Le Curé DORAT.

Chapitre 6

l'homme, le prêtre, son église, ses relations avec ses paroissiens.


Le service paroissial: 317
L'église:   320
Les activités du Curé DORAT: 323
Rôle du Curé DORAT dans l'instruction publique: 324
Rôle du Curé DORAT dans la tenue de l'état civil:   325
Les fonctions pastorales du Curé DORAT:  329
Les préoccupations temporelles du Curé DORAT    339
L'affaire de la chapelle saint Pierre: 348
L'affaire de la suppression du poste de vicaire: 358
Les dernières années du Curé DORAT 367
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Un visage plein, plutôt coloré, sous un gros front, cheveux et sourcils gris, de petits yeux bleus curieusement saillants au-dessus d'un gros nez, une bouche " ordinaire " et un menton plat.

Tel nous est décrit le Curé Jacques DORAT à la fin de ses jours. Il mesurait " cinq pieds, un pouce et demy " (1m,66). Il avait pour lors 76 ans.

Il était né à BUDOS le 22 Mars 1716, Paroisse où son oncle paternel, également nommé Jacques DORAT, était installé Curé depuis 1688. Un oncle auquel il allait, vingt et quatre ans plus tard, succéder dans sa Cure.

Il était fils de Jean DORAT, Capitaine en retraite et Bourgeois de BORDEAUX, et de Dame Anne GROZIEUX. On l'avait baptisé, selon l'usage, dès le lendemain de sa naissance en faisant appel à Me GOURGUES, Curé de LEOGEATS car on lui avait donné pour Parrain son oncle Jacques et celui-ci ne pouvait, de ce fait, en même temps, être Parrain et célébrer le baptême. 

La Marraine était la soeur aînée du nouveau né, " Demoiselle Simmone ", alors âgée de six ans et qui devait, elle aussi, passer sa vie à BUDOS comme gouvernante de son frère jusqu'à sa mort survenue le 9 Novembre 1783 alors qu'elle avait bien près de 77 ans.

Même si leur fils Jacques était né à BUDOS, on ne sait trop d'ailleurs pourquoi, Jean et Anne DORAT étaient Bordelais, et même Bordelais d'assez vieille souche ainsi que toute leur famille. Ils avaient eu cinq enfants, trois garçons, François, Pierre et Jacques ( le futur Curé Junior ), et deux filles : Simone, la jeune marraine, et Marie. Famille bordelaise de vieille souche à coup sûr car ces cinq enfants furent effectivement confirmés dans leurs privilèges de Bourgeoisie de BORDEAUX lors de la révision systématique des inscriptions au Livre de Bourgeoisie effectuée par la Ville en 1762. 

Le 21 Mai de cette année-là, ils purent en effet produire les lettres de Bourgeoisie délivrées à leur Arrière Grand Père Léonard DORAT le 6 Août 1659. C'est ainsi qu'ils furent homologués tous les cinq sous le numéro 718. Ce titre était très envié et activement recherché par des personnages parfois très importants qui furent nombreux à ne pouvoir l'obtenir.

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Il conférait de nombreux privilèges, notamment fiscaux ( exemption de la taille, introduction dans la Ville des provisions de bouche en franchise des droits d'octroi administratifs, exemption du logement des gens de guerre nais aussi économiques. Et ce sont ces derniers qui, à coup sûr, intéressaient le plus les deux Curés DORAT, l'oncle d'abord, puis le neveu, car ils permettaient à ces deux Bourgeois de BORDEAUX de bénéficier du privilège des vins que nous avons déjà évoqué et d'écrit dans un précédent Chapitre. 

On ne sait trop comment ces deux Curés  successifs avaient contourné 1'obligation faite aux Bourgeois d'avoir leur domicile dans la Ville. Il faut croire qu'ils avaient su trouver les accommodements nécessaires. Toujours est-il qu'ils n'ont jamais cessé, en toutes occasions de faire état de leur titre privilégié.

Au terme de 51 ans de sacerdoce ininterrompu dans sa Paroisse de BUDOS, Jacques DORAT, l'oncle, résigna ses fonctions de Curé en 1739 au bénéfice de son neveu, Jacques DORAT Junior. A 77 ans, les atteintes de l'âge ne lui permettaient plus d'exercer convenablement son ministère. Il se retira sur place, et c'est ainsi qu'il mourut à BUDOS, quatre ans plus tard, le 11 Juin 1743. Il fut inhumé dans l'Eglise, au pied du grand autel qu'il avait si longtemps desservi.

Mais Jacques DORAT, son neveu, n'avait pas tout à fait terminé ses études lorsque son oncle fut contraint de résigner sa Cure. Il y fût néanmoins nommé par l'Archevêque de BORDEAUX, le 17 Mai 1739. Il ne prit ses fonctions effectives qu'après avoir été reçu Docteur en Théologie, très probablement à TOULOUSE. En tous cas, c'est bien de là qu'il venait lorsqu'il s'installa à BUDOS le 6 Juillet 1740, ainsi qu'il l'atteste lui-même dans son registre paroissial.

C'est ainsi que la Paroisse de BUDOS fut dirigée par deux Jacques DORAT successifs, oncle et neveu, de 1688 à 1790, soit donc pendant 102 ans ! Bel exemple de stabilité et de continuité familiale....

 

Le service paroissial:

  Monsieur Maître Jacques DORAT, Docteur en Théologie, selon son titre exact, a 24 ans lorsqu'il arrive à BUDOS. Il y trouve son vicaire, l'Abbé THEODOLIN qui est déjà en place depuis 1726 et qui le secondera encore pendant dix ans jusqu'en 1750. A eux deux, ils assurent le service paroissial dont nous allons tenter de dresser un tableau aussi précis que possible.

  BUDOS comptait alors 625      communiants " , entendons par là les personnes ayant déjà fait leur Première Communion, laquelle se situait aux environs de douze ans, encore que ce ne fut pas une règle absolue. On rencontre en effet quelques cas isolés d'enfants jusqu'à quinze ans " n'ayant pas encore communié". C'était au Curé d'apprécier l'âge approprié en fonction des aptitudes et de la maturité reconnue à chacun.

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Outre les 52 Dimanches annuels, on recensait, dans le Diocèse de BORDEAUX, 22 jours de Fêtes d'Obligation religieuse. On n'en était plus aux 92 jours que l'on avait connus au cours des siècles précédents. Certes, il pouvait être agréable de disposer de 144 jours de loisir par an, mais cela conduisait tout droit à une situation proprement catastrophique pour le petit peuple, artisans, manoeuvres ouvriers qui,  tous, étaient payés à la journée de travail.

Répondant à la pression populaire, Mgr De MANIBAN, Archevêque de BORDEAUX, avait réformé le calendrier liturgique de son Diocèse par une décision en date du 20 Novembre 1730. Il n'avait conservé comme Fête d'Obligation que la Circoncision ( ler Janvier)  l'Epiphanie ( le 6 du même mois), la Purification ( 2 Février ) l'Annonciation ( 25 Mars), le Vendredi Saint ( mais jusqu'après l'office seulement ), Pâques et son Lundi, l'Ascension, Pentecôte et son Lundi, la Fête Dieu, la Saint Jean 24 Juin la Saint Pierre et Paul (29 Juin) , l'Assomption 15 Août la Nativité de la Vierge (8 Septembre) , la Toussaint et le Jour des Morts ( mais seulement jusqu'après l'office Saint André Patron du Diocèse (30 Novembre ), l'Immaculée Conception ( 8 Décembre ), Noël et les deux jours suivants. BUDOS avait néanmoins conservé quelques traditions locales en maintenant au nombre de ses Fêtes les Mardis de Pâques et de Pentecôte ainsi que la Saint Romain, Patron de son Eglise.

Chacun de ces jours-là, il se célébrait deux Messes à la paroisse ( du moins jusqu'à la fin des années soixante dix, car, à partir de là, il n'y eût plus de Vicaire et cela souleva un important problème que nous retrouverons un peu plus loin). La première Messe était particulièrement matinale. Dés le Printemps, et jusqu'à l'Automne, elle commençait à 5 heures du matin et se terminait vers 6 heures. 

Il est possible qu'au coeur de l'hiver, elle ait pu être un peu plus tardive, mais aucun document local ne permet de l'affirmer. La seconde Messe se situait en milieu de matinée. La règle voulait qu'il y ait entre les deux un écart de temps suffisant pour que les membres d'une même famille ayant assisté au premier office puissent rentrer ( à pied, bien sûr ) dans le village le plus éloigné et y assurer la relève des autres membres venant ( toujours à pied ), assister au second.

La Messe était le rendez-vous de tout le Village. La porte de l'Eglise constituait le Tableau d'Affichage de tous les documents officiels tels les Edits Royaux, les actes judiciaires exigeant des conditions de publicité particulières ( les saisies par exemple, ainsi que nous l'avons déjà vu ), les convocations aux Assemblées Capitulaires ( assemblées réunissant tous les propriétaires et notables de la Paroisse en vue de   délibérer sur un sujet d'intérêt général ), etc...etc... Ceux qui savaient lire prenaient connaissance de ces " placards " et les traduisaient en gascon pour les autres en y allant, éventuellement, de leurs commentaires.

En chaire, le Curé complétait ces nouvelles. Il ne s'en tenait pas au seul domaine religieux. Il lui appartenait, et en parfait accord avec l'Archevêché de BORDEAUX, de tenir chronique officielle des évènements administratifs et politiques.

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C'est là que l'on apprenait les déclarations de guerre, les victoires militaires ( plus rarement les défaites ...), la signature des traités de paix les naissances dans la famille royale les maladies et rétablissements du Roi, les décès des Grands de la Cour, et tant d'autres choses encore. L'annonce de ces évènements était souvent accompagnée de manifestations religieuses telles que prières spécifiques, Te Deum, etc... Ce système constituait le seul mode d'information réellement pratique des populations rurales. Il n'était pas très rapide, sans que personne s'en trouve pour autant lésé. 

Ces nouvelles mettaient plusieurs jours pour venir de VERSAILLES, bien davantage lorsqu'elles arrivaient des frontières lointaines. Lorsque LOUIS XV tomba gravement malade à METZ en Août 1744, la nouvelle se sut à BORDEAUX " par courrier ordinaire " le Mercredi 19, et dès le lendemain dans nos contrées. Des prières publiques furent aussitôt annoncées dans toutes les églises. Mais dans la journée du Jeudi 20, passa par BORDEAUX et se rendant en ESPAGNE, un courrier extraordinaire, crevant on ne sait combien de chevaux, annonçant :

" que Sa Majesté était si considérablement mieux qu'on en devait tout espérer"

Et l'on sait de façon très précise qu'il était parti de METZ le 16 Août à 15 heures. Il avait donc mis quatre jours, dans des circonstances exceptionnelles, pour parcourir la distance. En conditions et temps normaux, il en aurait bien fallu un ou deux de plus.

Les prônes et sermons de BUDOS ne s'en tenaient pas aux seuls évènements politiques. Des chroniques encore plus utilitaires y trouvaient également leur place.

La pomme de terre parvint en nos régions, logée en 70 barriques, en provenance directe d'IRLANDE, débarquées dans le port de LANGON à la f in Avril 1769. C'était Mr BOURIOT, Subdélégué de BAZAS ( une sorte de Sous Préfet avant la lettre représentant sur place l'Intendant de GUYENNE ) qui les avait faites venir. Il les fit distribuer , à titre de semence, dans 52 paroisses environnantes. 

A l'Automne de la même année, il y avait déjà quelques tubercules à LEOGEATS, NOAILLAN et BALIZAC. Encore fallait-il convaincre les agriculteurs locaux de les planter et surtout de les manger, car ce fut bien autre chose. On en parlait sur les marchés, nais personne n'était réellement convaincu. 

Dans les années qui suivirent, il y eut bien quelques pommes de terre à BUDOS, mais toujours au titre de plante exotique. Et c'est là que par mandement des Evêques, les Curés furent chargés d'expliquer à leurs ouailles toutes les ressources que l'on pouvait en tirer. 

Cela se fit en chaire à l'occasion des offices. Au résultat de cette campagne d'information, l'éloquence persuasive du clergé rural finit par convaincre les paysans locaux de cu1tiver la pomme de terre pour... en nourrir leurs porcs. Il ne fut pas possible d'aller au-delà. 

Il fallut attendre les idées nouvelles et la Révolution pour voir planter à BUDOS le premier carré de pommes de terre destiné à la consommation humaine. C'étaient les 2, 3, et 4 Mai 1793, à l'initiative du Citoyen LATAPY, premier Curé constitutionnel de la Paroisse. Peut-être appliquait-il là les préceptes qu'il avait eu l'occasion d'enseigner lui-même dans l'un de ses postes précédents...

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Que l'on participât à une Messe ou à des Vêpres, ou que l'on y écoutât la bonne parole, les fidèles se tenaient debout dans l'Eglise. Seul le Baron et sa famille pouvaient s'asseoir de droit. A cet effet, ils disposaient d'un banc. Avant chaque office, le Seigneur y recevait les honneurs consistant en trois coups d'encensoir pour le Baron et deux pour la Baronne.  

Il pouvait y avoir éventuellement d'autres bancs à l'intérieur de l'Eglise, des bancs destinés à ceux qui en avaient obtenu la concession du responsable de la Fabrique Paroissiale et ceci moyennant finance, évidemment. Il y avait à ce sujet toute une réglementation coutumière et même une jurisprudence passablement fournie car les procès relatifs à ces bancs d'Eglise étaient assez nombreux :  

" les concessions... se font moyennant une somme que ceux auxquels les bancs sont accordés paient à l'Eglise; (elles) ne sont (attribuées) que pour la vie des concessionnaires, mais après leur mort, leurs enfants ou leurs héritiers obtiennent la préférence sur les étrangers en offrant autant que ceux qui demandent la place."

Précisons bien que l'attribution d'un tel banc ne pouvait en aucun cas ouvrir le moindre droit " aux honneurs " qui restaient l'apanage du seul Seigneur du lieu et de sa proche famille.

Il ne semble pas qu'il y ait jamais eu à BUDOS de sérieuses contestations en ce domaine. Du moins aucune trace n'a pu en être retrouvée. Par contre on en découvrirait aisément des exemple dans des paroisses voisines et tout spécialement à PUJOLS jusqu'à la veille de la Révolution. Il vint même un moment, au début de 1788 où tout le Village s'en mêla dans une confusion générale. 

Il fallut, avec l'autorisation de l'Intendant de GUYENNE , convoquer une Assemblée Capitulaire sur la place de l'Eglise, le 15 Juin de cette année là, pour tenter de remettre un peu d'ordre en tout cela. Si à BUDOS, on semble avoir fait l'économie de ce genre de problème, on en avait connu bien d'autres que nous allons découvrir tout à l'heure.

 

L'église:  

Il est grand temps maintenant, pour nous, de procéder à une visite de cette Eglise de St ROMAIN de BUDOS.

Tout d'abord, à l'extérieur, si nous la comparons au bâtiment actuel, plusieurs choses vont nous frapper. En premier lieu, sa situation; si elle est bien évidemment toujours à la même place, elle était alors située au milieu du cimetière, et, seconde constatation, le presbytère était construit à peu près devant sa porte, en travers du tracé de la route actuelle. 

Cela changeait évidemment beaucoup son environnement. Le chemin conduisant du Bourg au Château contournait le cimetière et le chevet de l'Eglise, descendant vers la fontaine en un virage serré en forte pente. C'était d'ailleurs un endroit réputé dangereux pour les charrois. Le clocher était plat.

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 C'était un clocher pignon parfaitement semblable à ceux que nous connaissons encore à ILLATS, LEOGEATS, St LEGER de BALSON, et dans bien d'autres églises de même époque. Tout en haut, il comportait deux fenêtres où étaient suspendues les deux cloches (l'une d'entre elles sera déclarée " superflue " , et à ce titre réquisitionnée et descendue pour être envoyée à la fonte, le 17 Octobre 1793 ) .

Enfin, dernière particularité, appuyée contre le mur nord-est de  l'Eglise derrière l'autel de St JOSEPH, en pendant symétrique de  la sacristie des enfants de choeur, on trouvait une écurie qui sera démolie au XIXème siècle lors du transfert du cimetière au lieu-dit de TOUANY où il se trouve encore. Le reste du bâtiment était identique à ce que nous connaissons aujourd'hui.

A l'intérieur, la première impression aurait été pour nous, celle d'un grand vide. Il n'était certes pas interdit d'apporter son siège à l'Eglise, mais c'était probablement peu pratiqué. Une raison majeure à cela était que les chaises étaient rares au village; seules, les maisons des notables en étaient dotées, partout ailleurs, on s'asseyait sur des bancs.

Le retable que nous connaissons était déjà en place au fond du chœur, il n'a pas changé, mais le maître autel était différent ( l'actuel date du XIXème siècle ). Outre ce maître autel, on découvrait quatre " chapelles "dans les bas-côtés, chacune dotée d'un petit autel. Elles étaient dédiées à St JEAN, à St PIERRE, à NOTRE DAME et à St ROMAIN. Le banc du Baron était situé à droite de la nef centrale.

Dans le chœur, à gauche, dans un renfoncement du mur se trouvait le mausolée de Raymond De LAROQUE, lointain ancêtre du Seigneur du temps, décédé à BUDOS le 21 Avril 1594 à l'âge de 57 ans. Il était représenté sous la forme d'une belle statue de chevalier en armure d'apparat, presque grandeur nature, agenouillé sur un coussin et priant, la face tournée vers le fond du choeur, cette statue a été brisée lors de la Révolution. 

La partie supérieure en est perdue, mais la partie inférieure et le socle se trouvent encore dans les réserves du Musée Lapidaire de BORDEAUX. De part et d'autre de l'entrée du chœur, étaient disposées deux bannières de procession. L'une était en damas rouge garnie d'une crépine et de glands en argent avec une " figure brochée d'or ". L'autre était en laine et, au surplus, en assez triste état. L'une d'entre elles devait appartenir à la Confrérie de NOTRE DAME du ROSAIRE dont l'existence est attestée à BUDOS au moins depuis 1779.

Si nous regardons maintenant les choses d'un peu plus près, nous allons trouver au-dessus du maître autel six grands chandeliers de cuivre sur l'autel lui-même deux chandeliers " moyens " et quatre petits, tous en cuivre également, tout comme la lampe du Saint Sacrement. La croix processionnelle est aussi en cuivre avec un manche en bois. Le devant d'autel est fait de damas garni d'une dentelle en argent, mais il est très usé. Enfin, devant l'autel s'étale au sol " un vieux rideau en laine servant de tapis ". 

Tout cela ne fait évidemment pas très riche. L'inventaire des chapelles qu'il serait vain de détailler ici, n'est pas beaucoup plus reluisant. On y trouve encore beaucoup de chandeliers, toujours en cuivre. Cette profusion de luminaires est assez frappante mais au demeurant parfaitement logique.

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Ils constituaient le seul mode d'éclairage de l'église dans laquelle se célébraient de nombreux offices en période de faible éclairage, en particulier la première Messe très matinale nous l'avons vu, et qui, aux conditions de l'heure solaire se situait de nuit ou à l'extrême pointe du jour pendant plusieurs mois de l'année. Seuls, l'autel et le chœur étaient alors éclairés tandis que les fidèles, debout dans la nef, se tenaient dans l'ombre. Cela ne les gênait d'ailleurs pas outre mesure puisque ne sachant pas lire pour la plupart d'entre eux, ils n'avaient que faire d'un missel et de l'éclairage. Il leur suffisait de se tourner vers les lumières de l'autel.

Au titre des ornements liturgiques, la sacristie renfermait dix chasubles, quatre chapes, sept aubes et cinq surplis dont certaines pièces passablement usées. Quant aux vases sacrés, ils se limitaient à un calice, une patène, un ostensoir, une custode et un ciboire, le tout en argent et d'un poids total de 1774 grammes.

Rien dans tout cela ne respire la fortune, pas même aisance. Mais il faut se montrer prudent car ces renseignements sont puisés dans l'inventaire détaillé effectué tout à fait à la fin de notre période, en Mars 1794, par les Commissaires de la République. Est-ce que quelques bonnes âmes ne seraient pas intervenues avant cette démarche pour dissimuler quelques pièces précieuses ? De pièces qui auraient ainsi échappé à l'inventaire. C'est une hypothèse envisageable, mais pourtant assez fragile. 

Tous ces objets étaient en effet pour lors sous la garde du Curé Constitutionnel dont la complicité, au moins passive, eût été indispensable à toute tentative de soustraction. Il n'est pas du tout sûr qu' il ait bien voulu s'y prêter. Au surplus, à quelque détails près, les inventaires des Eglises des Paroisses voisines fournissent des résultats tout à fait comparables. On ne trouve nulle part un seul objet d'or, sous la seule réserve de l'Eglise de LANDIRAS qui possède deux patènes d'argent doré, mais doré, sans plus.

PUJOLS est l'Eglise la mieux dotée avec un poids total d'argent de 3.242 grammes, mais ici encore sans la moindre trace d'or. Il y a donc là une parfaite homogénéité de situations. S'il y a eu d'éventuelles dissimulations, il faut donc admettre qu'elles ont été partout les mêmes, tant dans leur quantité que dans leur nature. 

Ce n'est pas absolument impossible, nais ce n'est tout de même pas très vraisemblable; ne serait-ce que parce que ces objets éventuellement dissimulés n'ont jamais reparu nulle part, alors  que l'intention des soustracteurs aurait davantage été de les protéger que de se les approprier. On ne peut guère pousser plus loin le raisonnement, la question de la fiabilité de ces inventaires, du moins par défaut, reste donc soumise à une légère incertitude.

 

Les activités du Curé DORAT:

  Nous examinerons successivement son rôle dans l'Instruction Publique, sa tenue de l'Etat Civil, ses fonctions pastorales et l'organisation de sa vie matérielle.  

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Rôle du Curé DORAT dans l'instruction publique:

Nous commencerons, un peu paradoxalement peut-être, par un domaine où tout va se révéler négatif. Le Curé DORAT était bel et bien chargé d'organiser l'Instruction Publique à BUDOS et il s'en est si peu préoccupé que rien, absolument rien n'est parvenu jusqu'à nous sur cette importante question.

Pourtant, la situation était parfaitement définie. L'article XXV de la Déclaration Royale de 1695 concernant l'enseignement public était on ne peut plus claire. Les Curés étaient chargés de trouver et de nommer un Régent dans chacune de leur paroisse et de rédiger un Règlement encadrant le fonctionnement de l'Ecole locale. 

Ce principe étant posé, les Assemblées du Clergé de FRANCE n'ont cessé, tout au long du XVIIIème siècle ( 1750, 1755, 1760, etc..) d'insister auprès du Roi en faveur de l'enseignement élémentaire, notamment en milieu rural. Le Haut Clergé y avait mis une telle insistance que, dans l'esprit des philosophes, il avait fini par promouvoir l'image d'une sorte d'identification religion / instruction. 

Et comme ils étaient fondamentalement anticléricaux, cette identification les avait parfaitement confortés dans leur hostilité viscérale à l'Instruction Populaire. Même si c'est un peu triste à rappeler, il faut dire combien les Philosophes les plus brillants du " Siècle des Lumières" ont tous été vigoureusement hostiles à l'instruction du peuple.

Lorsque LA CHALOTAIS rédige en 1763 un Essai d'Education Nationale proscrivant toute forme d'instruction populaire, il reçut de VOLTAIRE, en date du 28 Février de la même année, une lettre dans laquelle il put lire:

" Je trouve vos idées utiles. Je vous remercie de proscrire l'étude chez les laboureurs. Moi qui cultive la terre, je vous présente requête pour avoir des manoeuvres et non des clercs tonsurés".

Ailleurs, le même VOLTAIRE écrira :

" On n'a besoin que d'une plume pour deux ou trois cents bras... "

ce qui, au pied de la lettre, situe le taux d'alphabétisation entre 0,66 et 1% . Même en tenant compte de l'exagération imputable au ton de la polémique, c'est réellement bien peu. Et l'on pourrait citer bien d'autre textes de la même eau. ROUSSEAU, au demeurant, ne le lui cède en rien. Il suffit de parcourir la Nouvelle Héloïse pour y trouver, entre autres, quelques déclarations péremptoires :

" Ceux qui sont destinés à vivre dans la simplicité champêtre n'ont  pas besoin    pour être heureux du développement de leurs facultés."

et un peu plus loin:

" n'instruisez pas l'enfant du villageois car il ne lui convient pas d'être instruit."

Seul, parmi ces philosophes, DIDEROT plaide pour la scolarisation des masses rurales; en 1776, il préconisa un système d'école gratuite, mais c'était ... à l'usage de l'Empire de RUSSIE...

Par contre, des économistes comme QUESNAY et TURGOT se sont montrés véritables et sincères défenseurs de la promotion rurale .

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Tout ceci se passait à un échelon très élevé et bien loin de BUDOS. Qu'en était-il au plan local ? 

L'Archevêque, par mandement, incitait ses Curés à prendre des initiatives, mais il n'y a jamais eu, du moins dans les campagnes, de plan financier pour les soutenir, ni aucun contrôle sérieux d'exécution. 

Le pouvoir central, harcelé par le Haut Clergé, invitait ses Intendants à faciliter les choses, mais il n'en était pas toujours suivi. Lorsque le Comte de St FLORENTIN, Secrétaire d'Etat à VERSAILLES écrit à son Intendant BOUTIN, à BORDEAUX, début 1760, il s'attire la réponse suivante dans une lettre datée du 20 Mars :

" Je suis bien éloigné de penser qu'il faille multiplier dans les bourgs et dans les villages les maîtres d'Ecole qui ne produisent souvent d'autre effet que de faire des paysans des demi-savants qui, la plupart, ne profitent de l'instruction qu'ils ont reçue que pour abandonner l'agriculture ou faire des procès à leurs Seigneurs. Je crois que ce n'est que dans les villes principales, comme celles où il y a Evêché ou Sénéchaussée, où il est à propos de fournir des moyens pour l'instruction des enfants."

L'Intendant BOUTIN avait dû lire les Philosophes... Mais plus encore, en ce propos, il témoignait de la véritable hantise du Pouvoir de voir les paysans déserter les campagnes. L'Administration n'aimait rien tant que de les voir rester sur leurs terres, cultivant des céréales, encore des céréales, toujours plus de céréales, et pas trop de vignes s'il se pouvait. 

Nous avons déjà découvert ce problème dans le Chapitre consacré aux cultures et aux récoltes. Mais limiter les Ecoles aux Evêchés et villes de Sénéchaussée revenait, dans nos régions, à les circonscrire à BORDEAUX et à BAZAS... On ne pouvait donc guère attendre de l'Intendant BOUTIN un zèle bien pressant auprès du clergé local, sous couvert de l'Archevêque, pour promouvoir l'instruction dans les campagnes.

Au résultat de tout ceci, le Curé DORAT n'en ayant pas reconnu l'urgente nécessité, il n'y a jamais eu d'Instituteur à BUDOS sous l'Ancien Régime alors qu'il y en avait un, par exemple, à PUJOLS.

Le premier Instituteur Budossais fut désigné par la Commune le 17 Germinal An II ( 6 Avril 1794 ) en application de l'article IV de la Loi du 29 Frimaire autorisant les Communes, quelle que soit leur population:  

" à avoir un Instituteur s'il s en présente..."

On aurait peut-être pu souhaiter une motivation plus déterminée, mais c'était une nouvelle invite qui, cette fois-ci aboutit à la nomination de Pierre BEDOURET. Depuis la Déclaration de 1695, il s'était écoulé 99 ans...  

Rôle du Curé DORAT dans la tenue de l'état civil: 

Le plus ancien registre d'Etat Civil connu en FRANCE est celui de GIVRY, en SAONE et LOIRE. Il remonte à 1334. Mais il s'agit là d'une rarissime exception.

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L'origine véritable de l'Etat Civil français se trouve dans l'Ordonnance Royale de VILLERS COTTERETS datée du 15 Août 1539. Son article 51 prévoit expressément la tenue de registres où seront désormais inscrits les baptêmes célébrés par les Curés dans toutes les paroisses de FRANCE. 

C'est également cette Ordonnance qui décide que les enfants seront désormais enregistrés sous le nom de leur Père, ce qui coupa court à un certain nombre de fantaisies qui avaient pu se pratiquer jusque là. C'est donc à partir de ce moment, du moins en théorie, que découle la chaîne patronymique réellement continue de chaque famille.

En fait, il fallut pas mal de temps pour que la tenue de ces registres s'implante réellement dans les paroisses. L'Ordonnance de BLOIS, en Mai 1579, dans son article 181 ajouta l'obligation de tenir registre des mariages et des sépultures. Quelques Curés commencèrent à se plier à ces nouvelles obligations, mais ils furent peu nombreux. Dans notre région, quelques registres furent effectivement tenus à partir de la fin du XVIème siècle ( BOMMES et NOAILLAN par exemple ), mais ils ne se généraliseront vraiment qu'un siècle plus tard. 

Cette mise en place a donc été très lente. A BUDOS,le premier registre paroissial est daté de 1679, mais il est à peu près certain qu'il n'est pas Budossais et qu'il est venu là par inadvertance. Les registres suivants sont, à coup sûr, Budossais, mais ne représentent que quelques années éparses et souvent incomplètes jusqu'à la fin du XVIIème siècle. Ce n'est qu'à partir de 1698 que l'on détient une collection complète en série continue avec pourtant, ici et là, quelques regrettables lacunes . 

En fait, ce n'est pas un hasard si la tenue de l'Etat Civil se généralise à la fin du XVIIème siècle, c'est essentiellement parce que le " Code LOUIS " édicté à St GERMAIN en LAYE au mois d'Avril 1667 a prescrit la tenue des registres en double exemplaire avec dépôt annuel de l'un d'entre eux au Greffe de la Sénéchaussée. L'Administration Royale s'en mêlant, il devenait beaucoup plus difficile d'esquiver ce travail. Certains Curé firent encore quelques tentatives de résistance passive. 

Mais on y coupa court, en créant, en fin 1691, des offices de Greffiers spécialisés dans la conservation des Registres Paroissiaux. Cette fois-ci, le problème était bel et bien bouclé car tout registre manquant en fin d'année faisait l'objet d'une enquête des Officiers du Roi. Aucune esquive n'était plus possible.

Reste encore à voir comment ces registres étaient tenus. Ils l'étaient de façons très diverses selon la personnalité des Curés. Pendant plusieurs dizaines d'années, il y a eu, à NOAILLAN, un Curé doté d'une merveilleuse écriture et qui a fait de ses registres un modèle de calligraphie et de rigueur. C'est un cas d'exception. Disons même qu'il est à peu près unique. Dans le cas le plus général, ces documents sont passablement mal écrits et vont parfois jusqu'aux limites du gribouillis ( et même, à l'occasion, un peu au-delà... ).

Le Curé DORAT n'a jamais été un calligraphe, mais il est relativement lisible, encore que, dans ses vieux jours, avec les atteintes de l'âge, il commença à devenir difficile à comprendre dans certains détails.

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Ce qui est en tous cas évident, C'est qu'il n'a jamais apporté beaucoup de rigueur dans la tenue des registres qui lui étaient confiés.

Sur l'ensemble de notre période d'observation, il enregistre en moyenne 33 baptêmes par an, 26 décès, et de 7 à 8 mariages. Cela n'aurait pas dû représenter une tâche écrasante pour peu que l'on y consacrât un peu d'attention et surtout d'assiduité en tenant les écritures rigoureusement au jour le jour. 

Or, c'était bien là le point faible de ce Curé. Il avait de très fréquentes distractions, et remettait souvent à plus tard les transcriptions d'actes qu'il aurait dû pratiquer le jour même. Il se fiait ensuite à sa mémoire et à la grande connaissance qu'il avait de ses paroissiens. Quoi qu'il ait pu en penser, cela ne le mettait pas à l'abri de bien des erreurs et même d'omissions

Ses distractions se comptent par dizaines... Un petit Pierre COURBIN est né le 8 Avril 1761, l'acte est dressé du 8 Mars. Il va récidiver trois mois plus tard lors de la naissance du jeune Etienne GOUNAU qui est du 15 Juin, lui en est encore au 15 Mars... Au fil des années, on trouve ainsi d'innombrables fantaisies. Ce ne sont pas les plus graves. Il arrive souvent qu'il oublie d'enregistrer un acte. 

Il continue donc de tenir son registre au fil des jours et des semaines qui suivent et tout à coup il lui revient en mémoire qu'il a oublié de transcrire tel baptême ou tel décès. Il l'enregistre alors, de mémoire, à la suite des inscriptions survenues entre temps. Au hasard, parmi tant d'autres cas, citons le décès de Pierre BARON, qui est du 27 Septembre 1776 et qui est enregistré après celui de Marie DUPRAT, le 15 Octobre suivant. 

Mieux encore, il a complètement oublié le mariage de Jean DANEY et de Catherine RODES célébré le 22 Novembre 1783. Il y repense tout à coup en Janvier de l'année suivante; peut-être les a-t-il rencontrés en chemin, ou leur nom est-il revenu dans une conversation... Comment le savoir ? 

Toujours est-il qu'il reconstitue l'acte de mémoire avec près de deux mois de retard et le transcrit à la suite de tous les autres enregistrements survenus dans l'intervalle. C'est ainsi qu'un mariage de 1783 figurera sur le registre de 1784... Pour quelques cas ainsi " rattrapés ", on peut se demander combien ont été définitivement omis et perdus. Il existe d'ailleurs parfois des preuves de ces omissions lorsque Maître DORAT laisse un blanc dans une page avec l'intention de le garnir ultérieurement, et que le blanc demeure... 

C'est ainsi par exemple que nous ne connaîtrons jamais le décès annoncé en Octobre 1783 sans indication du jour ni du nom de la personne. Ce désordre lui joue parfois de bien vilains tours. Il enregistre le décès d'une fille de Bertrand CASTETS le 9 Août 1766, puis, tout à fait en fin de mois, il lui revient à l'idée qu'il a dû l'oublier, et sans vérifier, il l'inscrit après le 29, à la suite d'autres actes survenus entre temps; il y a donc ici double inscription. 

La même mésaventure lui arrive à l'occasion du mariage de Pierre TAUZIN et de Jeanne PARAGE le 9 Janvier 1779. Il l'oublie, puis il y repense quelques semaines plus tard, croyant ne pas l'avoir inscrit, il le reconstitue de mémoire et le réinscrit le 11 Février suivant.

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 Les mariés, les Parents, les âges, les lieux sont rigoureusement les mêmes, mais... les témoins ont changé.. Faute de se souvenir de ceux qui s'étaient réellement présentés comme témoins, il a indiqué au hasard tel et tel qu'il se souvenait d'avoir vu participer à la noce... 

Encore un autre exemple avec le baptême de François COURBIN le 3 Juin 1785. Il l'enregistre par deux fois; la première, le Père est François, la seconde, il est Arnaud. L'ennui est qu'avec le nombre de COURBIN qu'il y avait dans la paroisse, il y a bien un Arnaud et un François possibles. Lequel est le bon... ? Heureusement que l'identification de l'enfant est possible par sa mère.

De nombreuses inscriptions sont également abusivement incomplètes. Passe encore pour les très jeunes enfants décédant dans l'année de leur naissance. En ce cas la pratique de " l'obiit " est constante chez la plupart des Curés. Au lieu de dresser un acte de décès, le prêtre porte une mention marginale en latin en face de l'acte de baptême de l'enfant. Par exemple  "obiit die septima septembris " : " il a passé le septième jour de Septembre ". 

C'était une forme pudique voilant un peu les conséquences de l'effroyable taux de mortalité infantile qui sévissait parfois en ce temps-là. Mais pour des enfants un peu plus grands qui faisaient l'objet d'un acte de décès distinct, la brièveté était de rigueur et c'est parfois bien gênant, par exemple: " J'ai inhumé un enfant de PERROY", sans indication d'âge ni de sexe, ou encore: " J'ai inhumé un enfant de la CHICOUYETTE, veuve…" 

En de tel cas, il n'est pas toujours facile de reconstituer les familles ! Il est vrai qu'en certains moments, en particulier lors des épidémies, les décès d'enfants se multiplient au point de devenir d'une banalité déconcertante. Que l'on en juge sur un exemple, mais il y en a d'autres:

 14 Août 1761, décès d'une petite fille de six mois;

 21 Août 1761, décès d'un enfant de trois ans;

 26 Août 1761, décès d'un enfant de deux ans;

 27 Août 1761, décès d'une petite fille de trois ans;

puis, après un répit de quinze jours :

 14 Septembre 1761, décès d'une petite fille de cinq semaines

 19 Septembre 1761, décès d'une petite fille de trois ans;

 27 Septembre 1761, décès d'une petite fille de près d'un an;

 8 Octobre 1761, décès d'un enfant " d'un an et quelques mois ".

Soit donc huit enfants de moins de trois ans en 54 jours, représentant environ 10 % de cette tranche d'âge    dans la seule Paroisse de BUDOS. Mais les enfants n'étaient pas les seuls concernés par les formules expéditives ou abrégées qu'utilisait le Curé DORAT. 

S'il ne connaissait pas trop le défunt, il ne se lançait guère dans des recherches d'identité. Ainsi trouve­ t-on par exemple, à la date du 23 Mars 1766, qu'il a inhumé: " Jeanne, nommée Blanche, à FONBANNE ", ou encore le 29 Novembre 1789 " Jeanne X, étrangère, veuve d'un nommé MADELAUNE". La pauvre femme y a perdu jusqu'à son identité... 

Quant à la mention " d'étrangère ", il faut l'entendre comme provenant d'une paroisse non limitrophe, telle qu'ILLATS ou NOAILLAN par exemple. L'étranger commençait là.

A côté de toutes ces défaillances qui font du Curé DORAT un assez piètre gestionnaire de l'Etat Civil, il y a des domaines qui, manifestement, l'intéressent et dans lesquels on doit lui reconnaître un souci constant de précision et de rigueur.

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 Pour les baptêmes, ce seront les cas d'ondoiement au moment d'une naissance difficile lorsque la vie de l'enfant était en danger. L'avait-on vraiment baptisé ? Et en ce cas, nous avons droit à nombre de détails, en particulier sur le sérieux et le degré de confiance que l'on peut accorder à la personne qui est intervenue. Nous trouverons par exemple: " Baptisé par François du PITOY, homme de probité et bon chrétien " ( 19 Décembre 1760).

Pour les décès, ce seront les cas de mort subite, ou accidentelle, qui sont tous scrupuleusement recensés pour expliquer que les derniers Sacrements n'ont pu être administrés. Ce seront Raymond COUTURES, " décédé par un accident funeste" (10 Février 1765 ) ,François LAPORTE étant tombé dans un puits où il s'est noyé 9 Juin 1782 ou tant d'autres tombés " de mort inopinée dans certains cas, même, des détails sont donnés sur le degré de connaissance conservé par un mourant dont le décès n'aura pas été instantané par exemple pour Jeanne BOYREAU " ayant perdu subitement la connaissance et la parole" 26 Août1771 ). 

Ceci pour justifier la décision de donner ou non les Sacrements de Pénitence et d'Eucharistie. Pour les mariages, ce seront les mentions de cas de dispense de publication des Bans, ou de célébration en temps prohibé ( notamment en temps de carême) ou encore de consanguinité, par exemple " avec dispense du 4ème degré de parenté " 13 Avril 1779 ).

Dans tous ces domaines, le Curé DORAT se montre particulièrement rigoureux et précis, ce qui prouve bien qu'il peut être à la fois méticuleux en tout ce qui concerne l'exercice de son ministère et franchement laxiste dans l'exercice de ses fonctions administrative.

Aussi bien allons-nous voir bientôt comment, à l'occasion, il savait se servir de l'Etat Civil comme d'un " outil pastoral" pour gouverner ses ouailles avec une main de fer qu'il n'estimait pas toujours utile de dissimuler dans un gant de velours ...

 

Les fonctions pastorales du Curé DORAT: 

Tout comme le Bon Pasteur, Me Jacques DORAT surveille de près son troupeau. De la naissance à la mort, il a l'œil à tout et sur chacun.

A la naissance, il veille à ce que le baptême soit célébré dans les meilleurs délais. Ce sera, nous l'avons vu, le jour même, ou au plus tard le lendemain. Si d'aventure la famille tarde tant soit peu, on sent monter chez lui l'inquiétude et la réprobation. Dans l'acte de baptême d'un enfant présenté à l'Eglise dans son troisième jour, il prend bien soin d'indiquer que ce retard est imputable aux Parents et relève donc de leur seule responsabilité. 

Lorsqu'en des circonstances exceptionnelles, le baptême a été administré par un tiers au moment de la naissance, nous avons déjà vu l'attention qu'il porte au crédit de la personne qui en a pris l'initiative. Mais il lui arrive d'avoir des doutes sur la validité du Sacrement, et il procède alors à un nouveau baptême " sous condition " c'est le cas pour Jean BEZIN le 24 Septembre 1772, pour Pierre DUBOIS, le 6 Octobre 1773 et pour d'autres encore.

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 Il porte également attention aux prénoms. Souvenons nous que nous l'avons vu refuser à la Famille BATAILLEY de prénommer leur fille Simone, trouvant ce prénom peu chrétien, alors que c'était celui de sa sœur aînée, celle là même qui, jusqu'à sa mort, gouvernera son ménage… Ainsi donc, ce pauvre Curé aura-t-il vécu toute sa vie portant le doute affreux que sa propre soeur ait pu avoir reçu un prénom soupçonnable... !

Ces enfants sur lesquels il veillait dés leur naissance, il va ensuite leur faire le catéchisme. Un catéchisme entièrement oral, bien sûr, et tout naturellement en gascon. En effet, aucun de ces enfants ne sait lire, et s'ils apprennent le français, ce sera un peu plus tard, lorsqu'ils auront l'occasion de sortir du village. Beaucoup, au demeurant, n'en sortiront guère. Vers l'âge de douze ans, il leur fera faire leur Première Communion. 

On a l'impression qu'il en décide davantage en fonction de leur maturité d'esprit plutôt qu'en fonction de leur âge. Ainsi, en présence de deux enfants du même âge emportés par une même  épidémie à quelques jours d'intervalle en 1782, il adopte deux attitudes différentes: à Louis DUBOURDIEU, 12 ans, à La CROIX du BOURG, le 30 Avril, il donne les derniers Sacrements mais pas l'Eucharistie, tandis qu'à Arnaud LACASSAGNE, également âgé de douze ans, deux jours plus tard, le 2 Mai, à CAUSSON, il donne les derniers Sacrements avec l'Eucharistie. 

Et même des enfants plus âgés ne la recevront pas à leurs derniers moments, tel François PEYRAGUES qui a plus de treize ans, le 19 Décembre 1779. Pour mieux comprendre cette attitude, il faut rappeler que ces enfants grandissaient en dehors de toutes références scolaires lesquelles sont, de nos jours, tout à fait déterminantes pour " classer " ( au sens propre du mot " classe ")les enfants par tranches d'âge. 

Vers les dix ans, en ce temps-là, on ne savait plus trop l'âge d'un enfant à un an près. Au fil de la vie, le phénomène ne cessait d'ailleurs de s'amplifier. A la fin de ses jours, un Budossais ne connaissait plus son âge qu'à cinq ou six ans près on arrive même à des cas d'erreur allant jusqu a dix ans... Il n'est donc pas anormal que le Curé DORAT s'en remette davantage à son  appréciation qu'à l'âge plus ou moins supposé de l'enfant.

On peut néanmoins tenir cet âge de douze ans comme une moyenne assez généralement admise pour la Première Communion. C'est une indication intéressante quant au sérieux de sa préparation. N'oublions pas qu'à l'époque, tout le monde admettait sans hésitation qu'un enfant de dix ans était déjà apte à  gagner sa vie.

Nombre de décisions de Justice, à partir de cet âge là, ne considéraient plus les enfants comme " à charge ". On situait donc le niveau de formation religieuse assez haut puisqu'on la poursuivait encore pendant deux ans au-delà du temps ou l'on avait reconnu l'enfant capable d'assurer sa propre subsistance si besoin était.

Curieusement, ni les Registres Paroissiaux, ni les autres archives, n'ont conservé trace des conditions dans lesquelles pouvait être administré le Sacrement de Confirmation. Le déplacement de l'Archevêque de BORDEAUX en milieu rural aurait certainement donné lieu à des manifestations particulièrement importantes. On n'en retrouve aucune relation dans nos contrées.  

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Certes, il existe bien des comptes rendus de visites de Vicaires Episcopaux qui passaient de temps à autres (pas très souvent) dans les paroisses et qui s'intéressaient à la tenue des Eglises, des documents, à la ferveur des fidèles, etc... en vue de renseigner l'Archevêque sur la marche de son Diocèse, mais rien ne précise qu'ils aient pu être investis du pouvoir d'administrer le Sacrement de Confirmation. 

C'est, au demeurant peu probable car leurs missions, selon les comptes qu'ils en rendent, sont beaucoup plus administratives que pastorales. Jusqu'à plus ample informé, cette question de la Confirmation reste pendante, non seulement pour BUDOS, mais aussi pour toutes les autres Paroisses environnantes.

Lorsque vient l'âge du mariage, la vigilance du Curé DORAT redouble. Il a son point de vue sur l'intérêt des familles, et intervient, parfois lourdement, aussi bien pour favoriser que pour interdire un mariage.

Une première anecdote va nous montrer quel appui il pouvait apporter à la conclusion d'une union faisant problème mais qu'il avait décidé de conduire à son terme.

Pierre BERCEY était journalier à BUDOS, il était fils d'un autre Pierre BERGEY, laboureur à BUDOS; sa Mère, Marguerite GASSIAN, était déjà morte. Particularité notable, il savait écrire, ce qui, pour un journalier, était chose assez peu commune. Se serait-il agi de quelqu'enfant à l'esprit particulièrement éveillé auquel le Curé aurait pu s'intéresser à titre individuel ? 

Cela pourrait expliquer l'attention qu'il va porter a son problème. Mais rien ne permet de le dire. Toujours est-il que ce fils voulait se marier et que son Père, en dépit de son âge ( il avait plus de trente ans ), s'y opposait encore. Ce n'était pas, tant s'en fallait, la première fois que cela se produisait. Ce malheureux garçon nous raconte ainsi que :

" il est déjà parvenu à l'âge de trente ans passés sans que (son Père) ait pourvu...(à)... son établissement, au contraire,..(alors qu'il avait trouvé) des partis sortables, même au-delà de ce que son peu de fortune lui permettait d'espérer, (son Père) s'y était toujours opposé."

Mais cette fois-ci, il a rencontré Marie BEDOURET, de LANDIRAS, et il :

" voit que cet établissement luy sera avantageux et qu'il a tout lieu d'espérer que l'humeur et le caractère de ladite BEDOURET (correspondra) très bien avec le sien ".

Mais, même lorsque l'on a trente ans passés, il n'est pas possible de se dispenser du consentement de son Père, du moins pas sans formalités.

Souvenons-nous qu'à partir de 25 ans, on pouvait se marier à son gré, mais à la condition, si les Parents refusaient leur consentement, de leur adresser trois actes de respect successifs rédigés par un Notaire pour leur être signifiés à leur domicile dans des formes très strictes. Si les Parents continuaient de s'opposer au mariage ou s'ils refusaient de répondre, au terme de la troisième signification, on pouvait passer outre et faire célébrer le mariage.

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 Devant la résistance de son Père il ne restait pas d'autre issue à Pierre BERGEY s'il ne voulait pas encore manquer cette occasion de mariage.

Il va donc trouver Me BOLLEE, Notaire à BARSAC, le 16 Juillet 1770 et lui demande de rédiger son premier " acte de respect ", ce que le Notaire fait tout aussitôt. Mais à partir de là, les choses vont prendre une tournure insolite. 

D'abord, le Notaire ne va pas signifier son acte tout de suite, ce qui est déjà assez inhabituel. Il attend trois jours; trois jours pendant lesquels des tractations vont se nouer. Le Curé DORAT a dû faire de vives pressions sur le Père BERGEY pour lui faire accepter ce mariage; mais il résiste, il n'en veut pas, à aucun prix. 

Finalement, il cédera, du moins sur le point du consentement ( le plus important à vrai dire ) car il refusera fermement de participer au contrat de mariage qui se passera sans lui afin de bien marquer qu'il est contraint et pas content... Ces négociations ayant abouti, le Notaire va se présenter le 19 Juillet à son domicile amenant avec lui pour témoin ... le Curé DORAT et son Vicaire... Ainsi, solidement encadré, le Notaire BOLLEE va enfin signifier son acte :

"parlant (au Père) qui (lui) a fait réponse qu'il consent purement et simplement au mariage dudit Pierre BERGEY son Fils avec ladite Marguerite BEDOURET... qu'il passe contrat et épouse lorsqu'il avisera, n'entendant pas néanmoins... assister au contrat de mariage. Laquelle réponse ledit Pierre BERGEY nous a faite en présence de Mr Me Jacques DORAT, Docteur en Théologie et Curé de la Paroisse de BUDOS et de Mr Me Estienne St BLANCARD aussy Docteur en Théologie et Vicaire de ladite Paroisse de BUDOS, témoins requis quy ont signé tant au présent original que la copie délivrée audit BERGEY."

Il n'y aura donc pas besoin des deux autres " actes de respect". Le contrat de ce mariage sera passé devant Me BOLLEE dès le 26 du même mois, soit donc une semaine plus tard. Les Parents de la future lui donnèrent 100 Livres en argent " payables le lendemain de la St MARTIN prochaine ". 

Notons ce détail au passage, il est tout à fait significatif d'une situation extrêmement courante. Les Parents n'ont très probablement pas cet argent et attendent, pour régler cette dot, d'avoir vendu leur récolte de vin dans le mois suivant les vendanges. A titre personnel, la Mère de l'épouse ajoute à cette dotation un lit garni et un trousseau " plus une jupe et une paire de brassières" :

" déclarant les (deux) parties que la constitution (de dot) faite à la future épouse forme, quant à présent, toute la fortune desdits futurs époux."

On ne saurait exprimer plus pudiquement le fait que le nouveau marié n'apportait rien. Voilà une affaire rondement menée dans laquelle l'intervention du Curé DORAT avait été déterminante.

Mais son action pouvait se révéler tout aussi déterminante lorsqu'il se mettait en tête de faire échouer un projet sur lequel il portait une appréciation négative. Que l'on en juge plutôt par les trois anecdotes qui suivent.

Me DORAT a l'oeil sur ses ouailles depuis leur naissance. 

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Il les observe, il les admoneste à l'occasion. En toutes circonstances, il pratique envers chacun une direction de conscience énergique et probablement parfois un peu rude. Cela ne plait pas nécessairement à tout le monde. Ici ou là, on trouve quelques " réfractaires ", peu nombreux, certes, mais il y en a tout de même. 

En pareil cas, ayant épuisé tous ses arguments, Me DORAT n'insiste plus mais attend, il attend même patiemment car il sait que son heure viendra tôt ou tard. Jean MAIGNA va l'apprendre à ses dépens.

Ce laboureur était issu d'une famille établie dans la ferme de PAUL, à BUDOS. Il avait passé contrat de mariage avec Pétronille LAFARGUE, habitant LANDIRAS. Leurs Parents respectifs avaient donné leurs consentements. Les deux promis s'étaient ensuite fiancés devant le Curé de LANDIRAS. Pour en venir à la bénédiction nuptiale, il ne restait plus qu'à publier les bans à LANDIRAS et à BUDOS. 

Or, pour BUDOS, le Curé DORAT s'y refuse. Surpris, Jean MAIGNA intervient, insiste, peine perdue. Devant ce refus tout à fait formel, il ne lui reste pas d'autre issue que d'adresser à son Curé une sommation notariée, le 19 Mars 1767, lui enjoignant :

" de publier ses bans de mariage Dimanche prochain vingt deuxième du courant sans autre délai... et de luy en délivrer certificat... afin qu'il puisse épouzer immédiatement après..."

Ce mot " immédiatement " est à retenir. Jean MAIGNA est en effet pressé, très pressé même de se marier et nous allons voir bientôt pourquoi.

Me SEURIN, Notaire à BARSAC, est chargé de notifier cette sommation au Curé DORAT. Il se rend donc dès le lendemain 20 mars " en sa maison presbytérale " de BUDOS et lui signifie son texte. Le Curé écoute, prend la copie qui lui est destinée et demande au Notaire de bien vouloir enregistrer sa réponse:

" il n'a pas d'autres raisons de (refuser) de proclamer les bans dudit MAIGNA (que celle de constater) que ledit MAIGNA n'est pas suffisamment instruit de la Religion et des principaux mystères d'icelle pour recevoir les sacrements de pénitence, eucharistie et de mariage, s'étant constamment refuzé depuis son bas âge d'assister au cathéchisme et autres instructions quy se font dans ladite paroisse, malgré les avertissements réytérés qu'il luy en a fait. Il n'y a que depuis l'année dernière que les ordres de la milice étant arrivés ... et que voulant l'éviter par le mariage, il s'est présenté par intervalle et par manière de (précaution), ce qui n'a pas été suffisant de le mettre en état de savoir ce que tout chrétien ne peut ignorer, et n'ayant jamais voulu se mettre en état de faire sa première communion "

En bref, Jean MAIGNA est une " forte tête "qui n'a jamais voulu aller au catéchisme. Il n'a jamais fait sa Première Communion, il ne participe pas aux offices et tout à coup, parce que l'on annonce un tirage au sort désignant ceux qui devront partir à l'armée, voilà qu'il se met en tête des idées de mariage ( rappelons que les jeunes hommes mariés ne " tiraient pas le sort "). Du même coup, il retrouve le chemin de l'Eglise " par intervalle..."  

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Là, le Curé DORAT tient bien son affaire en main, et comme il faut faire très vite car la date du tirage approche, Jean MAIGNA risque fort de manquer son mariage et, éventuellement, pour peu que le sort lui soit contraire, de partir à l'armé. Nous passerons sur la suite de cette histoire. 

Toutefois, afin de rassurer les âmes sensibles, nous dirons qu'elle a connu un heureux dénouement, d'ailleurs très rapide, puisque Jean MAIGNA épousa sa Pétronille à BUDOS dès le 9 Avril suivant, évitant par là, d'extrême justesse, d'affronter les aléas du tirage au sort.

Cette affaire est bien loin d'être un cas isolé; elle se renouvelle par exemple trois mois plus tard à la mi-Juin de la même année 1767. Cette fois-ci, la controverse est plus incisive et la position du Curé un peu plus nuancée. Pierre BAUDRON, vigneron à BUDOS, avait passé contrat de mariage avec Jeanne MARSADIE, habitant à BALIZAC. Ils s'étaient fiancés dans cette paroisse le 14 Mai. 

Ils remettent au Curé DORAT le certificat de contrat établi par le Notaire et le certificat de fiançailles du Curé de BALIZAC en lui demandant de procéder à la publication de leurs bans à BUDOS. Tout parait donc en règle. De fait, le Curé DORAT publie les deux premiers bans et... pas le troisième. Surpris de cette interruption, BAUDRON va le trouver et lui en demande la raison. C'est alors que Me DORAT:

" lui aurait répondu qu'il s'accommodat (d'abord) avec son Beau-Frère pour les affaires qu'ils avaient ensemble (et) qu'après, il publierait (le troisième ban)... ce prétexte (fallacieux) est un refus formel attendu que les trois bans sont (déjà) publiés dans la paroisse de BALIZAC".

Par acte notarié du 25 Juin 1767, BAUDRON va donc sommer son Curé:

" de publier le troisième ban de son mariage Dimanche prochain, vingt huitième du courant, sans autre délai."

Cette fois-ci, la mise en cause de l'arbitraire du Curé est directe. Il doit y avoir en cette dénonciation une part de vérité, car nous allons voir ce même Curé lâcher du lest. Du moins un peu de lest, car il n'est pas homme à lâcher prise aussi facilement. Il a certainement été question, au cours de l'entretien, du procès pendant entre les deux Beaux-Frères. 

Et Me DORAT est assez avisé pour comprendre qu'il ne s'est pas placé là sur un bon terrain. Ce procès, parfaitement étranger au domaine pastoral ne le concerne en rien et il se mettrait dans un mauvais cas en poursuivant trop ouvertement son petit chantage à la publication du troisième ban. 

Aussi va-t-il changer de tactique. Il va céder ou du moins feindre de céder, car, lorsque Me SEURIN, Notaire à BARSAC va se présenter à sa porte le 27 Juin, il va l'écouter, prendre sa copie de l'acte, et le prier de bien noter sa réponse:

" il ne s'est jamais refusé à proclamer les bans du mariage dudit BAUDRON (et) il proclamera le troisième Dimanche prochain sans... autre délai, mais... il exige que (BAUDRON) se présente avant d'épouzer pour voir s'il est instruit de ce qu'il doit savoir pour recevoir le Sacrement de mariage ainsy qu'il est porté par les Règlements du Diocèse."

Là, BAUDRON est mal parti. Même en rassemblant tous ses souvenirs de catéchisme, il a peu de chances de réussir son examen devant un Docteur en Théologie.

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 Moyennant cette habile conversion, le Curé se retrouvait sur le terrain pastoral, son terrain, sur lequel personne ne pouvait le contester. En fait, Me DORAT avait d'autres raisons pour que ce mariage ne se réalise pas. Et d'ailleurs, il ne se fera pas, mais pour des motifs qu'il n'est pas possible de développer ici car l'affaire est vraiment trop complexe. 

Nous en avons déjà eu un aperçu lorsque nous l'avons évoquée dans le premier Chapitre du présent ouvrage en étudiant les conditions de rupture des contrats de mariage. Fertile en rebondissements de toutes sortes, cette affaire ne dura pas moins de cinq ans et six mois ...

Nous venons de voir s'esquisser un mode de pression assez discutable, mais il y en a d'autres exemples. Quitte à se replier bien vite sur son domaine propre, le Curé DORAT n'hésitera jamais à tenter des incursions sur le terrain d'autrui. Et les échecs qu'il pourra rencontrer ne le décourageront pas de recommencer. Une autre anecdote qui se situe en Septembre 1781 montre bien qu'il n'a pas renoncé à sa tactique.

Jean LAFON, laboureur à BUDOS au quartier de PERON, homme veuf d'un certain âge avait passé contrat de mariage avec Elizabeth LEGLISE, veuve de Jean DEPART, paroissienne de BALIZAC. Le jour même de leur contrat, ils se présentèrent devant le Curé de BALIZAC pour y célébrer leurs fiançailles. Et là, oh! surprise, le Curé refusa de les fiancer. Et pourquoi donc ? 

Parce que Jean LAFON, paroissien de BUDOS, n'était pas à même de lui fournir un certificat de bonne vie et moeurs établi par le Curé DORAT. LAFON proteste, il n'est absolument pas d'usage de fournir un tel certificat. Si le Curé de sa Paroisse a quelque chose à objecter, c'est au moment de la publication des bans qu'il doit le faire. Tout ceci est parfaitement exact, Jean LAFON a raison. Rien n'y fait, le Curé de BALIZAC n'en démord pas. 

Notre malheureux promis va donc se retourner vers le Curé DORAT, et lui demander de proclamer les bans de son mariage. Pas question, répond celui-ci, il me faut au préalable un certificat de fiançailles établi par le Curé de BALIZAC ! LAFON réalise alors la collusion entre les deux Curés et en attribue la responsabilité à Me Jacques DORAT, car il croit connaître le motif de l'hostilité qu'il lui marque. Il va donc trouver Me SEURIN le 8 Septembre 1781 en son Etude de BARSAC et lui demande de rédiger une sommation à l'adresse du Curé DORAT dénonçant:

" le prétexte concerté entre eux et imaginé par le Sieur DORAT, Curé, pour dérober le vray motif quy le fait mouvoir (et) que (LAFON) va dévoiler; (c'est à savoir) qu'ayant un procès pendant au Siège de BUDOS entre le nommé Arnaud BEDOURET, son gendre, protégé dudit Sieur Curé de BUDOS pour le paiement de sommes considérables que ledit BEDOURET lui doit, lequel procès ledit Sieur DORAT, Curé, voudroit (voir) terminer (selon ses voeux), et comme (LAFON) n'est pas dans le dessein de s'y soumettre, ledit Sieur Curé de BUDOS, dans l'espérance de l'y obliger... saisit l'occasion de... refuser (de le laisser) épouser, (bien) qu'il ne peut (ignorer) qu'un procès n'est pas un empêchement ... à un mariage..."

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En conclusion, il somme le Curé DORAT de publier les bans de leur mariage et de leur donner la bénédiction nuptiale sans désemparer. Me SEURIN va notifier son acte au Curé le 10 Septembre et là, pour une fois, celui-ci reste coi. 

Lui qui maîtrise si bien l'art de répondre aux Notaires, prend la copie de l'acte qui lui revient et ne réagit pas. Il a ses raisons. Il est en effet en cours de négociations secrètes en vue de trouver un règlement amiable à une cascade de procès fort complexes dans lesquels étaient impliqués, entre autres, LAFON et BEDOURET. 

Mais la situation n'est pas encore mure, c'est pour cela qu'il attend... Il attendra ainsi jusqu'au 18 Mai 1782, date à laquelle il parviendra à réunir tous les protagonistes et les conduira à un compromis. Nous retrouverons cet épisode dans le prochain chapitre ( sous la rubrique d'un accident de circulation"). Cette affaire étant réglée, il ne s'opposera plus au mariage qui sera célébré trois semaines plus tard le 8 Juin 1782.

Le Curé DORAT savait parfois pratiquer d'autres méthodes d'obstruction. Jean DUBOURDIEU, scieur de long à BUDOS en fit la désagréable expérience. Dans le courant de l'année 1763, il avait passé contrat de mariage avec Marie VANTOINE, paroissienne de LANDIRAS. 

Afin de pouvoir se fiancer, publier ses bans et se marier à LANDIRAS, il lui fallait, de toute nécessité un extrait de baptême que seul le Curé de BUDOS pouvait lui fournir. Il le lui demanda, et il le lui demanda plusieurs fois, puis il en vint à le lui demander avec une vive insistance, et Me Jacques DORAT ne s'exécutait toujours pas. On comprendra mieux l'insistance de Jean DUBOURDIEU quand on saura que cela durait depuis deux ans et demi !… 

Pendant ce temps, Marie VANTOINE s'impatientait; on la comprend. Mais que pouvait-il faire devant l'inertie du Curé ? Finalement, le 13 Janvier 1766, il va trouver Me DUCASSE en son Etude de PREIGNAC et, lui contant sa triste histoire, lui demande de rédiger une sommation à l'adresse du Curé DORAT pour lui demander :

" un extrait baptistère que le Sieur Curé a constamment refusé à (DUBOURDIEU) sans qu'il... sût les raisons légitimes qu'il pouvoit avoir, et se voit journellement pressé par ladite Marie d'ANTOINE, sa promise, pour (faire avancer les choses) et finir ledit mariage ... par devant le Sieur Curé de LANDIRAS où réside sa promise..."

Ici, nous ne connaissons pas les motifs du Curé DORAT, pas plus d'ailleurs que la fin de l'histoire. L'anecdote n'en est pas moins significative, après les autres, et entre tant d'autres, de la part vigilante qu'il prenait dans la vie des familles.

Une autre croisée des chemins où se rencontrait le Curé, C'était le moment de la mort.

Dans le cas général, s'agissant de l'une de ses ouailles, il ne se posait guère de problème; il savait ce qu'il avait à faire et se montrait très ferme dans ses décisions. Le 8 Septembre 1782, Arnaud CANTEAU, Budossais du quartier de MARGES vient à mourir :

" de mort soudaine et sans avoir satisfait à son devoir pascal depuis plusieurs années... l'on n'a sonné que son trépas et au moment de son enterrement, sans chant d'office, ainsi qu'il fût ordonné dans pareil cas par feu Monseigneur DE CUSSON."

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Derrière ces quelques mots, on voit se profiler la surveillance vigilante de chacun des paroissiens, ceux qui pratiquent et ne pratiquent pas, ceux qui font leurs Pâques et ceux qui ne les font pas. Sans aller jusqu'à penser qu'il ait pu en tenir comptabilité, on peut bien dire qu'il tient tout le village dans sa tête ".

Lorsqu'il s'agissait d'étrangers passants il se montrait plutôt libéral. Certains de ses confrères des paroisses voisines marquaient pas mal d'hésitation avant d'autoriser l'inhumation, " en terre bénite " du cimetière, des gens qu'ils ne connaissaient pas. Ils effectuaient une véritable enquête, pas très aisée au demeurant, puisqu'on ne savait pas toujours d'où venaient ces pauvres gens et que l'on ne disposait que de très peu de temps. La découverte d'une image pieuse ou d'un chapelet dans leur balluchon était alors tenue pour commencement  de preuve que le pauvre hère fut " bon chrétien ".

Sur ce point là, le Curé DORAT parait avoir été d'esprit assez large. C'est ainsi qu'il enterre Jean TALEYRAND, le 10 Mars 1787:

"pauvre mendiant son pain, natif de la Paroisse du TEICH, près de LA TESTE."

Encore là, connaissait-on l'identité de ce malheureux, mais il va plus loin et procède de même avec un parfait inconnu décédé au quartier de PANGASTE, au hasard de son errance:

" L'an 1787 et le 20 Janvier, est décédé de mort soudaine un pauvre étranger dont on ne sait (ni) le nom, ni le pays dont il était, il pouvait avoir environ quarante (ans), il a été enseveli dans le cimetière..."

Il adopte également une attitude assez libérale au regard des noyades qu'il ne suspecte pas d'être des suicides déguisés. Ni Jean LACOSTE, 20 ans, " que l'on a trouvé noyé ", ni François LATRILLE "noyé dans la gourgue (il s'agit de la retenue) du moulin ", ni même François LAPORTE, 40 ans, que l'on a pourtant retrouvé au fond d'un puits, aucun d'entre eux n'excite ses soupçons. 

Ici encore, certains de ses confrères se montraient nettement plus sourcilleux. C'est donc un éclairage un peu inattendu que l'on porte là sur un personnage fait, par ailleurs d'autorité et de rigueur.  

En marge de son activité pastorale vécue au quotidien, activité s'alimentant de tous les évènements survenant dans chacun des foyers de la Paroisse, le Curé DORAT exerçait des fonctions que nous avons déjà partiellement découvertes. Il était l'organisateur naturel de toutes les cérémonies locales célébrées en l'honneur des faits majeurs marquant la vie du Roi et de sa proche famille : mariages, naissances, maladies, rétablissements, victoires, décès, etc.. Les Te Deum alternaient avec les prières d'intercession, et elles étaient nombreuses. 

Que l'on ne s'y trompe pas, il ne s'agissait pas de rassemblement de pure forme ou de simple convention, mais bien au contraire, de manifestations profondément sincères et d'élans religieux populaires indiscutables. Jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, la personne du Roi et de ses proches ont fait dans nos campagnes l'objet d'une vénération fervente que n'entamait en rien la dénonciation de tel ou tel abus." Ah ! si le Roi savait ça!"... disait-on volontiers. Et la rédaction des Cahiers de Doléances de 1789 a été inspirée pour une bonne part du désir d'informer le Roi.

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A côté de ces cérémonies officielles, le Curé animait, à la demande de ses paroissiens, des dévotions plus étroitement enracinées dans la vie quotidienne du village et liées à ses besoins les plus immédiats. Telles étaient par exemple les prières pour obtenir la pluie en période de grande sécheresse ( et Dieu sait s'il y en a eu ! ) ou la bénédiction des " bleds et des vignes ", ou encore celle des animaux, ou d'autres encore plus spécialisées. 

Des textes propres au Diocèse de BORDEAUX avaient été adjoints au Rituel Romain en 1707 par Mr. Armand BAZIN de BESONS. Ils étaient toujours en vigueur à la fin du siècle. Ces textes nous sont parvenus, et ils sont nombreux. Les prières pour la pluie, la bénédiction des récoltes et des animaux étaient laissées à l'initiative du Curé local. Les liturgies plus spécifiques relevaient de l'appréciation de l'Archevêque. A titre de curiosité, et pour bien restituer l'ambiance de ces manifestations, prenons, entre autres, le cas de la bénédiction des champs et des vignes:

" pour en chasser les sauterelles, les chenilles et tous les autres animaux qui nuisent au bien de la terre ."

Il est bien précisé que:

" on ne fera point cette bénédiction sans prendre l'avis et l'agrément de Monseigneur l'Archevêque. Le Curé ou le Vicaire qui aura l'ordre de la faire, s'étant transporté dans le lieu où ces animaux font le plus grand dégât, il se revêtira d'un surplis et d'une étole violette et, s'étant placé en un lieu éminent, il fera les prières suivantes..."

Viennent alors d'assez longues formules de supplication, toutes en latin évidemment;

" ensuite, il jettera de l'eau bénite sur les champs et les vignes et les autres lieux où ces animaux font le dégât.."

Il est même prévu des degrés dans " le dégât ":

" ces animaux font un dégât très considérable, le clergé et le peuple pourront aller en procession sur le lieu en chantant les Litanies des Saints comme le jour de la St MARC; et lorsque la procession y sera arrivée, le Curé jettera de l'eau bénite en chantant l'Aperges Me ou, si c'est au temps de Pâques, il chantera Vidi Aquam. Après quoi il lira ou il chantera les quatre Evangiles qui suivent vers les quatre parties du monde, savoir, une de chaque côté... Ensuite on retournera à l'Egliseen continuant de chanter les litanies, des psaumes, etc ... comme aux autres processions."

Ces cérémonies étaient, on le voit, étroitement codifiées. Elles rassemblaient la quasi totalité de la paroisse. C'est en de telles manifestations que le Curé, conduisant le peuple, confortait son incontestable autorité.

Mais il serait temps de donner à ce Curé DORAT un peu plus d'épaisseur humaine et de le regarder autrement qu'en hiérarque, au sens le plus étroitement étymologique du terme, celui de " commandeur sacré ". Me Jacques DORAT était un Notable local de premier rang certes, mais c'était aussi un homme du Village, fortement inséré dans la vie quotidienne de la communauté.

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Les préoccupations temporelles du Curé DORAT.  

  Le Curé DORAT vivait dans son presbytère en compagnie de sa sœur aînée Simone qui ne l'a plus quitté depuis son installation à BUDOS en 1740 jusqu'à son décès survenu, nous l'avons déjà dit, en 1783.

  Ce presbytère était une maison de forme allongée, assez massive, sans étage, construite devant l'entrée de l'Eglise, tout contre le cimetière, comme une barre en travers de la route actuelle. Le Curé y accueillait volontiers sa famille Bordelaise. Il avait acheté des terres et des bois dans le bas BUDOS d'abord, puis sur le plateau, à la CROIX, entre le Bourg et le hameau du ROY. 

Il avait un domestique agricole permanent, Jean LUBERT, et faisait appel à des journaliers au moment des travaux et surtout lorsqu'il lui fallait procéder à la collecte de ses Dîmes. Il était également propriétaire de biens fonciers, venus de sa famille, qui se situaient sur la paroisse de LEOGNAN, au Pays des Graves. 

Il s'y rendait de temps à autres pour régler ses affaires. Il allait également à BORDEAUX où il avait quelques intérêts. C'est ainsi que nous le voyons tenir un peu le rôle d'un homme de confiance auprès de certaines familles, car c'était un gestionnaire prudent et avisé. Il jouissait d'une certaine aisance qui lui permit par exemple de bien doter l'une de ses nièces lorsque l'occasion s'en présenta. En bref, c'était un homme actif, solide et organisé, un personnage qui mérite, maintenant que nous le connaissons mieux, une approche un peu plus fine et détaillée.

Me Jacques DORAT avait donc, dans BUDOS, quelques propriétés foncières. Il les avait acquises peu à peu, au fur et à mesure de ses disponibilités financières. C'était, pour lui, des placements. Ce n'était pas, à vrai dire, un gros propriétaire, du moins à BUDOS, car nous ne savons rien de précis sur l'importance de ses biens à LEOGNAN. Il n'était pas même l'un des plus importants du Village. 

Il n'en a pas moins poursuivi patiemment sa politique d'agrandissement en mettant à profit toutes les occasions qui pouvaient se présenter d'augmenter son patrimoine en achetant les terrains qui le touchaient. Il est même parfois permis de se demander s'il n'a pas quelque peu suscité certaines de ces occasions. Nous prendrons pour exemple les opérations qu'il réalisa en Mars 1771. Elles sont assez caractéristiques de sa méthode.

Le 19 Mars, il réunit à BARSAC, dans l'Etude de Me BOLLEE, la plupart des membres d'une même famille, les DAULAN, qui sont dispersés sur plusieurs Paroisses: BUDOS, PUJOLS, LANDIRAS, et même BORDEAUX. Ils possèdent en une indivision assez complexe, deux terrains situés à la CROIX, terrains pas très bien entretenus, ce qui arrive souvent dans une indivision trop vaste dans laquelle se diluent les responsabilités.

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Par ailleurs, l'un des membres de cette famille avait pour lors besoin d'argent. C'était une circonstance favorable à la négociation. Il y a là deux parcelles qui sont des :

" pièces de terre, partie en pré, partie en vigne, et le surplus en terre et en friche."

Nous n'en saurons pas davantage. Le Curé fait les choses selon les meilleures règles. Pour éviter tout marchandage, on va procéder à une expertise préalable de la valeur des sols, laquelle conclut à une estimation de 372 Livres. 

La vente se fait comptant pour 310 Livres que le Curé leur règle sur le champ tandis qu'il conserve par devers lui les 62 Livres restantes pour les remettre à Marie DAULAN, l'une des co-propriétaires absente au moment de la vente parce que placée à BORDEAUX chez un droguiste, rue de LA FUSTERIE. En fait, il ne la règlera qu'un an plus tard, le 18 Avril 1772, mais en ajoutant scrupuleusement au principal quatre Livres d'intérêts échus. 

Voilà donc Jacques DORAT propriétaire de deux pièces de terre voisines mais non contiguës. Qu'à cela ne tienne, il fait le siège de Raymond LACASSAIGNE à qui appartient le lopin qui les sépare et le décide à le lui vendre. C'est peu de chose et de peu de valeur :

" une pièce de terre partie en prairie, autre partie en taillis et jaugues (il s'agit d'ajoncs) et le surplus en terre où il y a néanmoins quelques pieds de vigne."

Mais ce terrain est :

" situé à la CROIX, confrontant du levant et du midi au Sieur Curé."  

et c'est cela qui en faisait pour lui la valeur. Il paie 36 Livres comptant.

Il ne s'en tient pas à la gestion de son seul patrimoine. Il met aussi ses compétences au service de diverses personnes.

La Dame Marie Anne TRONQUOY était veuve de Messire Antoine SAINT LAURENS, Chevalier, qui, de son vivant, était " Trésorier de FRANCE ". Elle vivait retirée à BOMMES. Le 20 Février 1762 elle donna, devant Notaire, une procuration générale :

" à Mr Me Jacques DORAT, Docteur en Théologie, Prêtre et Curé de la Paroisse de BUDOS, pour examiner, compter, solder, traiter et transiger toutes les affaires et différends qu'elle a et pourroit avoir avec Mr Gratian MERLET, ancien mousquetaire, son Gendre. "

Le Curé reçoit ainsi mission expresse:

" de procéder et recourir aux arbitrages nécessaires et à défaut, de poursuivre tout procès nécessaires où et quand il faudra."

Il aime bien débrouiller les écheveaux complexes; et Dieu sait si nos Ancêtres pouvaient être habiles à compliquer les choses les plus simples, lui donnant ainsi l'occasion d'exercer ses talents.

Ainsi, le 15 Février 1768, il est à BORDEAUX dans la maison des LABORY, négociants au Quartier des CHARTRONS, sur la Paroisse St REMI. Ces LABORY viennent d'hériter d'un de leurs cousins,

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Pierre SERGEAC, ancien " carabin " ( soldat de cavalerie légère). L'héritage est à partager entre deux branches familiales à raison d'un tiers revenant à André SEGEAC, Bourgeois à ILLATS et deux tiers aux LABORY. Or ces LABORY sont six enfants, heureusement tous majeurs. Cinq d'entre eux vivent à BORDEAUX et seraient assez volontiers restés dans l'indivision. 

Mais l'une des filles, Marie, est mariée à BARSAC avec Me Nicolas CARROUGE, Docteur en Médecine, et celui-ci ne veut pas entendre parler de cette indivision. Le bien à partager est constitué par la ferme des MURAILLOTS et les terres qui en dépendent, le tout sur le territoire de la Paroisse de LANDIRAS ( cette ferme existe encore).

Le    problème consiste donc à partager cette propriété; dans un premier temps, en un tiers d'une part et deux tiers de l'autre, et dans un second temps, de repartager ces deux derniers tiers en 5/6èmes et 1/6ème. Voilà une mission tout à fait digne du Curé DORAT ! Il reçoit donc procuration pour traiter cette affaire au mieux. Il accommode d'abord le partage entre les LABORY et André SERGEAC qu'il désintéresse. Il semble que cette première opération ait été relativement aisée. Mais dégager les 5/6èmes des 2/3 n'est pas une entreprise facile !

Heureusement qu'il connaît bien Me CARROUGE, et c'est peut-être bien cela qui a incité les LABORY à lui confier l'affaire. Ce Médecin de BARSAC possède en effet, nous l'avons déjà vu, des propriétés à BUDOS, aux quartiers de MOULAS et de JAMART; on l'y voit assez souvent. Tous deux se rapprochent donc et vont essayer de trouver une solution de bon sens. 

Ils se rendent d'abord sur place et  parcourent ensemble toutes les parcelles. Ils conviennent qu'elles ne peuvent se partager sans nuire à la rentabilité de l'exploitation, et, par conséquent, sans en diminuer considérablement la valeur vénale. Ils décident donc de procéder entre eux par licitation devant Me BOLLEE, à BARSAC, le 29 Février 1768. Ils se lancent donc dans une enchère que CARROUGE remporte pour le prix de 7.500 Livres. 

Sa femme Marie conservera donc en pleine propriété les deux tiers restants des MURAILLOTS contre versement au Curé des 6250 Livres représentant les 5/6èmes revenant à ses frères et soeurs. Cette affaire, passablement complexe avait été réglée en cinq semaines. C'est un joli succès à l'actif du Curé en tant qu'arbitre immobilier.

Citons encore un autre cas d'intervention dans un domaine différent. Le 19 Août 1781, Marie Léonne LACASSAIGNE, veuve de feu Sieur Vincent COUTURES, ancien Greffier du Tribunal de BUDOS, vient d'être informée du décès de son fils Bernard COUTURES qui était cuisinier dans la marine marchande. Elle vient d'apprendre :

" que ses gages, effets, pacotilles et leur (revenu) sont (déposés) dans les mains de Messieurs les Officiers de (la Sénéchaussée de) GUYENNE; pour retirer le tout, ne pouvant s'y transporter ... elle-même elle donne plein pouvoir à Mr Me Jacques DORAT, Docteur en Théologie, Prêtre et Curé de ladite Paroisse de BUDOS, de faire la recherche de la succession délaissée par ledit feu Bernard COUTURES son fils, soit au Greffe de l'Amirauté de BORDEAUX, (soit) en tel autre lieu qu'il appartiendra et en faire rendre compte par (ses) détenteurs..."

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Le Curé DORAT est aussi un peu banquier. Nous l'avons déjà vu prêter de l'argent à Arnaud FERRAN en 1772 pour le tirer d'un bien mauvais pas après la perte d'un procès. Mais il s'en trouve d'autres exemples. Sans chercher bien loin, on le voit prêter 120 Livres à Arnaud DAULAN le 19 Mars 1771. 

Si l'on veut bien noter qu'Arnaud DAULAN est l'un des vendeurs des terrains de LA CROIX acquis par le Curé, et noter aussi que le prêt a été consenti très exactement le jour même de cette vente, on peut légitimement se demander si les besoins financiers des DAULAN n'ont pas un peu servi de moyen de pression pour les décider à cette cession. Ce n'est qu'une hypothèse, mais elle est bien tentante. On retiendra également que le contrat ne fixe aucun intérêt, ni délai de restitution précis. 

Les clercs n'avaient pas le droit de tenir commerce d'argent; le Curé connaît son Droit Canon, il ne s'engage donc pas sur ce terrain. Il est simplement précisé que la restitution des 120 Livres interviendra " à la volonté dudit Sieur DORAT " ce qui, au demeurant peut se révéler être une formule dangereuse pour le débiteur car elle n'exclut pas une demande de restitution inopinée.

On fait aussi appel au Curé en cas d'urgence, si aucun Notaire ne se trouve disponible, tout spécialement pour recueillir les testaments en cas de péril de mort imminent.

Le 30 Octobre 1770, on l'appelle ainsi au chevet de Jeanne BOIREAU:

" actuellement malade au lit, dans sa maison, village de MEDOUC... désirant disposer du peu de bien qu'il a plu à Dieu (de) luy donner m'a requis et prié (de) luy (prendre en dépôt) son testament de dernière volonté, à défaut de Notaire qu'elle n'a pu avoir..."

Un autre cas identique se retrouvera le 20 Décembre suivant chez Suzane LAPORTE. En pareilles circonstances, le Curé prend la précaution de s'entourer de très nombreux témoins ( chez Jeanne BOIREAU, il en prend sept ), après quoi, lorsque l'on aura pu mettre la main sur un Notaire, il lui remettra son document , de préférence dans un lieu " public " ( pour Jeanne BOIREAU, c'est au Château ), en présence de deux témoins, et le Notaire le retranscrira dans ses propres minutes.

Jacques DORAT ne s'occupe pas que des affaires d'autrui, il concourt, et parfois avec beaucoup d'application et d'énergie à la prospérité des siennes propres.

La majeure partie de ses revenus provenait de la perception de ses Dimes, et tout spécialement de la Dîme du vin qu'il lui fallait chaque année loger à la saison des vendanges. En bon gestionnaire qu'il était, il n'était pas homme à se laisser prendre de court par l'abondance d'une récolte. Aussi commandait-il toujours ses barriques assez tôt, presque d'une année sur l'autre. Et pourtant, il ne fut pas toujours à l'abri de mauvaises surprises.

Le 13 Janvier 1768, il avait passé contrat avec Bernard et Jean MARQUETTE, Père et Fils, tonneliers à BOMMES pour lui:

" fournir et délivrer... (au)... mois d'Août (suivant) le nombre de six douzaines de barriques fortes du bon bois de pays, bien faites et conditionnées... (garanties) en fuite et coulage conformément à la Coutume de BORDEAUX".

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Or, à la date du 23 Octobre, seules 42 barriques avaient été fournies, bien que la totalité de la commande ait déjà été payée, et les tonneliers étaient incapables de livrer les trente pièces manquantes, ce qui a obligé:

" un bouvier que (Me DORAT) avoit envoyé chez eux pour charger lesdites barriques à se retirer à vide."

Est-il besoin de préciser qu'en cette fin Octobre, la situation allait devenir rapidement très grave du fait de:

" la quantité de vendange qu'il a dans les pressoirs et autres vaisseaux (et) qu'il ne peut faire couler, ne sachant où loger le vin.

Il somme donc les MARQUETTE de:

" luy faire apporter dans la maison curiale de..BUDOS la quantité de barriques que doit et peut porter un bouvier avec boeufs et charrette et de luy délivrer en outre le surplus de celles qui resteront que..(le Curé) offre de faire prendre chez eux."

A défaut d'exécution immédiate, il achètera ces barriques chez d'autres tonneliers:

" au prix qu'il trouvera et s'en fera rembourser par toutes voies de droit."

On retiendra que l'un des témoins de cet acte de sommation n'est autre que Me CARROUGE, le médecin de BARSAC que nous connaissons déjà et avec qui le Curé venait, il y avait tout juste huit mois de liquider la succession de la ferme des MURAILLOTS. On voit donc que toutes ces relations tournent finalement à l'intérieur d'un cercle assez étroit.

Assurant l'essentiel de ses revenus, les Dîmes font l'objet de la vigilante attention. du Curé. Il est très attentif à leur perception et ne manque pas d'intervenir chaque fois qu'il soupçonne quelque part une dissimulation ou une fraude. Dans ce cas, il n'hésite pas à assigner les récalcitrants devant le Tribunal Seigneurial pour obtenir son dû. Au cours de l'été 1770, un litige de l'espèce va l'opposer à Jean LAFON. 

Soyons attentifs à cette affaire, car ce Jean LAFON, nous le connaissons. C'est celui-là même à qui le Curé DORAT fera tant de difficultés, onze ans plus tard, pour le marier à Elizabeth LEGLISE. Nous avons déjà évoqué cette affaire et ses divers rebondissements. Les deux hommes ne devaient guère s'apprécier. Dès lors, le Curé DORAT, oubliant les vertus de la charité chrétienne, se serait-il laissé aller à une coupable rancune ? Onze ans plus tard... Mieux vaut laisser la question en suspens. Mais revenons au fond de notre affaire.

Le matin du 20 Août 1770, aux LOUPS, Paroisse de LANDIRAS, en la maison de Me DEGENSAC, Juge du Tribunal de BUDOS, et par devant Me BOLLEE, Notaire, que l'on avait fait venir tout exprès de BARSAC,

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" a comparu Mr Me Jacques DORAT, Docteur en Théologie et Curé de la Paroisse de BUDOS, lequel a dit que sur le refus qui fut fait par Jean LAFON... de lui payer la dixme du blé froment et seigle par luy recueilly la présente année dans ses biens situés dans ladite Paroisse de BUDOS, il (a) été obligé de le faire assigner pour (le) faire condamner ... (et comme) ledit LAFON ... voyait ne pouvoir éviter cette condamnation ( il lui signifia un acte notarié ) par lequel il luy (a) déclaré qu'il luy (a) laissé sur les lieux la portion de dixme qu'il luy devoit ... c'est à dire une gerbe et demy de froment et tois gerbes et demy de seigle qu'il avait la faculté ... de faire retirer quand bon luy sembleroit, et au surplus luy (a) fait offrir par le (même) acte la somme de trois Livres pour les dépens faits (à l'occasion) de l'assignation."

Ainsi donc, Jean LAFON s'est ravisé et, pour éviter une condamnation qu'il pressentait prochaine, il avait fait signifier au Curé par son Notaire que les gerbes dues étaient à sa disposition sur le champ et qu'il n'avait qu'à venir les prendre. Me DORAT se dit prêt à accepter cette offre, mais il y met une condition dans la réponse qu'il fait consigner par le Notaire. 

Il faut que ces gerbes soient de la même grosseur et qualité que celles qui ont été données au Seigneur au titre de l'autre moitié de la Dîme. Et il annonce qu'il va le vérifier. C'est ainsi qu'il :

" a examiné et fait examiner les gerbes du froment et (du) seigle laissées sur les pièces par (Jean LAFON) et (le Curé) et les préposés ont vu que ces gerbes estoient germées, les épis estant noirs et ayant considérablement souffert (du fait des) pluies. (De ce fait) il ne peut, ni ne doit accepter les offres dudit Lafon... (ainsi donc) il les refuse attendu que les gerbes ont souffert par le long séjour sur la terre où elles ont été exposées à toutes les rigueurs du temps par le refus et l'opiniâtreté dudit LAFON."

En conséquence :

" il le somme d'avoir à luy payer en espèces (sans plus tarder) et à dire d'experts, la quantité de blé froment et (de) seigle que ledit (LAFON) a laissé périr et gâter... et en outre (d'avoir) à luy payer la somme de huit Livres douze sols pour les frais qu'il a occasionnés par son refus (de) payer ladite dixme."

Il ne faudrait surtout pas croire que le Curé DORAT ait pu constituer un cas d'exception. Les Curés des paroisses voisines connaissaient les mêmes problèmes et réagissaient de la même façon. Me JEAN François PALIS, Curé de BOMMES connaissait lui aussi de très graves difficultés avec son marchand de barriques en 1770. 

Sur les 130 pièces qu'il lui avait fournies, certaines s'étaient trouvées " trop faibles et déffectueuzes ". Dans le même temps, Me COURNET, Curé de NOAILLAN entretenait un interminable procès depuis des années contre son Seigneur Jean DUROY au sujet de ses Dîmes. On pourrait ainsi largement alimenter une chronique locale tant la matière est abondante. 

Tous les Curés ruraux étaient très préoccupés de leurs ressources matérielles. La règle était qu'ils devaient tirer leur subsistance des revenus de la paroisse sans attendre aucun secours d'aucune sorte venant de l'extérieur. Bien au contraire, c'est eux qui devaient prélever sur leurs propres ressources pour verser des "quartières" à leur Archevêque, cette sorte d'impôt ecclésiastique que nous avons déjà rencontré et qui était prélevé sur le revenu des Dîmes.

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 Aucun d'entre eux ne pouvait sérieusement compter sur le casuel paroissial. En milieu rural, il était souvent presque dérisoire car les taux n'en avaient pas été modifiés depuis bien longtemps et l'inflation les avait sérieusement écornés. Une messe de mariage coûtait 25 sols dans les paroisses où l'on pratiquait le système du casuel, ce qui n'était pas, nous l'avons déjà vu, le cas de BUDOS où les services étaient gratuits, sous la réserve des offices célébrés à des intentions particulières. 

Une messe basse y était ainsi facturée 10 sols, soit à peu près l'équivalent d'une journée de manoeuvre agricole. Et personne n'osait toucher à ces tarifs car ils étaient très mal vus des villageois. Dans le Chapitre consacré à la Fiscalité, nous avons vu que personne ne contestait sérieusement le principe de la Dîme, mais à la condition que ce soit le Curé du lieu qui en profite et que tout le service religieux soit ensuite gratuit.                

Là où l'on percevait un casuel, le bon peuple avait l'impression de payer deux fois ses offices. Il n'avait pas tout à fait tort ... D'autant qu'on ne manquait pas, à BUDOS comme ailleurs, de lui facturer à part les services annexes tel que la fourniture des cierges vendus au poids, à raison de trois Livres d'argent par livre de cire), les sonneries

Des cloches ( au bénéfice de la Fabrique ), etc..

Sauf dans les lieux de pèlerinage et de dévotion ( SAINT LEGER par exemple ), et sauf affectation particulière, les quêtes ne rapportaient que des sommes dérisoires et tous les Curés s'en plaignaient à leur Archevêque quand il fallait définir le montant des quartières.

La mieux organisée des quêtes particulières parait bien avoir été celle dite du " Plat des Captifs ". Mais les Curés n'y prenaient point de part. Elle était gérée, au niveau national par les Religieux de Notre Dame de la Merci et avait pour but de collecter des fonds destinés au rachat des esclaves chrétiens enlevés par les Barbaresques. Le Roi leur avait délivré des Lettres Patentes à cet effet, enregistrées par les Parlements et appuyées, dans chaque Diocèse par un Mandement de l'Evêque du lieu. 

C'est ainsi que, dans chaque paroisse, un homme était désigné comme " Marguillier de la Rédemption des Captifs " et recevait du Procureur Général de l'Ordre une Commission qui était très officiellement enregistrée dans les Actes du Parlement de BORDEAUX. A BUDOS, Joseph DELOUBES avait ainsi été désigné le 18 Juillet 1757. Il était chargé, selon sa Commission, de collecter le produit des oboles versées tout au long de l'année, chaque Dimanche et Fête :

" et en temps des moissons et vendanges de porte en porte et dans toute l'étendue et juridiction de ladite paroisse."

Il devait remettre tous les ans les recettes du " Plat " au Procureur de l'Ordre qui passait de paroisse en paroisse pour les ramasser.

La vie matérielle des Curés était donc essentiellement tributaire du revenu de leurs Dîmes, et leur situation était, nous l'avons déjà vu, très différente d'une paroisse à l'autre. A cet égard, BUDOS se trouvait dans une situation moyenne. Si les Dîmes n'avaient pas été partagées avec le Seigneur, la cure aurait pu représenter un rapport de très bon niveau. 

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Le mode de vie du Curé DORAT, assis sur la seule moitié de ces revenus témoigne d'une relative aisance. Il est néanmoins avéré que cette aisance recevait le concours d'un patrimoine familial non négligeable. Il est donc bien difficile de démêler quelle part le Curé a pu tirer de son revenu ecclésiastique et quelle autre part il a pu recevoir de ses parents. 

D'autant que, vivant avec sa sœur aînée, il s'ajoutait à son patrimoine propre la dot provisionnelle que celle-ci avait reçue dans le partage familial dans le cas où elle viendrait un jour à s'établir. C'est ainsi qu'on la voit, le 20 Juillet 1770, récupérer sur une succession, auprès d'Anne JAMART, une somme de 776 Livres 4 sols que lui devait la défunte. Aucune règle canonique ne lui interdisait en effet de prêter de l'argent avec intérêt, et elle n'avait aucune raison de s'en priver. 

C'est ainsi que, grâce à une gestion rigoureuse de ses affaires, et de celles de sa sœur, le Curé DORAT a toujours donné l'image de cette aisance que nous lui avons reconnue. Il allait bien la montrer à l'occasion du mariage de l'une de ses nièces.

Nous avons noté en passant quels liens privilégiés il avait toujours entretenus avec sa famille Bordelaise. Il avait recueilli l'une de ses nièces, Jeanne Suzanne, fille de son défunt frère François. Il en avait été nommé tuteur. Elle se maria le 26 Novembre 1772 avec Jacques LABORDE, un négociant Bordelais habitant sur la Paroisse St MICHEL. Ce mariage fut célébré à BUDOS. 

Il avait été précédé du contrat établi par Me BOLLEE le 19 Novembre. Un contrat longuement négocié et jusque dans les dernières heures puisqu'il apparaît que le Notaire passa toute sa journée au presbytère de BUDOS, la signature n'intervenant que le soir, ce qui était tout à fait inhabituel. La jeune épouse se constituait en dot 6000 Livres qui lui venaient de l'héritage de ses Parents. Mais en outre :

" attendu que le présent mariage est agréable auxdits Sieur (Curé) DORAT et Demoiselle Simone DORAT, (et) voulant... donner des marques évidentes à ladite Demoiselle future épouse de l'amitié particulière qu'ils ont toujours eu pour elle, (tous deux) bonifient lesdits droits paternels (savoir les 6000 Livres)... jusqu'à concurrence de la somme de vingt et quatre mille Livres... moyennant toutefois que ladite Demoiselle DORAT future épouse ne pourra rien prétendre (de plus) ni demander dans la succession (de son Père)."

La jeune épouse reconnaît avoir déjà reçu 4000 Livres, tandis que les 10.000 suivantes lui seront comptées dans six ans et le solde au décès du dernier survivant du Curé et de sa soeur. Une dot de 24.000 livres constitue, à BUDOS une sacrée somme! 

Les contrats de mariage de la famille du Baron n'en ont pas toujours comporté autant... Et que dire de la comparaison que l'on pourrait faire avec la moyenne des dots des filles des laboureurs locaux ? Elle représente de 50 à 100 fois leur valeur. A coup sûr, la nièce du Curé fut une fille bien dotée.

On voit bien aussi qu'il s'agit d'un grand mariage car le contrat comporte une stipulation particulière, et d'ailleurs assez curieuse, relative aux bijoux de la mariée :

" Toutes les bagues et joyaux qui seront donnés avant et huit jours après les noces à ladite Demoiselle future épouse par ledit futur époux seront à elle, propres et particulières, pour en disposer à son plaisir et volonté."

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C'est bien le seul contrat passé à BUDOS qui comporte une telle clause. Les jeunes Budossaises n'avaient guère l'occasion d'avoir de tels soucis en tête lors de leur mariage. C'est donc bien une indication sérieuse sur l'aisance de cette famille. Une famille que le Curé DORAT continue d'aider car, quelques années plus tard, il recueillera encore une autre nièce, Marie, la plus jeune, fille de son frère Pierre. 

Elle était venue s'installer à BUDOS au seuil de l'adolescence. Elle devait y mourir très jeune, à l'âge de 15 ans, le 12 Septembre 1780. Il avait aussi fait venir deux de ses neveux qu'il avait installé dans une maison indépendante du presbytère. Ils y vivaient encore quand il s'y retira pendant quelques mois, à la fin de sa vie, en 1792, après avoir été dépossédé de sa cure pour avoir refusé de prêter le serment constitutionnel à la République.

Homme du village, manifestant ouvertement ses amitiés et ses inimitiés, le Curé DORAT y occupait néanmoins une place un peu à part, du fait de sa notabilité, certes, mais aussi du fait de son aisance vécue au sein de son clan familial. 

C'était une position un peu ambiguë. Et de fait, ses relations avec la Communauté paroissiale se sont parfois révélées orageuses. Son tempérament vif et " tracassier " ( ce sont ses paroissiens qui le disent ) l'ont, à l'occasion conduit à des prises de positions vigoureuses et intransigeantes par lesquelles il a réussi à dresser tout le Village contre lui. 

Par deux fois au moins, les Budossais ont ainsi été conduits à plaider contre leur propre Curé. Nous examinerons successivement chacune de ces deux affaires : celle de la Chapelle SAINT PIERRE et celle de la suppression du poste de Vicaire. Elles ont, en leur temps, suscité un climat plutôt désagréable entre ses ouailles et leur berger...

 

L'affaire de la chapelle saint Pierre:

  A peu près à la hauteur du hameau de St PIERRE, un chemin se détachait sur la gauche du chemin principal menant du BOURG au quartier de PAULIN, et se dirigeait droit vers la Chapelle St PIERRE. Le paysage, depuis lors, a bien changé. Dans la fourche ainsi formée entre ces deux voies, au lieu et place des bois que nous connaissons aujourd'hui, s'étendaient alors des terres labourables.

La Chapelle s'élevait au milieu d'un padouen " d'un peu moins d'un hectare sur lequel s'élevait un ormeau d'une grandeur et grosseur prodigieuses ". Vers le sud, à une douzaine de pas du bâtiment, on avait creusé un puits ( il est comblé, mais il existe encore ) juste en bordure d'un bois de pins très touffu de cinq à six hectares. Vers l'ouest, et au-delà, s'étendait la Lande, pratiquement rase, domaine de la bruyère et de la molinie, et ceci, jusqu'à BALIZAC.

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Chaque année, au matin du 29 Juin, jour de la Fête de St PIERRE; toute la population du Village se retrouvait au BOURG dans l'Eglise paroissiale et partait de là, son Curé en tête, dans une longue procession qui la conduisait jusqu'à la chapelle. Là, tous ceux qui le pouvaient s'entassaient dans le bâtiment qui n'était pas du tout à la mesure d'une telle assistance. 

Ceux qui n'avaient pu entrer restaient au-dehors. On chantait alors une Messe solennelle. Ce service achevé, il se célébrait encore au moins deux Messes basses à l'intention des malchanceux qui n'avaient pu encore entrer. Puis, chacun s'égayait autour du " padouen " sur lequel se dressaient une douzaine de baraques et de boutiques en plein vent dans lesquelles on vendait quelques modestes friandises, de la nourriture, et surtout du vin. 

Quelques musiciens, sur une estrade improvisée, et il n'en fallait pas plus pour faire danser les jeunes, et les moins jeunes aussi. Le vin aidant, les esprits s'échauffaient. Dans l'après midi, on s'interrompait pour chanter les vêpres, et la fête reprenait ensuite jusque tard dans la soirée qui, en ces journées d'été, pouvait se prolonger longtemps. Le lendemain matin, on célébrait encore une Messe, et l'on reformait la procession, toujours derrière le Curé, pour revenir jusqu'au BOURG où tout se terminait à l'Eglise. 

Chacun rentrait alors chez lui, la Fête était finie. On y venait de très loin et la foule était imposante. Sur les témoignages recueillis, nous découvrons des gens venus en voisins, tels ceux de BALIZAC et de LANDIRAS certes, mais aussi de St SYMPHORIEN, de GUILLOS, d'ILLATS, de PREIGNAC, de BOMMES, LEOGEATS, NOAILLAN et d'autres Paroisses encore. 

En bref, c'était une grande Fête, et les Budossais y étaient très attachés. Ils n'avaient aucune raison de s'interroger sur sa tenue car elle était pratiquement immémoriale ( du moins dans leur esprit ), solidement consacrée par l'usage et parfaitement intégrée dans la vie du Village.

Or soudain, en 1762, le jour de la Fête, le Curé DORAT décide qu'il n'y chantera  pas les Vêpres et n'assurera pas la procession du  lendemain. Surprise des paroissiens. Ils ne comprennent pas pourquoi:

" leur Curé... n'y voulut point dire ny faire dire de vespres ny le lendemain faire la procession accoutumée.."

En fait, nous le verrons tout à l'heure, il y avait bien probablement quelques motifs à ce coup de tête apparent du Curé. La Fête passée, les choses se tassent, et l'on finit par ne plus trop y penser. Mais ce que ces braves gens ne savent pas, c'est que Me Jacques DORAT est en train de leur préparer un tour de sa façon. 

Il entreprend tout d'abord une campagne auprès des Curés des environs, leur demandant de signer une pétition en vue de supprimer purement et simplement la Fête. Il n'ose pas trop le faire de sa seule autorité car il se doute bien qu'il va déclencher de très vives réactions, ce en quoi, en effet, il ne se trompe pas. 

Il va donc se faire couvrir par l'autorité de l'Archevêque de BORDEAUX, mais pour cela, il faut d'abord le convaincre de la nécessité impérieuse de cette suppression. En un tel cas, la réaction normale de l'Archevêché était de déclencher une enquête et d'envoyer quelqu'un pour voir sur place. Et cela, le Curé DORAT n'y tenait pas du tout car ses paroissiens, peu enclins à tenir leur langue dans leur poche, n'auraient certainement pas manqué de beaucoup insister auprès d e l'enquêteur sur l'aspect religieux incontestable de la manifestation.

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 Pour éviter cela, Me DORAT comprend bien qu'il lui faut prendre les devants afin d'empêcher cette enquête et faire prendre position à l'Archevêque sur le fondement de ses seuls arguments. Le Curé savait bien, d'expérience, qu'une fois cette positon prise et rendue publique, aucune pression laïque, si motivée soit-elle n'aurait plus aucune chance de la remettre en cause. 

Il fallait donc, dès la première démarche, mettre sous les yeux de l'Archevêque un tableau inacceptable et très fortement motivé. D'où le recours au témoignage de ses confrères des paroisses voisines. Le caractère abusif de ces festivité devait apparaître tellement notoire aux yeux de tous que l'enquête ecclésiastique deviendrait de ce fait inutile.

C'est ainsi qu'il soumit à la signature de ses confrères le texte d'une pétition pressante en leur demandant d'y adjoindre un commentaire personnel :

 

PETITION .

  " Nous, Prestres, Curés et Vicaires soussignés, ayant pris connaissance et fait lecture d'une requête que Mr DORAT, Curé de la Paroisse St ROMAIN de BUDOS nous a dit vouloir présenter à Monseigneur l'Archevèque, tendant à détruire et réformer les désordres, abus, débauches et scandales qui se commettent chaque année le 29 Juin, Feste de St PIERRE en une Chapelle située sur le ras d'une lande, et ayant requis notre témoignage, les uns pour les avoir vus, les autres pour les avoir oui dire par des personnes dignes de foy et généralement de tout le monde, nous certifions que les susdits désordres, scandales, débauches et abus y sont portés à l'excés et que ladite requête contient vérité en tout, et conséquemment Nous pensons que pour la Gloire de Dieu, l'Honneur et l'intérêt de la Religion et le salut des âmes, il serait à propos et il conviendroit que l'on employât tous les moyens pour y remédier, ce qui ne paroit pouvoir se faire qu'en supprimant en cette Chapelle les Offices de ce jour. En foy de quoi avons signé.."

La Gloire de Dieu étant aussi manifestement engagée, ce texte recueillit vingt signatures. Neuf d'entre elles n'appuyaient aucun commentaire. Le Vicaire de SAUTERNES, les Curés de LEOGEATS, St LEGER, St SYMPHORIEN, FARGUES, PREIGNAC, CERONS, PODENSAC et PUJOLS ont simplement " oui dire ". Les Curés de LANDIRAS GUILLOS , BOMMES, BALIZAC, TOULENNE et le Vicaire de BOMMES " ont vu " les désordres. Le Curé de GUILLOS a même:

" été dépositaire des chapeaux et mouchoirs de soye trouvés dans la mélée après la batterie."

Le Curé de NOAILLAN a " oui dire " mais sait en outre que deux procès ont été introduits " au criminel " devant le Juge du lieu:

" par une troupe de jeunes gens revenant de la fête de St PIERRE de BUDOS."

Le Curé d'ILLATS n'a lui aussi qu'oui dire, mais il a vu :

" des personnes d'ILLATS qui avaient-été maltraitées."

Le Curé de PREIGNAC a lui aussi simplement oui dire, mais a:

" vu plusieurs fois des jeunes garçons et jeunes filles de (sa) paroisse se retirer de ladite assemblée à une heure idue."

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Enfin, la déclaration de très loin la plus étoffée nous est fournie par l'Abbé SAINT BLANCARD, le propre Vicaire du Curé DORAT, dont on peut se demander si, au bénéfice de sa dernière phrase, il ne serait pas le véritable instigateur de toute l'affaire :  

" Je soussigné déclare que depuis mon enfance, j'ai toujours oui parler de l'assemblée qui se fait le jour de St PIERRE à la Chapelle dont il est question, comme d'une des plus fameuses par les batteries, les danses et les autres abus scandaleux qui si y commettent. Je déclare en outre que pendant trois années consécutives, j'ai été témoin de ces désordres, et que j'ai vu porter les choses à un tel point d'indécence, d'impiété, d'irréligion et de profanation que j'en ai été si fort troublé en célébrant les Saints Mystères à ladite Chapelle que je me crois obligé, en bonne conscience, de refuser absolument mon ministère à ce qui concerne le service accoutumé dans cette Chapelle et en conséquence, j'en ai prévenu Mr DORAT, Curé, comme étant son Vicaire."

Comment la description d'un tel déferlement de stupre n'aurait-elle pas ému un Archevêque ?

C'est vers la mi-Juin 1763 que le Curé DORAT finit de réunir les dernières signatures au bas de sa pétition. Il taille alors sa meilleure plume et adresse une supplique à Monseigneur l'Archevêque de BORDEAUX :

Monseigneur,

" Supplie humblement Jacques DORAT, Curé de la Paroisse de St ROMAIN de BUDOS, en CERNES, disant qu'il y a dans la susdite Paroisse une Chapelle dédiée à St PIERRE, Prince des Apôtres, dont la Fête se célèbre le 29 Juin; cette Chapelle n'est point fondée par aucun revenu, ... on l'entretient par des charités;...elle a même été autrefois tellement abandonnée qu'elle a servi de longues années de retraite et d'azile aux bestiaux qu'on mettait paître dans la lande; elle n'a même été rétablie que par le zèle indiscret d'un vicaire qui, de son autorité privée, y a introduit l'usage d'y faire tout l'Office du jour. Cette Chapelle est size et située à mille pas de l'Eglise paroissiale, sur le ras d'une vaste lande à huit à dix pas d'un pignada d'environ douze journeaux très épais et très propre  à y favoriser le vice; en ce jour 29 Juin se rend un très grand concours de peuple, quelques uns et en petit nombre par dévotion, les autres, en grand nombre par libertinage et débauche. Les premiers qui y viennent le matin par dévotion se retirent après avoir entendu la Messe, les seconds qui y viennent pour traiter d'affaires par   débauche et par libertinage, y passent toute la journée, plusieurs la nuit et le lendemain, livrés à toutes sortes de débauches soit de vin, danses, querelles, batteries; en ce jour se rend un grand nombre de marchands de toute espèce, même des juifs de BORDEAUX, ces marchands

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s'y forment et s'y construisent des boutiques et y déplient et y vendent leurs marchandises au mépris des Lois de l'Eglise, du Royaume et des Arrêts des Règlements de la Cour. D'ailleurs en ce jour s'établissent douze à quinze cabaretiers qui s'y forment chacun une cabane dont plusieurs sont attachées aux murs de ladite Chapelle, par conséquent à portée de faire retentir dans ladite Chapelle les jurements et toutes sortes d'imprécations qui se profèrent ordinairement dans les cabarets. Témoin souvent de tous ces désordres et scandales, il s'est cru obligé de porter toutes ces raisons au tribunal de Votre Grandeur, avec le sentiment et témoignage de Messieurs les Curés et ecclésiastiques qui ont vu et qui ont oui parler très souvent des susdits désordres et scandales, ci-joints, afin que, ce considéré, il Vous plaise, de Vos Grâces, Monseigneur, pour remédier aux susdits désordres et abus et scandales, ordonner ce qu'il plaira à Votre Grandeur, le suppliant continuera ses voeux et ses prières  pour la santé et prospérité de Votre Grandeur, Monseigneur."

DORAT, Curé, Suppliant.

Nous arrivons ainsi au Dimanche 26 Juin 1763. Ce jour-là, par deux fois, le Curé DORAT monte en chaire et annonce :

" que dorénavant, il n'y aurait plus de Messe ny célébration d'aucun office dans (la) Chapelle, mais que pour en donner avis au public, il y dirait encore cette année une Messe seulement."

Par la même occasion, il informe ses paroissiens du soutien qu'il a reçu de ses confrères et conclut en disant qu'en l'absence de l'Archevêque, il a obtenu de Monsieur le Grand Vicaire l'autorisation de supprimer la Fête. Tout est donc allé très vite, la décision a été prise en moins d'une semaine, et c'est exactement ce que voulait le Curé.

Le Mercredi suivant, 29 Juin, Jour de la Fête, pour bien marquer à quel point il prenait ses distances, ni son Vicaire ni lui-même ne diront la dernière Messe qu'il avait annoncée. Il confiera ce soin à son confrère, le Curé de BOMMES qu'il avait fait venir tout exprès à cet effet. Mais il se rend tout de même à St PIERRE:

" et un moment après la Messe dite, il n'eût d'autre empressement que de chasser tous les fidèles hors (de) la Chapelle, d'en fermer la porte, d'emporter la clef et de s'en aller, ce quy occasionna un murmure scandaleux parmy le public quy s'y trouva."

Il n'en fallait pas plus pour que la Paroisse entre en ébullition. Le Baron s'en mêla et prit fait et cause pour les habitants contre le Curé. Ils rédigèrent alors une supplique à l'adresse de Monseigneur De BOUTIN, Intendant de GUYENNE pour lui demander l'autorisation de se réunir en Assemblée Capitulaire, de désigner leurs représentants et de décider dans quelles conditions ils poursuivraient leur Curé en Justice :

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A Monseigneur De BOUTIN, Intendant en la Généralité de GUYENNE,

  " Supplient humblement les habitants de la Paroisse de BUDOS, disant qu'ils ont originairement toujours eu une Chapelle dédiée à St PIERRE, détachée de l'Eglise paroissiale et située sur la frontière de la lande, dans laquelle les Sieurs Curés ont toujours esté tenus le 29 Juin, jour de St PIERRE, d'y célébrer ou d'y faire célébrer deux Messes et les vêpres, et encore le lendemain une Messe, de partir de (l'Eglise) paroissiale le matin du jour de la Fête en procession et s'en retourner le lendemain à l'issue de la Messe également avec la procession, usage quy de tous temps a esté suivy, ce quy a toujours occasionné une particulière dévotion, non seulement des habitants, mais encore de tous les fidèles d'une distance assez éloignée, ce qui faisoit une très grande assemblée et un avantage très considérable aux habitants, ce quy leur estoit de toute nécessité dans une campagne à distance très éloignée des villes, où il n'y a ny foires ny marchés pour (l'écoulement) de leurs denrées, et leur donnait un grand secours pour parvenir au paiement des deniers royaux dont ils sont accablés. Il (a) néanmoins plu au Sieur DORAT, actuellement Curé, par une tracasserie en luy des plus communes, de se pourvoir devant Messieurs les Vicaires Généraux, Monseigneur l'Archevèque (étant) absent du Diocèse, sur l'interdiction ... de cette Chapelle. Il (a ainsi) surpris de certains Curés de son voisinage une attestation surfaite, si on l'ose dire, de son faux exposé dont les habitants n'ont pu encore découvrir (le contenu) que par (l')aveu et déclaration qu'il en a fait lut même le 26ème Juin dernier...."

Les Budossais et le Baron racontent ensuite ce qui s'est passé lors de la dernière Fête, ce qui les oblige de convoquer :

" le Sieur Curé en Justice devant... quy... il appartiendra et (obtenir qu'il dise) s'il veut ou non servir cette Chapelle conformément à l'usage et coutume... Ce considéré, il plaize (à) Vos Grâce, Monseigneur, permettre aux suppliants de s'assembler au son de la cloche pour, entre eux délibérer et faire élection d'un syndic... (puis après avoir rendu compte de ces décisions à) Votre Grandeur... pouvoir procéder et défendre... contre le Sieur Cur ... pour l'intérêt de leur Chapelle et faire justice. "

L'Intendant leur accorda l'autorisation demandée. Avant d'en user, quelques Notables voulurent tenter une dernière démarche de conciliation. Ils allèrent donc trouver le Curé et :

" luy demandèrent de s'expliquer et de leur dire s'il vouloit et entendoit mieux faire à l'avenir (en continuant) les offices et cérémonies ordinaires et accoutumées dans ladite Chapelle; que s'il leur répondait que non, la Communauté se pourvoierait (comme elle le trouverait opportun). Ledit Sieur DORAT leur Curé leur répondit ... de se tranquilliser, qu'à l'avenir tous les anciens offices, uzages et cérémonies des processions, Messes, Vespres seroient faits (selon) l'uzage et coutume ordinaire."  

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Cette promesse les apaisa en effet et la bonne nouvelle se répandit aussitôt dans tout le Village. Bien à tort. Mais sur ces bases nouvelles, qu'ils n'avaient alors aucune raison de suspecter, il n'y avait plus de motif de poursuivre le Curé. N'importe qui s'y serait laissé prendre. Le temps passa. Et l'on parvint ainsi à la veille de la Fête de 1764. Le Curé se voulait rassurant, il promit encore:

"la veille qu'il célèbreroit et officieroit à l'ordinaire et coutume ancienne "

Seulement voilà, au jour de la Fête, pas de Curé !!

" quelle n'a pas été la surprise (des habitants) de voir que ledit Sieur DORAT leur Curé au lieu de remplir ses promesses et leur attente... ne daigna (même) pas... le jour de St PIERRE... ouvrir la porte de ladite Chapelle, ny par conséquent y faire aucune fonction quoi qu'il eût promis... aux habitants..."

C'en était trop ! Mettant à profit l'autorisation d'Assemblée qu'ils avaient obtenue l'année précédente et dont ils n'avaient pas usé puisqu'ils avaient pu croire l'affaire réglée, les Budossais convoquèrent Me BAYLE, Notaire, le Dimanche 22 Juillet 1764. On sonna la cloche à la sortie de la Grand'Messe et tous s'assemblèrent dans le cimetière, devant l'Eglise, à portée de voix du presbytère. Les 57 principaux propriétaires et Notables de la Paroisse dont les noms sont consignés à l'acte étaient présents :

" tous formant la plus saine et majeure partie des habitants et communauté de la Paroisse de BUDOS et capitulairement assemblés à l'issue de (la) Messe paroissiale; lesquels ont dit et délibéré d'une commune et unanime voix ... "

Ils rappellent longuement le détail de leur différend avec le Curé DORAT, soulignant au passage que :

" cette cessation de service ... de la part dudit Sieur Curé ne tend à rien moins que de faire (disparaitre) la dite Chapelle quoy qu'elle ait actuellement un capital de la somme de six cents Livres entre les mains dudit Sieur Curé... et que les dézirs et intentions de la communauté (sont) au contraire que ladite Chapelle soit desservie à l'avenir de tous les offices, cérémonies et uzages anciens accoutumés."

Et pour y parvenir, ils désignent :

" unanimément et d'une commune voix…pour leurs Syndics et Procureurs constitués les personnes de Sieur François LACASSAIGNE, Procureur (Postulant) au (Tribunal) du Siège dudit BUDOS et Sieur Pierre LATAPY, Bourgeois et marchand auxquels ils donnent pleins pouvoirs et puissance... pour sommer et assigner ledit Sieur DORAT, leur Curé, devant tel Juge qu'il appartiendra pour l'obliger ...pour desservir leur dite Chapelle de St PIERRE... et au cas où, par évènement, on ne (pourrait) ly obliger, faire régler et distraire la portion de Dîme qui… appartient à ladite Chapelle; assigner également tant ledit Sieur DORAT, Curé, que son fabriqueur et tous autres qu'il appartiendra pour la reddition des comptes des sommes (en) capital dues à ladite Chapelle (aussi bien qu'en) fruits et revenus, charités ou offrandes annuelles; débattre et (contester) ces comptes, recevoir et donner quittance de (tout cela et) .... surtout pourvoir à ce que (la Chapelle) soit desservie à l'avenir de tous les services et cérémonies anciennes et accoutumées soit par ledit Sieur Curé s'il y a lieu, ou par (tel) autre prêtre, au choix et solde de qui il appartiendra..."

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Il n'y avait pratiquement aucune chance pour qu'en s'adressant à un Tribunal civil les Budossais puissent faire contraindre leur Curé à assurer un service religieux qu'il refusait avec l'assentiment de l'Archevêché. C'était un combat perdu d'avance. Par contre ils avaient de bonnes chances d'aboutir sur le terrain financier, et c'était un point sensible pour le Curé. 

Car, ils ont raison, il existe bel et bien une Fabrique de la Chapelle St PIERRE et il faudra savoir ce que le Curé a bien pu faire des sommes qu'il détient à ce titre. Malin, le Curé DORAT avait pris les devants; souvenons nous de ce qu'il avait écrit dans sa supplique à l'Archevêque en Juin 1763 :

" cette Chapelle n'est point fondée par aucun revenu, on l'entretient par des charités.."

C'est à la fois vrai et faux. Il est vrai qu'il n'y a pas de fond de Dîme particulier affecté au service de la Chapelle ( elle n'est donc pas effectivement " fondée "), et sur ce point précis, les Budossais font fausse route, il n'y aura pas de réduction de Dîme si l'on abandonne son service. 

Mais les " charités " et les offrandes motivées par la desserte du sanctuaire doivent à coup sûr être décomptées à part dans un compte de fabrique spécial et non point tomber dans l'escarcelle du Curé ou de l'Eglise paroissiale. 

Et cette Fabrique existe, et depuis très longtemps. Sur ce terrain, n'importe quel Tribunal exigera des comptes, la position des habitants est ici bien meilleure, sans que cela puisse contraindre le Curé à une reprise du service, mais cela peut constituer un élément de négociation.

Peut-on essayer d'y voir un peu plus clair dans cette controverse ? Que s'est-il réellement passé ?

A l'évidence et depuis bien des années, le Curé DORAT supportait mal cette Fête. D'une façon plus générale, d'ailleurs, toutes occasions de boire ou de danser lui semblaient être circonstances propres à la licence et à la débauche. Ses paroissiens dont les conditions de vie étaient plutôt rudes, avaient un point de vue sensiblement différent. La Fête constituait pour eux une sorte d'exutoire à beaucoup de contraintes. 

Dans un contexte où les distractions étaient rares, ils ne dédaignaient pas une occasion de s'assembler et de s'amuser, tout en restant très attachés à l'aspect religieux de la manifestation. Pour eux, cela formait un tout indissociable. Il est plus que probable qu'en de telles circonstances, on buvait avec quelques excès, et qu'il pouvait s'ensuivre certains désordres. C'est bien ce qui a dû se produire le 29 Juin 1762, le jour d'où toute l'affaire est partie.

Plusieurs témoignages concordent pour témoigner qu'une rixe générale éclata ce jour-là. Me RECULES, Curé de CERONS, déclare en Juin 1763 avoir oui parler " de la batterie qu'îl y avait eu l'année dernière " .

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Le Vicaire d'ILLATS , l'Abbé FATIN a vu " des personnes d'ILLATS qui avaient été maltraitées". Me COURREGES, Curé de GUILLOS a tenu les chapeaux trouvés " dans la mélée après la batterie". De plus, souvenons nous qu'en ce 29 Juin 1762, la Fête avait normalement commencé. Tout le monde est d'accord sur ce point. 

On était parti en procession et l'on avait chanté l'office à St PIERRE. C'est là, en mi-journée que le Curé DORAT décida brusquement qu'il n'y aurait pas de Vêpres et que les cérémonies du lendemain seraient annulées. Tout porte donc à croire qu'une rixe sérieuse a éclaté en ce jour-là au milieu de la Fête, entre l'Office et le moment des Vêpres. 

Excédé, le Curé DORAT, avec le tempérament impulsif que nous lui connaissons a aussitôt décidé d'en finir avec une manifestation qu'il n'avait supportée jusque là qu'avec beaucoup d'impatience. Tenant désormais un solide prétexte, il l'a aussitôt exploité. A aucun moment, bien entendu, et dans aucun de leurs écrits, les Budossais n'ont soufflé mot de cette rixe. Ils auraient aimé faire croire que le Curé avait suspendu le déroulement des cérémonies sur un coup de tête injustifié. C'est très peu vraisemblable, cette rixe a bel et bien existé.

Par contre, la présentation des faits par le Curé n'est pas très objective. Il décrit en effet cette Fête comme une résurgence somme toute récente, due " au zèle indiscret d'un vicaire " alors que la Chapelle aurait été abandonnée depuis de nombreuses années et affectée au parcage des animaux. 

L'histoire n'a conservé aucune trace connue d'un tel fait, ce qui n'est absolument pas une raison suffisante pour l'écarter a priori. Sans pouvoir donc ni confirmer, ni infirmer un abandon de la tradition à un moment donné, il n'est pas douteux que cette Fête au moment des évènements, existait de très longue date et de façon continue. 

En 1728, il existait déjà une Fabrique de la Chapelle; et le Fabricien était le propre Père de l'Abbé SAINT BLANCARD qui devait naître sept ans plus tard. Il est au demeurant assez plaisant que ce dernier cherche nous faire croire qu'il a simplement entendu parler de la Fête mais, apparemment, qu'il n'y serait jamais allé :

" depuis mon enfance, j'ai toujours ouï parler de l'assemblée qui se fait le jour de St PIERRE..."

alors qu'il habitait au quartier de MEDOUC, à moins de 400 mètres de là ... De plus, il n'y avait aucun office en l'Eglise paroissiale ce jour-là et toute la population suivait la procession. Enfin, son Père était l'administrateur des biens et revenus du sanctuaire ( et c'était le jour des offrandes, ne l'oublions pas ... ) et lui n'en aurait " qu'oui parler "! A qui voudrait-il donc le faire croire ? Il existe bien d'autres preuves de ces festivités, ne serait-ce que le décès de mort subite de Jean DUVERGE, de St SYMPHORIEN, en pleine Fête, " sur la place de la Chapelle " le 29 Juin 1734.

Mais on pourrait également avancer un autre argument, plus psychologique celui-là. Il n'y avait pas si longtemps que les Budossais venaient de perdre un très long procès par lequel, de 1642 à 1670, ils avaient cherché à faire rétablir leur Fête et procession de la St GEORGES entre le BOURG et le Château. 

S'étant battus avec un tel acharnement sur cette affaire, auraient-ils, si peu de temps après, abandonné aux bestiaux le seul point de pèlerinage qui leur restait après la fermeture de la Chapelle St GEORGES ? On peut au moins se poser la question. Redoutant une enquête épiscopale, le Curé DORAT, en vérité, a cherché à gommer systématiquement tout ce qui aurait pu donner du poids à la tradition.

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De même est-il très hasardeux de sa part de dire que les marchands:

" déplient et  vendent leurs marchandises au mépris des Lois de l'Eglise, du Royaume et des Arrêts des Règlements de la Cour."

De l'Eglise peut-être s'il s'agit d'activités commerciales un jour de Fête d'obligation, et encore... il y avait tant de foires qui se tenaient à l'occasion de jours de Fête… Mais certainement pas contre le voeu de l'administration, toujours prompte à se réjouir de toutes initiatives favorisant le commerce et les échanges. 

Au surplus, pour nous en convaincre, il suffirait d'évoquer le grand pèlerinage de SAINT CLAIR qui, pendant trois jours, au début Juin, rassemblait à SAINT LEGER bien plus de monde et de commerces que n'a jamais pu en voir la SAINT PIERRE à BUDOS. Rassemblement particulièrement festif qui se déroulait sous l'oeil bienveillant du curé du lieu qui, de son propre aveu, en tirait une part appréciable de son revenu annuel. 

Il est pourtant probable que les murs de l'Eglise de SAINT LEGER ne protégeait pas davantage le déroulement des Saints Mystères des chansons à boire venues de l'extérieur que ne pouvaient le faire les murs de la Chapelle St PIERRE à BUDOS. Et Dieu sait si, à SAINT LECER, venu de tout le Pays des Graves et même du lointain MEDOC, le vin coulait à flots ! 

Les gosiers landais n'étaient pas souvent à pareille fête ... Aussi les Budossais dans leur supplique à l'Intendant, avaient-ils su adroitement faire valoir l'argument du commerce avec une allusion appuyée au rendement fiscal de la Paroisse. C'était bien venu. La rentrée aisée de l'impôt était une préoccupation constante de l'Intendance. Quand on demande une faveur, autant vaut-il toucher une corde sensible ...

Il y a, enfin, la présence de ces Juifs de BORDEAUX ! Et puis aussi la proximité de ce pignada " très épais ", propre à favoriser toutes les débauches. Sur ce dernier point, on pourra faire observer qu'il n'était pratiquement pas né d'enfants naturels à BUDOS depuis le début du siècle jusqu'en 1763, alors qu'il en survint une douzaine dans la vingtaine d'années précédant la Révolution. La Fête ne peut être soupçonnée d'y avoir été pour quoi que ce soit, et sa suppression n'a pas suffi à préserver BUDOS de ce relâchement des moeurs.

Si nous sommes bien renseignés sur le noeud de cette affaire, nous n'en connaissons malheureusement pas le dénouement. Sinon bien sûr que la Fête ne fut pas rétablie comme l'on pouvait bien s'en douter. Pourtant, dans l'édition de 1785 des Variétés Bordeloises de l'Abbé BAUREIN, on peut lire qu'après la suppression de la manifestation :  

" on s'est borné, depuis longtemps, à y aller en procession au jour d'une des Fêtes de Pâques."

On sait que l'Abbé BAUREIN n'a jamais quitté son bureau et qu'il rassemblait son impressionnante documentation en adressant aux Curés locaux des questionnaires très précis dont il compilait ensuite les réponses. Il y a les plus grandes chances pour que ce soit le Curé DORAT lui-même qui ait fourni l'indication de cette procession dont aucun autre document ne fait par ailleurs état. 

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 Peut-être s'était-il agi d'une sorte de compromis, le Curé acceptant de reprendre la procession, mais à une autre date pour rompre nettement avec la tradition de la Fête ancestrale. Ce n'est qu'une hypothèse qu'aucune preuve ne vient étayer, la question reste pendante.

Pour en terminer d'un mot avec cette affaire, nous dirons qu'à la Révolution la Chapelle St PIERRE fut vendue comme Bien National et que sa démolition fut entreprise par son nouveau propriétaire. Elle faillit néanmoins, beaucoup plus tard, être restaurée en vue d'y rétablir le culte.

Le 26 Mai 1842 mourut au quartier de CAUSSON Nicolas LACASSAIGNE, dit PELET. Par testament , il laissait un legs de 3.000 Francs pour reconstruire le bâtiment et ajoutait :

" Je prie tous les brabes chrétiens de la Commune de vouloir bien y prester la main pour en faire la construction, et une fois qu'elle sera parachevée, il y sera dit une Messe tous les mois que je prie tous les paroissiens de vouloir y assister et y faire leurs dévotions comme on faisait à l'ancienne Chapelle dans le temps qu'elle existait. "

Nicolas LACASSAIGNE avait bien connu le Curé DORAT qui lui avait fait faire sa première communion; mais, né en 1776, il était trop jeune pour avoir connu les beaux jours de la Fête. Le legs ayant été jugé insuffisant, la Fabrique renonça à la succession et l'on oublia un peu plus la Chapelle.

Nous allons en venir maintenant à une autre affaire qui, quelques années plus tard devait soulever dans le Village de bien vives émotions: l'affaire de la suppression du poste de Vicaire.

 

L'affaire de la suppression du poste de vicaire.

Le. 25 Août 1776 se produisait à BUDOS un modeste évènement qui, sur le moment passa à peu près inaperçu mais qui, par la suite devait se révéler particulièrement riche de conséquences. Ce jour-là, en effet, l'Abbé PERIE, Vicaire du Curé DORAT, cessait son ministère à BUDOS et quittait la Paroisse pour n'y plus revenir. 

Le dernier Vicaire de BUDOS venait de partir, mais cela, personne ne le savait encore. Il n'y avait même pas deux ans qu'il avait succédé à l'Abbé SAINT BLANCARD que nous venons de rencontrer dans l'affaire de St PIERRE. Il n'avait guère eu le temps de s'intégrer au Village, dans un contexte sociologique peu favorable aux adoptions rapides.

Avant toutes choses il nous faut préciser les règles ecclésiastiques de l'époque régissant la mise en place d'un Vicaire dans une paroisse. Selon ces règles, un poste devenait nécessaire dès lors que la population paroissiale dépassait 600 " communiants " . Le Curé était alors chargé de recruter ce Vicaire par ses propres moyens. De même devait-il lui assurer un traitement prélevé sur ses propres Dîmes. A BUDOS, ce traitement était de 400 Livres annuelles ( soit à peu près le triple du salaire d'un ouvrier agricole qui aurait connu le plein emploi ).

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 Encore faut-il préciser que ce traitement n'avait pas été révisé depuis au moins 25 ans. Pour le logement et la nourriture, c'était affaire de convention entre les intéressés; il pouvait se rencontrer là des situations très diverses.

Au départ de l'Abbé PERIE, le Curé DORAT, sans autre concertation, décida de se passer désormais de Vicaire, réalisant ainsi une économie tout à fait substantielle; mais il n'en fit confidence à personne. 

Dans un premier temps, à l'occasion des Dimanches et Fêtes, il fit venir des Prêtres des environs afin d'assurer le service de la seconde Messe. C'est ainsi qu'il fit appel à des Pères Carmes de LANGON, à des Chanoines de VILLANDRAUT, à d'autres encore. Il les rémunérait de leur peine au coup par coup. Entre temps, il faisait prendre patience à ses paroissiens en leur faisant part de l'insuccès de ses recherches car, en bref , il ne trouvait pas de remplaçant   à son Vicaire. 

Il est d'ailleurs bien possible qu'il y ait eu une bonne part de vérité dans ce propos car, au salaire annuel de 400 Livres, compte tenu de la dérive du coût de la vie, il est bien possible que les candidats ne se soient pas bousculés à sa porte. Des années passèrent ainsi dans cette situation provisoire. Il avait obtenu de l'Archevêché, pour certains Vicaires du voisinage l'autorisation de venir " bisser " (ce qu'en termes ecclésiastiques modernes on appelle " biner ") au bénéfice de BUDOS, entendons par là de venir y dire une seconde Messe après en avoir déjà dit une autre dans leur propre paroisse. 

Il aurait paru plus simple qu'il obtienne cette autorisation pour lui-même puisqu'il était sur place. Pour  des raisons non  précisées, cela ne se fit pas. C'eût pourtant été la meilleure issue à l'affaire qui allait bientôt éclater. Car les Budossais commençaient à s'impatienter. Trois ans avaient en effet déjà passé, et l'on en était toujours au même point.

L'idée commençait à se répandre qu'en dépit de ses déclarations réitérées, le Curé Dorat ne mettait pas beaucoup de zèle dans ses recherches. Peut-être avait-il même l'intention de faire l'économie définitive de son Vicaire... Sur ces nouvelles bases de réflexion se leva un vent de fronde. 

Les paroissiens commencèrent. à s'intéresser sérieusement aux questions de gestion financière. Ils ne pouvaient certes exercer aucun contrôle sur les produits de la Dîme qu'ils versaient à leur Curé. C'était un revenu qui lui appartenait et dont il disposait à sa guise, à la condition toutefois d'assurer la présence d'un

Vicaire et de le rémunérer... et c'était tout l'objet du débat.

Mais il était un autre domaine financier sur lequel ils avaient un droit de regard incontestable: celui de la Fabrique de l'Eglise qui était  l'organisme de gestion de ses biens matériels. On y trouvait en recettes les dons et legs divers et en dépenses les frais de matériel et d'entretien. Or, jusqu'ici, ils n'avaient jamais exercé ce contrôle.

Depuis très longtemps, on s'en était remis en toute confiance aux marguilliers désignés par le Curé. Ils faisaient leur affaire de cette gestion et la communauté n'était pas informée de l'état de ses comptes. En fait, c'était le Curé qui tenait la haute main sur la Fabrique et qui la régentait à sa guise.

Commençant à percevoir que le défaut de Vicaire pouvait bien comporter quelques implications financières, l'idée se fit jour, dans le Village, de frapper un grand coup dans le domaine de la gestion de la Fabrique. Un coup auquel le Curé ne s'attendait guère... 

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Le Dimanche 14 Novembre 1779, toute la paroisse se réunit en Assemblée Capitulaire " au son de la cloche, sur la place publique ", à la sortie de la Messe. Au premier rang , devant Me DUTAUZIN, Notaire, se trouvait Messire François, Arnaud De LAROQUE, le Baron de BUDOS, en personne. 

C'était un appui de grand poids. Il était accompagné de Me PENICAUD, Procureur d'Offices du Tribunal, et de 41 propriétaires et Notables de la Paroisse. Leur but était de désigner :  

" une personne sage et prudente qui réunisse dans son caractère et dans son intelligence les qualités essentielles de bien gérer, gouverner et administrer les revenus, biens et affaires de ladite église "

Ils déclarent qu'ils n'ont jamais eu :

" nulle connaissance... non seulement (des revenus) qui peuvent être attribués de droit (à la Fabrique) mais encore de ceux dont les charités ou dons particuliers (proviennent)... des bonnes âmes (au fil du) temps."

Ils évoquent également la question des donations testamentaires qui, du fait de l'absence d'une personne qualifiée et responsable pour les gérer sont pour " la plupart ensevelies dans le plus grand oubli ." En admettant même que le Curé et ses Marguilliers s'en soient occupés :

" il n'en demeure pas moins que les (paroissiens) n'en ont jamais connu ni la recette ni l'emploi, ce qui (est) absolument contre les règles, parce que la recette et la dépense doivent être connues (des) habitants afin que (aucun) ne soit à cet égard dans l'ignorance."

En conclusion, ils vont désigner un Syndic administrateur général de l'Eglise :

" (en) la personne de Jean CAUBIT, laboureur, habitant dudit BUDOS, auquel ils donnent pouvoir, pour eux et en leur nom, de (les) représenter devant tout Juge, Commissaire, Notaire et autres personnes publiques ou (privées) qu'il appartiendra ... (et) de régir, gouverner et administrer tous les biens, intérêts et affaires de ladite Eglise..."

Et le Baron signe le premier. C'est un coup dur pour le Curé DORAT qui n'a jamais trop aimé que quiconque vienne mettre le nez dans sa gestion. Mais que faire ? A aucun moment le Procès Verbal de l'Assemblée Capitulaire ne l'a mis personnellement en cause, son nom n'y est même pas cité, et c'est très habile de la part des paroissiens. Aucune attaque qui lui aurait permis de crier à la cabale ! Ils se bornent à constater des faits indiscutables. 

En particulier le fait que personne n'a jamais rendu compte de la situation financière de la Fabrique " par compte de receptes et de despenses ". Sur ce point les paroissiens sont inattaquables. A première citation, n'importe quel tribunal intimera aux Marguilliers et au Curé l'ordre de publier l'exacte situation financière. Il lui faut donc se soumettre, mais c'est un coup qu'il n'apprécie guère et cela ne va pas le mettre en bonne disposition pour résoudre le problème du Vicaire toujours pendant... 

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L'année 1780 s'écoule sans autre incident. Les paroissiens le pressent de pourvoir  ce poste, il se fait rassurant, il cherche toujours leur dit-il. il finira bien par trouver… Seulement, il vient un temps où, pour une raison encore une fois mal définie, soit qu'il n'ait pas suffisamment dédommagé les prêtres qu'il faisait venir de l'extérieur, soit que l'autorisation de biner leur ait été retirée, ou pour tout autre motif, ces " bisaudiers " ( comme on les appelait) cessent de venir. 

A ce moment là, nous sommes déjà parvenus à la fin Août 1781. Il y a donc tantôt cinq ans, cinq longues années, que l'Abbé PERIE n'a pas été remplacé. Le provisoire s'éternise, les esprits sont tendus. Et voilà qu'un beau Dimanche de cette fin Août, le Curé DORAT informe tout à trac ses paroissiens que, désormais, il n'y aura plus qu'une seule Messe à BUDOS les Dimanches et Fêtes. 

C'est aussitôt une véritable révolution dans tout le Village. Le Curé reste ferme sur sa position. Il ne trouve pas de Vicaire, les solutions de substitution sont épuisées, il n'y peut rien, et il n'y aura plus qu'une seule Messe à BUDOS, un point c'est tout.

C'est le début des vendanges, on a donc pour l'instant tout autre chose à faire que de chicaner, mais l'affaire n'est pas pour autant perdue de vue, tant s'en faut !

Dès la fin Octobre, début Novembre, la contestation s'organise et prend forme. Les Budossais commencent par écrire à l'Intendant de GUYENNE pour lui demander l'autorisation de réunir une Assemblée Capitulaire à ce sujet. Cette autorisation leur est aussitôt accordée. Bernard PENICAUD, le Procureur d'Offices du Tribunal, que nous connaissons déjà, prend la tête du mouvement.

Cette Assemblée fut convoquée pour le 25 Novembre, un Dimanche matin. Outre Bernard PENICAUD, s'y présentèrent 51 propriétaires et Notables de la Paroisse qui, en présence de Me DUTAUZIN, Notaire, formaient:

" la majeure (partie) et principaux habitants de la Paroisse de BUDOS, convoqués et assemblés, les cloches sonnantes, sur la place publique dudit lieu, à l'issue de la Messe paroissiale à mesure que le peuple venait de l'entendre... "

Ils commencent d'abord par raconter leur histoire, insistant sur le fait que le Curé, levant sa Dîme sur la Paroisse, est tenu de leur fournir un Vicaire. Certes, pendant un certain temps, les Dimanches et Fêtes, ils ont bien eu :

" une seconde Messe au moyen d'un prêtre en faveur duquel (le Curé) avait obtenu le bis, mais depuis tout à l'heure trois mois, ce prêtre bisaudier n'a plus reparu dans leur Eglise pour la célébration de la seconde Messe, par conséquent, lesdits habitants sont privés depuis cette époque de cette seconde Messe (qui est) absolument... nécessaire pour le bien et le service de la Paroisse..."

Depuis lors :

" la plus grande partie... (d'entre eux) n'entend pas de Messe (car) il ne leur est pas possible de se rendre tous en même temps pour entendre celle du Sieur Curé..."

Ils expliquent en effet que dans les familles où il y a du bétail, on ne peut en abandonner la garde et les soins et que même dans les familles où il n'y en a pas

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" il faut nécessairement ... que quelqu'un demeure pour garder et préparer l'ordinaire des autres, ceux­-ci (étant) également privés de Messe."

Compte tenu de ces observations, de l'étendue de la Paroisse, de l'éloignement des villages de l'Eglise et de l'affluence habituelle que l'on constate aux offices, ils sont :

" tentés de croire que la moitié au moins desdits habitants n'entendent pas de Messe. Ce manquement de devoir et la privation de cet acte de religion n'est imputable) qu'au fait qu'ils n'ont pas de Vicaire fixe et résidant dans la Paroisse comme ils sont en droit et dans l'usage de le prétendre."

Et ils insistent encore lourdement sur le fait que :

" lesdits habitants payent (pour cela) et sans ménagement, une Dîme considérable audit Sieur Curé qui (sur ces revenus) est tenu formellement de leur fournir (un Vicaire) à ses frais."

Leur patience est maintenant à bout :

" En vain ledit Sieur Curé s'efforce-t-il de leur prêcher publiquement qu'il (reconnait) ses obligations et qu'il reconnait la légitimité de leur plainte, qu'il fait tout ce qu'il peut pour s'en procurer un, qu'il emploie tous ses soins pour cela, mais que ses démarches sont infructueuses (et) qu'il n'en trouve pas. "

" Cette raison serait digne... d'attention de la part des (habitants) si le (défaut) de Vicaire n'était pour eux que l'affaire (d'un) moment ou du moins (une affaire ) toute récente, mais il y a six ou sept ans qu'il a l'injustice de ne point leur en donner (un) ... (tandis) qu'il a la bonté de leur prêcher et annoncer la même chose sans faire attention que (dans le même temps) il reçoit et exige d'eux, comme s'il estoit (parfaitement en) règle, les revenus décimaux de la manière la plus soigneuse et la plus rigoureuse."

Ils posent même encore plus nettement la question en demandant ce que le Curé a bien pu faire de " l'honoraire du Vicaire qui est nécessairement compris " dans la Dîme, et depuis si longtemps. Ils soulèvent enfin le problème du Prêtre unique qui leur retire le choix d'un confesseur, ce qu'ils estiment inacceptable parce que la :

" liberté et le choix des confesseurs est à la volonté de chaque individu."

Au résultat de tout ceci, ils désignent Pierre BANOS comme Syndic et lui donnent les pleins pouvoirs afin de poursuivre le Curé "devant telle Cour et tel Juge qu'il appartiendra ". C'est à lui désormais de prendre cette affaire en main, et il va s'en occuper très activement.

L'affaire est d'importance, elle est directement portée devant le Parlement de BORDEAUX, et pour une fois, les choses n'y traînent pas . Elle est plaidée le 12 Mars 1782 et mise en délibéré. Les conclusions déposées par le Procureur Général ont été favorables. La Cour rend son arrêt le 7 Juin suivant, mais c'est un arrêt provisoire par lequel les Parlementaires, prudents, demandent à Pierre BANOS de se retourner vers l'Archevêque : 

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" pour lui demander qu'il soit établi un Vicaire dans ladite Paroisse de BUDOS."

En bref le Parlement estime qu'il faut bien un second Prêtre à BUDOS mais, faute de vouloir s'immiscer dans la gestion des affaires ecclésiastiques, préfère que la solution vienne de l'Archevêque.

Pierre BANOS se retourne aussitôt vers celui-ci et lui adresse une supplique lui demandant qu'il lui plaise:

" d'ordonner au Sieur DORAT, Curé de ladite Paroisse de BUDOS de se pourvoir (sous) quinzaine pour tout délai d'un Vicaire ou tout autre Prêtre à demeure pour desservir avec lui ladite Paroisse."

Cette supplique est examinée à BORDEAUX par deux congrégations différentes " qui concluent à la nomination d'un visiteur".  C'est la pratique habituelle de l'enquête épiscopale. Le secrétaire de l'Archevêque fait même savoir que l'enquêteur sera Monsieur le Doyen de St SEURIN. L'affaire paraît donc en bonne voie; à Budos, on se réjouit. Un peu trop, et surtout trop tôt. Le temps passe; personne ne vient. 

Peut-être la perspective du voyage n'a-t-elle pas tellement enthousiasmé le Doyen du Chapitre de St SEURIN qui devait être un homme d 'âge respectable. Vue de BORDEAUX, cette Paroisse inconnue et probablement turbulente devait paraître bien lointaine, tout au bout de chemins incommodes. A moins que quelqu'influence occulte n'ait joué... Comment le savoir ?

Mais Pierre BANOS est un têtu et prend sa mission très au sérieux; il ne baisse pas les bras. Il écrit de nouveau à l'Archevêque:

" il n'est pas venu à (sa) connaissance que cette visite ait été faite, et la Paroisse de BUDOS est toujours dans la même situation..."

Il insiste de nouveau et lui demande instamment de

 " faire cesser le désordre qui règne dans la Paroisse... par défaut de la seconde Messe que ses habitants réclament."

Nous sommes rendus là à la f in de 1782, et du temps va encore passer, beaucoup de temps, pendant lequel le Curé DORAT prélève imperturbablement l'intégralité de ses Dîmes tandis que ses paroissiens n'ont toujours pas vu venir l'enquêteur. L'irritation monte, la situation locale est particulièrement tendue entre les Budossais et leur Curé. Elle le serait à moins. 

Pierre BANOS reprend la plume début 1784 et s'adresse de nouveau à l'Archevêque, mais cette fois-ci, il va se montrer plus direct, plus incisif. Le ton de son discours est révélateur de l'évolution du climat local. Une fois encore, il renouvelle sa demande d'une seconde Messe en développant ses arguments, suggère qu'il y aurait eu moyen de trouver un autre prêtre si le Curé DORAT " s'était donné quelque mouvement " pour le trouver et ajoute qu'il y :

" trouverait lui-même quelques secours particuliers (pour) les absences fréquentes qu'il est obligé de faire (laissant) sa paroisse sans prêtre (parce qu'il possède) de grands biens... dans la Paroisse de LEOGNAN, ou par les acquisitions considérables qu'il a faites depuis certain temps dans la Paroisse de BUDOS. "

 

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Là, Pierre BANOS commence à mettre les points sur les " i  " et c'est vrai que le Curé DORAT s'absente assez souvent. Les registres paroissiaux en font foi lorsque ce sont les Curés du voisinage ( de LANDIRAS en particulier ) qui viennent célébrer les obsèques ou que l'on doit aller faire baptiser les enfants de BUDOS à l'extérieur. Mais Pierre BANOS enfonce mieux le clou:

" le refus d'une seconde Messe de la part de Monsieur DORAT, Curé, ne peut venir que de son esprit économique, mais la religion en souffre considérablement; à force de ne pas entendre parler de Dieu, on l'oublie..."

L'esprit " économique " du Curé DORAT ! Ah ! que voilà donc une jolie formule !... Quant à " oublier Dieu ", c'est un langage bien propre à émouvoir un Archevêque, tout comme la conclusion de Pierre BANOS qui, n'y allant pas par quatre chemins, suggère tout bonnement de faire saisir ce qu'il faudra sur les Dîmes du Curé en vue de régler les honoraires du Prêtre qui viendra dire la seconde Messe. 

Tout cela commence à faire désordre, et puis il y a aussi cet Arrêt du Parlement, toujours pendant, qui avait reconnu le principe des droits des paroissiens et qu'il serait dangereux de trop oublier. Aussi l'Archevêque va-t-il " se donner un peu de mouvement ".

Monseigneur Jérome Marie CHAMPION DE CICE par la Providence Divine et l'autorité du SAINT SIEGE apostolique, Archevêque de BORDEAUX " prend la décision de désigner un nouvel enquêteur. Ce sera Monsieur DUZAN, Curé de PREIGNAC          qui, en qualité de " Vicaire forain " devra se rendre à BUDOS  afin de s'informer

" de la nécessité d'(y) tenir un Vicaire soit pour aider le Curé... dans les fonctions de son ministère, soit pour dire une seconde Messe les Dimanches et Fêtes... (et pour cela) constater le nombre des habitants... leur éloignement de l'Eglise, la difficulté des chemins qui peut empêcher ceux qui sont les plus éloignés de se rendre à l'heure... de la Messe paroissiale... ( également de ) s'assurer s'il n'y a point de paroisse prochaine où l'on dise les Dimanches et Fêtes une seconde Messe à laquelle pourraient assister ceux des habitants de BUDOS qui en seraient les plus près..."

Le moins que l'on puisse dire est que cet ordre de mission suggère fortement à Mr DUZAN quelques solutions qui pourraient le conduire à conclure à un statu quo... Mais qu'à cela ne tienne, c'est à lui de mener l'enquête et d'en dresser Procès Verbal pour en rendre compte à l'Archevêque et lui permettre de prendre sa décision en toute connaissance de cause. 

Cet ordre est daté du 31 Mars 1784 et signé de deux Vicaires Généraux, Mrs BOUDIN et CORNILLE. Et cette fois-ci, les choses ne vont pas trop traîner. Si le Doyen de St SEURIN ne parait pas avoir fait le voyage de BUDOS, Mr Jean DUZAN, lui, a fait le déplacement; il est vrai qu'il vient quasiment en voisin.

Le 4 Mai, il se rend à BUDOS en compagnie de son Vicaire Mr DELAGUELLE qui, pour la circonstance, va lui servir de secrétaire. Il s'installe dans l'Eglise, et fait comparaître les diverses parties.  

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Le Curé DORAT est présent, mais aussi tous les Notables Budossais. Pierre BANOS, bien sûr, le Syndic chargé de poursuivre l'affaire au nom de la Communauté paroissiale, mais aussi Bernard PENICAUD, le Procureur d'Offices, Raymond COUTURES, Bourgeois, Pierre SAINT BLANCARD, Jean CAUBIT, Bernard BRUN, Bertrand BOIREAU, Jean BEDOURET et tant d'autres encore. Interrogés l'un après l'autre, tous :  

" ont répondu unanimement qu'il seroit indispensable d'avoir un prêtre pour une seconde Messe ... qu'à l'égard du nombre des communiants, il montait à six cent vingt cinq ou environ, que les chemins ne sont pas généralement mauvais dans la Paroisse et ne peuvent pas par conséquent empêcher les habitants qui sont les plus éloignés de se rendre à l'heure marquée à la Messe paroissiale, qu'à l'égard des paroisses circumvoisines... il y a deux Messes (à LANDIRAS) que les villages qui confrontent à (cette) paroisse sont (ceux) de COUDEY, PERRON, VERDUC, PIRET et (du) SOUBA, éloignés de l'Eglise de BUDOS d'une demi lieue, et d'un quart de lieue de celle de LANDIRAS, observant cependant qu'entre ces villages et LANDIRAS, il coule un ruisseau nommé TURSAN, sujet à déborder dans les abondances d'eau et dont le débordement intercepte la communication; que dans la partie du nord de BUDOS (se trouve) PUJOLS, entre lesquelles deux Paroisses (il y a le) village appelé CAUSSON et deux autres maisons distantes de l'Eglise de BUDOS de demi lieue, toujours séparés par le ruisseau de TURSAN... ; (vers l'est) confrontant à la Paroisse de BOMMES, on compte six familles distantes de l'Eglise de BUDOS et de BOMMES d'un quart de lieue, qu'entre les deux Paroisses coule la rivière du CIRON fort sujette à déborder; que dans la partie sud... sont LEOGEATS séparé par la rivière du CIRON... avec (sur BUDOS)... cinq familles peu nombreuses éloignées (d)environ un quart de lieue de l'Eglise de l'une et l'autre Paroisse, et BALIZAC, distant de l'Eglise de BUDOS d'une lieue, lequel intervalle n'est occupé que par une seule maison; déclarant au surplus que, dans le moment présent il n'y a (qu') à LANDIRAS, BOMMES et PUJOLS où il se dit deux Messes les Dimanches et Fêtes... "

  Ce document est particulièrement intéressant car il a été établi de façon contradictoire sous la signature du Curé DORAT et des paroissiens ( celles du moins de ceux qui savaient écrire...) Le texte en avait été négocié mot à mot et une lecture tant soit peu attentive révèle bien les arguments des uns et des autres. 

PERRON et le SOUBA sont plus proches de LANDIRAS que du Bourg de BUDOS, c'est certainement le Curé qui fait valoir l'argument, mais il faut compter avec les débordements du TURSAN, et là, à coup sûr, ce sont les paroissiens qui parlent ( au demeurant, il est exact qu'il n'existait aucun pont sur le TURSAN). 

De même pour les cinq familles résidant entre BUDOS et LEOGEATS, ne les oublions pas,.. soit, mais, fait observer le Curé, " elles sont peu nombreuses ". On notera également que si certaines distances sont correctement évaluées, d'autres nous paraissent erronées, c'est le cas de BALIZAC par exemple qui est maintenant à plus d'une lieue de BUDOS.

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 Cette erreur n'est qu'apparente, le chemin de l'époque filait droit à travers la lande sans faire le large détour que nous lui connaissons aujourd'hui par le lieu dit de COURNAOU. Ce document est donc très fiable, et c'est la raison pour laquelle nous l'avons déjà utilisé en étudiant la démographie locale. L'indication la plus précieuse qu'il nous apporte est en effet celle des 625 communiants. 

En l'absence de tout recensement précis, ce renseignement est capital. Ce chiffre a dû faire l'objet d'un débat d'autant plus serré qu'il était très proche du seuil des 600 communiants que nous avons évoqué au début du présent paragraphe. Chacune des parties avait un intérêt majeur, l'une à le pousser, l'autre à le réduire. Si un consensus s'est établi sur cette base, c'est bien que le chiffre de 625 a toutes les chances d'être très proche de la vérité.

Au résultat de cette enquête, la cause aurait dû être entendue. Incontestablement, les règlements ecclésiastiques prévoyaient bien la mise en place d'un Vicaire à partir d'une population de 600 communiants. Or, il n'en a rien été. Si l'issue de cette affaire ne nous est pas exactement connue, il n'en est pas moins bien établi qu'il n'y a jamais plus eu de Vicaire à BUDOS. Mieux encore, ceux des paroisses avoisinantes ont progressivement disparu dans les dernières années de l'Ancien Régime.

En Décembre 1787, faute de Vicaire, on ne célébrait plus qu'une seule Messe à PUJOLS et les habitants protestaient car l'exiguïté de leur Eglise ne leur permettait plus d'y trouver assez de place pour accueillir dans un seul office la totalité des paroissiens :

" ladite Eglise ... étant trop petite pour contenir le peuple qui habite ladite paroisse en une seule Messe..."

En 1789, c'est au tour de BOMMES de perdre son Vicaire. Le 19 Avril, à l'issue de la Messe de 7 heures, la seule subsistant désormais, les habitants se réunirent "  au son des cloches " pour réclamer un Vicaire " auquel ils ont droit " afin de rétablir leur seconde Messe. Il existait donc une forte pression populaire pour maintenir les Vicaires en place et même pour en établir là où il n'y en avait jamais eu. 

A cet égard, l'exemple de LEOGEATS est tout à fait typique. De très longue date, et peut-être depuis toujours, le Curé desservant y avait été seul, et il ne s'y célébrait qu'une seule Messe. Or, en 1786, des paroissiens demandèrent l'installation d'un Vicaire, ce à quoi s'opposa vigoureusement leur Curé, lequel ne voyait pas d'un très bon oeil la substantielle diminution de revenus que lui imposerait ce recrutement. Il y vit même une manœuvre pure et simple qu'il dénonça vivement dans un acte notarié disant que

" au terme des écrits, déclarations, arrêts et règlements, les Curés (ne sont) tenus de fournir un Vicaire dans leur paroisse que tout autant qu'elle se trouve composée de six cents communiants. Néanmoins quelques paroissiens de sa Paroisse, suscités par un ennemy, ont imaginé de prétendre que (lui, Curé de LEOGEATS) était dans ce cas là... quoique (la Paroisse) ne contienne pas ce nombre."

Ces braves gens n'auront ni leur Vicaire ni leur seconde Messe. Leur demande de création de poste venait bien mal à propos dans un temps où les suppressions avaient tendance à se multiplier.

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Y aurait-il eu une véritable pénurie de clercs ? C'est assez peu probable, le nombre des précepteurs privés que l'on peut recenser en milieu urbain vers la même époque semble bien prouver le contraire. Mais peut-être ne trouvait-on plus assez de prêtres pour pourvoir, du moins aux conditions financières proposées, au service des postes ruraux. En définitive, le Curé DORAT fait figure de précurseur puisqu'il avait été le premier à supprimer son Vicaire à la fin Août 1776...

Cette dernière affaire nous a conduit aux portes de la Révolution. Nous devrions donc arrêter ici l'histoire de notre Curé puisque la suite appartient à une période dépassant le cadre de l'étude que nous nous sommes fixé. Qu'il soit néanmoins permis de transgresser un peu cette limite pour conduire rapidement cette histoire à son terme.

Les dernières années du Curé DORAT.

  Jusqu'en Juillet 1790, le Curé DORAT poursuivit normalement son ministère. Mais il refusa de prêter le serment exigé par la Constitution Civile du Clergé. Et c'est à partir de ce moment là que commencèrent ses plus graves ennuis.  

Selon une tradition orale recueillie et rapportée par le Curé Pierre FOURCAN, qui devait lui succéder quelques 80 ans plus tard, des Sans Culottes envahirent son Eglise un Dimanche alors qu'il était en chaire. Ils l'en auraient fait descendre sans ménagement et l'auraient entraîné sur la place du Village où ils l'auraient contraint à danser.

Quels que soient les griefs qu'ils pouvaient avoir à son endroit ( et ils étaient nombreux), on raconte que les Budossais accueillirent très fraîchement cette agression. Me Jacques DORAT était " leur " Curé, et ils n'entendaient pas que des " étrangers " venus d'ailleurs viennent se mêler de leurs affaires.

La tradition n'a pas assigné de date à cet incident, mais on peut raisonnablement penser qu'il a dû se situer en 1791 au moment où les prêtres " non jureurs" ou " réfractaires " ont commencé à être évincés avant d'être, un peu plus tard, poursuivis et persécutés.

Démis de ses fonctions, le Curé DORAT fut remplacé par un Curé Constitutionnel, Raymond LATAPY, à partir du ler Janvier 1792.

Dans un premier temps, il abandonna son presbytère à son successeur pour s'installer chez ses Neveux, ceux qu'il avait fait venir à BUDOS. Il percevait alors du District de CADILLAC une pension de 500 Livres que l'inflation galopante rendit bientôt dérisoire.

Pour obéir à un Décret de l'Assemblée Nationale en date du 26 Août 1792, il lui fallut envisager de se retirer à BORDEAUX "dans la Maison Commune du Département " . La Municipalité de BUDOS lui délivra un Laisser Passer à cet effet. Il fit mine de partir, mais en fait demeura à BUDOS en adressant au District de CADILLAC une demande d'autorisation en vue de rester à BUDOS. Le District consulta le Conseil Municipal quant à l'opportunité de donner suite à cette requête. Mais dans sa séance du 19 Octobre, celui-ci émit un avis défavorable estimant:

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  " que ses opinions politiques, ses liaisons avec des hommes suspects rendent un plus long séjour dans la paroisse funeste dans ses conséquences par les rumeurs et murmures qu'il y cause et qu'il est prudent de faire cesser."

La cause était entendue. Il fallait qu'il s'en aille. Il se rendit donc à BORDEAUX. Mais il demanda à revenir et obtint une permission à cet effet en Décembre suivant. A peine avait-il remis les pieds à BUDOS que le Curé LATAPY, devenu Maire entre temps ( Procureur de la Commune, disait-on ) lui fit signifier son expulsion. Le 3 Janvier 1793, le Curé DORAT, dans une lettre, s'adressait au Président du District de CADILLAC:

" Très respectable Citoyen,

C'est avec la plus grande sensibilité et mortification que j'ai reçu votre honnête avertissement daté du 29 Décembre dernier qui m'a été signifié le ler du courant mois de Janvier 1793, une heure après mon arrivée à BUDOS, qui m'a appris qu'après m'avoir honoré de votre bienveillance, de votre bonne justice, de votre bienfaisance, comblé de toute honnêteté, vous étiez à même de me dépouiller, de me priver, tout d'un coup, de toutes ces faveurs et avantages et de me faire subir toute la rigueur de la Loi prononcée contre les Prêtres non assermentés, en m'accusant d'avoir occasionné des murmures et que mes discours et conduite n'étaient pas favorables a favoriser le patriotisme dans les habitants..."

En fait il semble bien que le Curé DORAT se soit mis en soutane et que le Curé LATAPY l'ait aussitôt appris par le rapport de quelque bonne langue. Or, il est bien exact que l'autorisation délivrée par les Commissaires de BORDEAUX était assortie de l'interdiction de porter la soutane. Et le Curé DORAT de plaider sa cause :

" La seule raison qui m'obligeait à prendre cette soutane d'été, très légère, était de marcher plus aisément pour aller visiter mes bois qui sont très éloignés du Bourg où j'habite et que mon habit de voyage qui est très pesant était tout mouillé depuis mon voyage de BORDEAUX que j'avais fait avec un très horrible temps, et qu'ayant d'ailleurs fait porter tous mes habits à BORDEAUX ou je dois habiter continuellement, je ne pouvais pas en prendre d'autres."

Il conclut en donnant l'assurance qu'il regagnera BORDEAUX dès que sa santé lui permettra d'entreprendre le voyage :

" afin d'obéir à vos ordres et vous rendre compte de ma conduite qui n'est pas si criminelle que l'on vous a rapporté."

Il revint effectivement à BORDEAUX peu après. Il y fut interné dans la Maison des Orphelines, rue PERMENTADE. Puis, avec d'autres Prêtres âgés et infirmes, au Couvent des Catherinettes, rue THIAC.

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Saisi de fièvres malignes, il fut transporté à l'hôpital où il devait mourir peu après sans être revenu à BUDOS. Il était âgé de 77 ans.

Figure rude et vigoureuse, tempérament actif et malcommode, en 50 ans de ministère, le Curé DORAT avait marqué sa Paroisse d'une empreinte profonde.

A la veille de la Révolution, il était devenu l'un des doyens de ce Village dans lequel il était né et auquel il avait fini par s'identifier.

Il avait connu bien des conflits, bien des orages, et le moins que l'on puisse dire est qu'il n'avait pas toujours entretenu les meilleures relations avec ses paroissiens. Mais il était " le Curé " , personnalité absolument incontournable. Chacun avait fini par l'accepter tel qu'il était, sans pour autant renoncer à lui tenir tête lorsqu'il en fut besoin.

C'était le Curé DORAT .....