L'air du temps.... 

Chapitre 3

Les cultures, les récoltes, le climat.

 


 

Les cultures et les récoltes:  
  La vigne et le vin  122
  Généralités  122
  Plantation et culture de la vigne  125
  Les vendanges 132
  La vinification, les outils, le travail 134
  Le marché du vin, son organisation 137
Les céréales, les autres cultures vivrières, l'élevage:
  Les céréales 142
  Les autres cultures vivrières 146
  Tentatives d'innovations 147
  L'élevage 148
La laine et le chanvre:  
  La laine 152
  Le chanvre 154
Le bois:  159
  Le bois de chauffage 160
  Les bois d'œuvre 161
  Les fournitures pour la vigne et les bois spéciaux 162
Les bonnes et les  mauvaises récoltes la météorologie, les phénomènes naturels:
  Les caprices de la nature, fragilité des équilibres 163
  Le grand hiver de 1766 166
  Le grand ouragan de Notre-Dame de septembre 1768 168
  L'ayguat dous rameous du 7 avril 1770 ( la crue des rameaux ) 171
  La famine de 1772 / 1773 et les émeutes frumentaires 174
  Le chaud et le froid : du soleil à la pluie 177
  A la veille de la révolution, dernières années, derniers avatars 181

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Les cultures, les récoltes le climat:

De quoi pouvait-on donc parler à BUDOS, au quotidien, en ces dernières années de l'Ancien Régime sinon des cultures, des récoltes, du climat, en un mot, de l'air du temps.  

La vie des hommes est alors tellement enracinée dans le tréfonds de leur terre qu'elle finit par s'identifier aux moindres de ses caprices et de ses pulsations.

On vit de ce que l'on sème, de ce que l'on cultive, de ce que l'on élève et de ce que l'on récolte. Que surviennent les caprices du temps et la disette éclate avec son cortège de souffrance et de mort. Que le ciel redevienne tant soit peu clément, et la vie reprend tout aussitôt son cours.

  Pour bien comprendre ces mouvements, allant du simple frémissement à l'émoi passionnel, il nous faut examiner attentivement les cultures auxquelles les Budossais consacraient l'essentiel de leur temps, les récoltes qu'ils en attendaient, et le sort qu'ils leur réservaient, et ce, toujours sous la contrainte d'une nature devant laquelle ils étaient presque complètement désarmés.  

La vigne, oh ! oui ! La vigne avant toutes choses, la vraie passion des Budossais, et puis les céréales, aussi, car il fallait bien vivre, complétées par quelques cultures potagères, un peu d'élevage, et enfin le chanvre que nous avons bien oublié aujourd'hui mais auquel nous accorderons une attention particulière non seulement parce qu'il occupait une place non négligeable dans l'économie rurale du temps, mais aussi précisément parce que c'est la culture dont nous avons le plus perdu le souvenir.  

Il nous restera à relater les caprices du temps et les hasards des bonnes et des mauvaises récoltes qui ont si profondément marqué, au fil des ans, la vie de la Paroisse.

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La vigne et le vin.

Généralités.

La vigne est-elle un pactole ou bien , tout au contraire, un fléau ? La question était déjà posée depuis le début du XVIIIème siècle, et les réponses des uns et des autres n'ont pas varié, tout au long de la période, jusqu'à la Révolution.

Pour les viticulteurs, Budossais entre autres, pour le Négoce Bordelais, et pour bien d'autres encore, elle était, à coup sûr, un pactole ( du moins quand tout allait bien... ). Pour les Intendants et l'Administration Royale, elle était, non sans quelque exagération, un fléau.  

Quel était donc le problème ?

  Au fil du temps, dans la Sénéchaussée de BORDEAUX, la vigne avait de plus en plus tendu à devenir une monoculture. Elle n'y était pas parvenue et n'y parvint heureusement jamais, mais il était bien évident qu'il s'agissait là d'une tendance lourde.  

Très tôt, les Intendants successifs avaient pris conscience du danger. La vigne ne cessait de gagner du terrain sur les cultures céréalières et même, en certains endroits, sur les bois.  

Or, de 45.000 habitants qu'elle avait à la fin du règne de Louis XIV, la Ville de BORDEAUX, avec l'apport de CAUDERAN et du BOUSCAT, va passer à un peu plus de 110.000 en 1790 . Pour être plus modeste, l'expansion démographique des campagnes n'en était pas moins bien réelle et, nous avons eu l'occasion de le constater, à BUDOS comme ailleurs. 

Pour nourrir cette population, il fallait des vivres, toujours plus de vivres, et en particulier des céréales. Et comme en même temps, la vigne envahissait tout le paysage rural, force était de constater que BORDEAUX et tout le pays Bordelais étaient devenus régulièrement dépendants des importations de grains venus parfois de très loin.  

Ces " blés de la mer " venaient en effet de BRETAGNE, grande pourvoyeuse traditionnelle de la GUYENNE, mais aussi de HAMBOURG et des ports de la BALTIQUE, le plus souvent en échange de vin. Des approvisionnements dépendants de sources aussi lointaines étaient, au regard des moyens de transport de l'époque, fragiles et dangereux. 

Que survienne une disette locale, et la situation pouvait rapidement devenir dramatique. Un Intendant ne pouvait s'accommoder d'un tel risque avec, en toile de fond, tout un cortège d'émeutes et de séditions populaires toujours possibles.

  Des paroisses rurales, telles BUDOS, subvenaient à peine,

 

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en temps normal à leurs besoins en grains. Partout, la vigne régnait en maîtresse. Il n'y avait presque plus de terres labourables exclusivement consacrées aux céréales. Celles-ci se voyaient la plupart du temps hébergées dans l'intervalle des joualles. 

La vigne couvrait ainsi non seulement les espaces sur lesquels elle s'est maintenue jusqu'à nos jours, mais aussi ceux qui sont actuellement dévolus aux acacias, par exemple à BUDOS, tout autour du quartier des MOULIES, ou encore entre le quartier de PINGOY, DUBOURDIEU et le TURSAN.

La vigne, la vigne partout; certes, le vin se vendait parfois assez bien ( pas toujours... ) et il faut reconnaître qu'aucune culture n'aurait permis aux paysans des GRAVES de vivre ou de survivre sur des propriétés aussi exiguës que les leurs. Il était donc naturel qu'ils y soient vivement attachés. Mais ce faisant, ils couraient le risque de la faim.

  Il y avait bien là de quoi inquiéter l'Administration Royale. A la première mauvaise récolte, la disette s'installait aussitôt, et, a fortiori lorsque s'enchaînaient plusieurs années désastreuses comme ce fut trop souvent le cas en cette fin de siècle. Alors l'émeute grondait et l'on se retournait vers l'Intendance, posant évidemment la question: " Que fait donc l'Administration ? "

La tradition voulait que l'on se mit aussitôt en quête des " accapareurs " vrais ou supposés, ce qui avait pour effet de bloquer immédiatement tous les mouvements de grains qui auraient pu, éventuellement, atténuer la pénurie. Le cercle vicieux se refermait; c'était inévitable.  

Pour aussi prévenue qu'elle fût contre la vigne, l'Administration Royale n'ignorait pas pour autant qu'elle était la richesse de ce pays. Dans un Mémoire de 1733, l'Abbé BELLET notait déjà que la GUYENNE vivait exclusivement de son vin:

" Cette denrée, écrivait-il, forme la seule manufacture du pays puisqu'elle occupe toute l'année la plus grande partie des paysans."

  Aucun Intendant n'a, un seul instant, songé à tuer la poule aux oeufs d'or. Mais ce que tous ont dénoncé, et combattu, c'est le développement excessif de cette culture au détriment des autres, des céréales, bien sûr, mais aussi du bois.

  On a peine à croire que la GUYENNE manquait cruellement de bois. Les Landes n'étaient pas alors l'immense réservoir de forêt qu'elles sont devenues. On consommait du bois pour les constructions terrestres, mais aussi navales; il en fallait pour la menuiserie, pour les cuves, pour les barriques, pour la fabrication des charrettes, et surtout, on consommait du bois, beaucoup de bois, et en toutes saisons, pour le chauffage domestique et industriel ( tuileries, verreries, etc..). Et l'on en manquait…  

Cela se savait jusqu'à VERSAILLES. Le Ministre DODUN écrivait déjà à l'Intendant BOUCHER le 27 Mai 1726 ;

  " vous devez vous montrer très difficile pour accorder la permission de planter des vignes dans des terrains où le bois pourra bien venir. La rareté des bois dans votre Généralité vous doit même engager à ne point permettre de planter des vignes dans un terrain inculte." 

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 La recommandation était bien inutile. BOUCHER lui-même avait déjà sollicité et obtenu l'Arrêté du 27 Février 1725 interdisant de planter de nouvelles vignes sur le territoire de sa Généralité de BORDEAUX. Le 5 Juin 1731, la même interdiction était étendue à la totalité du Royaume. 

C'était, incontestablement une atteinte au droit de libre disposition de la propriété. L'affaire fit grand bruit, et pendant longtemps. Le 6 Juin 1756, vingt cinq ans plus tard, l'Intendant TOURNY écrivait encore à MORAS, Contrôleur Général à VERSAILLES, s'agissant toujours/de la vigne et du conflit relatif à la souveraineté du droit de propriété:

  " on a vu qu'il était nécessaire d'empêcher l'augmentation du mal public qui avait fort avancé (et qu'il fallait donc freiner) l'abus que l'on faisait d'une liberté bonne en soi-même (mais dangereuse pour la collectivité)"

  Les règles étaient posées, mais les infractions furent innombrables. Il y eut bien des contrôles et des sanctions, parfois lourdes, sous forme d'amendes, et des injonctions imposant des arrachages. Mais on peut douter de l'efficacité de ces dispositions. Il suffit de noter que certaines condamnations portaient sur des vignes plantées depuis déjà dix ou vingt ans pour réaliser que les contrôles les concernant n'avaient dû être ni très fréquents, ni très contraignants.

  Au surplus, d'innombrables suppliques " en réductions d'amendes " s'entassaient sur le bureau de l'Intendant, ainsi que des demandes de grâce, et toute une littérature qui nous a été conservée.

  Vingt cinq ans ont donc passé depuis BOUCHER, et TOURNY se débat encore dans les mêmes problèmes dont les solutions ne paraissent pas avoir avancé d'un pouce. Il écrit :

  " Et quels terrains en sont plantés ? quantités qui seraient propres à d'autres cultures, même à porter de bons grains, et presque tous, au moins à donner du bois dont on manque tant..." 

Les grains... le bois... on n'en sort pas. Il envisagerait volontiers, dit-il, des arrachages portant sur un quart ou un tiers du vignoble, ce qui était peut-être aller un peu loin, mais il ne le proposera pas, car il ne saurait comment exécuter la mesure; et TOURNY est un pragmatique:

  " je ne vous le proposerai pas, cependant, Monsieur, moins (parce que)... je le croirais un mal, que parce que j'envisagerais une bien grande difficulté à l'exécuter avec justice..."

  Il ne reste cependant pas inactif; il lui faut absolument maintenir la pression sur les candidats aux plantations clandestines. Il cherche même à y intéresser personnellement les " Contrôleurs au Dixième " qui sont des agents des services fiscaux. Mais il connaît trop son administration pour ne pas penser qu'on lui apportera des listes de petits contrevenants plutôt que quelques noms de grands personnages. A ce jeu, le petit vigneron Budossais serait certainement plus exposé à une dénonciation que le Baron Seigneur du lieu ou un quelconque Parlementaire de haut rang. Aussi, TOURNY prend-il les devants:

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    " Au surplus, je vous préviens qu'il ne faut vous attacher qu'à des objets de contravention qui en valent la peine, dont les condamnations n'aient point à tomber sur de malheureuses personnes, mais sur des personnes de quelque condition qu'elles soient, en état de payer les amendes que je prononcerai et dont l'exemple fasse éclat. Je compte trouver dans le produit de ces amendes de quoi vous récompenser de vos soins..."

En fait, avec des périodes plus ou moins actives, ces affrontements durèrent jusqu'à la Révolution. Et s'il y eut effectivement parfois quelques périodes de détente dans cette frénésie de planter, ce fut beaucoup plus du fait du caractère aléatoire de la culture, de l'irrégularité des récoltes et de quelques incertitudes sur la conjoncture commerciale plutôt que du fait de l'action, pourtant tenace, des Intendants successifs.

  BUDOS ne pouvait guère planter au-delà de ce qui existait déjà. Les quelques parcelles qui auraient encore pu raisonnablement recevoir de la vigne étaient vouées à la prairie. Mais les fourrages étaient si rares et si recherchés que ces derniers carrés de sol, par l'impérieuse nécessité que l'on avait de les conserver en l'état, ont mieux résisté à l'envahissement de la vigne que par la protection de l'Administration Royale.  

Le vignoble de BUDOS était classé dans la région des GRAVES. La carte du Bordelais dressée en 1714 par G. de LISLE, Premier Géographe du Roi en fait foi. Si l'on n'aura aucune surprise à y trouver également ILLATS, PREIGNAC, BARSAC, FARGUES, SAUTERNES, etc…, on sera plus étonné d'y voir figurer aussi LEOGEATS, NOAILLAN, VILLANDRAUT et même ... PRECHAC !

  Par contre, LANDIRAS appartenait, avec SAINT MICHEL de RIEUFRET, SAUCATS, etc…aux  " LANDES de BOURDEAUX ". Caprice de géographe ou réalité ? En tous cas, aucune hésitation n'est possible en ce qui touche BUDOS, bien d'autres documents seraient là d'ailleurs pour le confirmer; la Paroisse de BUDOS était bien dans le Pays des GRAVES, et elle y est encore...

  Nous allons maintenant commencer par examiner dans quelles conditions on plantait et l'on cultivait cette vigne objet de soins si attentifs.

 

Plantation et culture de la vigne.

 

La vigne se propage par provignage et bouturage.

  Le provignage est une technique de marcottage. Il consiste a coucher, à l'automne, un rameau aérien d'un cep existant jusqu'à ce qu'il prenne contact avec le sol où on l'enterre sur une partie de sa longueur. Il y prendra racine et donnera naissance à un nouveau pied que l'on dénommera " provins "

  Le bouturage se pratique au printemps en plantant dans le sol une bouture prélevée sur un cep qui peut se situer très loin de sa nouvelle implantation.

  Le provignage parait avoir été, à BUDOS, la méthode la plus couramment utilisée. Mais il faut y regarder d'un peu plus près.

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 Les contrats de métayage et de " Bail à Faisande " qui nous sont parvenus font presque tous obligation au preneur de:

  " procéder aux provignages nécessaires..."

  Aucun n'envisage le bouturage. Il faut pourtant se garder de conclure à l'exclusivité du provignage car les contrats qui nous sont parvenus portent tous sur des propriétés déjà en cours d'exploitation et sur lesquelles ne se posent normalement, ici ou là, que quelques problèmes de remplacements de ceps défaillants. 

Il est donc bien naturel en ce cas de recourir au pied voisin pour combler le vide. Par contre, lorsqu'il s'agissait de planter une parcelle en partant du sol nu, il est bien évident que le bouturage devait retrouver tous ses droits. Aucun texte local ne nous permet de prendre formellement position sur ce point, mais le risque n'est pas grand d'imaginer que les deux méthodes coexistaient avec, chacune, des champs d'application très spécifiques.

  Le choix des cépages était entièrement libre, et les variétés en étaient extrêmement nombreuses. On pouvait planter ce que l'on voulait, mais à la condition expresse d'en avoir fait la déclaration préalable et d'avoir déposé quelques spécimens des plants concernés au  " Champ de Synonymie " à BORDEAUX, avec mention du terroir auquel ils étaient destinés. 

Ce " Champ de Synonymie " était une institution tout à fait originale. Il s'agissait d'une vigne expérimentale, gérée et cultivée sous le contrôle de l'Administration Royale et qui se situait à BORDEAUX " hors les murs " entre l'actuelle Place de la VICTOIRE et le Marché des CAPUCINS. 

Cette parcelle, toute en longueur, occupait à peu près l'emplacement de l'actuelle Rue ELIE GINTRAC. Là, quelques pieds de chacun des cépages introduits dans le Pays Bordelais étaient cultivés avec indication du lieu où se situait leur exploitation. Et ces cépages étaient nombreux ! 

Certaines régions viticoles avaient déjà procédé à une sérieuse sélection, le MEDOC par exemple. La Subdélégation de PAUILLAC n'avait plus, en 1783, que neuf cépages rouges et quatre blancs déposés au Champ de Synonymie. Mais d'autres se montraient nettement moins sélectives.  

La Subdélégation de BAZAS, à elle seule, entretenait 52 cépages rouges et 50 blancs ! ... En fait, il y avait bien une sanction à cette liberté, elle venait du consommateur. Chacun étant libre sous la seule réserve du dépôt, d'implanter chez lui n'importe quel cépage de son choix, les acheteurs et notamment les courtiers, avaient une égale liberté d'agréer ou non les vins proposés. 

Libre à tel viticulteur de produire de l'enrageat ( déjà bien connu aussi bien pour ses rendements que pour sa médiocrité ) si tel était son choix, mais il lui fallait en accepter les conséquences sur le marché où il proposait son vin. Le jeu de la quantité et du prix ne manquait pas de lui dire très vite s'il avait bien ou mal calculé son affaire.

  De fait, un effort de sélection très net s'était manifesté à partir du milieu du XVIIIème siècle et probablement même un peu avant. C'est le MEDOC qui, dans ses grands crus, spécialement reconnus par la clientèle anglaise, avait commencé à éliminer de ses vignes les cépages médiocres au bénéfice des plus fins, tels le Malbec, les Cabernets et le Merlot. Le mouvement était parti de là et s'était étendu au Pays des GRAVES. A la veille de la Révolution, il avait déjà conduit , dans nos contrées à une sérieuse sélection.

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 En cette fin de siècle, les plantations étaient déjà constituées, pour une très large part, des cépages qui allaient s'imposer au siècle suivant jusqu'à la crise des maladies cryptogamiques. 

En vigne rouge, c'était le Cabernet ou " Carmenet ", léger, parfumé mais peu coloré, le Sauvignon ou Grand  " Carmenet " , plus coloré et corrigeant le premier nommé, et enfin le Petit Verdot, au goût délicat et parfumé, mais qui avait l'inconvénient de venir à maturité plus tardivement que les autres. 

En vigne blanche, le Sémillon et le Sauvignon l'emportaient largement sur tous les autres avec des caractéristiques probablement assez voisines des mêmes cépages parvenus jusqu'à nous.

  Le paysage viticole était alors assez sensiblement différent de celui que nous connaissons aujourd'hui. Nous sommes habitués à de vastes étendues bien peignées de rangs réguliers et homogènes, disciplinés par leur armature en fils de fer rigoureusement tendus. Les vignes de l'époque étaient basses, beaucoup plus basses que les nôtres, pratiquement au ras du sol. 

Elles ne dépassaient guère 42 cm de haut. Quelques rares parcelles étaient cultivées "en hautain ", sans que l'on puisse dire si ces vignes hautes atteignaient les dimensions de 1,80 mètre ou plus, comme nous l'entendrions aujourd'hui, ou si elles étaient simplement un peu plus hautes que les autres pour atteindre simplement, par exemple, le standard de nos vignes actuelles. Aucun texte ne permet de le dire avec certitude.  

Beaucoup plus basses que les nôtres, les vignes de l'époque étaient aussi beaucoup plus espacées. La culture en joualles, laissant de larges espaces de terre labourable entre les rangs constituait une règle à peu près générale. Quelques rares parcelles étaient plantées sans intervalle de culture. A BUDOS, elles étaient dites " plénières " et, en d'autres lieux des GRAVES, " à suite ". Plénière ou à suite, c'est tout un, mais leur particularité était toujours précisée dans les contrats; il semble bien qu'elles ont représenté un cas d'exception.

 La plantation en joualles a fini par disparaître, mais elle s'est perpétuée très longtemps, ici et là, jusqu'au milieu du XXème siècle. A la fin du XVIIIème, la joualle pouvait avoir des dimensions très variables. L'espace entre les rangs pouvait se limiter à deux règes ( 1,77 mètre ), il était alors principalement dévolu aux cultures légumières tels que les petits pois ou les haricots. Mais il pouvait atteindre cinq règes ( 4,43 mètres ) et même, semble-t-il, par exception, jusqu'à dix règes 8,85 mètres ) pour la culture des céréales ( seigle et millet .)

  Lorsque l'espace s'agrandissait, on doublait parfois le rang de vigne intermédiaire en deux lignes accolées à environ un pas de distance, c'était la joualle " en double rang ". Les cas de figure de ces divers types de plantation étaient donc passablement nombreux et le paysage viticole était bien loin, de ce fait, d'offrir à l'oeil la régularité linéaire que nous lui connaissons aujourd'hui.

  Auprès de chaque cep, on plantait un " carasson " de bois, également dénommé " paou " dans certains textes ( du gascon il paou " = bâton.) Ce carasson était tout petit et, une fois planté en terre, ne dépassait généralement pas 33 cm au-dessus du sol.

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 Ensuite, on reliait horizontalement chaque carasson a son voisin par un latton sorte de latte de bois qui, d'un bout de la parcelle à l'autre formait ainsi de pied en pied une chaîne continue avec un espacement d'un pas et demi entre chaque pied ( sait environ 1,30 mètre ). 

Dans leur jeunesse les plants étaient liés au carasson par un brin d'osier ou " vîme " . Devenus ceps, leurs rejets ou " astes " étaient liés de même, horizontalement au latton de part et d'autre du pied. Chaque rang de vigne constituait ainsi une sorte de petit espalier continu sur toute la longueur de la parcelle.

 On pratiquait également, mais plus rarement, la culture sur échalas. C'était le cas, en particulier, des vignes en hautain, mais le procédé ne leur était pas exclusivement réservé. La vigne poussait alors en hauteur contre un piquet de bois isolé: l'échalas, et on reliait ses astes, aux deux tiers de leur hauteur, ce qui, compte tenu de leur flexibilité, donnait au pied la forme d'une sorte d'urne. Il fallait bien veiller, en ce cas, à ce que les futures mannes se situent vers l'extérieur afin que les grappes à venir ne soient pas ultérieurement prisonnières de la cage formée par les astes.

La fourniture des carassons, des lattons et des échalas a constitué un souci constant pour les vignerons locaux. De nombreux textes concernent ces matériaux, et les contrats de métayage ou les baux à faisande précisent presque toujours qui les fournira et comment. 

Dans un Mémoire présenté le 20 Juin 1772 par un certain Mr PECONET à Mr BERTIN, Ministre, on peut lire que l'on:  

" a planté dans le Bordelais tant de vigne que les échalas d'aubier ne peuvent suffire et que l'on a été obligé de faire usage de ceux de bois de pin ."

  C'était bien le cas à BUDOS; rien ne permet de dire si, en d'autres temps, on y avait utilisé du bois d'aubier, mais il est parfaitement exact que pendant les dernières années de l'Ancien Régime tous les carassons et lattons qui apparaissent dans les textes sont faits de bois de pin. L'usage s'en est très longtemps poursuivi puisque les derniers échalas de bois de pin n'ont disparu des vignes Budossaises que vers 1930.

Les carassons se vendaient par " faix " ( autrement dit en fardeaux ou paquets ) de 25 pièces et les lattons par 50. Il s'agissait de jeunes pins de 8 à 10 ans que l'on semait spécialement en vue de cette production. On les ébranchait au fur et à mesure de leur croissance jusqu'au moment de les couper. Ils étaient vendus pelés. Cette culture assez particulière faisait souvent l'objet de contrats de bail " à mi-fruit ." 

Ainsi par exemple, le 15 Août 1785, Jean BRANEYRE, dit PEIGNIN, vigneron à MARGARIDE:

  " baille à titre d'ensemencement à moitié fruit..."

 à Jean ESTENAVE, également de BUDOS :

  " une pièce de terre en friche... sise... audit BUDOS (au) lieu appelé Au CHOT ... confrontant du Levant au chemin qui conduit dudit BUDOS à VILLANDRAUT…laquelle... pièce ledit ESTENAVE promet de semer en bonne graine de pin avec toutes les précautions requises et nécessaires..." 

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et, dès que la semence sera répandue, ESTENAVE sera tenu de veiller:

" à ce qu'aucun tort ni préjudice y soit porté, (à) nettoyer et ébrancher en temps et saison (utile) les (arbres) provenant de ladite semence au fur et à mesure de leur venue. Lorsque le paou sera de qualité requise, c'est à dire de vingt cinq paous au faix, ledit ESTENAVE (sera) chargé de le faire couper ainsi que de le faire mettre en piles égales, et, cela fait, en préviendra le bailleur pour qu'il se transporte sur les lieux afin de faire le choix desdites piles, la moitié desquelles appartiendra au preneur et l'autre moitié au bailleur; lequel paou sera encore pelé, lié et (préparé pour la vente) avant de pouvoir (l'un et l'autre) le déplacer de ladite pièce." 

Les frais de semence étaient à la charge du preneur ainsi que les frais d'acte et d'enregistrement, mais tous les autres frais se partageaient par moitié (coupe, écorçage, mise en paquets, etc..). En outre on ne devait rien laisser perdre:

" tous les branchages (et) émondements... appartiendront également par moitié aux parties..."

Il est convenu par ailleurs:

  " que dans le cas où les paous ne seraient pas entièrement de coupe en même temps et de la... qualité de vingt cinq au faix, pour lors ne sera coupée et exploitée que la partie qui devra l'être, et l'autre partie demeurera sur pied afin de lui donner le temps de croître et devenir propre à être coupée..."

  Tous les contrats de l'espèce sont aussi détaillés, il est même parfois prévu que le preneur recommencera l'ensemencement si le premier a été défectueux. C'est ce que promet Pierre SAINT BLANCARD le 23 Juillet 1772 à l'occasion d'un bail qu'il passe sur une parcelle située à BALIZAC.

Les besoins en carassons et lattons sont tels qu'il faut aller les faire pousser dans les Paroisses de la Lande. Il n'est pas douteux que cet approvisionnement a beaucoup préoccupé les vignerons Budossais, d'autant qu'ils n'étaient pas seuls sur le marché et que leurs collègues de la Vallée de la GARONNE manifestaient, évidemment les mêmes soucis, avec le même empressement et s'adressaient, pratiquement, aux mêmes sources.  

Si la culture de la vigne était soumise aux mêmes aléas climatologiques qu'ont connu et que connaissent toujours les vignerons de tous les temps, il faut tout de même dire qu'elle était plus simple au XVIIIème siècle qu'elle ne l'est devenue de nos jours. 

Elle ignorait tout des attaques cryptogamiques dont les premières manifestations n'apparaîtront qu'avec l'oïdium en 1851, en GIRONDE, suivi du phylloxéra à partir de 1866, du mildew en 1878 et de toutes les autres qui devaient s'ensuivre. A la fin de l'Ancien Régime, nous sommes encore très loin de tout cela. 

Aucun traitement prophylactique n'était donc nécessaire; la vigne poussait selon la nature... Le vigneron la labourait, mais lui apportait aussi chaque année trois " façons de fouissage " à la bêche dont les deux premières à intervalle rapproché en Avril et Mai. C'était un travail long et pénible, de pied en pied, rang après rang, un travail d'homme.

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Les femmes, de leur côté liaient, épampraient et tiraient les " cavaillons " entre les pieds. Signalons en passant une particularité de cette culture; la vigne était si basse que la charrue la recouvrait souvent de terre déversée. Les femmes et les enfants s'activaient alors à la dégager au sarcle. Tout le monde enfin, hommes, femmes et enfants se retrouvaient aux travaux des vendanges.

Nous ne savons rien des conditions locales dans lesquelles on taillait ces vignes. Les vignerons Budossais n'étaient certainement guère disposés à remettre en cause leur savoir faire ancestral transmis de génération en génération. Et pourtant, dans les milieux " éclairés " de la viticulture, on commençait à se poser de nombreuses questions. 

Ce n'est pas un hasard si, à trois reprises, en 1754, 1757 et 1759, l'Académie de BORDEAUX a mis au Concours pour l'attribution de son Prix annuel la question de savoir:  

" Quels sont les principes de la taille de la vigne par rapport à la différence des espèces de vigne et à la diversité des terrains ?"

  Une telle insistance montre bien tout à la fois que les Académiciens Bordelais avaient compris quelles améliorations de rendement on pouvait tirer de méthodes de taille nouvelles, mais aussi que les réponses qu'ils avaient reçues ne leur avaient pas donné satisfaction... A BUDOS, on était encore très loin, il faut bien le dire, de ce genre de spéculation.

  Que pouvait rapporter la viticulture au vigneron ?

  Nous disposons sur ce point d'une évaluation faite par le Parlement de BORDEAUX en 1725. Elle est sérieuse dans sa démarche, mais elle est malheureusement antérieure de 35 ans à la période de nos observations. Pourtant, il est possible de lui accorder un certain crédit, et ceci pour deux raisons. La première est que les circonstances extérieures entourant cette étude incitaient nettement les Parlementaires à majorer les coûts qu'ils avançaient.

  S'adressant au Roi pour lui démontrer que la culture de la vigne n'était pas un pactole, ils avaient tout intérêt à procéder à cette majoration, et il semble bien qu'ils aient cédé à cette tentation. Il se trouve donc que l'inflation monétaire au cours des années qui ont suivi a eu tendance à gommer l'effet de leur démarche en rendant du même coup leurs évaluations plus crédibles. 

Et la seconde est que, les salaires agricoles ayant peu évolué au fil du siècle, les coûts salariaux annoncés ont de grandes chances d'être restés à peu près valables, 35 ou 40 ans plus tard. Faute de pouvoir prétendre à une parfaite rigueur comptable, l'estimation des Parlementaires de 1725 peut donc néanmoins servir de base à une bonne approche du rendement d'une exploitation.

Leur calcul porte sur une propriété de 50 Journaux Bordelais ( 16 hectares ), donc importante ( mais n'oublions pas que les Parlementaires étaient de grands propriétaires située en Pays de GRAVES.

  Ils estiment:

  - les travaux manuels ( labour, fouissage, taille, épamprage, etc…sauf les vendanges)  à 36 Livres le Journal ( soit 112  Livres l'hectare).  

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- les fournitures en carassons, lattons, échalas à 20 Livres 16 sol le Journal ( soit 65 Livres l'hectare ).

- les frais de vendanges à 20 Livres le Journal ( 62 Livres 10 sols l'hectare )

- l'osier, vime, l'entretien des vaisseaux vinaires à 8 Livres le Journal ( 25 Livres l'hectare ).

  Soit donc un total de 84 Livres 16 sols par Journal ( 264 Livres par hectare ).  

Au prix de toutes ces façons et fournitures, ils attendent en moyenne un rendement d'un tonneau par Journal ( le tonneau Bordelais représentait 912 litres ). Il faut en déduire la dîme du Curé, ce qui laisse, net, 841 litres par Journal pour le propriétaire. Ils poursuivent leur raisonnement sur la base d'un prix moyen du vin fixé à 150 Livres le tonneau.

  Mais nous ne pouvons les suivre sur ce terrain car les vins de BUDOS, n'ont jamais été cotés, en moyenne, à 150 Livres. Ils ont eu atteint et même parfois dépassé ce prix, mais en des circonstances un peu exceptionnelles sur lesquelles on ne peut établir un raisonnement d'ensemble. Nous poursuivrons donc le calcul sur la base d'un prix moyen de 125 Livres le tonneau beaucoup plus conforme à la cotation habituelle des vins de BUDOS.

  A ce prix-là, le propriétaire Budossais percevrait théoriquement environ 115 Livres brutes par Journal ( 359 par hectare ). Brutes, il faut bien le souligner, car il lui appartenait de fournir les barriques. Le vin se vendait au Négoce systématiquement logé et à futaille perdue. Or, en fin de siècle, une barrique coûtait facilement de 7 à 9 Livres selon qualité.  

C'est l'une des choses qui avait le plus augmenté au fil du temps. Il faudrait aussi tenir compte des frais de port et de courtage. En définitive, tout bien calculé, le revenu net d'un propriétaire Budosssais ne devait guère, selon le calcul des Parlementaires, dépasser 5 Livres par Journal, soit, environ, 16 Livres par hectare, résultat qui est probablement sous évalué.

 Mais il s'agit là d'un calcul purement théorique qui ne peut être retenu en l'état pour le petit vigneron local, qui, lui, travaille de ses mains et à une échelle beaucoup plus réduite. Il dispose d'environ un demi hectare de vigne qu'il cultive lui-même et sans concours extérieur chaque fois qu'il le peut. Il n'aura donc à débourser que les frais d'échalas, lattons et autres bois, et encore peut-être aux conditions du montage astucieux d'un bail à mi-fruit.

 Il devra aussi faire face à l'entretien de ses vaisseaux vinaires mais, ici encore, il fait beaucoup de choses de ses propres mains. Par contre, il lui faudra bien payer ses barriques, la tonnellerie ne s'improvise pas; quant au transport, dans la plupart des cas, il " approchera " lui-même son vin jusqu'au Port de BARSAC et n'aura à payer que le passage fluvial jusqu'à BORDEAUX. 

Si l'on retient le rendement avancé par les Parlementaires, soit un tonneau par Journal qui parait très raisonnable dans les conditions de culture de l'époque ( 28,5 hectolitres à l'hectare), il va donc récolter sur son bien 14,25 hectolitre, dont il lui restera environ 13 hectolitres après perception de la dîme. En conservant un peu de vin pour lui ( très peu) il aura cinq barriques à vendre qui lui rapporteront

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au cours moyen, un total de 156 Livres alors qu'il aura eu une centaine de Livres de frais. Il lui restera donc, net pour son demi hectare, de 50 à 60 Livres. Pour lui, c'est déjà une somme, mais la vigne ne parait pas pour autant avoir été le pactole que certains ont voulu décrire.

  Par contre, il est bien exact que peu de cultures auraient été à même de rapporter une cinquantaine de Livres nettes à un petit propriétaire sur une parcelle d'un demi hectare. Tout le problème est là. Tout le problème ? Pas tout à fait car au fond de chacun se dissimule également un vieux fond spéculatif. Une année donnée, si le ciel est clément, le revenu peut être très supérieur à la moyenne habituelle. Mais il peut être aussi quasiment nul car les années sans récoltes existent également...

En 1763, il n'y eut même pas de vendanges... La vigne était donc une culture, mais aussi une sorte de jeu spéculatif qui alimentait la passion du vigneron. Et il ne souhaitait rien tant que d'augmenter sa mise, espérant toujours la récolte idéale, sorte de coup de bourse qui lui permettrait d'accroître son bien et de se hisser peut-être au rang des vignerons aisés, ceux qui " comptaient " dans la paroisse, ceux qui, dans la terminologie des textes en " composaient la meilleure part ". 

Sur ce terrain, il n'est pas douteux que la vigne et le vin offraient un jeu beaucoup plus ouvert que la culture des céréales. Cette loterie était annuelle, elle se tirait au moment des vendanges.  

 

  Les vendanges.

  Nul n'avait le droit de commencer ses vendanges dans la Sénéchaussée de BORDEAUX avant que leur Ban ne fut proclamé à son de trompe aux quatre coins de la Ville avec, en prime, le branle de la Grosse Cloche. Mais BUDOS était hors de portée de ladite cloche et nul ne peut affirmer que les délais officiels y ont toujours été bien respectés.  

Les dates des Bans des vendanges sont intéressantes car elles démontrent que la cueillette du raisin en Bordelais n'a jamais été très précoce. Pour un Ban proclamé le 16 Septembre 1788, répondant à des conditions climatiques exceptionnelles, on trouve beaucoup plus de dates se situant à I'extrême fin de Septembre, ou plus souvent encore début Octobre. La proclamation la plus tardive de cette fin de siècle semble bien avoir été celle de 1770 qui n'intervint que le 17 Octobre !

  Ces vendanges se prolongeaient tard dans l'automne aussi bien sur la rive droite que sur la rive gauche de la GARONNE. Jean BOUCHARDEAU, dit Jeantille, tonnelier à BEGUEY nous fournit à ce sujet de nombreuses indications soigneusement consignées dans son Livre de Raison. 

Sans insister davantage sur l'année 1770 déjà citée et dont les vendanges, très décalées se terminèrent le 17 Novembre, les dates moyennes de clôture se sont à peu près régulièrement situées entre la Toussaint et la Saint MARTIN ( 11 Novembre ).

  En Sauternais et pays limitrophes, les vendanges étaient encore plus tardives, suivant en cela une très ancienne tradition.

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On a souvent conté l'anecdote du Marquis de LUR SALUCES, retenu à la Cour de RUSSIE et qui n'aurait pu revenir à temps pour les vendanges habituelles en son Château d'YQUEM. En son absence, nul n'aurait osé donner le signal de la cueillette et l'on aurait attendu très au-delà de ce que l'on croyait être le raisonnable. 

Ce serait ainsi que, par accident, sous le Second Empire, on aurait découvert les vertus de la " pourriture noble " et des vendanges tardives. Pourquoi mettre en doute le fond de l'anecdote ? Mais le point faible est dans la conclusion. On n'avait pas attendu le XIXème siècle pour pratiquer les méthodes de vendanges spécifiques propres aux vins blancs liquoreux. 

Dans un contrat daté de 1666, passé entre François SAUVAGE, Sieur d'YQUEM, et ses métayers, par devant le Notaire de BARSAC, il est dit que :

  " pour ne pas faire tort à la réputation dudit vin, (le Sieur SAUVAGE) ne peut pas laisser vendanger (avant) que la vendange ne soit bien mûre; ... il n'est de coutume en BOMMES et SAUTERNES de vendanger annuellement que vers le 15 Octobre..."

  Un peu plus tard, en 1716, l'Intendant LAMOIGNON de COURSON explique dans un Mémoire que:

  " dans le temps des vendanges, on choisit les grappes de raisin et on ne coupe que celles qui sont près d'être pourries, de sorte que les vendanges durent quelquefois jusqu'au Mois de Décembre..."

  Ces méthodes de cueillette sélective n'étaient pas l'apanage du seul Sauternais. On les pratiquaient également dans les GRAVES environnantes et, sur la rive droite de la GARONNE, à LOUPIAC et SAINTE CROIX du MONT. 

La pratique des tries successives est attestée dans ces vignobles par les observations de l'Abbé BELLET, Chanoine de la Collégiale SAINT BLAISE de CADILLAC, consignées dans ses notes de 1717 à 1736. Nous sommes donc là, incontestablement, en présence d'une très ancienne tradition qui ne doit rien aux mésaventures moscovites du Marquis de LUR SALUCES.

  Il semble bien qu'au jour de la vendange, le vendangeur se présentait avec son panier ( son " bastot " ou " baillot ") et sa serpette. nous avons déjà eu l'occasion de voir, dans le Chapitre consacré à la Propriété, qu'à l'inventaire de la ferme de MARGARIDE, ne figurent que deux de ces " bastots ". Mais on pourrait citer d'autres cas tout aussi significatifs. Ainsi par exemple, dans l'inventaire d'un grand cuvier bien équipé à BARSAC, le 4 Mai 1771, on ne trouve que:

  " quatre baillots servant à vendanger..."

  Le fait que la propriété fût relativement importante et surtout que les installations en soient bien entretenues ( le texte le précise ) renforce donc l'idée que le panier à vendange ne faisait pas partie de l'exploitation.

  De même il semble bien que les comportes n'aient pas tellement servi à transporter la vendange, mais plutôt à transvaser le vin du pressoir à la cuve ou aux barriques. Il n'y avait que deux comportes à MARGARIDE, par contre, on y trouvait des " douils " , grands baquets de bois, profonds, sans précision quant à leur usage. Mais d'autres contrats se montraient plus explicites; en particulier l'inventaire du cuvier de BARSAC qui fait état de :

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" deux douils pour charroyer la vendange ..."

  Pour couper le raisin, on commence à voir quelques ciseaux, un peu semblables à de gros ciseaux de tailleur dont le passage des doigts serait très nettement décalé d'une branche à l'autre. Mais l'outil de base, le plus simple et, de très loin, le plus répandu dans les campagnes, reste la serpette qui servait également aux épamprages. Cet outil a totalement disparu de la panoplie du viticulteur moderne. Il s'agissait d'une petite faux à main, ayant exactement la forme de la lame de la grande faux à fourrage, mais en miniature.

  Ces serpettes ne doivent absolument pas être confondues avec la faucille en forme de croissant, outil venu du fond des âges. Il s'agissait réellement d'un outil spécifique, lui aussi très ancien et dont il existait plusieurs formats. Les manches en étaient faits de bois et mesuraient de 20 à 30 cm environ. 

Ces serpettes se retrouvent dans la plupart des Musées locaux, mais, curieusement, on n'en retrouve aucune trace dans les inventaires relatifs au matériel agricole. Il devait s'agir d'un outil personnel.

  La vendange faite, le viticulteur changeait de métier. C'est ainsi que nous allons le retrouver dans son cuvier aux prises avec les problèmes de vinification.  

  La vinification, les outils, le travail.

Le petit vigneron Budossais n'a généralement pas de chai, mais il a un cuvier ou, du moins, pour les plus modestes, un appentis abritant sa cuve. La possession d'un chai, comme celle d'un pressoir, suppose déjà une exploitation relativement importante. 

A quoi servirait donc un chai lorsque la récolte attendue est de cinq à six barriques que l'on souhaite vendre le plus vite possible, dés la SAINT MARTIN si on le peut, et en tous cas avant la NOËL ? Seuls les vignerons aisés ( et il y en a ) peuvent se permettre de conserver une partie de leur récolte en spéculant, si les circonstances sont favorables, sur une progression des cours; mais c'est un jeu dangereux et ils ne sont pas nombreux à s'y risquer.

  La pièce maÎtresse du cuvier est, évidemment, la cuve ou, dans les meilleurs cas, les cuves. Les inventaires nous en fournissent les capacités, la nature de leur bois et une appréciation de leur état général. En 1784, Mr CARROUGE a deux cuves dans sa ferme de MOULAS, l'une de trois tonneaux :

  " foncée de plancher de pin..."

  ce qui est pour le moins surprenant eu égard au goût de résine que l'on pouvait en attendre, et l'autre de deux tonneaux qui est:

" foncée de plancher de cerisier..."

dont le goût devait être un peu plus neutre, le tout en bon état. Il s'y ajoute cinq " douils ". C'est un équipement un peu supérieur à celui de MARGARIDE où il n'y avait qu'une cuve de trois tonneaux et trois petits " douils ". Mais il s'agit déjà là d'exploitations d'une certaine importance.

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Les textes sont plutôt avares de descriptions quant aux pressoirs. On trouvera par exemple:  

" un pressoir garni de douelles et des manilles.."

  mais nous n'en connaîtrons ni la capacité, ni la nature de son bois, ni son état général. Il existe des descriptions plus précises, mais nous n'en avons retrouvé aucune sur le plan local. En tous cas, il parait bien établi que, ni à BUDOS, ni dans les environs, il n'y avait de pressoir seigneurial dont l'usage aurait été imposé aux Manants.

  Le petit matériel est tout à fait conventionnel. Il n'est pas tellement éloigné de ce que l'on pouvait encore trouver dans un cuvier Budossais au milieu du XXème siècle:

  " une gargouille pour mettre sous le pressoir... un entonnoir, un seau cerclé de fer pour écouler... deux pelles, une fourche de fer, deux râteaux, un trident... etc…"

  en près de deux cents ans, les choses n'avaient pas beaucoup évolué. Il en va évidemment tout autrement depuis une quarantaine d'années.

 Une préoccupation majeure du vigneron était de conserver ce matériel en bon état de propreté. Il était parfaitement informé des conséquences désastreuses que peuvent avoir les moindres négligences en ce domaine. Et il était d'autant plus sensible à ces problèmes qu'il était assez mal armé pour les résoudre, en particulier pour se défendre contre les moisissures. 

Il ne connaît pas encore les vertus du soufre. Alors il lave, il lave beaucoup, à grande eau, énergiquement avec un balai, " la geste ". Pour les barriques, après les avoir échaudées, il utilise une chaîne introduite par la bonde, et l'on secoue le fût énergiquement.

  Il passe, dit-on, plus d'eau que de vin dans un cuvier bien tenu. Mais cela ne suffit pas. Le vigneron ne connaît évidemment pas la nature des moisissures qui guettent ses bois, mais il en connaît bien les effets et sait que l'eau de vie y porte remède. Il en use donc avec application.

  Autre souci, celui de l'étanchéité des vaisseaux vinaires. On colmate les fentes et interstices des pressoirs et des cuves avec de l'étoupe, de la mousse et de la poix. Quant aux barriques, il suffit de les mettre à tremper et c'est beaucoup plus facile. Enfin, il faudra se procurer du suif de bœufs ou de mouton qui servira à graisser la vis en bois du pressoir.

  La vendange pouvait venir, tout était prêt pour la recevoir.

  Il n'apparaît pas que les techniques de vinification aient pu être bien différentes de celles qui nous sont parvenues jusqu'au début du XXème siècle. On presse le raisin, on fait fermenter, on écoule, " on clarifie ".

 Tout cela est très classique. Il ne faut tout de même pas oublier que c'est le XVIIIème siècle qui a inventé un certain nombre de techniques devenues élémentaires dans le travail des chais et dont on peut se demander pourquoi on ne les avait pas inventées plus tôt, ainsi l'ouillage, le collage et la bonde de côté. 

Des techniques nouvelles qui se sont diffusées jusque dans les campagnes. Et l'on n'a pas plus tôt mis au point une nouvelle méthode que, déjà, de bons esprits cherchent à l'améliorer. En 1756,

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l'Académie de BORDEAUX, toujours elle, met au concours la question de savoir:

" Quelle est la meilleure manière de faire les vins, de les clarifier et de les conserver; et le moyen de les clarifier sans oeufs, équivalent à celui des oeufs, ou meilleur ? "

  Conserver les vins ... voilà un problème qui a beaucoup préoccupé le XVIIIème siècle, et il est pratiquement parvenu à le résoudre, du moins pour les plus grands Crus, en particulier du MEDOC. Pour la région des GRAVES, il faudra attendre encore un peu, essentiellement d'ailleurs parce que le principal souci du petit viticulteur était de vendre son vin au plus vite et non de le conserver. 

Quant à sa consommation personnelle, elle ne posait guère de problème car il buvait peu de vin, sinon à l'auberge ou, chez lui, en quelques circonstances festives. En temps normal, il buvait de la " piquette " fabriquée à partir de la fermentation des marcs, résidus de ses vendanges, ou, tout simplement, quand il n'y en avait plus,... de l'eau. Le vin, principale source d'argent liquide dans le foyer rural ne devait pas être détourné de sa finalité : la vente.

  Ne quittons pas le cuvier sans avoir parlé des barriques, sujet important qui à lui seul, pourrait mériter tout un développement. Nous allons beaucoup abréger.

  BUDOS, et c'était très important, avait le droit de loger ses vins en barriques Bordelaises. D'interminables procès, S'étendant sur près d'un siècle avaient enfin confirmé le privilège exclusif de l'utilisation de la barrique Bordelaise dans un périmètre bien défini. Au-delà s'étendait le domaine de la barrique de BAZAS. Etre logé en barriques Bordelaises conférait quelques substantiels avantages. Encore fallait-il y avoir droit.  

Cette barrique contenait 112 Pots (228 litres ) à la différence de la Bazadaise qui, plus petite, n'en contenait que 96 ( 195 litres ). Elle avait une apparence assez sensiblement différente de notre barrique actuelle ( laquelle est toujours construite selon les normes définies le 12 Mai 1858 par la Chambre de Commerce de BORDEAUX ). 

Elle était presque cylindrique, mesurant 2 mètres de circonférence par bout, et 2,22 mètres seulement en son milieu, pour une longueur de 0,94 mètre. La barrique actuelle est nettement plus renflée en son centre avec respectivement 1,90 mètre de circonférence par bout et 2,18 mètres en son milieu pour une longueur de 0,91 mètre.

  La barrique du XVIIIème siècle donne l'impression d'être beaucoup plus grosse alors qu'en fait elle ne contient que trois litres de plus. L'explication de cette anomalie apparente tient dans l'épaisseur des bois, laquelle était beaucoup plus considérable dans la barrique ancienne. 

Déjà très forte et lourde en elle-même, certains n'hésitèrent pas à la " renforcer " encore en utilisant des bois toujours plus épais. Que l'on ne s'y trompe pas, il ne s'agissait nullement d'améliorer la qualité des barriques pour mieux assurer la sécurité de leur transport, mais bien plutôt de diminuer leur capacité intérieure tout en leur laissant la même apparence extérieure.  

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Ainsi frustrés de quelques pots par barrique, les Hollandais s'en plaignirent par la voie diplomatique et il fallut aussi réglementer l'épaisseur des bois... Par bout, ces barriques devaient être cerclées en bois de coudre ou " d'aulan " ( noisetier ) et " en plein " , c'est à dire que chaque cercle devait toucher son voisin sans intervalle intermédiaire. Quant à la barrique Bazadaise, elle n'avait droit ni au bois de coudre ni à celui d'aulan; elle devait être cerclée en d'autres bois.

Passons rapidement sur le jeu compliqué des onglets de ces cercles qui devaient se croiser et se ligaturer selon des règles extrêmement précises. C'était un travail de spécialiste. Le " faiseur de cercles " était un artisan tout à fait indépendant du tonnelier. 

Il y en avait un à BUDOS, Jean DAMBONS, installé au quartier des MOULIES. Il travaillait sur un curieux appareil de 30 à 35 centimètres de long que l'on fixait sur un banc ou sur une table et qui se composait de trois parties: une roulette à gorge verticale, suivie d'une partie fixe formant un petit passage guidé dans une sorte de couloir de 2 centimètres de large débouchant juste en face d'une lame de rabot fixée très proche de l'horizontale, très acérée, la lame orientée vers la sortie de la goulette. 

On appuyait une branche de noisetier sur la roulette, on la faisait avancer en force dans le passage guidé qui la maintenait dans un alignement rigoureusement droit, et elle venait se fendre en une fine lamelle sur la lame du rabot.

  C'était un travail très délicat car il fallait obtenir une latte de bois parfaitement régulière d'environ 2 centimètres de large et surtout d'épaisseur constante ( un centimètre environ), sur plus de 2 mètres de long. L'opération exigeait un tour de main particulièrement habile. A la différence de la tonnellerie, ce métier a complètement disparu.

  Jusque vers la fin du XVIIème siècle, les forêts aquitaines avaient, vaille que vaille, fourni les bois nécessaires à la tonnellerie régionale. Mais dès le début du XVIIIème siècle, elles n'y ont plus suffi. Il fallut alors chercher des bois en AUVERGNE, en LIMOUSIN, puis, bientôt, jusqu'en POMERANIE. Le chêne de STETTIN était, à l'époque, particulièrement prisé et le Baron De LAROQUE ne dédaignait pas d'en user pour ses vins de BUDOS.

  Faut-il dire que le prix de la futaille s'en trouva fortement majoré. Là où, fin XVIIème siècle, on obtenait encore une bonne barrique pour 2 Livres 1/2 à 3 Livres, il fallut, trente ans plus tard en compter de 7 1/2 à 10 ... 

Les prix tendirent ensuite à se stabiliser un peu; mais investir, disons, 9 Livres pour expédier une barrique de vin de BUDOS que l'on vendait de 30 à 35 Livres logée, constituait à coup sûr une très lourde charge. on ne pouvait pourtant pas y échapper puisqu'en l'absence de toute citerne, on ne connaissait que la barrique pour transporter et stocker le vin.  

Ceci nous conduit ainsi aux portes du marché du vin.

 

Le marché du vin, son organisation.

  De très nombreux ouvrages ont été consacrés au " Privilège des Vins de BORDEAUX ". Il serait vain de reprendre après eux un sujet sur lequel tout a été dit ou presque et qui, en tout état de cause, dépasse largement le cadre limité de la vie Budossaise.

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 Pourtant, pour bien comprendre le commerce local du vin , il faut en rappeler au moins les très grandes lignes.

  Le territoire de la Province se partageait en trois zones d'inégales importances. La première était celle où s'exerçait le " Privilège des Vins de BORDEAUX ". Elle réunissait environ 350 Paroisses autour de la Ville, dont BUDOS.  

C'était la " Sénéchaussée Privilégiée ". Seuls les vignerons de ce territoire avaient le droit de loger leur vin en barriques Bordelaises, barriques qui constituaient le signe extérieur du Privilège. A l'origine, cette première zone s'arrêtait aux portes de LANGON qui en était exclu. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir souvent revendiqué d'y être inclus ! Mais les Jurats Bordelais étaient restés inébranlables sur leurs positions et n'avaient jamais rien voulu entendre.

  Il avait fallu tout le poids personnel du Duc d'EPERNON, Baron de LANGON, mais aussi, et surtout, Gouverneur de GUYENNE et bien en Cour, pour obtenir du Conseil du Roi, en 1612, l'inscription de la Juridiction de LANGON à l'intérieur du périmètre de la zone privilégiée. 

Les Jurats Bordelais poussèrent les hauts cris, mais devant une décision du Conseil du Roi, il leur fallut bien s'incliner. Ils le firent bien à contre cœur et ne désarmèrent jamais. Pour bien marquer leur suspicion au regard de ces intrus, ils envoyèrent chaque année, et jusqu'à la Révolution, un Commissaire chargé de contrôler sur place l'étampage des barriques locales, contrôle qu'ils n'exerçaient sur aucune autre des Paroisses concernées.... 

La seconde zone, très réduite, produisait déjà des " vins étrangers ". Elle constituait une sorte de couronne territoriale située à la périphérie de la " Sénéchaussée Privilégiée "

(LANGON lui appartenait à l'origine ). On y récoltait les vins de " demi-marque " qui ne pouvaient entrer dans BORDEAUX qu'après la SAINT MARTIN (11 Novembre ) et moyennant la perception d'un droit de 2 sols 6 deniers par tonneau. 

La troisième zone enfin couvrait un immense territoire commençant au delà de SAINT MACAIRE sur la GARONNE et de SAINTE FOY la GRANDE sur la DORDOGNE et englobait LA REOLE, MARMANDE, le GERS, le QUERCY et ...jusqu'au lointain LANGUEDOC. Il s'y récoltait également des " vins étrangers " mais qui, eux, ne pouvaient pénétrer dans BORDEAUX qu'après la NOËL et en acquittant le droit de marque entière, soit 5 sols par tonneau.

 

Les dates d'accès à BORDEAUX avaient un intérêt capital car la " flotte des vins " arrivait dans le port, chargée de quantités de marchandises, dont beaucoup venaient de HOLLANDE ( soit d'origine, soit en transit ) à destination de la grande Foire d'Octobre. 

Elle commerçait pendant un mois, attendait le vin nouveau, le chargeait et remettait à la voile vers la mi-Novembre. En tous cas, pour NOËL, il y avait bien longtemps qu'elle était repartie et les " vins du haut " arrivaient trop tard pour accéder au courant d'exportation auquel les " vins privilégiés " avaient déjà pourvu... 

Et c'était d'autant plus grave pour eux que les Hollandais, la plupart du temps ne revenaient pas, du moins pour acheter du vin car leur goût se portait sur les vins de primeur à l'exclusion des autres, sous la seule réserve de quelques rares très grands Médocs. Guillaume NAIRAC, Commissionnaire d'AMSTERDAM explique fort bien la chose lorsqu'il écrit:

 

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"Il y a dans ce pays (la HOLLANDE) un   préjugé défavorable à la vente des vins qui arrivent après le mois de Mars parce qu'ils sont sujets à prendre le goût de vieux..."

Ainsi donc, ou bien le marché Hollandais avait fait le plein de ses capacités avec les vins privilégiés et il n'achetait plus rien jusqu'à l'année suivante, ou bien, en cas de récolte insuffisante en Bordelais il complétait ses achats juste après la NOËL avec quelques vins du haut ". Mais ces derniers n'avaient jamais accès au meilleur moment du marché.

  Au surplus, dans la zone de la Sénéchaussée Privilégiée, les habitants de BORDEAUX avaient le droit de faire entrer leur vin dans la Ville en franchise de tous droits, sous conditions de formalités rigoureuses destinées à empêcher les fraudes. 

A l'origine, ce privilège avait été réservé aux seuls Bourgeois de la Ville régulièrement inscrits au Livre de Bourgeoisie, mais il avait ensuite été étendu aux " Manants et Habitants ". 

Plusieurs conditions étaient imposées à l'exercice de ce privilège. Le Bordelais devait avoir son domicile dans la Ville, et il ne pouvait y faire entrer que du vin provenant de sa vigne, régulièrement déclaré au " Bureau du Vin ". Ce vin devait au surplus impérativement provenir de l'une des Paroisses situées dans la Sénéchaussée Privilégiée.  

A BUDOS, le Baron De LAROQUE, Mr MIRAN, propriétaire à LA HONTIQUE et à MASSE, Mr DEGENSAC, Juge, et quelques autres bénéficiaient de ce privilège. Tous avaient un domicile à BORDEAUX, même s'ils n'y passaient guère plus des six mois obligatoires pour exercer leur droit. Tous récoltaient du vin dans leurs vignes Budossaises, et BUDOS figurait bien au nombre des Paroisses privilégiées.

  Comment cela fonctionnait-il ?

  Il y avait donc à BORDEAUX un " Bureau du Vin " où tout propriétaire susceptible d'exercer la privilège, devait venir déclarer sa récolte en précisant les quantités de blanc et de rouge ainsi que la Paroisse d'origine. Cette déclaration s'effectuait dés la fin des vendanges et, en tous cas, avant le Premier de l'An. 

Ensuite, chaque fois que l'intéressé voulait faire pénétrer du vin dans la Ville pour son usage personnel ou pour son commerce, il devait se présenter au Bureau du Vin où on lui établissait une " billette ", sorte d'acquit à caution qui devait accompagner le vin pendant tout son voyage depuis le chai d'origine jusqu'à la porte de BORDEAUX. 

Le portier vérifiait la quantité présentée et la conformité de l'origine de ce vin sur le document et sur l'estampille des barriques. Après quoi, le vin pouvait entrer, et la billette était jetée dans une boite en fer blanc dont le portier ne détenait pas la clé, ceci afin que le document ne puisse resservir une seconde fois. 

A chaque demande de billette, le Bureau du Vin déduisait évidemment la quantité souscrite du montant de la déclaration annuelle, en autant d'opérations qu'on le désirait et jusqu'à épuisement du contingent.

  Une fois le vin dans la Ville, le propriétaire pouvait soit en user pour sa consommation, soit le vendre à un négociant, soit enfin le vendre à son domicile en y ouvrant taverne.

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De ces trois possibilités, la dernière est, à coup sûr la plus pittoresque. Tout un chacun avait le droit d'ouvrir taverne en sa maison, mais il lui fallait pour cela faire appel à un " tavernier juré " qui venait s'y installer avec son " mesuroir "et qui " criait le vin " en annonçant son prix et son origine.

Devant la porte, on répandait de l'herbe au sol, ce qui constituait l'enseigne du débit de vin. Toutefois, il était interdit d'ouvrir deux tavernes " en même rue et vue", autrement dit dans une même rue, à la vue l'une de l'autre.

  Les vins exportés étaient vendus logés, il n'y avait donc pas pour eux de retour de futailles vides. Par contre, il s'en trouvait lorsque le vin avait été bu dans la Ville. L'étampage devait alors être arrasé à l'herminette avant toute réexpédition. 

Toutefois, lorsque le propriétaire rapatriait ses barriques vides sur son propre chai en campagne, on l'autorisait à ne pas effacer les marques de l'étampage, mais en ce cas, les fûts devaient être accompagnés d'une billette délivrée par le Bureau du Vin; billette qui devait lui être rapportée, après le voyage de retour avec le visa du Juge de la Juridiction ou du Curé de la Paroisse où se trouvait le chai. Tout cela était précis, pointilleux même, et les infractions constatées sanctionnées par des saisies assorties de très lourdes amendes.

  Dès les vendanges terminées et son vin " tiré au fin " le vigneron Budossais s'efforçait de le vendre au meilleur compte. Heureux celui qui lui trouvait un débouché dans la région immédiate par une livraison dans une auberge. Nous en avons ainsi des exemples à l'auberge de LA SAUBOTTE, de VILLANDRAUT ou de PRECHAC. 

En ce cas, il n'y avait à débourser ni frais de port ( car il le livrait lui-même ) , ni de courtage, et de surcroît, il récupérait les barriques. C'était tout bénéfice. Mais ce genre de débouché restait très limité. Tous les autres vignerons prenaient la route vers la GARONNE, essentiellement vers le Port de BARSAC et allaient y charger leurs barriques sur des coureaux, lourds bateaux à fond plat manœuvrés à la rame avec le concours d'une voile lorsque le vent était favorable. Il leur en coûtait 25 sols par tonneau jusqu'à BORDEAUX.

  Nous avons vu que ces barriques avaient été étampées au feu à la marque de la Paroisse. Le vin avait été vendu à un courtier qui le négociait à son tour sur le Port au quartier des CHARTRONS. 

Pour les petites quantités ces ventes se faisaient au comptant et en argent liquide; argent dont les petits vignerons avaient bien besoin, ne serait-ce que pour finir de payer leurs impôts royaux avant la fin de l'année. Les ventes plus conséquentes, en particulier celles du Baron ou des Notables s'effectuaient généralement à terme contre remise d'un billet à ordre.

  Seuls, les grands Crus Médocains pratiquaient le vieillissement, essentiellement à l'usage d'une clientèle anglaise très avertie, un peu hollandaise et allemande, qui acceptait de payer des prix jusqu'à dix fois supérieurs à la moyenne des cours de la place. Les GRAVES de nos régions n'ont jamais eu accès à ce marché très étroit mais oh ! combien lucratif !

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Le mécanisme de ce négoce est parfaitement rodé, mais les caprices de la nature en perturbaient souvent le fonctionnement. Les mauvaises récoltes bien sûr, mais aussi les trop bonnes. En Décembre 1783, le Président LE BERTHON, propriétaire à VIRELADE, ne trouvait aucun débouché pour ses vins, à n'importe quel prix:  

"Je ne crois pas qu'on se souvienne de pareil évènement..."

  écrivait-il amèrement. Il devait avoir la mémoire un peu courte car la chose s'était déjà vue, et, à plusieurs reprises il avait même fallu brûler des parts notables d'une récolte trop abondante pour les transformer en eaux de vie.

  Il est possible de reconstituer approximativement la production totale de BUDOS en partant du produit des dîmes collectées. La Paroisse produisait ainsi bon an mal an, un minimum de 340 tonneaux de vin ( 3.100 hectolitres ) pour une valeur brute de 40 à 45.000 Livres. Toutefois, en examinant un peu plus en détail les fluctuations des récoltes nous aurons bientôt l'occasion de voir que ces moyennes peuvent dissimuler des écarts considérables.

 Mais au fait, de quels vins s'agissait-il ? De blanc ou de rouge ?

  BUDOS produisait les deux sans qu'il soit possible de préciser en quelle proportion. Les documents existants ne permettent aucune approche d'une quelconque répartition. Les prix étaient sensiblement les mêmes car il n'est pas rare de voir les deux variétés de vin confondues dans une même vente sous un même prix, avec une formule telle que:

" deux barriques de rouge et deux de blanc à 120 Livres le tonneau..."  

Il serait pourtant intéressant de définir la part de chacune car elle pourrait bien ménager quelques surprises. Le nom de BORDEAUX reste attaché à une production de vins rouges majoritaire, la production de ses vins blancs étant importante, certes, mais néanmoins minoritaire. En allait-il de même au XVIIIème siècle ? 

Il est bien possible que la réponse soit négative. Une statistique, malheureusement trop globale, donne à réfléchir, c'est celle des exportations du Port de BORDEAUX  " en année commune ". On y découvre que l'on expédiait, annuellement à destination de:  

la HOLLANDE 7.000 Tonneaux de blanc et 1.500 de rouge
HAMBOURG  5.000 Tonneaux de blanc et 300 de rouge
DANTZIG  5.000 Tonneaux de blanc et 0 de rouge
le DANEMARK 3.000 Tonneaux de blanc et 300 de rouge
la POMERANIE 1.200 Tonneaux de blanc et 200 de rouge

Toutes les autres destinations offrent des taux de répartition identiques entre les deux vins. Les vins blancs l'emportent dans une proportion écrasante et les vins rouge ne s'imposent sur aucune des destinations. Ces chiffres ne laissent pas d'être assez surprenants et la légère correction que l'on pourrait y apporter en y incluant les " Grands Vins " n'est absolument pas à la mesure du phénomène. Il s'agit de quelques vins de grand prix, presque tous rouges, il est vrai, principalement issus des crus médocains mais limités à 50 tonneaux sur deux ou trois destinations  ( HOLLANDE, HAMBOURG et ANGLETERRE ).

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Seule la découverte de documents comptables locaux que l'on pourrait retrouver dans des archives privées permettrait de reprendre sérieusement cette étude sous une forme monographique. Elle ne manquerait certainement pas d'intérêt, encore faudrait il retrouver les documents utiles.

BUDOS était incontestablement une paroisse viticole. La vigne et le vin régnaient en maîtres au cœur des préoccupations de tous. Mais dans un temps où les échanges économiques manquaient singulièrement de fluidité et de souplesse, la survie de chacun dépendait essentiellement de ce qu'il produisait pour sa propre subsistance. 

Quelle que soit leur dévotion à la viticulture, les Budossais ne pouvaient se désintéresser des autres cultures et, tout spécialement, de celle des céréales qui ont constitué jusqu'à une époque récente le fond de l'alimentation de nos campagnes. Nous ajouterons à ce paragraphe quelques notes relatives à l'élevage, toujours étroitement imbriqué, dans le Pays des GRAVES, au sein des problèmes de culture par le biais de la production des fumiers.  

  Les céréales, les autres cultures vivrières, l'élevage:

L'idéal de chaque foyer rural, dans l'Ancienne France, était d'assurer sa propre subsistance sans rien acheter à l'extérieur. Chacun cherchait à se suffire à lui-même et y parvenait d'ailleurs dans une assez large mesure. Il en résultait que l'économie d'une Paroisse se résumait, la plupart du temps en une mosaïque d'autarcies familiales juxtaposées. Seules, les activité artisanales locales mettaient un peu d'animation dans les échanges, mais encore souvent sous la forme de trocs.

  BUDOS n'échappait évidemment pas à la règle commune. Chaque famille s'efforçait de tirer de sa terre ce qui lui était nécessaire pour vivre, la vente du vin, des veaux et de quelques agneaux fournissant au foyer les liquidités nécessaires, tout spécialement pour faire face au paiement de l'Impôt.  

  Les céréales.

  Au titre alimentaire, les céréales tenaient la toute première place. La Paroisse produisait essentiellement du seigle, un peu de froment et du millet. Le maïs ou " blé d'ESPAGNE " était connu mais n'a vraiment commencé à être cultivé de façon significative que dans les dernières décennies du siècle. Encore faut-il dire que sa production a dû rester modeste puisqu'il n'apparaît pas que le Curé DORAT ait jugé bon d'en prélever la Dîme.  

Les textes nous parlent abondamment de " blés ", mais en fait, dans le langage du temps, on appelait " blé " toutes sortes de grains.

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 A BUDOS, sans équivoque possible, le mot désignait le seigle, lequel constituait la céréale dominante, et dans des proportions écrasantes. Sur neuf années d'observations consécutives qui nous sont parvenues, BUDOS a produit en moyenne 86,6 % de seigle, 8 % de froment et 5,4 % de millet. Ajoutons au surplus que si les rendements sont variables d'une année à l'autre, la répartition entre les trois récoltes reste, à très peu près, constante.  

On préférait nettement la culture du seigle à celle du froment, et il y avait à cela plusieurs raisons. Tout d'abord, une raison de rendement, lequel était meilleur pour le seigle dans les terrains locaux. Et puis aussi, autre raison, parce que le pain que l'on en tirait se conservait nettement plus longtemps que le pain blanc. 

Enfin, semble-t-il, parce que la paille du seigle se prêtait davantage que celle du blé à divers travaux d'artisanat en particulier à la fabrication des toitures de chaume et du torchis. Ce dernier argument devait être relativement secondaire à BUDOS car les constructions en torchis y étaient assez rares et les toits de chaume réservés à quelque dépendances tels que les parcs à bestiaux, et encore pas tous.

  Curieusement, l'orge n'apparaît pas à l'inventaire alors qu'elle était assez commune dans les proches Paroisses de la Lande. Il est bien possible qu'il y en ait eu un peu ici ou là, mais certainement très peu puisqu'ici encore le Curé n'en prélevait pas la Dîme. Cette rareté probable mérite d'être soulignée, car il était d'usage, un peu partout, de pratiquer une rotation des cultures faisant succéder l'orge ou le millet sur un terrain qui, l'année précédente, avait été consacré au seigle ou au froment. 

En l'absence d'orge, les quelques 5 % de millet Budossais auraient été bien incapables d'assurer cette alternance aux 95 % de froment et seigle réunis. A la différence des Paroisses de la Lande Girondine, le Pays des GRAVES faisait davantage confiance à ses fumures pour régénérer le sol de ses joualles et se permettait de semer à nouveau chaque année des céréales nobles au même endroit. Mieux encore, on y pratiquait une double récolte annuelle sur un même fonds. Il est vrai que l'exiguïté des propriétés soumettait les exploitants aux nécessités d'une culture intensive.

  Nous connaissons bien le sillon ( peut-être parce qu'on l'abreuve de " sang impur "... ), mais son frère jumeau, le billon, est nettement moins connu. Le billon est le renflement de terre qui sépare deux sillons en creux. Or, c'est sur le billon que l'on semait le seigle et le froment, au mois d'Octobre, sitôt après la vendange. On les sarclait ensuite à la main deux fois, en hiver et au printemps. N'oublions pas pour autant l'arrachage du chiendent, aussi nuisible aux céréales qu'à la vigne.

Comme ces cultures, dans la quasi totalité des cas s'effectuaient en joualles, en un seul passage, on faisait d'une pierre deux coups. Faute de connaître un traitement approprié, cet arrachage se faisait entièrement à la main en Janvier et Février. Les enfants apportaient un large concours à cette opération, et l'on prenait grand soin de brûler ces mauvaises herbes qui n'auraient pas manqué de se réimplanter si l'on s'était borné à les enterrer en bout de la parcelle… Il ne restait plus ensuite qu'à butter le seigle ou le froment sur leur billon.

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 La moisson intervenait fin Juin , début Juillet pour les seigles, et un peu plus tard pour le froment : " à la MADELEINE " ( 22 Juillet ) . Tout le monde savait d'ailleurs que pour obtenir le meilleur rendement, il fallait attendre que le chant de la cigale ait remplacé celui du coucou.  

En Pays de GRAVES, on exploitait parfois le sol au maximum en semant du millet, au printemps, dans les sillons alternant avec les billons où les seigles et les froments étaient en train de croître. On ne le faisait évidemment que dans les meilleurs terrains. La faible proportion du millet par rapport au seigle suffirait à donner la juste mesure de cet usage dont on a beaucoup parlé et qui, sans aucun doute a été pratiqué, mais qui a dû néanmoins rester un peu exceptionnel. 

En fait, il semblerait que le procédé se soit développé un peu plus tardivement, au cours du XIXème siècle à la fin duquel il s'était solidement implanté.

  En vérité, cette idée d'une double récolte était tout à fait astucieuse. Dans son premier âge, le millet poussait au frais du sillon et se trouvait ensuite à découvert après la moisson des céréales nobles, ce qui lui convenait parfaitement car, parvenu à ce stade de développement, il offrait une très bonne résistance aux grandes chaleurs. Ce procédé exigeait évidemment que l'on moissonnât uniquement à la faucille puisqu'en avançant dans le rang, on ne pouvait marcher que sur le billon afin de ne pas léser les cultures occupant les sillons.

  Le millet était connu depuis l'Antiquité. Le géographe STRABON, au début de l'ère chrétienne, en note la présence au long de la Côte Aquitaine, en ajoutant même qu'il s'y trouvait " fort peu d'autres fruits "... 

Au XVIIIème siècle, on en cultivait deux variétés, l'une à grains blancs et espacés, destinée à faire des bouillies pour l'alimentation humaine, l'autre dite " VITALIE ", à grains très serrés sur la grappe et qui était destinée à la volaille. Ces millets avaient, en commun, une précieuse particularité : ils se conservaient.

  On n'avait jamais bien su conserver ni le seigle ni le blé. Heureux encore si l'on parvenait à les garder en bon état jusqu'à la soudure de la récolte suivante, exceptionnellement quelques mois de plus, mais guère au-delà. Nombreux sont les textes faisant référence à des grains fermentés, nauséabonds, ou victimes d'attaques d'insectes en particuliers de charançons. 

Faute d'avoir su défendre et conserver leurs céréales, nos Ancêtres ont souvent vécu des moments difficiles dont ils auraient pu faire l'économie. Les excédents d'une bonne récolte ne mettaient pas nécessairement à l'abri d'une disette si la suivante était mauvaise, tant s'en fallait. 

Mais le millet, lui, très rustique, se conservait très longtemps; jusqu'à dix ans disait-on. Il suffisait de l'enfermer dans un coffre en bois et il restait sain, à l'abri de toute détérioration. Il ne redoutait que les rongeurs contre lesquels il fallait le défendre. De ce fait, il a souvent constitué une sauvegarde lorsque la famine se manifestait.

  Les rendements de ces récoltes étaient incroyablement faibles. En dépit des soins dont on les entourait et de toutes les peines qu'on leur consacrait, les céréales, en année normale,  

" rendaient quatre pour un." 

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Pour un boisseau de semence, on en récoltait donc quatre, dont il fallait aussitôt retirer le boisseau destiné à la semence de l'année suivante ce qui ne laissait donc que trois boisseaux disponibles pour la consommation familiale ( sur lesquels il fallait encore prélever 7,7 % au titre de la Dîme ).  

Mais à l'expérience, la formule est encore plus contraignante qu'il n'y parait car, en cas de mauvaise récolte, le rendement tombait à trois pour un , voire à deux pour un, ou moins encore ... tandis que le prélèvement destiné à la future semence restait, quoi qu'il arrive rigoureusement constant. 

On peut considérer que les rendements moyens en seigle pouvaient s'inscrire, après conversion des mesures, entre 6 et 9 hectolitres par hectare pour 2 hectolitres consacrés à la semence ( on semait alors très " épais",autrement dit très dense ).

  Bon an mal an, et sauf catastrophes naturelles, on recueillait donc de 4 à 7 hectolitres de grains utiles destinés à la consommation et soumis à la Dîme. Ajoutons que la densité des grains recueillis était très faible. Selon les mesures effectuées régulièrement sur le marché de VILLANDRAUT pour toute la région, cette densité ne dépassait guère, en année courante, les 60 kilogrammes à l'hectolitre, ce qui laisse bien mal augurer de leur rendement en farine.

  Bien qu'il n'ait pas encore acquis le statut d'une récolte de premier plan, il nous faut tout de même évoquer la culture du maïs. Son nom gascon de " blat d'ESPAGNE " indique bien par quel cheminement il est venu de sa lointaine AMERIQUE jusqu'au Pays des GRAVES.

  Il pénètre en FRANCE par le sud, dès la fin du XVIème siècle. Salluste du BARTAS, en 1578, en célèbre la fécondité en des vers passablement laborieux. Curieusement, le grand voyageur John LOCKE le découvre en SAINTONGE en Septembre 1678 alors qu'il va s'embarquer à BLAYE. Mais ce qu'il en a vu ne doit être qu'une curiosité botanique expérimentale car la culture en est encore pour lors confinée en BEARN et en PAYS BASQUE.

  A partir de 1714 elle gagne les deux rives de l'ADOUR. Sa progression continue, moins de cinquante ans plus tard, cette culture a envahi toute la grande Lande. Déjà connue de façon très sporadique, elle parvient enfin réellement dans le Pays des GRAVES vers 1775 / 1780. Elle ne va pas s'y imposer immédiatement, mais elle va intéresser tout de même les paysans locaux. 

Certes, le mais donne du grain, mais il donne aussi un fourrage vert très apprécié dans un pays qui en est trop dépourvu. Et puis il faut dire aussi que sa culture a été enrichie au passage d'une idée intéressante. Le mais se sème au printemps, par petits groupes de graines enfouies par places successives avec un espacement de 40 à 50 centimètres. 

Or, c'est exactement le mode de plantation des haricots, aussi bien quant à la saison que pour le semis. En mêlant des grains de mais et de haricots dans le sillon, à côté du seigle déjà poussé sur le billon, on voyait croître une  double récolte supplémentaire, les haricots utilisant le mais comme support au lieu et place des encombrantes rames de bois traditionnelles.

  Cette idée fut rapidement adoptée. A la veille de la Révolution, le mais, a BUDOS, commençait à avoir droit de cité. Il s'en négociait un peu, un sac par ci, un sac par là; ce n'était pas encore un grand commerce, mais il allait se développer dans la période qui allait  suivre.

  Une certaine remise en cause des traditions culturales allait en découler.

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  Peut-on avoir une idée du prix de ces grains ? C'est tout à fait possible, mais les fluctuations en sont telles, au gré des récoltes qu'il est difficile d'en tirer un enseignement de portée générale, sinon en pratiquant des moyennes sur quelques années. Les comptes personnels du Curé DORAT nous offrent neuf années d'observation consécutives de 1.747 à 1755 pendant lesquelles, à BUDOS, en moyenne, le boisseau:

- de froment a valu 8 Livres 02 sols minimum 7, maximum 10)

- de seigle a valu 5 Livres 07 sols minimum 4, maximum 8

- de millet a valu 3 Livres 04 sols minimum 2, maximum 4

  Nous disposons aussi, dans les années 1780 et suivantes, des mercuriales du marché de VILLANDRAUT. Il s'agissait d'un marché aux grains très important dont les cours, avec ceux de LA REOLE , faisaient autorité sur tout le sud de la Généralité de BORDEAUX.

  A ce titre, ils étaient très suivis tous les deux par le Négoce Bordelais, ce qui nous a donné la chance d'en conserver les cours, semaine par semaine, pendant plusieurs années. De nombreux textes nous montrent les Budossais traitant leurs affaires sur ce marché de VILLANDRAUT qui était, indiscutablement, leur marché.

  C'est là que se formaient les prix pour toute la région. A titre d'exemple, en Janvier 1785, le boisseau de seigle y cotait 8 Livres 15 sols et le millet 9 Livres. Le froment n'y figurait pas. L'année 1784 ayant été très sèche, la récolte en avait été très médiocre ce qui est probablement une explication de son absence.

  Par contre, nous y trouvons du " blé VESPAGNE " à 9 Livres 5 sols le boisseau. Gardons nous bien de comparer les valeurs absolues de ces grains, la démarche serait pleine d'embûches. Mais regardons plutôt les valeurs relatives et notons que le millet qui valait presque deux fois moins cher que le seigle à la veille de 1760, vaut désormais plus cher que lui en 1785. notons également que le maïs est coté plus cher que le seigle, et cette observation est intéressante car elle corrobore d'autres indications montrant qu' à la veille de la Révolution, le maïs commençait réellement à trouver sa place sur les marchés locaux.

 

Les autres cultures vivrières.

  Il faudrait enfin dire quelques mots des autres cultures vivrières, souvent pratiquées dans le jardin, au plus près de la maison. Ce jardin avait habituellement une superficie de 3 à 5000 mètres carrés environ. Il avait le privilège de ne payer aucun droit seigneurial, il échappait même à la Dîme du Curé, sauf les jardins chèneviers. On y trouvait des pois, des fèves, des haricots, des " herbes " et des " racines ". 

Ces mots ont souvent fait l'objet de bien des contresens. 

Quand nos Ancêtres mangeaient des herbes ou des racines, ils n'étaient pas pour autant réduits aux extrémités que l'on pourrait imaginer. C'est tout simplement qu'ils avaient cueilli quelques choux, ou de la salade, ou des carottes. La salade, plus précisément la laitue, était alors une nouveauté dans nos pays. 

Elle s'est implantée au XVIIIème siècle et s'est glissée progressivement dans l'alimentation courante du paysan. D'aucuns ont prétendu, et peut-être non sans raison, que son apport vitaminique avait sensiblement contribué à l'amélioration des conditions de vie que l'on a pu observer dans les campagnes à la fin du siècle.  

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La salade a été adoptée, le maïs aussi, mais, en dépit de ses efforts, l'Administration Royale n'a jamais réussi à implanter la pomme de terre et le riz dans l'alimentation rurale. La Révolution et l'Empire y parviendront mais il aura fallu beaucoup de temps pour cela. Et pourtant le riz eût pu constituer un appoint très précieux dans certains moments difficiles. 

On en avait fait venir du sud de l'ESPAGNE par voie maritime, et d'ITALIE aussi, où il était également bien connu. Outre ses qualités nutritives, il avait, à l'instar du millet, l'avantage de se conserver longtemps. Peine perdue, il ne fut jamais adopté.

 

Tentatives d'innovations.

Dans toutes ces tentatives, on reconnaissait bien un souci constant de l'Administration de diversifier les cultures et d'encourager les innovations. En cela, la bonne volonté des Gouvernants était évidente, mais se heurtait, partout, à l'inertie, voire à l'hostilité des uns et des autres. Ce n'est qu'un des aspects, bien modeste certes, mais aussi bien réel, du drame de la fin de l'Ancien Régime. 

Les gouvernements successifs ne se sont pas, comme on voudrait parfois le faire croire, systématiquement endormis dans une quiétude béate, estimant que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

  Des hommes remarquables ont entrepris des réformes particulièrement intelligentes et bienvenues, TURGOT en fournit un excellent exemple. Mais toutes ces tentatives ont fini par se heurter, au sommet, aux intrigues de la Cour et des Notables, ou par s'enliser, à la base, dans le marais de l'inertie populaire. 

Chaque classe sociale a porté en cela sa part de responsabilités. Avec le recul du temps, ces aveuglements ont revêtu un véritable aspect dramatique, le Régime, en tous cas, n'y a pas survécu. Et pourtant, la volonté politique, répétons-le, n'a jamais fait défaut.

  Un autre exemple, modeste, mais significatif, pourrait en être fourni par les dispositions prises en faveur du défrichement. Une Déclaration Royale du 13 Août 1766 promettait une exemption de la Dîme et de toutes les impositions quelles qu'elles soient, pendant quinze ans, à qui défricherait une terre inculte. 

Au siège de chaque Généralité, on ouvrit un " Registre des Défrichements " où l'on devait enregistrer les déclarations. L'idée avait du bon. Il y avait, en bien des endroits, des terrains disponibles; il ne manquait qu'un peu d'esprit d'entreprise pour les mettre en valeur.

  Cette incitation fiscale pouvait constituer le moteur nécessaire dans un pays toujours à court de céréales et de fourrages. Or, à bien peu près, ce fut un échec. Les déclarations enregistrées vinrent essentiellement de la frange côtière, de SOULAC à LA TESTE et à MIOS, et un peu de l'ENTRE DEUX MERS. Ailleurs, l'écho fut très faible.

 On trouve quelques cas d'inscriptions à LANDIRAS et ILLATS et un seul à BUDOS, au bénéfice de Mr CONILH:

  " Aujourd'huy vingt quatre Février 1769 a comparu au Greffe de l'Election de GUYENNE, Messire Jean, Antoine, François CONILH, Conseiller au Parlement (de) BORDEAUX ... (domicilié) Paroisse SAINT REMI, lequel a déclaré avoir commencé à faire défricher depuis environ deux mois dix journaux de lande situés sur la Paroisse de BUDOS au lieu appelé " A BREBIS "  

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Il s'agissait donc d'un peu plus de trois hectares situés entre les Hameaux du ROY, de SAINT PIERRE et la métairie de PAUL. C'est le seul cas d'application recensé. Et pourtant, dans le même temps, il s'est vendu à BUDOS nombre de parcelles incultes qui auraient pu être " défrichées " au sens de la Déclaration Royale. Personne ne s'y est intéressé, l'incitation n'a pas joué.

 

L'élevage.

  Avant de clore ce paragraphe, il nous faut faire un peu le point sur l'élevage. Il peut paraître curieux de lier cette activité aux cultures. On aurait pu effectivement envisager de lui consacrer une rubrique distincte, mais ce rattachement n'est pas pour autant tout à fait arbitraire.

  L'élevage n'a jamais été, à BUDOS, une activité dominante. Les Budossais avaient besoin de moyens de traction, et ils avaient des boeufs. Ils avaient également besoin de fumier, encore de fumier et toujours plus de fumier, et ils avaient des vaches et quelques moutons.

  C'est en cela que l'élevage se rattache étroitement aux cultures. Accessoirement, ces bestiaux produisaient des veaux et des agneaux que l'on pouvait vendre pour obtenir quelques liquidités supplémentaires, ou conserver pour augmenter le capital du troupeau. La production du lait n'a jamais dépassé le stade de la consommation familiale et n'a laissé aucune trace dans les documents pourtant fort nombreux relatifs à la vie rurale.

  En principe, les Budossais n'élevaient pas leurs bœufs. Ils les achetaient, déjà dressés dans les paroisses de la Lande proche, à BALIZAC, LEOGEATS, VILLANDRAUT ou sur les foires d'UZESTE. Ils laissaient aux spécialistes le soin de les " faire venir " et de les dresser au travail. Dans la plupart des cas, il s'agissait d'animaux de robe " rouge sombre ".

  Dans chaque maison, il y avait quelques vaches; deux, trois ou quatre, d'âges très éventaillés et de robes variées. Il s'agissait de races indigènes fort anciennes qui ont aujourd'hui pratiquement disparu. La race Bretonne qui devait par la suite envahir nos campagnes n'était pas encore connue. Elle n'a été importée qu'en l'An XIII ( 1805 ), par les frères BERGUE, dans la Commune de BIAS, près de MIMIZAN.

  Le petit troupeau familial, qui pouvait être nettement plus conséquent chez les laboureurs aisés, était toujours en quête de fourrage. Les enfants le conduisait le long des chemins herbeux, ou allaient le garder dans la lande. 

L'Administration Royale avait bien tenté d'encourager l'implantation de nouvelles plantes fourragères, en particulier le sainfoin et le trèfle de HOLLANDE. Les essais de culture avaient, partout, rencontré le succès, mais l'inertie des populations rurales fit obstacle à leur développement et ce fut bien dommage car elles y auraient trouvé des rendements de fourrages incomparablement supérieurs à ceux de leurs pâturages traditionnels.

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 En cela, comme en bien d'autres choses, les paysans ne voulurent :

  " adopter d'autre genre de culture que celui suivi par leurs anciens Pères..."

  La paille fut souvent la dernière sauvegarde dans l'alimentation des bestiaux. Comment en aurait-il pu être autrement lorsque l'on voyait les cours du foin commencer la saison à 62 Livres et 10 sols la tonne ( après conversion des poids ) en 1785, pour finir à plus de 200 Livres, dit-on, en fin d'année.

Quelques familles avaient des moutons, pas toutes, car le problème de leur garde était plus contraignant que celui posé par les bovins. Pour fixer les idées, il naissait de 80 à 130 agneaux par an à BUDOS, ce n'était donc pas un élevage très important, ni par le nombre, ni par le revenu ( un agneau se vendait aux environs de 2 Livres ), mais il s'était toujours maintenu au fil du temps. Par contre, les chèvres étaient exclues, et même pourchassées.

  Leur voracité les mettaient au ban de la société rurale. Ce rejet n'était pas propre à BUDOS, toutes les paroisses des alentours le pratiquaient également. Des conflits éclataient d'ailleurs avec les chevriers au moment du passage des troupeaux pyrénéens transhumants. Les moutons, passe encore, mais les chèvres, non ! En 1773, la Ville de BAZAS prit des dispositions très rigoureuses pour interdire à ces animaux l'accès de son territoire.

Les chevaux étaient relativement rares. Les chevaux de trait, en particulier étaient presque inexistants. Seuls, les meuniers paraissent les avoir utilisés pour la desserte de leurs pratiques. On en trouve ainsi au moulin de BUDOS, de VILLANDRAUT et du CASTANG. Partout ailleurs, la traction des charrettes, charrues et tous les autres travaux de force étaient confiés à des boeufs.

  Il y avait des chevaux de selle au Château, il y en avait aussi chez les Notables locaux, et certains ne manquaient pas d'atteindre de grands prix. On pouvait trouver un jeune cheval à partir d'une trentaine de Livres, les prix moyens se situant entre 45 et 75 Livres. 

Mais le Docteur CARROUGE, que nous avons déjà rencontré en plusieurs circonstances, possédait un cheval estimé 300 Livres, un cheval qui lui donnait d'ailleurs bien du souci. Il donnait des signes de fatigue, si bien que Mr CARROUGE décida de le mettre au vert pendant quelques temps.

  A BUDOS, ce n'était guère possible, les prairies étaient si rares que l'on ne pouvait guère envisager d'en sacrifier une au bénéfice d'un cheval, fût-il de grand prix. C'est ainsi que Mr CARROUGE s'adressa à un certain GASSIER, Boulanger à PREIGNAC, qui affermait l'Ile dite " du GRAVIER ", sur la GARONNE, dont l'herbe était particulièrement drue et vivifiante. 

Ils convinrent d'un prix de pension de six Livres par mois, somme tout à fait considérable pour une simple mise au pré, mais pour un cheval de ce prix, que ne ferait-on pas ? L'animal prit pied sur l'île le 19 Octobre 1772. En passant sur bien des détails, nous dirons que Mr CAROUGE finit par s'apercevoir que l'on utilisait son cheval et même qu'il avait été blessé. On le lui rendit efflanqué, toussant et vomissant. Ce fut le début d'une longue bataille d'experts...

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E n f i n , autour de la maison, chaque famille élevait de la volaille, poulets, chapons, canards et quelques oies mais relativement peu nombreuses car leur entretien exigeait trop de grains. A la différence des premiers nommés, elles ne figurent jamais dans les contrats au titre de redevances. Les oeufs paraissent avoir été assez rares, leur prix, en tous cas, a toujours été élevé. Une douzaine d'entre eux valait bien six sols, soit le prix d'un poulet bon à vendre. Cette parité s'est maintenue au moins jusqu'à la fin du siècle.

  Chaque famille s'efforçait d'élever un porc, plusieurs chez les laboureurs aisés. Mais cet élevage était étroitement tributaire des récoltes de fruits. Il n'était pas question de les nourrir de grains, beaucoup trop rares, et la pomme de terre était encore pratiquement inconnue. En attendant que les glands fussent mûrs, leur alimentation reposait beaucoup sur les fruit jugés impropres pour la consommation humaine. 

Encore fallait-il qu'il y eut des fruits ( surtout des pommes ) et des glands, et ce n'était malheureusement pas toujours le cas. On se demande bien de quoi ont pu vivre les porcs en 1767 par exemple, année dépourvue de toute récolte fruitière... et ce ne fut pas un cas isolé. Ces cueillettes, et tout spécialement le ramassage des glands, étaient confiées aux enfants qui, très jeunes, prenaient déjà une part active aux travaux de la famille.

  On pourrait s'étonner que l'élevage n'ait pas connu un meilleur sort dans un pays où les fumiers étaient si recherchés. Mais ce serait oublier la pénurie endémique de fourrages que l'Administration Royale avait cherché à combattre, sans succès, nous l'avons vu. 

A BUDOS, les prairies sont jugées rares et "médiocres " , ce qui donne une idée de leur faible rendement en foin et regains. La Paroisse ne disposait même pas de bons pâturages en sous bois car il faut rappeler que toutes les étendues actuellement plantées d'acacias étaient alors dévolues à la culture de la vigne. Cette pénurie était telle que ces bestiaux, finalement peu nombreux, se révélaient, certaines années encore excédentaires au regard de la capacité que l'on avait de les nourrir. 

En 1765, les bovins, anémiés par insuffisance de nutrition, offrirent un champ de prédilection à une sévère épidémie de fièvre aphteuse. Les choses n'allaient pas s'arranger car l'année 1767 fut caractérisée par une extrême sécheresse

et il ne s'y récolta:

  " ni foin, ni regain; sans la paille, le bétail serait mort de faim..."

  La suite est facile à imaginer. Au début de 1768, observant les tendances des marchés aux bestiaux de VILLANDRAUT, UZESTE et autres lieux, le Subdélégué de l'Intendance à BAZAS constatait que:

  " la disette de fourrage a obligé de vendre à vil prix quantité de jeunes veaux; il en est résulté, un grand renchérissement du bétail et le vide ne saurait être remplacé ..."  

Mais le pire restait à venir.

  Venue des environs de BAYONNE, une épizootie se déclara au mois de Juin 1774. Plus tard, on pensa qu'elle avait été introduite par un chargement de cuirs entré dans le Port en provenance de la GUADELOUPE.  

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Quoi qu'il en soit, après quelques mois d'incubation en PAYS BASQUE, le fléau s'abattit d'un seul coup à partir de la grande foire aux bestiaux tenue à SAINT JUSTIN, dans les LANDES, le 23 Juillet 1774, communiquant ainsi:

" l'incendie à toute la Province ... " 

L'été fut torride et sec, favorisant, semble-t-il, le développement de la contagion. Tous furent surpris par son extension foudroyante. Toutes les foires furent aussitôt interdites et les bestiaux contaminés mis en quarantaine; l'Intendance prescrivit d'enfouir les animaux morts dans de profondes fosses en mêlant des épineux à la terre remuée pour dissuader les carnassiers de venir les déterrer. 

On aligna un cordon de troupes tout au long de la rive gauche de la GARONNE pour empêcher tout transfert de bovins au-delà de la rivière et tenter de préserver l'ENTRE DEUX MERS.

  Rien n'y fit. Le 13 Octobre 1774, l'Intendant écrivait au Contrôleur Général à VERSAILLES:

" Les progrès sont si rapides que les précautions les plus promptes et les plus multiples qu'on ne cesse de prendre sont une faible digue à lui opposer."  

Les 22 Octobre et 8 Décembre, l'Administration fit afficher à la porte des Eglises de toutes les Paroisses l'obligation de déclarer tout animal suspect de porter la maladie. S'il venait à mourir, le propriétaire était indemnisé des deux tiers de sa valeur. Mais s'il mourait sans avoir été déclaré malade, son propriétaire se voyait frappé d'une lourde amende. L'Eglise ordonna des prières publiques. On fit des processions les 18 Janvier et 3 Février 1775 pour demander au Ciel la : 

" cessation de la maladie du bétail..."

  Avec l'été de 1775, la contagion, un moment assagie repartit de plus belle. Finalement elle ne cessa qu'en mi 1776, d'elle-même, comme elle avait commencé. Nos régions avaient été durement touchées. Les registres paroissiaux d'ORIGNE mentionnent:

" une très grande mortalité sur les bestiaux, causée par une maladie épizootique qui s'est répandue dans presque toutes les Paroisses des LANDES ."

  En fait, ce sont les 80 % du cheptel bovin qui, en deux ans, avaient disparus. Ce fut une catastrophe pure et simple. Les bovins étaient morts ou avaient été abattus et l'Intendant écrivait:

  " Le peuple gémit et pleure pour l'avenir, attendu qu'il sera impossible de se procurer de l'engrais pour les terres. "

Plus d'engrais, mais plus de labours non plus, ou si peu, et pas davantage de transports. En 1777, l'Intendant DUPRE DE SAINT MAUR estimait encore que:

  " les pays qui ont éprouvé le fléau de l'épizootie n'ont pu encore se procurer qu'un tiers des bestiaux nécessaires pour la culture."

  et que de ce fait:

  " beaucoup de terres sont restées en friche..."

  La crise dura longtemps. Elle fut encore aggravée par une épidémie de grippe ovine venue également des LANDES dans le courant de l'année 1777. Pour comble de malheur, l'humidité excessive du printemps déclencha cette année-là une atteinte générale de l'ergot du seigle sur les quelques céréales qui avaient pu pousser. Ce furent là des années réellement très difficiles.

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En dépit de tous ces avatars, les Budossais s'efforçaient de tirer de leurs cultures et de leurs élevages le plus clair de leur subsistance. Mais il leur fallait également se vêtir et, là encore, c'est du produit de leur travail qu'ils tiraient l'essentiel des textiles qui leur étaient nécessaires.

 

La laine et le chanvre:

  Deux matières textiles de production locale couvraient l'essentiel des besoins en tissus du Village : la laine, et le chanvre. Et nous noterons au passage que nulle part, à BUDOS, on ne trouve la moindre trace de culture du lin.

  Certes, nous avons bien rencontré ici ou là quelques étoffes de fibres étrangères ou de fabrication extérieure à la Paroisse; quelques robes de mariées en étamine de soie, ou des garnitures de lit en Cadix d'AIGNAN, ou encore quelques toiles de MAZAMET que l'on pouvait acheter dans la boutique de Simon VERGES à BARSAC. Nous savons bien ce que l'on pouvait y acheter puisque nous détenons l'inventaire complet de sa boutique en date du 9 Octobre 1772.

Mais l'essentiel des besoins était bel et bien couvert par les moyens locaux en faisant appel à la laine et au chanvre. Disons bien l'essentiel, mais pas l'intégralité, car, sans parler des " fantaisies " évoquées ci-dessus, et pour rester dans le domaine strictement utilitaire, on ne pouvait par exemple guère envisager de fabriquer des mouchoirs de laine ou de chanvre, et c'est là qu'intervenait Simon VERGES, offrant dans sa boutique de la " cotonille à mouchoir " , à moins que l'on ne préférat , en plus solide, de la " toile de coton à carreaux rouges..."

 

La laine.

  Nous avons déjà vu ci-dessus qu'il naissait chaque année à BUDOS entre 80 et 130 agneaux. Sachant que la production de l'époque était en moyenne d'environ 75 agneaux annuels pour 100 mères, ces chiffres pourraient signifier que le troupeau d'ovins Budossais pouvait se situer, du moins en théorie, entre 106 et 173 têtes, ce qui serait vraiment bien modeste. Mais ces données de base sont empruntées aux comptes de la Dîme perçue par le Curé DORAT, au taux de un treizième de la production annuelle.

  Il faut probablement les examiner de façon un peu plus critique. Les agneaux étant indivisibles, il n'était pas question que le Curé en prélève un dans une exploitation où il y aurait eu moins de treize naissances dans l'année. De ce fait, toujours en moyenne théorique, les troupeaux inférieurs à 17 têtes devaient échapper au prélèvement de la Dîme et ne figuraient donc pas dans les comptes du Curé DORAT. Et si ces petits troupeaux avaient été majoritaires à BUDOS ? Ce n'est qu'une hypothèse, certes, et aucun texte ne permet de l'étayer, mais elle a quelques chances d'offrir une part de vérité.

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Comment en effet aurait-on pu entretenir de grands troupeaux de moutons dans un pays où la propriété était si morcelée ? Il y aurait bien eu la possibilité de recourir aux vastes espaces de la Lande Commune, mais elle était, nous l'avons vu, placée sous haute surveillance, et le Village aurait certainement très mal vu l'implantation de grands troupeaux ne tirant leur subsistance, au profit d'une seule famille, que des seuls espaces communs.

  L'hypothèse de nombreux petits troupeaux de quelques 10 à 25 têtes, producteurs de fumiers recherchés et de quantités de laine bien adaptées aux besoins familiaux usuels pourrait avoir du poids. On pourrait ainsi très bien imaginer une trentaine ou quarantaine d'élevages disséminés sur le territoire de la Paroisse et représentant peut-être 4 ou 500 têtes d'ovins au total, mais dont seuls, ceux disposant de plus de 15 à 20 têtes auraient payé la Dîme au Curé. Un tel schéma n'a rien d'invraisemblable, il est en tous cas très proche du mode de répartition des bovins dans les familles, lequel, lui, est bien connu.

  Il est probablement plus réaliste que l'évaluation théorique proposant la fourchette des 106/173 têtes tirée de la comptabilité des Dîmes du Curé. Au demeurant, il ne faudrait pas tenter de pousser l'hypothèse au-delà des 4 à 500 têtes estimées ci-dessus, avec beaucoup de prudence, car il n'existait à BUDOS qu'un seul cardeur de laine, Pierre BANOS, et nous savons par ailleurs qu'il n'exerçait son activité d'artisanat qu'en complément du faire valoir direct de sa petite propriété. L'ensemble du troupeau d'ovins Budossais ne pouvait donc être de bien grande importance.

  Quoi qu'il en soit, la laine récoltée sur ces troupeaux domestiques était lavée à la maison et confiée au cardeur. Le cardage parait bien avoir été un travail très spécifique exigeant l'intervention du spécialiste qu'était Pierre BANOS. Une partie de cette laine était ensuite filée en famille au cours des longues soirées d'hiver. 

Elle était destinée soit au tricotage, en particulier des bas et des chaussettes, soit au tissage. En ce cas, confiés aux soins de Pierre PERROY, dit CAUSSON, le Tisserand, les écheveaux se transformaient souvent en ces belles couvertures de laine blanche que nous retrouvons en constitution de dot dans certains contrats de mariage.

  Leur présence constitue un signe, sinon de richesse, du moins d'aisance. Elles sont évaluées de 30 à 48 Livres selon les cas, somme déjà très appréciable, puisqu'elle représente le prix de 8 à 12 têtes de moutons.... Une autre partie de cette laine, demeurée en l'état après lavage et cardage, était confiée à Jean BEZIN, " fouleur de cordillas " que nous avons déjà rencontré dans le Chapitre consacré à la Propriété. Ce foulon était installé au Moulin du BATAN. 

La laine y était pressée et feutrée en un tissus grossier, très lourd, mais pratiquement imperméable à la pluie, et dont on fabriquait des vêtements d'hiver. Ce cordillas était assez voisin semble-t-il, mais en plus épais de ce que l'on appellera plus tard le " droguet " et que l'on continuera de fabriquer, toujours au BATAN, jusqu'au milieu du XIXème siècle.

Aucune des interventions du cardeur ou du foulon ne faisait l'objet d'une rémunération en argent liquide. Leurs prestations se soldaient par des prélèvements en nature de laine ou de cordillas selon des proportions définies par des usages immémoriaux.

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Ce travail de la laine occupait donc une certaine place dans l'économie du Village, mais il n'a jamais dépassé le stade domestique et n'a jamais fait, apparemment, l'objet d'un quelconque commerce.

   

Le chanvre.

Il en allait de même du travail du chanvre, sur le plan local, bien évidemment, car il y avait place, par ailleurs, sur le plan général, pour un négoce important, aussi bien pour la laine que pour le chanvre. Ce dernier, en particulier, était très recherché pour la fabrication des cordages et des voiles destinés à la marine. La Généralité de GUYENNE, très déficitaire, en importait de lointaines contrées. Le 14 Janvier 1772, le Contrôleur Général TERRAY autorisait l'Intendant de BORDEAUX

  " à faire charger directement pour les ports de FRANCE, six mille quintaux de chanvre, en rame, de RUSSIE, en exemption de droits ".

  Dans une lettre du 4 Janvier écoulé ( dix jours plus tôt, tout juste l'Intendant avait exposé au Ministère l'insuffisance de ses approvisionnements locaux et avait demandé l'autorisation de recourir à cette importation.

  On ne manquera pas de noter en passant l'extraordinaire efficacité de l'Administration Royale qui, en dépit des moyens de communication de l'époque, était à même, en dix jours, de prendre une décision et de répondre, des Bureaux de VERSAILLES, à une demande émanant de l'Intendance de BORDEAUX.  

  Ce contingent s'avéra d'ailleurs insuffisant;  deux mois plus tard, il fallut débloquer une nouvelle autorisation pour 1500 quintaux supplémentaires. C'est donc dire quel besoins pressants se manifestaient, et il ne s'agit ici, bien sûr que d'un exemple. Il n'est donc pas impossible qu'en telle ou telle bonne année de récolte, BUDOS n'ait pas commercialisé quelques surplus de production de chanvre. On ne peut en écarter l'idée, mais ce qui est bien certain, c'est que ces quelques transactions, si elles ont existé, n'ont jamais pu porter sur de bien grosses quantités. 

Si l'on en croit les comptes du Curé DORAT, il se récoltait, suivant les années, dans la paroisse, de 300 à 500 kg de filasse de chanvre, nette, prête à l'emploi qui, à l'appréciation de l'intéressé, n'était " pas de la meilleure qualité ". Il est vrai que cette réflexion se rencontre dans un document où le Curé avait tout intérêt à minimiser le rendement et la qualité de ses Dîmes.... Alors peut-être n'est-elle pas tout à fait objective...

  Le chanvre a totalement disparu de nos contrées vers la fin du XIXème siècle, peut-être au début du XXème en quelques points isolés. Tout le processus assez complexe de sa culture et de son traitement est désormais bien oublié. Aussi est-il probablement utile de rappeler les rites et les gestes ancestraux le concernant, rites et gestes qui ont été inséparables de la vie du Village tout au long des siècles passés.

  Dans une lettre adressée en 1779 par le Subdélégué de BAZAS, BOURIOT, à son Intendant, DUPRE De SAINT MAUR, à BORDEAUX, on peut lire :

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" Le chanvre est une plante à qui des terrains gras et humides conviennent le mieux. Elle se plait singulièrement sur le bord des rivières. Aussi lève-t elle fort vite dans un terrain mouillé. C'est le contraire dans une terre sèche, à moins que l'on ne vienne à son secours."

  C'est fort bien dit, et le texte ajoute un peu plus loin que:

  " une chènevière exige quatre fois autant (d'engrais) qu'un terrain à blé d'une même étendue. "

  Un autre texte nous présente le chanvre comme une plante " gourmande " qui épuise rapidement les meilleures terres; il préconise, pour les régénérer, l'emploi du fumier de brebis, de préférence à tout autre.

  Plante exigeante quant à la qualité du sol et quant aux soins de culture, le chanvre était cultivé sur de minuscules parcelles situées aux abords immédiats de la maison familiale. Les textes parlent même souvent de " jardin chènevier ", terme tout à fait approprié et qui illustre parfaitement le caractère parcellaire de cette culture. L'observation est de portée générale, elle vaut aussi bien pour le Pays des GRAVES que pour les proches paroisses du Bazadais dans lesquelles on nous dit que :

" on ne sème tout au plus dans chaque métairie qu'un tiers de journal de chanvre" (entre 1000 et 1100 m2)"

  La situation est exactement la même à BUDOS et nous en détenons bien des preuves. Nous n'en citerons qu'une, entre bien d'autres à peu près semblables. Le 5 Février 1764, Pierre BEDOURET dit TOUILLON achète à Marguerite LAVIE:

  " deux règes de terre en chènevier formant deux pas et demi de large (2,21 mètre) à MOUYET... plus neuf pas (7,96 mètres) de terre, aussi en chènevier également à MOUYET."

  Ces parcelles étaient toujours très étroites et le devenaient de plus en plus au fil du temps car l'usage était solidement établi dans les familles de partager la chènevière entre chaque enfant. On leur attribuait des parcelles de vigne ou de bois, ici ou là, sans les diviser, ainsi que nous l'avons vu en étudiant la transmission de la propriété, mais aucun d'entre eux ne trouvait la chènevière dans son lot. 

Elle était toujours partagée, et, lorsque le sens du découpage était précisé, c'était toujours dans le sens de la longueur, si bien qu'à chaque génération, la parcelle devenait de plus en plus étroite. Ceci semble indiquer que certains terrains ont pu avoir une vocation chènevière spécifique, et qu'il n'était pas question de faire venir du chanvre n'importe où.  

Un jardin chènevier se présentait sous la forme de plates bandes d'une longueur n'excédant guère deux mètres. Ce terrain était bêché en profondeur, à la main bien sûr, par deux fois au cours de l'hiver, en Décembre et en Février. La fumure, abondante, intervenait au cours de cette deuxième façon. 

Fin Mars ou début Avril, selon le temps, on procédait à un nouveau bêchage et l'on semait; un semis traditionnellement très dru. La plate bande était recouverte de terre et passée au râteau. Il y avait alors un moment difficile à passer, car cette terre fraîchement remuée attirait les oiseaux dans une saison où la nature était plutôt avare de ses dons, et au surplus, les oiseaux ont toujours été très friands de chènevis…

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 C'était le travail des enfants que de chasser ces intrus, du lever du jour au soir tombé , afin de préserver la récolte. Cela durait une dizaine de jours, le temps que la terre se tasse. Le chanvre avait la particularité d'étouffer les mauvaises herbes autour de lui, si bien qu'il n'exigeait pratiquement pas de désherbage. Deux mois après le semis, on avait déjà une bonne idée de ce que pourrait être la récolte à venir.

  Le chanvre est une plante herbacée, robuste, à longue tige rigide et rêche dont les fleurs sont petites et peu visibles. A BUDOS, il n'atteignait pratiquement jamais les " sept à huit pieds " auxquels il parvenait en terrain privilégié; il devait donc se situer normalement entre 1,80 et 2 mètres.

  Le moment de la récolte était décisif pour la qualité de la fibre. Trop mure la plante devenait dure et " tournait en bois " , il ne fallait donc surtout pas attendre qu'elle soit sèche; pas assez mure, la fibre manquait de solidité. L'exacte maturité se reconnaissait au jaunissement des feuilles, tandis que blanchissait le bas des tiges. On l'arrachait alors, par poignées, sans jamais le faucher. 

C'était un travail confié aux femmes et aux enfants. Cette cueillette s'effectuait généralement en deux fois, les plans mâles en Juillet, et les plans femelles trois semaines plus tard. Réunies en petites gerbes liées avec de la paille de seigle, les poignées ainsi arrachées étaient mises à sécher sur le " cambey " où il fallait encore les surveiller de très près pour les protéger de la voracité des oiseaux. 

Au bout de quelques jours, on battait les gerbes femelles sur un banc, ou sur un billot pour en récupérer les graines dont on réservait la part nécessaire à la future semence, le reste était consacré à la nourriture de la volaille. Cette opération produisait une poussière épaisse et puante tout à fait caractéristique, mais ce n'était là qu'un début car le traitement du chanvre produisait bien d'autres nuisances.

  La plante était maintenant prête pour le rouissage qui se pratiquait selon deux techniques différentes, soit à l'air, soit à l'eau. Le résultat recherché était le même; il s'agissait d'amener la plante à la limite de la putréfaction pour pouvoir en détacher l'écorce. 

La première méthode semble bien avoir été dominante à BUDOS. Elle consistait à étendre le chanvre en faible épaisseur sur un pré d'herbe aussi verte et drue que possible, généralement aussitôt après la coupe du regain. L'alternance des rosées de la nuit et de l'ardeur du soleil conduisait au but recherché en huit à quinze jours selon les caprices de la météorologie. 

Cette opération de rouissage, à BUDOS, s'appelait " arrousia ", autrement dit, mettre à la rosée du Gascon " arrous " : rosée.  Elle dégageait une odeur nauséabonde. Le bout de prairie où s'effectuait le dépôt portait d'ailleurs en Gascon le nom particulièrement imagé de" pourridey" Et comme toutes les familles " mettaient à la rosée " à peu près en même temps, il y avait là quelques mauvais jours à passer pour l'ensemble de la paroisse ... Mais cela faisait partie des contingences de la vie, et personne, noble ou manant, ne pouvait échapper aux puanteurs que générait l'opération.  

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L'autre méthode consistait à immerger le chanvre dans les ruisseaux, mares ou étangs. On le maintenait sous l'eau entre des billes de bois de pin non écorcées. On appelait cela " ayga ", autrement dit " mettre à l'eau " ( du Gascon " aygue " : eau ) . 

Cette méthode était assez mal vue car, cette fois-ci, c'étaient les eaux qui devenaient littéralement pestilentielles. Il était d'ailleurs interdit de restituer au fil du courant les eaux détournées d'un ruisseau à cet usage. Déjà, en 1725, l'Intendant BOUCHER avait pris une Ordonnance toujours en vigueur à la fin du siècle, interdisant cette pratique :

" afin d'empêcher, autant que possible, la mortalité des bestiaux et du poisson causée par la puanteur des eaux... que les chanvres infectent. "

  Au surplus, les tisserands prétendaient que le fil issu de la première méthode, que l'on appelait " hiou d'arrous " (littéralement " fil de rosée " ) fournissait des toiles de meilleure qualité que ceux provenant de la seconde.

  Après le rouissage, qui n'était rien d'autre qu'une fermentation bactérienne, les fibres utiles commençaient à se séparer de la partie ligneuse. Il fallait alors rincer les gerbes qui avaient croupi dans une sorte de purée nauséabonde, afin d'en dégager les fibres. Il restait à les faire sécher, suspendues sous un hangar ou dans une grange où elles restaient jusqu'à l'entrée de l'hiver.

  Vers le mois de Novembre, ces fibres se rechargeaient de l'humidité ambiante. Il était temps d'intervenir. On les passait au four, généralement après une cuisson de pain, afin que la chaleur ne fût plus trop vive. S'il fallait en effet que ces fibres fussent bien sèches, il ne fallait pas pour autant qu'elles fussent cuites sous peine de les voir devenir cassantes.

 Venait alors le broyage que l'on pratiquait au "matyoun" du Gascon " matya " : mâcher ) , appareil en bois ayant la forme d'un tranche pain d'environ un mètre de long. La partie inférieure, formant socle, était horizontale et fixe. La partie supérieure, mobile, lui était rattachée, en l'une de ses extrémités par un pivot et se terminait, à l'autre bout par un manche. 

D'une main on présentait les fibres par poignées entre les deux branches de la mâchoire, tandis que l'autre main, tenant le manche levait et abaissait la partie mobile d'un mouvement sec qui produisait un claquement très caractéristique que l'on entendait de fort loin. C'était, à la saison l'un des bruits familiers du village, et tout un chacun savait tout aussitôt lorsque l'on " matyait " chez tel ou tel voisin. Au cour de cette opération, les dernières fibres ligneuses se séparaient du chanvre et tombaient.

  On pouvait alors passer au teillage qui se pratiquait sur les " bargues "( du Gascon " barga " : teiller.) Cet appareil était très voisin du "matyoun ". La seule différence était que la partie inférieure fixe, au lieu d'être formée d'une latte de bois pleine, était constituée de deux lattes parallèles laissant un intervalle libre entre deux. En fin de course, la partie mobile s'enfonçait dans cet intervalle en y coinçant les fibres. Cette opération était nettement plus agressive que celle pratiquée sur le " matyoun ".

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Les fibres en ressortaient parfaitement séparées. Les déchets issus de ce travail, dénommés " bargasses " étaient soigneusement récupérés car ils étaient traditionnellement destinés à la fabrication des mèches de chandelle de résine.  

On pouvait alors passer au peignage qui se pratiquait en plusieurs opérations successives au moyen de peignes à pointes de fer implantées dans des blocs de bois. Il en existait de plusieurs dimensions. Les dents longues et espacées étaient utilisées les premières avant de passer au " peigne fin " à dents courtes et rapprochées. Pour obtenir une sélection plus poussée des meilleures fibres, on pouvait recommencer plusieurs fois le passage au peigne fin.

  Au résultat de toutes ces opérations, on classait les fibres ainsi obtenues en deux catégories. Les plus belles dites de " brin " étaient destinées à fabriquer le linge le plus fin, serviettes, chemises, etc… ainsi que le fil à coudre; les plus grosses et les moins blanches, dites " d'étoupe ", étaient destinées aux toiles plus grossières. Les constitutions de dot, dans les contrats de mariage ne manquaient jamais de préciser si le linge donné à la mariée était fait " de brin " ou " d'étoupe ".

  A partir du mois de Décembre, les fileuses se mettaient à l'ouvrage, en particulier le soir, à la veillée autour de la cheminée, tantôt dans une famille et tantôt dans une autre, chacune apportant sa quenouille et ses fuseaux. Certes, pour filer, il fallait beaucoup de salive afin d'humecter le fil en cours de confection, mais en cas de nécessité, un petit bol d'eau pouvait y suppléer, et, de toute manière, cette activité n'a jamais interdit , ni même tant soit peu freiné les conversations. 

Toute la vie du Village y passait. C'est là que se formait l'opinion publique et que, tout aussi bien, se faisaient et défaisaient les réputations, sans oublier les contes, la transmission des superstitions, et aussi, des chansons. Avec ou sans conversation, une fileuse expérimentée produisait environ 250 grammes de fil par jour, mais certaines, particulièrement adroites, dépassaient, dit-on, largement ce chiffre.

  Il restait ensuite à faire sécher les fuseaux chargés du fil encore humide. Cela se faisait, dans chaque maison, sous le manteau de la cheminée. Plus tard, à moments perdus, on réunissait tout ce fil soit en écheveaux, soit en pelotes selon l'usage auquel on le destinait.

  On retrouve ainsi des provisions de chanvre dans les ménages à l'occasion d'inventaires, tout particulièrement après décès. Au fur et à mesure que l'hiver avançait, on trouvait de plus en plus de fil et de moins en moins de filasse. Ainsi par exemple, dans un inventaire du 3 Février 1764, trouve-t-on :

  " vingt huit écheveaux de fil de brin à blanchir, provenant de la récolte dernière ... (et) deux paquets de filasse sans être peignée (également) de la récolte dernière..."

  Nous sommes en Février, et ces chiffres nous donnent une idée de l'avancement du travail des femmes de la maison.

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Le moment venu, on confiera ce fil à un tisserand local qui en tirera le meilleur parti, soit pour habiller tel ou tel membre de la famille, soit pour fournir du linge à la maison.

Le chanvre, avons-nous dit n'a jamais constitué une culture dominante à BUDOS, mais du fait de sa dispersion, il concernait tout le monde. Les nombreuses contraintes imposées par sa transformation au fil des mois d'hiver n'ont jamais cessé de lui conférer une place tout à fait notable dans les préoccupations des Budossais. Riches ou pauvres ils lui ont toujours consacré une attention toute particulière.

  Le vin pour le commerce, les céréales et l'élevage pour assurer la vie de chaque jour, les textiles pour se vêtir, les Budossais, au quotidien, ne manquaient certes pas de travail . Mais il leur fallait aussi du bois pour se chauffer et pour construire, et contre toute attente, ce bois n'était pas si facile à trouver. Les documents qui nous sont parvenus sont là pour le prouver.

 

Le bois:

  D'une façon très générale, la GUYENNE manquait de bois. Rappelons la lettre de DODUN à l'Intendant BOUCHER en date du 27 Mai 1726, lettre que nous avons déjà citée et par laquelle il invitait l'Administration Provinciale à ne pas autoriser de plantations de vignes

  " dans des terrains où le bois pourra venir..."

  Si à BUDOS le problème était moins pressant qu'il ne pouvait l'être en bordure de GARONNE, et surtout à BORDEAUX, il n'en était pas moins bel et bien posé, et depuis longtemps.

  Certes, BUDOS disposait d'une vaste lande commune, sur des centaines et des centaines d'hectares, s'étendant sur tout le sud et le sud-ouest de la Paroisse, jusqu'aux limites de LEOGEATS et de BALIZAC. Mais il ne s'y rencontrait guère que quelques rares pins, très clairsemés et mal venus par excès d'humidité et faute de drainage approprié. On ne pouvait raisonnablement espérer en tirer aucune ressource sérieuse en bois. 

Au delà des limites de la Paroisse, il en allait de même jusqu'au Bourg de BALIZAC. L'étendue dite du " POUY " était parfaitement nue et désolée. De tous ces terrains, on ne pouvait extraire que des bruyères et des molinies destinées aux litières. L'idée n'est jamais venue à personne qu'au prix d'un aménagement du sol, on pourrait y trouver à la fois du bois et des litières .... Il a fallu pour cela attendre le début du XIXème siècle.

Alors où trouvait-on de la forêt à BUDOS ?

L'inventaire des lieux est assez vite fait.

Il y avait tout d'abord une bande d'une cinquantaine d'hectares située sur la rive droite du TURSAN entre la métairie de LANTRES et le Pont du KA, terrain bénéficiant d'un drainage naturel en direction du ruisseau.

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 Puis, un petit massif de quelques 25 hectares situé dans le prolongement du premier, entre les métairies d'ANDRIVET e t de COUDEOU. Ajoutons-y quelques hectares entre la Chapelle SAINT PIERRE et le quartier de MEDOUC; les textes nous disent qu'il y avait là quatre hectares de " pignadas très épais ", mais il est bien possible qu'il y ait eu quelques autres parcelles identiques. 

Signalons encore un massif nettement plus important entre le Château de PINGUET, la métairie de LAVION et le quartier de MOUYET s'étendant jusqu'aux prairies et marais du CIRON vers POURRIERE et l'EAU BELLE sous déduction toutefois d'une vaste enclave formée par le champ de PINGOY. Il pouvait bien y avoir là une cinquantaine d'hectares. 

Et enfin une frange, sur la rive gauche du CIRON, allant de la métairie du LANDON jusqu'aux environs de MARGARIDE, ayant la forme d'un triangle étiré en direction du sud, sur 30 à 40 hectares, guère plus. On ne court pas de grands risques d'erreur en avançant que BUDOS ne disposait pas de plus de 300 hectares de forêt, soit environ 15 % de la superficie totale de la Paroisse. Encore faut-il bien préciser que ces 300 hectares se répartissaient sur les divers stades du cycle végétatif , allant de la coupe rase à la forêt en pleine exploitation, ce qui limitait d'autant les superficies réellement disponibles.

 

Le marché du bois se répartissait en trois compartiments bien distincts : le bois de chauffage, le bois d'oeuvre et les bois destinés à l'exploitation de la vigne ( échalas, lattons, etc...)

 

Le bois de chauffage.

  Le marché du bois de chauffage se présentait lui-même sous trois formes les bûches, le " faissonnat " et la bourrée. Les bûches se vendaient " au cent "; elles étaient exclusivement de pin. On ne trouve strictement aucun marché portant sur des bûches de chêne. Il a bien dû néanmoins y en avoir quelques uns, ne serait-ce que pour écouler les branches des gros chênes abattus; pourtant, aucune trace n'a pu en être retrouvée. 

Un cent de bûches de pin valait 5 Livres lorsqu'elles étaient enlevées par l'acheteur sur le chantier 16 Juillet 1780 ) ou 8 Livres et 15 sols lorsqu'on allait les livrer à domicile, par exemple chez Jean Baptiste DUBLANC, Maître en Chirurgie à BOMMES 18 Septembre 1787 ).

  La provision habituelle d'un ménage se situait aux environs de 400 bûches par an ce qui supposait d'autres ressources en combustible car il était nécessaire d'entretenir le feu chaque jour de l'année. Il fallait bien faire face aux besoins de la cuisine, même au cœur de l'été ... Ce complément pouvait venir de, taillis de chêne commercialisé sous forme de faissonnat. Chaque laboureur exploitait les siens dans la mesure de ses disponibilités (souvent limitées tant les parcelles étaient petites).

 Des bûcherons professionnels, au demeurant peu nombreux, coupaient ces taillis pour le compte des Notables aisés. Ils étaient rémunérés "  au cent " . La bourrée, enfin, issue des menues branches et des cimes servait à allumer le feu, mais était aussi vendue, en fagots, aux boulangers et aux tuiliers qui en chauffaient leurs fours.  

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Les bois d'œuvre.

Les bois d'oeuvre se commercialisaient essentiellement sous la forme de " barrefortes " et de planches. Selon le Dictionnaire de TREVOUX, le terme de  " barreforte "  désignait:

  " En Bordelais... des pièces de bois que l'on tire du pin, telles que poutres... ou solives. "

  Les contrats dont nous disposons portent essentiellement sur des solives, lesquelles se vendaient au prix de 20 sols la douzaine rendues à PODENSAC ( 6 Septembre 1763 ) pour y être embarquées à destination de BORDEAUX. Ce n'était pas très cher au regard de l'important travail de sciage manuel que leur confection supposait. 

Certains de ces marchés étaient très importants, 200 douzaines par exemple. De même pour les planches qui se vendaient soit au poids, soit à la douzaine. Les prix retrouvés en sont assez variables, probablement selon les dimensions, mais aussi selon les qualités qui sont rarement précisées.

  Au poids, ces prix, après conversion, s'inscrivent dans la fourchette de 71 à 112 Livres la tonne. Leur transport s'effectuait le plus souvent par flottage sur le CIRON. On ne rencontre néanmoins aucun radelier à BUDOS; la profession parait avoir été cantonnée aux environs de NOAILLAN et de VILLANDRAUT. A plusieurs reprises on voit intervenir Pierre SAINT MARC ou Joseph LAPEYRE qui sont " voituriers d'eau " à NOAILLAN.

  Ils acheminaient les planches jusqu'au Port Neuf de BARSAC au prix de 13 sols la douzaine jusqu'en Décembre 1762, date à laquelle ils portèrent leur prix à 14 sols. La confection d'une planche exigeait en ce temps là la mise au jeu d'une importante main d'oeuvre. Deux " scieurs de long "  étaient indispensables. 

L'arbre à scier était placé sur un chevalet à environ deux mètres du sol, l'un des deux hommes montait sur la bille, l'autre restait à terre. Ils sciaient verticalement au moyen d'un " passe partout " à large lame. A raison de deux traits de scie par planche, c'était un travail long et pénible. Le scieur resté au sol était appelé " l'homme aux yeux rouges " car il recevait la sciure dans les yeux tandis qu'il levait la tête pour surveiller la rectitude du trait avançant tout au long de l'arbre.

 Il y avait toujours eu des scieurs de long à BUDOS, DUBOURDIEU, à LA CROIX, près du BOURG, Jean LACASSAGNE dit LAOUSET, à PINGOY, VINCENS à PANGASTE, un autre à LAVION, etc... Si chaque Budossais était capable de débiter son bois de chauffage, il en allait tout autrement du façonnage des bois d'œuvre qui exigeait un véritable savoir faire de professionnels que seuls détenaient les scieurs de long. Ils travaillaient pour les besoins locaux, mais aussi pour des marchés extérieurs à la Paroisse. 

Il semble bien que LE LANDON ait constitué un point de " mise à l'eau " des bois façonnés en vue de leur acheminement sur le Port de BARSAC. Nous y voyons des marchands de bois s'y rencontrer et s'y faire livrer leurs marchandises. Le 3 Mars 1784 par exemple, Pierre DUPRAT , dit GAUCHEY, marchand habitant à CASTIGUE, dans la Paroisse de NOAILLAN, et son associé Etienne DUPEYRON dit le JEUNE, ont rencontré:  

" au LANDON sur les bords du CIRON, de la Paroisse de BUDOS..."

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le nommé AMANIEU, marchand à BARSAC, habitant à HALLET. Ils lui ont vendu 54 douzaines de planches:

" laquelle marchandise ledit AMANIEU leur recommanda de faire transporter audit lieu du LANDON (dans) les deux premiers jours (suivant) leur convention."

  Mais l'acheteur tarde à prendre livraison et les vendeurs n'e sont pas trop rassurés compte tenu:

  " du risque évident qu'ils encourent de se voir enlever tôt ou tard ladite marchandise de l'endroit où elle est actuellement située. "

  Cette inquiétude motive leur démarche, et ils somment leur acheteur de prendre livraison au plus tôt. Cette anecdote, en tous cas, tend à prouver que le lieu du dépôt n'était pas gardé.

  Ce bois ne vient pas forcément de BUDOS. Des paroisses voisines en sont beaucoup mieux pourvues, en particulier BALIZAC et SAINT LEGER, tout au long des vallées de la HURE et du BALION. On s'y approvisionnait à meilleur compte. On pouvait y acheter par exemple une pièce de pins sur pied, le 22 Juin 1766,

  " le moindre pin de trois billons de barre..."

  à raison de 48 Livres le cent. Ce ne sont certainement pas de très grands pins, car on arrive à tirer huit billons d'un arbre adulte, exceptionnellement neuf. Mais tout de même, sur la base approximative de 350 billons pour cent pins, le prix du billon n'atteindrait pas 3 sols, c'est bien peu... Il faudra ensuite évidemment tenir compte de l'importante valeur ajoutée qu'apportait le sciage manuel que nous avons évoqué; il semble donc bien que le prix des bois d'oeuvre dépendait davantage de la main d'oeuvre que de la matière première.

 

Les fournitures pour la vigne et les bois spéciaux.

  Reste enfin la troisième catégorie de bois, celle des fournitures destinées à la vigne. Nous avons déjà vu qu'elle faisait souvent l'objet de contrats " à mi-fruit " entre des vignerons et des propriétaire de pignadas. Nous n'y reviendrons pas, sinon pour ajouter qu'il s'en faisait également commerce et que les lattons, par exemple, se vendaient à raison de 36 Livres le mille. Jean DUGOUA, marchand à BUDOS, en vendait dans la vallée de la GARONNE, en particulier à Louis DEBANS, dit LOUISOT, tonnelier à BARSAC.  

Nous en terminerons avec le paragraphe des bois en évoquant d'un mot les " bois spéciaux ", très recherchés pour certains usages étroitement définis. Les branches de saule, par exemple, pour peu qu'elles fussent bien droites, étaient vivement convoitées pour fabriquer les manches d'outils; mais on vendait aussi un bon prix les bois de sureau dont les artisans fabriquaient des peignes; le charme servait à la confection des rabots et des varlopes; le buis enfin était très prisé par des tourneurs adroits qui en tiraient des grains de chapelet et des toupies.

Le bois était précieux et l'on tirait parti de toutes ses essences et de toutes ses formes.  

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A travers leurs activités, nombreuses et variées, nous venons de découvrir les Budossais au travail. Actifs, industrieux, mais aussi très routiniers, ils se savaient fragiles et soumis sans défense aux caprices de la nature; une nature qui ne les a d'ailleurs pas toujours ménagés en cette fin de siècle, tant s'en faut…!  Il n'est donc pas étonnant, qu'en toile de fond de leur vie quotidienne ils aient toujours porté le plus vif intérêt au temps qu'il avait fait, au temps qu'il faisait et, en tant que de besoin, au temps qu'il allait faire.

  Nous passerions à côté d'une composante majeure de la sensibilité du Village si nous n'explorions pas les domaines de la météorologie, de ses conséquences sur les récoltes, et des phénomènes naturels majeurs qui ont si souvent frappé les esprits de chacun.

   

Les bonnes et les  mauvaises récoltes

 la météorologie,

 les phénomènes naturels:

Nous disposons de très nombreux documents qui nous permettraient, si nous le voulions, de relater tous les évènements liés à la météorologie. La masse des renseignements disponible augmente d'ailleurs au fil des années jusqu'au point de disposer, dans les derniers temps de l'Ancien Régime, de plusieurs relevés quotidiens très précis des températures, des pressions barométriques et de la pluviométrie sans oublier la force et la direction des vents... 

Il n'entre pas dans notre propos d'en venir à de pareils détails qui sont l'affaire de spécialistes. Mais puisque nous sommes résolument engagés dans la voie de l'histoire anecdotique, c'est par ce biais que nous tenterons de rendre compte d'une matière qui, par toute autre approche, pourrait se révéler sous un jour beaucoup trop technique.

 

Les caprices de la nature, fragilité des équilibres.

  Au moment où nous commençons notre période d'observation, en 1760, les Budossais étaient encore sous le coup d'un certain nombre d'évènements récents qui les avaient beaucoup marqués et dont ils étaient encore mal remis. Tout spécialement, la gelée du 17 Avril 1758 était encore dans toutes les mémoires. Elle avait provoqué la perte de la quasi totalité de la récolte de vin. Après cette triste matinée, les vignes :

  " n'ont donné que des pampres qui ont pris naissance sur le vieux bois et (les) souches et n'ont produit que très peu de grappes de verjus très menues et languissantes …"  

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Le Commissaire Enquêteur désigné pour recenser les dégâts avait conclu au terme de sa visite sur le terrain du 26 Juillet, que:

  " (les habitants ont perdu, de quinze part, les quatorze de leurs revenus...) "

  ce qui représentait donc sensiblement 91 % de la récolte. Ils obtinrent de ce fait un dégrèvement sur le montant d'imposition de leurs Tailles, mais l'année suivante, ils furent encore éprouvés, d'une façon un peu moins radicale, mais suffisante tout de même pour obtenir un nouveau dégrèvement de 540 Livres sur le total de l'imposition paroissiale.

  Deux mauvaises années consécutives posaient déjà de très nombreux problèmes, mais un évènement insolite était également venu frapper l'imagination des Budossais. Dans la nuit du 10 au 11 Août 1759, vers 22 h. 15, la terre avait tremblé; pas un simple frémissement, mais une véritable secousse qui fit, un peu partout de nombreux dégâts. La voûte de l' Eglise Notre Dame de BORDEAUX s'effondra. 

Mais les zones les plus touchées s'étaient situées dans la région Libournaise, tout spécialement à VAYRES, dont le Château fut très ébranlé et plusieurs maisons détruites, ainsi que dans l'ENTRE DEUX MERS. Le Pays des GRAVES avait été épargné, mais ses habitants en avaient conçu une vive frayeur. C'est dans cette ambiance plutôt morose que s'ouvre la période des années soixante que nous allons maintenant étudier avec un peu plus d'attention.

  Ces années soixante ont constitué une période chaude, très chaude même, car le XVIIIème siècle détient toujours le record des étés les plus chauds jusqu'à nos jours, avec 37 périodes de canicule contre 21 au XVIIème siècle et 17 seulement au XIXème

  Il fit très chaud, tout spécialement et sans discontinuer au cours des étés de 1757 à 1766, ce qui se traduisit, entre autres conséquences, dans la plupart des cas par de dramatiques disettes en fourrages. Celle de 1765, en particulier resta longtemps dans les mémoires pour avoir été suivie d'une épidémie de fièvre aphteuse que nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer et qui s'était abattue sur des troupeaux sérieusement anémiés par la malnutrition.

Ces phénomènes caniculaires continus n'empêchaient pas de voir survenir d'autres avatars.  

S'il faisait très chaud l'été, nul n'était pour autant à l'abri des gelées printanières ou des grêles d'été. A cet égard, l'année 1763 s'était révélée particulièrement désastreuse, si désastreuse, même, que le Baron De LAROQUE, conjointement avec les Collecteurs de la Taille de BUDOS, avait demandé à l'Intendant l'ouverture d'une enquête en vue de recenser exactement les dégâts accumulés. 

Satisfaction lui avait été accordée. Et le 24 Septembre, à 7 heures du matin, Maitre DEGENSAC, Commissaire Enquêteur commençait son inspection, accompagné du Baron, du Curé DORAT, de LACASSAGNE et de Pierre BERGEY, Collecteurs  désignés pour l'année, ainsi que des Notables locaux et des principaux propriétaires de BUDOS.  

Cette petite troupe a ainsi:

  " parcouru ladite Paroisse tant dans l'objet des vignes, bois, taillis, prairies, pignadas, que des landes en dépendant; ensuite de quartier en quartier, et de lieu en lieu..."

  Le Procès Verbal issu de cette enquête commence par dresser un recensement des différentes cultures pratiquées sur la Paroisse.

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 Le Commissaire Enquêteur y a ainsi trouvé:

  - un tiers en vignes (soit 660 à 670 hectares)

  " toutes les vignes étant ainsi en joualles à l'exception de quelques (parcelles où) se trouvent des vignes à suite..."

- un tiers en lande ( soit 660 à 670 hectares)

- un sixième en pignadas (environ 330 hectares) " ou friche propre à pignadas " est-il précisé.

- un douzième en prés (environ 170 hectares)

- un douzième en terres labourables (environ 170 hectares).

  Viennent ensuite les observations propres à l'enquête:

  " presque ... toutes les prairies de ladite Paroisse, bordant la rivière du CIRON,... nous ont paru très sujettes à l'inondation, ayant vu en bien des endroits des prairies en partie couvertes de sable et dans d'autres du jonc et autres herbes marécageuses..."

 Pour les vignes, les dégâts n'étaient pas uniformément répartis car:

  " dans le nombre des propriétaires, il y en a qui sont bien plus mal traités que les autres, et nous étant informés de la raison (de ce phénomène) puisque les accidents de la gelée, du coulage et de la grêle, dans ce lieu, ont été généraux, (les habitants) nous ont répondu qu'ils croyaient que cela pouvait provenir de ce que les uns avaient taillé (de ) bonne heure et les autres plus tard."

  Quant aux céréales, le Commissaire ne peut s'en remettre qu'aux dires des habitants puisqu'à la fin Septembre, les moissons étaient évidemment terminées depuis bien longtemps.

Au résultat de tout ceci, et en conclusion:

 " D'après toutes ces observations, et l'attention scrupuleuse que nous avons apportée dans notre visite, nous estimons que la perte de revenu sur les vignes est, dans le cas général, au moins des deux tiers, de même que les prairies, et comme nous n'avons pu apprécier la perte sur les blés (lesquels sont) déjà recueillis, ledit Sieur Curé de la Paroisse qui en prenait (la Dîme), de même que les autres habitants, nous ont déclaré d'une commune voix qu'il y a eu cette année autant ou plus de blé que l'année dernière, mais comme (cette année là) fût des plus désastreuses, ils estiment que la perte des blés, la présente année, est d'un tiers (par rapport) à une année commune."  

Ce Rapport n'aura certainement pas surpris l'Intendant, car il écrivait lui-même, quelques semaines auparavant:

  " Toutes les parties de ma Généralité ont été éprouvées..."

  Reste qu'ici encore, deux mauvaises récoltes s'étaient succédées avec toutes les conséquences que l'on peut aisément imaginer pour chacun dans la vie de tous les jours.

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Le grand hiver de 1766.

  Les Budossais étaient à peine remis de ces épreuves qu'il leur fallut affronter les rigueurs de l'hiver de 1766. Le froid s'installa dès le 28 Décembre 1765, et dura, sans désemparer, jusqu'au 7 Février suivant. Ce fut l'hiver le plus rigoureux que l'on ait connu depuis le " Grand Hiver de 1709" qui est resté la référence absolue de tous les excès de froid dans nos contrées car, à la vérité, on n'en a pas revu un semblable jusqu'à nos jours. Les personnes en âge d'avoir connu ces deux expériences faisaient observer que 1709 avait, à coup sûr enregistré des températures plus basses que 1766, mais que la période de froid avait été nettement moins longue. C'est parfaitement exact. Au demeurant, les témoignages abondent et, aux détails près sont à peu près concordants :

  " Les hommes existants ne se souviennent pas d'avoir ressenti plus de froid que le mois de Janvier et Février derniers depuis les gelées de 1709. (Les gelées) de ce temps reculé furent dit on plus fortes... que celles de cette année, mais elles ne durèrent que huit ou neuf jours..."

  Le fond du propos est véridique, mais la durée indiquée est inexacte. En fait, en 1709, il avait très abondamment neigé le 22 Décembre précédent, de telle sorte que :

  " la neige (avait) été jusqu'aux genoux d'un homme et, en bien des endroits, jusqu'à la ceinture..."

  Puis, le grand froid apparut dans la nuit du 6 au 7 Janvier 1709 pour ne connaître un premier redoux ( à - 2° seulement ) que le 23 Janvier. Pendant tout ce temps là, le CIRON, entre BUDOS et SAUTERNES, ainsi que la GARONNE:

  "étaient tellement gelés qu'ils étaient comme solides, si bien qu'on les passait à pied sans danger."

  Entre les 13 et 22 Janvier 1709, la température moyenne avait été de –19°,2 à BORDEAUX, au lieu d'une normale à + 6°

  En fait, en 1766 le froid dura 42 jours d'affilée pour 17 jours seulement en 1709 et il s'en fallut de un à deux degrés que les températures enregistrées n'atteinssent le record précédent. Sur les conséquences, les témoignages sont un peu plus éventaillés. L'un d'entre eux assure que:

  " la Rivière de GARONNE porta les hommes à pied, à cheval, et en voiture pendant 40 ou 50 jours.."

  C'est très manifestement exagéré; un autre rapporte que l'on traversa la GARONNE:

  " à pied pendant cinq jours..."

  Il est beaucoup plus crédible; un autre enfin, plus prudent encore expose que la GARONNE fut:

  " entièrement prise, à l'exception d'un étroit canal encombré de glaces flottantes."

  Il n'était donc plus ici question de la traverser. Qui croire ? Peu importe au demeurant car il est bien avéré qu'il fit réellement très froid. Le vignoble en souffrit beaucoup:  

" Toutes les vielles vignes portant du vin rouge furent gelées, aussi bien que quelques pieds de vin blanc..."

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tandis que les vignes plus jeunes semblent avoir mieux résisté.

Pour les céréales, la surprise fut totale. Presque tous les seigles paraissaient morts jusqu'à la fin Avril:

  " à la réserve de quelques pieds qui étaient exposés au midi..."

Mais tout finit par lever au mois de Mai, et la récolte fut, contre toute attente, en bien des endroits tout à fait acceptable, avec la particularité d'avoir été très tardive puisque:

  " il y avait encore du blé sur les champs à la fin d'Août... "

Par un singulier contraste, cette année 1766 connut un été particulièrement chaud et ensoleillé. L'année battit tous les records de sécheresse du siècle puisqu'il ne tomba à BORDEAUX que 423 mm d'eau en douze mois ! Cette carence, poursuivie tout au long de 1767 eût des conséquences sur les plantations de vigne que l'on avait immédiatement entreprises en réparation des dégâts provoqués par le froid. Un peu partout dans les GRAVES, on se plaignit que ces travaux eussent connus nombre d'échecs. Ainsi peut-on noter à BARSAC, au cours d'une Enquête menée le 3 Août 1767, que:

" (nous) avons observé que les provins que l'on y avait fait et les plants que l'on y avait mis pour réparer partie du dégât que la violence des froids de l'hiver de l'année dernière 1766 y avait fait, avaient mal réussi, une grande quantité de provins ayant péri et peu de plants pris, à cause de la sécheresse du temps."

Car 1767 avait à peine été moins sec que 1766, à telle enseigne que, de toute la saison, on n'avait pu récolter ni foin ni regain,

"et sans le secours de la paille, qui a été abondante et belle, le bétail serait mort de faim..."

Certes, la paille était belle et surtout bien sèche car :

" les blés sur les champs ne pouvaient pas être plus beaux qu'à la veille de la moisson, mais on perdit partout ... quantité de grains ... parce que les gerbes et les épis (étaient) si secs (qu'ils) laissaient échapper beaucoup de blé à mesure qu'on les recueillait.."

et de fait, il semble bien que l'on ait ainsi perdu beaucoup de seigle car, tous comptes faits, la récolte s'inscrivit au nombre des années médiocres. Finalement, c'est encore la vigne qui se serait le mieux accommodé de ces chaleurs, si les gelées des 18 et 20 Avril, frappant tout le Pays des GRAVES, n'en avaient assez notablement réduit la récolte.

La sécheresse devait se prolonger encore jusqu'à l'été 1768, les caprices de la couche d'ozone ni l'effet de serre n'y étant réellement pour rien, du moins du fait des hommes ... Une fois encore, les animaux durent se passer de fourrages verts pour ne subsister qu'avec les pailles, tandis que les hommes devaient se contenter d'une assez maigre récolte.

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Le grand ouragan de Notre-Dame de septembre 1768.

Le souvenir de l'année 1768 devait rester gravé dans les mémoires pour une toute autre raison; ce fut l'année du " Grand Ouragan de Notre Dame de Septembre " , les 8 et 9 de ce mois là ( le 8 Septembre étant, dans le Calendrier Liturgique de l'Eglise, la Fête de la Nativité de la Vierge MARIE ).

  Cet ouragan, tout à fait hors du commun, affecta toute la côte Aquitaine et se propagea très loin à l'intérieur des terres, détruisant tout sur son passage. Rien ne semblait pouvoir y résister ni les plus beaux arbres, ni la vigne, ni les cultures, ni les toits des maisons.

  Les premières bourrasques, venues de l'ouest, atteignirent le Sauternais vers 17 heures, dans la soirée du 8 Septembre. Elles ne cessèrent de s'amplifier jusqu'à un véritable paroxysme qu'elles atteignirent vers 3 heures du matin. La force des vents commença alors à décroître. Vers 9 heures, au matin du 9 Septembre, tout était terminé, il ne restait plus qu'à constater et comptabiliser les dégâts; et Dieu sait s'il y en avait ! 

Partout, depuis le littoral jusqu'au Pays des GRAVES, du Bazadais, et même jusqu'à l'Agenais, sans parler de BORDEAUX, des LANDES et du BEARN, tout était dévasté. Mieux vaut, au demeurant céder la parole à ceux qui ont vécu l'évènement et s'effacer devant leurs témoignages. Ils sont si nombreux qu'on ne saurait les citer tous. Il est bon, néanmoins, de souligner combien leurs relations sont concordantes jusque dans les détails.

  Dans son registre paroissial, le Curé de FARGUES relate:

  " L'an mil sept cent soixante huit, le huitième (jour de ) Septembre, il y eut un ouragan furieux qui commença à cinq heures du soir (et) qui dura quinze heures; il y eut des chênes, des pins en nombre infini d'arrachés, les vignes endommagées, les raisins à terre, les millades endommagées de sorte qu'il n'y eut presque aucune récolte pour les menus grains en plusieurs endroits... le vin (qui) resta ne fut pas de bonne qualité; il y eut beaucoup d'avaries sur mer du côté de BAYONNE, des vaisseaux perdus en pleine mer, le clocher de SAINT MICHEL tomba, les cloches furent écrasées par les ruines en sorte qu'on ne vit rien de plus terrible."

Et après quelques autres considérations sur la récolte de vin,

" perpetuam rei memoriam " (A la mémoire éternelle de la chose ).

Plus sobrement, le Curé d'ORIGNE note dans son registre que l'ouragan fut:  

" si furieux qu'il déracina une quantité prodigieuse d'arbres et de pins et brûla toute la récolte de millade."

Maître LAFARGUE, Notaire à LANGON note également dans son journal:

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" LE 8 Septembre de cette année a fait époque .... La vendange était à pleine maturité, les raisins furent dégrainés et jonchés dans les règes... les arbres eux-mêmes n'avaient pu résister... Ce qu'on ramassa sous les vignes et même ce qu'on coupa sur les ceps avait contracté un goût de salure qui donna à cette récolte une réputation peu avantageuse."

Trois semaines après la catastrophe, un Commissaire Enquêteur dressait Procès Verbal des dégâts survenus à NOAILLAN du fait de:

" l'oragan (sic) du jour et nuit de Notre Dame huitième du courant..."

C'est ainsi que, le 27 Septembre, il constatait que:

" la majeure partie des arbres chênes, brûles (c'est-à-dire peupliers), ormeaux, vergnes (ce sont les aulnes), aubiers, arbres fruitiers, pignadas et de toutes autres espèces brisées, déracinées (est détruite), les millades en entier toutes brûlées, brisées et déracinées les vignes aussi brûlées, tout l'échalas brisé et renversé, en sorte qu'il n'y a nulle feuille verte et que tout parait mort comme dans le cœur de l'hiver."

Le Commissaire Enquêteur insiste ensuite sur le fait que:

" la fumée saline que le vent de cet oragan (sic) avait répandu partout avait brûlé et séché le grain et la paille qui n'étaient encore en leur maturité, que cette même fumée avait brûlé les feuilles bois et raisins aux vignes, qu'en outre le vent impétueux qui se manifesta causa aux millades et raisins un battement et froissement si fort qu'outre qu'une bonne partie dégraina, le restant fut si meurtri qu'il a totalement séché."

Il finit par conclure que la totalité de la millade est perdue ainsi que les deux tiers de la vendange, ce qui pourra en être sauvé étant de très mauvaise qualité.

Ce Rapport est très exactement confirmé par celui du Curé de POUSSIGNAC, entre BAZAS et AUROS, lequel expose que:

" il a fait un ouragan le huitième du mois de septembre, des plus furieux et des plus extraordinaires, qui a duré depuis six heures du soir jusqu'à trois heures du lendemain matin. Vent impétueux qui a coupé et déraciné beaucoup de pieds de vigne, d'arbres de toutes espèces, et beaucoup endommagé les bords et couvertures des maisons et dont vingt quatre heures après toutes sortes de feuillages ont été grillés comme si le feu y eût passé, de manière que la récolte du vin a été fort diminuée de sa qualité et de sa quantité et que tous les millets et millades ont péri totalement cette année."

Nous ferons enfin appel, pour en terminer, au témoignage du Curé BONIOL, Curé de SAINTE ANNE du PUY, Diocèses de BAZAS, dont le Journal est toujours précieux pour l'histoire locale. Il écrit:

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" L'année 1768 est une de celles que les vivants n'oublieront jamais dans cette contrée, en ce qu'elle a été sensiblement marquée, la nuit du 8 au 9 Septembre, par un vent de bas (c'est à dire d'ouest) horrible , vio1ent, impétueux, qui dura toute la nuit sans chanceler, sans être accompagné de pluie ni de tonnerre, qui découvrit quantité de maisons, qui coupa, brisa, déracina et transporta un nombre infini de gros arbres, avec tant de force et de violence que l'on estime que pas un n'aurait resté droit sur terre s'il fût arrivé dans l'hiver après une longue humidité..."

" ... utre le dégât que nous venons de citer, on a remarqué que partout où ce vent avait touché, il avait laissé des marques de sa malignité et de sa chaleur. Tous les arbres, les plantes et les fruits en furent macérés, moulus et brûlés, comme si un véritable feu l'avait accompagné. Les vins, tant rouges que blancs, n'ont rien valu. Ils ont un goût âpre et vert."

Cet ouragan constitua, incontestablement, un phénomène peu banal, non seulement dans l'évènement lui-même, mais aussi, et peut-être surtout, dans ses conséquences. Tous les témoins, ceux que nous avons cités, mais aussi bien d'autres encore, insistent sur le dessèchement de la végétation dans les vingt quatre heures qui ont suivi la tempête. 

Chacun utilise une expression différente. Il est question de " goût de salure'', de " fumée saline ", de " malignité ", et ailleurs de " vapeurs brûlantes ". Or, dans le contexte du temps, ces témoins n'ont pu communiquer entre eux, et au surplus, rien ne les prédisposaient à se connaître ou à se rencontrer. Même si nous nous expliquons mal le phénomène, il nous faut en accepter les conséquences. 

Les mots de " feu " et de " brûlure " reviennent trop souvent sous chacune de ces plumes pour que l'on puisse mettre en doute la véracité de leurs observations. A n'en point douter, en ce Jeudi là, Fête de Notre Dame de Septembre, il s'est bel et bien passé quelque chose qui reste à élucider.

Nous n'avons pu retrouver aucun document concernant directement le sort de BUDOS dans cette tourmente. A coup sûr, il en a existé. S'ils n'ont pas tous été détruits, on peut toujours espérer en repérer quelques traces; encore faudrait-il avoir la chance de mettre la main dessus... Une telle quête n'est jamais terminée.

De l'année 1769, nous dirons peu de choses sinon qu'après bien des années de sécheresse consécutives, le temps se mit à la pluie sitôt après le passage de l'ouragan de l'automne précédent, et qu'une fois les écluses du ciel ouvertes, elles ne se refermèrent pas de sitôt.... 

Le printemps fut humide au delà de toute imagination, et l'excessive persistance des pluies compromit la floraison des céréales. La récolte, encore une fois, fut mauvaise. La pluie ne cessa pas pour autant et 1769 battit tous les records de pluviométrie avec 860 mm enregistrés à BORDEAUX.  

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L'ayguat dous rameous du 7 avril 1770.

 ( la crue des rameaux. )

L'année 1770 devait se signaler par un tout autre record, un triste record, toujours inégalé jusqu'à nos jours, celui de la crue des eaux. Ce fut, en effet, l'année de " l'Aygat dous Raméous ", l'inondation ou la crue des Rameaux

Avec une crue de 37 pieds (12 m,02) à l'aplomb de l'Eglise SAINT GERVAIS de LANGON, en 1712, on avait bien pensé avoir connu la côte maximale que pouvait atteindre la GARONNE. C'était déjà un beau record ! La crue célèbre de Février 1618 qui servait jusque là de référence à la mesure des excès de la Rivière n'avait atteint que 31 pieds (10 m,07). Avec 6 pieds de plus, on croyait bien avoir tout vu. 

Or, en ce même lieu, dans la nuit du 7 Avril 1770, la GARONNE dépassa les 42 pieds (13m,64) ! ... C'est le record absolu des crues connues de la GARONNE, il n'a, avons nous dit, plus jamais été égalé. L'échelle des crues située sous la Porte de la Mer à CADILLAC en porte le témoignage. Le fleuve qui avait trouvé à s'étendre au loin sur la rive gauche, y atteignit tout de même 12 m,60 ( pour 11 m,80 au même lieu le 6 Mars 1930 ).

  Tout avait commencé par un hiver et un printemps particulièrement pluvieux. D'ailleurs, pratiquement, il ne cessait de pleuvoir depuis Septembre 1768. Des fontes de neige exceptionnelles en furent la conséquence sur les montagnes dominant les bassins de la GARONNE et de l'ADOUR. Trois fois, depuis le début de l'année, la GARONNE avait déjà débordé. La troisième crue était en cours. 

Le 2 Avril, un redoux dans les PYRENEES, accompagné d'un redoublement des pluies sur toute l'AQUITAINE, vint soudain précipiter les choses. Le 6 Avril, qui était le Vendredi précédant les Rameaux, la Rivière était très grosse et tous les riverains, depuis le matin, l'avaient surveillée avec inquiétude. En début d'après-midi, on put enregistrer une très légère décrue. 

Vers 17 heures, on crut que tout danger majeur était écarté. Les habitants des zones inondables qui avaient déjà évacué les parties basses de leurs maisons s'apprêtèrent à passer une nouvelle nuit dans leur grenier. Sous un ciel bas et une pluie diluvienne, la nuit tomba très vite; une nuit affreusement noire, tous les témoignages insistent beaucoup sur ce point. 

Et soudain, les eaux, furieuses, se mirent à monter, mais à monter à une vitesse incroyable. En quelques heures, elles s'élevèrent de 7 pieds (2 m,27) au dessus de la côte atteinte à 17 heures ! C'est alors que se leva un vent violent venu du nord-ouest qui vint appuyer les effets de la marée remontante dans l'estuaire, freinant et refoulant les eaux du fleuve déchaîné. Ce fut le début d'une épouvantable catastrophe. Les pauvres gens, chassés de leurs greniers durent chercher refuge sur leurs toits que le courant commençait à dégarnir de leurs tuiles. Tout cela, dans une obscurité totale, dans les bourrasques de pluie et de vent. 

Au lever du jour, le Samedi 7 Avril, des dizaines et des dizaines de ces pauvres gens apparurent, juchés sur les arrêtes de leurs toits, sur toutes les fermes des palus. Tous faisaient des signaux désespérés et poussaient des cris que personne n'entendait dans les rafales du vent:

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"La Rivière était dans sa plus grande force, le vent violent, et la pluie très abondante. Les matelots refusèrent de s'embarquer pour aller secourir ces misérables. Le Curé ( Me BOYS ) voyant qu'il ne pouvait les déterminer, saute dans une barque, saisit l'aviron en disant qu'il périrait plutôt que de ne pas secourir ses anciens paroissiens (il était auparavant curé sur l'autre rive). Son exemple fit plus d'impression que ses exhortations et ses promesses. Quatre matelots se joignirent à lui..." et ils sauvèrent ainsi 80 personnes.

  Dans certains cas, on perçut bien les signaux de détresse de ces malheureux :

  " sur le toit de leurs maisons, qui faisaient des signes, attachant des linges blancs à une perche pour se faire remarquer..."

  mais on ne pouvait rien pour eux, du moins dans l'immédiat car, avec les moyens du temps, à la rame ou à la voile, les opérations de sauvetage étaient lentes et surtout très dangereuses. Certains ont été ainsi:

" exposés à toutes les rigueurs du mauvais temps, vent, pluie, tout les a accablés jusqu'au moment où des matelots sont allés les chercher, ce qui n'a pu être fait...dans le moment, et par là, plusieurs ont passé les vingt quatre heures sur leur maison."

Partout, les actes de courage se multiplient. Marc BARBE, " Maître de Bateau " à GIRONDE, par son courage, son habileté et sa connaissance de la Rivière sauve des centaines de personnes à raison d'une cinquantaine par voyage dit on. Et ici, il faut absolument rapporter l'anecdote dramatique du bébé qui, a l'instar de MOÏSE, fut sauvé des eaux. Marc BARBE dirige en effet son bateau:

" au-dessus d'une maison quasi submergée ..."

Sur la crête du toit se tient une femme, accouchée dans la nuit au sein de cette tourmente Mais laissons parler le témoin qui participe à ce sauvetage:

  "Avant de partir de GIRONDE, il (avait été) convenu que l'on ne prendrait aucun effet pour ne pas encombrer le bateau. Cet enfant après être né, fut mis dans un panier long, faute de berceau. Le premier objet qu'on fit passer fut ce panier. Un nommé BORDENAVE, fidèle à la consigne, prend le panier et le jette à l'eau. La mère qui s'en aperçut fit un cri, disant que son enfant était dedans, (et) qu'elle s'était accouchée (dans) la nuit (sur le toit). Marc BARBE, jeune et leste... court de l'avant à l'arrière de son bateau et fut assez heureux pour attraper le panier et sauver l'enfant."

  Pour la petite histoire, disons que la trace de ce miraculé a pu être retrouvée. Le 6 Avril 1853, âgé de 83 ans, il vivait encore ...

  Dans la journée du Samedi 7, les eaux restèrent à leur plus haut niveau sans désemparer. Le début de la décrue se manifesta très modestement, le Dimanche 8 au matin, jour des Rameaux. 

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 Mais des dizaines et des dizaines de paroisses allaient encore rester bloquées pendant bien des jours. PREIGNAC, entre bien d'autres était complètement submergé, Eglise et cimetière compris. Son Curé, Mr DUMEYRAT parvint à faire passer un message à son collègue de FARGUES dans la journée du Dimanche , lui demandant d'assurer le service de ses paroissiens demeurés " hors d'eau " et de procéder aux inhumations dans son cimetière. Et de fait, le Registre Paroissial de FARGUES porte bien la mention de trois enterrements et d'un baptême effectués pour le compte de la paroisse de PREIGNAC, les corps des défunts ayant été transportés en barque.

Et BUDOS dans tout cela ?

Eh bien une bonne partie du Village était bel et bien sous les eaux et la Paroisse passablement isolée.

Grossi par les pluies diluviennes qui s'étaient abattues sur tout le pays au fil des dernières semaines, le CIRON avait largement débordé. Or, rencontrant à son embouchure un " mur" d'eau de 12 à 13 mètres de haut, et faute de pouvoir s'écouler, il se répandit à son tour, dans sa propre vallée, très au-delà des limites habituelles de ses débordements. 

Les quartiers de COUILLET, FINORE et MARGARIDE se retrouvèrent avec les pieds dans l'eau, mais aussi FONBANE et PINGOY, sans parler du BATAN et de POURRIERE qui, eux, étaient carrément sous les eaux. Cherchant partout un exutoire, le CIRON avait envahi la vallée du TURSAN, lui-même en crue, si bien que les quartiers de PINGUET et CAUSSON étaient inondés et que le SOUBA, aussi éloigné qu'il puisse être, voyait venir l'eau à sa porte.

BUDOS fut ainsi coupé de PUJOLS, de BOMMES, de SAUTERNES et de LEOGEATS et ne pouvait accéder à LANDIRAS qu'au prix d'un détour par la Lande et d'un passage difficile au point qui devait devenir plus tard le Pont du KA.

Les dégâts enregistrés furent ceux qui s'attachaient à toutes les crues importantes du CIRON. Ils s'analysèrent essentiellement en un ensablement considérable des prairies de la vallée, chose au demeurant tout à fait désagréable au regard du rendement des fourrages à venir. 

Il s'y ajouta, cette fois-là la submersion de champs et de vignes, en particulier aux abords des quartiers de FONBANE, de PINGOY, et de CAUSSON, alors que les semences étaient déjà en cours de végétation. Partout, les récoltes furent très mauvaises, gâtées par les excès d'humidité.

Conséquences relativement modestes, au demeurant, au regard de l'immense désastre qui avait frappé la vallée de la GARONNE. Nous n'épiloguerons pas sur un recensement détaillé de ces dégâts qui nous entraînerait bien trop loin de notre sujet, mais citons simplement le cas de la Juridiction de LANGON:

" Dans la Ville et les différents quartiers (qui l'entourent) 809 maisons écroulées; dans plusieurs autres des murs ou écroulés ou crevassés; dans quelques unes l'eau est entrée par les fondements et a détrempé les murs qu'on a été obligé d'escourer"

 (du Gascon " escoura ": étayer avec des supports de bois)."  

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En fait, dans tout LANGON, il ne restait guère de maison intacte. Quant aux terres, dans toutes les palus, le courant avait été si violent qu'il les avait littéralement " lessivées ", emportant la terre arable au lieu de la compléter en limon; les vignes malmenées par les épaves tournoyantes au fil du courant étaient partout détruites et les animaux noyés par centaines. Quant aux habitants, ils avaient tout perdu de leurs modestes foyers.

L'Evêque de BAZAS autorisa les Jurats de LANGON à faire à l'avenir tous les ans une procession:

" pour fléchir la colère de Dieu justement irrité..."

Le pays mit plusieurs années à se remettre de ces quelques jours de folie et " l'Aygat dous Raméous " resta gravé longtemps, très longtemps, dans toutes les mémoires, et même en de lointaines paroisses qui en avaient été préservées.

   

 

La famine de 1772 / 1773

 et les émeutes frumentaires.

          Pour la sixième année consécutive, la récolte de 1771 avait été mauvaise, et le pire est peut-être encore que ces récoltes semblaient devenir de plus en plus mauvaises au fur et à mesure que le temps passait. Dès la moisson de 1772, encore plus déficitaire, s'il se pouvait, que les précédentes, on sut que, de la misère, on allait immanquablement sombrer dans la famine. Dès le 25 Juillet 1772, l'Intendant ESMANGARD écrivait à l'Abbé TERRAY, Contrôleur Général à VERSAILLES:

" Les froments ont été viciés dans presque toutes les contrées de cette Province par l'intempérie des saisons; ils sont maigres, charbonnés et rendent très peu sous le fléau, de manière qu'on n'en évalue le produit qu'à la moitié ou même le quart d'une année commune. On craint fort que cette année ne soit dans cette Province encore plus misérable que toutes celles qui l'ont précédée depuis longtemps."

C'était bien voir le problème.

Dès le printemps, la gelée du 21 Avril avait fait perdre les trois quarts de la future vendange et détruit tout espoir de fruits pour l'automne. Bien souvent, pourtant, au fil des mauvaises années en céréales, ces fruits avaient permis de gagner du temps à bien des pauvres gens, surtout les fruits que l'on savait peu ou prou conserver, telles les pommes et les châtaignes. Ils permettait de préserver les maigres provisions de seigle des ménages en vue de mieux passer les mois du grand hiver au cours desquels la nature n'avait plus rien à leur offrir.

Dans l'après midi du Lundi 20 Avril 1772, le ciel était lourd et noir. Il faisait plutôt froid pour la saison et l'on se demandait bien ce que pouvaient réserver ces nuages menaçants. A coup sûr rien de bon; et de fait, sur le soir, il se mit à neiger... à la fin Avril... Et contre toute attente, cette neige se mit à prendre sur le sol et sur les branches d'arbres, du moins sur le versant sud de BUDOS, sur LEOGEATS et sur la Lande.

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 Par contre, il ne semble pas qu'elle se soit fixée sur le Bourg ni sur le versant nord. La chose était en soi évidemment surprenante en pareille saison, mais ce fut bien autre chose lorsque, dans le courant de la nuit, le  froid devint de en p1us vif. Il se mit à geler ferme, et le lendemain, au lever du jour, il ne restait plus qu'à prendre la mesure du désastre.

Un mois plus tard, le 20 mai, Me BOLLEE Commissaire Enquêteur, dressait, à l'intention de l'Intendance, un Procès Verbal des dégâts survenus.

De grand matin, accompagné d'une petite troupe de notables et de propriétaires, il partit du quartier de CAUSSON où tous s'étaient donné rendez-vous chez les BOIREAU, et de là, il parcourut:

" de lieu en lieu et de village en village ladite Paroisse de BUDOS et remarqué que, dans le (cas) général, il y a les trois quarts ou plus de vigne dont la nouvelle pousse a été entièrement gelée, ce qui parait (évident) par la différence qu'il y a entre (celles qui ont gelé) et celles qui se sont conservées, celles-ci ayant des jets fort longs et assez garnis de mannes au lieu que les premières n'ont poussé les unes que des pampres sur le vieux bois, les autres (que) de seconds jets où il n'apparaît aucune manne; ayant d'ailleurs remarqué qu'il y a une très grande quantité de pieds qui n'ont pas poussé du tout depuis la gelée,  en sorte que nous estimons que par cet accident, Lesdits habitants ont perdu les trois quarts au moins, du revenu en vin qu'ils auraient pu espérer la présente année... "

Seules ont été conservées quelques pièces, notamment au Bourg, et quelques pieds isolés qui se sont trouvés protégés par des haies ou des arbres fruitiers plantés dans les rangs. Encore faut-il préciser que ces quelques pieds rescapés portent:

" (des) mannes qui paraissent avoir souffert, étant très petites et de couleur rougeâtre (et devant) se ressentir du coulage."

Me BOLLEE, prenant enfin en considération la situation des Budossais, estime qu'ils seront :

" obligés de faire de grands frais s'il veulent parvenir, à réparer leurs vignes qui forment pour ainsi dire tout leur revenu, n'y ayant, dans ladite Paroisse que très peu de terres qui se sèment en blé seigle et une partie en nature de prairie dont le foin est toujours insuffisant pour la nourriture du bétail qu'on emploie à la culture desdites vignes, le surplus du sol de ladite Paroisse n'étant que des landes ou des terres en pins ou bois de peu de valeur."

Le temps des récoltes venu, les pronostics les plus pessimistes se virent confirmés. Céréales, vin et fruits firent défaut. Les uns et les autres survécurent comme ils le purent, plutôt mal, avec des fèves et des haricots qu'ils avaient semés tardivement dans la saison. L'Administration Royale se donnait pourtant beaucoup de mal. Elle importait des blés par terre et surtout par mer, et parfois de très loin ( ROUEN, LE HAVRE, AMSTERDAM, et même DANTZIG ).

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Mais hélas, d'où qu'ils viennent, la qualité cette année-là en était médiocre, sinon franchement mauvaise. Un arrivage, le 24 Avril 1773, à CADILLAC, se révéla avoir " une odeur extraordinaire " . Les Jurats firent appel à un médecin qui, après avoir examiné ce grain, estima qu'il pouvait " être nuisible à la santé du peuple ". On le vendit néanmoins, parce qu'il n'y avait plus rien d'autre, et on le vendit même cher, à près de 17 Livres l'hectolitre.

On importait aussi des fèves :

" qui contribuèrent à la subsistance des habitants d'une partie de la Généralité.."

Mais la soudure s'annonçait difficile, et bientôt, le bruit courut qu'il n'y avait plus de grain. La rumeur s'enfla. Alors, dans une réaction parfaitement incontrôlée et proprement suicidaire, les populations s'affolèrent, arrêtant tous transports de céréales, empêchant la tenue des marchés, pillant les greniers et, par ces désordres, rendant inextricable une situation qui était déjà bien assez difficile.

Une émeute éclata à BORDEAUX le 8 Mai 1773, ce fut le signal de la révolte. Le 9, on pilla des magasins et des maisons à LANGOIRAN, LESTIAC et PAILLET. Une embuscade navale tendue sur la GARONNE conduisit à l'arraisonnement et au pillage de deux bateaux de blé. Deux autres bateaux chargés de 500 fûts de farine, venus du " haut pays " et à destination des ANTILLES, subirent le même sort.

Et pourtant, du grain, il y en avait encore. Pas beaucoup, certes, mais un peu tout de même. Certainement pas assez pour aller jusqu'à la soudure, mais assez pour approvisionner chichement les marchés pour quelques temps encore. Or, il s'ouvre ici une polémique dans laquelle nous n'entrerons pas. 

Les négociants prétendaient qu'il eût été dangereux de présenter normalement ces grains sur les marchés jusqu'à épuisement des stocks et de se retrouver ensuite avec six à huit semaines au moins de pénurie totale. Le bon peuple qui avait faim rétorquait que l'on stockait le blé dans les greniers afin d'en entretenir la rareté et de faire monter progressivement les cours. Il se pourrait bien qu'il y eût un peu de vrai dans les deux propositions.  

Le 11 Mai, l'agitation se rapproche, c'est au tour de PODENSAC de connaître l'émeute et le pillage. Mais PODENSAC, du moins pour les grains, n'était pas le marché favori des Budossais. Ils étaient beaucoup plus attirés par VILLANDRAUT qui offrait une chalandise bien plus considérable.  

Or, c'est dans une atmosphère lourde et tendue que s'ouvrit ce marché le Mercredi 12 Mai au matin. Il y avait là, alignées sur la place, une soixantaine de charrettes venues d'un peu partout, et en particulier de la Lande. Chacune portait quelques sacs de grains, peu nombreux, et les bouviers se tenaient à côté. 

Les chalands passaient et repassaient, cherchant à se faire une idée de la quantité proposée et supputant le prix qui allait se pratiquer au moment de l'ouverture du cours qui, traditionnellement, était fixée à onze heures. Nombre de bouviers n'avaient d'ailleurs pas des intentions bien claires car ils avaient recouvert leurs quelques sacs avec la provision de fourrage de leurs boeufs.

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C'était le signe que, le moment venu, il s'abstiendraient peut-être de proposer leur marchandise si le prix n'atteignait pas le niveau de leurs prétentions. Ce comportement spéculatif était contraire à tous les usages du marché. Tous les témoins de ces évènements rapportèrent par la suite ce qu'ils avaient perçu de malsain dans cette situation. 

Depuis 9 heures, les gens de LANDIRAS, ILLATS, BUDOS, NOAILLAN et BOMMES rodaient entre ces charrettes. Une Budossaise dénommée MARIANNE, une passonaria avant la lettre parcourait activement le marché en y prodiguant des déclarations fracassantes. Son identité ne nous est pas davantage précisée, mais il se pourrait bien qu'elle ait pu être Marianne DEJEAN, épouse de Raymond CASTENCAUT, et qui avait pour lors aux environs de 55 ans. En tous cas, il semble bien qu'il n'y ait eu aucune autre MARIANNE à BUDOS en ces années là. Quoi qu'il en soit, elle proclamait en cette matinée à qui voulait l'entendre:

  " qu'ils verroient quelque chose de joly à l'heure du marché; que le jour précédent, on avoit enlevé les bleds à POUDENSAC et qu'on en ferait autant icy."

Ce propos, et quelques autres, fût ultérieurement retenu au cours de l'enquête qui s'ensuivit pour caractériser la préméditation.

L'émeute éclata à 11 heures. Le dénommé NOAILLAN, qui était de LANDIRAS, s'approcha d'un chariot situé au milieu de la place et se mit à:

  " découvrir ledit chariot des fourrages dont le bouvier estoit muni et... se chargea un sac remply de grain qu'il emporta."

  Dans le même instant, MARIANNE, la Budossaise, monta sur une autre charrette et:

" de ce moment le marché fut remply d'une populasse qui suivit le même exemple et dans moins d'une demy (heure) ou trois quarts d'heure, tous les grains quy estoient sur la plasse sur des chariots, quoiqu'au nombre d'une soixantaine, furent enlevés."

En fait, la situation se révéla des plus confuses. Certains payèrent leur seigle à raison de six Livres le boisseau, ce qui était un prix normal pour un temps d'abondance, mais certainement pas pour un temps de pénurie. D'autres payèrent un boisseau et profitèrent de la confusion pour en emporter trois ou quatre. La grande majorité enfin ne paya rien du tout et se livra à un pillage pur et simple.

Dans l'après midi, la troupe des manifestants se reconstitua et se dirigea vers l'auberge tenue par le dénommé PEYRARGUE. Celui-ci disposait d'un vaste grenier qu'il louait habituellement à des négociants pour la plupart Landais, afin d'y entreposer leurs grains entre deux marchés. Au termes de maintes péripéties dans le détail desquelles nous n'entrerons pas, PEYRARGUE fut proprement assommé tandis que sa femme, rudement malmenée, se faisait traiter de chienne, de bougresse et de putain.   

Au terme de cette journée, il ne restait que deux greniers intacts à VILLANDRAUT, dont celui du Seigneur de PONS auquel on n'avait pas osé toucher. Mais ce n'était que le premier épisode de l'affaire.

 

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Le lendemain, Jeudi 13 Mai 1773, tout au long de la matinée, VILLANDRAUT se vit investi par des bandes toujours venues des mêmes Paroisses avec cette fois-ci un renfort fourni par BALIZAC. Tous, hommes et femmes étaient armés de solides bâtons et portaient des sacs vides ne laissant planer aucun doute sur leurs intentions.  

Ils commencèrent par entrer dans les auberges en commandant du vin. Ce répit donna aux hommes de VILLANDRAUT un délai de réflexion. Avec beaucoup d'à propos, ils pensèrent qu'avec ce qui s'était passé la veille sur leur marché, ils n'étaient pas prêts d'y voir revenir un chargement de grains. L'approvisionnement local ne pouvait donc plus reposer que sur le seigle subsistant dans leurs murs. 

Certes, il appartenait au Seigneur, mais le Marquis de PONS, domicilié à PARIS, ne le mangerait certainement pas lui-même, il faudrait bien qu'il le vende, et dans les six semaines qui venaient, avant la nouvelle récolte. Leur intérêt évident était donc de défendre ce stock miraculeusement conservé après les pillages de la veille, contre les entreprises des bandes venues de BUDOS et d'ailleurs. De BUDOS, très précisément, car l'un des principaux meneurs des assaillants était le Sacristain de cette Paroisse.

  Après quelques moments de flottement, les hommes de VILLANDRAUT, au nombre de 25 ou 26 nous dit-on, décidèrent de s'interposer, et, armés de solides bâtons, vinrent prendre place devant la porte des greniers du Marquis. En face, les autres étaient 300, nous dit l'un, 400, nous dit un autre; c'est peut-être beaucoup... Nous retiendrons seulement qu'ils étaient très nombreux. 

Ceux de VILLANDRAUT tentèrent de parlementer, disant qu'ils ne laisseraient pas toucher à ce seigle. Peine perdue, pour toute réponse, les assaillants s'ébranlèrent sous la conduite de leurs meneurs en brandissant leurs bâtons. En bon tacticiens, les hommes de VILLANDRAUT fondirent sur ces deux leaders et les mirent à mal en un instant. 

L'un, de LANDIRAS, roué de coups, parvint à s'échapper et à se réfugier chez l'un de ses oncles qui tenait auberge sur le Bourg et s'y barricada. L'autre, qui n'était autre que le Sacristain de BUDOS, fort mal en point, la tête en sang, finit par se dégager et fut tout heureux de se faire panser par le Sieur BOUSQUET, Me Chirurgien de NOAILLAN qui passait par là.

  Ainsi privés de leurs chefs dés les premiers instants de l'assaut, les autres refluèrent d'abord, puis se débandèrent dans une fuite éperdue. On les poursuivit à grands coups de trique jusqu'au Moulin du BALION, sur la route de BALIZAC. Il y eut même des prisonniers qui furent ramenés à VILLANDRAUT et sur le sort desquels il vaut mieux ne pas s'étendre...

  Les séditions s'élevaient partout. En l'absence de l'Archevêque qui était en voyage, les Vicaires Généraux prirent l'initiative d'adresser une lettre, datée du même 13 Mai, à tous les Curés du Diocèse de BORDEAUX. Ils la firent imprimer. Le Curé DORAT dut recevoir son exemplaire à BUDOS peu après le 15. Il put y lire : 

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le plus d"... (nous vous exhortons) à secourir les pauvres par vous-même autant qu'il est en votre pouvoir; mais nous ne saurions trop vous exhorter à solliciter vivement la charité compatissante des personnes aisées de votre Paroisse en faveur de ceux qui souffrent des malheurs du temps. Empêchez qu'ils ne prennent conseil d'un esprit d'inquiétude qui, loin de remédier à leurs maux, pourrait rendre infructueux les moyens que l'on emploie à les soulager; représentez-leur que par des murmures ils se rendraient indignes des bénédictions du ciel."

  Même si le style est lénifiant, il faut bien reconnaître que c'était la voix de la raison car les troubles bloquaient pratiquement tous les efforts de l'Administration au moment le plus difficile de la soudure. Mais comment le faire entendre à de pauvres gens affamés ? Au surplus, des agitateurs professionnels se mêlaient au jeu. Le 16 Mai, à CADILLAC, on arrêta:

  " un homme qui paroissait vouloir ameuter le peuple par de mauvais propos. L'Officier qui est icy le reconnut pour avoir été un des chefs de l'émeute arrivée à PODENSAC (cinq jours auparavant)... "

La piraterie fluviale étant devenue systématique, le 17 Mai, on disposa un cordon de trois escadrons de cavalerie du Régiment de CONDE tout au long de la GARONNE pour protéger la navigation.

 

Au fil des jours, et très rapidement, les choses allaient de mal en pis. Le 18 Mai, le Parlement de BORDEAUX prit un Arrêt prescrivant la réunion immédiate d'une Assemblée dans chaque Paroisse le premier Dimanche utile, à la diligence des Officiers de Justice et de Police, ou, à défaut, du Curé local. Les Seigneurs, Curés et principaux Notables étaient sommés d'y participer. Il devait:

  " entre eux être conjointement délibéré et pris les mesures les plus efficaces pour subvenir à la nourriture et subsistance des pauvres habitants et de leurs femmes et enfants qui ne seront point en l'état de gagner leur vie par leur travail."

  Cet Arrêt prescrivait que la distribution des secours devait commencer dès le lendemain de l'Assemblée. Tous les détenteurs de revenus quelconques (droits seigneuriaux, rentes, dîmes, etc..) devaient contribuer :

  " sans qu'il puisse être allégué aucun prétexte de quelque espèce que ce puisse être à l'effet d'être dispensé de cette contribution."

  De même était-il bien précisé que l'absence ou l'appel à une Juridiction quelconque ne pouvait dispenser de payer. Il fallait s'exécuter d'abord, la discussion ne pouvant intervenir qu'ensuite. C'était l'urgence absolue.

En fait, BORDEAUX était littéralement assiégé par des hordes de ruraux affamés et il est manifeste que les Parlementaires avaient pris peur. Leur réaction, au demeurant tardive n'en était que plus brutale.

Cette Assemblée se tint à BUDOS le 31 Mai à l'issue des Vêpres. Les principaux Notables de la Paroisse se réunirent dans l'Eglise à la convocation de Me Bertrand DEGENSAC, Juge de la Juridiction locale. Le Curé DORAT était également présent.

"... il s'est trouvé que le nombre des pauvres actuels que les paroissiens assemblés ont jugé mériter d'estre nourris estoit de quarante personnes et que le nombre des contribuables estoit de soixante huit suivant le rolle quy en a esté fait.."  

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Il était précisé que chacun devait " se taxer lui-même " et que deux collecteurs rassembleraient les fonds au plus vite.

Entre temps, le 21 Mai, un Commissionnaire avait pris l'initiative de faire venir à PODENSAC une cargaison de blé qu'il revendit aussitôt à prix coûtant. On trouva à ce grain une très forte odeur, ajoutant:  

" qu'il est très enflé par l'humidité qu'il a contractée..."  

Dans le courant de la nuit suivante, on s'en prit aux vignes de ce pauvre homme dont on ravagea " l'espace de quatre règes". L'Intendant informé du fait, et navré de voir si mal récompensée une initiative pourtant heureuse, et qui, de surcroît, allait tout à fait dans le sens de ses vœux, lui écrivit tout aussitôt:

  " le peuple reconnaît souvent bien mal les services qu'on lui rend. Mais son injustice ne doit pas empêcher de lui faire tout le plus de bien qu'il est possible."

  Sages paroles, certes, mais bien mince consolation tout de même pour la perte de quatre rangs de vigne....

  La nouvelle récolte vint enfin, magnifique, tant en qualité qu'en quantité. Enfin l'abondance ! Il était grand temps qu'elle arrive après tant d'années de vaches maigres. Manifestement, on l'avait tout de même attendue trop longtemps. Dès les premiers jours de la moisson, les troubles s'apaisèrent comme par enchantement, mais l'alerte avait été chaude.

Dans un article très documenté consacré à ces émeutes et publié en 1910 dans la Revue Historique de BORDEAUX, Mr P. CARAMAN faisait très justement observer qu'en 1709 et en 1748, très exactement dans les mêmes contrées, s'étaient produites des famines au moins aussi terribles que celle de 1773 et que le peuple, affamé et misérable, n'avait pas pour autant bougé:

" Cette souffrance tranquille d'autrefois, écrivait-il, mise en regard de l'effervescence (de 1773) est une preuve que, depuis quelques années, un changement profond s'est opéré dans l'esprit du public. "

Les générations ont passé, les mentalités ont changé: une lente maturation était en train de préparer progressivement ce qui, quinze ans plus tard, devait devenir une Révolution.

   

Le chaud et le froid : du soleil à la pluie.

Cette année 1773 ne devait pas s'achever sans d'autres désordres, de nature météorologique cette fois. Il gela en effet le 30 Septembre, le lendemain de la SAINT MICHEL, gelée suivie d'une autre encore plus sévère au matin du 2 Octobre. Là, le coup fut rude, on mesura jusqu'à 5 mm de glace à la surface des flaques d'eau. Le froid, très vif, se maintint jusqu'au 5, et, tout le restant du mois connut une alternance de gelées et de coups de chaleur répétés. La moitié de la vendange en fut perdue.

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  De 1773 à 1774, l'hiver fut très long et très pluvieux; la récolte des céréales qui suivit fut médiocre en dépit des belles espérances qu'elle avait montrées. Mais les grains de 1773 avaient été abondants et de si bonne qualité qu'ils s'étaient remarquablement conservés. On put donc vivre encore quelques mois avant de toucher à la nouvelle récolte. 

Les prix se maintinrent pourtant à un niveau élevé, mais on put néanmoins assurer la soudure et manger à sa faim. Pour le vin, ce fut toute autre chose. Un terrible orage de grêle survenu le 21 Mai avait tout balayé sur son passage sur une bande de terrain allant, en gros, de LANDIRAS à BARSAC. Le bas de BUDOS en fut éprouvé. Sur le parcours de cet orage: 

" les vignes.... sont si écharpées par ladite grêle qu'elle a tout emporté jusqu'au bois vieux, ce qui va mettre les... propriétaires desdites vignes dans l'impossibilité de trouver du bois pour les tailler si la (croissance) de l'été prochain ne les pourvoit d'une nouvelle pousse qui ne pourra même être que fort faible et languissante..."

Heureusement que 1775 vint mettre bon ordre à cela :

" le blé a monté... sur une tige longue, belle et forte et (s'est) toujours soutenu gaillard..."

" ... enfin l'année 1775 passera dans la mémoire des mortels pour riche et abondante, n'ayant pas du tout trompé les espérances qu'elle donnait. L'automne a aussi produit beaucoup de vin et de la meilleure qualité, mais les fruits ont été rares partout."

Passons rapidement. sur 1776 qui fut une année normale, mais qui se signala néanmoins par une très forte crue du CIRON, de la fin Avril au début Mai. Elle provoqua un accident au Pont de La SALLE, le 2 Mai, lorsqu'un homme inconnu conduisant des mulets, tomba dans l'eau et s'y noya. On ne le retrouva qu'à la mi-Juin, et, après un transport de Justice, on l'enterra à PUJOLS le 18, pensant qu'il était domestique et:

" venant de la Ville de CONDOM ou des environs..."

On ne chercha pas plus avant.

En 1777,

" les revenus de la terre n'ont presque rien valu; la faim et la soif auraient dévoré les habitants sans les restes de l'année précédente… "

"… il n'y eut d'aucune espèce de fruits. Les vignes au Mois d'Août semblaient être vendangées et la récolte du blé a été une des plus petites après (avoir montré) les plus belles apparences. Ce sont les brouillards continuels pendant les mois de Mai et Juin qui ont enlevé tout..."

Ajoutons à cela que l'ergot du seigle fit des ravages au point qu'il fallut, un peu partout, distribuer des semences saines en vue d'assurer les semailles d'automne. Mais les années se suivent et ne se ressemblent pas. A une récolte passablement misérable succède, l'année suivante, une campagne d'une richesse inouïe:  

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" On peut dire que la présente année 1778, entièrement finie, a été une des plus abondantes en grains, en vins et en toutes sortes de fruits, malgré les chaleurs excessives et continuelles des mois de Mai, Juin, Juillet, Août et Septembre. Octobre, Novembre et Décembre ont été pluvieux et sans aucun froid..."

L'été 1778 fut en effet l'un des plus chauds que connut le XVIIIème siècle. Cette chaleur se poursuivit l'année suivante, inaugurant ainsi une nouvelle période de sécheresse. En 1779, on n'enregistra à BORDEAUX que 498 mm de pluie sur toute l'année, et il en tomba moins encore en 1780 ( 495 mm ) . 

Ce furent les années les plus sèches du siècle immédiatement après le record de l'année 1766 que nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer. Elles fournirent pourtant de bonnes récoltes, surtout la première qui donna tant de blé et de seigle que leurs prix commencèrent enfin à baisser sensiblement. En Janvier 1780, on trouvait du bon froment à moins de 14 Livres l'hectolitre alors qu'on l'avait connu au-delà de 25 Livres en 1773.

Avec 1781, on en revient au temps de la désolation. Tout au long des mois de Mai et Juin, il plut sans discontinuer, avec des intermèdes d'orages et de grêles. Fin Juin, aux approches de la SAINT JEAN, la situation devint encore plus critique. Ce fut un véritable déluge :

"Jusques à l'avant veille de SAINT JEAN, il pleut presque toujours, et depuis cette avant veille au soir, à six heures, jusques au même soir du lendemain, il pleut si terriblement et si fort que les vivants n'ont pas vu de désastre si subit ni si terrible..."

Tous les cours d'eau débordaient. Le 13 Juin, la GARONNE était déjà sortie de son lit; elle y était retournée, tout en restant très grosse, mais le 23 Juin, elle en ressortit de nouveau et ce fut, cette fois-ci, une inondation beaucoup plus conséquente. Partout, la terre était gorgée d'eau. 

Là où l'on put entrer dans les champs, on abandonna toute idée de récolter le seigle que l'on considéra, dès lors, comme définitivement perdu et, sur un tour de labour, enterrant la maigre paille verte, on sema des haricots et du maïs avec l'espoir d'obtenir quelques ressources de survie avant l'automne.

L'Eglise s'émut et prescrivit des prières:

" Désolés de voir évanouir peu à peu les plus belles espérances que nous eussions jamais eues en blé et en herbe, nous avons fait partout, par ordre de nos supérieurs, des prières publiques pour demander à Dieu la cessation du mauvais temps."

De gros orages de grêle, en Août achevèrent ici et là ce qui avait pu subsister des cultures.

Le printemps de 1782 fut tout aussi désagréable et la récolte assez médiocre. Quant à l'année 1783, elle devait bien mal commencer au Pays des GRAVES avec une très forte, gelée le 24 Avril qui emporta environ les deux tiers des espérances de vendanges entre BUDOS et la GARONNE. 

Quelques jours plus tard, début Mai, survint un phénomène qui, pendant trois mois, frappa très fort les imaginations dans les Villages de toute la région. De tous les témoignages, le plus complet est celui du Curé BONIOL, Curé de SAINTE ANNE du PUY. Même si ses explications sont peu sures quant à la cause du phénomène, c'est bien lui qui restitue le mieux ce que d'autres ont noté sur l'ensemble de la GUYENNE et probablement bien au-delà. Ce brave Curé ne sait pas trop d'ailleurs où situer l'origine du mal, il la voit:

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" au Royaume de NAPLES, de SICILE, de PORTUGAL et d'ailleurs..."

ce qui est évidemment plutôt vague; par contre, il sait très bien ce qu'il a vu et il l'explique avec assez de bonheur:

" On aurait dit que toute la nature était en deuil pendant que ces évènements épouvantables ont duré. Un air épais comme de la fumée, sans aucun brouillard, pendant les trois mois de Mai, Juin et Juillet, a couvert la surface de la terre; le soleil paraissait toujours, mais trouble, jaunâtre, comme enseveli dans une poussière telle qu'on le voit quelquefois dans les plus grandes chaleurs d'Août, mais à cette différence qu'il ne rendait point d'ombre, ou plutôt, (les corps qu'il éclairait) et qu'on ne pouvait pas distinguer un objet à un quart de lieue. On prétend que ce sont les vapeurs de ces vastes contrées ensevelies qui, consumées premièrement par la fureur des volcans, ont été enlevées ensuite dans la première région de l'air par l'attraction du soleil et que les vents ont dispersé partout. On prétend aussi que cette espèce de fumée était si épaisse sur mer que pendant plus d'un mois on n'y reconnaissait point (le) j o u r (de la nuit) et que plusieurs vaisseaux y ont péri pour ne pouvoir se conduire. "

  Le passage de ce nuage de cendres volcaniques n'eût aucune conséquence durable sur la nature. Si trace il dut y avoir, c'est autour de chaque cheminées, le soir à la veillée, qu'il les laissa, car on en parla longtemps comme d'un signe à coup sûr important, mais que l'on ne savait trop comment interpréter.  

Avec 1784, on en revint à la sécheresse. L'eau manqua un peu partout en Bazadais tandis que, grâce à ses sources et à ses puits profonds, le Pays des GRAVES échappait, dans l'ensemble, à cette pénurie. Les bestiaux, comme à l'accoutumée, souffrirent beaucoup d'un défaut général de fourrage. Par contre les récoltes de céréales et les vendanges furent très bonnes et l'année fut heureuse. Ce n'était qu'une étape avant la folle année de 1785.

  Encore une année sèche et sans fourrage, mais avec une bonne récolte de céréales, et surtout des vendanges comme on n'en avait jamais vu , tant en quantité qu'en qualité. On ne savait plus où loger le vin. Les tonneliers travaillaient jour et nuit et le prix des barriques montait, montait... tandis que le prix du vin diminuait tant et plus:

" Il n'y a pas de mémoire qu'on ait eu tant de fruits et de vin..."

" Jamais les vivants n'ont ramassé tant et de si belles vendanges..."

"Tous, sans exceptions ont été (réduits) aux expédients pour recueillir (la vendange); on a vu les barriques trois fois plus chères que le vin..."

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" On remplissait (les barriques) en certains endroits pour 3 Livres à ceux qui voulaient se les fournir..."

Ce dernier témoignage vise plus particulièrement le cas de l'ENTRE DEUX MERS, mais, aux détails près, la situation fut la même partout. On n'en finirait pas de rapporter tout ce que les uns et les autres ont à dire sur ces vendanges phénoménales qui, au demeurant, par leur trop grande abondance, cassèrent littéralement le marché du vin, si bien que le profit que l'on en tira ne fut pas, en définitive, à la mesure des espérances qu'elles avaient fait naître.

 

A la veille de la révolution,

 dernières années, derniers avatars.

Nous approchons maintenant du terme de notre période. Il nous faut encore évoquer les déceptions de 1787, une année qui avait bien commencé, avec une bonne récolte de fourrage et une récolte de seigle tout à fait acceptable. L'été avait été très sec et la vendange se présentait bien. Chacun s'activait pour se procurer les futailles utiles afin de ne pas se laisser surprendre par l'abondance du vin, comme en 1785. Mais voilà qu'il commença à pleuvoir le 20 Septembre, et cette pluie ne cessa pas jusqu'en Décembre. Ce fut un vrai désastre pour la vigne dont les raisins éclatèrent et s'aigrirent,

  " le vin semblait du breuvage sans couleur et sans corps ".

  Ce fut également un désastre pour la millade que l'on dut se résoudre à ramasser sous la pluie et que l'on ne parvint pas à faire sécher. Cette année se terminait donc très mal, et pourtant, il lui restait encore à essuyer un terrible ouragan dans la nuit du 19 au 20 Décembre. Tous les cours d'eau étaient alors en crue, l'eau ruisselait de partout.

" La nuit du 19, sur les six heures du soir... il se leva un vent terrible et furieux qui menaçait le monde d'un renversement général. Le vent venait de la partie de l'ouest et semblait avoir été annoncé par l'horizon de ce même côté qui semblait être à feu longtemps après le soleil couché. Tous les nuages qu'on pouvait distinguer semblaient être autant de soleils et fatiguaient presque autant la vue. La remarque qui dit " tèms rouge bèn ou plouje (temps rouge, vent ou pluie) n'a jamais été plus vraie ."

..."Cet orage de vent a été estimé passer encore celui du 8 Septembre 1768. Il finit comme l'autre, vers les quatre heures du matin; mais les secousses étaient si violentes que les maisons et la terre en tremblaient, et celle-ci, abreuvée et trempée comme elle était, on n'aurait pu compter les dégâts arrivés aux arbres de toute espèce s'il fut survenu pendant qu'ils étaient chargés de toutes leurs feuilles."

Cet ouragan fut-il ou non plus violent que celui de 1768 ? Les avis sur ce point sont partagés. En l'absence de toute mesure précise, nous nous garderons de prendre parti, mais nous pourrons toutefois noter que les documents relatifs aux dégâts observés sont nettement moins nombreux pour cette seconde épreuve que pour la première.

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L'hiver de 1787 à 1788 fut extraordinairement humide et suivi, dès le printemps d'une sécheresse qui se prolongea tout l'été. Ajoutons-y le cortège des gelées et des grêles et nous aurons tout aussi vite fait de dire que l'année fut mauvaise en toutes choses:

" le courroux de tous les éléments ont fatigué cette année d'un bout à l'autre, et nous ne connaissons guère de Provinces de ce Royaume qui n'aient essuyé quelqu'un de ces fâcheux évènements. Aussi, sur toute espèce de fruits et de revenus qu'a épargné la grêle, nous n'avions jamais fait si peu de récolte... "

Cette année s'acheva enfin sur un " Grand Hiver " comme on n'en avait plus vu depuis 1766. Le froid commença le18 Décembre 1788 et se prolongea jusqu'au 20 Janvier suivant. La GARONNE demeura prise par le gel pendant 16 jours. Le Journal de Guyenne rapporte à ce sujet que l'on observa jusqu'à 8 pouces ½ de glace (23 cm) devant PODENSAC et que des charrettes chargées purent ainsi traverser la Rivière sans encombre jusqu'à RION.

Le CIRON et ses affluents étaient également pris sur toute leur longueur. On raconte aussi que sur les tables où l'on trouvait encore du pain, il gelait au point qu'on ne pouvait le couper avec une hache. De même, là où il y avait encore du vin (très faible en alcool, cette année-là, rappelons-le) certains rapportent qu'il prenait en blocs de glace dans les barriques.

 

Un tel hiver, venant après une aussi mauvaise année aggrava singulièrement le problème des approvisionnements. Le prix du blé dépassa les 25 Livres l'hectolitre si bien qu'à partir du mois de Mars, la famine, une fois encore hanta la plupart des foyers. 0r, il n'est peut-être pas inutile de rappeler que c'est précisément en ce même mois de Mars 1789, au moment où s'ouvrait cette crise, que l'on se réunit dans chaque paroisse pour désigner les électeurs aux Etats Généraux et rédiger les Cahiers de Doléances. C'est sur une toile de fond de famine et de pénurie que la Révolution se mit en marche...

Nous venons de prendre " l'air du temps " sur une plage de trente années, les dernières de l'Ancien Régime, et d'y mesurer les nombreux caprices que la nature y a manifestés. Une nature pourtant exempte des agressions du C02 , des phosphates et des dangereuses retombées de TCHERNOBYL.

Toute " écologique " qu'elle fut, cette nature n'a pas pour autant ménagé nos Ancêtres et leur a souvent imposé une vie bien rude. Certes, ils ont connu de bons moments; mais ils en ont aussi connu de bien difficiles. Leur fragilité devant les phénomènes naturels est souvent venue de leur incapacité à gérer aussi bien l'abondance que la pénurie.

S'ils avaient su stocker leurs excédents de récolte au-delà des quelques mois qu'ils savaient pratiquer, ils auraient souvent, sinon évité, du moins largement atténué les conséquences de leurs mauvaises récoltes lorsqu'elles se présentaient. Au surplus, leur refus obstiné d'utiliser les produits de substitution qu'on leur proposait ( en particulier riz et pomme de terre ) a été aussi pour beaucoup dans les malheurs qu'ils ont endurés.

On a souvent l'impression qu'il aurait fallu peu de choses pour améliorer notablement leurs conditions de vie.