers plutôt que de cultiver leur terre.

C'était un peu vrai, on " charroyait" beaucoup en direction des foires et des marchés et c'était souvent un prétexte à rompre la monotonie de la vie quotidienne. Alors pourquoi une telle hostilité à cette corvée ? Outre l'aspect un peu vexatoire de ces prestations, on peut se demander si ce n'est pas parce que les demandes du Seigneur se manifestaient souvent dans des moments de pointe pendant lesquels les corvéables, soumis aux mêmes contraintes, auraient eu besoin de tous leurs moyens pour faire face à leurs propres travaux.

Ce qui permet de le penser, c'est que certains paysans, par négociations avec leur Seigneur. avaient réussi à codifier ces charrois et prestations. C'était le cas par exemple à SAINT LEGER de BALSON ou un accord avait été passé, il y avait déjà pas mal de temps entre la Dame de VICOSE, Seigneuresse, et ses Manants. Rien de tel n'apparaît, en tous cas, à BUDOS.

Enfin, dernière charge, également issue de l'ancien service personnel que les Serfs devaient à leur Seigneur, le service du " Guet ". C'était une réminiscence d'une forme de service militaire assurant un concours des paysans à leur propre défense par la garde et la défense du Château en temps de guerre.

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Le Château de BUDOS n'ayant plus été attaqué depuis les désordres de la FRONDE au milieu du XVIIème siècle, ce service s'était tout d'abord transformé en une très modeste redevance en argent ou en grains, puis, étant perçue  " par feu ", elle avait fini par se confondre avec le Fouage et par s'oublier. Nous verrons comment un Baron avait tenté de la réactualiser, et comment réagirent les Budossais.

Ce rapide survol des droits et obligations seigneuriaux est bien incomplet, en tous cas très simplifié. En particulier, nous n'avons rien dit de " l'Agrière " qui, dans certains cas se substituait au Cens. Elle constituait une formule relativement proche du métayage, tout au moins dans son apparence, encore qu'elle en fût différente dans son application.

Il semble bien qu'elle ait été peu pratiquée par les Seigneurs de BUDOS, car aucun des contrats dépouillés au cours de l'étude n'y fait référence. Aussi ne l'avons nous pas reprise afin de ne pas compliquer une matière déjà bien complexe.

Avant de quitter ce domaine, il ne sera peut-être pas inutile d'illustrer d'un exemple concret la pratique du " bail à fief " ou de la " tenure ", c'est tout un. Nous reprendrons pour cela le texte de ce qui parait bien être la dernière concession consentie par le Seigneur de BUDOS, le 12 Avril 1777. Nous l'avons déjà évoquée en passant, mais elle mérite d'être reprise de façon plus détaillée car nous allons y retrouver, sous une forme concrète, la plupart des droits, engagements et obligations réciproques qui régissaient la constitution d'une tenure féodale à la fin du XVIIIème siècle.

"Pardevant le Notaire Royal ... en GUYENNE soussigné, ..fut présent Monsieur de LA FEUILLADE, Ecuyer, habitant de SAINT SYIMPHORIEN . . . lequel a volontairement reconnu avoir et tenir en fief (féodal) suivant les us et coutumes de BORDEAUX (moyennant) les droits et devoirs seigneuriaux ci après expliqués, de Très Haut et Très Puissant Seigneur Messire Charles François Armand De LAROQUE, Ecuyer, Seigneur Baron de la terre de BUDOS et autres lieux, Capitaine au Régiment (du) Comte de LA MARCHE Cavalerie...."

En fait, le Baron est absent à ce contrat car, pour lors, il est aux Armées. Mais il a envoyé une procuration à Benoît ROUSSEAU, son Homme d'Affaires, datée de " LANDAU en BASSE ALSACE" et qui l'autorise à concéder cette tenure. Vient ensuite une description minutieuse de toutes les parcelles composant le " tènement ", ou tenure, autour de la métairie de MOULAS, avec leur contenance et leur situation, le tout s'élevant:

" lesdites contenances à quarante deux journaux, vingt et deux règ es (et) dix carreaux ... mesure de BORDEAUX (environ 13 hectares et demi) lesquels fonds ont été (soumis) à cinq deniers et demy par journal de rente comme (il) sera dit cy après... et desdits lieux, ledit Tenancier... a pris et reçu nouvelle (investiture) et inféodation (du) Seigneur qui l'a reçu pour... Tenancier et... l'en a investi et saisi féodalement comme d'un fief nouveau... au (prix) de douze deniers tounois d 'expor1e payables à (chaque changement) de Seigneur ou de Tenancier... et pour cinq deniers et demy par journal de rente (s'élevant) pour les quarante

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deux journaux, vingt et deux règes (et) dix carreaux, à dix neuf sols six deniers et demy ... tournois de Cens et Rente annuelle et perpétuelle payable et portable par le Sieur Tenancier... chacun an, au jour de la Fête de SAINT MARTIN d'hiver, portée et rendue au Château de BUDOS... et le quart d'une journée de boeuf à labourer quand le Seigneur tiendra ses terres en sa main (et) qu'il en sera requis par le dit Seigneur... et en outre, annuellement quatre (Journées de) manoeuvres 1orsqu'i1 en sera requis pour la réparation du Château de BUDOS (et contribuer) au guet personnel dudit Château en temps de guerre et péril éminent, et de faire ou faire faire aussy annuellement dans les bois dudit Seigneur et faire porter une charrette de bois lorsqu'il en sera requis dans le Château dudit BUDOS sans que (le Tenancier) puisse... mettre ni transporter lesdits lieux en main morte... ny faire autre chose préjudiciable audit fief,(moyennant quoi le Seigneur) lui en portera bonne et ferme garantie (tel qu'un) Seigneur de fief est obligé (d'assurer) envers ses Tenanciers... (il) sera fait deux expéditions conformes à la présente, l'une en parchemin pour le Seigneur et l'autre pour le Tenancier et à ses frais et dépens... Fait et passé au Château de BUDOS ce douze Avril mil sept cent soixante dix sept..."

 Ce contrat est, on le voit à peu près complet. Il n'y manque que les Lods et Ventes, mais c'est tout à fait normal, car cette taxe générale est prévue dans la Coutume de BORDEAUX, aussi bien dans son principe que dans son taux. Elle n'a donc pas à figurer dans un contrat particulier.

 Nous avons ainsi à peu près fait le tour des droits, taxes et obligations s'appliquant à la propriété individuelle. Avant d'en venir à l'examen des conditions s'appliquant à la tenure collective concédée à la Paroisse sur la Lande Commune, nous ouvrirons une rapide parenthèse sur les taxes seigneuriales impersonnelles qui, pour n'être pas liées à la propriété foncière, n'en pèsent pas moins sur l'activité économique du Village et qui, à ce titre, méritent au moins d'être signalées. En cette fin de siècle, le poids en est devenu très modeste, mais périodiquement, on a vu, ici ou là, s'élever quelques vives contestations dont il nous faut succinctement rendre compte. Il s'agit essentiellement de droits de péage et de droits sur les vins.

 A la vérité, les droits de péage n'existaient plus. Ils avaient été supprimés par le Roi en 1738. Mais c'était tout récent puisque, en 1760, la génération des trente à quarante ans et au-delà les avaient bien connus. L'affaire avait été chaude.

Les ponts. les cours d'eau et les routes du Royaume étaient littéralement hachés de barrières douanières intérieures qui entravaient systématiquement la libre circulation des marchandises. En chaque point, un préposé du Seigneur local percevait un droit de passage, pas nécessairement très important, quelques sols, mais finalement contraignant et onéreux du fait de l'accumulation des perceptions successives.

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Le Pouvoir Central, sensibilisé par les Intendants avait fini par se rendre compte qu'une telle multiplication de barrières intérieures constituait un frein insupportable pour les échanges économiques.

 

A l'évidence, il fallait faire quelque chose. La première réaction sérieuse, remonte à 1724. A l'Automne, une affiche fut placardée dans toutes les paroisses du Royaume. Elle était intitulée "Extrait des Registres du Conseil d'Etat ". Il y était dit que le 29 Août 1724, le Roi, en son Conseil, avait ordonné que, dans les quatre mois de sa publication: 

"tous les propriétaires de droits de péages. passages. pontages, travers et autres qui se perçoivent sur les ponts et les chaussées, chemins, rivières navigables et ruisseaux y affluant dans toute l'étendue du Royaume, seraient tenus d'envoyer au Greffier de la Commission des copies collationnées et légalisées (par les) Juges (les plus proches) des lieux, des Titres et Pancartes en vertu desquels ils percevaient lesdits droits..."

 Passé ce délai, il serait interdit à ceux qui n'auraient pas reçu un " Certificat de Conformité " de percevoir un droit quelconque. Mais il faut croire que, dans la France entière, cette disposition se heurta à beaucoup de résistances de la part des bénéficiaires car on retrouve d'autres Arrêts du Conseil d'Etat ayant très exactement le même objet, et fixant de nouveaux délais, le 24 Avril 1725 et le 4 Mars 1727.

Mieux encore, quinze ans plus tard, on voit des Intendants faire la chasse à des péages injustifiés.

 Les choses avaient donc traîné en longueur et à BUDOS tout comme ailleurs. Ce n'est qu'en 1738 que la Dame Marie Anne De BORDES, Veuve du Baron Jean Pierre De LAROQUE, régente de la Seigneurie de BUDOS pour le compte de Michel Joseph, son fils mineur, finit par envoyer un gros dossier bardé de preuves justifiant son droit de prélever:

"un droit de passage et de pontage qui se levaient sur le CIRON."

 En particulier, elle se référait au contrat passé le 7 Juillet 1561, par lequel Jacques De BUDOS, dernier Seigneur de la Famille authentique des BUDOS, avait vendu sa Seigneurie à Raymond De LAROQUE, ancêtre de la lignée des nouveaux Seigneurs. Ce contrat de vente prévoyait bien que la Baronnie de BUDOS détenait ces droits de pontage et de passage.

En bonne logique, le droit de " pontage " sur le Pont d'AULAN, car c'est de lui qu'il s'agissait, pouvait se justifier. C'étaient les Seigneurs qui l'avaient fait construire à leurs frais, et c'étaient bien eux qui l'entretenaient. Il n'était donc pas anormal qu'ils aient institué un péage pour son franchissement. Par contre, il n'y avait vraiment aucune raison, sinon le " fait du Prince ", pour que le Baron perçoive un droit quelconque sur les marchandises chargées sur les radeaux descendant le CIRON.

Il n'avait jamais rien investi dans un amélioration quelconque du lit de la rivière et n'avait donc aucun motif d'y percevoir un péage, sinon la référence à un usage immémorial. C'est probablement cet abus qui fit mauvaise impression sur le Cabinet de VERSAILLES, bien décidé à purger les voies de communication de toutes ces douanes paralysantes.  

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 Toujours est-il que le Roi. en son Conseil, tenu à FONTAINEBLEAU le 7 Octobre 1738, fit expresse défense à la Baronne de continuer à percevoir ses péages:

"Le Roi estant en son Conseil, conformément à l'avis (des) Sieurs Commissaires, a supprimé et supprime le Droit de Péage prétendu par la dite Dame De BORDES, Veuve du Sieur De LAROQUE, dans l'étendue de la Paroisse de BUDOS, en GUYENNE. Sa Majesté (lui) fait très expresse... défense de percevoir à l'avenir ledit Droit, à quelque titre ou sous quelque dénomination que ce soit dans l'étendue de ladite Paroisse (sous) peine (pour) elle de restitution des sommes qui auraient été exigées, (plus) une amende arbitraire au profit de Sa Majesté, et, contre ses fermiers et receveurs (qu'elle aurait pu nommer pour le percevoir) d'être poursuivis... comme concussionnaires et punis comme tels selon la rigueur des Ordonnances. Fait en Conseil du Roy, Sa Majesté y estant, tenu à FONTAINEBLEAU le 7 Octobre mil sept cent trente huit."

Voila donc comment LOUIS XV s'impliqua personnellement dans la suppression des péages de BUDOS. Ce texte était assorti d'un ordre d'exécution adressé à tout Huissier ou Sergent Royal qui en serait requis, d'avoir à signifier cette décision à la Dame De BORDES

"car tel est Notre Plaisir. Donné à FONTAINEBLEAU ce septième jour d'Octobre, de l'An de Grâce mil sept cent trente huit et de Notre Règne le vingt et quatrième. Signé : LOUIS "

A la diligence de l'Intendant Claude BOUCHER, non seulement le texte en fut signifié à la Dame Marie Anne De BORDES, mais il en fut fait une affiche qui, en Janvier suivant, fut placardée à la porte de l'Eglise, à celle du Château et aux abords du Pont d'AULAN. Le Droit de Péage avait vécu.

 Les droits sur les vins ont soulevé d'autres contestations. Au fil du temps, ont les avait un peu négligés puis, pour tout dire, oubliés. Mais voilà que tout à coup, le Baron les retrouve en sa mémoire et prétend les remettre en vigueur.

A la veille de la Fête de SAINT PIERRE de 1756, le 15 Juin, Michel Joseph De LAROQUE fait établir par son Juge Seigneurial du Siège de BUDOS, une sommation aux habitants tendant :

" à ce que pas un manant ou habitant (ne) vendit ou portât du vin dans la présente Juridiction la veille, le jour de SAINT PIERRE, vingt neuf du même mois, ni (le) lendemain et Dimanche suivant, ni sur la place de (la Chapelle) SAINT PIERRE (sous) peine de cinquante Livres d'amende."

Ce fut un beau tollé ! Il prétendait en effet que ce jour-là, les dits Manants ne pouvaient transporter et vendre leur vin:

"que par son congé et consentement (moyennant) le payement ... d'un pot de vin par barrique, et demy pot par demy barrique."

ce qui représentait 2,03 litres de vin pour une barrique qui en contenait alors 228 . Le prélèvement ne dépassait donc pas 0,9 %, ce qui était bien modeste, mais il y allait d'une question de principe car les Budossais prétendaient, à tort ou à raison, que cette taxe devait être assimilée à un péage sur le commerce du vin et qu'elle était donc, en conséquence, supprimée depuis l'Ordonnance de FONTAINEBLEAU de 1738.

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 Ce fut là l'origine d'un beau procès qui se développa successivement devant le Sénéchal de GUYENNE, puis devant le Parlement de BORDEAUX.

Si les phases successives nous en sont à peu près connues, les archives ne nous ont malheureusement pas restitué, du moins jusqu'à l'heure, la décision finale. Nous avons néanmoins quelques raisons de penser qu'elle a dû être favorable au Seigneur car un texte du 21 Juin 1773 réitère très officiellement sa prétention, et, cette fois-ci, sans trace de contestation de la part des Budossais.

Il s'agit d'une requête du Procureur d'Office du Tribunal de BUDOS demandant au Juge du Siège de résumer les Droits Seigneuriaux impersonnels dans une affiche dont on donnerait lecture à la sortie de la prochaine Messe paroissiale et que l'on placarderait ensuite à la porte de l'Eglise. Le Juge ayant acquiescé, ainsi fut fait trois jours plus tard, à l'occasion de la Fête de la St JEAN.

Au nombre de ces droits, il est ainsi précisé:

"que ceux qui débitent du vin au cabaret doivent audit Seigneur pour chaque barrique un pot de vin, et de chaque demy barrique, un demy pot."

"que le droit de mayade (subsiste), c'est à dire qu'aucun habitant ne peut vendre dudit vin à pot et à pinte pendant le mois de May à peine d'amende et de confiscation dudit vin."

"que personne ne peut vendre ni débiter du vin à pot et à pinte la veille, le jour et le lendemain de St Pierre de la Lande et le Dimanche d'après que par le congé et consentement dudit Seigneur à peine d'amende."

Mais il y a d'autres contraintes, venues tout droit du fond du Moyen Age et que l'on avait, à tout le moins, passablement oubliées en cette fin du XVIIIème siècle.

C'est ainsi qu'il est rappelé que le moulin de FONBANNE est un moulin banal et que:  

"les habitants (sont obligés) de ne pouvoir faire moudre leurs bleds qu'au dit moulin."

C'est une disposition quasi universelle dans toutes les Seigneuries, mais voici qui est plus spécifique à BUDOS : 

" tout homme qui déplie sous tente dans ladite terre (de BUDOS) des balles ou marchandises le jour et lendemain de St ROMAIN, St PIERRE de la Lande et autres jours et fêtes de l'année doit payer quatre sols chaque fois audit Seigneur ou à ses fermiers, et toute charge de cheval six deniers tournois."

Mais il y a un droit féodal local beaucoup plus curieux: 

 " que ceux qui achètent dans ladite paroisse des poules, poulets, chevreaux, oeufs et autres choses de cette espèce soient tenus d'aller au Château demander si on a besoin d'icelle marchandise."

 Il existait donc une sorte de droit de préemption sur ce commerce au bénéfice du Seigneur, il semble bien qu'il était tombé en désuétude depuis fort longtemps et que l'on allait vendre sa volaille sur les marchés sans plus passer par le Château.

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Incidemment, nous pourrons remarquer que le rappel solennel de ces droits féodaux survint trois semaines à peine après de très sérieuses émeutes frumentaires qui venaient de se dérouler à VILLANDRAUT et dans lesquelles des Budossais avaient pris une part décisive. Faut-il voir dans cette réaffirmation des droits, à ce moment précis , une sorte de tentative de reprise en main des Budossais par les Officiers du Seigneur après l'orage ? Pourquoi pas ? En tous cas, la coïncidence est troublante.

 Cette parenthèse sur les droits Féodaux Impersonnels nous a bien éloignés de l'étude du Droit de la Propriété. Nous allons y revenir dans l'instant en reprenant une forme de concession féodale que nous avions laissée provisoirement en suspens, celle de la Tenure collective. Cette fois-ci, le Seigneur ne traite plus avec un seul Tenancier, mais avec une Collectivité. Il en existe un cas à BUDOS, celui de la Lande Commune également dite " vacante ".

 Le 18 Juin 1630, le Baron Jean De LAROQUE, avait concédé à l'ensemble des Manants de BUDOS, à titre de " fief nouveau," toute la lande comprise entre les quartiers de MEDOUC et des MOULIES d'une p a r t , et le lieu dit de COURNAOU d'autre part, et même au-delà, jusqu'à la ferme de LANTRES exclue, avec, pour limite, au sud,

 " les montagnes appelées communément du POUY (sur) la Juridiction de BALIZAC."

 Ces " montagnes " ne sont autres que les " Doucs " du POUY BLANC, et de BOUGNOGUE qui culminent respectivement à 58 et 63 mètres... C'était un temps où les Notaires n'avaient pas peur des mots ...

 C'était aussi le temps où cette lande constituait une vaste étendue parfaitement désolée, assez mal drainée et à peu près dépourvue d'arbres. On n'y découvrait, de loin en loin, que quelques bouquets de pins mal venus et passablement clairsemés. Mais telle quelle, cette lande offrait de larges possibilités pour le parcours des troupeaux et surtout pour la production des bruyères. L'octroi de cette tenure avait été consenti moyennant:

 " la redevance de trente sols tournois, un boisseau d'avoine, mesure de BUDOS, et une paire de chapons de rente annuelle et perpétuelle payable audit Seigneur de BUDOS."

 Il était convenu que ces landes resteraient en l'état et seraient accessibles à tous les habitants, Seigneur compris, en parfaite indivision :

 " à condition que lesdites landes et padouens demeureront à jamais indivis, inaliénables, et en friche en la (situation) qu'ils sont (à) présent pour servir tant au Seigneur qu'aux... habitants pour (faire) pacager leur bétail et pour pouvoir couper les... bruyères pour engraisser leurs terres, sans que, néanmoins, aucun desdits habitants puisse couper lesdites bruyères pour (les) transporter (ou) vendre (hors) de ladite paroisse... (sous) peine de déchoir de son droit et autre (sanction) qui sera (décidée) par ledit Seigneur et ses successeurs..."

 Moyennant quoi, et si la rente annuelle est fidèlement payée,

 " ledit Seigneur de BUDOS promet être bon Seigneur de fief (pour les habitants)... (et) leur (apporter) bonne et ferme garantie..."

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Cet acte avait été passé au Château de BUDOS à la satisfaction de tous, et surtout à celle des habitants. Cette lande leur était en effet tout à fait nécessaire. A la vérité, elle était même insuffisante pour fournir les bruyères indispensables aux litières des bestiaux et à la production des fumiers. Si les fourrages ont toujours été rares et chers, nous l'avons déjà dit, les bruyères ne l'étaient pas moins. 

 

La Vallée de la GARONNE, largement plantée en vignes et presque totalement dépourvue de bruyères avait de pressants besoins en fumiers; de ce fait, une pression constante s'exerçait sur les paroisses limitrophes de la Lande pour y trouver les litières qui lui faisaient défaut. Au cours de l'histoire, bien des Budossais ont eu la tentation ( et certains y ont succombé ) de couper quelques centaines de ces précieux " pilots " et d'en vendre une part plus ou moins conséquente à des vignerons du Pays Garonnais. 

 

Mais ces tentatives de piratage étaient très surveillées et hautement dénoncées par les autres. Il s'en est souvent suivi bien des " émotions " , selon le langage du temps. Nous verrons plus en détail ces problèmes de gestion de la Lande Commune dans le Chapitre où nous évoquerons l'administration paroissiale. Nous nous en tiendrons donc, ici, aux seules relations des Manants Budossais avec leur Seigneur quant au respect des conditions d'attribution de la Tenure.

  Pendant deux générations, les choses se passèrent bien; les Budossais payaient leur rente annuelle et les Seigneurs respectaient leurs engagements. Mais la rareté des bruyères exerçait de notables pressions sur le comportement des Seigneurs. Quels profits n'aurait-on pu tirer de leur vente si les habitants n'en avaient obtenu la concession à un prix aussi dérisoire.

  Faute de pouvoir récupérer cette Tenure, du moins pourrait-on essayer d'en tirer un meilleur parti. La première à succomber à cette tentation fut la Dame Bonnaventure De CHAUMEILS, Veuve de Raymond III De LAROQUE, depuis 1687. Son fils Jean Pierre, mineur, n'avait alors que 17 ans. 

C'est donc elle qui, assurant la tutelle, gérait la Seigneurie. Pressée par quelque  besoin d'argent, elle prétendit exiger de ses Manants, comme prix de la Tenure de la Lande Commune, un certain nombre de prestations supplémentaires.

  En particulier, elle avait imaginé d'instituer un "Droit de Guet " au Château, chaque Manant devant payer une certaine somme d'argent pour être dispensé de ce service, ainsi que d'augmenter le nombre des journées de " manoeuvre ", autrement de corvée, le tout afin que les Budossais puissent continuer d'user de leur Lande Commune à loisir.

  Toute la Paroisse fit bloc, et refusa tout net de se plier à ces exigences. La Dame  De CHAUMEILS assigna ses Tenanciers devant la Cour du Sénéchal; les Budossais contr'attaquèrent par une demande " reconventionnelle " en se fondant sur les dispositions du Bail à fief concédé le 18 Juin 1630 par Jean De LAROQUE et qui ne prévoyaient rien d'autre que leur rente perpétuelle de 30 sols, un boisseau d'avoine et une paire de chapons. On ne devait pas s'en tenir là. L'affaire fut portée devant le Parlement de BORDEAUX et dura plusieurs années.

  Les Budossais restèrent inébranlables:  

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  "malgrè le Bail à fief (du 18 Juin 1630) . La Dame De CHAUMEILS, Veuve du Sieur Raymond De LAROQUE, Seigneur de BUDOS, (a) troublé et inquiété lesdits habitants dans la jouissance paisible de ladite Lande et les (a) assigné pour le paiement de certain Droit de Guet et Garde, et pour donner un certain nombre de (jours de) manoeuvres; les habitants se sont présentés par le ministère d'un Syndic, et après avoir établi qu'il n'était dû de Guet et Garde au Château que dans (les) temps de guerre ou (d') émotion populaire, ils conclurent qu'il fut fait ... défense de les troubler dans la jouissance paisible desdites landes à eux concédées par le (bail) de 1630..."  

Et ils gagnèrent leur procès. Par Arrêt du 6 Septembre 1700, le Parlement :

" fait défense au Seigneur et Dame de BUDOS de les troubler..."

Le Seigneur qui apparaît ici dans la sentence est Jean Pierre De LAROQUE. Le temps a passé, beaucoup de temps... il n'est plus mineur... il a 30 ans ! et dans l'intervalle de ce long procès, il a pris en main la gestion de ses affaires, si bien qu'on le voit paraître maintenant dans la condamnation définitive aux côtés de sa Mère qui avait engagé l'instance.

  Les Budossais vont-ils désormais être tranquilles et couper leurs bruyères en paix ? Eh bien non, mais cette fois-ci, ce sera bien de leur faute.

  Le Baron Jean Pierre était mort en 1723, à l'âge de 53 ans, son fils aîné et successeur dans le titre n'avait que sept ans. Une fois encore, comme à la génération précédente, c'est sa Veuve, Dame Marie Anne De BORDES qui va prendre en main la gestion de la Seigneurie pendant la minorité de son fils Michel Joseph. 

Et là, les Budossais vont avoir le tort de profiter de cette régence, pour " oublier " de payer la rente annuelle de leur Tenure de la Lande. Ils oublient ainsi à partir de 1727; le Château ne réagit pas, et le temps passe, pas mal de temps à la vérité, si bien qu'à la fin, ils ont vraiment fini par oublier leur obligation. Il faut bien dire qu'entre temps, on avait pratiquement changé de génération...

  Et soudain, comme un coup de tonnerre dans un ciel d'été, le 24 Octobre 1756, le Baron Michel Joseph ( qui a maintenant 40 ans ) adresse à ses Manants une sommation pour:

"qu'ils n'amènent (plus) pacager aucun bestiaux dans les Landes appelées " les Landes de BUDOS " (qui lui appartiennent), ny rien couper dans (cette) Lande sous peine (d'amendes) de droit."

Son raisonnement était des plus simples. Voilà 28 ans qu'il n'avait plus vu ni argent, ni avoine , ni chapons; il estimait en conséquence que les habitants avaient renoncé à la Tenure et que cela équivalait à un déguerpissement. C'était un peu tiré par les cheveux car, a aucun moment, les Budossais n'avaient renoncé à l'exploitation de la Tenure. Et pourquoi donc au bout d 28 ans ? Parce qu'il était grand temps qu'il réagisse car, selon la Coutume, son Droit était soumis à une prescription trentenaire. Deux ans plus tard, il ne pouvait plus revendiquer son dû...

 

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Là, les BUDOSSAIS sont incontestablement pris en défaut, et ils le savent bien.

Ils prennent juste le temps de se concerter et demandent à l'Intendant l'autorisation de se réunir; autorisation qui leur est aussitôt accordée, le 14 Novembre. Sans autre délai, ils provoquent une Assemblée Capitulaire de l'ensemble de la Paroisse qui se réunit le Dimanche 21 Novembre 1756 :

  " au Bourg de BUDOS au devant (de) la porte et place de l'Eglise dudit lieu (à l') issue de (la) Messe Dominicale, le public assemblé... et la cloche sonnante (selon les) formes ordinaires et accoutumées en pareil cas..."

  Et là, ils se retrouvèrent trente neuf :

  " principaux Manants ... tous habitants de la Paroisse de BUDOS, faisant la majeure (partie des intérêts de la Paroisse) et capitulairement assemblés..."

  Après en avoir délibéré, ils désignent deux Syndics : François LACASSAIGNE et Pierre LATAPY, le Jeune, pour prendre cette affaire en main et tenter de la résoudre. Ils ne voient pas d'autre solution que de régler au Seigneur ce qu'ils lui doivent, et au plus vite; tout en argent pour les 28 années en retard, et en argent et nature pour la 29ème qui vient d'arriver à échéance.

  Après avoir réuni les fonds nécessaires en allant de porte en porte (et il leur fallut pour cela plus d'un trimestre ), ils convoquèrent Me DUFAU, Notaire à PREIGNAC pour le 26 Mars 1757 au matin.

  Ils se doutaient bien que, sur une affaire aussi mal engagée, le Baron n'allait pas les accueillir à bras ouverts. Aussi demandèrent-ils au Notaire de rédiger une sommation qu'ils pourraient laisser entre les mains du Seigneur après lui avoir présenté ce qu'ils estimaient lui devoir. Et le Notaire enregistre:

  " ont comparu Sieur François LACASSAIGNE et Sieur Pierre LATAPY, Bourgeois, habitants de la Paroisse de  BUDOS, agissant tant en leur nom propre que comme Syndics des habitants et Communauté dudit BUDOS, lesquels, adressant le présent acte avec tout le respect possible à Messire Michel Joseph De LAROQUE Chevalier, Seigneur Baron dudit BUDOS, luy ont dit que, désirant... libérer la Communauté (du montant) de la rente de vingt neuf ans... des landes et vacants de BUDOS . et relevant en fief , cens et rente dudit Seigneur... à raison d'un boisseau (d') avoine, mesure de ladite Baronnie quy est conforme à la mesure de BORDEAUX, (Plus) une paire (de) chapons et trente sols (d')argent, le tout payable, porté et rendu (au Château) le jour de la Fête de SAINT MARTIN, onze Novembre de chaque année .... lesdits Sieurs LACASSAIGNE et LATAPY... offrent par le présent acte audit Seigneur Baron de BUDOS la somme de 176 Livres et 10 sols en argent pour (prix des) 28 boisseaux (d') avoine... pour 28 ans échus le 11 Novembre 1755, à raison de 3 Livres 10 sols par an; pour le prix

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de 28 paires de chapons pour 28 ans échus le 11 Novembre 1755 à raison de 1 Livre 5 sols la paire, et pour 29 années échues le 11 Novembre de l'année dernière 1756 à raison de trente sols (d') argent par an, revenant le tout à la première somme de 176 Livres 10 sols et (ceci) en deux doubles Louis d'or de 48 Livres pièce, treize écus d'argent de six Livres pièce, deux pièces d'argent valant vingt quatre sols chacune, un sol marqué de six liards et une pièce de deux liards, le tout (en) bonne monnoye et espèces marquées au coin et Armes de FRANCE et ayant cours et au surplus (LACASSAIGNE et LATAPY) offrent audit Seigneur de BUDOS un boisseau (d') avoine. et une paire de chapons en espèces pour ladite année de rente échue le onze Novembre dernier, les trente sols de la rente en argent pour la dernière année ayant été... compris dans la somme de cent soixante seize Livres dix sols ci-dessus... priant ledit Seigneur de BUDOS, et le sommant (si besoin est) de recevoir ladite somme... le boisseau d'avoine et la paire (de) chapons... et (de tout cela) fournir valable quittance..."

Il est enfin précisé qu'en cas de refus du Seigneur, tout ce qui est offert là, ( y compris les chapons ), sera déposé et tenu à sa disposition entre les mains du Notaire, à ses risques et périls, jusqu'à ce qu'il en prenne livraison.

  Tout cela est fort bien calculé, mais calculé par les Budossais sans en avoir touché le moindre mot au préalable à leur Seigneur. Or, à l'évidence, plusieurs termes de cette évaluation sont sujets à forte caution. Les Syndics ont procédé à une évaluation du boisseau d'avoine sur la base de 3 Livres 10 sols l'un. Mais le prix de l'avoine a beaucoup varié. d'une année sur l'autre, au gré des récoltes pendant les presque trente années écoulées. Le Seigneur sera-t-il d'accord sur une telle évaluation forfaitaire ? De même que pour les chapons à une Livre cinq sols, encore qu'ici, les fluctuations de prix aient certainement été moins importantes. Et par dessus tout, il n'est nulle part ici question d'intérêts sur les sommes dues, intérêts qui, à l'époque étaient fixés à 5 %. Or, même en acceptant pour base les évaluations des Syndics, soit 6 livres 5 sols par an, le total à payer au bout des 28 ans aurait dû s'élever à 371 Livres et 10 sols. Nous sommes donc bien loin du compte ! ...

  Cet acte étant dressé, dans l'après midi du même jour, 26 Mars, les deux Syndics et le Notaire prennent le chemin du Château, avec l'argent, le boisseau d'avoine et les chapons. Ils demandent à rencontrer le Seigneur. Il n'est pas là,..alors quelqu'un des siens... il n'y a personne; finalement, ils sont reçus dans un salon par une préceptrice, une " fille d'enfants " nous dit-on. A défaut d'autre interlocuteur, il s'adressent à cette personne et lui ont ainsi:  

" offert ladite somme de 176 Livres 10 sols, mise, exhibée,... sur une table d'un salon dudit Château, (en outre) dans la même chambre, avons offert au Seigneur un boisseau (d') avoine et une paire (de) chapons... (en) parlant à la Demoiselle Jeanne Marie LATRILLE, fille d'enfant dudit Seigneur qui a déclaré (que) ledit Seigneur (était) absent et n'avoir (reçu) aucun ordre (d'accepter cette offre)..."

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  Ils reprennent alors l'argent, l'avoine, et les chapons, en invitant la Demoiselle à dire à son Maître que le tout sera désormais tenu à sa disposition chez le Notaire.

Le Baron ne se presse pas. Il a manifestement l'intention de promener ses Manants. Revenu à BIIDOS, il examine leur proposition et leur fait savoir:

  " qu'il ne (peut la) recevoir, (mais) qu'il verrait à BORDEAUX le parti qu'il aurait à prendre (et) qu'en conséquence les (Syndics) se rendent en cette ville."

  Ils y allèrent, et offrirent de nouveau leur argent, leur avoine et leurs chapons qui, eux aussi, faisaient partie du voyage. Peine perdue c'était un jeu du Baron. Il refusa le tout. Jusque là, les Budossais étaient bien mal engagés. Il est vrai qu'ils avaient été bien imprudents sur toute la ligne; d'abord  " d'oublier " de payer leur rente, et ensuite de fixer eux mêmes le montant de leur dû sans négociation préalable avec leur créancier.

  Le Seigneur De LAROQUE croyait bien les tenir en sa main. En fait, ce qu'il voulait, ce n'était pas tellement récupérer les quelques misérables centaines de Livres que lui devaient incontestablement ses Manants, mais bien plutôt profiter du mauvais cas dans lequel ils s'étaient mis pour tenter de leur reprendre l'exploitation de la Lande ou tout au moins pour renégocier les conditions financières de la Tenure. 

Au prix qu'atteignaient alors les bruyères, il y avait là beaucoup d'argent à gagner. Mais pour cela, avant toute chose, il lui fallait contester le principe même de cette Tenure. Ainsi donc, sans plus rien écouter des propositions des Syndics, le Baron va leur intenter un procès en remettant en cause leur Bail Féodal de 1630. Quelle erreur !  Il se replaçait là sur le terrain d'un litige qui avait déjà été tranché par le Parlement dans son Arrêt du 6 Septembre 1700. 

Les Budossais eurent alors beau jeu de faire observer que personne ne pouvait revenir sur cette affaire. Et comme les Magistrats appréciaient peu que quiconque, fût-ce un Baron, remette en cause une décision définitive de leur Cour Souveraine, les Manants se retrouvèrent tout à coup rétablis en bien meilleure position. 

Si le Seigneur s'était borné à réclamer son dû, il aurait gagné son procès sans contestation possible et en aurait certainement tiré bien plus que les 176 Livres proposées. Mais en voulant réintégrer la Lande dans sa " directe " , il a voulu trop faire ... Et tout à coup, il s'aperçoit qu'il a fait fausse route et que, contre toute attente, ses Manants sont en passe de gagner ce procès.

  Il prend peur. et le voilà qui. le 14 Juin 1757. écrit au Sénéchal. Il n'est déjà plus question pour lui que de tenter de sauver, dans ce procès. ce qui peut l'être encore. En clair. il cherche désormais à éviter de payer les dépens...

  Il expose qu'il est incontestable que les Budossais lui doivent sa rente ( et c'est vrai ), mais il essaye aussi d'effacer la mauvaise impression laissée par sa malencontreuse contestation des droits reconnus aux Manants par décision de Justice.

  Il reconnaît avoir:

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" assigné différents particuliers tenanciers de sa terre de BUDOS en la Cour Sénéchale pour qu'il leur fut fait... défense de mener pacager leurs bestiaux dans les landes situées dans ladite Paroisse de BUDOS comme lui appartenant en propre par sa qualité de Seigneur... (et que les Budossais ont) pour (leur) défense exhibé l'Arrêt de la Cour (qui) leur donne la faculté de mener pacager dans les landes dont il est question... A la vue de cet Arrêt que le (Baron) ignorait, il (modifia sa plainte pour) que ces différents particuliers fussent tenus de lui payer depuis vingt neuf ans les arrérages de rente fixés par ledit Arrêt... "

  Finalement, bien qu'il ait une triste opinion de ses Manants, et qu'il ne se prive pas de l'exprimer sans ambages, il va lâcher du lest, beaucoup de lest, même, puisqu'il en vient à renoncer à tout ce à quoi il avait incontestablement droit, à savoir une évaluation contradictoire de la valeur de l'avoine et des chapons et surtout aux intérêts considérables auxquels il pouvait prétendre. Il accepte désormais ce qu'on lui offre ( quel revirement ! ) mais demande que, surtout, on ne le condamne pas aux dépens du procès qu'il a lui-même engagé: 

" il est vrai que de la part de gens sans principes qui ne se piquent pas de tenir leur parole, on doit s'attendre à tout... (leur sommation) eût pu être attaquée... attendu que le prix de la rente en nature n'est pas (à) sa juste valeur, néanmoins, pour un bien de paix, (il) a bien voulu abandonner ses intérêts et se contenter de ce qui lui était offert..."

  Et il renouvelle, en conclusion, sa demande de voir ses Tenanciers condamnés aux dépens. Leur montant, à coup sûr, devait être redoutable. Et ce n'est pas céder à un excès d'imagination si l'on estime que leur montant pouvait bien déjà dépasser les 176 Livres en cause...

Les dernières pièces de ce dossier font défaut, si bien que nous ne saurons pas qui, en définitive, aura payé ces fameux dépens. Toujours est-il que les Budossais auront, une fois encore, sauvegardé leur droit d'accès à la Lande Commune.

  Au delà de son côté pittoresque, cette affaire est intéressante car elle montre bien qu'en ce milieu du XVIIIème siècle, un Seigneur local ne pouvait pas faire n'importe quoi sur ses terres. La résistance de ses Tenanciers n'était pas nécessairement vouée à l'échec devant la Justice du Roi, et bien d'autres exemples comparables pourraient en être cités dans les paroisses avoisinantes. 

Il semble même, et ceci mériterait une étude plus approfondie, que les Tenanciers soient devenus plus pointilleux sur leurs droits au fur et à mesure que le siècle avançait. Si certaines formules demeuraient, telle celle du " Très Haut et très Puissant Seigneur ", il apparaît bien qu'elles se soient vidées de leur substance au fil du temps, pour n'être plus, du moins dans nos régions, que de simples termes de convenance.

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Mais ce procès montre aussi de quelle garanties jouissaient les détenteurs de tenures féodales. Une fois la convention passée, le Seigneur ne pouvait plus revenir en arrière sauf dans les cas très limités que nous allons maintenant définir. Sous ces seules réserves, le Tenancier était réellement maître chez lui.

  Il existait trois cas dans lesquels le Seigneur pouvait faire valoir " la puissance de fief " et réintégrer dans sa Directe des biens déjà concédés à titre de Tenure. Trois cas seulement : le déguerpissement, la déshérence et la prélation.

  Déguerpir, voilà un mot que nous connaissons bien et que nous utilisons sans plus nous souvenir qu'à l'origine, il nous vient tout droit de la pratique féodale. Déguerpir, c'est abandonner volontairement la Tenure que l'on avait reçue du Seigneur et la lui rendre. Celui-ci la réincorpore alors à sa Directe. 

Le déguerpissement peut être signifié par acte notarié. C'est très rare, et aucun cas n'en a été recensé à BUDOS sur toute la période d'observation. Bien plus souvent, il est "supposé" et résulte d'une situation de fait. 

Selon la Coutume, le Seigneur est en droit de supposer un déguerpissement lorsque la terre concédée n'a plus été cultivée pendant trois années consécutives, ce délai étant ramené à une seule année pour les vignes. En ce cas, après avoir fait constater dûment l'abandon. le Seigneur était autorisé à reprendre son bien.

  La déshérence vise le cas d'un Tenancier sans postérité. Elle doit réunir deux conditions. D'abord, il faut que soit bien établie la certitude qu'il n'existe aucun héritier naturel, descendant, ascendant, ou collatéral, et ensuite que le défunt n'a pas laissé de testament en faveur d'un tiers désigné. Si ces deux conditions sont réunies et prouvées, le Seigneur peut, ici encore, réintégrer dans sa Directe la Tenure abandonnée.

  Vient enfin le Droit de Prélation qui est un peu plus complexe, mais dont l'exercice est plus fréquent. Aux termes de ce Droit, le Seigneur peut intervenir, dans une transaction foncière auprès de l'acheteur, et le contraindre à lui rétrocéder la Tenure ( terre ou maison ) qu'il vient d'acheter moyennant le versement immédiat du prix fixé au contrat, majoré des " loyaux coûts ", entendons par là tous les frais annexe de Notaire, d'Enregistrement, etc.. 

En un mot, par la Prélation, le Seigneur a le droit de réintégrer dans sa Directe n'importe quelle Tenure qui vient de faire l'objet d'une vente. Le vendeur n'a rien à y redire puisqu'en tout état de cause, il était décidé à vendre et qu'il perçoit le prix convenu. Quant à l'acheteur, il doit être dédommagé de tous ses frais afin qu'il ne subisse aucun préjudice . Il n'en éprouvera pas moins la frustration de n'avoir pu obtenir les biens qu'il convoitait... 

Par ailleurs, comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire, dés l'instant où le Seigneur a accepté le versement des Lods et Ventes au titre d'une mutation foncière, il renonce à exercer son Droit de Prélation. Son acceptation du versement des droits vaut renoncement définitif à son privilège. C'est une incitation évidente à faire rentrer plus vite les droits de mutation puisque la vente n'est sûre et définitive qu'après leur perception.

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C'est également un frein aux tentations que pourraient avoir les parties de minorer le prix de la transaction en vue de payer moins de droits de mutation, car le privilège du Seigneur, s'il l'exerce, se fonde sur le prix déclaré dans le contrat. Les parties pourraient ainsi connaître de bien désagréables surprises si elles avaient pratiqué quelques dessous de table.

  Nous allons illustrer cette procédure d'un exemple concret.

  Le 26 Novembre 1762, Nicolas BEDOURET vendait à Pierre BEDOURET, dit TOUILLON, une maison à étage, son hangar et une pièce de terre attenante, le tout situé au quartier de MOUYET, en bordure de la route d'ILLATS. Le Baron Michel Joseph De LAROQUE l'apprend et s'y intéresse:

  "désirant ledit Seigneur .. (récupérer) lesdits biens par puissance de fief et droit de prélation, il entend sommer... par le présent acte ledit Pierre BEDOURET dit TOUILLON de luy faire revente desdits biens sous l'offre que fait ledit Seigneur... de le rembourser (du prix) de ladite acquisition et de luy payer les loyaux coûts de (celle-ci dès qu'ils seront) liquidés."

  Le prix était de 300 Livres. Le Seigneur les remet au Notaire et le charge d'aller les porter à Pierre BEDOURET en échange de la revente qu'il demande. C'est ce qu'il fait tout aussitôt en se présentant :

  " en son domicile et parlant à lui (et) auquel a été offert, exhibé, compté... sur une table de sa maison ladite somme de trois cents Livres (en l') espèce de cinquante écus d'argent valant six Livres chacun, faisant ladite somme que ledit BEDOURET a refusé de recevoir (et de ) faire la revente requise par le Seigneur; (en conséquence de ce ) refus,(nous) avons repris ladite somme (qui demeurera) consignée en nos mains..."

  Mais cinq jours plus tard, Pierre BEDOURET s'est ravisé. Entre temps, il a réalisé qu'il n'avait aucune chance de résister à la volonté du Baron. Incontestablement, le droit est ici pour le Seigneur et BEDOURET n'a pas d'autre issue que de s'incliner. Le 13 Décembre au matin, il se rend au Château avec le Notaire et accepte les trois cents Livres consignées entre ses mains. Dans le même temps, l'acte de revente est établi en faveur du Seigneur, lequel paye les frais de l'acte et y rajoute 14 Livres pour liquider les dépens relatifs au contrat initial.

  Cette affaire est toute simple. Mais il se rencontre des cas beaucoup plus compliqués dans lesquels on voit le Seigneur " négocier " son droit de prélation (moyennant quelques avantages discrets ) au profit d'un tiers.

  Prenons encore un exemple pour éclairer ce genre de situation. L'affaire se passe en 1788, à ARTIGUES, sur la Paroisse de LANDIRAS, mais concerne directement le Baron de BUDOS puisqu'il est en même temps, à ce moment là, Seigneur de LANDIRAS.

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  En simplifiant beaucoup, nous dirons qu'un petit chai, appartenant à un tiers , bénéficie d'un droit de passage dans la cour de la maison d'un certain Jean DUPIOT.

De ce fait, celui-ci ne peut pas être tranquille chez lui et supporte mal cette contrainte. Or, voilà que, à son insu, ce petit chai vient d'être vendu à un certain Dominique AMANIEU. DUPIOT est navré d'avoir manqué cette occasion de l'acheter et d'assurer enfin sa tranquillité en supprimant ce droit de passage.

Il s'adresse alors au Baron de BUDOS, Seigneur du lieu, et lui demande d'exercer à son profit son droit de retrait féodal, autrement dit de prélation sur le:

  " petit chai joignant la maison dudit DEPIOT qui, (en) raison de cette proximité lui en rend la propriété indispensable, ce qui (l'a) engagé de solliciter de Monsieur le Baron de BUDOS, Seigneur de la terre dudit LANDIRAS, la grâce du retrait féodal, ce que (ledit) Seigneur ... après s'être fait rendre compte de la chose, lui a, en effet, accordé."

  Le Baron a donc, littéralement, prêté son droit à Jean DEPIOT. La Coutume de BORDEAUX autorisait une telle manoeuvre et de fait, celui-ci put récupérer son chai et son passage. Bien que les actes n'en disent jamais rien, il était d'usage de rémunérer la faveur du Seigneur par quelques compensations.

  Enfin, et pour en terminer avec les moyens dont il disposait pour réintégrer une Tenure dans sa Directe, outre les trois procédures féodales que nous venons de voir, le Baron pouvait tout simplement, comme tout un chacun, acheter une maison, une terre, une vigne ou un pré qui se trouvait en vente sur le marché local. Il ne s'en est pas privé et les exemples de ces rachats sont très nombreux du moins dans les périodes où l'intéressé était en bonne situation financière. Ce qui n'a pas toujours été le cas, il s'en faut de beaucoup.

  Nous venons de procéder à un survol des dispositions du Droit Féodal régissant la propriété foncière, tel qu'il s'appliquait encore à BUDOS et dans la région, à la fin du XVIIIème siècle. Ce survol a été très rapide et très incomplet car la matière est complexe. Il devrait néanmoins suffire à dégager un image que nous conserverons en mémoire.

Une image obtenue au terme d'une très lente évolution au fil des âges, évolution qui a conduit des Serfs aux Tenanciers libres, ceux-ci se transformant, dans leur mentalité, sur la fin de l'Ancien Régime, en véritables propriétaires fonciers sous les seules contraintes de modestes redevances seigneuriales et de quelques cas d'application subsistants de la " puissance de fief ".

  Les Budossais étaient donc désormais tout à fait prêts pour accéder à la propriété capitaliste pleine et entière qu'allaient leur apporter la Révolution et le XIXème siècle.

                                                                                                                    L'ACQUISITION DE LA PROPRIETE

 

Avant toutes choses, il est indispensable de bien mettre en lumière un phénomène majeur affectant la répartition des terres : leur parcellisation démesurée.

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En dehors de quelques grandes propriétés, celle du Seigneur par exemple, et trois ou quatre autres tout au plus, appartenant à des Notables, souvent Bordelais, et que nous retrouverons par ailleurs, tout le restant des terres, constituant la très grande majorité de la paroisse, se partageait en une incroyable poussière de parcelles parfois minuscules. Et même ces " grandes" propriétés ( relativement modestes au demeurant ) étaient le plus souvent constituées par addition de petites parcelles.

L'emprise au sol en a été tellement marquée qu'en bien des endroits de la Commune, elle subsiste encore de nos jours. A travers les cadastres successifs et jusqu'à la situation actuelle, on voit se perpétuer ici ou là un morcellement des terres proprement aberrant. Le secteur du quartier de PAULIN, en direction des lieux dits de THOURIEU et de CAZEAU, deux cents ans plus tard en porte encore témoignage.

 Les transactions foncières portent souvent sur des superficies dérisoires : 635 m2 de vigne ici, 506 m2 de taillis là, 431 m2 de friche ailleurs, et même 93 m2 de prairie à PAULIN ! Les ventes dépassant un hectare d'un seul tenant sont extrêmement rares, encore ne les rencontre-t-on qu'en matière de lande ou de forêt, et, répétons le avec insistance, à titre tout à fait exceptionnel.

L'observation ne se limite d'ailleurs pas au partage des sols. La propriété bâtie est logée à la même enseigne. Il n'est pas rare de voir acheter une " moitié de chambre " , entendons par là, qu'une seule et même pièce, dans une maison, va se partager entre deux propriétaires. C'est ce que fait Pierre DURON, dit PINOT, le 8 Mai 1778 au quartier des MOULIES.

Mais on va également partager un cuvier et un pressoir, au quartier de LA PEYROUSE, entre Izabeau BEZIN et Raymond COUTURES, le 14 Avril 1788. Mieux encore, le 7 Mai 1778, Bernard BEZIN vend à Nicolas CARROUGE, Docteur en Médecine: 

" la tierce partie d'un cuvier et d'un très mauvais pressoir qui est dans (celui-ci) et situé dans ladite paroisse de BUDOS (au) lieu appelé à MOULAS. "  

et l'acte est passé devant Notaire dans le cuvier lui-même afin de bien délimiter les conditions de la future cohabitation.  

Mais les choses vont encore plus loin lorsque l'on voit un quidam vendre " les deux tiers de la moitié d'une chambre ", dans une maison, le 21 Juillet 1766, à un acquéreur qui, c'est une chance ! possédait déjà l'autre tiers de cette moitié ... On croit rêver, et il faut faire un gros effort d'imagination pour comprendre jusqu'où peuvent aller les choses en la matière. En tout état de cause, la co propriété n'est pas une invention récente.

 Au résultat de ce phénomène, on constatera que, dans la population, le nombre des propriétaires fonciers est tout à fait considérable. Rappelons qu'en 1783, nous n'avons recensé que 37 " pauvres " sur 139 Foyers fiscaux et que nous avons retenu une proportion d'environ 70 % de propriétaires fonciers.

C'est énorme. Ces propriétés sont parfois minuscules et seraient bien incapables d'assurer leur subsistance à leurs détenteurs. Ceux-ci ne peuvent vivre qu'en louant leurs services, à titre de journaliers ou de " prix faiteurs " à des voisins plus fortunés ou encore en exerçant une activité artisanale complémentaire.  

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Il n'en reste pas moins qu'ils " ont du bien", qu'ils y sont jalousement attachés et que cela ne va pas sans conséquences sur leur mentalité et leurs comportements car ils aspirent de tous leurs voeux à l'agrandissement de leurs fonds, fût-ce de quelques ares supplémentaires dès qu'ils disposent de quelques Livres chichement épargnées. Le peu d'argent qui se gagne en milieu rural se détourne de la consommation et, les impôts payés, cherche à s'investir en terre à la première occasion. Aussi le commerce se limite-t-il, dans les campagnes aux objets de stricte utilité.

Il faut s'approcher de la GARONNE, à BARSAC par exemple, ou à LANGON et, bien évidemment à BORDEAUX, pour trouver des commerces proposant des objets de confort ou d'agrément. Sous la réserve des Seigneurs et des Notables, les Budossais n'y ont recours que pour une robe de mariée, une paire de souliers ( également pour cause de mariage ) ou quelques rares fantaisies liées à des circonstances exceptionnelles.

 Cette propriété tant recherchée s'acquiert par échange, par achat ou par succession.

 

ACQUISITION PAR ECHANGE.

 

L'échange n'est pas, à proprement parler, une source d'enrichissement puisqu'il y a équilibre, au moins approximatif entre les deux biens. Il faut néanmoins en dire un mot car il apparaît souvent comme un remède ( bien modeste au demeurant) au morcellement des terres. Dès que l'on dispose de quelques Livres, on achète le premier lopin qui se présente pour investir au plus vite, après quoi, on cherche un échange possible avec un voisin.

Cela demande parfois beaucoup de temps et de patience, et beaucoup de chance aussi, mais on y arrive, et de proche en proche, on parvient à réunir des parcelles voisines en un tout un peu plus conséquent. Plus conséquent, certes, mais pas nécessairement cohérent car, à ce jeu là, on additionne assez souvent un triangle à un rectangle ou, pire encore, à un trapèze, pour aboutir à ce que les Notaires appellent pudiquement dans leurs actes " une forme indéfinie ".

Il s'ensuit bien évidemment nombre de querelles de bornage qui fournissent, à l'occasion, matière à d'interminables procès. Au prix d'un gros travail de recherche, on pourrait reconstituer au fil du temps, les efforts conjugués des uns et des autres pour réaliser ces remembrements empiriques. Les actes précisent toujours les confrontations de voisinage des biens échangés ou vendus.

Il serait donc théoriquement possible d'analyser une à une ces démarches d'approche pour agrandir telle ou telle parcelle servant de noyau à un plus grand ensemble à venir. Ce serait à coup sûr un travail de très longue haleine, mais dont les résultats, même modestes, devraient être assez démonstratifs.

Modestes, cependant, car dans bien des cas, ces remembrements laborieux ne dépassaient pas l'échéance du prochain partage successoral. Et l'on voit alors l'un ou l'autre des héritiers, et quelquefois les deux, reprendre patiemment la démarche de reconstitution du bien au gré d'échanges judicieux ou d'achats appropriés.  

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ACQUISITION PAR ACHAT

 

Le mode d'acquisition le plus courant est évidemment l'achat. C'est un contrat tout à fait comparable, dans son principe à celui de notre Droit moderne. L'acte comporte cependant assez rarement les superficies. A défaut, on y trouve parfois les dimensions exprimées en pas ( le pas de BUDOS valait 0,885 mètre ) ce qui permet de calculer les surfaces sans trop de difficultés. Dans la très grande majorité des cas, le Notaire se contente de définir la parcelle en énumérant les voisins qui la " confrontent " à chacun des points cardinaux.  

Ces indications permettent de constater ici encore combien sont nombreux les achats motivés par une volonté de remembrement, l'acquéreur étant déjà propriétaire d'une ou plusieurs des parcelles mitoyennes. Les actes font toujours une mention spéciale de la " mouvance " c'est à dire du Fief féodal dont relève la terre ou la maison.

A BUDOS, les choses sont très simples puisque nous avons déjà vu qu' il y avait parfaite identité territoriale entre la Paroisse et la Seigneurie. Mais il n'en va pas partout de même, et l'acte de vente se doit de préciser de quel Seigneur relève la tenure afin de pouvoir lui payer les Lods et Ventes et le Cens dont le bien est grevé.

 Si le Seigneur est toujours désigné, il est par contre bien rare que le montant du Cens soit précisé; généralement d'ailleurs parce que le vendeur, faute de l'avoir payé depuis bien longtemps, en ignore jusqu'au montant. Il faut dire que chacune des parcelles était, en moyenne, si petite, que la rente seigneuriale, déjà très faible en elle-même, devenait parfaitement dérisoire quand il fallait l'appliquer à quelques ares.

C'est probablement une explication assez vraisemblable de l'absence fréquente de sa perception. Parmi les rares cas dans lesquels le montant du Cens est indiqué, citons celui de la vente faite par Vincent COUTURES à Guiraud TACHON, le 4 Septembre 1764:

 " d'une pièce de terre en lande de 52 pas en large du midi au nord et 100 pas en long du levant au couchant, située au LANOT de COUILLET, sur laquelle il y a de la bruyère et quelques pins que le vendeur sortira incessamment…." 

Cette pièce représente donc une superficie de 40 ares 71 centiares, et il est précisé dans le texte que la rente annuelle à verser au Baron de BUDOS, est de 3 deniers, soit donc 0,012 Livre; disons, en gros, un centième de Livre pour un an, ou encore, après conversion, 3 centièmes de Livre annuels par hectare ! Comment s'intéresser à une somme aussi dérisoire ?

En tout état de cause, les frais de perception l'emporteraient sur son montant. Ceci prouve bien, une fois encore que le Cens et les Rentes seigneuriales ne représentaient à BUDOS quelque importance que sur les grandes Tenures ou bien lorsqu'ils étaient exprimés en nature ( vin, grain, volaille, etc ... ).

Nous n'avons d'ailleurs eu connaissance de ce cas que parce que Vincent COUTURES était le Procureur d'Offices du Tribunal de BUDOS, homme de droit méticuleux qui, en bon professionnel, avait dû faire des recherches pour préparer sa vente. Dans tous les autres cas, les vendeurs se donnaient beaucoup moins de peine ( et les acquéreurs s'en accommodaient fort bien ) en exposant que la Rente appartenait au Baron "quelle qu'elle puisse être "..

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Le paiement du prix des transactions se fait ordinairement en argent et assez souvent comptant. Mais il se rencontre de très nombreuses exceptions. Certains règlements s'effectuent par troc, en tout ou en partie, en particulier par des remises d'animaux. Ainsi, le 7 Mai 1778, Bernard BEZIN vend-il une partie de cuvier pour 50 Livres qui lui sont payées:

 " par la remise d'une jument poil bai représentant 37 Livres 10 sols, laquelle lui a été remise, il y a environ 5 mois, le solde en argent."

 Ou encore Jean BALION qui, ayant vendu une pièce de terre labourable de 13 ares " remplie de chiendent ", le 28 Octobre 1765,pour la somme de 64 Livres 10 sols, accepte d'être payé par la remise de deux juments d'un prix total de 54 Livres, le solde étant réglé en monnaie. Ces cas sont fréquents mais confinent parfois à l'insolite. Ainsi par exemple, pour la vente d'une pièce de lande à Guiraud TACHON, le 4 Septembre 1764, Vincent COUTURES:

 " reconnaît et confesse avoir été payé, avant les présentes, au moyen d'une paire de roues de charrette ferrées.."

Quant aux délais de paiement, lorsqu'ils sont prévus, ils peuvent être très divers. Les règlements en présence du Notaire correspondent assez souvent aux " placements " que nous avons déjà évoqués. Dès que l'on a économisé quelques Livres, on achète " quelque chose "; on a donc déjà l'argent.

Mais il y a tous les autres cas, jusque, et y compris celui où l'on ne dispose pas du premier sol de la somme. Ceci conduit parfois à des règlements échelonnés ou largement différés. Les intérêts courent alors " selon le taux de l'Ordonnace " qui est de 5%;

 Jean LAFON, laboureur à BUDOS a acheté un bien à Arnaud RICAUD, dit LAROUILLE, charbonnier à NOAILLAN, le 16 Janvier 1752, pour le prix de 150 Livres. Il ne finira de le payer que onze ans plus tard, le 13 Décembre 1762 avec 36 Livres d'intérêts sur les découverts intermédiaires.

 La vente comporte parfois des conditions. Le vendeur pourra par exemple se réserver la coupe des bois en ne vendant que le terrain nu, c'est un cas assez fréquent. Parfois même cette coupe est différée dans un avenir assez lointain. Ainsi, Jean DUCOURNEAU, tailleur à BALIZAC a-t-il vendu trois journaux de lande à Louis MASSE, laboureur à BUDOS, le 6 Janvier 1778. Décrivant la parcelle, l'acte précise:

 " dont partie au nord desdits trois journaux est en jeunes pins non encore de coupe, que le vendeur se réserve de couper et déplacer lorsqu'il seront en oeuvre et laton de coupe."

 " L'œuvre " est le bois de chauffage et les " latons " sont utilisés pour arrimer les ceps de vigne; l'attente peut donc durer ici plusieurs années. Peu importe d'ailleurs car on a bien l'impression, à travers ce texte, que l'acheteur s'est, avant tout intéressé à la précieuse bruyère et que la production du bois ne le préoccupe guère.

 Toujours au titre des conditions, signalons que la vente à réméré est connue. Elle se pratique surtout pour se procurer de l'argent frais en vue d'éponger quelques dettes un peu trop criardes.  

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On perçoit ainsi le prix du bien, un peu comme un emprunt hypothécaire, mais à des conditions financières un peu plus favorables. Le tout est, évidemment de pouvoir rétablir l'état de ses finances avant l'expiration du délai fixé afin de pouvoir récupérer son bien. Cela ne va pas, parfois sans quelques difficultés.

Ainsi, à la SAINT MICHEL de 1786, Bernard BRUN, laboureur au quartier de PINGOY avait-il vendu à Michel DUBOURDIEU, laboureur au quartier de CAUSSON:

 "sous pacte de réméré d'un an ... une pièce de terre en nature de pignadas sise et située au-dit BUDOS (au lieu) appelé AUX CAHETS..."

moyennant 525 Livres. Avant l'expiration du délai, BRUN a réussi à réunir la somme nécessaire pour racheter son bien. Il convoque Me DUFAU, Notaire, et lui remet 87 écus d'argent de six Livres et un de trois Livres. Dans l'après midi du 26 Septembre 1787, Me DUFAU se rend chez DUBOURDIEU:

 "où étant, sur une table de la maison, a été offerte, exhibée, comptée et réalisée ladite somme de 525 Livres... aux fins du délaissement et abandon (de la pièce de pins)."

 Mais DUBOURDIEU n'est pas là, c'est sa femme qui a reçu le Notaire:

 " et après que ladite somme a été entièrement comptée et mise à découvert sur ladite table, et donné à la femme dudit DUBOURDIEU ample connaissance du sujet de notre mission, et même fait lecture mot à mot (de l') acte, elle a fait pour réponse que son mari était absent et qu'elle n'avait de lui aucun ordre de prendre et recevoir ladite somme."

 Le Notaire ramasse l'argent et s'apprête à partir lorsque DUBOURDIEU survient. On recommence alors tout le cérémonial, le décompte de la somme, la lecture de l'acte, etc…

Mais DUBOURDIEU repousse cette offre car il estime que BRUN lui doit des intérêts jusqu'à concurrence de 552 Livres et 5 sols, et il entend bien ne pas lâcher la propriété qu'il détient jusqu'au paiement complet de la somme. Le Notaire en prend acte et conservera donc les 525 Livres consignées entre ses mains jusqu'à la solution du litige, solution qui ne parait pas devoir être prochaine....

 Même en matière immobilière, nos Ancêtres avaient le génie de l'intrigue. On pourrait en citer bien des exemples, souvent cocasses, mais nous n'en retiendrons qu'un seul.

 Bernard LARRUE, dit BERNACHON, était scieur de long à NOAILLAN. De sa Mère. Marguerite DUSSEAUX, il avait hérité d'une petite propriété composée d'une:

 " maison contenant deux chambres bâties de pierre, couvertes de tuiles, padouens (et) ayriaux attenants... située au lieu du GENDRE..."

 il s'y ajoutait un " lopin de pré ", une petite chènevière, 12 règes de terre labourables ( soit 8 ares et demi), une autre pièce de labour et un morceau de lande au hameau d'ANDRIVET.

Le tout était estimé 300 Livres à dire d'expert. Cette nomenclature est intéressante car elle donne une bonne idée de ce que pouvaient être ces minuscules propriétés foncières sur lesquelles, avec beaucoup de travail, on arrivait tout juste à survivre à la condition de pratiquer quelqu'autre activité extérieure ( artisanat ou prixfaitage).

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Fixé à NOAILLAN, Bernard LARRUE ne pouvait exploiter ce petit fonds lui même. Aussi l'avait il donné à ferme à un certain Arnaud BONNEAU, Tisserand à BUDOS. Cette situation durait depuis huit ans. En 1770, LARRUE se décide à vendre ce bien. Louis MASSE, laboureur à BUDOS s'y intéresse, mais LARRUE le récuse,

 " luy disant qu'il vouloit donner à d'autres par préférence, sans néanmoins que ledit MASSE eût donné occasion à ce refus... "

 du moins, c'est lui qui le dit. Arnaud BONNEAU, le fermier, se présente alors et propose d'acheter le tout moyennant les 300 Lives estimées. Il est agréé. Le contrat de vente est passé dans l'Etude de Me PERROY à NOAILLAN le 9 Mars après midi. Aucun problème, BONNEAU paye comptant à la vue du Notaire. Bernard LARRUE prend congé et s'en va avec son argent.

Aussitôt apparaît Louis MASSE qui était resté caché jusque là. Et tout à la suite du premier contrat dont l'encre est à peine sèche, sur le même feuillet ( pour ne pas payer deux fois les droits de Lods et Ventes ), BONNEAU, le fermier, nouveau propriétaire, revend le bien à MASSE :

 " En sorte qu'étant de pure vérité, tout dol et fraude cessant, que ledit BONNEAU n'était pas luy-même en état de faire ladite acquisition, et qu'il ne l'a acceptée que pour la (rétrocéder) tout de suite audit MASSE qui luy en avoit fourny le prix... (c'est ainsi qu'il) luy a officieusement prêté son nom pour le favoriser..."

 Joli tour de passe passe en vérité dont le Notaire était évidemment complice.

 L'acte de vente étant passé, restait encore à " prendre possession réelle " du bien que l'on venait d'acheter. C'était une sorte de cérémonie rituelle que notre Droit moderne a complètement oubliée. Depuis le Code civil qui nous régit (1804 ), la signature de l'acte de vente et le paiement du prix valent transfert pur et simple de la propriété.

Sous l'Ancien Régime, la Coutume prévoyait une manifestation concrète de prise de possession. A vrai dire, elle n'était pas absolument indispensable, à condition toutefois qu'aucun tiers ne vienne ultérieurement contester la validité de la transaction.

 Pour se mettre à l'abri d'une telle traverse, il valait donc mieux y recourir selon la tradition, et c'est bien se qui se pratiquait dans la majorité des cas. Cette prise de possession pouvait avoir lieu n'importe quand après le contrat. Elle pouvait être immédiate, et c'était le cas lorsque l'acte était établi sur les lieux même de la propriété.

On voyait ainsi le Notaire se déplacer en pleine campagne et dresser son acte sur le champ, au sens propre du terme. Mais elle pouvait être aussi très tardive. Ainsi en fût-il d'un achat de terre effectué par Raymond MASSE le 5 Mars 1769 et dont le fils Jean, en 1783, bien après la mort de son Père, s'aperçoit que ce terrain n'a jamais fait l'objet d'une prise de possession réelle. Il s'agissait pourtant d'un bien tout à fait modeste:

 " une pièce de terre en rochers, ronces et taillis.."

 évaluée 30 Livres en son temps; cela n'allait pas chercher très loin... Mais le fils tenait absolument à ce que cette acquisition soit indiscutable aux yeux de tous:   

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"et comme Jean MASSE s'est aperçu que son Père avait négligé de prendre la possession réelle desdits fonds et qu'il luy importe beaucoup, à luy, de ne pas négliger cette formalité essentielle pour s'assurer une propriété moins variable, c'est pourquoi... etc..."

 Et c'est ainsi, afin que sa propriété devienne " invariable", autrement dit incontestable, qu'il convoqua le Notaire sur place le 6 Décembre 1783 afin de procéder à la cérémonie utile, quatorze ans et demi après l'achat...

  En pareil cas, le notaire, les témoins, et le nouveau propriétaire se réunissaient sur le terrain en présence de qui voulait bien assister à l'opération. Et là, l'acquéreur se livrait à un certain nombre de gestes parfaitement gratuits mais symboliques de son " bon plaisir ". Il cassait quelques branches d'arbre, arrachait de l'herbe, la jetait en l'air, ou allumait du feu dans l'âtre de la maison, etc… etc ... et faisait constater que personne ne s'y était opposé.

 

Le Notaire en dressait un Procès Verbal en bonne et due forme et la transmission de la propriété recevait ainsi sa consécration définitive. Prenons, entre cent autres, l'exemple d'Arnaud BATAILLEY, nouveau propriétaire achetant une ferme, le 20 Mai 1787, au hameau de MOULAS, où il a:

" rouvert et fermé les portes et fenêtres (des) bâtisses, allumé et éteint du feu (dans les) cheminées, coupé des ceps aux vignes, des branches aux bois taillis et aux pignadas, des bruyères sur les landes . . . et pris des poignées de terre (et) a, le tout, jeté au vent, (il s'est) promené et (est) resté sur lesdits lieux, d'un endroit à l'autre au vu et (au) su de quiconque a voulu s'en apercevoir, sans trouble ni empêchement de personne..."

 Cette pratique ancestrale, venue du fond des âges, et désormais codifiée par la Coutume fait penser au " marquage de territoire" que pratiquent bon nombre d'animaux.

Tout se passe comme si nos Ancêtres, beaucoup plus proches de la nature que nous ne le sommes nous-mêmes, avaient éprouvé le besoin, eux aussi, de " marquer leur territoire ", afin d'affirmer avec vigueur leur prise de possession du sol et des biens fonciers qui y sont attachés; vieux rêve profondément ancré dans les mentalités rurales que cette volonté d'appropriation de la terre que l'on travaille il est vrai, au demeurant, que dans certains cas il pouvait y avoir intérêt à bien définir son territoire...

 Le cas par exemple dans lequel, au sein d'une maison, on achète la moitié d'une pièce dont une autre famille continuera d'occuper 1'autre moitié... Il faudra s'accommoder du fait que la porte sera commune ( et qu'elle devra être ouverte ou fermée... ), que la cheminée sera d'un côté et pas de l'autre, sans parler des innombrables problèmes de cohabitation. La chose nous paraît invraisemblable, et pourtant...

 Le 8 Mai 1778, Pierre DURON dit PINOT, laboureur à BUDOS, demandait à Me PERROY, Notaire à NOAILLAN, de le " mettre en possession réelle " d'une moitié de chambre, padouen et jardin attenant qu'il venait d'acheter:

 " ce que lui ayant accordé, partis de notre domicile à cheval, et parvenus au lieu des MOULIES, dudit BUDOS,(nous) avons mis et introduit ledit DURON. dit PINOT, en ladite possession réelle par libre entrée dans ladite moitié de chambre sans cheminée, y ayant ouvert et fermé la porte, pris, de même qu'au jardin et padouen parcourus, des poignées de terre qu'il a jetées en l'air..."

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Cet acte est dressé " dans la moitié de la chambre " en présence de tous les témoins requis. Souhaitons à Pierre DURON et à ses voisins une paisible cohabitation aux limites de leurs 'territoires " respectifs ainsi définis:

 Il nous faut encore évoquer une autre procédure qui, elle, limite parfois assez sensiblement la liberté des transactions immobilières. Il s'agit du " Retrait Lignager ". Le principe en sera évoqué dans le Chapitre consacré à la Justice; mais nous examinerons ici ses implications familiales et sociales.

 Un propriétaire décide de vendre un bien foncier et trouve un acquéreur, la vente s'effectue. Jusqu'ici, rien que de très classique. Mais voilà qu'un proche parent du vendeur ( ascendant, descendant ou collatéral ) estime que cette vente est préjudiciable à la conservation du patrimoine familial, celui du " lignage ", dans les termes du temps.

Ce parent va être autorisé à tenter une action en justice Pour " retirer " le bien vendu des mains de l'acquéreur et le réintégrer dans son propre patrimoine. C'est le Retrait Lignager. Pour cela, il s'adresse d'abord à l'acquéreur et tente, devant Notaire, une négociation amiable en lui offrant, comptant, le prix qu'il vient de débourser majoré des " loyaux coûts " que nous avons déjà rencontrés et définis à l'occasion du Droit de Prélation exercé par un Seigneur.

Si l'acquéreur accepte la proposition, la revente s'effectue sur le champ. S'il refuse, le " retrayant " l'informe qu'il va intenter une action en justice pour le contraindre à accepter la transaction qu'il propose, et qu'entre temps, la somme offerte restera consignée entre les mains du Notaire. Il se retourne ensuite vers le Tribunal Seigneurial du lieu et dépose solennellement entre les mains de son Greffier une pièce d'or et une pièce d'argent.

C'est le signe qu'il est solvable, que sa démarche n'est pas téméraire et qu'elle mérite considération. Le Droit Coutumier est assez friand de gestes symboliques. Nous venons de voir ceux qui président à la prise de possession réelle d'un bien, nous découvrons ici celui du dépôt des pièces dans le Retrait Lignager, mais il y en a bien d'autres. Ensuite, il assigne l'acquéreur devant le Tribunal et fournit au Juge les motifs qui l'ont inspiré en engageant cette procédure.

Il lui faut développer une argumentation propre à le convaincre que le patrimoine familial se trouve lésé par la vente qui vient de s'accomplir. Si le Juge n'est pas convaincu, il refusera le retrait et le demandeur " retrayant " perdra les pièces déposées. Par contre si les arguments lui paraissent solides il autorisera le retrait. En ce cas, il ne reste plus au demandeur qu'à se retourner vers l'acheteur en lui signifiant l'autorisation du Juge. Il devra lui restituer, comptant, le prix initial de la transaction, toujours majoré des " loyaux coûts ". L'acquéreur doit lui rétrocéder le bien, aucune dérobade n'est possible. 

Cette procédure est utilisé de façon fréquente. Elle est même si bien acceptée de tous que, très souvent, elle aboutit dés sa phase amiable sans avoir recours à la Justice. L'acquéreur préfère en effet se soumettre à la demande plutôt que de se laisser entraîner dans un procès qu'il a toutes les chances de perdre.

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   Il ne résiste vraiment que dans les cas douteux, lorsque le lien de parenté est éloigné ou que les motivations paraissent insuffisantes. Prenons quelques exemples significatifs parmi beaucoup d'autres.

 Ce sera d'abord un neveu qui a appris que son oncle, célibataire sans postérité, vient de vendre vingt règes de vigne le 3 Octobre 1788 pour le prix de 24 Livres. En tant qu'héritier potentiel de son oncle, il estime désastreux de voir cette parcelle quitter le patrimoine familial. Il manifeste alors son intention de:

" retirer le tout des mains dudit (acquéreur) par la voie du retrait lignager... (et) il s'est transporté avec Nous ... Notaire et les ... témoins au domicile (de l') acquéreur auquel il a offert et exhibé réellement et à découvert sur une table ladite somme de vingt quatre Livres en quatre écus d'argent de six Livres chacun, ayant cours, sommant ledit (acquéreur) de les prendre et recevoir et de lui faire la revente des biens (qu'il a achetés)."

 Il promet en outre:

 " de lui payer et rembourser les loyaux coûts justes et légitimes (dès qu'ils seront) liquidés (et) de prendre et assumer sur lui... toutes les charges, pactes, conditions et évènements (relatifs à) ladite vente et de satisfaire (d'une façon générale) à tout ce qui est prescrit par la coutume..."

 A défaut d'acceptation, il consignera les 24 Livres et assignera l'acquéreur devant le Tribunal Seigneurial :

 " pour le faire condamner à la susdite revente ..."

 Autre exemple, différent dans les liens de parenté, mais identique quant au fond. Jean DURON, dit MOUYET, laboureur à BUDOS a un frère Bernard, dit PERPET. Il a appris que ce Bernard, solidairement avec son gendre, Jean DUSIRE, marchand à LEOGEATS a vendu à Jean FONTEBRIDE, dit MIC, laboureur à BALIZAC:

 " tous les biens appartenant audit DURON, dit PERPET, dérivant de son patrimoine (et) situés en ladite Paroisse de BUDOS, consistant en maison, parc à bétail, jardin, padouen, terres labourables, vigne, pré, bois et landes... pour le prix et somme de deux mille trois cent cinquante Livres."

 Jean ne conteste pas à son frère le droit de vendre ce qui lui appartient, mais il lui reproche de l'avoir vendu en cachette à un tiers, alors que lui-même était prêt à acheter ce bien pour le maintenir dans le patrimoine du lignage

 " cette vente ayant été consentie par lesdits DURON et DUSIRE furtivement et au préjudice dudit DURON (dit MOUYET) qui en avait demandé (l'acquisition) et avait la préférence comme leur (plus proche) parent; cette proximité le fonde et oblige pour ne (pas) laisser en mains étrangères ces biens venant de sa souche... d'exercer (une) demande en retrait lignager desdits biens ainsi qu'il a droit suivant la Coutume de BORDEAUX."

 Et Jean FONTEBRIDE s'incline aussitôt en lui revendant à l'amiable les biens familiaux qu'il revendique.

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Les choses sont quelquefois un peu plus complexes. L'action en retrait ne peut s'exercer que pendant le délai d'un an. Mais pendant un an, il peut se passer bien des choses sur une propriété que l'o n vient d'acheter, et la liquidation de la nouvelle situation exige alors quelques accommodements.

Bernard BRUN, le Jeune, le 18 Janvier 1788, a vendu à deux frères, Nicolas et autre Nicolas BEDOURET, un certain nombre de parcelles de terre et d'immeubles pour la somme totale de 583 Livres qui ont été payées comptant. Mais ce Bernard BRUN a une fille, Catherine, et un frère également prénommé Bernard, 1'Ainé , qui n'a pas d'enfant.

On notera au passage l'absence d'imagination de ces deux familles qui, toute deux, ont attribué le même prénom à leurs deux garçons... BRUN, l'Aîné, estime que cette vente lèse gravement les intérêts de Catherine, sa nièce. Il décide donc d'intervenir et de " retraire " ( nous dirions retirer ) ces propriétés des mains étrangères dans lesquelles elles viennent de tomber. Agissant au nom et bénéfice de la petite, il:

 " s'est transporté avec (le) Notaire et (les) témoins dans la maison et domicile desdits BEDOURET, située dans (la) Paroisse de BUDOS, village de PINGOY, auxquels ledit (BRUN, au nom de la petite Catherine) a offert et exhibé réellement et à découvert ladite somme de cinq cent quatre vingt huit Livres payée et déboursée par lesdits BEDOURET et ce, en or, argent et monnaie de FRANCE ayant cours faisant justement ladite somme, comptée nombrée et mesurée sur une table de la chambre de l'appartement, demeure et domicile dedits BEDOURET Frères, qui ont été sommés... (au nom de la petite Catherine)... de prendre et recevoir ladite somme... et lui faire la revente par retrait lignager des biens dont (il) s'agit dans ledit contrat sous les offres qu'il fait... de leur payer et rembourser les intérêts et loyaux coûts, justes et légitimes (dès qu'ils auront été) liquidés (et) de prendre et assumer sur (lui au nom de la petite) les évènements de (cette) vente, et (d'une façon générale) satisfaire à tout ce (à quoi) il est tenu par la Coutume..."

 Les BEDOURET, sachant bien qu'ils n'ont aucune chance de résister en justice devant une pareille demande, acceptent la revente; mais nous sommes pour lors le 27 Janvier 1789; un an s'est écoulé depuis leur achat initial et ils ont déjà travaillé sur ces terres. En particulier, ils les ont déjà engraissées de précieuses fumures. Il faut donc négocier tout cela et c'est ici que l'affaire devient intéressante.

Tout d'abord les BEDOURET facturent à BRUN 30 Livres pour les frais d'acte, de Notaire et d'enregistrement. Mais ils y ajoutent, et c'est justice, les 73 Livres 10 sols qu'ils ont payées au Baron de BUDOS au titre des Lods et Ventes. Ce chiffre mérite que l'on s'y arrête car il représente très exactement 12,5 % du montant principal des 588 Livres.

C'est bien la preuve que le Seigneur, en ces toutes dernières années de l'Ancien Régime, n'avait, dans ce cas précis consenti aucun relâchement sur le taux du " huitain denier " , confirmant du même coup que la perception des Lods et Ventes constituait bien l'un des revenus les plus importants dans la panoplie des droits seigneuriaux plus ou moins bien perçus. Enfin il est encore convenu que:  

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  "pour indemniser... BEDOURET Aîné des fumiers qu'il vient d'employer ... dans quelques (unes) des terres des biens par eux acquis... il retirera pour cela les deux tiers du blé et paille qui proviendra la présente année sur lesdits fonds, et l'autre tiers demeurera pour ledit BRUN . "

  Cette disposition souligne nettement l'importance que l'on attachait aux fumiers, matière précieuse entre toutes parce que toujours trop rare. Les deux tiers de la récolte en compensation du fumier !... même en admettant que BEDOURET ait fourni la semence, ce qui n'est pas dit, mais qui est plus que probable. 

Ceci nous rappelle l'âpreté que les uns et les autre, au cours de l'histoire du Village, mirent à la conquête des bruyères de la lande. Nous retrouvons ici une évidente confirmation de l'importance capitale de ces fournitures dans l'économie locale.

  Enfin comme BEDOURET Jeune a, de son côté, déjà coupé quelques pins qu'il a exploités, partie en bois d'œuvre et partie en bûches, il est convenu que l'on procèdera sur ce point à une estimation à dire d'expert.

  Ces quelques exemples suffisent à illustrer ce que pouvait être la pratique du Retrait Lignager. Mais il faut répéter avec insistance combien elle était fréquente et par conséquent nourrie de toute une jurisprudence. 

La Nouvelle Coutume de BORDEAUX ne consacre pas moins de 33 articles à sa description et à sa mise en oeuvre. Ce retrait répond en fait à l'obsession permanente des famille de protéger leur patrimoine de toute dilapidation, et à la volonté farouchement affirmée de s'approprier la terre que l'on cultive et de ne plus la lâcher.

Après une vente, il pouvait y avoir conflit entre le Droit de Prélation du Seigneur local, cherchant à réintégrer une tenure dans sa directe, et la demande en retrait lignager formulée par un proche parent. En ce cas, la Coutume de PARIS donnait la priorité à l'exercice du droit du Seigneur. Mais la Coutume de BORDEAUX prenait très exactement la position inverse. L'exercice du retrait lignager l'emportait ici sur celui du droit de prélation. En Bordelais, une priorité absolue était donnée à la défense du patrimoine familial.

  Cette dernière observation nous conduit tout naturellement au dernier mode d'acquisition de la propriété foncière, celui qui marque le plus profondément l'avenir du patrimoine, c'est à savoir le testament et l'héritage.

 

ACQUISITION PAR SUCCESSION.

  Nous avons déjà abordé l'étude des testaments dans le Chapitre relatif à la Démographie. Nous y avons décrit les grandes lignes de leurs formes et les circonstances de leur rédaction. Mais nous avions expressément réservé l'examen de leur contenu, l'estimant tout particulièrement lié aux modes de transmission du patrimoine. Le moment est donc venu de reprendre cette étude sous ce nouvel aspect avec un peu plus de détails.

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  On ne peut évidemment envisager d'examiner tous les cas de figure possibles. Il y en a à peu près autant que de testaments.  Mais on peut, à tout le moins, tenter de dégager les quelques grandes lignes autour desquelles s'articule le raisonnement des Pères de famille au moment où ils se posent la question de transmettre leur patrimoine à leurs enfants.

  Précisons tout d'abord que le Droit d'Aînesse systématique n'a pratiquement pas cours dans nos régions. Certes, on rencontre bien quelques cas dans lesquels tel ou tel enfant sera avantagé dans le partage familial, mais ce ne sera pas toujours nécessairement l'aîné. 

Ce sera plutôt celui qui paraîtra être le mieux placé par les circonstances pour conserver et faire valoir le patrimoine. Ce pourra donc très bien être l'aîné, mais aucun des nombreux testaments étudiés ( plusieurs centaines) ne fait expresse référence à un quelconque Droit d'Aînesse.

  Ceci étant dit, la politique patrimoniale des Pères de Famille se résume en quelques idées simples dans leur principe, mais souvent fort complexes dans leur application. Ils s'efforcent de conserver un " noyau patrimonial " assez consistant pour sauvegarder une exploitation agricole viable entre les mains de l'enfant sur lequel repose l'espoir de voir prolonger le lignage. 

Et par ailleurs, ils s'efforcent également de donner aux autres assez de bien pour leur permettre de se lancer dans la vie et d'y courir leur chance. Ces deux impératifs ne sont pas toujours compatibles. En tout état de cause, la Coutume de BORDEAUX interdisait à un Père de Famille de déshériter complètement un enfant. 

Mais à la vérité cette obligation n'était guère contraignante car la part réservataire était pratiquement laissée à la libre appréciation du testateur. Il suffisait à celui-ci de léguer une somme modique à son héritier pour satisfaire à la Coutume. Cette part s'appelait la " légitime ". Cette clause de sauvegarde était donc devenue de pur principe et n'avait pratiquement plus d'effet. On en rencontre néanmoins quelques exemples en situation d'exception.

  Sauvegarder l'essentiel du patrimoine et en donner une part appréciable à chacun des héritiers constituait une véritable gageure. Dans la pratique, seuls les laboureurs disposant d'une solide position foncière pouvaient vraiment espérer concilier les deux démarches. 

Supposons en effet un patrimoine estimé à 6.000 Livres à répartir entre deux enfants. Le Père n'aura pas grand scrupule à partager son bien par parts égales entre chacun car on vit bien sur un fonds de 3.000 Livres. Mais si le patrimoine est de 3 ou 400 Livres ( et ils sont bien plus nombreux dans ce cas là ) on ne pourra procéder au même partage sans mettre les deux enfants en situation bien difficile et compromettre la pérennité du patrimoine lignager. C'est donc ici que l'on rencontre le coeur de la difficulté. On pourrait résumer la situation d'un mot en disant qu'en fait, l'équité était presque un privilège de la fortune.

  Au surplus, la situation se compliquait singulièrement en fonction  de la composition des familles, selon qu'il n'y avait que des garçons, ou que des filles ou, à la fois des filles et des garçons et , dans tous les cas, combien il y en avait de chaque sexe.

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  La famille Budossaise moyenne se composait alors de deux à quatre enfants survivants au moment où s'ouvrait l'héritage des Parents, rarement davantage. La moyenne devait se situer entre deux et trois, correspondant bien à l'excédent de natalité (que nous avons mis en lumière dans le Chapitre relatif à la Démographie.

  Lorsque cette famille comportait à la fois des filles et des garçons, on s'efforçait de désintéresser les filles au moment de leur mariage par la constitution d'une dot. Une dot généralement assez importante au regard des capacités financières de la famille. Il se rencontre bien quelques cas de dot plutôt symboliques mais ils correspondent à des situations d'exception dans lesquelles le mariage envisagé n'avait pas la faveur des Parents.

  En règle générale la dot est assez conséquente pour que la fille ne soit pas trop lésée dans le partage à venir. Cette dot était versée en argent et très rarement en terre. A la vérité, les paiements en terre ne se rencontrent guère que dans les cas où, parvenu à l'échéance du versement, par suite de mauvaise récolte ou par quelque autre avatar, on n'a pas été à même de réunir la somme nécessaire. C'est toujours la mort dans l'âme qu'un Père de Famille cède une part de ses biens fonciers si modeste soit-elle. Il n'en viendra là qu'à toute dernière extrémité.

  On ne peut pas dire que la situation des filles soit très gravement défavorisée par rapport à celle de leurs frères, mais on ne peut pas dire non plus qu'elle soit parfaitement équitable. On ne les oublie pourtant pas, la preuve en est que, dans certains cas, la situation familiale s'étant améliorée postérieurement à la constitution de leur dot, leur Père ne manque pas, dans son testament, de leur léguer un complément que devront leur verser leurs frères après sa mort. 

Par contre, il est bien évident que, tout bien compté, elles ne parviennent pas à obtenir une part équivalente à celle des garçons de la famille.

  Lorsqu'il n'y avait que des filles, l'héritage se partageait généralement par parts égales entre elles, sans grand souci de conserver un " noyau patrimonial ". Tout se passe comme si le Père de Famille, ayant renoncé à assurer la continuité d'un lignage, s'estimait délivré du souci d'assurer un minimum foncier constituant une exploitation agricole viable. Il appartenait à ses gendres de faire vivre ses filles; qu'ils s'estiment donc heureux de recevoir quelque chose, même si c'est trop peu pour assurer un patrimoine autonome. 

N'ayant pas de lignage à assurer, le Père peut alors s'offrir le luxe de l'équité, même si chaque part doit être minuscule.

  Le problème se présentait différemment s'il n'y avait que des garçons. Le Père ne pouvait alors évacuer ses soucis de continuité comme il le faisait volontiers sur ses gendres. Nous avons vu que le problème était relativement mineur, en tous cas bien maîtrisé, si la situation de fortune permettait d'assurer à chacun des garçons une part suffisante pour vivre. Mais , nous l'avons bien vu, le problème devenait beaucoup plus délicat lorsque le patrimoine était insuffisant.

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   C'est en de tel cas que l'on verra se développer des solutions qui, à défaut de parfaite équité, auront au moins le mérite de faire preuve d'imagination.

  Rappelons qu'il ne s'agit ici que de principes généraux qui, dans les situations réelles, souffrent bon nombre d'aménagement et d'exceptions. Aussi vaut-il encore mieux choisir quelques cas concrets en prise directe sur la situation des familles et tenter d'en dégager les quelques idées maîtresses que nous venons d'évoquer. 

Chacun pourra, sur ces témoignages se faire une idée personnelle sur une matière passablement fluctuante au gré des situations particulières et relevant bien souvent de solutions empiriques.

  Nous commencerons ces examens par un cas atypique. Ce choix ne relève absolument pas d'une quelconque recherche de paradoxe, nais simplement du souci de montrer, d'entrée de jeu, une situation remarquablement bien exposée par un Père de Famille porteur de toutes les préoccupations que nous venons d'évoquer. 

Le cas est atypique en ce qu'il concerne une solide fortune foncière dont il existait peu d'exemples à BUDOS et qui dépassait très largement les limites de la Paroisse. De ce fait, nous allons nous situer ici très au delà des normes des patrimoines Budossais moyens, mais les justifications apportées par le Père de Famille sont tout à fait précieuses et constituent un remarquable résumé des préoccupations du temps.

  Nicolas CARROUGE est Docteur en Médecine. Il est veuf depuis quelques années. Il a deux enfants, un garçon, Pierre, et une fille, Marie Scholastique. Il est issu d'une famille bourgeoise aisée qui, par le jeu d'alliances appropriées, a étendu son patrimoine sur toute la région, à BUDOS, BARSAC, ILLATS, LANDIRAS, PUJOLS, mais aussi à ARBANATS et en Entre Deux Mers, à LATRESNE et SALLEBOEUF. 

Incontestablement, Nicolas CARROUGE est un Notable très à l'aise, jouissant d'une très bonne situation matérielle et par conséquent très libre dans ses choix successoraux.

  Le 21 Février 1784, il dicte son testament à Me SEURIN, Notaire à BARSAC. Il ne peut le rédiger lui-même comme il l'aurait souhaité, " à cause de ma faiblesse " dit-il, mais il insiste bien sur le fait qu'il est " en son bon sens et mémoire et exige de signer au bas de chacun des feuillets du texte ( ce qui est inhabituel chez le commun des testateurs) .

  A sa fille Marie Scholastique, il donne sa maison du Bourg d'ILLATS, plus la métairie des MURAILLOTS, à LANDIRAS, avec toutes ses dépendances:

  " y compris le taillis du bois du BAYLE.."

  car il faut du bois pour faire " marcher " une maison; il y ajoute une pièce de lande prélevée sur une vaste parcelle située au BARAIL, parce que:

  " les maisons des MURAILLOTS n'ont pas une rège de lande en propre..."  

(une rège représentait environ 70 m2) . Et de même, autre souci, comme:

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  " les MURAILLOTS n'ont point de prairies et que (le pré) de LAVERGNE qui en dépend (est) un bien mince objet qui ne fournit pas une charretée de foin, je veux et entends que le quart du pré dont je jouis dans la paroisse d'ARBANATS appartienne aussi à ma fille..."

  il y ajoute:

  " la tierce partie (autrement dit le tiers) des prétentions que mes enfants ont sur la terre de LATRESNE."

  Il s'agit ici d'une propriété indivise entre Nicolas CARROUGE et ses frères et soeurs, et dans laquelle Pierre et Marie Scholastique viendront un jour ou l'autre en représentation de leur Père, au moment de la liquidation de l'indivision.

  Nicolas CARROUCE veut également que l'on ramène aux MURAILLOTS le pressoir qu'il avait prélevé pour l'installer dans sa métairie de MOULAS, à BUDOS, ainsi que deux cuves, une de trois tonneaux, l'autre de deux, ainsi que cinq  "douils" qui sont à BUDOS et qu'il estime indispensables à l'exploitation des MURAILLOTS.

  Ce texte est très explicite. Nicolas CARROUGE entend établir sa fille, et l'établir bien. Elle aura sa maison dans le Bourg VILLATS pour y vivre, et la métairie des MURAILLOTS pour en vivre. Mais en bon propriétaire qu'il est, il sait ce qu'est une exploitation agricole. Telle qu'elle était, cette métairie ne pouvait assurer l'indépendance de sa fill, il lui manquait du bois, du fourrage, et du matériel vinicole. 

Il y pourvoit. 

Il faut que Marie Scholastique ait en main une exploitation viable, ce qu'en termes modernes nous appellerions une " unité de production " indépendante, et il la lui donne. 

Ce faisant, il ne lui donne tout de même que le tiers de tous ses biens fonciers, les deux autres tiers allant à Pierre qui, lui, sera dépositaire de l'avenir du patrimoine familial et portera la responsabilité de la survie du lignage. Mais Nicolas CARROUGE ne fait pas une religion de cette règle de partage. Il n'en applique la proportion que là où elle lui parait indispensable à la sauvegarde du patrimoine foncier. 

Il précise en effet que les meubles se partageront par moitié entre le frère et la soeur. Ici, en effet, aucun intérêt vital n'est en jeu quant à l'avenir du lignage, il n'y a donc pas de raison de léser la fille. De même est-il bien précisé que les récoltes et provisions qui se trouveront sur ses propriétés au moment de son décès seront également partagées par moitié. Quant aux objets précieux qui lui appartiennent, il dispose de sa:

  " montre en or... en faveur de (sa) fille pour son bon et agréable service (qu'il) espère qu'elle continuera de (lui) rendre jusqu'à (son) décès, ainsi que (sa) pendule en faveur de son fils; à l'égard de (sa) canne à pommeau d'or et de (sa) tabatière d'écaille couverte d'un vernis vert, une image ovale par dessus, montée sur quatre cercles d'or, ainsi que d'un cinquième autour de la glace, comme ces deux objets sont à peu près d'égale valeur, ils s'arrangeront entre eux à cet égard."

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  Inutile de préciser que dans les testaments des laboureurs Budossais, il n'y avait ni montre, ni pendule, ni canne à pommeau d'or, ni tabatière d'écaille, et c'est en cela, tout comme en son niveau de fortune, que le testament de Nicolas CARROUGE est tout à fait atypique. 

Mais pour tout le reste , quelle éclatante démonstration des intentions d'un Père qui , échappant aux contraintes de la médiocrité, peut se permettre de partager ses biens selon les critères de l'équité du temps. Avantage au garçon responsable de la suite du lignage, mais pas plus qu'il n'est strictement nécessaire au projet familial; et par ailleurs, souci de laisser à la fille une situation économique viable pour assurer son avenir . Nous touchons ici, au regard des idées du temps à la quasi perfection dont un Père peut rêver.

Ajoutons, pour être complet, mais la chose mérite d'être rapportée, qu'avant tout partage, il faudra dégager la somme nécessaire à la liquidation du legs fait par Nicolas CARROUGE à sa servante Elizabeth. Les proches serviteurs apparaissent fréquemment dans les testaments des Bourgeois ruraux, nais ici, le Maître se montre particulièrement généreux

  " Je donne et lègue à Elizabeth DURON, actuellement ma servante, trente Livres par an au-dessus de ses gages à partir du premier jour qu'elle est à mon service (sous réserve) qu'elle me servira sans interruption jusqu'à mon décès, à moins de maladie qui l'obligerait à me quitter, lesdites trente Livres par année payables dans l'année de mon décès."

Trente Livres par an ! C'est probablement doubler son salaire!

Enfin on notera que le texte prévoit que s'il y a quelques dettes au moment du décès, elles se partageront entre la fille et le garçon dans la proportion d'un tiers / deux tiers, mais que le testateur, par ailleurs si précis, n'a pas envisagé un seul instant qu'il puisse se trouver de l'argent liquide en sa maison au moment de son décès. 

On ne conservait pas d'argent, même dans une famille bourgeoise aisée, en tous cas pas plus qu'il n'en fallait pour assurer les besoins immédiats du ménage. Et en cela, il est bien possible que les habitudes urbaines, à la même époque, aient pu être assez sensiblement différentes.  

Venons-en à une situation de famille identique, avec deux enfants, également garçon et fille, mais dans une situation beaucoup plus conforme à la moyenne des patrimoines Budossais. Il n'y avait pas assez de biens, ici, pour fournir une plate-forme aux savants dosages d'un Nicolas CARROUGE. 

Nous sommes dans la famille LARRUE qui était originaire de LAULAN. Le Père, Jean LARRUE était déjà mort et sa succession réglée. La Mère, Jeanne BILLAUT, venait de mourir à son tour, mais sans avoir fait de testament. Les deux enfants, Arnaud qui était resté sur le bien familial à LAULAN, et Catherine, venue s'installer à BUDOS, avaient donc à se partager par moitié la succession de leur Mère. 

Une succession qui pouvait s'élever aux environs de 700 Livres tout au plus. Elle comportait quelques parcelles de terre et les biens dotaux de Jeanne BILLAUT, lesquels consistaient essentiellement en mobilier. Ces enfants allaient ils se partager le lit, le coffre et quelques autres meubles ainsi que ce peu de terre dont Arnaud avait tant besoin pour compléter ce que lui avait laissé son Père à LAULAN ? 

Non, le 14 Janvier 1772, ils vont chercher et trouver une solution plus raisonnable. Catherine aura les meubles et de l'argent, et son frère gardera la terre. Encore ne prend elle que le lit et le coffre car il y avait encore dans :

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  " sa portion quelques autres mauvais meubles qu'elle n'a voulu prendre à cause de leur vétusté et (leur) peu de valeur..."

  et elle recevra en plus 240 Livres que son frère s'engage à lui payer. Cette affaire étant ainsi réglée, Catherine déclare se satisfaire de ce qu'il lui est échu et renonce à tous recours ultérieurs

" par les présentes (dispositions, sous la) foi et serment par elle faits à Dieu.."

  Ici, la bonne volonté des parties en présence était évidente, mais elle ne suffit pas toujours. C'est en particulier le cas lorsque la succession comporte un bien indivisible dont la valeur l'emporte de loin sur tout le reste. C'est souvent une maison. Il y a bien quelques terres ici et là, mais leur valeur totale n'atteint pas celle de la maison de famille. 

On avait alors souvent recours à la licitation; c'est à dire que les deux ou trois héritiers concernés procédaient, devant Notaire à une vente aux enchères réservée aux seuls intéressés ( cette procédure sera examinée dans le Chapitre relatif au Tribunal et à la Justice ). 

C'est ce que vont faire Denis et Marie MOTTES, enfants de Marie ROUMAT. Leur Mère leur avait laissé quelques lopins de terre et une maison située au hameau de COUCHIRE. Les valeurs n'étant pas comparables, ils ne purent prendre l'un les terres et l'autre la maison. Ils décidèrent donc de partager ce qui était partageable et de soumettre la maison à une licitation. C'est ce qu'ils firent le 2 Décembre 1785; il s'agissait:  

" d'une chambre de maison basse, bâtie de pierre, couverte de tuiles creuses, (d')un appentis fait en pierre sèche, un petit jardin, et un petit (jardin) chènevier adjacents, (y) compris les padouens et ayriaux dépendants de ladite chambre, (avec) le droit de puits et de puisage, au lieu dit appelé de COUCHIRE. "

  C'est Marie assistée de son époux ) qui emporta l'enchère en proposant de verser 108 Livres 15 sols à son frère, ce qui situe le prix estimé de la maison à 217 Livres 10 sols. La totalité de l'héritage ne devait donc probablement pas atteindre 400 Livres ( pour fixer les idées, un hectare de vigne à BUDOS valait alors de 1.100 à 1.200 Livres ).

  Ces licitations constituaient souvent la seule issue raisonnable au partage de ces petites propriétés que les Parents n'avaient pas su, ou pas pu répartir entre leurs enfants. Et ceux-ci l'expliquent par fois fort bien, tels Pierre et autre Pierre DURON, frères, tous deux vignerons, qui avaient à se partager l'héritage de leurs Parents, Jean DURON, dit PITOY, et Anne BOIREAU. Le 16 Janvier 1786, ils constatèrent que ces biens:

  " sont si modiques et d'une si petite contenance, de même que les bâtisses, qu'un partage les gênerait extrêmement et diminuerait leur valeur, c'est pourquoi lesdits DURON, Frères, ont pris la voie de la licitation entre eux."

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  Même son de cloche chez les frères LALANDE. La situation est un peu différente, mais l'inspiration reste la même. Au décès de Jean LALANDE leur Père, les deux fils commencèrent par exploiter le patrimoine en commun. Mais vint un temps où ils décidèrent de se séparer. Ils ne parvinrent pas à s'entendre sur le partage. 

Pierre LALANDE, l'Aîné, était resté vigneron à BUDOS, tandis que Joseph, le cadet était allé s'installer à SAUTERNES . Il fallait en sortir. Le 16 Octobre 1771, après en avoir longuement débattu, ils exposèrent à Me PERROY, Notaire à NOAILLAN que :

  " ayant voulu procéder audit partage, il s'est présenté des obstacles (ne permettant pas d') y parvenir commodément et sans procès, pour éviter (cela), les frais étant ruineux, et pour maintenir l'union qu'exige leur proximité, ils ont préféré... entrer en licitation amiable de leurs droits (sur) ladite hérédité pour (céder) l'adjudication du total... en faveur du plus offrant.."

  Finalement ce fut Pierre qui l'emporta en promettant 614 Livres pour sa part à Joseph. Il devait régler 150 Livres comptant, et s'engager à liquider le solde en trois ans, la première année sans intérêts, les deux suivantes avec. Pour une valeur totale de 1.228 Livres ainsi reconnue, et s'agissant d'une exploitation viticole, il y avait effectivement peu de chances pour qu'un partage ait pu laisser à chacun une part suffisante pour vivre. D'où leur décision.

  Le cas est encore différent lorsque la succession est assez conséquente pour fournir deux ou trois parts suffisantes, mais que les Parents n'ont pas pris la précaution de désigner une à une les parcelles qu'ils envisageaient d'attribuer à chacun. L'accord n'est pas toujours facile à réaliser entre les différents intéressés. 

Il faut pourtant bien trouver une solution de partage qui s'impose à tous. Elle peut être demandée à la Justice. C'est une voie lente ( bien des années s'écouleront avant qu'intervienne une décision) et surtout très onéreuse; le plus clair de la succession risque fort d'y passer. Aussi les héritiers préfèrent ils souvent recourir à l'arbitrage.

  Une licitation pourrait certes être envisagée, mais n'oublions pas que nous nous sommes ici placés dans l'hypothèse d'un patrimoine relativement important. De ce fait, le dernier enchérisseur aurait, pour désintéresser les autres, à trouver des sommes assez considérables dont on ne dispose normalement pas en milieu rural dans une famille, même aisée. Pour les trouver, il n' y aurait guère eu d'autre solution que de vendre une partie du patrimoine, ce qui serait évidemment allé tout à l'encontre du but recherché. 

Un arbitrage impartial définissant intelligemment des lots homogènes était donc préférable pour tout le monde. C'était la solution de raison. Certains nous expliquent d'ailleurs fort bien les raisons de ce choix. Ainsi le 7 Mars 1785, Jacques CADILLON, habitant de BUDOS, et son frère, autre Jacques, qui, lui, était parti se marier à PUJOLS;

  "... ont dit que désirant se donner réciproquement des preuves de l'union et de l'intimité qui doit régner entre eux, empêcher les discussions qui pourraient s'élever au sujet du partage et liquidation des hérédités de feux Bertrand CADILLON et Marguerite TAUZIN, leurs Père et Mère communs, et surtout éviter des procès toujours pénibles et dispendieux, ils ont convenu pour leur tranquillité de faire régler à 1'amiable par la voie d'arbitre, plus convenable à tous égards, les prétentions que chacun d'eux peut réclamer et doit avoir dans lesdites successions... "

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  La répartition du patrimoine tient compte également de l'éclatement des familles. Il y a ceux qui sont restés, et ceux qui sont partis en quittant la Paroisse. Ces derniers ont généralement trouvé d'autres établissements, soit dans une autre famille, où ils sont gendres ou " nores " soit dans l'exercice d'un métier. 

De ce fait, ils sont moins intéressés par les propriétés foncières Budossaises. Ainsi par exemple, à l'ouverture de la succession d'Arnaud BEDOURET et de Catherine MASSE, le 27 Juin 1783, on trouve trois fils dont Bernard, l'Aîné, est resté vigneron à BUDOS tandis que Jean est installé tonnelier à CERONS, et qu' un autre Bernard, le plus jeune, est bouvier à " BIGANOS près LA TESTE ".

  C'est en de tels cas que l'on voit fleurir des solutions astucieuses qui sauvent la situation, du moins pour la première génération. Ainsi par exemple, Raymond LACASSAGNE et Izabeau BEDOURET qui avaient eu deux enfants, une fille Suzanne et un garçon, Pierre surnommé LAROC. Suzanne était allé se marier à POMPEJAC avec un laboureur local dénommé Antoine DESTOUT. 

Ils étaient bien loin, et des terres à BUDOS ne les intéressaient guère. Mais Pierre n'avait pas l'argent nécessaire pour désintéresser sa sœur, du moins pas tout de suite. Il aurait fallu qu'il dispose de pas mal de temps pour épargner la somme utile; de beaucoup de temps même, sans parler des intérêts qui n'auraient pas manqué de courir.

  C'est alors que tous deux mirent au point un arrangement de famille. Pierre, demeuré à BUDOS conserverait la totalité de la propriété foncière et l'exploiterait, à son compte pour sa part, et à titre de fermier de sa soeur pour la part qui devait lui revenir. Le bail est conclu le 26 Novembre 1767 pour une durée de neuf ans éventuellement renouvelable, moyennant une redevance annuelle de 12 Livres. On imagine aisément qu'à ce prix  là l'exploitation ne devait pas être bien importante et devait avoir du mal à nourrir une famille, même sur les deux parts maintenues réunies. 

De tels exemples sont assez significatifs des conditions de vie de ces petits propriétaires ruraux. Faute de pouvoir régler certains problèmes au fond parce qu'ils n'en avaient pas les moyens, ils s'efforçaient toujours de trouver des solutions de survie. C'est vrai dans les liquidations de succession, mais c'est également vrai en bien d'autres circonstances de leur vie.

  Lorsqu'un propriétaire n'avait pas de descendant, il rédigeait généralement un testament en faveur de ses frères et sœurs. Mais dans ces cas là, la porte était ouverte à de nombreux " mouvements d'humeur " . On réalise bien que le testateur ne se sentait plus tenu par la nécessité d'assurer une continuité du patrimoine sur le lignage, à moins qu'il ne l'assure parfois sur la tête d'un neveu favorisé. La plupart du temps, il donnait libre cours à ses sympathies, et aussi, à ses antipathies.

  Pierre LATAPY, marchand à BUDOS, et propriétaire viticulteur de surcroît, rédigea son testament le 2 Juillet 1771 devant Me BOLLEE; il était pour lors :

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" indisposé de sa personne et retenu dans son lit "

  mais i1 savait ce qu'i1 voulait et allait bien le montrer. Il laissait tout d'abord au Curé une somme de trente Livres pour dire à son intention les Messes basses de Requiem qu'il lui avait demandées et cinquante Livres à la Fabrique de l'Eglise pour son entretien; puis il donnait:

  "à Jeanne HAURIEDE, actuellement servante dans sa maison, indépendamment des gages qui devront lui être dus, la somme de trente Livres, et ce, pour la récompenser des peines et soins qu'elle se donne pour lui..."

  Puis il prévoyait 1000 Livres en argent pour Jeanne, sa soeur germaine, épouse LASSERRE à NOAILLAN et, pour une autre Jeanne, également sa soeur germaine, épouse PIBERANS à PORTETS, six douzaines de barriques neuves:

  " de celles qu'il a actuellement dan son cellier"

  à charge pour elle de les emporter dans sa maison. Ces deux legs ne sont pas  du tout à la même mesure car les barriques, à l'époque sont à un prix relativement bas. Il en est de fort communes, nais aussi d'autres, renforcées, en vue d'exportations maritimes et faites dans les meilleurs bois ( par exemple de chêne importé de PRUSSE Orientale. Les plus belles atteignaient 7 Livres 10 sols la pièce. La qualité des barriques léguées n'est pas précisée, mais en aucun cas leur valeur ne pouvait atteindre 1.000 Livres; en très gros, le legs fait à sa seconde soeur pouvait s'inscrire entre 200 et 400 livres environ.

Il y a donc ici une première distorsion, mais il y en a d'autres, beaucoup plus importantes. Pierre LATAPY avait un demi frère issu d'un autre lit. Il n'entretenait plus aucunes relations avec lui et ne savait même plus ( du moins le disait­ il ) s'il vivait  encore. Mais la Coutume était formelle, il ne pouvait l'exclure de la succession. Aussi va-t-il lui faire un legs, et quel legs ! Il donne à:

  " Bernard LATAPY son frère consanguin demeurant à BAZAS ou à ses représentants au cas qu'il fût décédé, cinq sols..."

  Il faudra qu'il s'en contente, mais la Coutume sera sauve. Enfin, pour tout le reste de ses biens, il instituait pour héritiers universels, Nicolas et Arnaud, ses deux derniers frères, issus du même lit que lui qui se partageront le solde de son patrimoine "par égale portion". Il désignait Nicolas comme exécuteur testamentaire car, pour lors, ARNAUD était  " aux Isles ", à SAINT DOMINGUE.

Nous avons vu que, lorsqu'il n'y avait que des filles, les Pères de Famille étaient plutôt enclins à l'équité en procédant à un partage par parts égales. Il se trouvait pourtant des cas dans lesquels un tel partage n'était pas possible, en particulier lorsque l'un des éléments du patrimoine était indivisible, cas dans lesquels la licitation constituait généralement l'issue la plus raisonnable.

  Mais certains Pères de Famille prenaient parfois les devants et renonçaient à la règle d'équité pour favoriser la fille et le gendre qui lui paraissaient les mieux placés pour assurer la succession, même s'il n'était plus ici question de lignage. Ainsi fit Jean BEZIN dans son testament du 27 Juillet 1778.

  Il était " fouleur de cordillas " et descendait de toute une lignée de foulons. Le " cordillas " était une grosse étoffe de laine, un peu semblable à la bure et qui était obtenue par feutrage autrement dit par " foulage ".   

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 Ce drap se fabriquait à BUDOS au Moulin du BATAN qui était dit " Moulin à étoffe " depuis des temps immémoriaux. Cette tradition s'est d'ailleurs perpétuée jusqu'au milieu du XIXème siècle. Ce Moulin appartenait pour partie à notre Jean BEZIN.

Celui-ci avait été marié trois fois. Il avait eu une fille, Elizabeth, de sa première femme, Marie ROUDY; puis une autre fille, encore une autre Elizabeth, de sa seconde femme Catherine SOUBES; enfin il n'avait pas eu d'enfant de la troisième, Marie BELLOC qui devait lui survivre.

 Le voilà donc avec deux héritières et quelques biens à partager dont sa part du Moulin du BATAN. Or la propriété de ce Moulin n'était pas chose simple. Elle était tout à fait typique de ces situations d'indivision dans lesquelles nos Ancêtres semblaient se complaire.

Outre la part de Jean BEZIN, une autre part du BATAN appartenait à un certain Jean LAFARGUE, également foulon, mais à TOULENNE, et enfin une autre partie à Bernard PENICAUD, Procureur d'Offices au Tribunal de BUDOS.

 Or, une occasion allait se présenter de mettre un peu d'ordre dans tout cela. En simplifiant beaucoup, car l'affaire est très complexe, Jean LAFARGUE, qui n'avait pas d'enfant, allait racheter sa part à Bernard PENICAUD et la réunir à sa propre part pour en faire don à son neveu, autre Jean LAFARGUE, qui était également son filleul, lequel allait, de surcroît ... épouser Elizabeth, la fille aînée de Jean BEZIN.

Il ne restait donc plus à ce dernier qu'à léguer sa part à la même Elizabeth pour que la propriété pleine et entière du Moulin du BATAN soit reconstituée entre les mains du jeune couple. C'est bien ce qu'il fit, et c'est un bel exemple de politique patrimoniale bien conduite, mais conduite, il faut le souligner, au détriment des intérêts de la seconde fille.

 La succession était évaluée à 3.640 Livres avec, toutefois, 2.177 Livres 7 sols de dettes. Des dettes dans lesquelles on trouve entre autres, et pour la petite histoire, 12 Livres 15 sols qui sont encore dues à l'Eglise de BUDOS pour les frais d'obsèques de la première femme du testateur, décédée il y avait presque vingt ans... Il restait donc à partager 1.462 Livres 13 sols au sein desquelles la part du moulin représentait 830 Livres.

On aurait pu penser que le partage se fit en donnant cette part à l'aînée et le solde à la cadette. Eh bien pas du tout. Le Moulin est attribué à l'aînée " hors part ", et le solde, soit 632 Livres 13 sols sera, seul , partagé entre les deux sœurs, la cadette devant se contenter de 316 Livres. C'est peu, et la situation est d'autant plus injuste que l'aînée récupèrera en plus 1.500 Livres ( somme considérable ) lui venant de la dot de sa Mère, Marie ROUDY, alors que Catherine SOUBES, mère de la seconde parait bien ne pas avoir eu de dot et n'a donc rien pu transmettre à sa fille. 

Inutile de dire qu'en de telles circonstances, il s'élève souvent des contestations, même dans des cas où les choses paraissent simples et bien établies. Le mauvais vouloir de certains héritiers confine parfois à l'escroquerie pure et simple.

Ainsi en va-t-il de la succession de Pierre BRANEYRE, dit LA FIGURE et de Jeanne DOUENCE sa femme. Ils avaient eu deux filles toutes deux prénommées Elizabeth. L'une s'était mariée avec Jean SAUDOUA, lequel était venu s'installer gendre chez les BRANEYRE, tandis que l'autre, mariée à Guiraud TACHON, était " partie nore " dans sa Belle Famille.

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   Lorsque les Parents vinrent à disparaître, la famille SAUBOUA demeura en leur maison , continuant à exploiter le bien , comme si de rien n'était. Mais en fait, la situation n'était évidemment plus la même. En l'absence de testament, Elizabeth, épouse TACHON , avait incontestablement droit à la moitié du patrimoine laissé par ses Parents.

A maintes reprises, elle demanda à sa sœur de procéder à ce partage, toujours en vain. Les années passèrent, jusqu'au moment où les SAUBOUA se mirent à couper des bois et à vendre des pins. C'est le fait nouveau qui détermina les TACHON à intervenir de façon plus radicale à l'encontre des usurpateurs:

" cette dureté de leur part, contraire aux lois naturelles et (au) Droit, forçant les (TACHON), nonobstant les liens du sang, à saisir les voies de rigueur pour soumettre lesdits SAUBOUA et BRANEYRE, conjoints, à la raison. "

 Nous sommes alors le 20 Septembre 1769, et c'est le début d'une très longue affaire qui n'offrait pourtant, à l'origine, et de toute évidence, aucune prise à la moindre contestation. Seule, la mauvaise foi de l'une des parties était en cause. Parfois la contestation est littéralement concertée à l'intérieur de clans familiaux qui se dressent contre d'autres.

Les SAINT BLANCARD constituaient une famille de laboureurs aisés, l'une des plus fortunées de la Paroisse. Nicolas, et Jeanne LATAPY, sa femme, avaient eu quatre enfants, un garçon, Pierre, et trois filles : Anne, Jeanne et Simone, toutes trois respectivement mariées à BUDOS ( en de " solides alliances") avec Arnaud BATAILLEY, LACASSAGNE et MOURA.

 Selon une pratique que nous avons évoquée ci-dessus, Nicolas SAINT BLANCARD avait estimé, dans son testament que ses filles, à son décès, devraient recevoir un " complément " prélevé sur sa succession et venant s'ajouter à la dot qu'elles avaient déjà reçue au moment de leur mariage. Pierre, le Fils, était chargé de le régler à ses sœurs. Après bien des tractations dans le détail desquelles nous nous garderons de pénétrer, car elles sont fort complexes, un accord familial avait fini par être conclu le 8 Juin 1775. Anne et Jeanne devaient recevoir chacune 717 Livres 10 sols et Simone ( pour d'autres raisons) 1.445 Livres 4 sols.

Pierre réalise alors les sommes nécessaires et, le 6 Décembre de la même année, accompagné de Me BAYLE, Notaire à PUJOLS, chargé de bien des kilogrammes de pièces d'or et d'argent, entreprend la tournée de ses Beaux Frères. Il commence par les BATAILLEY au quartier des MAROTS. Il y rencontre bien Arnaud, le mari de sa sœur, nais aussi le vieux BATAILLEY, son Beau Père, qui régente tout. Anne, la principale  intéressée, ne participe pas à l'entretien; c'est bien pourtant de son argent qu'il s'agit ... Qu'importe, c'est une affaire d'hommes et qui se traite entre hommes...

Pierre étale sur la table 28 Louis d'or de 12 Livres chacun, 66 Ecus de 6 Livres, un Ecu de 3 Livres et 10 pièces de un sol formant, le tout, 735 Livres 10 sols ( car des intérêts avaient couru dans l'intervalle). Proposition refusée pour " insuffisance ".

 Chez les LACASSAIGNE et les M0URA, au fil de la même journée, il va reconduire le même scénario et essuyer les mêmes refus pour la même raison. Dans les trois cas, il ramassera son argent et le consignera entre les nains d'Arnaud LATAPY, Bourgeois de BUDOS:

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  " qui l'a pris et s'en est chargé et rendu dépositaire volontaire..."

 Les trois Beaux Frères pourront en prendre possession quand ils le voudront, sous la seule condition d'en donner bonne quittance, mais il est bien entendu, et c'est ce qu'il leur signifie par acte notarié, qu'à compter de ce jour, il ne leur versera plus un sol d'intérêt. Ici, la collusion entre les trois Beaux Frères ne pouvait guère faire de doute.

 Enfin, et pour en terminer sur une note un peu plus optimiste, évoquons le partage réglé au quartier de PINGOY, le 9 Avril 1761 entre Pierre et Arnaud BEDOURET au décès de leurs Parents. Il s'agit d'un patrimoine lui aussi considérable, du moins à l'échelle du Village; il est évalué à 8.000 Livres. Ils se le partagent par moitié et en bonne intelligence. 

Ainsi, ils conviennent que la cuve neuve qui se trouve dans un chai tombant dans le lot d'Arnaud y restera, mais qu'ils utiliseront les douelles et le fond préparés pour une autre cuve et la feront faire à frais communs pour que Pierre ait aussi sa cuve. Toutes leurs dispositions sont empreintes de la même sagesse.

Mais l'intérêt majeur de leur partage réside dans l'énumération détaillée de leurs biens, parcelle par parcelle. Il s'agit là d'un document qui, à BUDOS, est assez rare et qui permet de mesurer, une fois encore, l'extrême morcellement de la propriété foncière.

 Sans entrer dans tous les détails qu'ils nous fournissent, retenons par exemple que le Lot du cadet comporte 26 parcelles de vignes, près et landes; tout comme chez son frère; la vigne y domine, du moins en nombre, avec 12 parcelles dont la plus grande n'excède pas ( après conversion ), 19 ares 03 et la plus petite 4 ares 30 !

Même si, à part les labours, toutes les façons s'effectuaient à la main en dehors de toute mécanisation, on peut aisément imaginer les pertes de temps et d'efficacité que pouvait entraîner une telle dispersion. Sans nous en rapporter de preuves formelles, les textes nous laissent souvent supposer que nos Ancêtres se déplaçaient beaucoup au hasard de leurs travaux. On peut éventuellement interpréter cet usage comme une sorte d'interruption dans la continuité de leur rude effort physique.

Leurs temps de parcours d'une parcelle à une autre serait alors une sorte de respiration une détente dans leur travail. Il serait hasardeux de l'affirmer, mais on ne peut toutefois en écarter l'idée.

 Les quelques cas concrets que nous venons d'évoquer, choisis parmi tant d'autres, illustrent bien les grands principes régissant la transmission des patrimoines et l'empirisme qui présidait à leur mise en oeuvre.

De tous les m o d e s de transfert de la propriété, la transmission par succession est, à coup sûr celui qui touche de plus près à la vie intime des familles et celui qui pose aussi les paris les plus réfléchis sur les conditions futures de l'exploitation des fonds.

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 LA GESTION DE LA PROPRIETE

 

La gestion des propriétés rurales Budossaises s'effectuait selon trois modalités différentes: 

 le faire valoir direct,

 le métayage,

 le fermage

 Nous allons examiner successivement chacune de ces trois formes d'exploitation.

 

 LE FAIRE VALOIR DIRECT

 

Le faire valoir direct est la forme d'exploitation dominante à BUDOS.

 Le Baron y a recours pour une part notable de son domaine, ainsi que les Bourgeois Bordelais ou locaux. Les uns et les autres ont bien, ici et là, quelques métairies constituées en unité d'exploitation autonomes, mais ils paraissent très attachés à conserver les meilleurs fonds en exploitation directe.

 A la fin du XVIIIème siècle, l'agriculture est à la mode dans la bonne société et les notables Bordelais se piquent de leurs intérêts ruraux. Ils ne se bornent d'ailleurs pas à en encaisser les revenus car ils s'intéressent réellement à la conduite des domaines dont la gestion quotidienne est confiée à des hommes d'affaires qualifiés, généralement recrutés sur place, et auxquels ils donnent leurs directives et leurs orientations générales.

 Le Baron s'inscrivait parfaitement dans ce profil de Notable mi-citadin, mi-rural. Pendant très longtemps, il avait utilisé les services de Benoît ROUSSEAU qui était " Marchand et Agent d'affaires " sans que la nature de son commerce soit précisée. Il vivait au quartier de FONBANE, tout à côté du Château.

Dans les dernières années de l'Ancien Régime, Jean DUGOUA lui succéda et conserva ce poste jusqu'à la Révolution, alors même que le Baron avait déjà émigré, ce qui lui valut d'ailleurs quelques ennuis. Seule, la dispersion des biens seigneuriaux comme Biens Nationaux mit un terme à ses fonctions.

 Mr Gérard AUBIN, dans sa remarquable étude sur " LA SEIGNEURIE EN BORDELAIS AU XVIIIème SIECLE ", brosse un excellent portrait de ces Hommes d'Affaires seigneuriaux ( cf. page 248).

 Le Régisseur devait être:

 " un homme averti des choses de la campagne... très au fait de la culture et de l'ensemencement des terres, ainsi que de la manière de bien faire cultiver et planter les vignes et de bien faire les vins."

 Il devait aussi:

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  " connaître à fond les matières féodales...(et être) très en état de tenir des archives... Ses qualités morales (devaient) être irréprochables (et) sa fidélité aux intérêts de son maître sans défaut."

 Cette description s'applique parfaitement aux deux hommes que s'était successivement attachés le Baron. Il leur a toujours marqué une grande confiance et n'a pas hésité à leur confier par procuration, en différentes circonstances où il était absent, des responsabilités tout à fait considérables sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir.

On perçoit très bien que, dans le Village, devenir l'Homme d'Affaires du Baron constituait une véritable promotion sociale qui n'allait pas sans soulever parfois certaines jalousies.

Monsieur MIRAN qui était Bourgeois de BORDEAUX, Avocat au Parlement et Juge de la Prévôté Royale de BARSAC, avait, lui aussi, son intendant à BUDOS. Les propriétaires successifs du Château de PINGUET ont eu également les leurs.

Contrairement à la plupart des autres grandes propriétés, ce Château a souvent changé de mains au fil du XVIIIème siècle, passant tour à tour des COSSAGERES du JUNCA aux DARMAJAN, puis aux LAMALETIE, mais sans que la continuité de l'exploitation en soit affectée.

 Par contre, d'autres grands propriétaires ( jamais très grands au demeurant à BUDOS ) semblent bien avoir géré leurs fonds sans intermédiaire. Si, à la différence des laboureurs locaux, ils ne mettaient pas eux-mêmes la main à la charrue, ils n'en vivaient pas moins sur place et pouvaient ainsi diriger leurs propres affaires.

 Enfin, et surtout, le faire valoir direct était également le mode d'exploitation de la quasi totalité des laboureurs et vignerons Budossais car très rares étaient ceux qui avaient recours au métayage, et encore moins au fermage. Parmi eux, on pourrait éventuellement distinguer trois niveaux:

 - le niveau de ceux qui travaillaient de leurs mains une minuscule propriété insuffisante à leur survie et qui pratiquaient, en complément, une activité artisanale, ou le travail de journalier pour le compte d'autrui.

 - le niveau de ceux qui détenaient un bien suffisant pour vivre et qui, dans leur famille, trouvaient la main d'œuvre nécessaire, ( enfants, gendres, etc…) sans faire appel à des concours extérieurs,

et le niveau enfin de quelques propriétaires importants, travaillant de leurs mains avec leurs proches, mais contraints de recourir soit à des journaliers de complément au moment des grands travaux, soit à des valets agricoles permanents.

 Ces trois niveaux d'exploitation se rencontraient à BUDOS.

 Quant aux journaliers et aux valets, leur condition était plutôt difficile.

 Les premiers avaient souvent, nous l'avons dit, une activité leur permettant de vivre tant bien que mal et plutôt mal que bien. Mais leur salaire n'avait guère évolué au fil du siècle, et l'érosion monétaire leur avait été très défavorable.

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   Une journée de travail agricole, avec nourriture était payée de 10 à 12 sols, en été, rarement davantage, sinon en fin de période, et de 8 à 10 sols, l'hiver, saison au cours de laquelle les journées étaient beaucoup plus courtes. La journée des femmes ne dépassait guère 5 à 6 sols. C'était réellement bien peu...

 Les valets permanents étaient à peu près logés à la même enseigne. Encore fallait-il qu'ils fussent payés !... En général, ils finissaient par l'être, mais avec bien des retards et de longues attentes. Puisqu'ils étaient nourris et logés, leurs Maîtres estimaient qu'ils n'avaient     pas besoin d'argent et c'est ainsi que leur compte courait...

 Jean LAFITAN était valet chez Nicolas SAINT BLANCARD (que nous avons déjà rencontré à l'occasion d'une affaire de succession ). A l'origine, il avait déjà commencé à travailler à la journée au prix de 6 sols l'une, et il avait ainsi fourni 80 journées pour 24 Livres qu'on lui avait payées.

Mais ensuite, il était devenu valet à temps plein au prix de 20 Ecus par an, soit donc 60 Livres annuelles. Et là, au décès de son Maître, cinq ans plus tard , en 1777, on ne lui avait encore rien payé des 300 Livres qu'on lui devait... ! Il n'a pour autant rien perdu.

Le Fils SAINT BLANCARD a réglé la dette sur la succession de son Père sans l'ombre d'une hésitation. Mais tout de même... Les choses ne se terminaient d'ailleurs pas toujours aussi bien.

Bernard CANTILLAC et Bernard DUPIN étaient allés s'engager comme valets chez Me LOUSTEAU, Curé de BARSAC. Il était convenu qu'ils percevraient chacun 54 Livres par an, nourris et logés. Mais seize mois plus tard, le Curé ne leur avait encore rien versé, pas même un acompte, et ne manifestait aucun empressement à répondre à leurs demandes réitérées. Le 19 Mars 1784, ils le quittèrent et le firent saisir, ce qui faisait vraiment désordre...

 Les mauvais payeurs sont connus et il leur est parfois difficile de trouver de la main d'œuvre, laquelle, à la veille de la Révolution, commence à se faire plus rare dans les campagnes, surtout dans la vallée de la GARONNE. Les salaires ne paraissent pas pour autant avoir très sensiblement augmenté ce qui ne laisse pas d'être anormal. Le phénomène mériterait une étude plus détaillée.

 Quoi qu'il en soit, Raymond COUTURES, Bourgeois de BUDOS, ne jouit pas d'une trop bonne réputation d'employeur. Le 21 mai 1786, il avait rencontré Pierre PEROY, dit SANSON, marchand, chez " BERNADET " au Bourg de BUDOS, et lui avait demandé d'être son prixfaiteur et de lui trouver:

 " du monde pour faire donner la première façon (de l'année) à son bien de BUDOS"

 Pierre PERROY connaît son homme et ne montre guère d'enthousiasme. L'affaire ne se fait pas. Mais le lendemain, les deux hommes se retrouvent. PERROY estime que son commerce lui prend tout son temps; il ne veut pas s'engager dans cette opération et ne tient pas du tout à être le prixfaiteur de COUTURES. Mais celui-ci insiste, on le sent pressé d'aboutir.

 Il offre:

 " de luy donner vingt deux sols de la journée d'homme ou manœuvre (non nourris) qu'ils trouveroit et s'il les avait à moins, ce serait l'indemnité de sa peine et de ses soins."  

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Vingt deux sols font deux sols de plus que le prix normal d'une journée de travail non nourrie au printemps, et par ailleurs COUTURES abandonne l'idée du forfait. Dans ces conditions, PERROY surmonte ses réticences et finit par accepter le marché. Le voilà qui se met à battre le Village à la recherche de main d'œuvre en sous traitance.

Il recrute ainsi " le fils du NIN " au quartier des MAR\OTS qui fournit 15 journées, JEAMMET dit LAC0STE qui en fait 4, d'autres encore, pour un total de 59 journées et demie représentant 65 Livres 9 sols. Or, COUTURES n'avait avancé que 60 Livres à Pierre PERROY. Le solde ne vient pas... PERROY arrête les Frais et cesse de fournir sa main d'œuvre. 

 COUTURES n'hésite pas un instant, sans complexe, il lui adresse une sommation notariée le 11 Juillet, l'invitant à poursuivre ses prestations. Est-il besoin de dire que PERROY n'apprécie pas le procédé. Il explose et porte sur son partenaire un jugement peu amène:

 " il faut qu'il y ait toujours quelque chose qui l'anime et l'agite..."

 écrit-il. En tous cas, il se refusera désormais à toute fourniture car il:

 " n'est ni son valet ni son prixfaiteur, n'ayant cherché des manœuvres que pour lui faire plaisir parce qu'il n'en trouvait pas lui-même, crainte de n'être pas payés."

 Et puisque COUTURES a si malencontreusement réagi, PERROY ne manquera pas de lui rappeler par la même occasion, qu'outre les 5 Livres 9 sols restant dues sur cette opération, il lui doit également 3 paquets de cercles de barriques à 3 Livres pièce, plus 12 Livres pour un boisseau de:

 " blé d'Espagne qu'il lui vendit et livra aux vendanges dernières..."

 sans parler

 " aussi de cinq sols qu'il luy prêta dans sa vigne, en travaillant, pour s'acheter du tabac…"

 Le 14 Juillet 1786, PERROY faisait dresser de tout cela un acte en bonne et due forme par le Notaire de PUJOLS, et le faisait signifier le soir même à COUTURES par le ministère de Jean BED0URET, Bayle du Tribunal de BUDOS. Un beau litige en perspective...

 Le faire valoir direct s'applique également à l'exploitation de la Lande Commune. Chacun va y travailler pour son propre compte, mais là, les problèmes sont d'un autre ordre. Mous les avons déjà évoqués, mais il nous faut y revenir un peu plus en détail.

Le bien étant commun, chacun va y prélever, par son travail, ce qui lui est nécessaire et selon ses besoins; mais les choses ne sont pas si simples. La rareté de la bruyère suscite bien des convoitises et les fraudes sont nombreuses. A plusieurs reprises, la Paroisse a dû se réunir en Assemblée Capitulaire pour tenter de maîtriser les exploitations abusives. La réitération de ces Assemblées prouve bien, s'il en était besoin, que le problème était permanent.

 D'aucuns coupaient plus de bruyères qu'ils n'en avaient besoin et la revendaient subrepticement à l'extérieur de la Paroisse.

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  Comme il n'y avait d'autre police que le regard que chacun pouvait porter sur le bien commun, ces abus étaient fréquents. Aussi, dans une Assemblée Capitulaire tenue le 6 Février 1780, sur la place de l'église de BUDOS, les habitants réunis décidèrent-ils de confier la surveillance de l'exploitation de la Lande à six Syndics choisis parmi eux, à qui ils donnaient tous pouvoirs de poursuites judiciaires en leur nom, â l'encontre des contrevenants. Et pour rendre cette décision plus solennelle, ils la firent enregistrer par le Parlement de BORDEAUX. Il leur fallut pour cela plus de trois ans de démarches ... Mais leur texte fut, en définitive, homologué par la Cour le 17 Septembre 1783.

 Il faut croire que les fraudeurs ne se laissèrent guère impressionner car les abus se poursuivirent. C'est pourquoi nous retrouvons les Budossais réunis dans une nouvelle Assemblée Capitulaire, toujours sur la place du Village, à la sortie des Vêpres du Dimanche 19 Février 1786. Ils constatent d'abord que:

" ils ne peuvent . . . pas arrêter le cours de différents abus qui se perpétuent de plus en plus et qui semblent prendre un plus grand degré de force chez certaines personnes qui sont plus hardies et plus entreprenantes que bien d'autres. Ces abus consistent, entre autres choses, dans un coupement immense de bruyères sur ledit communal et l'exportation de (celle-ci) et des fumiers en provenant hors de l'enceinte de ladite Paroisse de BUDOS…"

 Les fraudeurs ont mis au point un système assez astucieux. Ils embauchent en secret à titre de journaliers et en les payant au-delà des salaires normaux, des Budossais qui ont un droit d'accès incontestable aux produits de la Lande , mais qui ont peu de besoins en bruyère, voire pas de besoin du tout. Ces ouvriers procèdent à des coupes comme s'ils agissaient pour leur propre compte et en cèdent le produit à leur commettant qui à son tour en fait commerce à l'extérieur de la Paroisse. C'est ce qu'explique l'Assemblée Capitulaire:

 " il y a plusieurs personnes qui, usant de ruse (font) couper à prix d'argent une grande quantité de ladite bruyère; qu'ils emploient pour cela le plus souvent beaucoup de monde, de ceux desdits communiers qui sont le moins fonciers (entendons par là ceux qui ont le moins de terre), qui n'ont besoin pour eux que très peu de bruyère et qui se prêtent d'autant plus volontiers à la supercherie qu'ils trouvent une ample récompense dans un salaire plus fort que leur paye celui qui profite de ladite bruyère; en sorte que par l'effet d'une pareille manoeuvre, les... Syndics sont souvent trompés et la Communauté, par conséquent, (lésée)..."

 Les Syndics proposent alors à l'Assemblée un Règlement d'Exploitation dans le détail duquel nous n'entrerons pas, mais qui définit les droits et devoirs de chacun. Ils proposent également d'en confier la sanction au Juge du Tribunal de Budos sous contrainte d'une amende de 50 Livres pour chaque contravention relevée

 " et de plus grande en cas de récidive".

 Le faire valoir direct d'une propriété collective n'a jamais été chose simple sous quelque cieux qu'on l'ait tenté, l'exploitation de la grande Lande de BUDOS en porte un nouveau témoignage.

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Venons en maintenant aux autres formes de gestion de la propriété foncière, et tout d'abord au métayage.

 

LE METAYAGE

 

Les métairies n'étaient pas très nombreuses à BUDOS. Aucun document ne permet d'en déterminer le nombre exact. S'il fallait absolument fixer les idées, on pourrait peut-être avancer le chiffre d'une quinzaine dont le tiers environ appartenait au Baron, et les autres à des Notables, souvent Bordelais tel Mr NIRAN à LA HONTIQUE, Mr CONILH au LIOL, ou d'autres encore, non résidants, telle la métairie du CRABIAU que nous allons retrouver ci-après.

Très rares sont les métairies appartenant à des laboureurs Budossais. Si rares, qu'à la vérité on n'en identifie qu'une seule avec certitude, à JAMART, achetée par Arnaud BATAILLEY dans des conditions que nous rapporterons en leur temps. Il se peut qu'il y en ait eu quelques autres qui n'auraient pas laissé de traces, mais au total, un chiffre compris entre quinze et vingt tout au plus devrait correspondre à la réalité.

 Les contrats de métayage sont suffisamment détaillés pour donner une idée précise des droits et obligations de chacun. Une bonne métairie devait disposer d'un peu de chaque nature de sol vignes, terres, près, landes, afin de pouvoir se suffire à elle-même et d'assurer la vie du métayer et de sa famille. On notera toutefois qu'à BUDOS, les cultures en " joualles " étant largement dominantes, il sera assez rares de les voir doter de terres exclusivement destinées au labour.

 Le partage des récoltes avec le propriétaire s'établissait, selon les produits, sur la base de la moitié ou du tiers.

 Le 18 Novembre 1765, Jean DUTRENIT, dit GENDRON, tonnelier à LANDIRAS, concède à François LAPORTE, vigneron à BUDOS, la métairie de CRABIAU:

 " consistant en vignes, terres labourables entre deux, près et landes aux conditions suivantes:  savoir, les vignes (et) chènevier, à moitié, et les terres labourables au tiers de tous grains que... LAPORTE sera tenu de bailler chaque année audit DUTRENIT dans leur saison..."

 Dans certains contrats, il est parfois prévu un partage des glands qui se faisait généralement par moitié. La proportion du tiers des grains pour le propriétaire est, elle aussi, générale. On découvre cependant parfois des conditions particulières de partage lorsqu'il convient de résoudre certains problèmes. Ainsi verra t on par exemple le propriétaire renoncer à sa part (le filasse de chanvre, ou même de vin:

 " en considération de ce que (le métayer) promet (d') arracher tout le chiendent ... et autres mauvaises herbes qui se trouveront dans lesdits biens, nuisibles à la production des fruits."

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Les contrats prévoient également les redevances " évaluées en volailles et produits de basse-cour. Le métayer devra par exemple remettre au propriétaire:

 "six paires de poulets et quatre douzaines d'oeufs"

ou bien trois paires de chapons et:

 " le présent ordinaire du cochon..."

 qui consiste en un morceau noble de l'animal   généralement du filet et qui est offert par le métayer au propriétaire le jour où il tue son porc. Ce métayer, par ailleurs:

 " promet et sera tenu de bien soigner, régir et gouverner lesdits biens en bon ménager et père de famille, tailler les vignes et les bêcher de trois façons de bêche, les labourer des façons ordinaires, semer les autres terres labourables, le tout en bon temps et saison, échalader les vignes des échalas nécessaires à frais communs..."

 Le contrat règle également toutes les questions relatives aux fourrages et aux animaux:

" ayant été convenu entre lesdites parties que le foin, la paille, javelle et fumier resteront (dans la métairie) lorsque... LAPORTE (la) quittera et délaissera... au surplus, (elle dispose aussi d') une paire de bœufs pour la somme de 196 Livres, quarante quatre têtes de brebis appréciées entre les parties (à) la somme de 150 Livres, (de plus) une jument pour quarante cinq Livres, faisant (le tout la somme) de trois cent nonante et une Livres, le tout à moitié perte et profit pendant le... temps à la fin duquel... DUTRENIT pourra prendre et retirer lesdits bœufs, brebis et jument, son capital, et partager le profit s'il y en a, au dire et estimation d'experts si les parties ne peuvent (s'accorder) entre elles... ; et (LAPORTE) ne pourra transporter (ailleurs) vendre ni aliéner lesdits bœufs, brebis (et) jument sans le congé et licence dudit DUTREINIT; si lesdits bœufs, brebis et jument se perdent et (se) gâtent ou meurent par cas fortuit de Dieu, la perte sera par moitié, et s'ils se perdent, gâtent ou meurent par la faute dudit LAPORTE, il sera tenu de payer le tout audit DUTRENIT avec les dommages et intérêts (qu'en) raison de sa faute... (il) devra supporter..."

Les contrats comportent également des dispositions fiscales. En général, les Dimes du Curé se prélèvent au moment de la récolte et avant tout partage; l'impôt royal de la Taille se répartit par moitié entre les deux parties.

Il arrive enfin assez souvent, et c'est le cas dans le contrat du CRABIAU, que le propriétaire fasse au métayer une avance en argent liquide ( ici, 68 Livres) pour lui permettre de démarrer son exploitation dans de bonnes conditions. Cette avance ne portait généralement pas d'intérêt et devait être restituée au moment de la liquidation finale des comptes.

 Un peu en marge des contrats classiques de métayage, on rencontre ce que les contemporains appelaient des " baux à faisande ". Il n'était plus ici question de concéder une exploitation complète, mais seulement une ou plusieurs parcelles vouées à une culture déterminée (généralement la vigne) dont les fruits se partageront entre le propriétaire et le " faisandier " . 

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Prenons pour exemple la convention passée le 13 Octobre 1771 entre le Sieur Jean Baptiste ARME, Juge de la Juridiction de ROQUETAILLADE, habitant au Bourg de NOAILLAN, et Arnaud MASSE, vigneron à BUDOS.

 Jean Baptiste ARME:

 " baille par ces présentes (conventions) à titre de faisande, pour le temps et espace de neuf années consécutives... à Arnaud MASSE, vigneron, habitant la Paroisse de BUDOS, présent et acceptant, savoir, à moitié, toutes les vignes appartenant (au) Sieur ARME dans les biens ( dont il jouit… au lieu et environs du village de PERON, Paroisse de BUDOS... pendant lesquelles neuf années (MASSE) s'oblige (à) soigner lesdites vignes en Père de Famille, les tailler, y faire les provins nécessaires, (les pourvoir d'échalas avec les bois) que ledit Sieur ARME lui fournira (et) qu'il sera tenu (de) couper aux endroits que ledit Sieur bailleur lui indiquera, épamprer, ramer, fouir de trois façons en temps requis et convenable et (plus) généralement tous les travaux accoutumés (ainsi que) le labourage , (en outre) les vendanges (se feront) à ses frais, de même que le vin dont il sera tenu (de) remettre la moitié... (et pour le) loger ledit Sieur ARME sera tenu de fournir les fûts (après avoir été) averti préalablement... du jour (où) le vin devra être fait et écoulé..."

 est encore convenu que les impositions royales se partageront par moitié et pour

 " mieux engager ledit MASSE à cultiver lesdites vignes, le Sieur ARME lui permet d'ensemencer annuellement en blé le vide des joualles (en) y mettant du (fumier) suivant l'usage et (de garder) pour lui le fruit des semences auquel ledit Sieur ARME renonce (formellement)."

 Enfin MASSE:

"sera en outre tenu (de) remettre chaque année au (Sieur ARME) la moitié du sarment que lesdites vignes produiront."

 Ces baux peuvent porter ( et portent d'ailleurs souvent) sur de toutes petites parcelles. Il n'est pas rare d'en trouver des cas dans lesquels les parties estiment attendre, dans les meilleures conditions, des récoltes de deux ou trois barriques annuelles.

 Une autre forme de bail spécialisé, proche du métayage, est celui de la gazaille , également dénommée " Bail à Cheptel".

Un propriétaire d'animaux les met en pension chez une personne qui, désormais, les nourrira et soignera à ses frais, les produits du troupeau étant partagés par moitié. Ainsi, le 13 Avril 1771, Me BAYLE Notaire à PUJOLS, confie-t-il à Jean DAMBONS, dit l'ESCLOUPEY, laboureur à BUDOS:

 "quatre têtes de vaches dont l'une (de) poil blanchâtre, et les autres trois rouges, dont deux pleines, l'une de l'âge de quinze ans, l'autre de sept, l'autre de trois et l'autre de un an.."

 Il les lui baille:

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" à titre de cheptel ou de gazaille... pour le temps qui lui plaira, à moitié perte et moitié profits suivant l'usage, sans que ledit DAMBONS puisse vendre ni échanger lesdites vaches ni leurs (produits) sans le gré et consentement dudit Sieur BAYLE...  et le profit de ladite gazaille ou cheptel sera partagé par moitié; et si par cas il arrive que lesdites vaches ou leurs (produits) viennent à périr ou prendre mal par la faute dudit DAML0NS ou des siens , il sera tenu en cela de supporter en entier ladite perte, et si au contraire elles périssaient ou prenaient mal par cas fortuit et imprévu... la perte serait partagée et supportée par moitié..."

 Ces contrats donnent souvent lieu à des liquidations difficiles. Les profits sont assez aisés à définir. Les pertes beaucoup moins. Les animaux prennent de l'âge et, cinq ou dix ans plus tard , n'ont plus la même valeur qu'au premier jour du bail. Il faut souvent faire appel à des experts pour trancher ce genre de débat qui s'alimente parfois, il faut bien le dire, de considérations tout à fait subjectives...

 Qu'il s'agisse de métayage au sens propre du terme, ou de baux spécialisés, tous ces contrats ont pour dénominateur commun le partage des fruits du bien concédé. Le bailleur et le preneur sont solidaires dans les résultats de l'exploitation. Nous avons déjà vu combien cette formule était différente de celle du fermage que nous allons aborder maintenant.

 

 LE FERMAGE.

 

En cette fin du XVIIIème siècle, le fermage constitue à BUDOS une forme d'exploitation particulièrement rare, beaucoup plus rare que celle du métayage.

On afferme volontiers un moulin, ou l'exploitation d'une carrière, ou toute autre activité de caractère industriel, mais beaucoup plus rarement une propriété foncière.

Si l'on excepte le cas bien particulier dans lequel nous avons vu Pierre LACASSAGNE devenir le fermier de sa sœur Suzanne pour sa part d'héritage, nous ne trouverons guère dans la proche région que deux autres cas de fermage sur les trente années d'observation : celui de FOND de BAQUEY, à LEOGEATS, mais tout proche de BUDOS, et celui de MARGARIDE.

Il se peut qu'il s'en soit trouvé quelques autres, nais la rareté des documents tend bien tout de même à prouver qu'ils n'ont pas été très nombreux.

 Encore faut-il préciser que, dans les deux cas recensés, les situations familiales se sont révélées déterminantes dans le choix de cette forme d'exploitation.

 Le propriétaire de FOND de BAQUEY, Pierre Antoine CAZALET, était un Notaire en retraite déjà très âgé. Il attendait manifestement de son bien un revenu fixe sans plus se donner le souci d'en surveiller l'exploitation.

De même à BUDOS pour MARGARIDE, dont la propriétaire était Marie LACASSAGNE, Veuve de Sieur Vincent COUTURES ancien Greffier du Tribunal de BUDOS. Elle aussi attendait de sa terre un revenu lui permettant de vivre, mais ne se sentait pas qualifiée pour intervenir dans la gestion de la propriété.

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   Elle dit elle-même n'avoir pour ambition que de se retirer dans " une chambre " de la ferme ( qu'elle se réserve expressément ) avec son jeune fils, et de pouvoir y vivre, modestement, avec les 150 Livres annuelles de son fermage. Son attitude aurait certainement été très différente si elle n'avait perdu, un an auparavant son fils aîné Joseph, à l'âge de vingt ans. Désormais, elle jouait donc la carte de la retraite et de la sécurité, mais avec, évidemment le souci de conserver l'exploitation agricole en bon état pour assurer l'avenir de son jeune fils. 

Elle passe contrat le 11 novembre 1774, tant en son nom qu'au nom de l'enfant dont elle est tutrice, avec Jean VIMES, Meunier du Moulin de BUDOS. Ce contrat est intéressant, non seulement parce qu'il est assez typique de ce que pouvait être un contrat de fermage, mais aussi parce qu'il fournit une véritable " photographie instantanée " de ce que pouvait être la ferme de MARGARIDE à ce moment-là.

 Ainsi les bailleurs, Mère et Fils ont-ils:

 " donné... à titre de ferme et (à) prix d'argent pour le temps... de neuf années les cueillettes ou récoltes... à Jean VIIIES, meunier, habitant dudit BUDOS, ici présent et acceptant (à) savoir (de) toute la maison, ayriaux et padouens, jardin chènevier, appelés de MARGARIDE, Paroisse de BUDOS, appartenant auxdits COUTURES, bailleurs, consistant en deux chambres basses et deux hautes, dont une chambre basse sert de chai et de cuvier, parc à boeufs; se réservant néanmoins lesdits bailleurs... la chambre basse qui est au levant avec la cave qui est au dessous de ladite chambre, et la moitié du jardin du côté nord, et en outre deux cents de buches de pin et (un) demi cent de sarment que ledit VIMES s'oblige (à) leur donner chaque année. Avec ladite maison sont compris les vaisseaux vinaires, (les) boeufs et (la) charrette et outils aratoires ci après (énumérés), avec les vignes (et) les terres labourables entre deux (rangs) qui sont au devant et au derrière (de) ladite, maison..."

 S'y ajoutent un pré, un taillis, une lande, un autre taillis, plus:

 " les rastes (c'est à dire les haies) qui sont autour du bien de MARGARIDE..."

 Ainsi que:

 " les meubles et les effets de ladite ferme consistant, premièrement en une paire de bœufs estimés la somme de cent quatre vingt Livres, une charrette ferrée et une autre petite basse...estimées soixante Livres les deux, en outre, le joug et jouilles, cheville de fer à chaque joug... avec deux paires de ferrures, deux araires, l'une neuve et l'autre usée, un calet (petite charrue) demi-usé; les vaisseaux vinaires consistant en (un) pressoir avec son assortiment nécessaire, trappes, deux pelles, une cuve (d')environ trois tonneaux qui est actuellement défaite (et) démontée avec cinq cercles demi usés, trois petits douils, six fûts de vielles barriques, une baste, deux bastots, un seau, une fourche de fer, deux râteaux, un trident (dont VIMES, le preneur, aura la jouissance)."  

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  A charge pour lui de cultiver et entretenir les vignes:

 " de toutes les façons nécessaires et accoutumées dans la Paroisse de BUDOS."

 Il devra aussi:

 " diminuer autant qu'il se pourra le chiendent... au point qu'il ne croisse pas au moins davantage, n'y en ayant pas encore beaucoup; fumer et échalasser ladite terre (qui est) en vigne, (et) recouvrir et entretenir la charpente desdites chambres et maison par moitié entre les (deux) parties à quoi (il faut) ajouter... soixante quintaux de foin et huit quintaux de paille (également) compris dans ladite ferme et qui sont sur le grenier de ladite maison..(dans lequel) ledit VIMES, la dernière année (du fermage)... sera tenu... d'en laisser autant ou de payer sa juste valeur au choix des bailleurs. Le présent bail à ferme (est) ainsi fait... moyennant le prix... de cent cinquante Livres pour chacune desdites neuf années, payables quartier par quartier (c'est à dire par trimestre) et d'avance."

 Tout y est. C'est une ferme en état d'exploitation; avec pourtant quelques sujets d'étonnement . Il n ' y a qu'une " baste " et deux " bastots " au cuvier. Dans quoi pouvait-on donc ramasser le raisin au moment de la vendange ? On peut évidemment supposer que chaque vendangeur apportait son panier et c'est tout à fait probable car d'autres inventaires de chais révèlent la même carence. Mais comment acheminer les raisins coupés jusqu au pressoir alors qu'il n'y a qu'une " baste "  ?  A moins que les trois petits " douils " ne soient affectés à cet usage. C'est bien possible.

 On notera encore qu'à la différence de bon nombre d'autres fermes Budossaises, il n'y a ici ni vaches laitières, ni moutons. Certes, l'élevage n'a jamais été une activité dominante à BUDOS, Mais la plupart des maisons disposait tout de même de quelques têtes de bétail, ne serait-ce que pour obtenir les précieux fumiers si convoités des vignerons.

 On pourra également observer qu'en ce mois de Novembre où l'acte est passé, il n'y a, dans la maison, aucune réserve de vin ou de grain issue de la dernière récolte. C'est probablement parce que Marie LACASSAGNE n'avait aucune raison d'inclure dans la ferme des provisions qui lui appartenaient en propre et sur lesquelles elle allait vivre au cours des mois suivants.

Cette Veuve devait connaître par la suite bien des difficultés dans l'exécution de ce contrat. Elle croyait avoir choisi la voie de la sécurité, et en cela, elle s'était bien trompée. Nous n'entrerons pas dans les démêlés qu'elle connut avec son fermier sinon, à titre de curiosité, pour prendre connaissance de ses doléances exprimées dans une langue chargée de préciosité et assez typique du " beau langage " des derniers temps de l'Ancien Régime .

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  Qu'il suffise donc de savoir que, fin 1777, VIMES, son fermier, s'avisa de vouloir réformer unilatéralement le contrat dont ils avaient convenu; à son avantage bien sûr. C'est ce qu'il signifia à Marie LACASSAIGNE par acte notarié. Mais celle-ci  ne l'entendit pas du tout de cette oreille . Elle " daigna " faire une réponse à cette sommation le 13 Janvier 1778, non point qu'elle y fût obligée, dit-elle, mais simplement pour:

 " en déclarer et assurer 1'abus et inuti1ité . Elle pourrait dire mille choses sur la nouveauté (stupéfiante) d'un pareil acte qui, au moyen de discours fabuleux (entendons par là dignes d'une fable) q u'i1 contient, le dit VIMES s'est imaginé de résilier de son propre mouvement et (de sa propre) autorité un contrat de ferme entre eux passé, et de dire à ce sujet les rhapsodies les plus (primaires)… autour de trois années de jouissance des biens... affermés; en vérité, il fait beau entendre ce fermier au milieu de sa ferme... après qu'il a eu dévasté et laissé dépérir le bien..."

 Voilà qui est bien envoyé, et tout le reste de sa réponse est de la même veine ... En bref, et s'adressant à VIMES, son fermier,

 " elle rejette ses ridicules et fabuleuses propositions pour s'en tenir à leur contrat de ferme qui doit (recevoir) son exécution..."

 Finalement, ce contrat sera bel et bien résilié le mois suivant moyennant quelques compensations versées par VIMES. Nous nous en tiendrons là car ceci serait l'amorce d'une nouvelle anecdote qui nous entraînerait bien loin de notre propos.

 Faire valoir direct, métayage et fermage, nous avons fait le tour des modes d'exploitation de la propriété foncière, une propriété très largement répartie entre de très nombreuses mains, chacun rêvant de l'indépendance que pouvait lui apporter la possession de la terre, et de la promotion attachée au développement d'un patrimoine. 

Il nous reste à tenter d'apprécier la valeur, de ce sol tant convoité et à essayer de nous faire une idée sur les chances que les uns et les autre pouvaient avoir de se l'approprier en fonction de leur travail et de leurs revenus.

 

LA VALEUR DE LA TERRE

 

Il est assez difficile de se faire une idée précise de la valeur de la terre à BUDOS en cette fin du XVIIIème siècle.

 Toute tentative d'appréciation met en effet en jeu plusieurs paramètres dont certains sont quasiment subjectifs.

 Tout d'abord, rares sont les contrats dont le texte permet une détermination vraiment précise de la superficie en jeu. Sur plusieurs milliers de ventes de terre répertoriées et analysées sur une période de trente ans, nous n'en avons trouvé que 37, permettant une évaluation indiscutable de la surface considérée.

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   C'est évidemment très peu. Un aussi maigre échantillon rend, dès l'abord, très fragile tout calcul de moyenne de prix. Et pourtant, nous allons voir qu'il ne faut pas renoncer trop vite à cette tentative.

 Ensuite, les prix des parcelles sont estimés dans des conditions parfois aléatoires. Une estimation à dire d'expert, chacune des parties désignant le sien, a de bonnes chances d'être sérieuse. Mais que dire d'une vente faite, par exemple, en compensation d'une dette ? Les parties en présence ne se sont elles pas davantage attachées à " faire cadrer " approximativement la valeur déclarée du bien avec le montant de la somme due plutôt qu'avec sa valeur intrinsèque ? On peut souvent se poser la question.

 Enfin sous la même désignation de " vigne " ou de " pré" , ou encore de " friche " peuvent se rencontrer des terrains de valeurs très différentes. Il y avait à BUDOS, et il y a toujours, de bonnes vignes, bien situées, et de moins bonnes aussi... Et c'est ici qu'interviennent des interprétations subjectives fondées sur des critères qui, à l'époque, n'étaient pas nécessairement les mêmes que les nôtres aujourd'hui.

 La détermination d'un prix à l'hectare (après conversion des surfaces) comporte donc déjà pas mal d'incertitudes. Mais, en admettant même que l'on parvienne à définir une approche acceptable, que signifie en fait un prix de 200 ou de 1.000 Livres.

 Que représentaient de telles sommes au regard du pouvoir d'achat du temps ? C'est encore un autre problème. Seules des comparaisons de valeurs relatives peuvent en fournir une idée approchée.

 Il nous faut donc reprendre ces différents points, autant que faire se peut, et par nature de sol.

 Tout d'abord la vigne, qui constitue la valeur la mieux cotée, et de très loin, par rapport à tous les autres terrains. Nous disposons à son sujet de neuf observations précises qui font l'objet du Tableau ci-dessous:  

Années: Lieux-dit: Contenance: Prix à l'ha: Observations:
1764 CAUSSON 56 a 32 1.172  
1768 AU POUMEY 25 a 19 1.191  
1778 LA PEYROUSE 6 a 35 1.134 Vigne plénière
1781 AU BOURG 9 a 87  973  
1783 CAZEAUX 10 a 02 1.157  
1783 CAZEAUX 13 a 60  1.838 Téméré
1786 AU FOUIT 3 a 60  1.361  
1788 A MOUYET 13 a 95 1.792  
1789 AU PLANTON 14 a 70 1.146  

Il convient de préciser que toutes ces parcelles, à l'exception d'une seule sont plantées " en joualles ", laissant entre chaque rang un large espace dévolu à d'autres cultures, essentiellement le seigle et le millet. Une seule, dite  " plénière" peut se comparer aux modes de plantation modernes.

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  Ce qui frappe, dès l'abord, et une fois encore, c'est la modicité des superficies concernées. Les Notaires eux-mêmes ne s'y trompent pas et désignent assez souvent ces parcelles sous le non (le " lopin "). C'est bien le mot que l'on est tenté d'employer.

  Ensuite, si l'on écarte les cas extrêmes de 973 Livres et de 1.838 Livres, on peut constater une relative homogénéité des prix à l'hectare. On peut les situer, en gros, entre 1.100 et 1.300 Livres.

 Or, il semble bien que l'on puisse éliminer ces extrêmes. Au premier cas, la parcelle est minuscule ( 987 m2 ) et le prix est de 96 Livres. Et comme il s'attachait un intérêt fiscal à ce que le prix fût inférieur à 100 Livres, il est bien possible que, d'entente entre les deux parties, il ait été minoré de quelques Livres afin de ne pas excéder, devant le Notaire, la limite de la tranche fiscale. 

Au surplus, il n'y avait en ce cas aucun risque de voir le Seigneur user de son droit de prélation car une telle parcelle ne pouvait intéresser que l'un des propriétaires déjà mitoyens aux fins d'un remembrement, et c'était bien l'objet de la transaction. Quant au second cas, la parcelle est cédée en amortissement d'une dette de même montant, et la vente est conclue sous condition d'un pacte de réméré d'un an. C'est donc une situation bien particulière et tout à fait en marge des transactions normales.

Il n'est donc pas déraisonnable de retenir pour le prix de la vigne la fourchette approximative de 1.100 à 1.300 Livres l'hectare que nous avons proposée.

  Pour la Lande, nous disposons de huit données que nous résumerons dans le Tableau ci-dessous :

Années: Lieux-dit: Contenance: Prix à l'ha: Observations:
1760 AU LANOT 32 a 90 176  
1764 TOUNINE 1 ha 60 a 57 128  
1764 COUILLET 40 a 71  147 Avec pins
1775 A L'ABEILLEY 1 ha 42 a 77 133  
1782 PAULIN 74 a 44 188  
1786 SAINT PIERRE 43 a 57 137  
1787 LA GRAVE 22 a 87 157  
1790 PAULIN 66 a 60 180  

Il s'agit ici de Lande nue destinée au pacage et à la production de bruyères. Il y pousse bien parfois quelques pins très clairsemés, ce qui est d'ailleurs quelquefois précisé, mais en aucun cas ces parcelles ne sont destinées à la production du bois. Les contenances sont diverses et l'on voit apparaître quelques parcelles un peu plus importantes que la moyenne, encore que l'on en trouve aussi de bien modestes ( 2.287 m2 pour une pièce de Lande..). Quant au prix, il s'inscrit dans la fourchette de 128 à 188 Livres l'hectare.

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Pour l'affiner davantage, il faudrait disposer de la connaissance des sols et en particulier de leur aptitude à fournir de la bruyère. Faute de ces renseignements, nous nous en tiendrons à cette définition.

  Les parcelles destinées à la production forestière sont désignées sous le nom de " pignadas ." Nous ne disposons que de deux observations les concernant . L'une porte sur 2 ha 00 a 50 ca au GRAOUICIOT en 1775 au prix de 274 Livres l'hectare pour le terrain nu, car les pins viennent d'être coupés. Et l'autre sur 87 a 40 ca au GAHET, en 1786, au prix de 556 Livres l'hectare, mais l'acte décompose ce prix en 206 Livres pour le sol et 350 pour les pins. Le prix de la Lande à vocation forestière, ramené au terrain nu est ici respectivement de 274 et 206 Livres l'hectare. Ces deux observations sont relativement cohérentes entre elles.

  Pour les parcelles peuplées de taillis, nous disposons de trois contrats. Le premier porte sur une parcelle minuscule de 5 a 06 ca au SOUBA en 1764, pour un prix de 395 Livres l'hectare; le second sur une parcelle de 46 a. 05 ca, également au SOUBA, en 1769, pour 228 Livres l'hectare, mais il est précisé qu'une partie du terrain seulement est en taillis, l'autre étant en friche nue; le troisième enfin sur une parcelle bien modeste de 27 a. 90 ca au FOUIT en 1790 pour un prix de 419 Livres avec une indication répartissant ce prix entre 194 Livres pour le bois et 225 Livres pour le sol. On peut donc, en première approximation, situer la valeur de cette catégorie de terre aux environs de 225 Livres l'hectare.

  Beaucoup plus difficile est l'appréciation du prix des prairies pour lesquelles nous disposons de six observations éventaillées de 134 à 3.225 Livres l'hectare... ! Il est vrai que cette dernière parcelle ne mesure que... 93 m2… et que sa possession arrange bien l'acquéreur pour aménager un pré contigu qui lui appartient déjà à PAULIN. Le prix de 30 Livres fixé pour ce lopin risque donc de ne pas signifier grand chose quand on le rapporte à l'hectare. Il en va de même des prix les plus bas car il est précisé qu'il s'agit de " pacages ". Il doit y avoir une différence de qualité notable entre un simple pacage situé Au JOCUA, et une riche prairie bien arrosée au BATAN. Il est donc difficile ici d'établir une valeur moyenne sans tomber dans l'arbitraire. S'il fallait absolument fixer les idées on pourrait avancer prudemment que le prix de l'hectare en bonne prairie pouvait se situer entre 700 et 1.000 Livres.

  Quant aux friches, qui constituent la dernière catégorie de nature des sols recensée, nous disposons de huit observations, mais très difficiles à interpréter car, outre la qualité de la terre, il faudrait aussi pouvoir comparer l'état du sol au moment de la vente. Comment mettre en balance une parcelle située Au BROUSTEY de CAZEAUX avec une autre à FONBANE  et une autre que l'on nous dit être nue et pleine de chiendent avec une vigne abandonnée mais peut-être récupérable ? Ici, les critères d'appréciation sont trop divers et trop imprécis pour que l'on puisse réellement se faire une opinion sérieuse. Il nous faudra donc y renoncer.

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Au résumé de tout ceci, nous arrêterons donc nos évaluations aux prix suivants:    

VIGNE 1.100 a 1.300 Livres à l'hectare
LANDE 130 a 190 Livres à l'hectare
PIGNADA 200 a 300 Livres à l'hectare
TAILLIS 200 a 250 Livres à l'hectare
PRAIRIES 700 a 1.000 Livres à l'hectare

  Or, d'après les testaments que nous avons dépouillés, le seuil d'autonomie d'une petite exploitation Budossaise, en faire valoir direct, doit se situer aux environs de 1.500 Livres. Au dessous, il faut trouver un complément d'activité. Au dessus, on vit de mieux en mieux et jusqu'au franchissement du second seuil, celui du recours à une main d'oeuvre permanente extérieure à la famille.

  Dans le cas général, ces 1.500 Livres sont très approximativement réparties, en ordre de grandeur, entre un demi hectare de vigne en joualles, un hectare de Lande, un hectare de taillis et un demi hectare de prairie, le tout étant censé pourvoir aux besoins les plus immédiats de la famille pour le vin ( destiné à la vente ) , les grains ( destinés à la consommation ), la bruyère, le bois et le fourrage. Ce montant est tout à fait cohérent avec les estimations que nous avons avancées.

  Même en tenant compte du fait qu'il s'agit d'un seuil de survie, on reste frappé par la modicité de ces moyens. Encore faut-il évidemment ajouter la nécessité d'une maison, d'un cheptel et d'outils agricoles.

  La maison classique, siège de ce type d'exploitation, comporte une pièce unique : la " chambre ", en pierre, couverte de tuiles creuses, prolongée par un appentis formant hangar, complétée d'un parc à bestiaux de construction souvent rustique, et d'un petit jardin dont une part, toujours, en chènevier. S'y ajoutent un droit d'ayrial et de puisage sur les parties communes du hameau. Telle quelle, son prix se situe entre 200 et 300 Livres.

  Le cheptel pose, d'entrée de jeu , un problème de fond. On a ou on n'a pas, sa paire de boeufs et sa charette. Si on les a on est réellement indépendant, mais il en coûte de 200 à 400 Livres selon l'âge et la vigueur des boeufs et l'état de la charrette. Si on ne les a pas, on est perpétuellement tributaire des autres, et à bon prix ... pour tous les transports et pour les " façons lourdes ", tout spécialement pour les labours. Certes, l'indépendance était souhaitable et oh ! combien souhaitée par le petit laboureur, encore fallait-il avoir les moyens de l'obtenir. Quant aux autres animaux, un petit troupeau de trois ou quatre vaches s'évaluait de 70 à 90 Livres, les moutons, entre 3 et 5 Livres pièce, et le tout à l'avenant.

  Pour les outils agricoles, il fallait distinguer les outils à main qui étaient simples et peu onéreux bêche, sarcle, serpette, etc..) qu'un contrat de mariage évalue à 15 Livres pour un jeune vigneron, et par ailleurs les engins lourds, en particulier les charrues, les vaisseaux vinaires, et surtout le pressoir.

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 En principe, il y a au moins une charrue dans chaque maison, également une cuve et quelques barriques, mais le pressoir constitue un investissement lourd et sa possession marque déjà un certain niveau de prospérité économique. Nombre de petits vignerons ont recours au pressoir d'un voisin plus fortuné qu'ils rémunèrent en journées de travail au fil des saisons.

  Au résultat de ce décompte, on s'aperçoit que pour atteindre le seuil de survie, en faire valoir direct, même en se reconnaissant dépendant des autres pour les boeus et le pressoir, il fallait bien réunir un patrimoine total ( terre, maison, cheptel et outils ) de 1.800 à 2.000 Livres au minimum. Beaucoup n'atteignaient pas ce seuil et devaient recourir aux activités de complément.

  Ces chiffres doivent être rapprochés des salaires des ouvriers agricoles éventuellement candidats à l'accès à la propriété. A raison de 10 sols par jour en moyenne, nourri et logé, et en supposant qu'il ne dépense strictement rien de ses gains, il aurait donc fallu de 12 à 13 ans de travail à temps plein pour qu'un journalier puisse réunir une telle somme. Ces conditions purement théoriques n'étant jamais réunies, il aurait évidemment fallu bien plus de temps encore.

  En fait, l'ouvrier agricole s'efforçait, au prix d'une épargne féroce, de réunir en une dizaine d'années le prix d'un demi hectare de vigne. Cette démarche le conduisait au seuil de la trentaine, en âge de mariage. S'il avait la chance de rencontrer la fille d'un petit vigneron, même chichement dotée, il pouvait aller s'installer gendre dans sa nouvelle famille, bien vu du Beau Père voyant venir chez lui une paire de bras solides et une parcelle de vigne supplémentaire. La cohabitation réglait la question de la maison et du matériel agricole. Un peu d'activité artisanale en morte saison pouvait aussi améliorer la situation  (cardage de la laine, fabrication de sabots, sciage, etc…)

  Beaucoup ont rêvé de l'aventure, certains l'ont conduite à bon terme, peu nombreux certes, mais suffisamment tout de même pour montrer aux autres que le succès n'était pas radicalement impossible et que la chance méritait d'être tentée.

  Et c'est ainsi que, depuis le fond des âges, et jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, nous voyons chaque génération consacrer le meilleur de ses forces à l'appropriation de la terre qu'elle cultive, avec d'incontestables succès, souvent modestes, mais néanmoins bien réels.

  Mais aussi avec beaucoup d'échecs et de retours en arrière vers la condition prolétarienne du fait de partages successifs, de mariages " maladroits " de mauvaises récoltes, de maladie ou encore de procès ruineux.

  La possession de la terre, à BUDOS comme ailleurs, a toujours fasciné nos Ancêtres ruraux.

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