Marsau.

 

Histoire d'une famille de laboureurs

Au quartier de Triscos 

Commune de Balizac (Gironde).

Deux siècles de vie quotidienne

à Balizac (1610 - 1829).

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Jean DARTIGOLLES.1997
Présentation de l'ouvrage. 

 

A mes petits enfants :

 

- Cécile DARTIGOLLES

- Hélène DARTIGOLLES

- Jean DARTIGOLLES

- Philippe DARTIGOLLES

 

qui ont passé toute leur jeunesse 

dans les lieux mêmes 

où se déroule cette histoire,

afin qu'ils en connaissent mieux  

le développement 

et conservent 

la mémoire de leurs racines  profondes.

 

 

Et aussi, a tous les habitants de BALIZAC

 qui trouveront ici des noms 

de lieux et de personnes 

qui leur sont encore tout a fait familiers 

ainsi que maintes anecdotes 

appartenant a leur patrimoine communal.

Avant propos.

.Chapitre 1.

Les Marsau au XVIIème siecle ; 
Pey Marsau et ses enfants.

 

Chapitre 2.

Jeanne Descarpit 
et ses enfants jusqu'a leur mariage
 1686 – 1713

 

Chapitre 3.
Guillaume Marsau ( 1687 – 1767.

Chapitre 4.
Pierre Marsau ( 1724 - an 2)

Chapitre 5.
Jeanne Marsau (1757 - 1829

Table des matières générales.
Nomenclature des différents sujets abordés 
avec les liens pour y accéder.
 

Avant propos.

 

Les DARTIGOLLES sont venus à BALIZAC par pur accident. Depuis des siècles, ils étaient implantés au lieu-dit du GUIGNET, sur la paroisse de St LEGER.

 C'est parce que le tout jeune Pierre DARTIGOLLES, né posthume en 1762, avait été confié à la garde de son tuteur Jean MARTIN, qu'il vint demeurer chez lui, au Quartier de TRISCOS, à l'âge de 3 ans. Par son mariage ultérieur avec Catherine FAURENS, il s'y établira définitivement en 1781.

Dix neuf ans plus tard, son fils, un autre Pierre se maria avec Jeanne FERRAND, l'une des filles de Jeanne MARSAU. Ce faisant, ce jeune Pierre s'alliait, au second degré, avec cette très vieille famille des MARSAU qui, eux, étaient implantés à TRISCOS depuis des siècles.

 

Pierre
DARTIGOLLES Posthume
1762 - An IV

 

Catherine
FAURENS

1762 - 1833

 

Bernard
 FERRAND

1756-An XI

Jeanne
MARSAU

1757-1829

 

Pierre DARTIGOLLES
né à BALIZAC en 1785
    

Jeanne FERRAND
née à BALIZAC en 1793

mariés à BALIZAC le 14 Juin 1810

               

              Lignée des DARTIGOLLES jusqu'à nos jours.

C'est donc par Jeanne MARSAU, unique et ultime descendante de la branche des MARSAU, dits La BESOÜE, que les DARTIGOLLES ont confirmé leur enracinement au Quartier de TRISCOS, en prenant dès lors quelques distances avec le Hameau du GUIGNET, commune de SAINT LEGER de BALSON dont ils étaient originaires et où ils ne devaient plus résider que de façon épisodique.

Même si aucun DARTIGOLLES n'a jamais épousé une MARSAU, mais seulement une de leurs filles, ces MARSAU ont beaucoup marqué leur tradition familiale, peut-être parce qu'il leur ont légué leur maison de TRISCOS et d'intéressantes archives privées qui ont été largement utilisées dans le travail qui va suivre.

Avec Jeanne MARSAU, la branche des La BESOÜE s'est éteinte en 1829. Il nous a paru important d'en restituer la mémoire, dans le contexte quotidien de la vie de leur village, et de rappeler quelle part ces laboureurs consciencieux et travailleurs ont pris dans la formation de la lignée des DARTIGOLLES.

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Chapitre 1.

 

LES MARSAU AU DEBUT DU XVIIème SIECLE

PEY MARSAU ET SES ENFANTS

 

LES ORIGINES :

Les MARSAU ont décidément constitué une bien curieuse famille.

Au XVIIéme siècle, ils vivaient tous à BALIZAC au Quartier de TRISCOS. C'est là qu'étaient leurs racines, et à coup sûr, depuis bien longtemps déjà. L'étendue de leurs propriétés foncières en porte témoignage.

Quand on sait le temps que pouvait prendre la constitution d'un tel patrimoine, dans les familles rurales vivant loin des fortunes de la guerre ou du négoce, au prix d'un travail de fourmis, étalé sur plusieurs générations, on peut avancer sans grand risque d'erreur qu'ils étaient là depuis des siècles.

Et au surplus, chose beaucoup plus insolite, il n'y avait de MARSAU qu'à TRISCOS. Aucun n'apparaît, aux XVIIème et XVIIIème siècles dans aucune des paroisses avoisinantes à une bonne quinzaine de kilomètres à la ronde et probablement bien au-delà.

Seules, quelques filles, au demeurant peu nombreuses, se sont mariées à l'extérieur de BALIZAC, mais guère plus loin qu'ORIGNE à 4 Km, de là à vol d'oiseau. Et même, ils ne sont pas très nombreux ceux qui se sont mariés sur la paroisse, hors des strictes limites de leur Quartier de TRISCOS.

Ils vivaient là, s'y mariaient, parfois entre eux, et y mouraient sans en être jamais sortis. Ils se partageaient en familles, chacune individualisée par un surnom, et à chaque génération apparaissaient de nouvelles branches.

Au tout début du XVIIème siècle, on rencontre essentiellement des MARSAU CALEBIN et des MARSAU MOUTIC qui ont très certainement un auteur commun, peut–être pas très lointain d'ailleurs, sans pourtant qu'aucun document permette de l'identifier.

Au cours du XVIIIème siècle, on retrouvera encore les CALEBIN, mais aussi les LIBERE, les DE PEYS, les ESCLOUPEY , les LA BESOÜE,  etc., etc. . , tous issus des deux souches primitives.

Vers 1730, il y a au moins 25 MARSAU dans TRISCOS, sinon plus car, avec 5 à 7 enfants, leurs familles sont nombreuses. mais ils sont durement frappés par les épidémies et par la mortalité infantile.

Au milieu du XIXème siècle, il n'en restera plus un seul et leur nom aura complètement disparu.

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A l'heure actuelle, on ne trouve plus un seul MARSAU dans toute la région, sous la seule réserve d'un MARCEAU, à LEOGEATS, dont rien ne dit qu'il puisse avoir un lien avec les MARSAU de TRICOS, car ce patronyme a toutes les chances d'avoir une toute autre origine.

Il n'est pas facile de cheminer dans le labyrinthe de leurs filiations, surtout lorsqu'elles sont croisées par des mariages. Au prix de bien des recherches, nous sommes parvenus à établir la continuité de notre branche familiale sur des bases absolument indiscutables, nous contentant de quelques aperçus non systématiques sur les branches voisines. Leur reconstitution complète, difficile mais très probablement possible, n'apporterait rien de plus au récit que nous allons maintenant entreprendre.

Les DARTIGOLLES SONT tous issus de Pey MARSAU, dit MOUTIC, premier connu du nom. Il était né vers 1610. Aucun Registre Paroissial ne permet de remonter jusqu'à cette époque à BALIZAC, mais la filiation qui nous lie à lui a pu être reconstituée sur le fondement d'actes notariaux solides et sûrs appartenant pour la plupart aux archives familiales.

En remontant au-delà, c'est le domaine de l'inconnu, et en l'absence de tous documents, il y a bien peu de chances pour que nous puissions un jour en explorer les secrets. Seule, une branche alliée, celle des DESCARPIT, que nous retrouverons tout à l'heure nous permettra, un peu par hasard, de remonter jusqu'à une génération antérieure et de faire une fugitive incursion dans les dernières années du XVIème siècle.

Ainsi donc, l'histoire de nos MARSAU commencera réellement aux environs de la fin du règne d'HENRI IV.

Que se passait-il pour lors à BALIZAC ?

 

LE PONT DE BALIZAC

Paroisse de BALIZAC était alors une baronnie appartenant à Monsieur de VICOSE, Seigneur de CASTELNAU de CERNES. Elle devait rester dans cette mouvance jusqu'à la Révolution.

Un modeste Château s'y élevait, tout proche du Quartier de PINOT. Il était alors habité par des gens du Baron, mais il y avait bien longtemps qu'aucun Seigneur n'y avait plus effectivement résidé. Quelques ruines en étaient encore visibles il y a une cinquantaine d'années. Elles ont aujourd'hui disparu.

Vers la fin du règne d'HENRI IV, voilà que se pose à BALIZAC une question tout à fait insolite. Faut-il ou non y construire un pont sur le ruisseau de la NERE ? La question est insolite parce que les ponts, à l'époque étaient très rares, surtout les ponts en pierre, et encore plus rares les ponts construits aux dépens des deniers royaux.

Dans toute la région, à des dizaines de kilomètres à la ronde, il y avait un pont en pierre sur le CIRON à BARSAC, encore semble-t-il bien qu'il ait appartenu aux Chartreux du couvent voisin, un autre à VILLANDRAUT, copropriété du Seigneur du lieu et de celui de NOAILLAN, mais effondré dans la rivière depuis qu'une troupe en retraite l'avait fait sauter pendant les guerres de religion en 1592, un dernier enfin à CAZENEUVE, propriété du Seigneur du lieu, lequel y percevait un péage.

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Tous les autres ponts étaient en bois, plus ou moins bien entretenus, et tous propriété des Seigneurs locaux (BUDOS, PUJOLS, etc . . ) .

Comment donc imaginer que l'on ait pu convaincre l'Administration Royale de venir construire un pont en pierre sur LA NERE à BALIZAC alors qu'il y avait tant d'autres urgences à satisfaire, à commencer par la reconstruction du pont de VILLANDRAUT dont l'intérêt économique était incontestablement plus important que celui de n'importe quel pont sur LA NERE.

Il a donc fallu qu'un personnage particulièrement influent prenne l'affaire en main et mette au jeu tout son crédit dans les plus hautes sphères de l'Etat. Car cette affaire est allé très loin. C'est SULLY en personne, le Premier Ministre, qui a pris la décision de construire le pont de BALIZAC...

Quel a bien pu être ce personnage influent ? Il n'a pu, jusqu'à l'heure, être identifié avec certitude. Peut-être s'est-il agi du Roi HENRI lui-même car Monsieur de VICOSE l'avait très fidèlement servi au cours de sa conquête du pouvoir.

L'affaire commence en 1608 par une enquête d'utilité publique. On interroge en particulier les chanoines du Chapitre de la Collégiale de VILLANDRAUT et leur réponse nous a été conservée. Le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'est pas très convaincante :

"...toutes les années, au premier jour de Juin, se fait une grande assemblée et convocation de peuple à une dévotion qui se fait à l'honneur de SAINT JUIN en la Paroisse de SAINT LEGER, Diocèse de Bourdalloix, où s'y rendent de toutes parts plusieurs personnes venant du Pays d'ENTRE DEUX MERS, du Comté de BENAUGES, Pays de MEDOC et autres circumvoisins ; s'y rencontrent bien souvent plus de trois mille personnes la plupart desquelles faut qu'ils passent le ruisseau nommé de l'AURIGNE sur un pont de bois qui est en la Paroisse de BALIZAC ; et quelquefois, ledict ruisseau est si débordé qu'il entraîne ledict pont de boy."

LA NERE s'appelle l'ORIGNE dans la partie supérieure de son cours, là n'est pas la question, il s'agit bien du même ruisseau. Les trois mille personnes ne sont pas non plus en cause, d'autres témoignages postérieurs recoupent ce chiffre en ordre de grandeur. Mais il recouvre les pèlerins de toutes provenances, y compris ceux venus de la grande Lande, en particulier de SORE, LIPOSTHEY et LABOUHEYRE, expressément désignés, et qui ne passaient pas par BALIZAC.

Mais ceux venus des BENAUGES et du MEDOC n'y passaient pas non plus. Quant à ceux venus de l'ENTRE DEUX MERS, ils passaient bien par BALIZAC, mais pas sur le chemin sur lequel on prévoyait de construire le pont... Et au surplus, comment justifier la construction d'un pont de pierre royal sur un chemin local par le passage, une fois par an à la belle saison, de quelques centaines de personnes se rendant à un pèlerinage ? Une telle affaire aurait normalement dû être classée sans suite. Et pourtant, elle va prendre corps et, contre toute attente, aboutir.

Au cours de l'année 1609, le Duc de SULLY, Grand Voyer de France prend la décision de construire ce pont, et Jacques de PONTAC, son Lieutenant en GUYENNE est chargé de rédiger le cahier des charges de la construction de l'ouvrage. Il se rend sur place et examine la situation. Le chemin franchit LA NERE en un point relativement encaissé, "à douze cents pas" (environ 1000 mètres) du Bourg de BALIZAC.

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Les rives forment deux "collines", l'une plantée en vigne, et l'autre couverte d'une plantation de jeunes pins que le Seigneur de VICOSE vient de faire réaliser.

Le pont comportera deux arches inégales, l'une de douze pieds de diamètre (3,m90) et l'autre de six pieds (1,m95) soutenant un tablier de 18 pieds de longueur (5,m85) flanqué, de part et d'autre, d'un parapet de deux pieds neuf pouces de hauteur (89 cm) et de deux pieds et demi d'épaisseur (0,m81), autant dire que là, on ne lésinait pas sur les moyens, d'autant que ce parapet devait se poursuivre tout le long de la chaussée d'accès au pont, sur cent cinquante pieds de long (49 m).

Il était expressément prévu que l'ouvrage devait donner accès "à toutes sortes de charriots ". Tout cela devait être solidement construit, les piliers en pierre de taille, le tout assemblé "de bon mortier de chaux et sable".

L'appel d'offre fut proclamé "par tous les lieux et endroits de la Ville de BOURDEAUX". Le prix de base était fixé à 3000 Livres, et le 10 Décembre 1609, Gilles FAVREAU, Maître maçon proposa ses services, mais il y eut un moins disant en la personne de LA PORTERYE, autre maître maçon, et le 20 Décembre, un Dimanche, on mit l'ouvrage à l'adjudication "ayant faict allumer une chandelle de cire"  et ce fut finalement FAVREAU qui l'emporta, pour le prix de 1800 Livres, "faisant la condition du Roy meilleure et plus avantageuse à l'extinction de la chandelle".

Le 20 Janvier 1610, FAVREAU présentait deux autres Maîtres maçons devant lui servir de caution, et il recevait une avance 700 Lives. Les travaux pouvaient commencer.

Les travaux, oui, mais aussi les ennuis, et de graves ennuis. Soit que la crue du printemps ait compromis l'établissement des fondations, soit que FAVREAU ait présumé de ses moyens en acceptant un prix trop bas pour enlever l'affaire, toujours est-il que les premiers travaux de ce pont furent emportés.

A la fin Juillet 1610 s'ouvrit une bataille d'experts déclenchée par Mr de VICOSE, le Seigneur du lieu qui, passant par là le 21 de ce mois, constata que l'ouvrage était mal engagé.

Pierre QUARTIER, Maitre maçon à NOAILLAN convoqué sur place expliqua le lendemain 22, devant Notaire, au Château de BALIZAC que ce pont ne pourrait tenir que si on l'asseyait sur un banc de grandes pierres taillées de quatre à cinq pieds de long formant une sole au fond du ruisseau et qui supporterait les fondations de l'ouvrage.

On en rend compte à Mr de PONTAC, Lieutenant du Grand Voyer. Le travail de FAVREAU, fait "à l'économie" est vivement critiqué; le 24 Juillet, Mr de PONTAC désigne deux Maîtres maçons Bordelais, Pierre ARDOUIN et Claude MARTET pour se rendre sur place et dresser procès verbal de leurs constatations.

Ce dossier, plein de rebondissements agita beaucoup de monde dans la Province. Est-il besoin de dire l'intérêt que ce chantier put susciter à BALIZAC jusqu'à ce que ce pont fut enfin construit. Ce fut. dans la Paroisse, l'évènement majeur en ce début de siècle.

C'est en ce temps-là et dans ce contexte que Pey MARSAU vit le jour à TRISCOS.

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PEY MARSAU, DE SA JEUNESSE A L'AGE MÛR

Nous ne savons rien de l'enfance et de la jeunesse de Pey MARSAU, sinon évidemment qu'il a survécu aux épidémies successives qui ont durement frappé le pays de 1627 à 1631, ainsi qu'aux grands froids de Janvier 1628, alors que des charrettes chargées passaient la GARONNE sur la glace devant LANGON.

Il se maria vers 1635 avec Jeanne DESPEYS qui avait dû naître, au plus tard, vers 1615. Il en eût au moins cinq enfants que nous avons pu formellement identifier, et pour une fois, ce couple fit preuve de quelque originalité dans le choix des prénoms de sa descendance.

C'est ainsi qu'après l'aîné, prénommé très classiquement Jean, né avant 1638, nous trouvons trois filles : Marie, née entre 1644 et 47, qui se mariera en 1667 avec un certain PUDAL, Endrine, née vers 1650, qui épousera un FOURTENS en Février 1673, et Miramonde, née aux environs de 1653 qui épousera Laurent DUBOURG en 1677.

Enfin, vint, tardivement, Manieu, né vers 1655 alors que sa Mère Jeanne approchait de la quarantaine. C'est de lui que descendent tous les DARTIGOLLES de notre branche.

Tous ceux-là traversèrent sans encombre la seconde vague d'épidémies qui endeuilla toute la région de 1651 à 1654, ainsi que les troubles de la Fronde qui eurent, dans nos contrées des conséquences non négligeables, du fait de bandes armées dont le Château de BUDOS, entre autres, fit les frais en Juillet 1652.

Le premier texte précis dont nous disposions sur Pey MARSAU est daté du 26 Décembre 1655, encore ne disposons-nous pas du texte lui-même, mais seulement d'une référence ultérieure qui s'y rapporte. Il s'agit d'une reconnaissance de dette de 45 Livres, un "obligé", disait-on à l'époque, établie par Pey en faveur d'un certain Simon MARTIN dit BOURDON.

La somme était assurément bien modique, surtout à la mesure du patrimoine foncier que le même Pey MARSAU léguera à ses enfants. Mais le cas de tels emprunts n'était pas rare en ce temps là. Ces propriétaires fonciers disposaient de très peu d'argent liquide par devers eux et évitaient même soigneusement d'en conserver.

Faute de disposer de protections efficaces, (le bas de laine ou le pot de terre étaient peu sûrs), ils investissaient dés que possible en biens immeubles les quelques disponibilités qu'ils pouvaient avoir.

Mais ils rencontraient parfois des cas d'urgence, par exemple l'occasion d'acheter un lopin de terre mitoyen de l'une de leur pièce, et en ce cas il fallait réagir très vite pour ne pas manquer l'affaire, car d'autres voisins pouvaient être également intéressés.

Ils avaient alors recours l'emprunt, et pour peu qu'ils jouissent d'une bonne réputation de solvabilité, ils trouvaient aisément un prêteur.

Ce dernier était d'ailleurs souvent un autre propriétaire disposant à ce moment-là de quelqu'argent dont il n'avait pas l'usage immédiat et qu'il préférait prêter, au surplus avec intérêt, plutôt que de le conserver chez lui, toujours dans le même souci sécuritaire.

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La famille de PEY MARSAU

( vers 1610  -  1663 ) 

Pey MARSAU
Vers 1610 - Octobre 1663

 

Jeanne DESPEYS
Vers 1615 – 1676 ou 77

 De cette union sont nés cinq enfants :

 1°- Jean MARSAU Dit DE PEYS
né avant 1638
épouse Jeanne DEPART
origine de la branche CALEBIN

 2°- Marie MARSAU
née entre 1644 et 47
épouse PUDAL en 1667

 3°- Endrine MARSAU
née vers 1650
épouse Jean FOURTENS en Février 1673

4°- Miramonde MARSAU
née vers 1653
épouse Laurent DUBOURG en 1677

5°- Manieu MARSAU
né vers 1655
épouse Jeanne DESCARPIT début 1682
origine de la branche LA BESOÜE
et de toute la descendance
de cette branche
jusqu'aux DARTIGOLLES
130 ans plus tard
Mort en Oct/Nov 1686

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On rencontre même assez souvent de curieux chassés-croisés dans lesquels un laboureur est débiteur de quelques petites sommes ici et là alors qu'il est dans le même temps créditeur d'autres sommes auprès d'autres personnes de sa Paroisse. Et ces "obligés" peuvent même circuler de main en main comme on le ferait d'un effet de commerce. C'est d'ailleurs le cas ici puisque Simon MARTIN, le créancier de Pey avait cédé son titre à un certain Guilhem DEPART.

C'est finalement à lui que Jean MARSAU, fils aîné de Pey, sept ans plus tard, remboursera la somme avec ses intérêts, le 28 Juillet 1662. On notera ici qu'à cette date, Pey était encore vivant puisqu'il ne devait disparaître que quatorze mois plus tard, dans les premiers jours d'Octobre 1663.

On pourra donc avancer prudemment l'hypothèse que Pey a dû terminer ses jours dans la maladie pendant une assez longue période. Il n'est guère en effet envisageable qu'il ait chargé son fils de procéder au remboursement de cette dette devant Notaire s'il avait été capable de le faire lui-même. C'était un temps où l'autorité d'un Père, dans la gestion de la maison, ne se partageait pas.

 

PROCES ET TRANSACTION AVEC LA DAME DE VICOSE

Un procès fleuve devait opposer la Dame de VICOSE, Seigneuresse de CASTELNAU, BALIZAC, ST LEGER, CAZENEUVE, BOURIDEYS et autres lieux à ses manants pendant plusieurs dizaines d'années. Une affaire considérable qui se plaida non seulement devant les Juridictions locales de la Sénéchaussée et, en appel, du Parlement de BORDEAUX, mais qui fut successivement renvoyée, au prix des frais que l'on peut aisément imaginer, devant le Parlement de ROUEN et les Cours de BÉZIERS et de CASTRES....

Tout commence en 1627. Pey MARSAU était encore adolescent et par conséquent trop jeune pour avoir participé à ce premier stade de l'affaire, c'était son Père qui était pour lors en charge de la gestion familiale.

Cette année là, le 9 Août, après bien des palabres dans les différents villages, les manants avaient fini par obtenir de leur jeune Seigneur, Père de la Dame de VICOSE, un "contrat en forme de déclaration" les affranchissant de tous droits seigneuriaux.

L'acte en fut passé devant Me DUMAS , Notaire. C'était pour les laboureurs locaux une excellente opération, non point tellement au regard des cens et redevances diverses qui, en nos contrées étaient tout à fait modestes, mais plutôt dans la dispense des corvées seigneuriales qui, de toute tradition étaient fort mal perçues par les laboureurs locaux.

Des années plus tard, la Dame de VICOSE, entre temps devenue à son tour Seigneuresse, s'avisa que le contrat accepté par son défunt Père avait été passé pendant sa minorité et sans assistance d'un quelconque tuteur. Elle en concluait qu'il était nul et non avenu et qu'il :

"ne pouvait être considéré que par un effet de la surprise de ceux quy l'avaient mendié, s'étant prévalus de la minorité dudit feu Seigneur. Père de ladite Dame, lequel n'avoit aucune connaissance de l'estat de ses affaires.."

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 En d'autres termes, la Dame estimait que les manants de ses domaines, abusant de la minorité de son Père en avait profité pour le gruger, à leur plus grand bénéfice. Et le procès s'engagea sur ces bases, les manants faisant valoir que si le contrat avait bien été passé dans le temps de sa minorité, le Seigneur de VICOSE, devenu majeur aurait eu tout loisir de le dénoncer plus tard s'il s'était senti lésé, ce qu'il n'avait pas fait.

Il ne saurait être question d'entrer si peu que ce soit dans les méandre de ce procès. Nous sauterons donc bien des années pour en venir tout droit à la génération suivante, celle de Pey MARSAU, qui vit la situation se dénouer.

De part et d'autre, on était las de cette interminable affaire dans laquelle s'engloutissait l'argent que l'on avait, et même celui que l'on n'avait pas. On finit par transiger, et, le 13 Novembre 1656, en présence  d'un Notaire, la Dame rencontra en son domicile bordelais une assemblée composée de deux délégués de chacune des Paroisses.

Il fut convenu que chacun des propriétaires paierait au Seigneur une rente annuelle de un sol tournois par journal de :

" terre labourable, vigne, pred, bois taillis et pignada faisant résine ou en estat d'en faire...(et) pour chacun journal de lande et pelouse, quatre deniers tournois, ladite rente payable et portable dans la fête de St MARTIN d'hyver, au Château de CASTELNAU . . . ou en tels autres lieux... qui leur seront indiqués par affiches mises aux portes des Eglises desdites paroisses... un mois avant ledit terme."

Le journal mesurant environ 65 ares, cet impôt était donc à peu près symbolique. Pour les plus gros propriétaires, il s'ajoutait néanmoins une surtaxe :

"lesdits habitants quy possèdent ou quy posséderont la quantité de trente journaux de terre labourable (environ 19 ha 2) devront payer chacun annuellement une poule de rente foncière et perpétuelle comme dessus ou de payer pour chaque poule huit sols..."

Il était en outre prévu qu'il serait procédé à un arpentage général des terrains pour établir une assiette incontestable servant de base à ces dispositions, chaque paroisse fournissant deux arpenteurs "non suspects à ladite Dame". Mais il restait à régler le point délicat des corvées, un point particulièrement sensible.

Il fut finalement convenu que chacun des habitants possédant des boeufs seraient tenus d'effectuer gratuitement deux charrois par an au bénéfice du Seigneur:

"ceux de BALIZAC, depuis leur dite Paroisse jusqu'au lieu de CASTRES ou autres lieux d'égale distance… si tant est que la dite Dame ou ses successeurs en ayent pour la voiture de leurs denrées ... ou pour le service (de leur) Château".

Il était néanmoins convenu que ces charrois ne pourraient être exigés qu'entre le ler mai  et la St MICHEL de Septembre et que la Dame serait tenue à un préavis de huit jours avant toute exécution. Les clauses accessoires prévoyaient enfin le service du guet et de la garde du Château en temps de guerre et l'obligation de faire moudre les grains aux seuls moulins appartenant au Seigneur. Rien que de très classique en tout cela.

Toutefois, les habitants avaient obtenu de la Dame le droit de faire paître leurs bestiaux dans les vacants du Seigneur sans aucune contrepartie, à la seule condition de ne pas y couper de bruyère..

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Cette convention allait régir les relations entre les Seigneurs locaux et leurs manants jusqu'à la Révolution.

Ce n'est pas pour autant que toutes difficultés furent aplanies.

Deux ans plus tard, les mêmes parties étaient de nouveau en procès sans que nous connaissions, cette fois-ci l'objet du litige. Mais Pey MARSAU, qui, entre temps, avait pris un statut de notable à BALIZAC se trouva désormais en première ligne pour affronter cette nouvelle procédure à partir de Février 1659.

Il était en effet devenu Fabriqueur de l'Église paroissiale depuis au moins 1655. Et il le resta longtemps, car c'est son fils Jean qui finira de liquider ses comptes de Fabrique, en 1670, bien longtemps après sa mort. Cette fonction impliquait dans le village, une incontestable reconnaissance de capacité et de confiance

Peut-être est-ce pour cela que les agents d'affaires de la Dame de VICOSE portèrent plus spécialement les yeux sur lui en lui adressant somations sur sommations à partir du 6 Février 1659. Nous en connaissons au moins sept, échelonnées au fil des années jusqu'au 8 Avril 1669, un véritable acharnement...

Nous ne connaissons malheureusement pas l'objet du litige ni quelle en fut l'issue. Il est bien probable toutefois qu'il a dû s'agir d'une contestation portant sur des droits féodaux entre une Dame, Seigneuresse, qui parait avoir été passablement remuante et intéressée, et des manants qui n'étaient pas du tout décidés à s'incliner sans réagir.

Ces paysans étaient encore des hommes rudes, une anecdote contemporaine le donne à penser, encore qu'il faille probablement l'accueillir avec prudence...

Le 21 Juin 1660, Louis XIV et toute sa Cour se trouvait à CAPTIEUX. Évènement d'importance pour tout le pays, on l'imaginera sans peine.

Il revenait de SAINT JEAN de LUZ, par la route des petites Landes avec sa jeune Reine qu'il venait d'épouser. A 4h.15 du matin, un fort tremblement de terre ébranla toute la contrée. Surprise, une sentinelle appela aux armes.

Le Roi, brusquement réveillé, sortit et s'enquit de l'évènement. Dans l'instant, on ne put rien lui dire de plus, sinon que la terre avait tremblé, "et il s'était recouché sans s'en mettre beaucoup en peine ".

Quelques jours plus tard, on sut que l'épicentre de ce séisme s'était situé aux environs de BAGNERES de BIGORRE et que nombre d'édifices y avaient été détruits en faisant une vingtaine de victimes.

Mais ce qui concerne plus spécialement notre contrée, c'est la réaction de Mademoiselle de MONTPENSIER qui accompagnait la Cour dans ce voyage.

Exténuée par les difficultés de la route, la précarité des gîtes d'étape, et totalement déconcertée par le langage des habitants auquel elle ne comprenait goutte, elle se crût transportée sur une autre planète où de tels phénomènes était chose courante au point, prétendit-elle que ces rudes gascons n'y prêtèrent même pas attention...

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C'était, à n'en point douter, pousser les choses un peu loin, car les braves populations locales ne manquèrent pas de noter l'évènement et même de s'en inquiéter beaucoup. Par contre, il n'est pas douteux que l'apparence extérieure et la langue de nos ancêtres aient pu avoir de quoi surprendre Mademoiselle de MONPENSIER. On était là bien loin des usages et des fastes de VERSAILLES; c'était donc bien en effet une toute autre planète...

 

LES DERNIERES ANNEES DE PEY MARSAU

Sur le fondement du remboursement d'une dette par son fils quatorze mois avant sa mort, nous avons avancé l'hypothèse que Pey MARSAU ait pu terminer ses jours dans une longue maladie.

D'autres indices concordants viennent conforter cette idée. Le 3 Novembre 1661, Pey convoque en effet Me LAPEYRE Notaire, et lui dicte son testament. Sans désemparer, il lui fait procéder à l'inventaire de tous ses biens mobiliers.

C'est donc qu'il se sent, à ce moment-là, à toute extrémité; et pourtant, il survivra encore vingt trois mois. De même trouvera-t-on plus tard dans sa succession le règlement d'une facture de 4 L.10 sols à Me DUBOURG, Chirurgien, pour les "pansements et médicaments" qu'il lui avait prodigués. Il n'est donc pas douteux que Pey soit resté longuement malade sur la fin de ses jours, et que ce faisant, il survécut à des conditions particulièrement difficiles.

Il suffira d'évoquer le grand hiver de 1663 au cours duquel il neigea quinze jours durant pendant le mois de Février. Ces conditions inhabituelles provoquèrent une recrudescence de mortalité dont les Registres Paroissiaux portent témoignage. Pey y survécut pourtant en dépit de son état. Mais sa fin était proche. Le 23 Septembre 1663, il rappela Me LAPEYRE et lui dicta un codicille à son précédent testament. Il mourut peu après, dans les premiers jours du mois d'Octobre.

Le 10 de ce même mois, son fils Aîné, Jean, déposa ce testament et l'inventaire de 1661 entre les mains des Officiers de Justice de CASTELNAU de CERNES.

Cette démarche était nécessaire car, dans ses dernières volontés, son Père l'avait désigné comme tuteur de son jeune frère Manieu qui avait plus de quinze ans de moins que lui. Cette désignation est un peu surprenante car Jeanne DESPEYS, leur Mère commune était toujours là et devait encore survivre presqu'une quinzaine d'années. C'était généralement la Veuve qui recevait la tutelle de ses enfants. Peut-être Pey a-t-il tenu compte du fait que Jean, son Fils aîné, était déjà majeur pour lui attribuer cette charge.

En l'absence du texte de ce testament et de son codicille, il n'est pas possible d'en dire davantage. Si nous sommes en effet très bien renseignés sur les dates précises de toutes ces démarches, les documents eux-mêmes ne nous sont pas parvenus. Jean prêtera son serment de tuteur devant le Tribunal de CASTELNAU le 17 Mars 1664.

Tout au long, de cette année, Jean MARSAU procède à la liquidation de menues affaires pendantes telles que le règlement des honoraires du Chirurgien que nous avons déjà évoqués ci-dessus, mais aussi un modeste legs de 50 sols fait au Sieur BARDE, Curé de BALI ZAC , et quelques autres petites dettes ne dépassant pas une quinzaine de Livres.

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Plus intéressant est le versement d'une indemnité de 15 Livres à Me Jean CALEN, Juge de NOAILLAN, le 17 Mars 1664 en dédommagement d'un incendie survenu sur l'une de ses propriétés et dont Jean MARSAU avait été reconnu responsable. Mais Jean a bien d'autres affaires sur les bras. En succédant à son Père, il a également hérité des poursuites de la Dame de VICOSE, car celle-ci ne désarme toujours pas.

Au fil des mois et des années, les sommations continuent de pleuvoir, quatre, par exemple, dans le seul dernier semestre de 1668, et toujours sans que nous sachions quel était l'enjeu du litige. En découvrant que Jean règle 15 Livres le 12 Novembre 1668 en exécution d'un procès perdu, on aurait pu penser que toutes ces turbulences allaient trouver leur terme, encore que 15 Livres ne paraissent pas avoir été à l'échelle d'un tel déploiement judiciaire. De toutes façons, il n'en est rien, car dès le 8 Avril suivant, il reçoit une nouvelle sommation de la Dame... Il ne s'en sortira pas à si bon compte.

Nous ne saurons d'ailleurs rien de plus sur ces démêlés judiciaires qui duraient déjà depuis tantôt dix ans et faisant suite au procès fleuve qui avait opposé la Dame de VICOSE à ses manants et s'était terminé par la transaction de 1656. Dès l'âge de 25 ans, Jean MARSAU avait dû plonger dans la chicane. Et c'est peut-être bien pour cela que Pey son Père, pressentant quelles traverses il allait rencontrer, avait décidé de lui transmettre directement la responsabilité de la gestion familiale plutôt qu'à sa femme Jeanne DESPEYS.

 

LA GESTION DE JEAN ET LE CONFLIT AVEC SON FPERE MANIEU

Dès 1667, Jean avait marié sa soeur Marie à un certain PUDAL. Il trouvera là une nouvelle source de conflits, car le 2 Janvier 1672, nous le voyons déjà menacer ses Beaux Frères de les assigner en justice....

Tout comme son Père, il va emprunter de toutes petites sommes qu'il remboursera d'ailleurs sans problème au bout de laps de temps quelquefois très réduits. Ainsi par exemple, le 20 Décembre 1672. Il emprunte 13 L. 16 sols à un certain LACOSTE, et il les lui rendra le 23 Janvier suivant. mais le même 20 Décembre, il emprunte 56 Livres à son Curé, Me François BADET, pour les lui rendre le 1er Mai suivant.

Peut-être ici avait-il besoin de quelqu'argent pour faire face au mariage de sa seconde Soeur Endrine qui épousa Jean F0UTENS en Février 1673.

Le contrat fut passé devant Me DUBOURG, Notaire à MAHON, le 6 de ce mois, mais la dot ne fut versée que progressivement, à partir du 7 Novembre suivant, au fil des quinze années qui suivirent. Manifestement, il n'y avait pas beaucoup d'argent disponible chez les MARSAU.

Trois ans plus tard, en 1676, les Frères MARSAU sont engagés dans un règlement de compte particulièrement obscur avec leur Beau Frère PUDAL, le mari de leur soeur Marie.

Ils croyaient en avoir terminé avec cette affaire par une compensation générale aboutissant à une "quittance respective" en date du 3 Août établie devant Me PERROY. Mais l'affaire rebondit à la fin de l'année suivante, en Novembre et Décembre 1677 lorsqu'un tiers intervient pour saisir les biens de PUDAL, en mettant la main, pour faire bonne mesure, sur des biens dotaux de Marie.

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Nous n'entrerons pas dans les détails de cette affaire qui n'apporteraient rien de plus à notre histoire. Bornons-nous à en signaler l'existence pour situer la complexité des problèmes que la famille MARSAU, et Jean, en particulier, devait alors résoudre.

D'autant que, dans le même temps, Miramonde, la troisième fille de Pey, trouvait parti de mariage en la personne de Laurent DUBOURG.

Il fallut donc de nouveau s'engager dans une nouvelle négociation de dot, avec une nouvelle quête d'argent frais. Nous ne savons trop quand se déroula ce mariage, mais presque à coup sûr au début de 1677 puisque nous détenons une quittance du jeune marié du 20 Avril reconnaissant avoir reçu les "meubles dotaux" de Miramonde.

Jusque là, la cohabitation de Jean et Manieu les deux Frères MARSAU s'était à peu près bien passée. Disons que, tout au moins, aucun signe de désaccord manifeste ne nous est parvenu. Au demeurant, si leur cohabitation avait été insupportable, Manieu, le Cadet aurait pu, à partir de 21 ans, "demander des Lettres" au Juge de CASTELNAU en vue d'obtenir son émancipation.

C'était une procédure un peu lourde, car il fallait aller jusqu'au Parlement de BORDEAUX, mais il en existe ici et là quelques exemples montrant bien que la chose était parfaitement envisageable.

Or, Manieu n'a pas bougé, restant, sans autre réaction, sous la tutelle de son Frère Jean. C'est au début de 1680 que les choses allaient sérieusement se gâter.

Manieu venait d'atteindre sa majorité, probablement dans les premiers mois de 1680. Jusque là, son Frère Jean avait régenté toute la vie de la famille. Leur Mère, Jeanne DESPEYS, ne parait avoir tenu qu'un rôle très effacé. Elle avait pourtant vécu tous les évènements que nous venons de relater puisqu'elle ne devait disparaître qu'en 1676 ou 77.

Les quelques dix sept ans de différence qui séparaient Jean de Manieu avaient simplifié les relations entre les deux frères. Jean avait tout simplement pris la place et revêtu l'autorité du Père décédé. Les choses n'allaient plus maintenant être aussi simple, et Jean allait s'en apercevoir très vite.

Le 9 Mars 1680, Jean entraîna son jeune frère devenu majeur devant Me DUBOURG et fit établir entre eux un contrat de transaction par lequel, en échange de sa nourriture et entretien, Manieu renonçait à toute reddition de compte sur la gestion de sa part d'héritage.

De même renonçait-il à tout inventaire, et, mieux encore, acceptait-il qu'une donation faite à Jeanne DÉPART, sa Belle Soeur, épouse de Jean, soit assise sur la totalité de la succession de leur Père au lieu de l'être sur la seule part de Jean. Tout cela était gros, vraiment très gros . . .

On ne sait trop comment, et dans quelles conditions Manieu put accepter une telle convention qui lésait si manifestement ses intérêts. Toujours est-il qu'il l'accepta. Mais très vite, il se ravisa, et probablement bien conseillé, il se tourna vers la justice en s'adressant au Juge de CASTELNAU de CERNES pour lui demander d'annuler ce contrat. Ce n'était assurément pas chose facile.

Un contrat est un contrat, et c'est avant de le conclure qu'il faut se déterminer; après, c'est trop tard.

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Le seul espoir que pouvait entretenir Manieu était d'obtenir du Juge des "Lettres de restitution" annulant ce contrat et remettant les deux parties dans la situation antérieure comme s'il n'avait jamais existé. Il fallait pour cela disposer d'un argumentation particulièrement solide et apporter des preuves convaincantes de l'iniquité de la convention.

Dans un premier temps, Manieu tenta, à l'amiable, de convaincre son frère de revenir sur leur transaction. Peine perdue, Jean manifesta même un réaction brutale en lui adressant, le 11 Mai, un sommation par acte notarié, d'avoir à exécuter ce dont ils avaient convenu.

Cette sommation lui fût officiellement signifiée le 13 courant. Il n'y avait donc plus d'autre recours que celui de la Justice. Sans plus attendre Manieu assigna son frère devant le Juge le 22 du même mois en produisant le testament de leur Père Pey MARSAU. Il développa ensuite son argumentation en exposant que :

" il est certain qu'un homme de labeur qui a atteint l'âge de vingt cinq ans gagne bien sa vie et son entretien, et encore des gages raisonnables puisqu'un enfant de dix ans gagne sa vie et son entretien, suivant le jugement d'experts . . . . ainsi, on peut dire audit traité que ledit Manieu a renoncé à ( la) reddition de (ses) comptes pour rien..." 

C'est ma foi bien vrai. Mais ce texte est également intéressant pour nous en ce qu'il nous révèle des conditions de vie de l'époque. Un enfant de dix ans était réputé se suffire et pourvoir normalement à ses besoins. Et que l'on n'aille pas croire qu'il s'agissait ici de l'argument outré d'un plaideur en mal de convaincre son Juge.

D'autres textes montrent, sans contestation possible, que la jurisprudence acceptait comme une évidence l'autosuffisance des jeunes enfants. Le raisonnement de Manieu était donc parfaitement recevable.

La gestion de Jean est ensuite nettement contestée, et Manieu demande expressément à récupérer la moitié des revenus de la succession de leur Père commun, après inventaire et décompte précis des frais et revenus. Enfin, il entend bien ne pas participer à la reconstitution de la dot de sa Belle Soeur que son Frère a vendue depuis le décès de leur Père. Il espère ainsi que par les Lettres de Restitution qu'il sollicite,

" les parties seront remises en l'état qu'elles étaient avant ledit contrat de transaction.."

Jean conteste évidemment tout cela le 3 Juin, Manieu réplique, bref, le procès engagé suit son cours; nous nous garderons bien de le suivre d'audience en audience, la chose n'aurait qu'un bien médiocre intérêt, aussi en viendrons nous directement au 16 Septembre. Ce jour-là, la Juge rend sa sentence :

"cassant et adnullant le contrat de transaction du neuviesme Mars . . .dernier et remettant les parties en l'estat qu'elles estoient avant ledit contrat, avons condemné et codemnons ledit MARSAU deffandeur de rendre compte dans deux mois audit Manieu MARSAU demandeur de la gestion et administration qu'il a eue de la personne et des biens dudit MARSAU,conformément à l'Ordonnance et condemnons ledit Jean MARSAU, deffandeur aux déppans qui demeurent liquidés à la somme de huit Livres."

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On peut dire que Manieu avait eu de la chance, beaucoup de chance. En effet, l'obligation de fournir des comptes de tutelle était prévue par une Ordonnance Royale, autant dire, il s'agissait d'une disposition d'ordre public destinée à protéger les intérêts des mineurs.

Or, une convention privée ne peut jamais déroger à une disposition d'ordre public, et c'est pour cela que le Juge a condamné Jean MARSAU. S'il s'était contenté de faire accepter à Manieu de participer à la reconstitution de la dot de Jeanne DÉPART, sa femme, il n'est pas du tout certain que le même Juge aurait accueilli la contestation ultérieure de Manieu. Jean a voulu trop en faire, il est allé trop loin et c'est ce qui l'a perdu.

Il aura eu sans trop tarder l'occasion de parfaire son expérience juridique, car, cinq mois après sa condamnation, nous le retrouvons déjà engagé dans une autre affaire, devant la Cour des Aides de LIBOURNE cette fois, où il se voit cité à comparaître par un certain DUBAILH, habitant de la Paroisse de NOAILLAN...

 

LA LIQUIDATION DE LA SUCCESSION DE PEY MARSAU

Voilà tantôt 18 ans que Pey MARSAU était mort. Pendant tout ce temps-là, nous avons vu Jean MARSAU se conduire en chef de famille incontesté. Mais maintenant, bien des choses ont changé.

Les trois filles de Pey sont désormais mariées et ont été dotées ; on les considère comme désintéressées et ne peuvent donc plus prétendre au partage de la succession. Ainsi, les deux garçons, Jean et Manieu restent les seuls héritiers. Mais le litige survenu entre eux exclut désormais toute idée d'indivision. Il faut donc procéder au partage.

Toutefois, nous n'en sonnes pas encore tout à fait là, car Jean ne se presse pas. Le 16 Septembre 1680, le Juge lui avait donné deux mois pour arrêter et fournir ses comptes de tutelle, il en prend bien davantage. Ce n'est que le 7 Juin suivant qu'il fournit un relevé des pièces comptables témoignant de sa gestion.

Mais il faudra encore attendre pour que l'on en vienne au partage effectif.

Par une sentence du 2 Octobre 1681, le Juge de CASTELNAU décide que deux lots seront constitués, "par parts égalles" dans les biens immeubles délaissés par feux Pey MARSAU et Jeanne DESCARPIT.

Au surplus, contrairement aux usages, il n'y aura pas de tirage au sort, car Manieu prendra :

"l'un d'iceux tel que bon lui semblera, et l'autre (ira) audit Jean MARSAU conformément à la santance."

Les 20 et 21 Octobre 1681 ces deux lots sont enfin constitués et Manieu choisit le second. Un long document en détaille le contenu.

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LECTURE JUXTALINÉAIRE D'UN EXTRAIT DU PARTAGE 
DES BIENS LAISSES PAR PEY MARSAU ET JEANNE DESPEYS SA FEMME

20 et 21 Octobre 1681
(Archives familiales)

Second Lot de partage des biens immeubles délaifsés par feux Pey MARSAU et Jeanne DESPEY, conjoints, et outre, de partye de leurs meubles ;des tous sera, ledit partage, entre Jean et Manieu MARSAU, frères en faveur des héritiers des feux MARSAU DESPEY, et par ledit Jean, comme prémarquand en deux lots et deux pourtions esgalles pour cy estre pris par ledit Manieu l'ung d'iceux tel que bon luy samblera, et l'autre, audit Jean MARSAU, conformément à la santance, et compte du monte rendu audit Manieu par ledit Jean, et entre eux rendhue par Monsieur le juge de la présente Juridiction de CASTELNAU de CERNES, du segond du prés. mois, et icelluy partage comme doit estre faict ce vingtièsme et vingtuniesme octobre mil six cens quatre vingt ung comme s'ansuit :

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Le partage de la maison parentale est extrêmement complexe. C'est une maison de pierre recouverte de tuiles, Manieu y disposera de deux pièces, d'un four, d'un petit "énban" (un hangar)

"quy continue en longueur depuis ledit four jusqu'à ung pillier de bois..." etc...

La description des lieux s'ensuit, précise et même minutieuse, faisant état de tous les repères possibles, y compris de la position des fenêtres. On sent bien qu'il y a là maintes sources de futurs conflits. Aussi le Juge a-t-il décidé dans sa sagesse les deux territoires seront séparés par une "muraille"

"dans quinze jours apprès l'obtion du présent partage".

Manieu recevra également deux parcs et une petite pièce de terre attenante dont le piquetage est déjà réalisé, le tout situé dans le quartier de TRISCOS, à l'est de la maison principale.

Viennent ensuite la description et les confrontations de 17 parcelles de terres, landes et prairies d'importances très diverses, toutes situées dans la partie occidentale de la Paroisse de BALIZAC.

Certaines de ces pièces sont difficiles à situer, mais d'autres sont aisément repérables et figurent d'ailleurs encore dans le patrimoine familial. Ainsi en va-t-­il des parcelles de MESTE BIDOUN, de LARREBEIL, de la COUDANNE, de PEYLEBE, du GOUA de MOULIEY, etc ... etc ...

Il était par ailleurs expressément prévu que chacun des lots assumerait les servitudes de passage de l'autre. Ainsi, le second lot pourra :

" passer et repasser dans les biens du premier lot par les chemings et passadges acoustumés comme avand ledit partage."

Quant aux impôts, ils se partageront par moitié.

Manieu se voyait encore attribuer:

 un brau de l'âge de trois ans, tirant à quatre, poil chataing,"

ainsi qu'une :

"bisme de quatre ans tenant à cinq, plaine, poil chataing et rougeasse.."

autrement dit un taureau et une vache de travail. Si l'on admet que le cheptel s'est également partagé par moitié, nous retiendrons que la dotation en bétail de cette exploitation était tout à fait modeste. L'absence de moutons, en particulier, est à retenir. Elle est d'autant plus curieuse que les parcours dans la lande seigneuriale étaient libres et gratuits. Plus tard, avant la moitié du siècle suivant, nous rencontrerons la preuve que la famille entretient un troupeau d'ovins, ce qui parait plus conforme aux traditions locales.

Enfin Manieu se voyait chargé de quelques contributions financières au demeurant tout à fait justifiées. On lui demandait de verser 45 Livres à sa soeur Andrine et 30 Livres à Miramonde au titre de leurs dots. Il était en effet normal que les deux co-partageants de l'héritage parental concourent chacun pour sa part à la constitution des dots de leurs soeurs. il n'y avait eu d'ailleurs aucune contestation sur ce point.

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Trois jours plus tard, le 24 Octobre, Jean et Manieu se retrouvèrent devant le même Notaire, Me DUBOURG pour liquider définitivement les séquelles de leur contentieux passé. Ils avaient en particulier à arrêter leurs comptes sur des lots de bruyère qu'ils avaient fait couper à frais communs. Il leur fallait partager les quantités, régler les salaires, et plus généralement mettre un point final aux affaires qu'ils avaient en cours :

" lesdits MARSAU se sont dits et tiennent respectivement quittes lung à l'autre de toutes sortes d'affaires qu'ils ont heues ensemble du passé jusqu'à ce jour (en) quelque manière que ce soit."

Il ne restait plus qu'à régler à la Justice les frais d'expédition de ces différents documents, ce qui prit néanmoins pas mal de temps puisque la liquidation définitive n'intervint, à CASTELNAU, que le 26 Août 1683.

Du moins le conflit était-il bien réglé puisqu'aucune autre manifestation n'en sera plus perçue du vivant des deux frères.

 

LE MARIAGE DE MANIEU MARSAU AVEC JEANNE DESCARPIT

Voici donc Manieu maître de ses droits. Il a à peu près 26 ans, et, depuis le décès de sa Mère, il y a tantôt cinq ans, il est seul dans la vie. Il est temps qu'il pense à prendre parti de mariage. C'est ce qu'il va faire sans plus tarder et sans chercher bien loin.

Au matin du 22 Janvier 1682, c'était un Jeudi, il passe contrat de mariage avec Jeanne DESCARPIT. Agée d'un peu plus de vingt ans, elle appartenait à une très ancienne famille de TRISCOS. Elle était fille d'Arnaud DESCARPIT et de Jeanne CALLEN, et petite fille de feu Micheau DESCARPIT qui, nous allons le voir, l'avait expressément nommée dans son testament.

Ce Micheau DESCARPIT, né dans les années 1590/95 avait vécu assez longtemps pour connaître sa petite fille ; il porte témoignage de l'ancienneté d'implantation de cette famille à TRISCOS.

Tout le monde est réuni dans la maison des DESCARPIT, mais en fait, les assistants sont relativement peu nombreux. Côté Manieu, seuls sont nommément désignés deux de ses Cousins Germains MARSAU et ses deux Beaux Frères FOURTENS ; son Frère Jean n'apparaît pas et n'était certainement pas là, car s'il y avait été, le Notaire DUTAUZIN n'aurait pas manqué de le faire figurer, en sa qualité de Frère aîné comme "conseil" du futur époux.

Côté Jeanne, il ne doit pas y avoir beaucoup plus de monde car, outre les "parents et amis" habituels, seuls, ses Parents figurent en nom propre.

Jeanne DESCARPIT reçoit une dot. Pour l'époque et son milieu, elle se situe dans une normale un peu faible. On notera que les dots de cette fin du XVIIème siècle (et probablement celles qui les avaient précédées) sont notablement plus modestes que celles que l'on verra attribuer dans les mêmes familles deux générations plus tard.

Il y a là un signe qui ne saurait tromper; les conditions de vie de ces petits laboureurs vont insensiblement s'améliorer au fil des décades qui vont suivre.

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Toujours est-il que pour l'instant, Jeanne recevra :

"un lit garni de deux coettes, un traversier remplis, tous et chacun de plume; un tour de lit frangé, deux courtines en courtinette, sept linceuls, le tout d'atraman; sept serviettes de brin, une nappe de deux aunes, d'atraman, deux coffres fermant à clef, l'un de courau, vieux, et l'autre de pin, neuf …"

Il est précisé que l'un des draps, l'une des serviettes et le vieux coffre proviennent d'un legs personnel que Micheau DESCARPIT a fait, dans son testament, à sa petite fille. Ceci explique la présence tout à fait insolite de ces chiffres sept car il était d'usage constant de donner aux filles leurs draps et leurs serviettes en nombre pair. Ici, la Mère aura donné six pièces de chaque à Jeanne, l'apport du vieux Micheau formant le complément.

Mais cela montre également que pour la dernière génération du XVIème siècle, il n'était pas ridicule de faire un testament pour laisser à sa petite fille un drap, une serviette et un vieux coffre.

Lorsque, dans la même maison, en 1740, se mariera Pierre MARSAU, le futur petit fils de Jeanne DESCARPIT, sa jeune épouse, issue d'un milieu tout à fait comparable, lui apportera dix draps dont la moitié en toile de brin (la meilleure) et deux douzaines de serviettes (dont 18 en toile de brin), ainsi que deux nappes généralement de brin, mesurant deux aunes et demie ( 2 m 96).

En un peu plus d'un siècle, les choses auront donc bien changé, tant en qualité qu'en quantité. On notera que le coffre du Grand Père était en "courau". Ce mot désigne en gascon le coeur du bois, mais ne précise pas pour autant l'essence de ce bois. Ici, le Notaire ne la précise pas. S'il s'était agi d'un bois fruitier, il est à peu près certain qu'il l'aurait spécifié; on peu supposer, mais simplement supposer, qu'il s'agit de coeur de chêne.

Enfin, Jeanne,

"vestue et chaussée comme une fille de sa condition," recevra 13 Livres de son Père et 7 de sa Mère, payables dans les deux années à venir, l'ensemble des meubles constitués en dot étant par ailleurs évalué à 40 Livres. Pour poursuivre la comparaison évoquée ci-dessus, dans la même maison, la jeune épouse du Petit Fils, 53 ans plus tard, apportera 475 Livres en argent. Ici encore, l'échelle n'est pas comparable, même s'il faut tenir compte d'une certaine inflation monétaire entre les deux dates.

Certes Manieu MARSAU ne va pas faire là un bien riche mariage ; la preuve en est que chacune de ses trois soeurs a reçu une meilleure dot que celle que lui apporte sa jeune épouse.

Mais en la circonstance, il a néanmoins tiré un bon numéro, car l'énergie et les capacités que Jeanne DESCARPIT va bientôt montrer vont assurer le sort et l'avenir de toute sa descendance.

Très vite, un premier enfant arrive au foyer, Jeanne MARSAU née en 1633, qui se mariera plus tard avec Étienne CALLEN et donnera naissance à toute un lignée de CALLEN

Puis, coup de théâtre, le 3 Mars 1684, Manieu MARSAU dicte son testament. Les circonstances de l'évènement sont peu claires et méritent un examen attentif.

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 LA FAMILLE DE MANIEU MARSAU
(vers 1655 - 1686 ) 

 Pey MARSAU - Jeanne DESPEYS

 Arnaud DESCARPIT - Jeanne CALLEN

 

M an i e u MARSAU
(vers 1655 - Oct/Nov 1686)

Jeanne DESCARPIT
(vers 1660 - après Avril 1713)

 Mariés fin Janvier/ début Février 1682

De cette union sont nés deux enfants 

1° Jeanne MARSAU née en 1683  
mariée le 12 Septembre 1713 avec Etienne CALLEN
27 Février 1751 

2° Guillaume MARSAU dit Guillaume de La BESOÜE
né entre Nov.1686 et Avr.1687
marié le 12 Septembre 1713 avec Marie LARRUE originaire de LAULAN

assure la descendance du lignage jusqu'aux DARTIGOLLES
le 30 Septembre 1767

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LE TESTAMENT ET LA FIN DE MANIEU MARSAU

Dans l'après midi du 3 Mars 1684, Me DUTAUZIN se présente à TRISCOS, dans la maison de Manieu MARSAU. Celui-ci l'a fait appeler pour lui dicter son testament. Serait-il donc malade au point de se sentir à l'article de la mort ? Peut-être, mais ce n'est pas absolument certain. 

EXTRAIT DU TESTAMENT DE MANIEU MARSAU
3 MARS 1684

 

 

Au nom de Dieu soit; sachant tous, présents et à venir qu'aujourd'hui, troisième de mars mil six cent huitante quatre, au lieu de TRISCOS, Paroisse de BALIZAC, Juridiction de CASTELNAU de CERNES, maison de MANIEU MARSAU, après-midi, par devant moi Notaire et témoins bas nommés, a été présent en sa personne le dit MANIEU MARSAU, laboureur, habitant du présent lieu, lequel, de son bon gré et volonté, considérant que, dans ce monde il n'y a rien de plus certain que la mort ny plus incertain que l'heure d'icelle, à cette cause, la voulant prévenir pour disposer des biens que Dieu lui a plu donner en ce monde a fait son testament de dernières volontés en la forme qui s'ensuit. Premièrement, après avoir demandé pardon à Dieu de toute ses fautes et prié par l'intercession de la glorieuse Vierge Marie et tous les Saints et Saintes du Paradis qu'il a invoqué à cet effet, vouloir mettre son âme dans son Saint Paradis au rang des bienheureux, a dit vouloir être enseveli dans le cimetière de l'église de BALIZAC, que les honneurs funèbres lui soient faits aux dépends de son hérédité par sa femme suivant les conditions et coutumes du présent lieu de BALIZAC . donne et lègue à chaque œuvre de ladite église cinq sous et au sieur Curé la somme de quatre Livres pour les messes et oraisons payable le tout dans six mois après sa mort, lesdits survenant. Plus à dit ledit testateur qu'il est joint en mariage avec Jeanne DESCARPIT, duquel mariage est née Jeanne MARSAU ……

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Le Notaire n'utilise aucune des formules traditionnelles qui sont de rigueur en pareil cas. Il ne dit pas qu'il l'a trouvé au lit, pas davantage qu'il est malade, il ne juge même pas utile de préciser qu'il est "dans son bon sens et mémoire".

Ce sont là autant d'entorses à des règles notariales pourtant fondamentales; et il ne s'agit pas d'une négligence propre à Me DUTAUZIN car dans les autres testaments que nous connaissons de sa plume, il n'omet jamais ces formules usuelles. Ce ne sont pas d'ailleurs de simples exercices de style consacrés par l'usage.

Il s'agit en effet du constat officiel par le Notaire de l'aptitude du testateur à exprimer valablement ses dernières volontés. Il ne faut pas qu'un tiers puisse ensuite attaquer le document en justice en arguant de la faiblesse ou de l'incapacité de l'intéressé.

Le seul cas dans lequel un Notaire se dispense de ces formules, c'est lorsque le testateur exprime ses volontés "à froid", devant les témoins assemblés, en dehors de toute maladie. Est-ce bien le cas ici ? C'est ce que l'on devrait penser. Mais est-il bien normal de convoquer un Notaire chez soi, quand on a 29 ans pour lui dicter un testament s'il n'y a pas à cela une raison pressante ?

A cet âge là, on a généralement d'autres préoccupations en tête, et au surplus, dans la quasi totalité des cas, le testateur valide ne dérange pas le Notaire, mais se rend en son Etude en compagnie des témoins qu'il a choisis. Ainsi donc, dans cette affaire, rien ne cadre, et nous en sommes réduits aux conjectures.

Le reste du document est on ne peut plus classique. Manieu désire être enterré dans le cimetière de BALIZAC, il lègue cinq sols à chacun des pauvres de la Paroisse et quatre Livres au Curé du lieu pour le prix de "ses oraisons". Il fait de Jeanne MARSAU sa fille son héritière universelle et comme elle est "en fort bas âge" (elle a tout au plus un an), il institue sa femme tutrice de l'enfant jusqu'à sa majorité et lui attribue l'usufruit de tous ses biens en la dispensant de rendre compte à quiconque.

Dans le cas où sa fille viendrait à disparaître "sans enfant de loyal mariage" sa femme deviendrait de plein droit son héritière universelle.

Quelques mois passent, et il n'est plus question de la santé de Manieu. Or, voilà que deux ans et demi plus tard, à l'automne de 1686, Jeanne DESCARPIT se retrouve de nouveau enceinte. Dans le même temps, Manieu tombe de nouveau malade, et cette fois-ci, c'est très sérieux. Il rappelle Me DUTAUZIN son Notaire, qui se présente à TRISCOS au matin du 17 Octobre. Ici, il n'y a plus ni interrogation ni hésitation possibles, le même Notaire nous dit bien qu'il l'a trouvé :

"malade dans son lit, mais dans son bon sens.."

Par un codicille modifiant son testament précédent, Manieu entend prendre en compte la situation nouvelle créée par la grossesse de son épouse.

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Personne ne se fait d'illusion sur les chances de survie de Manieu, et surtout pas lui-même. Il parle ouvertement du "posthume" très exactement comme s'il était déjà mort. La grande question est maintenant de savoir si cet enfant sera une fille ou un garçon. Et à défaut de le savoir Manieu envisagera donc successivement les deux hypothèses.

Il remanie son testament initial en conséquence. Si c'est un garçon, il recevra un tiers de tous ses biens meubles et immeubles par préciput, et le solde se partagera par parts égales entre sa fille Jeanne, l'aînée, et son jeune frère attendu. Ainsi donc, le garçon recevra deux tiers, et Jeanne un seul. Si ce doit être une fille, le partage se fera par parts égales entre les deux soeurs.

Dans les deux cas, Jeanne DESCARPIT, sa Veuve, recueillera l'usufruit de l'héritage comme il était prévu dans le testament initial, rien n'étant changé sur ce point.

Ces testament et codicille ont été enregistrés au Bureau de CAZENEUVE le 5 Novembre 1686. Manieu a donc dû mourir dans les tous premiers jours du mois, peut-être le 3 ou le 4, car Jeanne DESCARPIT avait ses raisons pour agir très vite et se mettre à l'abri de toute contestation en s'assurant de la validité de ces documents..

 

INVENTAIRE DES MEUBLES DE LA MAISON DE MANIEU MARSAU

Avant toutes choses, ses enfants étant mineurs (Jeanne environ 3 ans ½ , et le second à naître), Jeanne DESCARPIT devait faire faire un inventaire de tous les meubles contenus dans sa maison. C'est ce qu'elle demanda à Me DUTAUZIN qui s'y appliqua dès le surlendemain 7 Novembre à la première heure.

Cette maison, située à TRISCOS, comportait trois pièces et un grenier. C'était donc, pour l'époque, en milieu rural, une grande maison. Ils étaient nombreux, à BALIZAC, à la fin du XVIIème siècle, ceux qui vivaient dans une seule pièce où s'entassait toute la famille. Ce n'était pas ici le cas et cela nous fournit déjà, une assez bonne indication sur le niveau social des MARSAU dans la société locale.

Dans la pièce "où ledit feu MARSAU faisait son entrée", le Notaire trouve deux sacs de toile garnis de deux boisseaux de farine de seigle (206 litres) ainsi que quelques autres sacs dans lesquels on mesure sept quartes de millet (180 litres) et deux boisseaux de farine de panis.

On pourra se demander pourquoi ces provisions, excédant notablement les besoins immédiats de la vie quotidienne se trouvaient dans l'entrée, lieu d'accès naturel de tout visiteur de la maison. Faut-il y voir une intention ostentatoire pour manifester l'aisance de la famille ?

Ce n'est pas du tout certain, car nous verrons qu'il y avait d'autres réserves au grenier à l'abri des regards étrangers.

La question reste donc pendante.

Dans cette pièce se trouve également une table formant coffre par dessous, flanquée d'un banc en assez mauvais état. Il y a là aussi un pot contenant une livre de graisse et une poêle.

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EXTRAIT DE L'INVENTAIRE DES MEUBLES LAISSES PAR PEY MARSAU
7 Novembre 1686
(Archives Familiales)

Aujourdhuy septiesme du mois de novambre mil six cens huitante six advaat midy, au lieu de TRISCOS, és maison de feu Manieu MARSAU, paroisse de BALISAQ, Juridiction de CASTELNAU de CERNES, pardevant moy, notaire, et les témoings bas-nommés, a esté présente en sa personne Jeanne DESCARPIT, veuve dudit feu, laquelle a dict que ledit MARSAU, son deffun mary, l'auroit nommée tutrisse de sesdits enfants par le testament de dernière vollonté du troiziesme de mars mil six cens huitente quatre et confirmé par son codicile du dix septiesme octobre dernier, retenu par moy, dict notaire, à laquelle il auroit ordonné, entre autres choses, par sondit testament et codicille, pour la conservation de son héréditté, d'en faire faire un fidèle inventaire et de ses charges, pour les représenter quand il app(artien)dra; à quoi ladite DESCARPIT voullant satisfaire m'a requis, à moy not. de vouloir procéder tout présentement audit inventaire, offrant ...

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C'est là que se trouve la cheminée "où feu MARSAU allumait son feu". Elle est garnie de .mauvais landiers et d'une pelle en fer. On notera que dans ces inventaires, il n'est jamais question de pincettes ; elles semblent n'avoir pas été connues.

Tout à côté, il y a une pinte presque neuve, une masse, également en très bon état, une hache usée, deux "primouns" (sorte de sarcles), trois petites faux et deux faucilles, une broche en fer assez grosse, nous est-il dit, un petit ciseau, deux marteaux, un petit poêlon de terre plutôt neuf, deux pots de fer en bon état avec leur couvercle, et une cuillère.

Ce sera tout pour cette pièce avec un curieux mélange de modestes instruments de cuisine qui ont tout à fait leur place ici et d'outils divers que l'on se serait plutôt attendu à trouver ailleurs.

Le Notaire passe ensuite dans la chambre voisine, où Manieu MARSAU est décédé. Il y trouve :

"un châlit vieux de bois, uzé, garni de deux couattes et traversin rempli correctement de plume et une courtepointe fort uzée..."

sans parler évidemment des draps correspondants. Le tour de lit est frangé de toile d'atraman (toile de chanvre mi-fine), mais Jeanne DESCARPIT s'empresse de préciser que cette garniture lui appartient en propre pour lavoir apportée en dot.

Dans un coffre en noyer fermé à clé et appartenant également à Jeanne, on retrouvera tout le linge qu'elle avait apporté lors de son mariage.

Elle y avait ajouté une paire de drap fabriquée pendant la brève période de son mariage. Dans un autre coffre en coeur de chêne et qui appartenait à Manieu, le Notaire découvre six serviettes en toile de brin (la plus belle), l'une d'entre elle étant brodée, d'autres serviettes encore, plus communes, une nappe brodée,. deux autres usées, un drap neuf, quatre draps usés, quatre petites nappes de service, etc . . .

On sera un peu plus surpris de trouver dans cette chambre deux assiettes usées, deux plats neufs, un chaudron, une grande chaudière de cuivre rouge d'une capacité d'environ 200 litres et une maie neuve en bois de pin sans couvercle.

Dans la troisième pièce qui se trouve "sur le petit côté" de la maison, s'alignent une demi barrique et un tierçon vides, à la mesure de BORDEAUX ainsi qu'une barrique à demi pleine de vin rouge.

En fait, il s'agit d'une pièce de service, car on y trouve également deux barriques défoncées, des bottes de paille de panis et de millet, deux faux, ainsi qu'un vieux saloir dans lequel on découvrira deux quartiers de lard.

Et par dessus tout cela, au grenier, sont entreposés huit boisseaux de seigle (324 litres), et six quartes de panis (154 litres).

Au dehors de la maison, dans un "caban" servant de grange, le Notaire trouvera le foin, de la paille de millet et d'avoine et trois houes plutôt usées.

Enfin, au devant de la maison, le parc à bestiaux est habité d'une vache pleine de huit à neuf mois, une "bisme" de deux ans, une petite paire de boeufs âgés de cinq à sept ans, neuf chèvres, six brebis, deux "peloques" et deux agneaux. Le joug, et les liens des boeufs se trouvent également dans ce parc.

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Il n'y a rien d'autre dans leur maison, c'est là toute la fortune du ménage. Et Jeanne DESCARPIT :

" a juré moyennant serment par elle fait à Dieu devant nous, Notaire et témoins qu'elle ne cache rien par dol ni fraude..."

Il y aurait beaucoup à dire sur cet inventaire qui nous livre un précieux instantané sur ce foyer en un moment bien précis. On notera tout d'abord qu'il n'existe pas de véritable spécialisation des pièces. On trouve un peu de tout partout, des sacs de farine dans l'entrée, des chaudrons et une maie dans la chambre, etc . . . Il s'agit là d'un cas très général. La quasi totalité des inventaires dont nous disposons montre la même confusion.

La rareté des meubles est également très frappante. Voilà une maison de trois pièces, d'une capacité nettement supérieure à la moyenne des fermes de l'époque, qui comporte pour tout mobilier un lit, une table, un banc, deux coffres, une maie et un saloir. C'était vraiment peu de choses. Beaucoup moins en tous cas que l'on ne trouvera, un siècle plus tard dans des familles comparables. On verra en effet apparaître des "cabinets" (armoires) à une ou deux portes et souvent un vaisselier qui ne viendront pas se substituer aux coffres traditionnels dont l'usage perdurera, mais qui viendront s'adjoindre, en complément, à ce mobilier de base.

Et si ces nouveaux meubles apparaissent, c'est précisément parce que l'on aura acquis dans l'intervalle des objets domestiques nouveaux qui viendront les garnir. Ce sera le cas, en particulier de la vaisselle. Dans la maison des MARSAU, il n'y a que deux assiettes, deux plats et une cuillère.

Cent ans plus tard, dans une famille de laboureurs, on trouvera souvent une douzaine d'assiettes de faïence grise et autant de cuillères, et même, dans les meilleurs des cas, quelques assiettes de faïence blanche et quelques fourchettes. On pourrait formuler les mêmes observations en matière de sièges.

Ici, il n'y en a qu'un, le banc qui se trouve auprès de la table dans l'entrée. Avec le temps, on verra apparaître plusieurs bancs dans la même pièce et même, chez les laboureurs les plus aisés, un certain nombre de chaises.

Le cas ne sera pas général, mais ne sera pas exceptionnel non plus. On pourra objecter qu'il s'agissait ici d'un jeune ménage qui débutait dans la vie. C'est vrai ; Manieu et Jeanne n'ont connu que quatre ans et demi de vie commune. Si le loisir leur en avait été donné, vingt ans plus tard, leur ménage aurait certainement été beaucoup mieux fourni.

Déjà, en ce modeste laps de temps, ils ont enrichi leur foyer de deux draps neufs, d'une maie dont on nous dit qu'elle est également neuve, d'un poêlon, et de quelques menus objets, sans parler de l'augmentation très notable de leur cheptel vif par rapport à ce qu'ils avaient reçu, cinq ans auparavant, dans le partage de la succession de Pey MARSAU.

Gardons-nous de trouver ces acquisitions modestes. Nous avons en effet complètement perdu de vue le temps qu'il fallait à l'époque, compte tenu des moyens dont on disposait en milieu rural, pour acquérir quelques modestes objets domestiques.

Et il en fallait bien davantage encore pour constituer un patrimoine foncier. Sur ce dernier point, le temps se comptait en générations.

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Même en tenant compte de tout cela, nous retiendrons que Manieu avait reçu, lors du partage des biens de son Père, la moitié des meubles de la maison parentale (rappelons que les filles, dotées par ailleurs n'avaient pas participé à ce partage)

Nous devons donc, en doublant systématiquement tout ce que nous décrit l'inventaire, retrouver une bonne idée de ce qui composait le foyer de Pey MARSAU à la génération précédente.

Tout bien pesé, cela représente fort peu de choses, du moins pour une famille de notable local ayant élevé cinq enfants au foyer jusqu'à l'âge du mariage.

Depuis la nuit des temps et jusqu'à la fin du XVIIème siècle, on mangeait à TRISCOS dans des écuelles en bois façonnées par le sabotier local, avec des cuillères assorties qui ne paraissaient jamais dans les inventaires notariés, pas plus que les objets de fabrication familiale (étagères, etc..).

C'est à partir du premier quart du XVIIIème siècle que s'amorcera, dans les familles locales, une amélioration lente, parfois très lente, même, mais néanmoins tout à fait significative.

Au soir de ce 7 Novembre 1686, cet inventaire terminé, Jeanne DESCARPIT, enceinte de quelques mois, et toute récente Veuve de Manieu MARSAU son mari, prenait en main la direction des affaires de sa famille. Elle allait marquer sa gestion d'une si forte personnalité que le Village devait en consacrer le caractère d'exception en l'identifiant personnellement à cette branche des MARSAU.

Désormais, tous ceux qui seront issus de cette famille seront des MARSAU dits LA BEZOÜE (en gascon :"la Veuve"). Pendant plus d'un siècle, ses enfants, petits enfants et arrières petits enfants seront les MARSAU LA BEZOÜE dont nous sommes issus, perpétuant ainsi le souvenir de cette forte femme.

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Chapitre 2.

JEANNE DESCARPIT

et 
SES ENFANTS JUSQU'A LEUR MARIAGE

 ( 1686 - 1713 )

JEANNE PREND SES AFFAIRES EN MAIN

Au décès de son mari Manieu, Jeanne DESCARPIT avait tout au plus une trentaine d'années. Sa fille aimée, Jeanne avait un peu plus de trois ans, et elle attendait la naissance de l'enfant posthume que Manieu n'aura pas connu.

Ce fut un garçon qui naquit au début de 1687. On le prénomma Guillaume. Ces deux enfants survécurent à tous les avatars de l'époque et en particulier aux grandes épidémies qui se succédèrent de 1692 à 1698.

L'un et l'autre devaient, par la suite, donner naissance à toute une lignée de descendants qui peuplèrent abondamment le village de TRISCOS, mais qui n'eurent pas toujours la chance qu'avaient eue leurs Parents.

Dés le début de son veuvage, Jeanne prit ses affaires en main Elle dut connaître des moments bien difficiles. Certes, elle disposait de propriétés foncières, celles que Manieu avait reçues dans le partage des biens de son Père. Mais il aurait fallu des bras pour les mettre en valeur, or elle était seule, vraiment très seule avec ses deux très jeunes enfants. Et au surplus, elle n'avait pas d'argent disponible.

Elle devait quelques Livres au Procureur de son mari, Me DUTAUZIN, une dette qui remontait au temps du litige entre Jean et Manieu. Si modeste qu'elle fût (15 Livres), elle ne parvenait pas à la régler, d'autant qu'il lui fallait encore recourir à ce même Procureur pour faire entériner par la justice la légitimité de sa tutelle. Finalement, le 24 Octobre 1683, elle lui régla 22 Livres et 10 sols.

C'est tout ce qu'elle avait pour le moment et ce n'était pas suffisant car, en six ans, les intérêts avaient couru et les dernières interventions étaient venues s'ajouter au compte. La quittance qui lui est délivrée fait état d'un reliquat de 13 Livres qu'il lui restera encore à régler, mais ce sera pour solde de tous comptes.

Il est grand temps en effet que Jeanne se présente devant le Tribunal de CASTELNAU pour faire régulariser sa situation.

Manieu son défunt mari, avait pris toutes les dispositions nécessaires pour la mettre à l'abri de toute ingérence extérieure, et ce n'était pas inutile.

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JEANNE DESCARPIT RECOIT SOLENNELEMENT LA TUTELLE DE SES ENFANTS

DEVANT LE TRIBUNAL DE CASTELNAU

2 Décembre 1688
(Archives Familiales)

... consent que ladicte MARSAU soit reçue à prester le sermant à tel cas requis et aux conditions énnoncées audit testemant, sur qoy, après que ladite DESCARPIT a eu levé la main, moyennant sermant de bien et fidellemant faire et exercer la charge de tutrisse lesdits enffans, la Cour de céans faisant droit du recquis dudit TAUZIN et du conssantemant du Procureur d'Office, a recue et reçoit ladicte DESCARPIT en ladicte charge de tutrisse desditz enffans dud. feu, aux charges et conditions exprimées au susdit (testamant et à icelle, enjoint de bien et de fidellemant s'en acquitter, faire le profit et advantage desditz minneurs au mieux de son possible. Faict, en Jugemant de la Cour ordinaire de la Juridiction de CASTENAU de CERNES, thennue dans le parquet d'icelle pardevant Monsieur DEBOYRIE, Juge...

NOTA : TAUZIN est le Procureur (l'avoué) de Jeanne DESCARPIT.

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En l'absence d'un testament désignant expressément la veuve comme tutrice de ses enfants, la Coutume de BORDEAUX prévoyait que la tutelle devait être dévolue au parent masculin le plus proche. Dans le cas de cette famille, le tuteur naturel aurait été l'Oncle Jean.

On se doute bien que, compte tenu du litige qui les avait opposés, Manieu avait vigoureusement récusé cette idée. C'est bien pour cela qu'ils s'était empressé de faire un testament dès 1684. Et cela lui avait même paru si nécessaire que nous l'avons vu dicter ce document dans un temps où, nous l'avons dit, il n'y avait peut-être pas pour lui un péril de mort immédiat mais désigner Jeanne pour tutrice n'était pas suffisant. On pouvait encore lui créer nombre de difficultés en lui demandant de justifier par le menu le détail de ses comptes de tutelle.

Et une fois encore, c'est Jean MARSAU que la Coutume aurait désigné comme le mieux placé pour demander ce contrôle.

Cela non plus, Manieu ne l'avait pas voulu. Aussi avait-il formellement dispensé Jeanne de toute reddition de comptes. Il en avait parfaitement le droit, mais  il fallait que le Procureur d'Office, protecteur naturel des mineurs examine l'affaire et en fournisse son rapport au Juge auquel appartenait l'appréciation définitive de la situation.

Or, le temps avait passé et ces formalités n'étaient pas encore accomplies. Il devenait urgent que Jeanne y satisfasse pour régulariser cette situation.

Le 2 Décembre 1688, Jeanne DESCARPIT se présente au Bourg de SAINT LEGER où siège le Tribunal Seigneurial de CASTELNAU. Assistée de son Procureur Me DUTAUZIN, elle comparait d'abord devant Me Jean AUDINET, Substitut du Procureur d'Office. Les pièces utiles ont déjà été déposées au Greffe depuis le mois d'Octobre savoir :

" l'expédition de son contrat de mariage, du codicille et du testament de feu Manieu MARSAU, ensemble de l'inventaire ..."

Tout le dossier est là, et Me TAUZIN expose dans quelles conditions Jeanne a été nommée tutrice de ses enfants par la volonté expresse de son défunt mari. Il insiste beaucoup sur le fait qu'elle a reçu donation de l'usufruit et jouissance de tous ses biens meubles et immeubles sans qu'elle soit tenue de rendre compte à quiconque, à charge pour elle de nourrir et entretenir les enfants. Et il conclut à ce que :

"ladite DESCARPIT... soit reçue à prêter le serment des susdits enfants."

Après avoir vérifié la conformité des pièces produites, le Substitut donne son accord et Jeanne comparait devant le Juge :

"sur quoi, après que ladite DESCARPIT a eu levé la main moyennant serment de bien fidèlement faire et exercer la charge de tutrice lesdits enfants, la Cour de céans, faisant droit au requis..."

accède à sa demande et lui donne force légale.

Jeanne peut rentrer à TRISCOS tranquille, sa position désormais confortée est devenue pratiquement inattaquable. Rassurée de ce côté là, certes, mais pas nécessairement en situation aisée car ses problèmes d'exploitation de la propriété restent rigoureusement identiques.

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Ses enfants ont maintenant cinq et trois ans et ne sont pas près de pouvoir l'aider avant longtemps. Du moins pourra-t-elle travailler en paix. Et c'est ce qu'elle fait. Elle se bat sur tous les fronts et fait face à cette situation difficile. La preuve en est qu'en moins d'un an, elle parvient à s'acquitter d'une dette de famille qui grevait le patrimoine dont elle avait la charge.

L'affaire était ancienne. Elle remontait au 6 Février 1673, en un temps où son défunt mari était encore mineur.

A cette date, Endrine MARSAU, sa Belle Soeur, avait épousé Jean FOURTENS, et il avait été convenu à l'époque que la succession du vieux Pey MARSAU désintéresserait Endrine en lui remettant, entre autres choses, à titre de dot, une somme de 90 Livres en argent.

Or, cette dette n'était toujours pas réglée, en 1685, au moment du partage de la succession entre Jean et Pierre MARSAU. Elle s'était donc elle aussi partagée, et chacun des deux frères s'était retrouvé débiteur envers leur soeur Endrine d'une somme de 45 Livres évidemment majorée des intérêts correspondants. Manieu étant mort sans avoir réglé cette affaire, c'est à Jeanne DESCARPIT, usufruitière de sa succession qu'appartenait l'obligation d'y pourvoir.

Trois ans après le décès de son mari, en dépit de sa situation difficile, elle fût en mesure de le faire.

Dans l'après midi du 21 Septembre1689, elle prit rendez-vous avec son Beau Frère Jean FOURTENS dans l'Etude de Me DUTAUZIN, Notaire à SAINT SYMPHORIEN. Sa Belle Soeur Endrine n'y parut pas, bien qu'il s'agisse, à l'évidence, de ses propres intérêts.

C'était l'usage dans cette société patriarcale, et encore faut-il bien préciser que Jean FOURTENS n'était là que parce que son Père était déjà mort, sans quoi, c'est avec lui que se serait réglée la transaction et lui-même n'y aurait pas participé. Mais Jeanne, elle, était bien là, car elle était  "maîtresse de ses droits" ce qui, pour n'être pas exceptionnel, n'était pas, pour une femme, tellement courant non plus.

Pour une fois, le Notaire explique clairement la situation des parties :

"(FOURTENS) procédant comme mari de Endrine MARSAU, lequel de son bon gré et volonté a reçu comptant sur ces présentes, de Jeanne DESCARPIT, Veuve de Manieu MARSAU, habitante de la Paroisse dudit BALIZAC, procédant comme Mère tutrice et administrataire de ses enfants et dudit feu, à ce, présente et acceptante, savoir est la somme de quarante cinq Livres de principal en quoi ledit Manieu et son frère étaient débiteurs envers ledit FOURTENS pour la dot de ladite MARSAU sa femme."

Et Jean FOURTENS reconnaît avoir été payé

"en dix huit écus blancs et vingt sols de monnoie que ledit FOURTENS a pris et reçus et s'en est contenté..."

Soit donc un total de 55 Livres, car il fallait également solder les intérêts.

Désormais, Jeanne DESCARPIT est quitte de toutes dettes et va pouvoir se consacrer plus sereinement à la gestion de son domaine. Mais elle ne sera pas pour autant à l'abri de diverses tracasseries quelle n'aura pourtant pas pour autant cherchées.

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C'est le cas d'un procès qui implique tout le clan MARSAU et l'oppose à une autre famille, les FOURTENS, au sujet de la propriété de la pièce de MESTEBIDOUN.

Le Juge de CASTELNAU avait pris une première décision le 23 Mai 1689, puis, probablement sur la production de pièces nouvelles, il s'était déjugé et avait pris une décision contraire le 12 Décembre suivant. L'affaire avait alors été portée en appel devant le Sénéchal de CASTELJALOUX.

Tout cela sera pour nous d'un mince intérêt, mais nous en retiendrons la présence de Jeanne sur tous les fronts, non seulement sur ceux des intérêts immédiats de sa propre famille, mais aussi sur ceux des intérêts généraux de l'ensemble du clan des MARSAU auquel elle est désormais totalement intégrée.

 

LES TEMPS DIFFICILES DE LA FIN DU SIECLE

Elle vit pourtant des temps difficiles. De 1692 à 1695, des gelées printanières systématiques compromettent chaque année les récoltes. Les chroniqueurs de l'époque n'hésitent pas à les qualifier de "meurtrières". Il fut effectivement très difficile de survivre à cette succession de mauvaises récoltes.

En certaines de ces années-là, on n'évita la famine intégrale que grâce aux quelques ressources des jardins potagers. Jeanne  DESCARPIT avait le sien à TRISCOS, il figure dans le partage intervenu entre Manieu son mari et son Beau Frère Jean.

Ces jardins, dans la limite coutumière d'un journal pour les familles entretenant une paire de boeufs, et d'un demi journal pour les autres, étaient exempts de tous droits et redevances, même de la Dîme du Curé.

On y trouvait, selon les quelques textes qui nous sont parvenus, des fèves, des pois, des choux, des citrouilles, de l'ail, et aussi, bientôt, de la salade qui, sous la forme de laitue, apparaîtra dans le courant du XVIIIème siècle.

Bien souvent, les fèves ont permis d'assurer, vaille que vaille, des soudures difficiles entre deux campagnes céréalières déficitaires. N'ayons garde d'oublier le chanvre qui avait toujours sa place dans ces jardins car il exigeait beaucoup de soins et se cultivait toujours au plus près des maisons.

S'il n'avait aucune vocation alimentaire, il n'en avait pas moins, une très grande importance dans l'économie domestique locale, puisqu'il fournissait la matière première indispensable à la fabrication du fil, des toiles, des étoupes, des cordes, et autres choses tout aussi indispensables à la vie de la maison. Signalons en passant que le lin était totalement absent de ces exploitations.

Aucun document n'y fait référence, ni à BALIZAC, ni dans aucune des paroisses avoisinantes, alors que nous disposons de centaines d'indications de tous ordres relatives au chanvre.

Ces jardins ont été bien utiles pour franchir le cap de ces années difficiles, d'autant qu'il ne fallait guère penser acheter des grains de complément sur les marchés. La médiocrité des moyens de transport et la multiplicité des douanes et péages intérieurs faisaient qu'à la moindre menace de pénurie, les prix se mettaient tout aussitôt à flamber.

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A plus forte raison lorsque la pénurie était bien réelle, et elle le fut souvent en ces dernières années du siècle. C'est à ce moment-là que La BRUYERE écrivit sa célèbre description des paysans au chapitre "de l'homme" de ses Caractères. Il ne l'a évidemment pas rédigée en pensant à la vie dans les campagnes d'AQUITAINE, mais la misère était si générale dans la FRANCE rurale que le tableau était valable pour toutes les provinces.

La critique littéraire a parfois voulu voir dans ce texte une illustration du pessimisme naturel de l'auteur, mais c'est faire peu de cas de l'effroyable réalité quotidienne. Il est vrai qu'elle fut bien discrète et, sous la réserve de quelques témoignages, demeura cachée dans le lointain secret des paroisses.

Si elle fut beaucoup moins spectaculaire que ne le seront les famines du siècle suivant, c'est tout simplement parce qu'elle fut vécue dans une résignation séculaire, venue du fond des âges et qu'elle n'a pas suscité de grands mouvements populaires.

Il en alla tout autrement quelques 75 ans plus tard, lorsque des disettes objectivement moins sévères lancèrent des milliers de paysans dans des révoltes ouvertes, jusque dans nos plus proches campagnes.

C'est le signe évident d'une évolution profonde des mentalités en milieu rural. Au demeurant, même s'il s'était trouvé du grain à acheter sur un quelconque marché local, il n'aurait guère trouvé preneur parmi les paysans de nos paroisses car l'argent était rare et les impôts royaux en prélevaient encore une part non négligeable.

En ces dernières années du siècle, la guerre s'éternisait, et le Trésor Royal était vide. C'est alors que l'on inventa la Capitation, un impôt auquel nul n'échapperait, sinon le Roi lui-même.

Le Tarif en fut publié le 18 Janvier 1696. Même Monseigneur le Dauphin y était assujetti pour 2.000 Livres, comme relevant de la 1ère Classe. Nous ne savons pas dans laquelle de ces Classes Jeanne DESCARPIT a pu être recensée car, selon son imposition à la Taille, elle a pu relever de la 20ème, reprenant les laboureurs les plus aisés avec une imposition de 3 Livres annuelles, ou bien de la 22ème, pour une Livre seulement, où elle se sera retrouvé dans la compagnie des :

"soldats, cavaliers, trompettes, dragons, matelots, timbaliers, tambours et fifres, ainsi que les  manoeuvres, journaliers et généralement tous les habitants habitants des bourgs et villages... non repris dans les Classes ci-dessus."

Le 20 Septembre de l'année suivante, en 1697, la FRANCE, signait enfin la Paix de RYSWICK avec l'ANGLETERRE, l'ESPAGNE et les Etats Généraux de HOLLANDE, suivie, dix jours plus tard de la paix avec l'Empereur. La guerre était finie, mais l'impôt demeura.

 Il devait d'ailleurs trouver bien vite une nouvelle justification puisque la guerre de Succession d'ESPAGNE devait éclater quatre ans plus tard, en 1701.

Cette année-là devait débuter, dans la région, par un évènement d'importance. BALIZAC, n'en fut certes pas le témoin direct, mais de quoi d'autre aurait-on pu parler sur les marchés des jours suivants ? C'était bien là le carrefour privilégié de toutes les informations, notamment celles venues de la Rivière et de  la Lande.

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Et cette fois-ci, c'était de la Rivière que venait la nouvelle, et au surplus de la Rivière toute proche,très exactement de PREIGNAC … le Roi D'ESPAGNE  PHILIPPE V et ses deux frères étaient arrivés à BORDEAUX le 30 Décembre et y avaient passé le Jour de l'An au sein de multiples festivités.

Le Mardi 4 Janvier 1701, le Roi et ses deux Frères entendirent la Messe de fort bonne heure en la Cathédrale St ANDRE. Il faisait encore nuit noire. Il sortirent de la Ville par la porte St JULIEN (actuelle Place de la VICTOIRE) où ils reçurent encore toutes sortes d'honneurs et durent endurer force harangues. Le cortège se composait d'un carrosse à huit chevaux, d'un à six, d'une chaise roulante, d'une litière, de deux fourgons, de douze mulets, de quantité de chevaux de main, et d'un grand nombre de domestiques et de gens de livrée.

Une pareille caravane ne pouvait passer inaperçue. Elle était accompagnée de Monsieur De SOURDIS, Gouverneur de GUYENNE, et de Monsieur De La B0URDONNAYE, Intendant de la Province. La première étape était prévue, le soir, à LANGON.

Mais lorsque l'on eut passé PODENSAC, la route était si mauvaise et la marche si lente qu'il fallut bien se rendre à l'évidence, on ne pourrait atteindre le terne prévu. Il fut donc décidé de faire étape à PREIGNAC. II faisait ce jour-là un temps magnifique et la soirée s'annonçait exceptionnellement douce pour un temps d'hiver.

Nous ignorons en quels termes l'évènement fut rapporté sur les marchés locaux, mais nous en connaissons tous les détails grâce à la relation qu'en fit le MERCURE GALANT.

La Cour fit étape en la demeure de Monsieur De VOIGNY, Commissaire des Guerres. Cette maison était située en bordure de route, à gauche, à l'entrée du village en allant vers LANGON, juste en face du Château d'ARMAJAN.

Son jardin descendait en pente douce jusqu'à la GARONNE. On l'avait agrémenté d'orangers que l'on avait ressorti pour l'occasion grâce à la clémence du temps. Celle-ci permit au Roi et à ses Frères de rester dans ce jardin jusqu'à la nuit lorsque :

" l'allée du milieu et son parterre se trouvèrent tout à coup illuminés, aussi bien que le toit de la maison qui était tout couvert de lampes. La porte et une cour en terrasse en étaient pareillement  remplies".

On nous dit que le Roi passa le restant de la soirée à dessiner en attendant l'heure du souper. Le cortège reprit la route le lendemain matin en direction de BAZAS où il fit étape le soir même après avoir marqué un arrêt à ROQUETAILLADE pour y boire "un coup à cheval".

De tels événements étaient rares et défrayaient longuement la chronique. Une chose était de chanter, sur commande, un Te Deum dans l'Église de BALIZAC pour célébrer une lointaine victoire ou quelque heureux évènement à la Cour, mais tout autre chose était d'écouter le récit direct et de ceux qui, la veille, avaient vu, de leurs yeux vu, le Roi d'Espagne, ses frères et leur cortège à PREIGNAC et ROQUETAILLADE …

Ainsi allait le temps. Quelques bonnes récoltes en ce début du XVIIIème siècle étaient venues améliorer la condition rurale avant que ces pauvres gens aient à faire face à l'épreuve dramatique du grand hiver de 1709 dont les conséquences devaient affecter la vie économique de toute la contrée pendant des dizaines d'année.

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LE GRAND HIVER DE 1709

A la veille de ce cataclysme, Jeanne DESCARPIT avait à peu près la cinquantaine, sa fille aimée, Jeanne MARSAU avait 26 ans, elle n'était toujours pas mariée, et Guillaume, son fils avait 22 ans. Il y avait donc longtemps que les problèmes de main d'œuvre familiale étaient résolus. Jeanne DESCARPIT, "la Bezoüe" pouvait être fière d'avoir mené son affaire à bien au travers des difficultés sans nombre qu'elle avait dû affronter avec la seule le ressource de sa détermination et de ses bras.

Restait à supporter l'épreuve du "Grand hiver". Le mois de Décembre 1708 avait été   particulièrement doux, puis, peu avant Noël, le 22 il avait neigé de façon très abondante, les jours suivants, la température s'était de nouveau radoucie. Puis, il avait de nouveau neigé :

" d'une façon extraordinaire.... la nège a esté jusqu'au genouil d'un homme et en bien des endroits jusques à la cinture..."

D'autres témoignages nous rapportent des hauteurs de deux pieds (environ 65 centimètres). Or, voici qu'après un vent violent, dans la nuit du 6 au 7 Janvier 1709, la température tomba brusquement à -15°. Ce n'était qu'un début; jusqu'au 23 Janvier, le thermomètre oscilla sans désemparer entre -19°,2 et -23°,6. L'encre gelait dans les encriers, le vin dans les bouteilles.

Dans les églises, le vin de messe attendait l'Offertoire sur de petits réchauds à charbons. Tout le pays était comme tétanise. Le Registre de la Jurade de BORDEAUX note que :

"sur la Garonne, devant CADILLAC, BARSAC, PREIGNAC et d'autres endroits circunvoisins .... l'on marchait sur la glace à pied, à cheval, et avec d'autres voitures."

Les témoignages, tous concordants, sont légion; le Curé de SAUTERNES rapporte dans son Registre Paroissial que :

" la GARONNE et le SIRON estaient tellement gelés qu'ils estaient comme solides, si bien qu'on les passoient à pied sans danger."

La disette ne tarda pas à se manifester. On fit du pain avec des fèves, des pois, de l'avoine et bientôt des glands. Pour contourner le monopole des boulangeries sur lesquelles se concentrait la pression populaire, les Jurats de BORDEAUX, en toute hâte, firent construire des fours accessibles à tous ceux qui étaient à même de pétrir une pâte quelconque.

C'était à l'emplacement de l'actuelle rue des Fours, au chevet de l'église SAINT MICHEL.

En campagne, les arbres explosent littéralement "avec des bruits d'artillerie", les plus jeunes comme les plus âgés.

Le 23 Janvier, un léger redoux se manifesta. Les températures remontèrent, ici et là, jusqu'à –2°, tout en restant partout négatives, mais ce n'était qu'un répit, le froid reprit tout aussitôt pour une longue période aux alentours de -15°, et il fallut attendre les derniers jours de février, vers le 25, pour retrouver les premières températures positives.

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Les dégâts furent immenses. Le Curé de SAUTERNES, toujours lui, les résume assez bien :

" lequel froid a gelé toutes les vignes jusqu'à la terre, tous les arbres fruitiers, tous les pins, bois taillis.."

Plus d'arbres fruitiers, et pour plus de dix ans; plus de châtaignier, plus de châtaignes et pour longtemps, plus de vignes bien sûr, mais aussi plus de miel ni de cire, toutes les abeilles étant mortes. Plus de bois non plus après que l'exploitation des arbres morts fut achevée. L'Intendant LAMOIGNON a bien vu le problème lorsqu'il écrit à VERSAILLES :

" Les jeunes plans ne donneront de cinquante ans d'ici aucun revenu, et il n'y a que ceux qui sont au bord de la mer, à deux lieues dans les terres, qui soient conservés."

Encore restait-il à venir les grands incendies de 1713 dans la forêt de LA TESTE.... Il n'est donc pas étonnant que notre contrée ait singulièrement manqué de bois d'oeuvre pendant toute la première moitié du XVIIIème siècle et même bien au-delà.

Un pin qui se vendait normalement 3 sols au début du siècle valait encore 15 sols en 1742 pour revenir aux environs de 10 à 11 sols vers 1780, ce qui, compte tenu de l'inflation et de l'évolution des conditions économiques locales peut être considéré, au bout de 70 ans, comme un retour approximatif à la normale.

Ainsi donc plus de pins, mais plus de résine non plus. Le prix d'une barrique de résine passe de 8 Livres 8 sols en fin de siècle à 54 Livres en 1714. La rareté a fait flamber les prix et l'on devinera sans peine le désarroi d'une paroisse comme BALIZAC ou St LEGER qui a perdu là, en l'espace d'un mois et demi le plus clair de ses revenus pour plus d'une génération. On n'en finirait pas de relater les conséquences, parfois inattendues de cette catastrophe. La misère du petit peuple rural fut immense.

 

GUILLAUME MARSAU VIENT AUX AFFAIRES

A la fin de cet hiver, certaines situations avaient changé; dans certaines familles, il avait fallu se résoudre à vendre quelques biens; c'était le cas chez des cousins seconds de Guillaume, du côté de sa Tante Endrine. Pierre AZERA, dit LAUQUAT, Jean FORTENS, dit JEANTET et Jean DUBUN, dit RIQUE, ses parents, avaient vendu à un certain Pierre DUPART dit de PINOT  une part de leur héritage consistant en trois parcelles de modestes dimensions en terres labourables avec quelques pieds de vigne. Guillaume MARSAU, agissant sous l'autorité de Jeanne DESCARPIT, sa Mère (il n'avait que 23 ans) décida aussitôt d'introduire une procédure en retrait lignager auprès du Tribunal de CASTELNAU.

Le fait que ces parcelles soient contiguës à certains fonds des MARSAU explique probablement l'intérêt porté par Guillaume à leur rachat. La procédure du Retrait Lignager consistait, pour le "retrayant", à demander au Juge d'annuler la vente d'un immeuble que venait de faire un parent (dans le délai maximum d'un an) au bénéfice d'un tiers et de le racheter à son profit, moyennant le paiement de son prix, majoré des frais exposés à l'occasion du contrat.

Le but était de réintégrer dans le patrimoine d'un représentant du "lignage" un bien. qui avait appartenu autrefois à un ancêtre commun et qui, dans le cadre d'une bonne gestion, n'aurait pas dû sortir de la mouvance familiale.

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Le Juge devait examiner si toutes les conditions de délai, de parenté et d'appartenance au lignage étaient bien remplies et, si tel était le cas, prononçait la résolution de la vente et l'attribution du bien au retrayant en fixant le montant des frais à prendre en compte. En garantie du sérieux de sa requête, la Coutume exigeait du candidat retrayant qu'il dépose au Greffe du Tribunal, au jour de la première audience, une pièce d'or et une pièce d'argent.

C'est ce que fit Guillaume MARSAU, le 2 Juillet 1709, par les soins, du Procureur de sa Mère, Me Jean GERAUD, habitant au Bourg de St SYMPHORIEN en assignant Pierre DEPART à comparaître, par exploit du même jour, devant le Juge de CASTELNAU. L'affaire était engagée, elle devait durer quatre ans...

Elle fut évoquée pour la première fois, à l'audience du 3 Juillet à 13 heures. DEPART ne s'y présenta pas. Et le Juge constata :

" (attendu) que nous sommes en audience depuis ladite heure d'une une heure après midi et après avoir attendu jusqu'à celle de trois heures ainsi qu'il nous a été attesté par Martin FAUGAN et Jean LAGRAULET, résineurs habitants au Bourg de St LÉGER, pour l'avoir connu et jugé à l'aspect du soleil sans que ledit DUPART, deffendeur se soit présenté ni Procureur pour lui..."

Le Juge n'a pas de montre, ni personne autour de lui, pas davantage il n'y a d'horloge au clocher de St LEGER. Tout cela va évoluer au fil du siècle, le Juge aura bientôt une "montre portative", et il y fera référence dans ses procédures. Mais nous n'en sommes pas encore là. Pour connaître l'heure, on fait appel à deux hommes d'expérience, deux résiniers qui savent mesurer la course du soleil . . . On va donc prendre acte du défaut de comparution de Pierre DEPART et recevoir la requête de Guillaume MARSAU :

"octroyons acte à iceluy MARSAU, présent en jugement de l'exhibition, réalisation et offre par luy présentement faite devant nous d'une pièce d'or, autrement d'un demi Louis d'or valant six Livres dix sols et d'une petite pièce d'argent valant trois sols neuf deniers, le tout de la fabrique de FRANCE ... "

le tout consigné entre les mains du Greffier. Guillaume n'a pas forcé sur le montant de la consigne ; dans les deux cas, tant en or qu'en argent, il a fourni les plus petites pièces qui étaient alors en circulation. Cette procédure va suivre son cours, et comme elle ne présente pas d'intérêt particulier, nous nous bornerons, le moment venu, à en évoquer le terme.

Par contre, il est intéressant de noter qu'une certaine aisance financière est revenue chez les MARSAU. Non seulement ils ont engagé cette procédure de Retrait Lignager qui devait normalement déboucher sur des achats de terres, mais dans le même temps, ils achètent d'autres petits fonds.

Ce sera le cas, par exemple, le 6 Mai 1710, pour dix règes de terre labourable au lieudit de LESTAGE, et un petit lopin de même nature, le tout pour un montant de 27 Livres. La somme est modeste, et l'achat peu conséquent, mais ce qu'il faut retenir, c'est la tendance.

A l'issue d'une période très difficile dont beaucoup sont sortis diminués, les MARSAU manifestent un certain dynamisme qui va d'ailleurs bientôt se confirmer.

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Nous sommes en effet en 1712, l'année de la grande inondation, lorsque la GARONNE atteignit 37 pieds au niveau de la sacristie de l'église de LANCON l'évènement était d'importance puisque cette crue se situait à 6 pieds au-dessus de celle de 1618 laquelle avait jusqu'alors servi de référence à la mémoire locale,

Mais le souvenir en fut, par la suite, complètement occulté par la catastrophe de 1770 qui vit la GARONNE, au même endroit, atteindre la côte de 42 pieds ! Cette fois-ci, on avait atteint la référence absolue, car l'évènement ne s'est jamais plus reproduit, et compte tenu des travaux réalisés depuis lors, il y a bien peu de chances qu'il puisse un jour se renouveler. Ainsi donc nous voici en 1712, et Guillaume MARSAU, désormais majeur, va se préoccuper de développer encore le patrimoine familial.

Deux voies s'offrent à lui : acheter des terrains à des tiers, à condition, évidemment, d'en avoir les moyens, ou bien se faire concéder par le Seigneur de nouvelles tenures féodales, à la condition, bien sûr, que le Seigneur y consente. Et cela n'était pas évident car les Seigneurs locaux n'avaient plus tellement de terres disponibles relevant de leur exploitation directe.

La souscription d'un bail "à fief nouveaux", au ,XVIIIème sicle, ne constituait pas à proprement parler un évènement exceptionnel, mais elle n'était pas pour autant chose commune. Guillaume MARSAU va emprunter ces deux voies avec succès et, en particulier, se faire attribuer par son Seigneur, de nouvelles tenures.

Par son Seigneur, c'est probablement beaucoup dire, car il est bien possible, sinon probable, que Guillaume MARSAU, de sa vie entière, n'a jamais rencontré le Marquis Louis De PONS. Celui-ci vivait à la Cour où il était de la Garde Robe de Monseigneur le Duc de BERRY et n'entrait guère dans les détails de gestion de ses nombreuses Seigneuries.

Pour lui, BALIZAC était avant tout le montant d'un certain revenu annuel que lui envoyaient ses gens, et son principal souci était précisément de n'en avoir aucun. Il en allait tout différemment du Baron de BUDOS qui passait au moins six mois par an dans son Château avec sa famille et que l'on pouvait rencontrer chaque Dimanche à la sortie de la Messe ou des Vêpres.

A BALIZAC, rien de tel, et mieux valait être en bons termes avec Jean MARTINAUD l'homme d'affaires du Marquis qu'avec le Marquis lui-même. Ce MARTINAUD habitait au Château de CAZENEUVE, mais il circulait beaucoup sur les terres de son Maître, et il devait bien venir au Château de BALIZAC une fois par semaine. De nombreux actes et documents qu'il y a passés et établis attestent de ses fréquentes visites.

C'est donc lui que Guillaume MARSAU va rencontrer le 9 Décembre 1712 après-midi dans l'étude de Me BERNEDE et Guillaume va y obtenir, à titre de fief nouveau, la concession de 5 journaux de lande (environ 3 ha 30 ares) dont la moitié au CAMIN BLANC, à l'est du chemin reliant les Bourgs de BALIZAC et de St LEGER, et l'autre moitié en un lieu dénommé la SERRE de POURRICHIN.

La redevance seigneuriale convenue était, comme partout dans nos régions, même sur les fiefs nouveaux, purement symbolique. Elle fut fixée à 4 deniers annuels par journal, ce qui faisait donc 1 sol et 8 deniers pour l'ensemble de la tenure ( soit 1/12ème de Livre pour 3 ha 1/3 ... ).

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Manifestement, cette redevance n'intéressait pas les gens du Seigneur. Par contre, le bail prévoit expressément que le preneur sera soumis aux servitudes définies dans la transaction passée en 1656 avec feue la Dame de VICOSE.

Nous avons évoqué au Chapitre précédent les péripéties judiciaires qui avaient abouti à la définition de ce texte. Nous n'y reviendrons pas, mais nous rappellerons simplement que les servitudes réelles qu'il définissait n'étaient pas, elles, purement symboliques, notamment en matière de charrois. C'est probablement cela, beaucoup plus que l'argent qui intéressait l'administration Seigneuriale. C'est en tous cas à ce prix que Guillaume MARSAU obtint son extension de tenure.

Cette lande ne devait pas avoir, à l'époque une bien grande valeur, mais elle devait être utile pour la production des bruyères nécessaires aux litières des bestiaux.

Nous disposons par ailleurs d'autres exemples de telles recherches chez d'autres laboureurs locaux. Elle servait aussi probablement de parcours pour les animaux pendant les saisons où les prairies leur étaient interdites. Toutefois, le contrat prévoyait que le preneur puisse changer l'affectation du terrain.

Ce n'était pas une simple clause de style, car Guillaume pouvait parfaitement envisager d'y planter des pins, et, tout en préservant la production de ses bruyères, augmenter singulièrement la valeur des fonds. Auquel cas, la rente foncière passerait de 4 deniers à 1 sol par journal. C'était encore bien modeste, mais toujours, bien sûr, sous condition des servitudes réelles convenues par ailleurs. Moyennant toutes ces conditions,

"ledit MARTINAUD (promettait) de faire jouir ledit affermant plainement et paysiblement de ladite lande envers et contre tous, et la garantie de (le) défendre de tous troubles".

En cette fin de règne de LOUIS XIV, les échos de l'actualité qui parvenaient jusqu'à BALIZAC n'étaient pas très réjouissants. Certes, on avait bien fait annoncer que des pourparlers avaient été engagés à UTRECHT en vue de mettre fin à la guerre de succession d'ESPAGNE, mais c'était à la fin Janvier, et l'on continuait à se battre comme si de rien n'était. La brillante victoire de VILLARS à DENAIN le 24 Juillet suffirait à en rapporter la preuve. Brillante, certes, mais coûteuse pour le pauvre peuple soumis à une pression fiscale de plus en plus contraignante.

La Paix d'UTRECHT ne serait que pour l'année prochaine, et encore ne serait-elle pas complète puisque les hostilités se poursuivront encore avec les Impériaux jusqu'au Traité de RASTADT en 1714.

Mais restons-en à cette année 1712. En l'église de BALIZAC, il s'y chanta plus de De Profundis que de Te Deum. Le Dauphin de FRANCE était mort l'année précédente, et voilà que, coup sur coup, on annonce le décès de la nouvelle Dauphine le 12 Février, celui de son mari le nouveau Dauphin, Duc de BOURGOGNE six jours plus tard, le 18 Février, et celui de leur fils le Duc de BRETAGNE  âgé de 5 ans, le 8 mars suivant.

Toutes ces nouvelles parvenaient jusqu'au fond des campagnes par l'intermédiaire des Curés qui les annonçaient au prône du Dimanche et qui y associaient les fidèles par les prières appropriées. C'est ainsi que le petit peuple rural était finalement assez bien informé des grands événements de la Cour, et nous disposons d'un certain nombre de preuves de l'attachement que chacun y portait.

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A partir de 1713, et jusqu'en 1784, nos archives familiales conservent un petit carnet sur lequel sont consignés les règlements de toutes les redevances seigneuriales des MARSAU. Nous aurons l'occasion d'y faire quelques références ultérieures mais pour l'instant, nous nous bornerons à en tirer quelques indications intéressantes. On notera en particulier que Guillaume MARSAU y est encore dit "de MANIEU", du nom de son Père. Le surnom de "la BESOÜE" qui va bientôt l'emporter dans tous les actes concernant la famille ne s'est donc pas encore imposé à tout le monde, mais cela ne va plus beaucoup tarder.

Autre indication intéressante, c'est celle du montant de la redevance annuelle. Elle est, pour 1713, de 23 sols 4 deniers. A partir de là, on peut tenter de procéder à une évaluation du patrimoine foncier détenu par cette branche des MARSAU. L'exercice est périlleux car les taux d'imposition par journal ne sont pas les mêmes selon la nature des cultures, et nous ne disposons que du montant global de l'imposition sans ventilation par nature de sol.

On peut tout de même en fixer les limites extrêmes par le jeu des suppositions. Si la propriété avait été constituée de terres assujetties au taux maximum, elle aurait eu une superficie d'un peu plus de 23 journaux (environ 15 hectares). En la supposant par contre entièrement soumise au taux minimum, elle aurait représenté 70 journaux (environ 46 hectares) .

La vérité se situe donc entre ces deux limites. En fait, avec les 5 journaux pris à fief nouveau en 1712, on peut estimer que Guillaume MARSAU aurait pu disposer d'une dizaine ou douzaine de journaux de lande, le reste étant constitué de terres labourables, prés, taillis, etc.. En ce cas, en ordre de grandeur, l'ensemble de la propriété aurait pu représenter une vingtaine d'hectares. Il est difficile d'en dire davantage, nais cette approximation peut être tenue pour assez raisonnable.

 

LE TEMPS DES MARIAGES

Guillaume et sa soeur Jeanne sont maintenant majeurs. Jeanne a 30 ans et n'est toujours pas mariée ; Guillaume en a 26. Pour Guillaume, passe encore, mais pour Jeanne ce célibat commence à devenir un peu inquiétant. Rassurons-nous, tout va bientôt rentrer dans l'ordre au cours de l'année 1713. Mais tout d'abord, il faut mettre de l'ordre dans les affaires de la famille.

La tutelle de Jeanne DESCARPIT sur ses enfants n'a plus de raison d'être. Il faut donc y mettre un terme, en rappelant que la succession de Manieu MARSAU n'a jamais été liquidée.

Depuis 27 ans, Jeanne DESCARPIT a géré les propriétés, avec le concours grandissant de son fils Guillaume au fil des dernières années, certes, mais en véritable maîtresse de l'exploitation. Au moment où des projets de mariage s'esquissent, il est grand temps de mettre ces affaires en ordre et de décider, en application du testament de Manieu et de son codicille, de ce qui doit revenir à chacun des enfants.

A cette fin, au matin du 28 Avril 1713, toute la famille se retrouve en l'étude de Me De BOIRIE, Notaire au bourg de St SYMPHORIEN. Il y a là Jeanne, Guillaume, et leur Mère Jeanne DESCARPIT.

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Le Notaire commence par relater en détail ce que l'on pourrait appeler la règle du jeu. Manieu, le Père avait dicté un testament le 3 Mars 1684 tandis que Jeanne était seule enfant au foyer, puis, sentant sa fin prochaine, alors que sa femme était enceinte, il avait décidé, par un codicille du 17 Octobre 1686 que si l'enfant posthume était un garçon il recevrait un tiers de la succession par préciput, et que s'il était une fille, le partage s'effectuerait par moitié entre les deux soeurs.

La survenance de Guillaume validait le premier cas de figure. La succession devait se partager en un tiers attribué à la fille et les deux autres tiers au garçon. Dans le même temps, Jeanne DESCARPIT mit au jeu tout ce qu'elle pouvait elle-même posséder afin que le partage embrasse dans une seule opération les successions des deux Parents.

Il fut convenu que Guillaume conserverait l'intégralité du patrimoine foncier et qu'il désintéresserait sa soeur en argent et en meubles. C'est ainsi qu'il s'engagea à lui verser une somme de 300 Livres aux fêtes de la Noël prochaine, sans intérêt jusque là, et avec un intérêt de 5 % au-delà, et qu'il lui remettrait une dotation en meubles à la veille de ses noces.

Ce mobilier ayant été, pour la déclaration au fisc, évalué à 36 Livres, on peut en déduire que la valeur totale du patrimoine des MARSAU s'élevait alors aux environs de 1.000 Livres. En ce début de siècle, ce n'était certes pas la fortune, mais cela correspondait au statut d'un petit laboureur à l'abri des besoins élémentaires.

La description des meubles attribués à Jeanne mérite  que l'on s'y arrête un moment. Derrière la précision de la nomenclature, on devine aisément les précisions qu'apporte Jeanne DESCARPIT au fur et à mesure de l'énumération. Jeanne MARSAU recevra donc :

"Un lit garni de quatre courtines ou rideaux avec un tour de lit frangé, le tout de fil de brin; deux couates et un traversier de toile de fil entremêlé, le tout bien garni de bonne plume d'oye ; douze draps ou linceuls de toile de fil d'entremêlé de trois aunes et demi de longueur chacun (environ 4m,15), douze serviettes plénières ou unies de fil de brin et la nape de même fil, de deux aunes et demi de longueur (environ 2m,96); un coffre neuf, bien honnête, fermant à clef, de la contenance, à peu prés de deux boisseaux et demi (environ 257 litres); une jupe de mazamet rouge d'un beau lustre et d'une belle couleur; un corps et ses manches, avec les brassières de même étoffe, outre ses habits accoutumés et le linge qu'elle peut avoir en son particulier."

Les deux femmes de cette maison ont beaucoup travaillé depuis plus de vingt ans pour en venir à ce jour. Depuis l'inventaire de 1656, sous la direction avisée de Jeanne DESCARPIT la situation familiale s'est très nettement améliorée.

La Mère et la Fille ont filé, filé et encore filé tout au long des veillées d'hiver pour approvisionner le tisserand local qui leur a fabriqué toute cette toile. Les douze draps, à eux seuls, représentent 50  mètres linéaires de tissage.

Encore faut-il rappeler que le tisserand n'était pas rémunéré en argent, mais par le prélèvement d'une certaine part du fil qui lui était confié. Il a donc fallu filer encore bien plus d'écheveaux qu'il n'était normalement nécessaire au tissage de ces pièces. On notera également que le tour de lit, la nappe et les serviettes sont en fil de brin, le plus beau et le plus fin et qu'aucune pièce de ce trousseau n'est en étoupe, le tissus le plus grossier.

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Et pourtant les tiges du chanvre à l'état brut, fournissent toujours sensiblement la même proportion de fibres nobles et de fibres grossières.

Chez les MARSAU, on a orienté l'étoupe vers d'autres usages, en l'écartant du trousseau de la fille. Par contre, ni la nappe ni les serviettes ne sont "ouvrées", on nous dit qu'elles sont simplement "plénières ou unies". La Mère et la Fille étaient des fileuses industrieuses mais étaient apparemment peu portées sur les travaux d'aiguille.

Notons encore que le coffre est "bien honnête", c'est une appréciation bien féminine, un homme en pareil cas aurait gardé son point de vue pour lui mais n'aurait pas manqué de préciser de quel bois il était fait. De même, la jupe sera "d'une belle couleur" et d'un "beau lustre", autant de choses que le Notaire n'a certainement pas inventées mais, qu'en bon et fidèle notaire, il a consignées au fur et à mesure qu'on le lui disait.

Nous retiendrons enfin que Jeanne ne recevra pas de chaussures particulières. Elle ira, tout simplement, en sabots. Vingt ans plus tard, elle aurait certainement reçu des souliers, mais c'est encore trop tôt, l'apparition de la paire de chaussures de la mariée (une paire dans sa vie...) fera partie de ces mille détails qui permettront de mesurer la lente amélioration des conditions de vie au fil du siècle.

Au résultat de tout ceci, on peut dire que Jeanne a reçu là une dotation de bon niveau qui la situe même un peu au-dessus de ce que pouvait recevoir une fille de laboureur disposant d'un patrimoine de 1000 Livres. Il est vrai qu'elle était la seule fille de la maison et qu'elle avait certainement beaucoup concouru à la confection de ce trousseau.

Six jours plus tard, le 4 mai 1713, Jeanne MARSAU passait contrat de mariage devant Me BERNEDE avec Etienne CALLEN, laboureur à BALIZAC. Il était donc effectivement grand temps de régler les affaires de la famille MARSAU avant d'aborder ces nouvelles dispositions. Le mariage devait néanmoins être différé de quelques mois, et nous allons en découvrir la raison dans un instant.

Un mois plus tard, le 7 Juin 1713, c'est au tour de Guillaume de passer contrat de mariage, devant le même Notaire avec Marie LARRUE, une fille de laboureur vivant à LAULAN, Paroisse de LEOGEATS. Elle n'avait pas plus de vingt ans. Outre quelques meubles, elle apportait une dot de 300 Livres dont la moitié du chef de son Père, Bernard LARRUE, et le solde du chef de sa Mère Jeanne DUPUCH.

Le paiement devait être effectué dans huit ans, les deux premières années sans intérêts, les six autres portant un intérêt au taux de 5%, en fait, les LARRUE n'avaient pas le premier sou de cette dot et le Père mourut avant de l'avoir versée. Ses deux fils, frères de Marie, résistèrent autant qu'il le purent aux légitimes sollicitations de leur Beau Frère. Il devait s'ensuivre une cascade de procès dont nous aurons l'occasion de reparler ;  des procès que littéralement empoisonner la vie entière de Guillaume. nous n'en sommes pas encore là.

L'été passa. Il n'était pas question de distraire le moindre temps utile de cette période pour s'adonner à de quelconques festivités.

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Les mariages célébrés en été étaient pratiquement inexistants, et de même en pays viticoles les mariages d'automne, pour les vendanges. On se mariait alors dans les temps morts de l'hiver et encore en évitant les périodes d'interdiction édictées par l'Eglise, essentiellement les temps de L'Avant et. du Carême.

Chez les MARSAU, on laissa passer l'été, mais tout juste, et ce fut un double mariage le 12 Septembre 1713, en l'église de BALIZAC. Jeanne et son frère Guillaume se marièrent le même jour dans une même cérémonie et une même fête. On reconnaît bien là un dernier trait du sens de l'économie et de l'organisation de Jeanne DESCARPIT. Elle faisait las choses "bien" mais sans jamais perdre de vue un solide sens pratique dont elle a toujours fait preuve tout au long de sa vie.

La veille de ce double mariage, le 11 Septembre, on fit venir Me BERNEDE dans la maison familiale des MARSAU, et là, en sa présence, Guillaume remit à sa soeur Jeanne tout les biens mobiliers qui lui avaient été promis dans leur accord de partage du 28 Avril afin qu'elle les emporte dons sa nouvelle demeure à LA FERRIERE où elle allait désormais habiter. Ce fut en effet le dernier acte de gestion de Jeanne en tant que "maîtresse de ses droits" Dès le lendemain, elle devait tomber sous la tutelle de son mari et nous verrons qu'elle ne participera même plus à aucun des actes notariés qui sanctionneront le versement de ses 300 Livres de dot.

Le lendemain, c'était la double mariage dont un Curé particulièrement expéditif dressa un acte unique sans s'embarrasser des formules habituelles de filiation et de référence aux publications des bans lesquelles étaient pourtant obligatoires :

"Le 12.7bre 1713 Estienne CALEN laboreur, et Jeanne MARSAU, tous deux de la présente paroisse, Guillaume MARSAU de la présente paroisse et Marie LARÜE de la paroisse de LEOGEATS ont reçu la bénédiction nuptiale dans la présente église selon toutes les formalités, en présence de moy, prestre et des témoins bas nommés, LAFOURCADE présent, CALEU présent."

Jeanne devait avoir six enfants dont le premier, une fille autre Jeanne, devait, sans perte de temps, naître dès le 2 Juin suivant. Cinq d'entre eux dont deux garçons devaient atteindre l'âge adulte, ce qui, pour l'époque, constituait une sorte de performance.

Quant à Guillaume MARSAU, nous allons maintenant le retrouver dans son nouveau rôle de chef du famille.

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Chapitre 3.

GUILLAUME MARSAU

UNE BIEN MAUVAISE AFFAIRE

 ( 1687 - 1767 )

 

A peine Guillaume est-il marié qu'il reçoit une mauvaise nouvelle. La demande en retrait lignager qu'il avait introduite quatre ans auparavant devant la Tribunal de CASTELNAU de CERNES vient d'être rejetée.

Faute d'avoir pu retrouver l'original de la sentence, nous ne connaîtrons pas les raisons qui ont conduit le Juge à cette décision. Toujours est-il que Guillaume est débouté de sa demande et condamné aux dépens. Or, entre temps, Pierre DEPART, son adversaire, était mort. Il se retrouve donc devant sa Veuve, tutrice des enfants que le défunt a laissés.

Guillaume n'insiste pas. Il ne fera pas appel de ce jugement et se soumettra à la décision du Juge. Moins de trois semaines après son mariage, il allait donc rencontrer cette Veuve, dénommée Gratianne DUCOURNEAU, dans l'Étude de Me BERNEDE.

C'était dans l'après midi du premier Octobre 1713. En présence du Notaire, il lui régla les 24 Livres et 5 sols auxquels l'avait condamné la sentence :

"en quatre escus de la nouvelle marque vallant cinq Livres piesse et le restant en autre bonne monnoye ayant cours faizant et montant ycelle dicte somme."

Mais de plus, le Tribunal attribuait à Gratianne DUCOURNEAU la pièce d'or et la pièce d'argent déposées au Greffe par Guillaume, en garantie, tout au début du procès, soit 6 Livres 13 sols 9 deniers.

Voilà donc une très mauvaise affaire qui aura coûté aux MARSAU bien près de 31 Livres, sans parler des frais qu'ils avaient dû évidemment exposer  de leur côté en épices au Juge, rémunération de leur Procureur, papiers timbrés de toutes sortes, frais notariaux, etc.. dont le détail ne nous est pas donné. Au bas mot , ce procès leur aura coûté une cinquantaine de Livres dont ils auraient certainement pu trouver un bien meilleur usage.

Ce n'était pourtant encore rien à côté de la cascade de procès qui allait s'imposer à Guillaume dans la suite de son histoire....

Mais n'anticipons pas.

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LA VIE A TRISCOS AU FIL DES JOURS

Nous avons déjà dit quelle crise profonde et durable avait déclenché le grand hiver de 1709. Les quelques pins qui avaient survécu ici et là fournissaient une précieuse résine dont le prix ne cessait de monter.

Nous ne savons pas comment se sont situés les MARSAU au regard de cette loterie, car cela en fut bien une. Quelques familles dont la forêt avait été partiellement épargnée connurent là un moment favorable dont nous percevons les traces.

D'autres au contraire connurent des moments difficiles. Aucun signe spécifique ne nous permet de situer les MARSAU au regard de cette évolution, d'autant qu'un phénomène plus général va bientôt venir brouiller les cartes avec le développement du commerce régional lié à l'activité éphémère mais stimulante de la Compagnie de l'Occident.

Pendant quelques années, l'argent fut soudain incontestablement plus facile dans toute la contrée à partir de la prospérité Bordelaise.

Ce n'est pas pour autant que tout alla pour le mieux. La récolte de vin de 1714 fut tardive et déficitaire, et le négoce Bordelais fut bien content d'accueillir les vins du Haut Pays (ceux de l'Agenais et de CAHORS) qu'il s'efforçait traditionnellement d'écarter de son marché. Ils lui furent bien nécessaires cette année là pour satisfaire à la demande de la flotte anglo-hollandaise qui attendait impatiemment son vin.

BALIZAC n'était pas directement concerné par ces problèmes, mais le commerce du vin était un tel moteur de l'activité régionale que la vie quotidienne des paroisses les plus reculées s'en trouvait affectée.

Dans l'instant, les MARSAU avaient d'autres préoccupations en tête, et, en tout premier lieu, celle de la naissance de leur premier enfant, précisément en ces jours-là. C'est le 5 Novembre 1714, un peu après la minuit que naquit Jeanne MARSAU, fille de Guillaume et de Marie LARRUE. Elle fut portée le jour même en l'Église de BALIZAC où elle fut baptisée par Mr ARTILHON, Vicaire de la Paroisse, car il y avait alors un Vicaire à BALIZAC. Son Parrain fut Bernard son Grand Père maternel que l'on avait fait venir de LAULAN en toute hâte tandis que sa Marraine était sur place puisqu'elle n'était autre que Jeanne DESCARPIT, sa Grand Mère paternelle.

Nous sommes tout à la fin du règne de Louis XIV. Il meurt le 1er Septembre 1715, et très vite, avec la Régence beaucoup de choses vont changer.

Dès 1716, c'est le début de la Banque de LAW, mais sans plus tarder, le 10 Avril 1717 c'est la création de la Compagnie d'Occident, et, l'année suivante, la transformation de la banque de LAW en Banque Royale avec instauration du cours forcé pour ses billets.

Les paiements supérieurs à 600 Livres ne pourraient plus désormais s'effectuer en numéraire. Nous avons dit que ces évènements avaient eu des échos jusque dans nos campagnes. C'est le début d'une évolution qui, par petites touches, va progressivement améliorer les conditions de la vie quotidienne des paysans, mais aussi modifier leur mentalité.

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Cette évolution sera d'abord très discrète et connaîtra même nombre de régressions ponctuelles, parfois brutales ; mais la tendance se maintiendra tout au long du siècle, préparant progressivement les conditions favorables à l'explosion de la Révolution.

 

GUILLAUME MARSAU REGLE LA DOT DE SA SOEUR

Le 28 Avril 1713, Guillaume avait promis à sa soeur Jeanne de lui remettre, au titre de sa part d'héritage familial, un certain nombre d'effets et de meubles, et une somme de 300 Livres. Nous avons vu comment ces biens mobiliers avaient été effectivement remis en temps utile, tandis que les 300 Livres devaient être versées à la Noël suivante.

Or, elles ne le furent pas, tout simplement parce que Guillaume n'en disposait pas. Pour les réaliser, il comptait tout simplement sur les 300 Livres que Marie LARRUE sa femme lui avait apportées en dot. Mais elles n'étaient pas disponibles puisqu'il était expressément prévu qu'elles seraient payables en huit années, alors que son propre versement devait s'effectuer à bien plus courte échéance. Au surplus, Jeanne, sa soeur, s'était constitué ces 300 Livres en dot lors de son mariage et les avaient apportées en créance à son mari Etienne CALLEN.

Plus de cinq ans passèrent ainsi. Guillaume n'avait toujours pas perçu un sol de la dot de sa femme et commençait, à l'évidence, à s'en inquiéter un peu. Par ailleurs, sa situation évoluant favorablement, il commençait aussi à disposer d'un peu d'argent devant lui.

Il voulut donc assainir sa position et prit contact avec Etienne CALLEN son Beau-Frère.

Ils se retrouvèrent au matin du 28 Septembre 1718 en l'Étude de Me BERNEDE , Notaire à BALIZAC. Et là, en l'absence de sa soeur (la chose est bien précisée), Guillaume remit à son Beau Frère une somme de 117 Livres

"en dix neuf escus d'argent de la pénultième marque vallant six Livres pièce, et le restant en autre bonne monnaye aïant cours, faisant et montant laditte somme de cent dix sept Livres que ledit CALEN a pris, compté, et receüe et s'en est contenté."

Ce versement représentait, pour 75 Livres, les intérêts échus depuis cinq ans sur les 300 Livres dues à Jeanne, et pour le solde, soit 42 Livres, un premier versement sur le capital de la dette.

Le même jour, dans un autre contrat, Guillaume remettait à Etienne CALLEN une créance de 200 Livres qu'il détenait sur un certain Jean DEPART dit FRAY et que CALLEN accepta en paiement. Au soir de ce jour là Guillaume avait donc, outre les intérêts échus, réglé un total de 242 Livres; sa dette n'était donc plus que de 58 Livres.

Moins de quinze semaines plus tard, le 10 Janvier 1719, les deux hommes se retrouvaient devant le même Me BERNEDE, mais cette fois-ci à LA FERRIERE, au domicile des CALLEN où s'était rendu le Notaire. Jeanne MARSAU n'était toujours pas là:

"(Etienne CALLEN) comme mary et conjointe personne de Jeanne MARSAU, absente, et à laquelle il promet de faire approuver et ratiffier ces présentes quand besoin sera..."

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Que Jeanne n'ait pas été présente en l'étude du Notaire lors du premier versement, passe encore, mais qu'elle ait été absente dans sa propre maison lors du second versement relève du système, d'autant, une fois encore, qu'il s'agissait bel et bien de son argent et de ses propres affaires.

Guillaume remet ainsi à son Beau Frère les 58 Livres qu'il lui doit encore pour solde de tous comptes. Ils sont donc quittes désormais.

 

LE TEMPS DES ENFANTS

Cette mène année 1719 devait encore se révéler riche en divers évènements. Un évènement majeur, tout d'abord qui s'était déroulé le 9 Janvier, la veille même du contrat passé à LA FERRIERE, et que personne ne pouvait encore connaître à BALIZAC. PHILIPPE V d'ESPAGNE, celui-là même qui, en d'autres temps, avait fait étape à PREIGNAC, venait, sous la pression de sa seconde femme, de déclarer la guerre à la FRANCE.

Un autre évènement, beaucoup plus local celui-là, mais touchant droit au coeur la vie du village, ce fut la disparition de Me Antoine De ROCHE, le Curé de BALIZAC, décédé le 22 Septembre à l'âge de 68 ans. Il fut inhumé le lendemain au cours d'obsèques solennelles présidées par Me De CAZALET, Doyen du Chapitre de VILLANDRAUT, assisté des Curés de St LEGER, de St SYMPHORIEN, de GUILLOS, d'ORIGNE, d'un Chanoine de VILLANDRAUT et de Me Bernard DUBAQUIER, Vicaire de BALIZAC.

Quelques jours plus tard, le 9 Octobre, naissait à TRISCOS Etienne MARSAU, le second enfant de Guillaume et de Marie LARRUE. Il fut baptisé par Me DUFAURE, le nouveau Curé et ce fut l'un des tous premiers actes qu'il enregistra à BALIZAC. Le Parrain n'était autre qu'Étienne GALLEN le Beau Frère, et la Marraine une Catherine LARRUE, parente de MARIE, venue du Quartier de LAULAN à LEOGEATS.

Au début de l'été 1720, on apprit l'irruption d'une grave épidémie de peste à MARSEILLE. Voilà bien un risque que l'on avait un peu oublié. On pouvait en effet tout craindre d'un déferlement sur l'ensemble du pays, et tout spécialement par la vallée de la GARONNE, chemin naturel des propagations épidémiques consacré par une longue expérience.

Or, au soulagement général, et contre toute attente, il n'en fut rien. Ce fut même, pratiquement, et sans que l'on ait jamais trop su pourquoi, la toute dernière manifestation de ce terrible fléau en France.

Le 24 Octobre 1721, naissait à TRISCOS un troisième enfant, une fille, Mathive. Son Parrain fut Bernard LARRUE, et le fait mérite d'être souligné car il implique que les relations avec la famille LARRUE étaient encore bonnes, des relations qui n'allaient pas tarder pourtant, à se détériorer.

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La famille de GUILLAUME MARSAU
 ( vers 1687 - 1767 )

 

Manieu MARSAU-Jeanne DESCARPIT

 

Bernard LARRUE- Jeanne DUPUCH
 

Guillaume MARSAU

Vers 1687  - 30 Septembre 1767

 

Marie LARRUE

Vers 1693 –  17 Déc 1749

 Mariés à BALIZAC le 12 Septembre 1713

de cette union sont nés sept enfants

 

1°- Jeanne MARSAU née le 5 Novembre 1714
épouse Guillaume DEPART le 7 Février 1736
1737

2°- Etienne MARSAU né le 9 Octobre 1719
en bas âge

3°- Mathive MARSAU née 24 Octobre 1721
encore célibataire à 38 ans

4°- Pierre MARSAU né le 16 Avril 1724
épouse Pétronille DUPEYRON le 4 Février 1741
23 Thermidor An II

5°- Marie MARSAU
née le 26 Février 1726
2 Mars 1726

6°- Jeanne MARSAU née le 7 Novembre  1727
2 28 Août 1728

7°- Jeanne MARSAU née le 17 Février 1733
aussitôt

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Quant à la Marraine, elle avait été choisie dans la famille DESCARPIT. On aura noté que, jusqu'ici, les Parents ont respecté un scrupuleux  équilibre en prenant parrain et marraine chacun dans l'une de leur deux familles.

Or, ceci va maintenant changer. Avec la naissance de Pierre, le 6 Avril 1724, on voit apparaître des Parrains et Marraines étrangers aux deux familles. Faut-il y voir le signe de la dégradation des relations avec les LARRUE qui va bientôt se manifester ?

N'étant plus en trop bons termes, les MARSAU auraient décidé de ne plus leur demander de parrainage, mais pour ne pas aggraver la situation, ils auraient délibérément choisi les Parrain et Marraine de leur nouvel enfant en dehors du cercle des deux familles. Quelle que soit leur motivation, c'est bien, en tous cas, et pour la première fois, ce qu'ils ont fait.

Au terme d'un hiver rigoureux naissait un cinquième enfant, le 26 Février 1726, une petite Marie qui, elle aussi reçut des Parrain et Marraine pris hors du cercle des proches familles. Elle ne devait pas survivre et mourut quatre jours plus tard, le 2 Mars suivant.

A la fin de l'année d'après, le 7 Novembre 1727 naissait une petite Jeanne qui ne devait pas non plus beaucoup survivre puisqu'elle mourut quelque neuf mois plus tard, le 23 Août 1728. Enfin, anticipant sur le fil de l'histoire, signalons la venue d'un septième et dernier enfant, une autre Jeanne, le 17 Février 1733, alors que sa Mère avait déjà quarante ans.

Cette enfant mourut le jour même de sa naissance. Ainsi donc, aucun des trois derniers enfants du couple n'avait survécu.

 

GUILLAUME MARSAU REVENDIQUE LA DOT DE SA FEMME

Il nous faut maintenant revenir à la fin de 1727, pour relater le début d'un litige interminable qui allait opposer les MARSAU aux LARRUE.

Depuis quelques temps Guillaume MARSAU commençait à s'inquiéter. il y avait déjà plus de dix ans qu'il était marié, et les LARRUE ne lui avaient pas encore versé un seul sol de la dot qu'ils lui avaient promise.

Il avait été convenu en 1713 que le règlement s'effectuerait en huit ans, les deux premières années sans intérêt et les suivantes avec un intérêt de 5%.

Depuis lors, les Parents LARRUE avaient disparu, et la dette était passée sur la tète de leurs héritiers, les deux frères de Marie. Vers 1724, peut-être même avant, Guillaume commença à s'activer, et il comprit bien vite que ses Beaux Frères n'avaient pas les moyens de lui verser cette dot pas plus que les intérêts subséquents.

Ce fut bien autre chose lorsqu'il apprit que les LARRUE vendaient une part notable de leur propriété de LEOGEATS à une certaine Marguerite DUPRAT, Veuve de Pierre LAPORTE, habitante de la même paroisse.

C'était la garantie de sa créance qui allait s'évanouir.

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A l'évidence, il ne pouvait rester sans réaction. Le 2 Novembre 1724, il fit opposition au versement du prix de cette vente entre les mains de la veuve, ce qui lui permit d'avoir accès au contrat et de connaître les conditions financières de la transaction. C'est ainsi qu'il apprit que la vente avait été conclue pour le prix de 1350 Livres payables, 300 Livres à la St MARTIN, 11 Novembre 1727, et le solde dans un délai de dix ans.

Ce sont ces 300 Livres que Guillaume va faire saisir. Cela ne couvrira pas la totalité de la dette, car il ne faudra pas oublier la charge des intérêts échus, mais ce sera toujours une première sécurité.

Les choses vont alors aller très vite. Le 10 Novembre suivant, tout le monde va se retrouver à l'auberge de BALIZAC, en présence de Me BERNEDE. Il y a là Guillaume MARSAU, bien sûr puisqu'il est le moteur de l'affaire, Jacques LARRUE dit JACQUOT de BERNARD, lequel représente également les intérêts de son frère, un autre Jacques, qui est absent, et enfin Marguerite DUPRAT, la veuve qui vient de leur acheter leur propriété de LEOGEATS.

Là, on apprend que Pierre LAPORTE le fils de la Veuve a déjà remis 72 Livres à Guillaume. Elle s'engage à lui en remettre 118 autres dans le délai d'un an, le solde étant payé plus tard. Moyennant quoi, MARSAU accepte de lever son opposition. On pourrait croire que tout était ainsi réglé, il n'en est rien, et la suite ne manquera pas de le prouver.

Peut-être serait-il temps de situer un peu ces sommes dans l'échelle des valeurs de l'époque. Les comptes du Curé DUFOUR peuvent nous en fournir l'occasion, en même temps qu'ils peuvent nous donner de précieuses indications sur la vie économique de la Paroisse en ce premier quart du XVIIIème siècle.

 

LES COMPTES DU CURE ETIENNE DUFOUR

En sa qualité de clerc, le Curé DUFOUR avait le privilège de ne pas être soumis aux impôts civils, qu'ils soient seigneuriaux ou royaux . Mais il était soumis aux impôts
ecclésiastiques qu'il devait verser à l'Archevêque de BORDEAUX.

Le Curé percevait la Dîme sur les revenus de la terre dans sa paroisse, et sur le montant de ce revenu, il devait verser à l'archevêché une part dénommée "Quartières", complétées par un système assez complexe de décimes et de "charges extraordinaires" dans le détail desquels nous n'entrerons pas car ils nous entraîneraient très loin de notre propos.

La détermination de ces quartières se faisait sur la base des déclarations des Curés, revues et corrigées par les Bureaux de l'Archevêque qui décidaient en dernier ressort du montant de l'imposition et l'inscrivaient dans un document qui à partir de là, constituait le Rôle de l'impôt.

Est-il besoin de dire que les points de vue des Curés et des Bureaux de l'Archevêque ont toujours été irréductiblement opposés. Une longue plainte ne cesse de monter des presbytères du Diocèse , décrivant avec force détails toutes les charges vraies ou supposées dont seraient accablés les pauvres Curés, tandis que ces "Messieurs du Bureau" les rejettent systématiquement d'un trait de plume, soulevant ainsi de nouveaux torrents de déférentes récriminations...

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Dans une délibération de l'Assemblée Générale du Clergé de FRANCE en date du 12 Décembre 1726, il avait été décidé de procéder à un inventaire complet de tous les pouillés du royaume pour l'Assemblée suivante qui devait se tenir en 1730.

En application de ces dispositions, le Curé Etienne DUFOUR souscrivit sa déclaration sur la Paroisse de BALIZAC le 15 novembre 1728.

Elle ne manque pas d'intérêt.

Il commence par rappeler que ce sont les Chanoines des Chapitres d'UZESTE et de VILLANDRAUT qui nomment les Curés de BALIZAC, et que, pour prix de leur intervention, ils s'approprient un tiers du montant des Dîmes collectées dans cette Paroisse. Le Curé résidant ne perçoit donc à son usage que les deux tiers restants du revenu. Tout ceci est parfaitement exact.

Ces deux tiers, en 1725, représentent :
-180 Boisseaux de seigle vendus 4 Livres l'un ,soit 720 Livres ;
-25 Boisseaux de panis vendus 40 sols l'un, soit 50 Livres ;
-10 Agneaux à 30 sols pièce, soit 15 Livres ;
-10 Chevreaux à 15 sols pièce, soit 7 Livres 10 sols.

Avec quelques autres menues ressources, on parvient à un revenu total de 305 Livres. Il est par ailleurs bien précisé qu'il n'existe aucun autre revenu en vin, froment, millet ou filasse, et qu'il n'y a aucun casuel, les paroissiens "n'étant pas dans l'usage d'en payer."

Ce dernier point est assez général, les braves paysans voulaient bien payer la Dîme à leur Curé, car il fallait bien qu'il vive, mais ils entendaient qu'ensuite toutes les prestations de son ministère soient gratuites, sinon, ils auraient estimé, non sans quelques raisons, payer deux fois un même service.

Avant d'aller plus loin, il faut nous arrêter aux chiffres que nous fournit ainsi le Curé DUFOUR car ils sont précieux.

Les 180 Boisseaux de seigle représentant les deux tiers de la Dîme, c'est donc qu'en sa totalité, elle s'élevait à 270 Boisseaux. Sachant que le prélèvement sur les grains était, à BALIZAC, de 1/13ème, la récolte totale était donc treize fois supérieure, soit 3510 Boisseaux (environ 3615 hectolitres) pour l'ensemble du village. Un calcul identique conclura à une production de 502 hectolitres de panis.

On retiendra l'absence de froment. Elle n'est peut-être pas absolument totale, mais d'autres Curés, plus explicites nous disent, dans des paroisses voisines, qu'il s'en récolte si peu qu'ils négligent d'en prélever la Dîme.

Beaucoup plus surprenante, an tous cas, est l'absence de millet, car nous savons par ailleurs qu'il s'en récoltait, sans pouvoir pour autant apprécier l'importance de sa production. peut-être un usage local la tenait-il à l'abri de tout prélèvement. Cela se rencontre parfois dans certaines paroisses pour un produit donné, nais rien ne permet de dire que ce soit ici le cas.

L'absence de tout prélèvement sur la résine sera également à retenir. Par contre, l'absence de Dîme sur la filasse parait beaucoup plus logique.

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La culture du chanvre s'effectuait en plates-bandes dans les jardins proche des maisons, et, de toute tradition, les produits de ces jardins avaient toujours, dans certaines limites, échappé à tous les prélèvements décimaires.

Quant au petit bétail, pour lequel le taux de la Dîme était de 1/l0ème, on retiendra que la Paroisse voyait naître au moins 150 agneaux et autant de chevreaux. C'est en effet un minimum car, les animaux ne se divisant pas, le Curé ne prélevait rien sur les troupeaux produisant moins de dix têtes dans l'année. Or, il se pourrait bien que ces petits troupeaux aient été relativement nombreux, répartis dans des métairies modestes, et cela peut très bien fausser notre approche d'évaluation.

Le Curé DUFOUR passe ensuite à l'évaluation de ses charges.

Il décompte tout d'abord 27 Livres de "décimes" qu'il verse aux Chapitres d'UZESTE et de VILLANDRAUT pour les dédommager de ce qu'ils versent à l'Archevêché pour son compte au titre des deux tiers de la Dîme qu'il perçoit. Puis il y ajoute 60 Livres et 15 sols qu'il paye directement à l'Archevêché au titre de "Charges extraordinaires". Par deux canaux différents, c'est donc une somme totale annuelle de 87 Livres et 15 sols qu'il verse à son Archevêque.

Il estime ensuite qu'il expose 150 Livres de frais pour collecter sa Dîme.

La règle veut en effet que les Dîmes soient "quérables et non portables". Le paysan laisse les gerbes correspondantes à l'imposition sur le terrain ou les animaux au parc, et c'est au Curé d'aller les chercher sur place et de les ramener chez lui. Il lui faut donc embaucher des journaliers, des bouviers, et tout le personnel nécessaire pour faire le tour, de porte en porte, de toute la paroisse, battre les gerbes, vanner les grains, les ensacher, les porter au marché de son choix ainsi que les animaux collectés.

Il n'est pas douteux que ces frais de main d'oeuvre et de transport soient assez considérables. Certains Curés, en pareille circonstance, nous en fournissent parfois le détail. Ce n'est pas le cas ici, mais, en ordre de grandeur, l'estimation des 150 Livres qu'en fait le Curé DUFOUR est à peu près conforme aux chiffres habituels fournis par ses confrères ; des chiffres probablement surévalués, mais nous ne disposons pas des moyens nécessaires pour en critiquer l'assiette.

Enfin, notre Curé fait état d'une situation tout à fait spécifique de sa paroisse et qui est parfaitement exacte : il n'a pas de presbytère et vit au loyer dans une maison du village pour le prix de 30 Livres annuelles. Le presbytère de BALIZAC est en effet en ruine depuis longtemps pour un motif que nous n'avons pu jusqu'ici élucider (incendie ?  destruction ?) et il n'avait jamais été reconstruit. Ce loyer, aux dires du Curé, resterait à sa charge :

"plus pour le louage d'une maison, ny en ayant point, les paroissiens ne voulant point payer les 30 Livres chaque année.."

Ce point est probablement contestable car, vingt ans plus tard, en 1743, lorsque la Communauté paroissiale décidera enfin de reconstruire ce presbytère, les délibérants prendront précisément argument de ce loyer, qu'ils disent payer eux-mêmes, pour justifier leur investissement :

"depuis bien longtemps, ils sont obligés de payer un loyer de maison à leur dit Sieur Curé..."

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On ne peut prendre position a priori dans cette controverse, nais il était à coup sûr plus facile de déguiser quelque peu la vérité à un lointain Bureau d'Archevêché plutôt qu'à une trentaine de paroissiens, réunis sur place, devant un notaire, et qui, eux, ne pouvaient en aucun cas ignorer la provenance de l'argent du loyer...

Enfin, le Curé DUFOUR, détaille ses autres contraintes en nous éclairant, du même coup sur certains aspects de son mode de vie :

" il (me) faut nourrir un cheval dont la nourriture et entretien s'élève à 100 Livres, le foin étant fort cher dans les landes et n'ayant aucun domaine ; payer et nourrir un valet et une gouvernante et mon entretien.."

Les Bureaux de l'Archevêché avaient, sur la même situation, un point de vue très différent. La déclaration du Curé DUFOUR passa en commission le 15 Novembre 1723. Ses chiffres de 180 et 25 Boisseaux furent retenus sans discussion, ses évaluations à 4 Livres pour le seigle et 40 sols pour le panis également, mais "net de tous frais" ce qui évidemment changeait tout puisqu'il n'était plus ici question de frais de collecte

"Le Curé porte 150 Livres de frais pour lever la Dîme du blé, on comptera néant attendu la fixation du prix faite tous frais distraits."

Pas davantage question de retenir au titre des charges les diverses redevances déjà payées par le Curé

"Pour les décimes et autres impositions (montant) porté dans la déclaration (pour) 87L.15 s. sera tiré pour mémoire, ……."

Quant à la Dîme des troupeaux, elle fut portée des 36 Livres déclarées à 43 Livres 10 sols sans autre remarque ou quelconque justification. Décidément, cet Archevêque avait un coeur de pierre. En définitive, et c'est bien le paradoxe, la seule charge qui sera retenue sera celle des 30 Livres du loyer annuel, probablement la plus contestable de toutes.

Espérons qu'en ce mois de Novembre 1728, ce pauvre Curé DUFOUR et ses paroissiens avaient constitué de solides provisions de bois de chauffage, car ils allaient en avoir bien besoin. Un grand hiver les attendaient encore, un hiver comme il y en eut tant et plus au cours de ce XVIIIème siècle.

La période de grands froids commença le 23 Décembre et se prolongea, sans désemparer jusqu'au 26 Janvier, entraînant son cortège de misère habituelle pour le petit peuple des campagnes. Aucun témoignage spécifique ne nous est parvenu, sur ses conséquences à BALIZAC, mais nous savons que le froid fut si vif que toutes les vignes blanches des paroisses voisines périrent et qu'il fallut les replanter.

 

GUILLAUME MARSAU FIGURE AU NOMBRE DES NOTABLES LOCAUX

Guillaume a désormais, à BALIZAC, une place bien établie dans la communauté paroissiale. Il fait partie de ce que l'on appelait alors "la plus saine et majeure partie des habitants", entendons par là, les notables locaux appelés à décider des affaires de la Paroisse.

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Il n'y avait rien, en ce temps-là qui, en milieu rural, qui puisse ressembler à une administration municipale permanente. Lorsqu'il y avait une décision à prendre, les quelques notables du lieu se réunissaient en "Assemblée Capitulaire" et délibéraient en tant que de besoin.

Si l'affaire nécessitait un suivi, ils désignaient un Syndic qui la prenait en charge pour la conduire à bonne fin. Mais son rôle se limitait strictement à la mission spécifique qui lui avait été confiée par l'Assemblée, et si, d'aventure, un nouveau problème venait à surgir dans un autre domaine, il fallait convoquer une nouvelle Assemblée Capitulaire, et procéder à la désignation d'un autre Syndic qui pouvait très bien être une toute autre personne.

Seules, les villes avaient des institutions communales permanentes en la personne de leurs Jurats et de leur Maire.

Au long aller, l'Administration Royale avait fini par se lasser de ne pas trouver immédiatement dans les paroisses un interlocuteur responsable capable de répondre à ses besoins. La question était tout spécialement irritante en matière fiscale, un domaine auquel, on s'en serait douté, l'Administration portait une attention toute privilégiée...

Les impôts royaux et spécialement la taille, étaient levés par des collecteurs désignés parmi les contribuables eux mêmes selon un tour de rôle renouvelé chaque année. Chacun s'ingéniait à esquiver cette charge en usant de tous les prétextes imaginables.

Il s'ensuivait des contestations sans fin qui empoisonnaient souvent la vie locale. Les Déclarations du Roi de 1716, 1723 et 1726 avaient tenté de mettre de l'ordre dans tout cela eu instituant un Tableau de la Collecte, établi pour plusieurs années à l'avance et désignant dans chaque paroisse les personnes qui seraient en charge de l'établissement du Rôle de l'impôt et de sa perception.

Encore fallait-il tenir ce Tableau à jour, ce que l'on devait faire chaque année avant le ler Mai, en le purgeant des noms des disparus et de ceux: qui avaient quitté le village pour les remplacer par ceux de nouveaux propriétaires ou de nouveaux venus. Mais les incidents restaient nombreux, et personne n'avait compétence pour les régler sur place. Tout cela suscitait de nombreux recours devant la Cour des Aydes, la Juridiction fiscale de la Province, et elle s'en trouvait inutilement submergée.

Le 29 Juillet 1730, la "Souveraine Cour des Aydes et Finances de GUYENNE prit un Arrêt :

" rendu sur les conclusions de Monsieur le Procureur Général en laditte Cour, (ordonnant) que dans chaque paroisse du ressort d'icelle, il sera nommé un Sindic et qu'il en sera successivement et continuellement mis un à la place en cas de résolution ou de mort, et ce, pour le fait de la taille ou autres matières concernant la juridiction de laditte Cour des Aydes."

A BALIZAC on ne s'était pas spécialement pressé pour passer à l'exécution de cet Arrêt. Mais il fallut bien y venir.

Le temps passant, on finit par afficher ce texte à la porte de l'Eglise, en convoquant tous les notables du village en Assemblée Capitulaire pour le 14 Janvier 1731.

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Ce jour là, un Dimanche, dans l'après-midi, à la sortie des Vêpres, les intéressés se réunirent pour délibérer devant la porte de l'Église. Il y avait là Me Étienne DUFOUR, le Curé que nous connaissons déjà, Jean MARTINAUD, l'homme d'affaires du Marquis de PONS, représentant le Seigneur, et les notables locaux, dont Guillaume MARSAU, laboureur à TRISCOS. Et sans désemparer,

"après avoir mûrement réfléchi et colligé entre eux les voix (ils) ont . . . nommé pour sindic aux fins de l'exécution dudit Arrest Maitre Bernard LAFOURCADE..."

Ce LAFOURCADE, habitant au Bourg de BALIZAC, était Procureur postulant auprès du Tribunal de CASTELNAU de CERNES. Son expérience des affaires s'était évidemment révélée prépondérante au moment de sa désignation.

Ainsi allaient les choses de la Paroisse, mais Guillaume avait de son côté bien d'autres soucis en tête, et, le premier de tous, celui de finir de récupérer ce qui lui était dû par ses Beaux Frères sur la dot de sa femme Jeanne. Car les LARRUE ne donnaient plus signe de vie et jouaient manifestement l'expectative, comptant plus ou moins sur la lassitude de Guillaume. C'était mal le connaître. Dix huit ans d'attente n'avaient en rien entamé sa détermination à récupérer le montant de la dot qu'on lui avait promise. Après tout, c'était son droit le plus strict ainsi que celui de sa femme et il n'avait aucune raison d'en faire abandon à sa belle famille.
 

GUILLAUME MARSAU RELANCE SA BELLE FAMILLE A LAULAN

Las d'attendre, Guillaume avait relancé sa requête et systématiquement gagné tous ses procès. Ses droits étaient absolument incontestables et la justice les reconnaissaient chaque fois avec une belle constance, mais c'est tout ce qu'il en tirait car aucune exécution ne suivait..

Au début de1731, il était devant le Parlement de BORDEAUX, sur une telle affaire, il ne pouvait pas aller plus loin … Le 20. Juin, il en obtint des Lettres exécutoires définitives l'autorisant à faire saisir les biens des LARRUE. Et pourtant il n'en fit pas un usage immédiat. Bon prince, il tenta encore une dernière négociation amiable pour éviter d'en venir aux extrémités de la saisie. Peine perdue, il n'en tira rien de plus.

Au matin du 29 Avril 1732, soit donc dix mois après qu'il eût obtenu ses Lettres définitives, il se présenta à LAULAN, au domicile de Bernard LARRUE, en compagnie de Bernard DURON, Huissier de Justice résidant à UZESTE.

Et là, sur le pas de sa porte, l'Huissier lui fit commandement au nom du Roi de payer à GUILLAUME tout ce qu'il lui devait encore, en principal, intérêts, et frais de toutes sortes, lui déclarant que :

"faute dudit payement de laditte somme, et remize desdits meubles .... il sera tout présentement contraint par prises et saizies de tous ses biens meubles et immeubles (partout) où il en sera trouvé, (par) vente et incantation..."

Mais Bernard LARRUE ainsi interpellé :

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"nous a fait réponse qu'il n'a "(pas) à présent de l'argent pour païer laditte somme, laquelle (réponse) nous avons prise pour refeust. . . et accord (de sa part) de procéder (à la saisie)."

Mais les choses vont se compliquer, car la procédure exige de nommer deux séquestres qui vont désormais gérer les biens des LARRUE à leur place et percevoir les fruits de leurs propriétés pour les vendre à des tiers au profit de MARSAU. L'huissier s'adresse pour cela aux plus proches voisins des LARRUE qui, aussitôt se récusent et refusent cette mission passablement gênante;

"Nous sommes sortis dehors le domicile dudit LARRUE et nous sommes adressés à deux de ses plus proches voisins, les aïant requis et priés de venir avecq nous audit domicile dudit LARRUE pour estre présans à la saisie que nous entendons faire à son préjudice, lesquels voisins nous ont refusé de venir ny dire leur nom, ny surnom, ny signer leur refeust sur notre procès verbal..."

"nous sommes retournés au devant de la porte du domicile dudit LARRUE, laquelle nous avons trouvée fermée par ledit LARRUE, luy présent, luy aïant demandé de nous ouvrir laditte porte, lequel nous a refusé de (l')ouvrir...."

Qu'à cela ne tienne, l'Huissier, toujours suivi de Guillaume se rend sur chacune des parcelles de la propriété des LARRUE, terre, vigne, prairie, etc . . .qu'il décrit et délimite scrupuleusement,

"...lesquels bled, froment, panic, milhet, chanvre, vin, foin quy  pourront estre, la présente année, naissants et croissants, de quelles espèces et valeurs qu'ils puissent estre, par branches et racines dans les susdittes pièces... appartenant audit LARRUE...., nous avons le tout saizy et mis sous la main du Roy et de Justice..."

L'Huissier se rend en suite à LEOGEATS où il désigne deux séquestres un peu plus coopératifs que ceux de LAULAN et leur confie la gestion des biens des LARRUE, en présence du Sergent de la Juridiction de NOAILLAN et de son Homme d'Armes qui seront chargés de superviser l'opération.

Cette fois-ci, Guillaume avait vraiment mis au jeu les grands moyens.

Les LARRUE, quelle que fût leur obstination, ne pouvaient tout de même pas se rebeller contre le Roi, c'était beaucoup trop dangereux ; ils entrèrent donc, enfin, en négociation. Guillaume MARSAU, une fois encore se montra conciliant. En échange d'une hypothèque générale pour lui et sa femme sur les biens qui leur restaient, le 15 Juin 1732, il leur accorda un nouveau délai....

Le 17 Février 1733 naissait Jeanne MARSAU , septième et dernière enfant de Guillaume et de Marie. Cette dernière avait pour lors la quarantaine. Cette petite Jeanne ne vécut que quelques jours, peut-être même seulement quelques heures. Elle vécut en tous cas si peu que le Curé se borna à signaler son décès en marge de son acte de baptême sans même en préciser la date.

En ce mois de Février 1733, la situation générale était mauvaise. Frédéric Auguste II, Roi de POLOGNE, venait de mourir, ouvrant ainsi un nouveau conflit européen, la Guerre de Succession de POLOGNE . La guerre, toujours la guerre . . .

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Tout cela se passait, certes, bien loin de BALIZAC, mais la situation locale n'était pas beaucoup plus réjouissante.

A la Foire d'Octobre 1732, les vins s'étaient mal vendus sur la place de BORDEAUX, et la Foire de Mars 1733 accusa un net ralentissement des affaires. Or, quand le commerce bordelais se portait mal, toute la vie économique de la Province en pâtissait.

Les marchés locaux étaient moroses, les produits s'écoulaient mal et le petit peuple rural en supportait les dures conséquences jusqu'en ses villages les plus reculés. Ce fut pour tout le monde un très mauvais passage, tout au moins jusqu'à la fin de 1734 lorsque de bonnes récoltes vinrent enfin relancer les affaires.

Une année s'était presque déjà écoulée depuis que Guillaume MARSAU avait accordé un dernier délai de paiement à ses Beaux Frères LARRUE. Il en attendait au moins un petit geste de bonne volonté, rien n'était venu, et l'orage de la saisie passé, ceux-ci avait repris leur tactique d'attente et d'inertie. Guillaume revint donc devant le Parlement de BORDEAUX pour lui demander un nouvel ordre exécutoire qu'il obtint sans délai le 6 Juin 1733.

Cette affaire était en effet définitivement jugée et ne pouvait plus souffrir de remise en cause. Si son exécution n'avait pas abouti en Juin 1732, c'est tout simplement parce que Guillaume MARSAU avait accepté d'en interrompre le cours à a la prière des LARRUE. Mais cette fois-ci, il allait changer de tactique. Il se retourne vers la Veuve DUPRAT qui devait encore quelque argent aux LARRUE sur les 1350 Livres représentant le prix de la propriété qu'elle leur avait achetée en 1727. Le 30 Juin, il va, en ses mains, faire opposition à ce paiement. Mais il a un peu perdu cette affaire de vue et ne sait plus trop quel est le montant du solde que la Veuve DUPRAT a encore à régler aux LARRUE. Et comme elle ne parait pas mettre beaucoup de bonne volonté à le renseigner, il l'assigne devant le Tribunal Seigneurial de NOAILLAN pour le lui faire dire.

Cette fois-ci, les choses vont assez vite, puisque dés le 26 Novembre suivant, la Veuve déclare devant le Juge qu'elle doit encore 200 Livres aux LARRUE, ce qui rassure un peu Guillaume, mais, ne résout pas pour autant son affaire, car la débitrice n'est pas immédiatement solvable. Depuis maintenant vingt ans que dure cette affaire, Guillaume a eu le temps de cultiver la vertu de patience, mais il en aura encore bien besoin car il n'est pas encore, il s'en faut, au terme de son combat. En attendant, la vie continue...

 

GUILLAUME MARSAU DANS SON ROLE DE PERE DE FAMILLE

Quelques semaines plus tard, dans les tous premiers jours de l'année 1735, Guillaume MARSAU se vit une fois encore engagé dans de nouvelles procédures qu'il n'avait pourtant pas souhaitées. Cette fois-ci, c'était du fait de jeunes parents déjà un peu éloignés à la sollicitation desquels il lui fallut répondre.

Rappelons que Manieu MARSAU, Père de GUILLAUME avait, entre autres, eu une soeur, Miramonde, née vers 1653, qui avait épousé, en 1677, un certain Laurent DUBOURG. Elle en avait eu au moins un fils, Jean DUDOURG, dit DEBROQUETTE, qui s'était à son tour marié avec une certaine Jeanne DEPART.

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Ce couple avait eu trois enfants : Catherine, François et Pierre DUBOURG qui, tout juste sortis de l'adolescence, se retrouvèrent orphelins. Le Procureur d'Office du Tribunal de CASTELNAU, en charge des intérêts des mineurs orphelins de son ressort, les avait pourvus d'un curateur qui devait les prendre en charge jusqu'à leur majorité. Mais ces jeunes gens, qui, pour lors, pouvaient avoir de 18 à 21 ou 22 ans, n'avaient pas apprécié ce choix car ils avaient d'autres idées en tête. Catherine et Pierre auraient préféré avoir Guillaume MARSAU pour tuteur, tandis que le choix de François se portait plutôt sur un oncle paternel. Etant issus de germains, leur parenté commençait pourtant à être un peu éloignée, ainsi que le montre le tableau schématique ci-dessous :

 

Miramonde MARSAU
et Laurent DUBOURG

(Frère et Soeur)

Manieu MARSAU et
Jeanne DESCARPIT

Jean DUBOURG
et Jeanne DEPART

 

Guillaume MARSAU et
Marie LARRUE

              

Catherine, François, Pierre

 

 

 

Le droit coutumier tenait un assez bon compte du désir des mineurs dés lors qu'ils avaient au moins atteint la fin de l'adolescence. Ces jeunes gens s'adressèrent donc au Tribunal de CASTELNAU avec le concours d'un procureur postulant en lui demandant de ne pas donner suite à la désignation faite par le Procureur d'Office et de ratifier leur propre choix. Ils en obtinrent un jugement le 18 Janvier 1735. Faisant droit à leur demande, le Juge accepta leur proposition à la condition qu'un conseil de famille réunissant trois parents côté paternel et trois autres côté maternel atteste la capacité et la solvabilité de Guillaume MARSAU. Ce fut bientôt fait.

Le 19 Mars 1734, Guillaume recevait en sa maison de TRISCOS la visite d'Etienne PINSON Sergent Ordinaire de la Juridiction venu le convoquer pour  :

"être comparant lundi prochain vingt deux du courant à une heure de relevée au Parquet ordinaire dudit CASTELNAU de CERNES pour, là étant, y prêter le serment de curateur à Catherine et Pierre DUBOURG, suivant la nomination qui en a été faite... "

C'est ainsi que le 22 Mars, Guillaume, en plus des affaires auxquelles il avait à faire face, se vit charger de la curatelle de deux de ses jeunes cousins. En fait, il semble bien que cette charge n'ait pas été trop contraignante, car ces jeunes étaient déjà pratiquement autonomes, et leurs affaires familiales à peu près en ordre.

         Le temps avait passé. Jeanne MARSAU la fille aînée de Guillaume et de Marie LARRUE , était déjà en âge de mariage Elle en trouva parti auprès de Guillaume DEPART avec qui elle passa contrat le 11 Janvier 1736.

Elle allait quitter sa .maison de TRISCOS pour s'installer "nore" chez ses Beaux Parents DEPART. Ce faisant, elle n'allait pas se trouver trop dépaysée puisqu'ils habitaient au Quartier de MOULIEY, à 500 mètres, à vol d'oiseau de sa maison natale. La mariage fut célébré à BALIZAC le 7 Février 1736, elle avait 21 ans et 3 mois.

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La première naissance ne tarda guère. Une petite Jeanne DEPART vit le jour au Quartier MOULIEY dés le 18 Juin 1737. C'était la première petite fille de Guillaume, et il en fut le Parrain. Mais hélas, la jeune Mère, Jeanne MARSAU ne survécut pas à cette naissance. De tels drames, à l'époque, n'étaient malheureusement pas exceptionnels. Elle n'avait pas encore 23 ans.

Dans une quittance du 29 Décembre suivant, Arnaud  DEPART Beau Père de la défunte Jeanne reconnaissait solennellement avoir bien reçu des MARSAU l'intégralité de la dot de leur fille défunte, telle qu'elle avait été prévue datas son contrat de mariage de Janvier 1736.

Ce document, qui parait un peu insolite en une telle circonstance, avait pour but de garantir les droits futurs de la jeune orpheline. La petite Jeanne DEPART avait en effet incontestablement hérité de la dot de sa Mère, et il convenait qu'elle en recouvre le montant, dans 25 ans de là, lors de sa majorité.

Elle n'en eut malheureusement pas la loisir car elle mourut son tour deux ans plus tard, le 13 Décembre 1739. Aucun lien ne subsistant plus désormais entre les deux familles, la dot de feue Jeanne MARSAU fut alors restituée à ses Parents par les DEPART dans les conditions que nous aurons l'occasion d'évoquer un peu plus loin.

 

LES BALIZACAIS EN BUTTE AUX SOLLICITATIONS DES PREIGNACAIS

Il nous faut revenir quelques mois en arrière pour dire que Guillaume n'est pas content, mais pas du tout content. Et il n'est pas le seul, il s'en faut. Tout BALIZAC vibre d'indignation devant une prétention formulée très officiellement par les manants de PREIGNAC, une prétention qui vient les solliciter jusqu'au fond de leurs pignadas, à l'occasion d'une affaire qui, estiment-ils, ne les concerne pas, mais à laquelle on cherche à les mêler indûment.

Les habitants de PREIGNAC s'étaient en effet en mis en tête de faire paver leur Grand Chemin Royal (l'actuelleD.113) à la traversée de leur village. Personne à coup sûr n'y voyait d'inconvenient, pourvu que ce fut à leurs frais. Mais les Preignacais avaient tout bonnement imaginé de faire partager ces f rais par toutes les Paroisses de la contrée en estimant que leurs habitants seraient bien aise de trouver un bon chemin pavé dans leur village.

A cet effet, ils avaient adressé une supplique à l'intendant de BORDEAUX, lequel n'y vit pas, lui non plus, d'inconvénient, à la double condition toutefois que le Trésor Royal n'y prit aucune part, et que, par ailleurs, les manants concernés, dans les autres paroisses, acceptent expressément d'apporter leur contribution volontaire. Il prit une Ordonnance en ce sens le 17 Septembre 1735.

Et c'est ainsi que, sans perdre une minute, dès le lendemain, le nommé     LABAT, Collecteur de la Paroisse de PREIGNAC signifie cette décision à ses collègues de BALIZAC.

Ceux-ci convoquèrent une Assemblée Capitulaire qui se réunit le Dimanche 2 Octobre, à la sortie de la Messe, devant la porte de l'église dans le cimetière de BALIZAC. Les 24 principaux propriétaires de la Paroisse, dont Guillaume  MARSAU s'y  retrouvèrent :

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"et plusieurs autres des principaux manants et habitants taillables".

Les voilà tout aussitôt engagés dans une discussion très animée. Ils sont pourtant tous d'accord. Ils ne paieront pas un rouge liard à ces manants de PREIGNAC, disant que leur :

"paroisse doit .. être véritablement regardée conne étrangère à ces réparations.. (parceque)..la rue que les habitants de PREIGNAC entendent faire paver n'aboutit en aucune manière au chemin qui conduit (au) présent lieu (et) parcequ'il est connu du public que les denrées qui sont recueillies dans la présente paroisse se consomment . . . . dans ce lieu (et que) s'il est question de vendre quelques kas (charrettes) de bois et quelques milliers d'ouvres de pin (bois de chauffage), c'est aux Ports de BARSAC et PODENSAC qu'on les charroyera et non jamais à PREIGMAC (dont le Bourg est) absolument inutile aux habitants de BALIZAC qui ne l'utilisent en aucune façon."

La demande fut donc rejetée par l'Assemblée "d'une commune voix" et BALIZAC ne participa en rien à ce financement. Cette affaire nous confirme ce que d'autres textes nous avaient suggéré quant aux relations commerciales avec la vallée de la GARONNE. En ce qui concerne BALIZAC, les voici donc désormais bien définies.

Si Guillaume MARSAU avait esquivé ce surcroît d'impôts, il ne put échapper pour autant au doublement de son cens seigneurial an 1737. Son Seigneur étant mort cette année-là un nouveau Seigneur devint Baron de BALIZAC. En un tel cas, le Droit féodal prévoyait que, pour l'année de la mutation, et celle-la seulement, le montant du cens était doublé. C'est ainsi que Guillaume dût, en cette occasion, acquitter une sonne de 2 Livres 6 sols et 8 deniers au lieu et place des 23 sols 4 deniers habituels. Mais c'était peu de choses au regard de sa préoccupation majeure, lancinante, toujours la même, comment récupérer enfin le solde de la dot de sa femme ?.

 

GUILLAUME RECUPERE  ENFIN L'ESSENTIEL DE LA DOT DE SA FEMME

Au début de 1737, la Veuve DUPRAT vint à mourir, son fils, Pierre LAPORTE hérita de ses biens, mais aussi du solde de sa dette envers les LARRUE. Voilà qui allait encore un peu plus compliquer une affaire déjà bien mal engagée. Guillaume MARSAU voit bien le danger et relance aussitôt son action. Les 20, et 25 Avril, il assigne successivement les LARRUE et Pierre LAPORTE en paiement des sommes qui lui restent dues. C'est pour lui l'occasion d'expliquer au Juge quelle a été sa longue patience et son espoir de voir régler cette affaire familiale au mieux si toutefois les LARRUE avaient accepté d'y mettre un peu de bonne volonté.

Mais ils n'ont jamais fait le moindre geste, sinon sous la contrainte, et chaque fois que Guillaume a un peu relâché sa pression, ils en ont profité pour se réinstaller dans leur inertie. Maintenant tout cela est bien fini, il veut son dû, et tout de suite avant que les sommes consignées entre les mains de la Veuve DUPRAT ne se diluent dans sa succession.

Sa plainte est accueillie et son affaire est appelée à CASTELNAU à l'audience du 29 avril. Ni les LARRUE ni Pierre LAPORTE ne s'y présentent. Le Juge donne acte de leur défaut et renvoie l'affaire au 6 Mai.

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A cette nouvelle audience, nouveau défaut.

Mais on apprend que Pierre LAPORTE, depuis le 27 Mars, a consigné une somme de 298 Livres 12 sols entre les mains d'un certain Jean DUSIRE, à LEOGEATS. Il affirme que cette somme représente l'intégralité de ce que sa Mère devait encore aux LARRUE, capital et intérêts compris.

Ce dépôt, effectué entre les mains d'un tiers, est à la disposition de celui que la Justice désignera. Pour sa part, il ne veut plus entendre parler de cette affaire qui, désormais ne le concernera plus.

Voilà qui pourrait faire avancer notablement les choses. Mais les LARRUE sont pleins d'expédients. Jacques LARRUE, le frère, celui que, jusqu'ici, on n'a jamais vu paraître en première ligne, assigne Guillaume MARSAU en prétendant que non seulement il est déjà, payé, mais qu'il est même trop payé, et il l'appelle en reddition de comptes aux fins de restitution de l'indû ... C'est, autant dire, relancer un nouveau procès qui pourra bien durer quelques années encore.

Pour comble de malheur, voici qu'un certain DUBERNET, dit ROUPET, entre en lice et fait valoir qu'il détient lui aussi une créance sur les LARRUE. Il prétend même qu'elle est prioritaire et demande qu'elle soit payée par un prélèvement sur les 298 Livres consignées entre les mains de DUSIRE...

Mais le Juge a bien compris, cette fois, que les LARRUE cherchent à "embarrasser l'affaire". Il réunit toutes les causes dans une seule instance et veut procéder à une confrontation générale.

La date en est fixée au 20 mai. Seul, MARSAU s'y présente, tons les autres font défaut. Il s'ensuit toute une série de convocations, de plaidoiries et de nouveaux défauts dans le détail desquels il serait bien fastidieux d'entrer. Mais on sent que cette fois-ci, l'affaire avance, le Juge a bien compris de quel côté était le bon droit et ne se laissera plus entraîner dans des procédés dilatoires. Il n'empêche qu'il y en aura d'autres. En particulier, Bernard LARRUE fait tout à coup valoir que son Père, dans son testament, lui a donné 100 Livres que doit lui payer son frère Jacques ; et il prétend les prélever, lui aussi, en priorité, sur les mêmes 298 Livres déposées entre les mains de DUSSIRE ; des Livres décidément très convoitées...

Désormais, rien n'y fait, la cause est entendue. Le paiement de la dot à Guillaume MALSAU par les LARRUE est garanti par une hypothèque sur tous leurs biens depuis le contrat de mariage passé le 7 Juin 1713.

Tous les procès successifs l'ont reconnu et confirmé jusque devant le Parlement de BORDEAUX. Si Bernard LARRUE a droit à 100 Livres, c'est son affaire, mais son hypothèque les garantissant ne peut dater que du décès de son Père, donc, bien après 1713. De même a-t-il peut-être bien une créance valable ; rien ne s'opposera donc à ce qu'il l'exerce sur les sommes déposées entre les mains de DUSIRE, mais après règlement des droits de MARSAU, s'il en reste.

Passons sur toutes les audiences qui se sont succédées avant d'en venir à cette conclusion.

La sentence définitive est rendue le 2 Juillet 1737.

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Le 30 Juillet suivant dans l'après midi, Guillaume MARSAU se rend chez Jean DUSIRE, au Bourg de LEOGEATS, où il retrouve Me PERROY, Notaire, venu de NOAILLAN. Et 1à, en exécution du jugement définitif du 24 Juillet, il se voit remettre :

" la somme de deux cent vingt une Livres deux sols, en trente six doubles écus d'argent de la dernière marque valant six Livres pièce, un demi écu valant trois Livres et vingt un sols marqués valant deux sols pièce, le tout ayant cours, faisant ladite somme . . ."

I1 ne restait plus en litige que quelques dizaines de Livres relatives à des frais de justice encore en suspens; mais l'essentiel de l'affaire était désormais réglé. Ne doutons pas des sentiments de Guillaume rentrant ce soir-là à TRISCOS, serrant sa bourse contre lui.

Il y avait plus de 24 ans qu'il attendait ce moment....

Il lui avait fallu beaucoup de patience et d'obstination pour parvenir à ce terme; il lui en faudra pas mal encore pour obtenir la complète récupération de ses frais, mais il y parviendra, nous le verrons, c'était un obstiné...

 

LA SUCCESSION DE JEANNE MARSAU EPOUSE DEPART

Nous avons déjà relaté les décès successifs de l'infortunée Jeanne MARSAU et de sa fille, et nous avons vu comment ils avaient rompu les liens unissant les deux familles. Restait à liquider la situation de droit qui en était résulté. Ce fut bientôt fait, et même très vite fait.

La petite Jeanne était morte le 18 Décembre 1739, et dès le 29 du même mois, les deux pères de famille se retrouvaient à MOULIEY, dans la maison des DEPART, en présence de Me DARROMAN, Notaire que l'on avait convoqué pour dresser le procès verbal de la transaction qui allait suivre.

Il est intéressant de noter que seuls, les deux Pères participèrent à cette négociation. Guillaume DEPART, le jeune veuf, n'y assista même pas alors qu'avant toutes choses, il s'agissait pourtant de sa situation personnelle et de ses propres affaires. Cette société était essentiellement patriarcale et nul ne trouvait alors à y redire.

Dans le contrat de mariage du 11 Janvier 1736, Guillaume MARSAU, avait doté sa fille d'un mobilier et de linge qu'elle devait recevoir la veille de ses noces, ainsi que d'une somme de 300 Livres payable dans les cinq ans à venir, les deux premières années sans intérêt, les suivantes au taux de 5% ; un "gain nuptial" de 30 Livres avait en outre été prévu au bénéfice de l'époux survivant en cas de décès de l'un d'entre eux. Les meubles promis avaient bien été livrés au jour dit, comme convenu, mais la dot en argent n'avait pas encore été payée.

Le jeune veuf avait donc droit aux 30 Livres de son gain nuptial et aux intérêts échus sur les 300 Livres promises, tels qu'ils avaient couru au-delà de l'échéance des deux ans, c'est à dire à partir du 11 Janvier 1738 jusqu'au décès de l'enfant qui était venu rompre le lien familial, soit donc sur un peu plus de 23 mois. Le montant en fut arrêté à 28 Livres 2 sols  6 deniers. Mais la transaction pousse plus loin les choses. En effet, ce sont les DEPART qui ont payé les "frais funèbres" de l'enterrement de la jeune femme.

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Si la petite Jeanne avait survécu, ils en  auraient conservé la charge, tout comme ils auraient conservé la dot de sa Mère pour la lui remettre plus tard, à sa majorité ou lors de son mariage. Mais puisque tel n'est plus le cas, ils restituent la dot aux MARSAU et Guillaume va leur rembourser les frais funèbres de sa fille, soit 20 Livres. Ainsi le voulait la Coutume et, dans le contexte du temps, cette négociation qui nous surprend un peu, était parfaitement naturelle.

Ainsi donc, et pour résumer, Guillaume MARSAU se trouvait débiteur envers les DEPRAT de 30 Livres de gain nuptial, des 23 Livres 2 sols 6 deniers d'intérêts sur les 300 Livres de dot qu'il n'avait pas eu le loisir de verser, et des 20 Livres de frais d'obsèques de sa fille, soit un total de 73 Livres 2 sols 6 deniers qu'il régla sur le champ à Arnaud DEPART en écus d'argent de six Livres pièce et en menue monnaie. Dans le même temps, Arnaud DEPART lui restituait :

" l'ameublement en la même quantité et qualité"

qui avait été prévu au contrat de mariage. Cette affaire, réglée entre gens de bonne foi n'avait donné lieu à aucune contestation.

Sur les sept enfants qu'il avait eus avec Marie LARRUE son épouse, Guillaume MARSAU n'en avait plus désormais que deux :  Mathive qui avait alors 19 ans, et Pierre, qui en avait 15.

Un an plus tard, à l'âge de 17 ans, ce garçon allait contracter mariage avec Pétronille DUPEYRON, une fille de LEOGEATS.

Mariage curieux à bien des égards ; du fait du jeune âge de l'époux, certes, mais bien plus encore du fait que la jeune épouse avait six ans de plus que lui... Fait rarissime, et pratiquement resté unique dans toute la chronique locale. Nous aurons l'occasion de revenir en détail sur ce mariage en évoquant, dans le prochain Chapitre la vie de ce Pierre MARSAU qui est à l'origine de toute la  descendance de la famille DARTIGOLLES.

 

L'AFFAIRE DE LA LANDE DE CANTAU

C'est vers la même époque qu'éclate l'affaire dite " de la Lande de CANTAU", une affaire dont nous savons qu'elle fit pas mal de bruit, qu'elle dura très longtemps, avec de lourdes conséquences financières pour certaines des parties, et sur laquelle nous sommes finalement assez mal renseignés,

Cette Lande se situait aux confins de BUDOS, BALIZAC et GUILLOS. Son statut, avec le temps, était devenu un peu confus, et les habitants des trois paroisses y envoyaient paître leurs bestiaux. Les choses auraient pu continuer d'aller de ce train là s'il n'y avait eu des abus qui commencèrent être sérieusement dénoncés, précisément à partir de 1741.

De temps immémoriaux, il était convenu que chacun pouvait prélever sur les vacants les bruyères qui étaient nécessaires à son exploitation. De très précieuses bruyères car elles conditionnaient la chaîne litière/fumier/engrais indispensable à toutes cultures. Encore fallait-il que les prélèvements de chacun fussent raisonnables et mesurés pour assurer la cycle naturel du renouvellement.

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En particulier, il était rigoureusement interdit, dans chaque paroisse, d'en f aire commerce et d'en exporter dans les paroisses voisines. Or, les paroisses de la proche vallée de la GARONNE, grosses consommatrices d'engrais pour leurs vignes et à peu près totalement dépourvues de bruyères, faisait une pression permanente sur les paroisses situées en lisière de la lande pour s'en procurer. Il s'était ainsi établi de véritables courants de contrebande particulièrement lucratifs.

Encore fallait-il ne pas se laisser prendre, car, chacun surveillant son voisin, la suspicion était partout. Quelques Budossais se laissèrent entraîner dans ce coupable commerce, sur le territoire de leur propre paroisse, et ce fut l'occasion de quelques retentissantes affaires. Mais il y en eut bien d'autres et ce sont ces abus qui déclenchèrent l'affaire de la Lande de CANTAU, dans laquelle on vit chacune des paroisses plaider contre les autres.

Ce dossier est perdu, nous n'en connaissons que la fin, et encore tout à fait par hasard. Mais il serait bien étonnant que Guillaume MARSAU n'en ait pas attentivement suivi les développements. Nous savons en effet par ailleurs, et nous le découvrirons un peu plus loin, que les MARSAU envoyaient volontiers leurs animaux sur la Lande aux environs de BERNADET, aux confins des trois paroisses. Ces lieux leur étaient donc familiers.

Tout ce que nous savons de cette affaire, c'est que, de procès en procès et d'instances en appels, elle se prolongea jusqu'en 1758 pour se terminer autour de la Table de Marbre du Parlement de BORDEAUX par une condamnation des Budossais. Et c'est parce que les frais de justice laissés à leur charge dépassaient nettement leurs moyens (799 Livres ! …) que nous avons eu connaissance de ce dossier. Ils furent en effet obligés de demander à l'Intendant l'autorisation de lever sur leur Paroisse un impôt spécial pour en couvrir le montant en le répartissant entre eux. La note d'un secrétaire de l'Intendance expliquant cette situation à son Maître, seule, nous est parvenue.

 

LE CURE DUFOUR TIENT LA BANQUE

Lorsqu'en Novembre 1728, nous nous étions intéressés aux comptes du Curé DUFOUR, il nous avait presque convaincu de son indigence et nous avions noté la rude intransigeance de l'Archevêque à son égard.

La situation matérielle des Curés était en fait très éventaillée. Certains disposaient de revenus tout à fait considérables et d'une très confortable aisance ; c'était le cas semble-t-il de quelques paroisses du MEDOC viticole.

Mais d'autres étaient franchement misérables. Ainsi, la Paroisse d'ORIGNE n'a jamais vraiment réussi à faire vivre normalement  son Curé. Ses revenus étaient si modestes que la Dîme perçue ne lui permettait pas de subsister.

A plusieurs reprises, ORIGNE s'est ainsi trouvé sans Curé titulaire et rattaché en annexe tantôt à BALIZAC, et tantôt au TUZAN. Il semble bien que seuls aient survécu durablement en cette cure les prêtres disposant par ailleurs de revenus personnels. C'était par exemple le cas de Démétrius MOLONY, Prêtre Irlandais, originaire du diocèse de ROSSENBERY, qui était précisément titulaire de cette Paroisse en ce moment da notre histoire.

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 Qu'en était-il exactement de la situation du Curé DUFOUR ? Certes, BALIZAC ne figurait pas au nombre des paroisses privilégiées recherchés par les clercs en quête de carrière ; mais ses revenus devaient permettre à son Curé de vivre à peu près normalement.

En tous cas, Me Étienne DUFOUR montra bien qu'il avait les moyens de prêter 60 Livres à un maçon de BUDOS le 13 Février 1740 ; elles lui seront d'ailleurs restituées dès le 21 Août suivant.

Mais c'est bien autre chose lorsqu'on le voit prêter 200 Livres à un certain LACASSAGNE, le 30 Juillet 1741, pour une durée de trois ans, ce qui ne l'empêche pas d'en prêter 60 autres à un certain Pierre LARRIEU, pour deux ans, le 15 Janvier 1742, et 54 Livres de plus le 24 Septembre de la même année à un certain Jean DEPART dit CHICOY. Alors qu'il n'était pas encore remboursé de ces avances, il prêtera encore 100 Livres, le 3 Novembre 1743, pour un an, à Arnaud DEPART que nous venons tout juste de rencontrer au Quartier de MOULIEY en négociation avec Guillaume MARSAU au sujet de la succession de sa fille.

Nous arrêterons là ces quelques investigations, elles suffiront à montrer que le Curé DUFOUR, quoiqu'il ait pu en dire à son Archevêque une douzaine d'années auparavant, disposait de quelques moyens financiers. Certes, ces prêts ne lui rapportaient aucun intérêt en argent puisque le Droit Canon interdisait aux Clercs d'en percevoir. Mais il devait bien en tirer quelques avantages en nature. Ce pouvait être quelques charrettes de bois ou quelques journées de travail ou de transport, ou Dieu sait quoi encore, car les textes, sur ce point, restent d'une remarquable discrétion.

Un peu rassurés sur les conditions de vie de ce brave Curé, nous allons l'être également, et dans le même temps, sur les finances de la Paroisse.

 

LA FABRIQUE PAROISSIALE DE BALIZAC RECOIT UN HÉRITAGE

Ne confondons pas les finances de la Paroisse avec celles du Curé, même si, en quelques endroits, comme à BUDOS par exemple, quelques Curés particulièrement autoritaires avaient une fâcheuse tendance à les mélanger quelque peu. Il ne semble pas que cela ait été le cas à BALIZAC. Le Curé disposait de ses ressources qu'il gérait à sa guise, et la Paroisse les siennes, confiées à une "Fabrique" gérée par un "Fabriqueur". .Nous nous souviendrons ici que le vieux Pey MARSAU avait tenu cette fonction à BALIZAC au milieu du XVIIème siècle. Pour l'heure, elle était confiée à Jean LAPIOS, un laboureur local.

La Fabrique paroissiale devait faire face aux dépenses d'entretien de l'Eglise, des bâtiments paroissiaux et du culte. Les constructions éventuelles, les réparations, les achats d'ornements, le luminaire courant, etc... étaient à sa charge. Ses recettes provenaient des revenus fonciers donc elle pouvait disposer et des dons qu'elle recevait. Son patrimoine provenait en général de legs testamentaires ; ce pouvait être une terre, une prairie, un bois par exemple que le Fabriqueur affermait à un particulier et dont il reversait la produit à la caisse commune.

Or, à BALIZAC, la Fabrique ne disposait d'aucune dotation foncière ; il ne lui restait donc que les dons.

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Elle en recevait, certes, mais bien modestes.

C'étaient 30 sols ici, 5 ou 6 Livres là, légués par un testateur en veine de générosité pour se ménager quelques grâces dans l'au-delà, ou bien quelques offrandes à l'occasion d'évènements familiaux, baptêmes ou mariages par exemple. Mais tout cela, à BALIZAC, restait très, très modeste.

Lorsque les Seigneurs locaux résidaient sur place, il leur arrivait de manifester quelques largesses au bénéfice de la communauté lorsqu'il fallait réviser une toiture ou procéder à un aménagement quelconque. Mais quand le Seigneur habitait à PARIS, ou même à BERLIN, comme ce fut le cas pour BALIZAC, il ne fallait guère en attendre un grand secours. Ceci explique comment, le presbytère ayant été détruit, dans des conditions non précisées, la Paroisse avait été bien incapable de trouver les fonds nécessaires à sa reconstruction. Nous ne disposons pas de ces comptes de Fabrique, mais ils ne pouvaient excéder quelques dizaines de Livres annuelles, peut-être pas beaucoup plus d'une centaine.

Or voilà que soudain, par la vertu d'un legs testamentaire, cette Fabrique de BALIZAC va disposer de moyens sinon importants, du moins confortables au regard de la modicité habituelle de ses revenus.

L'affaire n'avait été ni simple, ni facile.

Me DEROCHE, un ancien Cure du lieu, en était parti depuis bien longtemps, mais il avait dû conserver un bon souvenir de  son ancienne Paroisse car, à la fin de ses jours, il avait légué à sa Fabrique une somme importante qui, avec les intérêts, représentera 503 Livres au moment de sa liquidation.

Son héritier naturel n'avait pas beaucoup apprécié ce legs et n'avait mis aucun empressement à l'exécuter, c'est le moins que l'on puisse dire. Il avait fallu aller en Justice pour l'y contraindre. Et quand on saura que cet héritier n'était autre que Mr PINEAU, Conseiller du Roi en la Cour des AYDES de GUYENNE , on se doutera bien qu'il n'était pas facile de plaider contre lui …

C'est bien pourtant ce que dut faire le Fabriqueur de BALIZAC. I1 lui fallut aller jusque devant le Sénéchal da GUYENNE et ce fut si long que les deux protagonistes eurent le temps de mourir avant que l'affaire ne fut tranchée. Elle finit par l'être au bénéfice de la Paroisse et les héritiers de Mr PINEAU commencèrent à s'acquitter de leur dette par versements successifs. Le dernier se fit à BALIZAC, dans l'après midi du 9 Octobre 1742, "au domicile de Monsieur le Curé".

C'est là que le Sieur DEPART, habitant de SAUTERNES et homme d'affaires des héritiers vint verser à Jean LAPIOS, le nouveau Fabriqueur :

"la somme de quatre vingt Livres pour reste et final payement de celle de cinq cens huit Livres léguée à la Fabrique de la présente Paroisse par feu Monsieur DEROCHE, cy-devant Curé d'icelle Paroisse par son testament..."

Il y ajouta 10 Livres, qui devaient revenir à la Fabrique, pour liquider les derniers dépens du procès.

Au terre d'a cette longue aventure judiciaire, la Paroisse de BALIZAC se retrouvait à la tête d'un petit capital qui, pour être modeste, dépassait de beaucoup tout ce qu'elle avait jamais pu posséder.

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Elle allait en avoir bien besoin, six ans plus tard, ainsi que nous le verrons pour reconstruire son presbytère.

 

 DES PROBLEMES DE SANTE

Des problèmes de santé venaient de se manifester chez les MARSAU. Des problèmes graves. Déjà, le 11 Novembre 1741, un certain Pierre PINGUET dont nous ne savons rien d'autre  était mort à TRISCOS "dans la maison de Pierre MARSAU."  Trois jours plus tard, un autre Pierre PINGUET âgé de 5 ans, fils du précédent, mourrait àl son tour au même lieu. A la vérité ce genre d'événement n'était pas exceptionnel .C'était, le plus souvent la conséquence directe d'une épidémie. Ces PINGUET vivaient manifestement chez les MARSAU.  Mais qui pouvaient-ils bien être ?

Des domestiques permanents ou bien quelques pauvres gens de passages recueillis, selon un usage courant, pour quelques jours seulement. Nous ne le saurons pas. La seule certitude est que personne, dans la famille des MARSAU, ne succomba cette fois-là aux atteintes de cette épidémie. Laquelle au demeurant ? En ces années là, ce pouvait tout aussi bien être la variole que le choléra. Nous ne le saurons pas davantage.

A quelques temps de là c'est Guillaume MARSAU qui, par suite de maladie, se trouva en danger. Au matin du 24 Mars 1742, il fit appel à Me LAFOURCADE, Notaire à BALIZAC, pour lui dicter son testament. Celui-ci le trouva dans sa maison de TRISCOS :

"retenu malade dans son lit, de certaine maladie corporelle, néanmoins en son bon sens et mémoire."

Guillaume demande â être inhumé dans le cimetière paroissial de BALIZAC, et s'en remet à sa veuve pour ses honneurs funèbres :

"la priant de s'en acquitter le mieux qu'elle pourra suivant l'uzage et coustume du présent lieu."

Il lègue 9 Livres à son Curé pour célébrer 18 Messes de Requiem à son intention dans l'année de son décès. Il donne 4 Livres à la Fabrique de l'Église et 4 autres Livres aux pauvres de la Paroisse. Des sept enfants qu'il a eus avec Marie LARRUE son épouse, il en reste deux toujours, vivants Mathive qui a maintenant 20 ans ½ et Pierre qui va en avoir 18 dans quelques semaines. Mathive est encore célibataire tandis que Pierre (et nous avons déjà souligné combien cela pouvait être exceptionnel) était déjà marié depuis un an. Guillaume donne 400 Livres de dot à sa fille, payables en deux fois, savoir :

"300 Livres quatre ans après qu'elle sera mariée, deux ans sans intérêt et les deux autres années avec l'intérêt au denier vingt(5%)jusqu'au dit payement"

et les 100 autres,  réglées par son frère, sitôt après le décès de Marie LARRUE leur Mère  également sans intérêt jusqu'à cette date. Il lui constitue aussi un trousseau qui devra lui être remis par sa mère huit jours avant ses noces et il donne le détail. Elle recevra un lit garni : 

"de sa coitte et de son traversier honètement garny de plume..."

plus une courtepointe garnie de laine, un tour de lit et ses rideaux en tissus de Cadix, six draps d'atramat, (toile de chanvre de qualité intermédiaire) douze serviettes de brin (la plus fine des toiles de chanvre),

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 une nappe de toile de deux aunes et demi (soit 2m,96), un coffre de bois de peuplier fermant à clé d'une contenance d'un peu plus de 300 litres, le tout, neuf. Quant à son habillement, qui est aussi prévu, on ne fera pas de folie somptuaire chez les MARSAU. Mathive recevra une paire de brassières en camelot de Cadix d'AIGNAN . Il ne sera prévu ni robe ni souliers. Le mariage, dans ces familles rurales, est pourtant bien la seule occasion pour une jeune femme de se voir offrir la robe de sa vie. Mathive s'en passera. Et il est bien précisé que si elle ne s'en contente pas, elle sera automatiquement réduite à sa "légitime" coutumière, à savoir 5 sols . . . Guillaume institue enfin son Fils Pierre comme son légataire universel pour tout le restant de ses biens, mais il en laisse l'usufruit à sa femme Marie :

"gardant viduité et non autrement"

Cette clause est très fréquente. Les pouvoirs d'un mari sur les biens de sa femme étaient alors si étendus qu'il pouvait complètement transformer la physionomie du patrimoine, voire même en dilapider une bonne part avant qu'elle puisse demander l'assistance de la Justice. Guillaume a donc tout lieu de se méfier d'un remariage éventuel de sa veuve, car s'il veut bien assurer son avenir en lui laissant l'usufruit de ses propriétés, il entend bien aussi que son patrimoine parvienne intact entre les mains de son Fils Pierre. Enfin, Guillaume charge sa femme
de faire faire un inventaire :

"par ministère de Notaire, soudain son décès arrivé"

Il entend par là qu'elle soit à l'abri de toutes chicanes ultérieures avec ses enfants, tout en écartant la solution drastique de la vente aux enchères de tous les meubles, laquelle remet en cause toute la vie de la famille et se révèle toujours ruineuse pour les survivants. Enfin, l'ensemble de la succession est estimée à 1200 Livres. C'est une indication intéressante, mais qu'il faut accueillir avec prudence. La valeur estimée du patrimoine, dans un testament, n'a d'autre but que de fournir une assiette à l'imposition des droits d'enregistrement ad valorem. On se doutera bien que son montant était systématiquement minoré, mais néanmoins avec mesure car l'Administration Royale, dont les représentants étaient très proches du terrain, ne se seraient pas laissé lourdement abuser. Avec un patrimoine de 1200 Livres avouées, les MARSAU ne pouvaient être tenus pour de très riches laboureurs, mais disposaient d'une petite aisance les mettant à l'abri des besoins les plus immédiats.

Ce testament ne fut jamais présenté au contrôle de l'Enregistrement, tout simplement parce que la santé de Guillaume se rétablit rapidement et qu'il survivra longtemps à cette alerte.

Nous verrons qu'il dictera un autre testament quelques dix sept ans plus tard et survivra encore huit ans à la rédaction de ce nouveau document … entre temps, il aura eu maintes occasions de défendre ses droits qui, il faut bien le reconnaître, étaient souvent contestés avec pas mal de légèreté.

 

GUILLAUME MARSAU DEFEND SES DROITS

Au matin du 15 Novembre de la même année 1742, Guillaume, MARSAU était suffisamment rétabli pour se trouver à la tête d'une charrette de fumier qu'il se proposait d'épandre sur deux pièces de terre labourable qu'il possédait derrière MOULIEY.

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Pour y accéder, il lui fallait passer sur le fonds appartenant aux Frères GARDERE, c'était son itinéraire normal, celui qu'il avait toujours pratiqué. Or, ce jour-là, les deux frères étaient là et s'opposèrent à son passage.

La discussion s'engagea, le ton monta, les GARDERE se montrèrent intransigeants ; MARSAU n'avait pas droit à ce passage, disaient-ils, et il ne passerait pas. Et pour matérialiser leur opposition, ils disposèrent des barres de pin en travers du chemin. MARSAU détela ses boeufs et, laissant sa charrette sur place, rentra chez lui en annonçant haut et clair qu'il allait leur intenter un procès.

Tous les éléments étaient donc ici réunis pour alimenter une affaire qui allait bien pouvoir durer des années. Eh bien pas du tout . . . Pour une fois, les choses vont évoluer autrement. Les Frères GARDERE vont réfléchir et se raviser.

Peut-être ont-ils pris quelques conseils, à moins que leurs arrières aient été moins assurées qu'ils n'aient bien voulu le dire, rien ne nous permettra d'en décider; toujours est-il que quatre jours plus tard, le 19 Novembre, ils se présentèrent chez Me LAFOURCADE, en son Etude, au Bourg de BALIZAC. Et là, ils lui firent établir un acte de réintégrande.

Voulant éviter le procès annoncé, ils adressèrent cet acte à Guillaume MARSAU lui disant qu'il lui reconnaissaient ce droit de passage et que c'était à tort qu'ils s'y étaient opposés. Toute idée de procès devait être, et fut d'ailleurs abandonnée. Guillaume MARSAU reprit sa charrette là il l'avait laissée et put reprendre "paisiblement", nous dit-on, le cours de ses occupations.

A quelques semaines de là, le 7 Janvier 1743, naquit en la maison de TRISCOS un petit Guillaume, fils premier né du jeune ménage de Pierre et de Pétronille DUPEYRON.

Nous retrouverons cet évènement un peu plus loin dans le cadre de l'histoire de cette nouvelle génération.

La même année, au début de l'été, éclata une nouvelle affaire de droit de passage, mais cette fois-ci, les choses allaient aller un peu plus loin. Arnaud MARSAU dit de PEYS, un cousin germain de Guillaume prétendit détenir un droit sur l'un de ses terrains à TRISCOS. Il s'agissait d'un fils de Jean, le frère de son Père Manieu. Il y avait déjà eu autrefois assez de dissensions entre ces deux-là, allaient-elles encore se renouveler sous d'autres prétextes entre leurs enfants ? C'est bien ce qui faillit arriver.

Arnaud MARSAU donc, prétendait détenir une servitude sur un fonds de Guillaume ce que celui-ci contestait vigoureusement; c'est à ce titre qu'il engagea un procès devant le Tribunal de CASTELNAU. Ce litige tourna court. Dés le 14 Juillet 1743, les deux cousins se retrouvèrent chez Me LAFOURCADE et convinrent d'arrêter les frais.Arnaud, reconnut qu'il ne possédait pas ce droit et déclara renoncer à toute prétention, à l'exercer, moyennant quoi l'instance en cours fut, ici encore, interrompue et abandonnée.

C'était la sagesse même …

Mais Guillaume n'en sort pas, il a déjà une autre affaire sur les bras, et une fois encore, il ne sera pas l'instigateur du trouble.

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Dans les premiers jours du mois de Juin 1743, Arnaud BAILLET, dit ARNAUTON de BAILLETON, boucher au Bourg de NOAILLAN était passé à TRISCOS chez Guillaume MARSAU. Et là, il avait vu un lot de quatorze moutons que Guillaume avait mis en vente.

Ces moutons lui convinrent, et il manifesta l'intérêt qu'il pourrait porter à leur achat. A quelques temps de là, le 24 Juin, jour de la Fête de St JEAN BAPTISTE, BAILLET et MARSAU se retrouvèrent et convinrent de la vente de douze de ces moutons au prix de quatre Livres pièce. Il devait s'agir de belles bêtes car les prix habituels de l'époque se situent plus près de trois Livres que de quatre. Pour sceller ce marché, BAILLET versa 24 sols d'arrhes sur le prix total des 48 Livres. Il était en outre convenu :

"qu'il prendroit et retireroit lesdits douze moutons de     chez (MARSAU) pendant et jusques au premier d'Août... suivant et luy payeroit le reste du prix desdits moutons qu'est la somme de quarante six Livres Seize sols.."

Au début, tout marche bien, BAILLET envoie son fils à TRISCOS pour prendre un mouton, puis deux autres, mais à partir de là, les choses se gâtent, il ne donne plus signe de vie. Guillaume MARSAU s'impatiente. Il le rencontre plusieurs fois sur des foires ou des marchés, il le presse de venir prendre livraison des neufs moutons restants, et de les payer, car il n'a toujours reçu que les 24 sols des arrhes. La date du 1er Août est passée depuis longtemps, et BAILLET ne vient toujours pas ; MARSAU lui envoie des commissionnaires tous chargés du même message. Et pendant tout ce temps là, il faut nourrir ces moutons et l'argent ne rentre toujours pas. Au surplus, MARSAU s'inquiète des risques ; si un accident devait arriver à l'un d'entre eux qui serait responsable ? En bref, c'est une situation tout à fait anormale. A bout de patience, le 3 Novembre 1743, lendemain du Jour des Morts, Guillaume MARSAU se rend au Bourg de BALIZAC en l'étude de Me LAFOURCADE, Notaire, et lui fait rédiger une sommation à l'adresse de BAILLET, le mettant en demeure :

"d'aller prendre et retirer de chez (lui) les neuf moutons restants (et) de luy payer ladite somme de quarante six Livres seize sols."

A défaut, il l'informe qu'il se pourvoira :

"devant Messieurs les Juges et Conseils de la Cour de la Bourse Commune des Marchands à BORDEAUX."

Cette indication est intéressante. Il ne s'agit pas d'introduire la cause devant le Tribunal Civil de CASTSLNAU qui aurait été territorialement compétent pour la récupération d'un impayé, mais bien d'aller devant le Tribunal de Commerce de BORDEAUX. Un procès adroitement mené à CASTELNAU peut durer des années, à la Bourse de BORDEAUX, les choses sont beaucoup plus expéditives, c'est une Justice qui ne traîne pas. Encore faut-il, pour y accéder, être commerçant.

Pour BAILLET, cela ne fait aucun doute, mais pour MARSAU la chose parait un peu insolite car, nulle part, ni à aucun moment,  il ne s'est dit lui-même ou n'a été qualifié de "marchand" par quiconque. Sur ce point, nous n'en saurons pas davantage. Au surplus, d'ores et déjà MARSAU refuse :

"d'assumer sur luy les accidens et évènements fâcheux qui pourroient survenir auxdits moutons par mortalité ou autrement."

Me LAFOURCADE ira au Bourg de NOAILLAN  dès le 5 Novembre (le 4 étant un Dimanche) et y notifiera cette somation à BAILLLET qu'il trouvera dans sa boucherie.

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Aucune suite de cette affaire ne nous est parvenue. On peut penser qu'elle aura trouvé un épilogue heureux et surtout rapide, car Guillaume MARSAU avait suffisamment de tracas en tête pour avoir besoin d'y ajouter celui-là.

 

AU HASARD DE L'ACTUALITE

Les nouvelles extérieures au Village se propageaient, quelquefois plus ou moins déformées, à l'occasion des foires et marchés. Les informations officielles étaient essentiellement données par le Curé au prône du Dimanche, ou lues "à son de caisse" et affichées à la porte de l'Église à la diligence de la Justice locale. mais il y avait parfois des nouvelles urgentes qu'il fallait diffuser au plus vite.

Ainsi au mois d'Août 1744 apprit-on à BORDEAUX dans la journée du Mercredi 19, la maladie du Roi LOUIS XV, survenue devant METZ.

Aussitôt, on dépêcha des courriers dans toutes les paroisses pour demander aux Curés d'organiser des prières publiques dans toutes les églises en invitant tout un chacun à multiplier les gestes de charité envers les pauvres afin de donner plus de mérites à ces prières. Cette nouvelle était parvenue jusqu'à BORDEAUX courrier ordinaire et avait été retransmise par courrier express jusque dans les paroisses.

Mais dans la journée du Jeudi 20, voilà que passe un courrier extraordinaire à destination de l'ESPAGNE, annonçant que :

" Sa Majesté était si considérablement mieux ; qu'on en devait tout espérer..."

Nous savons que ce courrier spécial était parti de METZ le 16 Août à 15 heures. Il avait donc mis quatre jours pour rallier BORDEAUX et la bonne nouvelle avait presque rattrapé la mauvaise.

Cette fois-ci, on ne se pressa pas pour la retransmettre jusqu'au fond des campagnes ; on pouvait bien laisser un peu prier les braves paysans, cela ne faisait de mal à personne et surtout pas au Roi qui en avait encore bien besoin. On ne prit donc connaissance de cette amélioration qu'au prône du Dimanche 23 Août. Cette maladie du Roi eût ainsi un grand retentissement jusqu'au fond de nos contrées. C'est d'ailleurs en cette occasion que lui fut attribué la surnom de "Bien Aimé" que l'histoire lui conservera par la suite, même quand il eût quelque peu perdu les faveurs de son peuple.

Tout cela se passait loin, très loin, certes, de BALIZAC, mais les événements touchant à la vie de la famille royale y étaient néanmoins connus et suivis ; mieux même, peut-être, que ceux touchant à la vie du Seigneur du lieu dont on savait finalement peu de choses, sinon qu'en ces jours-là, il s'appelait Messire Charles Philippe, Comte de PONS Brigadier des Armées du Roy, Colonel d'un Régiment de cavalerie de sa Majesté, Chevalier de l'ordre Royal et Militaire de Saint LOUIS, Marquis de St MAURICE, Baron de CAZENEUVE, CASTELNAU de CERNES, BALIZAC, MANO, VILLANDRAUT, CAPTIEUX et autres places, et qu'il courait l'EUROPE à la tête de son Régiment.

Les cérémonies prescrites à l'occasion des évènements officiels étaient prises très au sérieux jusqu'au fond de nos campagnes.

Nous n'en retiendrons pour preuve que l'énorme scandale soulevé par l'affaire du Te Deum de VILLANDRAUT.

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Pendant plusieurs semaines, il ne fut question que de ce litige, pourtant dérisoire, entre deux Chanoines du Chapitre de cette Collégiale. Ce n'est pas ici le lieu d'en conter la détail, mais on peut en évoquer rapidement les grandes lignes.

En l'absence de Me CAZALET, Doyen du Chapitre de VILLANDRAUT, le jour de la St ANDRÉ (30 Novembre) 1744, l'ordre parvint de l'Archevêché de chanter un Te Deum à l'occasion d'une victoire du Roi.

Me Joseph LAMARQUE, l'un des Chanoines du Chapitre, crut bien faire en s'empressant de convoquer les populations locales en l'église du village pour chanter cette louange. Sur ces entrefaites, Me CAZALET revient et apprend qu'on ne l'avait pas attendu ; or le chant de ce Te Deum faisait partie des prérogatives du Doyen du Chapitre.

Il fulmine, veut traîner son confrère en Justice pour sanctionner "l'entreprise attentatoire" qu'il a ainsi subie. Le 12 Décembre, il en exige une déclaration devant Notaire reconnaissant que son entreprise coupable avait été " tortionnaire " envers lui et qu'il le réintégrait solennellement dans son droit.

Il fait enregistrer cet acte, mais il en exige un nouveau, plus solennel encore, le 12 Février, etc.. etc.. Et tant à VILLANDRAUT que dans tout le pays environnant chacun eut l'occasion de suivre les épisodes successifs de cette affaire clochemerlesque.

Mais l'actualité s'alimentait aussi aux sources de la délinquance locale qui soulevait toujours une vive émotion. La criminalité de grand chemin n'était pas très répandue dans notre monde rural. Tout "étranger " à la communauté villageoise était aussitôt repéré et, les exemples en sont nombreux, fournissait un excellent suspect en cas de besoin. Par contre, le vol local était monnaie courante, et il pouvait même aller jusqu'au crime.

On avait battu le seigle chez Vincent BOIREAU, dit LABICHE, à ORIGNE, pendant toute la journée du 28 Août 1745. La nuit était maintenant tombée, et les hommes, épuisés étaient entrés dans sa maison pour se restaurer un peu. Mais BOIREAU, le maître du lieu, ne les avait pas accompagnés ; il était resté à l'extérieur pour surveiller son tas de grain. Il est si facile, dans la nuit noire, pour un passant mal intentionné, de remplir subrepticement un demi sac de seigle, voire un sac entier, tandis que tout le monde est attablé, à vingt pas de là, dans la maison. il est bien possible que Vincent BOIREAU ait déjà eu quelqu'expérience de ce genre de larcin.

Toujours est-il qu'il était là, seul, dans l'ombre, en train, de surveiller son bien. Arrive Armand CLAVEY, probablement animé d'intentions pas très nettes. Il porte un fusil. Une altercation éclate, le ton monte, et avant que quiconque ait eu le temps de sortir de la maison, CLAVEY tire sur ce pauvre BOIREAU, l'atteint grièvement à la clavicule gauche et disparaît dans la nuit.

On s'empresse aussitôt, on relève le blessé que l'on étend sur son lit, on court chercher le chirurgien au Bourg de BALIZAC.

Mais en dépit des saignées que l'on pratiqua sur ce pauvre homme (qui avait  déjà perdu beaucoup de sang...) et des bouillons qu'on lui fit prendre, il mourut le 4 Septembre suivant. La Justice se saisit évidemment de l'affaire, et au terme d'un procès rondement mené, le Tribunal Criminel de CASTELNAU rendit sa sentence la 21 Janvier 1746, condamnant CLAVEY :

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"estre remis entre les mains de l'exécuteur de la Haute Justice pour estre conduit au-devant de 1a principale porte de l'Église d'ORIGNE , . . . la corde au col, nud, en chemise, tenant une torche de cire ardente du poids de deux livres en ses mains où, estant genoux, faire amande honorable en déclarant à haute voix que malicieusement, il a commis ledit crime dont i1 se repent et demande pardon à Dieu, au Roy et à la Justice, de là sera conduit dans la place publique dudit ORIGNE pour estre attaché, pendu et étranglé jusqu'à ce que mort naturelle s'en ensuive à une potence qui à cet effet sera plantée …."

Tout ceci était bel et bon, encore aurait-il fallu mettre la main sur l'assassin qui, dés le soir du crime, avait quitté le pays pour n'y plus reparaître. Qu'à cela ne tienne, il fut décidé de procéder à l'exécution publique au moyen "d'un tableau" représentant le condamné.

Ainsi fut fait devant toute la population locale augmentée d'un grand concours de peuple venu de toutes les paroisses environnantes, et les voisins des quartiers de TRISCOS et MOULIEY n'avaient pas été les derniers à s'y rendre.

Si l'événement n'était pas fréquent, il n'était pas pour autant exceptionnel. La même année 1745, tout Juste deux mois après le crime d'ORIGNE, on eut à déplorer un autre homicide à SAINT LEGER. Le jour de la TOUSSAINT, sur les dix heures du Matin, André LARRIEU, gemmier à SAINT LEGER, âgé de 26 ans,

"prend son fusil pour aller prendre une paloume"

Il était bien l'un des rares de la paroisse à ne pas se trouver à la Messe à cette heure-là. Voulant profiter de ce que le village était désert, cela faisait d'ailleurs parti de son plan, et lorsque, plus tard, on l'interrogera sur ce point, lui demandant pourquoi il n'était pas allé à la Messe " un jour aussi solennel ", il répondra tout bonnement " parce qu'elle était à une mauvaise heure pour luy . . . " .

En fait, il laisse là son projet de chasse et se rend chez Pierre JAUGUERE, le charbonnier, qui vit dans sa cabane tout à côté de ses charbonnières. LARRIEU sait qu'il a de l'argent. Il laisse son fusil à l'extérieur, contre la porte, et aperçoit JAUGUERE près de son feu. Lui non plus n'était pas allé à la Messe, et pourtant, il n'est pas douteux qu'il aurait mieux fait de s'y rendre . . . LARRIEU se saisit d'une hache, s'approche, et l'assomme avec le dos de l'outil.

Mais JAUGUERRE est solide, il se débat, LARRIEU fait tournoyer sa hache et lui coupe un doigt de la main droite. Il le laisse enfin pour mort et lui vole une bourse qui contient 204 Livres. Il reprend son fusil, et, avant de s'enfuir, met le feu à la cabane. Mais contre tout attente, JAUGUERRE n'était pas mort. Assommé, mutilé, brûlé, oui, mais pas mort. Et quand, ayant aperçu de loin l'incendie à la sortie de la Messe, les gens accoururent en masse, ils le tirèrent de là, très mal en point, certes, mais encore vivant. Et le plus fort, c'est qu'il survécut également aux soins qu'on lui prodigua.

On l'hébergea au Bourg de SAINT LEGER dans une maison charitable, on le saigna, bien sûr, et on lui fit boire force bouillons d'herbes dont il réchappa. C'est ainsi qu'il put raconter son histoire et qu'André LARRIEU fût bientôt arrêté.  Son procès fut également instruit devant la Cour de CASTELNAU et, au cours de la même séance du 21 Janvier 1745, tout comme l'assassin d'ORIGNE, il fut condamné à la même peine capitale devant être exécutée sur la place de SAINT LEGER devant le Parquet du Tribunal, lequel existe encore et n'est autre que le bâtiment abritant l'actuel Restaurant du village

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Il y avait toutefois une différence fondamentale, c'est qu'ici, on avait le coupable sous le main...

Mais bien d'autres sujets d'actualité locale agitaient l'opinion.

En cette année 1746, un large mouvement d'exaspération devait prendre corps dans toutes les paroisses de la contrée contre l'inertie dont faisaient montre les Seigneurs de VILLANDRAUT et de NOAILLAN devant les graves problèmes que posait la rupture du pont de VILLANDRAUT.

Ce n'est pas ici le lieu de raconter le détail de cette longue histoire, elle s'est développée sur des dizaines d'années, a mobilisé bien des efforts et suscité bien des polémiques dans toute la région.

Nous nous en tiendrons donc aux seules très grandes lignes de l'affaire, en relation directe avec l'actualité que nous sommes en train d'évoquer.

Les " manants et habitants " de dix sept paroisses, dont celles de BALISAC, ORIGNE, SAINT LEGER, SAINT SYMPHORIEN, etc . . . se rassemblèrent pour rédiger une supplique à l'Intendant, Monsieur BOUCHER, en lui expliquant la situation. Ils le firent  si bien que le mieux est de leur laisser la parole :

"le pont de pierre qui estoit à quatre arches situé (à) VILLA.NDRAUT sur le fleuve du CIRON ayant esté rompu lors du siège du Château dudit lieu, arrivé en 1592, ... (ils l'ont)...garni d'arbres de pin les plus longs dans lesdites quatre arches pour faciliter le passage des chevaux et des gens à pieds..."

Ces opérations de dépannage ont été longtemps poursuivies sans problème du fait de la grande abondance de pins que l'on trouvait dans le pays,

"mais Votre Grandeur, Monseigneur, n'ignore pas qu'il est de notoriété que toutes ces sortes d'arbres de pin ont dépéri totalement par la gelée de 1709, de telle sorte qu'il n'en reste plus aucun qui ne soit pourry ….  n'étant pas à présumer qu'il s'y trouve, dans toute l'étendue des susdites paroisses des arbres chaines de trente six pieds de long (environ 12 m) comme il les faudroient pour ..(combler la lacune de la) principale arche du pont."

Voila le problème posé. Ils expliquent ensuite combien le CIRON est difficile à traverser à gué en ce point et quelle entrave insupportable cette rupture inflige au commerce et à la vie e locale. Des accidents se sont déjà produits, il faut en finir une fois pour toutes et rétablir ce pont en pierre.

Et pour cela ils proposent une solution originale et fort intéressante car elle avance une idée de répartition égalitaire des charges qui est tout à fait nouvelle dans les mœurs du temps.

Ils proposent en effet de fournir tous les matériaux nécessaires et de les amener à pied d'oeuvre par le moyen de corvées volontaires, que, par ailleurs, l'administration ouvre une adjudication au moins disant et que le montant en soit réparti entre tous, sans distinction de statut de privilégiés ou non privilégiés, en proportion de ce que chacun possède.

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Et cette proposition est signée de tous les notables, Curés, Juges, Procureurs, etc.. de chacune des communes intéressées, dont BALIZAC évidemment. Ce que ces braves gens ne disent pas, c'est comment on en était arrivé à cette situation insupportable.

En fait, ce pont, très ancien, appartenait en copropriété aux Seigneurs de VILLANDRAUT et de NOAILLAN. Celui de VILLANDRAUT, nous l'avons vu, vivait bien loin de là et se souciait fort peu de l'état d'un pont perdu au fond d'une lointaine province qu'il ne fréquentait pas, et celui de NOAILLAN, Parlementaire à BORDEAUX et non résidant, n'avait aucune intention de prendre la moindre initiative financière et surtout tout seul. De 1592 à 1709, pendant 117 ans, les hommes d'affaires locaux successifs s'étaient entendus entre eux pour couper de temps à autres les quelques pins nécessaires sans en référer à quiconque, mais depuis1709, il n'y avait plus de grands pins, et cela faisait maintenant 37 ans...

Ce pont n'était plus praticable, et l'on ne pouvait plus, par exemple, entre autres choses, d'ORIGNE ou de BALIZAC, fréquenter le marché de BAZAS ou les foires aux bestiaux d'UZESTE qui étaient pourtant très suivies.

En fait, l'administration ne retint pas l'idée originale de la répartition égalitaire du prix de la reconstruction. Monsieur de BOUCHER a dû penser, à juste titre, qu'il n'avait aucune chance de la faire passer auprès des privilégiés propriétaires fonciers répartis sur dix sept paroisses. C'était s'attaquer à forte partie et les intrigues de Cour auraient certainement mis un terme rapide à sa carrière. Bien d'autres en ont fait la cruelle expérience.

Mais l'ampleur de ce mouvement impressionna néanmoins les services de l'intendance, et, quelques quatre ans plus tard, ce pont fut restauré, en bois, mais de façon sérieuse et durable.

Cette affaire de pont nous conduit tout droit à celle des péages locaux qui, au printemps de 1746 mobilisait passablement l'opinion. Peut-être pas autant que l'on pourrait le croire, car les habitants des paroisses dépendants des Seigneurs de PONS, ceux de BALIZAC, par exemple, avaient le privilège d'en être exemptés à titre personnel.

Par contre, ils n'ont pas pu ignorer les diverses enquêtes publiques auxquelles a procédé l'administration pour s'assurer du bien fondé de la perception de ces taxes. Si nous évoquons cette affaire, c'est surtout en raison du tarif de ces péages qui nous renseigne de façon détaillée sur la nature des marchandises objet des charrois qui sillonnaient alors nos chemins.

Tout au long du XVIIIème siècle, une lutte ouverte s'est engagée et poursuivie entre le Pouvoir Central et les Seigneurs locaux détenteurs da droits de péage sur les ponts, fleuves. rivières, chemins et quelconques passages.

Partout en FRANCE, les itinéraires commerciaux étaient jalonnés d'une profusion de douanes intérieures dont l'origine se perdait souvent dans la nuit des temps et dont les justifications étaient plus ou moins évidentes, plutôt moins que plus. Lorsqu'un Seigneur avait fait construire un pont à ses frais et en assurait l'entretien, il était concevable qu'il y perçoive un péage.

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Mais nombre de ces droits n'avait d'autre justification que le fait du Prince qui à un certain moment de l'histoire s'était trouvé en une position de force suffisante pour imposer sa perception. Bien souvent, d'ailleurs, le tarif n'en avait jamais été révisé, et l'inflation aidant, le montant des taxes était tombé si bas que personne ne se souciait plus de les percevoir.

Mais ce n'était pas le cas partout, et, en particulier, les péages perçus autour de CASTELNAU de CERNES, n'étaient pas négligeables.

Une Commission spéciale, appelée " Bureau des Péages " créée en 1724, reçut mission de vérifier tous les titres seigneuriaux, de réprimer les abus et de supprimer les perceptions injustifiées. Elle eût beaucoup de mal à fonctionner et rencontra une évidente mauvaise volonté de la part des intéressés.

Les péages locaux perçus par la Famille de PONS avaient fait l'objet d'un premier examen en 1735. Ils étaient prélevés à CASTELNAU et à chaque point d'entrée sur le territoire de leurs diverses seigneuries, savoir à LOUCHATS, HOSTENS , SAINT SYMPHORIEN et CAZENEUVE.

Un Arrêté du Conseil d'Etat les supprima le 13 Août 1743. La Marquise de PONS s'agita alors beaucoup et produisit une foule de documents attestant de ses droits, certains remontant jusqu'à 1503. Le Conseil d'Etat procéda donc à un nouvel examen de ce dossier et fit observer  :

" qu'il n'y a nulle charge sur les péages dudit CASTELNAU et de CAZENEUVE, ni aucun pont à rétablir ou entretenir ... (et)..que les chemins ne sont pas sujets à entretien, étant dans les sables..."

Tout bien considéré, prenant en compte l'authenticité incontestable des droits de la Marquise d'une part, mais aussi l'absence de leur justification économique, le Conseil d'État coupa la poire en deux et la rétablit dans son droit à CASTELNAU, et non ailleurs ce qui ne faisait pas du tout son affaire car s'il était difficile d'esquiver les points d'entrée sur ses domaines, les chemins permettaient de contourner CASTELNAU sans trop de peine.

Cette affaire rebondira donc une fois encore et se terminera en 1753 par une vaste enquête conduite sur le terrain par l'Intendance pour le compte du Conseil. Mais, nous venons de le dire, ce qui est le plus intéressant dans l'Arrêté du 3 Mars 1746, c'est le Tarif qui s'y trouve annexé. Il ne peut être question de reproduire l'intégralité de ce document; mais quelques extraits suffiront à donner une idée des courants commerciaux transitant alors par nos chemins :

-par tonneau de vin 5 sols
-par barrique de miel, 2 sols
-par charrette de sel, 2 sols 6 deniers
-par charrette chargées d'huîtres 2 sols
-par cheval ou autre bête de somme chargé de merlus, morues, harengs, sardines et autres poissons,  2 sols 6 deniers
-par homme chargé à col de poisson, 3 deniers
-par charrette chargée de canards, paloumes, ou pigeons ramiers,  2 sols
-par cheval ou autre bête de somme chargé de même 6 deniers..."

Heureux temps où les palombes se transportaient par charrettes entières ! Viennent ensuite, dans des conditions identiques,les glands, la toile, la laine, la mercerie, les bois façonnés, les peaux, l'étain, le plomb,

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 la cire, la vaisselle de terre, le verre, les poulains et mulets

"menez vendre, s'ils sont ferréz à 4 sols, et s'ils ne sont pas ferréz, 1 sol",

les bovins, les moutons, les porcs, les chèvres ..etc.. Mais il est fait défense expresse à la Marquise de percevoir quoi que ce soit sur :

" les bleds, grains, farines et légumes verds ou secs"

En contre partie de tout cela, le Conseil enjoignait à Madame de PONS :

"d'entretenir à l'avenir en bon état les ponts, chemins et chaussées dans l'étendue de la dite Seigneurie "

Il lui renouvelait par ailleurs l'interdiction de percevoir quoi que ce soit, sous une dénomination quelconque, à CAZENEUVE, LOUCHATS, HOSTENS et SAINT SYMPHORIEN. Et pour donner tout son poids à ce document, il fut signé de la main de LOUIS XV en personne.

D'autres textes nous apportent quelques précisions sur ces courants commerciaux.

Ces charrois s'échangeaient entre la Grande Lande et la vallée de la GARONNE, " de TARTAS et au-delà " vers le port de CASTRES, ou même directement jusqu'à BORDEAUX et vice versa.

Les landes fournissaient essentiellement des grains, de la résine, du fer et du miel, tandis que la vallée leur envoyait ses vins. On notera avec un peu de surprise la place faite aux transports de marée que l'on n'aurait guère attendus sur cet itinéraire, en particulier la présence des huîtres.

Il faut bien croire néanmoins que si elles figurent au tarif, c'est bien parce qu'il y avait quelques chances d'en voir passer sur nos chemins. Les " Tableaux " des taxes à percevoir ne répondaient en effet à aucun a priori et avaient été dressés, au fil du temps, de manière très empirique, sur la base de l'expérience acquise sur chacun des lieux de passage. Il nous sera difficile d'en dire davantage...

 

LA PAROISSE DE BALIZAC CHANGE DE CURE

Nous avons plusieurs fois rencontré le Curé DUFOUR, il est déjà pour nous une vieille connaissance. Il était arrivé à BALIZAC en 1718, il y avait donc 28 ans de cela. Il avait donc déjà eu l'occasion d'accueillir dans son église de jeunes enfants des paroissiens qu'il avait lui-même baptisé dans les premiers temps de son ministère. Il avait ainsi couvert le cycle complet d'une génération. Parvenu au moins à la soixantaine, il devait aspirer désormais à une fonction moins contraignante.

Au début de 1747, il négocia son départ et son remplacement par Me Jean ROUDES, Chanoine du Chapitre d'UZESTE. En fait, et bien que le mot n'ait pas été prononcé, il s'agissait d'une permutation pure et simple. Me Étienne DUFOUR allait résigner son bénéfice à la condition expresse de le voir transmettre à Me Jean ROUDES ; et dans le même temps, il allait demander à intégrer le Chapitre d'UZESTE en y prenant la place qui allait s'y trouver vacante.

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Mais il ne faut pas oublier que le Chapitre d'UZESTE était une création pontificale de CLÉMENT V et que la Curé de BALIZAC en dépendait. Il fallait donc traiter cette affaire en Cour de ROME. Mais ROME, c'était bien loin et tout à fait hors de portée d'un petit Curé de campagne. Me DUFOUR, désigna donc un procureur, en le chargeant de représenter ses intérêts auprès des Bureaux romains. A cet effet, le 28 Mai 1747, il prit contact avec son voisin, le Notaire LAFOURCADE, afin d'établir sa procuration :

"pour, et (en son) nom résigner... par les présentes entre les mains de notre Saint Père le Pape, Monseigneur son Vice Chancelier, ou autre, ayant à (cela) pouvoir, sadite Cure . . . . dudit St MARTIN (de) BALIZAC dont il est pourvu..."

Et ceci pour qu'en soit :

"toutefois pourvu, sous le bon plaisir de Sa Sainteté,.. la personne de Me Jean ROUDES, Prêtre du Diocèse de BORDEAUX, et non (d'un) autre.."

Pourtant, le Curé DUFOUR ne partira pas les mains vides. Il se réserve expressément le tiers des revenus annuels de la paroisse. C'est le prix à payer pour obtenir sa succession. Ce dernier point ne manque pas de sel si l'on se souvient en quels termes Me DUFOUR démontrait à son Archevêque, quelques années auparavant, qu'il ne lui était pas possible de vivre avec ces mêmes revenus. Que deviendra donc son successeur lorsqu'ils auront été amputés d'un tiers ? La question méritait d'être posée . . . Mais il n'empêche que tout cela parait parfaitement régulier puisque Me DUFOUR, en conclusion, a :

" juré en (son) âme qu'en la présente résignation, il n'est intervenu ni n'interviendra aucun dol, fraude, simonie ny autre pacte et convention que celles figurant dans le présent acte."

Et dans un autre acte, passé le même jour devant le même Notaire, Mes DUFOUR et ROUDES conviennent de donner à ce tiers de la Dîme de BALIZAC une valeur forfaitaire, ce qui simplifiera beaucoup les choses. Me ROUDES livrera chaque année à son prédécesseur, sa vie durant, huit boisseaux de seigle en nature et une somme de 250 Livres en argent. Il lui faudra ensuite s'arranger pour vivre avec le reste...

La réponse romaine ne se fit pas trop attendre, datée du 8 Juillet, elle fut positive. Encore fallait-il qu'elle revienne à BORDEAUX pour y recevoir le visa de l'Archevêque, et, paradoxalement, c'est ce qui prit le plus de temps puisqu'il ne fut apposé que le 27 Septembre. Tout étant désormais bien en règle, Me ROUDES put prendre possession de sa nouvelle cure le 8 Novembre 1747. Devant un grand concours de peuple, et en présence de Me Raymond LAMY, Curé de SAINT LÉGER, un procès verbal notarié en fut dressé par l'incontournable Me LAFOURCADE

"Estant arrivés au devant ladite église, avons pris ledit ROUDES par la main et conduit dans ladite par l'entrée d'icelle où il a pris de l'eau bénite et ensuite l'avons conduit devant l'autel de ladite paroisse où il s'est mis à genoux, fait sa prière, baisé ledit autel, et ayant monté audit autel, il a ouvert le tabernacle qu'il a visité, de même que la custode, et lu dans un livre missel qui s'est trouvé au pu1pitre de ladite église, et de là dans la sacristie de ladite église où il a fait ouverture du grand cabinet neuf, visité les ornements quy se sont trouvés en iceluy ; ensuite a sonné les cloches de ladite église,..."

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De là, on passe au presbytère, mais les choses y sont bien différentes.

Il ne peut prendre possession que :

"des anciens murs de la maison presbytérale de ladite cure où il n'y a que des vestiges de l'ancienne maison presbytérale, n'y paroissant seulement que quelque peu de matériaux de murailles ras de terre, tous les autres matériaux ayant estés enlevés depuis longtemps; dans lequel endroit, il a pris de la terre et des branches de certains arbres ormes quy sont alentour et a jeté en 1'air. Et de là l'avons conduit dans le jardin de ladite cure qui joint les ayriaux de ladite maison presbytérale où il a aussi pris des herbages, terre et broussailles, le tout jeté en l'air, et dans le petit pré quy joint ledit jardin, il a pareillement arraché de l'herbe et jeté en l'air..."

Pour que la permutation soit complète, il restait à faire entrer Me DUFOUR , l'ancien Curé au Chapitre de la Collégiale d'UZESTE.

Encore fallait-il, car l'opération était lourde de formalités, que le Seigneur de VILLANDRAUT et les Chanoines en place agréent le candidat et donnent formellement leur accord.

Le Comte Philippe de PONS, Baron de VILLANDRAUT était en effet "Patron" temporel des Chapitres de VILLANDRAUT et d'UZESTE, et ceci depuis le début du XIVème siècle lors de leur fondation par CLEMENT V déjà nommé.

Mais comment mettre la main sur ce lointain Seigneur qui parcourait l'EUROPE au sein de l'armée du Roi, au hasard des tribulations de la guerre ? Paradoxalement, il semble que la chose fut néanmoins aisée puisque dès le 25 Novembre suivant, il signait à PARIS l'acte dit "de collation", en qualité de Baron de VILLANDRAUT, Maréchal de Camp aux Armées du Roy,

"patron de plain droit des doyennés, prébendes et chanoinies des Eglises Collégialles Sainte MARIE d'UZESTE et Saint MARTIN de VILLANDRAUT..."

Pour des raisons inconnues, ce fut l'agrément des Chanoines qui se fit attendre jusqu'au 3 Avril suivant.

Ce jour-là, les cinq Chanoines titulaires s'assemblèrent en Chapitre dans la "Chambre Capitulaire" de l'Eglise d'UZESTE, "avant l'entrée des vespres", et reçurent Me DUFOUR à la place laissée vacante.

"par la démission volontaire faite par Me Jean ROUDES, Prêtre, et à présent Curé de (la) Paroisse de BALIZAC..."

Ainsi donc, ces cinq titulaires assemblés accueillaient le sixième :

"et chacun d'eux, mûrement opiné, ont fait réponse qu'ils le reçoivent en frère et Chanoine... suivant et conformément à la Bulle de fondation, usage et coutume dudit Chapitre à la charge que ledit Sieur DUFOURE fera (toute l') année .... sa résidence, rigoureuse, actuelle et corporelle à commencer de ce jour sans pouvoir s'absenter... de la présente Paroisse que par permission dudit Chapitre ou de son Doyen."

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Il était en outre convenu qu'il verserait un droit d'entrée de 20 Livres dont le montant serait affecté aux travaux de réparation de l'Église.

Ainsi donc, tout le monde était désormais régulièrement en place, et les Balizacais avaient changé de pasteur. C'était d'ailleurs chose faite depuis pas mal de temps puisque Me ROUDES avait déjà inauguré son ministère depuis le 26 Novembre précédent, aussitôt après avoir reçu la confirmation de son titre par le Comte de PONS.

Tout n'était pas réglé pour autant. Nous avons vu que la Paroisse n'avait plus de presbytère, et ceci depuis fort longtemps déjà. Entre temps, le Curé avait été logé dans une maison que les paroissiens louaient à l'année et dont ils se répartissaient la charge entre eux, non sans mal, d'ailleurs car cet impôt local suscitait, semble-t-il quelques controverses.

Deux faits nouveaux allaient faire évoluer cette situation. Tout d'abord, il semble que le nouveau Curé s'en soit moins bien accommodé que son prédécesseur, et puis, seconde raison, tout à fait déterminante celle-là, la maison louée venait d'être vendue et allait être récupérée par son nouveau propriétaire. Le bourg de BALIZAC n'étant pas à même de fournir un autre logement à son Curé, il ne restait plus d'autre solution que de relever les ruines de l'ancien presbytère ou d'en construire un nouveau.

En ce printemps 1748, l'affaire occupait toute la Paroisse. Chacun avait son idée sur la question, mais surtout, maintenant, il devenait urgent de prendre une décision.

Le Dimanche 12 Mai, à la Messe paroissiale, on convoqua une Assemblée Capitulaire pour le Dimanche suivant.

Et c'est ainsi que le 19, Dimanche précédent l'Ascension, à la sortie de la Messe, les principaux notables de BALIZAC se réunirent dans le cimetière pour délibérer de cette importante question en présence du Curé, principal intéressé à l'affaire.

Ces notables assemblés constatèrent que :

"depuis bien longtemps, ils sont obligés de payer un loyer de maison à leur dit Sieur Curé, et quoi qu'il soit modique (il était de 30 Livres par an, soit l'équivalant du prix d'une vache), il se rencontre souvent des difficultés pour le recouvrement du payement dudit loyer, n'y ayant d'ailleurs qu'une seule maison dans la Paroisse quy puisse être louée pour loger ledit Curé, même ladite maison vient d'estre vendue par le propriétaire de façon qu'il sera presqu'impossible que ledit Curé puisse être logé dans ladite Paroisse, ce qui seroit un inconvénient très fâcheux.

 Toutes ces raisons et circonstances réunies ensemble ont déterminé lesdits habitants de faire construire incessamment une maison presbytérale pour le logement de leur dit Sieur Curé dans l'emplacement quy est près de la présente église, dépendant du presbytère de ladite Paroisse. Laquelle maison lesdits habitants (prennent la charge) de (la) faire construire suivant le devis estimatif qui en sera fait sans retardement, à quoi ils ont, d'une voix unanime et réfléchie depuis longtemps et délibéré. Et pour parvenir à la construction de ladite maison et dépendances, iceux habitants ont nommé pour syndic ... Jean BOURRUT, marchand, habitant de ladite Paroisse  pour, en leur nom, agir tant devant Monsieur l'Intendant qu'autrement pour la permission de faire l'imposition nécessaire pour ladite batisse..."  

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Jean BOURRUT, qui était le fermier du moulin de BALIZAC, sur la NERE, au pied du Quartier de PINOT, fut ainsi chargé de mener l'opération à bien, tant dans son aspect technique (devis, choix de l'entrepreneur, surveillance des travaux, etc.) que financier :

"consentant à ces fins, lesdits habitants que toutes impositions soient faites dans ladite Paroisse pour la somme qui sera réglée aux fins de parvenir à ladite construction et autres frais à ce nécessaire..."

On notera que, curieusement, il n'est fait nulle part mention des quelques 500 Livres dont la Fabrique de la Paroisse avait hérité en 1742, il y avait moins de six ans. Il y avait là de quoi construire un très beau presbytère sans faire appel à une imposition spécifique sur la Paroisse.

Qu'était donc devenu cet argent et qu'en avait-on fait ? Nous ne le saurons pas, mais s'il avait été disponible, on aurait dû lui trouver là une excellente affectation. Il semble bien qu'il n'en ait rien été.

Toujours est-il que c'est ainsi que fut construit le nouveau presbytère de BALIZAC, celui-là même qui se dresse encore, inchangé, du moins dans son aspect extérieur, tel que Jean BOURRUT le fit construire.

L'église de l'époque a disparu pour être reconstruite au milieu du XIXème siècle, mais le presbytère, lui, a bravé le temps.

 

HEURS ET MALHEURS CHEZ LES MARSAU

Tout au long de ces évènements, Guillaume MARSAU poursuivait son activité de laboureur avisé, toujours soucieux de la gestion de son patrimoine foncier. Il avait pour lors la soixantaine.

Le 3 Septembre 1747, il procède à un échange de terrain avec Arnaud DEPART. Il intègre ainsi dans ses biens un pièce de terre située au lieu-dit de MESTE BIDOUN, juste à côté du Quartier de TRISCOS.

Cette pièce, il y tenait beaucoup, et voilà qu'Arnaud DUPART vient à mourir presqu'aussitôt après leur transaction. Guillaume a peur que ses héritiers ne remettent cet échange en question. Peut-être avait-il quelques raisons de le craindre...

Toujours est-il qu'il s'adressa immédiatement à sa veuve pour se faire confirmer les termes de l'acte du 3 Septembre. Ce fut chose faite devant Me LAFOURCADE au matin du 24 Septembre. Il conservera donc sa pièce de MESTE BIDOUN, et il n'y aura pas de contestation ultérieure.

A ce moment de sa vie, Guillaume avait eu sept enfants dont cinq étaient déjà morts, quatre en bas âge, et Jeanne, son aînée, ainsi que nous l'avons déjà vu, à l'âge de 23 ans, tout juste après un an de mariage.

Il ne lui restait donc plus que Mathive, toujours célibataire à 27 ans, et qui d'ailleurs, on ne sait trop pourquoi, le restera, et enfin Pierre, marié très jeune à Pétronille DUPEYRON.

 

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Mathive et le jeune ménage de Pierre vivaient avec les Parents en la maison ancestrale de TRISCOS. Ce couple y avait rapidement fait souche car trois garçons étaient déjà nés à leur foyer : Guillaume, Jean et un autre Jean.

Le 6 Septembre 1748, Guillaume eût la joie de voir naître un quatrième petit fils dont il fût de nouveau le Parrain, comme il 1'avait été de l'aîné, il y avait de cela cinq ans déjà. Il en verra d'ailleurs d'autres et sera encore Parrain d'un troisième Guillaume en 1755. Un Grand Père aussi bien pourvu en Petits Enfant a pu croire son lignage définitivement assuré.

Bien à tort, car le malheur va frapper à la porte de cette famille comme cela arrivait si souvent en ce temps-là. Moins de deux mois après cette naissance, la veille de la TOUSSAINT 1748, Jean, le second venait à mourir, suivi, un an plus tard, de l'autre Jean, le troisième.

Mais n'anticipons pas, car nous retrouverons un peu plus loin cette jeune génération dans le fil de notre histoire.

Entre temps, Etienne CALLEN, époux de Jeanne MARSAU, et Beau Frère de Guillaume, avait connu de très sérieux ennuis de santé. Si sérieux qu'à la fin Janvier 1749, il s'était vu perdu. Il avait donc décidé de convoquer Me LAFOURCADE, que nous avons déjà plusieurs fois rencontré, afin de lui dicter son testament le 27 Janvier.

Nous n'entrerons pas dans le détail de ce testament qui concerne une branche collatérale, sinon pour constater que Jeanne était entrée dans une famille de laboureurs aisés. Nous y découvrons en effet que ces CALLEN ont eu trois filles et deux garçons et qu'ils ont doté chacune des filles de 350 Livres, à raison de 290 du fait du Père et de 60 de la part de Jeanne leur Mère. Après quoi, Etienne CALLEN, le Père, partage l'essentiel de ses biens subsistants entre ses deux garçons. 

Voilà donc un confortable patrimoine, du moins à l'échelle d'une famille rurale de BALIZAC en ce temps-là. Et ce niveau d'aisance est d'autant plus significatif que le patrimoine dont dispose Etienne n'est, en fait, qu'une part des biens de la famille CALLEN. Etienne vivait en effet en commun dans la même maison que son Frère Jean lequel disposait, de son côté, d'un patrimoine de même valeur. 

D'ailleurs ces deux frères étaient inséparables et conduisaient leurs affaires en commun. Etienne s'étant heureusement rétabli après cette alerte, nous les voyons par exemple tous deux, coup sur coup, et toujours en commun, acheter deux "pignadas", l'un de 350 Livres et l'autre de 700, avant la fin de la même année. On ne trouvait certes pas autant d'argent immédiatement disponible dans toutes les familles. 

Pourtant, et pour aussi liés que fussent les deux frères, nous noterons qu'Etienne avait désigné Jeanne MARSAU, sa femme comme son exécutrice testamentaire et lui avait légué l'usufruit de la totalité de ses biens, sa vie durant :

"sans qu'elle soit obligée de rendre compte à personne".

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On peut voir là un bel exemple de fidélité et d'estime conjugale. Le cas n'en est pas d'ailleurs isolé, il s'en faut.

A la fin de la même année 1749, le 17 Décembre, Guillaume MARSAU allait perdre sa femme, Marie LARRUE. Un décès qui avait laissé au Curé ROUDES le temps d'intervenir pour lui apporter les sacrements de pénitence, d'eucharistie et d'extrême onction, ainsi qu'il en témoigne dans son acte de décès. Il lui attribue une soixantaine d'années. En fait, elle n'en avait guère plus de 56, mais on n'en était pas à quelques années près en ce temps là.

Voici donc Guillaume MARSAU devenu veuf, et si l'essentiel de la dot de sa femme avait bien fini par lui être réglé à la fin Juillet 1737, il n'avait pas pour autant perdu de vue qu'on lui devait encore des frais de justice et quelques intérêts qui, le temps passant, avaient fini par représenter une somme de 59 Livres et 15 sols. Le temps, certes, avait passé, mais dans les 13 ans qui venaient de s'écouler depuis le règlement du principal, plus rien n'avait bougé.

Et pourtant, bien des évènements s'étaient produits. En particulier, l'un des frères LARRUE était mort, Jacques, et ses héritiers avaient vendu les biens qu'il leur avait laissés. Sa femme étant morte, et le patrimoine sur lequel était garantie cette dernière dette étant en train de disparaître, Guillaume MARSAU comprend bien qu'il est grand temps pour lui d'intervenir s'il ne veut pas renoncer pour toujours à son dû. C'est ce qu'il fait, devant Me PERROY, Notaire à NOAILLAN, le 20 Juin 1750, tant en son nom que pour le compte de son Fils Pierre qui est effectivement intéressé au premier chef à la récupération de tout ce qui pouvait lui venir de sa défunte Mère.

Ainsi donc, Guillaume va faire opposition, entre les mains de l'acheteur au versement du prix de la vente des biens de Jacques LARRUE, dans la limite de ce qui lui est dû.

Nous passerons rapidement sur les détails de ce dernier rebondissement de l'affaire car, s'ils sont très complexes, ils présentent peu d'intérêt. Venons en directement à l'après midi du 6 Janvier 1751, dans la salle de l'auberge de BALIZAC, tenue par Louis BOURRUT qui servira de témoin. Il y a là pas mal de monde car les LARRUE n'ont pas que cette affaire sur les bras et sont sous le coup de plusieurs oppositions. Ils commencent par régler 203 Livres et 2 sols à un certain François VINCENT dit JANTES laboureur à GUILLOS au titre d'une autre dot qu'ils avaient également promise et n'avaient pas encore réglée. Puis vient le tour de Guillaume MARSAU qui reçoit 31 Livres et 10 sol et s'en déclare content. Ce ne sont pas les 59 Livres qu'il réclamait, mais peut-être avait-il un peu forcé la note.

Peu importe au demeurant, en tous cas c'est ici que se termine une affaire qui avait commencé par un beau jour de Juin 1713, lors du contrat de mariage de Guillaume, il y avait de cela 37 ans et demi...

A quelques semaines de là, le 27 Février 1751, Jeanne MARSAU, épouse d'Étienne CALLEN, vint à mourir. Avec la disparition de sa soeur, un nouveau vide se creusait autour de Guillaume.

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BALIZAC CHANGE DE SYNDIC DE FABRIQUE - L'AFFAIRE DES CLOCHES

Au printemps de 1751, Jean CALLEN , Syndic de la Fabrique de la Paroisse, avait manifesté l'intention d'abandonner sa charge et de la transmettre à qui voudrait bien la prendre.

Il en avait averti son Curé, Me Jean ROUDES, lequel, au prône du Dimanche 20 Juin avait convoqué une Assemblée de tous les notables locaux à la sortie de la Messe du Mardi 29, jour de la Fête de la St PIERRE, une Fête chômée particulièrement solennelle.

Cette réunion se tint en effet au jour dit dans le cimetière paroissial, et, plus précisément, nous est-il dit, sous le porche de l'Eglise,

"capitulairement assemblée au son de la cloche, (à l')issue de la Messe

Le Curé ROUDES informa tout d'abord les notables de la décision de Jean CALLEN, Syndic sortant,

"lequel désirant sortir de (sa fonction de Syndic), pour certaines raisons, et en même temps, rendre compte de son administration..."

Après échange de vue, on procéda à un vote, et c'est ainsi que l'on désigna :

"Arnaud DUBOURDIEU, de HAT, lequel ici présent, ce acceptant, et auquel est donné pouvoir d'administrer...seul tous les biens et revenus de ladite Eglise, (de) se charger des sommes à elle appartenantes, (de) faire les réparations urgentes et nécessaires, (de) convenir avec les ouvriers (et) passer avec eux des polices sous telles conditions qu'il trouvera à propos, après en avoir préalablement conféré avec Monsieur le Curé..."

Notons bien au passage cette restriction car elle peut être lourde de conséquences. Selon le tempérament, l'autorité ou l'humeur du Curé, le Syndic Fabricien pouvait tout aussi bien être un gestionnaire réellement indépendant, un administrateur en liberté surveillée ou un simple homme de paille d'un tout puissant Curé. L'exercice de cette responsabilité paroissiale n'était donc pas de tout repos, et nous allons en avoir bientôt la preuve.

Enfin, le Syndic recevait :.

"pleins pouvoirs...de poursuivre (toute affaire) en justice jusqu'à jugement définitif, (etde) constituer (pourcela) procureur au fait de plaidoierie, etc..."

Nous allons prendre maintenant un peu d'avance et franchir quelques mois en nous portant au seuil de l'été 1754, pour examiner, sur un cas concret les aléas de cette institution. Nous allons ainsi entrer de plain pied dans l'affaire des cloches de BALIZAC...

Et tout d'abord, il convient d'apporter quelques précisions sur le cadre dans lequel vont se dérouler les évènements qui, tout au long de cet été 1754, mirent en ébullition le microcosme paroissial.

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Le service public de la sonnerie des cloches, à BALIZAC, comme dans bien des paroisses, était privatisé. Tous les ans, le jour de la Pentecôte, on procédait à une adjudication publique, et le mieux disant des paroissiens emportait l'enchère pour un certain prix. Il se voyait remettre les clés du clocher, et devenait sacristain de la paroisse pour l'année à venir. Après quoi, il percevait une redevance pour exécuter chacune des sonnerie rituelles prévues par l'usage (mariages, baptêmes, décès, etc.)

Or, le 2 Juin 1754, jour de la Pentecôte, cette adjudication s'était déroulée dans des conditions un peu équivoques. Frauduleuses pour les uns, parfaitement régulières pour les autres, il est bien difficile de se faire une opinion impartiale sur la question. Nous nous bornerons à retenir les faits.

Il n'est pas douteux que l'adjudication s'est déroulée en dehors de la présence du Curé ROUDES, tandis que celui-ci était à table, dans son presbytère, car c'était l'heure de son dîner.

Il n'est pas davantage contestable que l'enchère a été enlevée pour la somme de 15 Livres, alors qu'elle avait atteint 21 Livres l'année précédente. Enfin, et ce n'est certainement pas le moindre motif de la contestation, le mieux disant se trouva être un paroissien que le Curé ne pouvait souffrir, même en peinture... Tout cela faisait beaucoup. Y avait-il eu une intention malicieuse de la part d'une coterie ? Le Curé l'affirme, mais nous n'en saurons pas davantage.

Toujours est-il que Me ROUDES réagit vivement en contestant le résultat de cette adjudication. Il monta aussitôt une contre offensive en utilisant une procédure offerte par le Droit Coutumier : le "tiercement". En effet, la Coutume de BORDEAUX prévoyait que n'importe quelle adjudication, même parfaitement régulière, pouvait être remise en cause si quelqu'un se présentait en offrant un prix supérieur d'un tiers au montant définitif atteint par l'enchère. Cet intervenant pouvait d'ailleurs parfaitement être un nouveau venu n'ayant pas participé aux opérations de l'adjudication. Le Curé ROUDES avait donc aussitôt pris contact avec Bertrand DARCOS, le Sacristain sortant, et lui avait demandé de procéder à ce "tiercement", lui fournissant probablement, discrètement, les moyens d'y pourvoir.

Et sans tarder, le Samedi suivant 8 Juin, il traîna Arnaud DUBOURDIEU, le Syndic que nous avons vu élire en 1751, et ce Bertrand DARCOS, chez Me GERMAIN, Notaire à PRECHAC.

Pourquoi à PRECHAC ?

Pourquoi si loin alors que Me LAFOURCADE tenait son Etude dans le Bourg de BALIZAC ? On peut évidemment penser à une absence momentanée de ce Notaire, mais on peut tout aussi bien imaginer que Me ROUDES ait préféré s'adresser à un praticien exerçant loin des coteries et turbulences locales.

La question reste ouverte et rien ne nous permet de la trancher. 

Si l'on s'en tient au pied de lettre de la sommation qu'ils vont demander au Notaire de rédiger, ce sont Arnaud DUBOURDIEU et Bertrand DARCOS qui agissent de leur propre mouvement,.

"en présence de Me Jean ROUDES, Prêtre, Docteur en Théologie, Curé de BALIZAC."

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Mais en fait, il s'agit d'une "présence" très active, car il est aisé de deviner entre les lignes que c'est bien le Curé qui est l'inspirateur de la démarche et le véritable maître du jeu; certaines phrases sont d'ailleurs sans équivoque.

Après avoir exposé les conditions générales d'attribution du service des cloches, le texte poursuit :

"lesquelles cloches ont été délivrées à Jean ROUMAZEILLES, dit PELONNE, pour la somme de quinze Livres, se prétendant dernier enchérisseur, lequel se seroit nanty des clefs du clocher, et comme ledit Sieur Curé prétend que les enchères et délivrance ont esté faites clandestinement, n'y ayant pu y assister à cause de l'heure de son dîner et qu'à cet effet il en résulte deux inconvénients également sensibles dont le premier est que lesdites cloches étaient avant affermées vingt une Livres et qu'il n'y paroit aucune difficulté qu'elles ne soient baillées pour le moins autant si les choses avoient esté faites en règle et pour cest effet la Fabrique se trouve frustrée....; le second c'est que ledit ROUMAZEILLES n'est pas agréable audit Sieur Curé, luy ayant manqué de respect et de soumission en plusieurs occasions, à cause de (cela), et de sa qualité de Curé, il a esté en droit de réclamer contre cette délivrance, ce qu'il a requis audit Syndic Fabricien de faire une nouvelle enchère..."

Seulement, voilà, ROUMAZEILLES, estimant être dans son bon droit, a bel et bien refusé de rendre les clés du clocher, et DUBOURDIEU ne voit pas bien comment on pourrait l'y contraindre, "à moins d'un tiercement".

Qu'à cela ne tienne, Bertrand DARCOS, le Sacristain sortant se présente aussitôt et propose ce tiercement,

"mais le dit ROUMAZEILLES, obstiné, a refuzé opiniâtrement de remettre lesdites clefs..."

D'où la confirmation de la proposition de tiercement, par acte notarié, pour un montant de 22 Livres 10 sols, assortie d'une sommation en bonne et due forme de restituer ces fameuses clés. Et les choses ne traînent pas ; dans l'après midi du même jour, le Notaire GERMAIN fait le voyage de PRECHAC à BALIZAC pour signifier son acte à ROUMAZEILLES à son domicile.

Il faut bien noter que tout cela s'est déroulé dans l'urgence, dans le cadre de la semaine suivant Pentecôte.

Au point où nous en sommes, nous voyons se dresser face à face le Curé ROUDES, très combatif, qui ne veut à aucun prix voir cet esprit fort de ROUMAZEILLES devenir son Sacristain, et le même ROUMAZEILLES, non moins déterminé, bien décidé à en conserver la charge.

A côté d'eux, Bertrand DARCOS obéit à son Curé et fait ce qu'on lui dit de faire, tandis que DUBOURDIEU, le Syndic, très réticent, est bien ennuyé de cette affaire et se demande bien comment elle va finir.

N'oublions pas enfin l'opinion publique qui, dans le village se partage entre les deux camps et radicalise la situation en interdisant à DUBOURDIEU la recherche d'une solution négociée.

ROUMAZEILLES a bien reçu la sommation du Notaire, mais il passe outre et conserve les clés.

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Le Curé fulmine et, le 14 Juin, introduit des poursuites judiciaires contre lui auprès du Tribunal Seigneurial de CASTELNAU de CERNES. Il entraîne dans cette aventure le fidèle DARCOS, et, non sans forte pression, un DUBOURDIEU de plus en plus réticent mais qui n'ose pas trop résister à son Curé. Les préliminaires du procès s'engagent, et bien vite, DUBOURDIEU se rend compte qu'il est mal engagé et que la cause est mauvaise. A la vérité, nous ne savons trop pourquoi, mais peut-être parce que DARCOS n'a pas consigné le montant de son tiercement entre les mains de Me GERMAIN au moment de sa sommation. L'acte est formel, il a bien :

"déclaré par le présent acte se soumettre au tiercement",

mais il n'a pas "exhibé" l'argent devant le Notaire, et c'est là probablement son point faible. Toute autre eût été sa position s'il avait pu déposer la somme proposée sur la table du Notaire en lui demandant de la consigner à la disposition de la Fabrique et d'en dresser le constat. Le Droit Coutumier était très pointilleux sur les questions de solvabilité, et une simple promesse n'était guère, en pareil cas, de nature à emporter la conviction d'un Juge.

Le Curé ROUDES a été bien imprudent de ne pas aller jusqu'au bout de sa démarche en avançant à DARCOS l'argent qui lui était nécessaire et dont il ne devait pas disposer.

Quoi qu'il en soit, pour cette raison ou pour toute autre, Arnaud DUBOURDIEU réalise que cette affaire est mal engagée, et, coup de théâtre ! Il se désolidarise du Curé, et change de camp !

Le 28 Juillet suivant, il se présente en l'Étude de Me LAFOURCADE (point n'est besoin cette fois-ci d'aller jusqu'à PRECHAC), et lui explique sa nouvelle position. En un mot comme en mille, il ne veut plus entendre parler de ce procès et s'en retire purement et simplement en reconnaissant formellement le bon droit de ROUMAZEILLES. Il n'entend :

"point en faire suite directement ni indirectement, déclarant aussy ne pas s'opposer (à ce) que ledit ROUMAZEILLES garde lesdites cloches comme Sacristain, attendu qu'elles luy ont été adjugées et délivrées dans toutes les règles et que ledit DARCOS est un misérable métayer sans aucune sorte de bien, par conséquent insolvable, au lieu que ledit ROUMAZEILLES est un foncier et propriétaire de la susdite paroisse."

Voilà un argument qui, à défaut de valeur morale ou juridique offre un solide fondement pragmatique... Mais DUBOURDIEU va plus loin, il :

"ajoute encore qu'il a été surpris quand on l'a fait entrer dans ledit acte ... et la procédure introduite..."

 En conséquence, il :

"proteste contre ledit Sieur Curé et ledit DARCOS que.., s'ils venaient à faire suite (à cette) procédure (et) d'agir en son nom de Syndic Fabricien, (il proteste) de la nullité et cassation de tout (ce qu'ils pourraient faire) et de tous les dépens, dommages et intérêts."

Et pour plus ample précaution, il en informe officiellement ROUMAZEILLES qui en prend bonne note.

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La fin de cette controverse ne nous a pas été conservée, mais il existe quelqu'espoir de la retrouver un jour car les archives de la Juridiction de CASTELNAU sont bien loin d'avoir été toutes dépouillées.

Peut-être pourra-t-on y découvrir un jour le dénouement de cette rocambolesque histoire dont le moins que l'on puisse dire est bien qu'elle ne fut pas claire. Car, dés le départ, il n'était certainement pas très normal qu ROUMAZEILLES ait emporté pour 15 Livres une adjudication qui, les années précédentes, avait dépassé 20 Livres, quant à la suite, nous la connaissons, son déroulement n'est pas beaucoup plus limpide.

Il ne faudrait pas croire que ce genre d'affaire se bornait à soulever dans le village un simple intérêt polémique entre tenants et opposants au Curé ; il s'y attachaient des implications financières qui, à l'échelle des moyens modestes dont disposaient ces braves paroissiens, pouvaient poser de véritables problèmes.

La sonnerie des cloches pour un "bel" enterrement était facturée 3 Livres au profit du Sacristain qui en était le fermier. Or, trois Livres, c'était alors le prix d'un beau mouton, encore fallait-il y ajouter deux autres Livres pour la location du drap mortuaire et la fourniture de l'encens, sans parler bien entendu des Messes de requiem demandées au Curé pour le repos de l'âme du défunt. A raison de 10 sols l'une, elles ne représentaient d'ailleurs pas la plus grosse dépense.

Ces tarifs s'élevaient très vite lorsqu'il s'agissait de prestations particulières telles, par exemple, qu'une demande de sépulture à l'intérieur de l'Eglise. Il fallait d'abord pour cela que se dégage un consensus de la communauté paroissiale, car il n'était pas questions d'inhumer n'importe qui en de telles conditions, mais il fallait aussi se montrer généreux envers la Fabrique de l'Eglise. Me LAFOURCADE, le Notaire que nous connaissons bien, prévoira dans son testament, 24 Livres à cet effet.

Il n'est donc pas étonnant que tout ce qui touchait aux finances de la communauté paroissiale ait toujours suscité des débats circonstanciés jusqu'au sein des chaumières....

 

ENQUETE SUR LE PÉAGE DE CASTELNAU

Nous avons déjà vu comment, en 1746, le Conseil du Roi avait supprimé tous les péages situés aux points d'accès aux terres de la Marquise de PONS, à BOURIDEYS, CAZENEUVE, SAINT SYMPHORIEN, ORIGNE et autres lieux, pour ne laisser subsister que celui de CASTELNAU.

Et nous avons dit dans quelles conditions ladite Marquise, s'estimant lésée, avait fait appel de cette décision. L'affaire rebondit en Octobre 1753 lorsque l'Intendant, à la demande du ministère, relança une vaste enquête sur le fondement d'un questionnaire précis qui va, dans ses réponses, nous apporter quelques indications sur l'activité des transports dans la région.

Le 14 de ce mois d'Octobre se réunit à CASTELNAU une Commission de 18 Notables issus de toutes les paroisses concernées en vue d'examiner ce questionnaire et d'y répondre. On trouve là le Juge de CASTELNAU, son Procureur Civil et Criminel, les Curés de SAINT LÉGER et de SAINT SYMPHORIEN, les Syndics des paroisses, etc...

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Les questions posées sont précises, les réponses fournies ne le sont pas moins, et c'est tout l'intérêt de ce texte qui nous fournit une bonne image de la vie économique locale du temps.

"1ère QUESTION : Dans la Paroisse St LEGER, sur le Ruisseau de la HURE, proche le Moulin dit de CASTELNAU, y a-t-il un pont bâti en pierre, construit et entretenu aux frais du Seigneur, et la chaussée est-elle assès large et espacieuse pour que toutes espèces de voitures y puissent passer commodément et en sûreté ? Ya-t-­il un autre pont sur le RÏOU BLANC, même Paroisse de St LEGER, proche le Moulin appelé de la MOULETTE ? Un autre sur le même Ruisseau, Paroisse de BALIZAC, près le moulin de la FERRIERE, un autre sur le Ruisseau d'ORIGNES dans le voisinage du moulin de BALIZAC, et enfin un autre sur le Ruisseau du BALLION près le Moulin de VILLANDRAUT ? Tous ces ponts ou plusieurs d'iceux sont-ils construits en pierre avec des chaussées suffisament larges ; et le tout est-il entretenu en bon état et aux frais de Mr. le Comte de PONS ?"

Avant de prendre connaissance de la réponse, nous observerons qu'il y a ici quelques erreurs. Il y a bien un pont sur le Ruisseau BLANC à la MOULETTE, mais le pont de la FERRIERE est sur la HURE, et non sur le Ruisseau BLANC.

Par ailleurs, le pont situé au voisinage du Moulin de BALIZAC (en précisant qu'il s'agit du Moulin aujourd'hui disparu, situé au pied du quartier de PINOT, et non celui de TRISCOS qui ne sera construit qu'en 1793), ce pont est bien sur le Ruisseau d'ORIGNE, mais nous avons vu qu'il avait été construit aux dépens des deniers royaux en 1610, et cela, les Services de l'Intendance auraient dû s'en souvenir.

Un péage du Seigneur n'y était donc pas justifié, à moins que l'administration royale ayant procédé à l'investissement initial de la construction n'en ait ensuite confié l'entretien ultérieur au Seigneur, moyennant perception d'un péage réduit.

La chose n'est pas impossible, mais c'est une pure hypothèse qu'aucun texte ne vient étayer. Pourtant, les notables interrogés ne formulent dans leur réponse aucune remarque à cet endroit.

"REPONSE : Les ponts ci-contre subsistent; ils y sont bâtis en pierre et appartiennent au Seigneur de CASTELNAU de CERNES. Ils ont toujours été entretenus à ses dépens ; cependant, depuis quelques tems, il y a du relachement en ce que les voutes du pont sur les Ruisseau d'ORIGNES, près du Moulin de BALIZAC n'ont point été refaites en pierre, mais Couvertes en madriers de bois, défaut d'entretien qu'on attribue à la cessation des droits de péage qui se sont levés en tous temps dans cette terre."

On notera ici que la voûte du pont sur la NERE (que l'on appelle ici Ruisseau d'ORIGNE), près du Quartier de PINOT, une fois encore, n'a pas tenu. Elle avait connu, lors de sa construction, bien des vicissitudes que nous avons déjà évoqués.

Les choses ne se sont donc pas arrangées puisque 136 ans plus tard, un plancher de bois a dû suppléer la chaussée de pierre défaillante.

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"Les chaussées de ces ponts sont espacieuses, solides et bien aisées et en estat de servir au passage de toutes sortes de voitures ; il parois qu'elles n'ont esté construites de même que pour servir à cet usage, en ce que la majeure partie de ceux qui vont à ces moulins n'ont pas besoin d'y passer, ne se servant ordinairement, que de chevaux, mulets, ou de leurs kas (charrettes à quatre roues) ou petites charrettes dont la voie est étroite, par conséquent, il n'y auroit point là de nécessité de faire les chaussées aussi larges si on n'avoit voulu les faire servir qu'à l'usage desdits moulins."

Ici, les notables assemblés répondent par avance à une objection que nous allons découvrir dans le corps de la seconde question. Une objection qui les inquiète car elle a quelque apparence de fondement.

L'Intendant va leur dire en quelque sorte : ces chemins et ces ponts n'ont-ils pas été essentiellement construits à votre intention pour desservir vos propres moulins, alors que vous êtes les seuls, en qualité de manants de cette Seigneurie, à ne pas en acquitter les péages ; et vous semblez trouver normal de vous faire offrir ce service aux frais des quelques étrangers au pays qui circulent sur ces chemins.

Il ne le dira pas dans ces termes, mais ce sera bien le fond de sa seconde question telle que nous allons la découvrir tout à l'heure.

Aussi l'Assemblée juge-t-elle utile, sans plus attendre, et dès sa première réponse, de prendre les devants.

 C'est vrai que l'essentiel des transports de grains et de farines découlant de l'activité des moulins locaux s'effectuait à dos de cheval ou de mulet et pouvait donc passer les ruisseaux à gué à peu près n'importe où. Nous disposons de nombreuses preuves de ces pratiques .

Mais ces braves gens ne feront croire à personne que ces ponts ne leur étaient pas utiles. Ils les empruntaient très régulièrement, en tant que de besoin pour tous leurs charrois courants, et c'était bien naturel.

"Mais on a réfléchy que les voitures en tems d'hiver, lorsque les landes sont couvertes d'eau et ces ruisseaux débordés, ne pouvoient les passer sans courir des dangers, raison pour laquelle ces chaussées semblent avoir été construites ; de même aussi sont‑ elles fréquentées pour lors par les voituriers qui, dans les beaux tems , et quand les landes sont sèches, les traversent à l'endroit qu'ils veulent et qui leur semble le plus aysé."

Venons-en à la seconde question de l'Intendant

"Les voitures chargées de marchandises et denrées venant d'ORTES, TARTAS, MON de MARSAN, ST SEVER et BAYONNE pour être transportées à BORDEAUX traversent-elles les paroisses sittuées dans la Seigneurie de CASTELNAU de CERNES, et passent-elles ordinairement sur les ponts et chaussées dont il est question dans le précédent article, ou du moins sont-elles obligées d'y passer pendant l'hiver lorsque les landes sont couvertes d'eau et que les ruisseaux sont débordés, de façon qu'il soit vray de dire que les ponts et chaussées dont il s'agit n'ont point

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été construits et ne sont point entretenus en bon état aux frais du Seigneur uniquement pour le service de ses moulins, mais que le public en retire une utilité considérable par rapport à l'entretien du commerce par terre entre les villes que l'on vient de nommer et celle de BORDEAUX, lequel serait entièrement interrompu pendant certains tems de l'année si les voitures n'avoient la ressource de passer alors, comme elles passent en effet par lesdits ponts et chaussées."

Voila donc bien la vraie question. Elle est si fondamentale que les notables, nous l'avons vu, en ont anticipé la réponse, avant même qu'elle ne fut posée... Nous ne poursuivrons pas plus loin ce jeu de questions/réponses qui se développe ainsi sur des pages et des pages. Cela nous entraînerait beaucoup trop loin, mais il est tout de même intéressant d'en retenir quelques éléments.

Nous apprenons ainsi que les voituriers au long cours avaient le choix entre deux itinéraires. Lorsque l'état des chemins le leur permettait, ils passaient par BELHADE, HOSTENS et rejoignaient BORDEAUX en passant par LA PRADE. Mais à la mauvaise saison, cette relation était impraticable. On les voyait alors reparaître dans nos contrées sur l'itinéraire passant par BOURIDEYS, SAINT LEGER et PODENSAC ou CASTRES.

C'est alors qu'ils empruntaient les aménagements soumis aux péages locaux.

Des péages dont nous avons déjà eu l'occasion de donner un petit aperçu et qui restaient très modestes. Un tonneau de vin de graves y acquittait un droit de 5 sols pour une valeur d'une centaine de Livres soit donc une taxe de 0,025 %, tandis qu'une douzaine de moutons se voyait réclamer 1 sol et 6 deniers, soit 0,25% de leur prix.

C'était vraiment très peu, mais la répétition de ces perception tout au long d'un parcours était irritante et constituait incontestablement une entrave à la libre circulation des biens, ce qui était évidemment fort mal vu de l'Administration centrale.

Une enquête complémentaire devait suivre, deux ans plus tard, et les mêmes notables se retrouveront ainsi le 15 Mars 1755, pour donner un avis précis sur le maintien d'un péage unique qui pourrait être perçu au centre de la Seigneurie, à CASTELNAU. Et là, on sent bien l'irritation de ces braves gens devant une Administration qui saisit mal la réalité du terrain :

"Les landes estant un païs plat et d'un terrain sabloneux où les routtes ne sont point fixées et bordées par des fossés, il seroit très facile aux voituriers de frauder le droit du péage en se détournant du lieu où la levée s'en feroit pour passer dans un autre. Ce n'est que pendant que les pluyes de l'hiver ont inondé les landes et fait déborder les ruisseaux que les voituriers.... sont astreints à passer sur les ponts et chaussées construits et entretenus aux frais du Seigneur..."

Ils finiront par se prononcer pour le maintien de points de perception multiples, à chacun des accès au territoire de la Seigneurie, mais en se limitant à une seule perception pour une même marchandise, quel que soit son cheminement sur ce territoire, et sans considération du nombre des ouvrages empruntés.

Au surplus, ils entendaient bien que les manants locaux continuent d'en être dispensés, et demandaient qu'un tarif clair (une "pancarte") soit affiché aux différents points de perception.

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Moyennant quoi, le Seigneur serait expressément tenu d'entretenir ces ponts et ces chaussées à ses frais

Même si elle n'avait pas soulevé de véritable passion, cette affaire avait néanmoins mobilisé l'opinion locale et alimenté bien des débats. L'essentiel, dans l'esprit des manants était bien que l'entretien des ponts fut assuré et qu'ils restent, quant à eux, à l'écart de tout financement, selon la coutume ancestrale que l'usage avait consacré.

Tout ceci nous a ainsi conduits jusqu'au printemps de 1755, un printemps qui, par ses évènements devait longuement marquer les mémoires.

 

LE PRINTEMPS DE 1755

Des gelées tardives survenues dans les derniers jours d'Avril avaient largement compromis les récoltes à venir.

Dés lors, on savait bien que l'on n'aurait aucun fruit à l'automne, et c'était toujours un sujet de vive inquiétude. Les carences en pommes et en châtaignes pour les hommes et en glands pour les animaux étaient toujours très durement ressenties. Il s'agissait là de fruits de longue conservation qui assuraient bien des jours de subsistance au plus mauvais temps de l'hiver. D'ores et déjà, le pronostic porté sur cette nouvelle année était donc pessimiste. Mais des gelées tardives, on en avait malheureusement déjà vu, et l'on en verrait encore. L'évènement majeur fut tout autre.

On avait souvent entendu parler de vastes incendies dans la grande lande, en 1713 par exemple à LA TESTE, et, beaucoup plus près de nous, la "grande blüe" (le grand incedie) de PISSOS en 1735, d'autres encore, certes, mais jamais aucun comme celui de 1755. Ce fut, selon l'expression du temps, "un prodigieux embrasement" une véritable catastrophe aux dimensions de la Province.

Le feu, parti de CASTETS et poussé par un fort vent d'est-sud-est, se développa sur un front de plusieurs kilomètres et sur une profondeur d'une cinquantaine de kilomètres. En fait, seules, au bout de plusieurs jours, les dunes côtières eurent raison de sa fureur.

On pourrait penser que la chose fut vécue comme un évènement lointain. Il n'en fut rien, et non seulement parce que le ciel fut durablement obscurci par un énorme nuage de fumée qui recouvrit toute la lande, mais aussi parce que chacun se sentit étroitement solidaire dans le risque d'une pareille catastrophe. La Province fut d'autant plus sensible à ce coup qu'une bonne part des zones côtières détruites étaient précisément celle qui avait échappé au gel de 1709.

Dans les années qui suivirent, le prix des résines fit un bond de 30% sur le marché bordelais, augmentation dont nos résiniers locaux ne manquèrent évidemment pas de tirer le meilleur parti. En effet, leurs pins, qui, eux aussi, avaient péri au cours du grand hiver de 1709, avaient déjà atteint une maturité suffisante pour mettre cette opportunité à profit.

Mais cela, on ne le découvrit que l'année suivante. En attendant, les prédicateurs locaux ne manquèrent pas d'évoquer la juste colère du ciel sanctionnant la désobéissance des hommes.

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Ils trouvèrent d'ailleurs quatre mois plus tard un surcroît d'argument à leur discours dans l'effroyable tremblement de terre de LISBONNE qui, le 1er Novembre de cette même année 1755, ravagea la Ville entière au prix de 15.000 morts et d'innombrables blessés. L'écho de cette catastrophe parvint jusqu'au fond de nos campagnes et même si tous ne surent pas trop où se trouvait LISBONNE, la nouvelle ne manqua pas d'être largement commentée.

 

GUILLAUME MARSAU EST DE NOUVEAU GRAND PERE

Certes, la vie à BALIZAC était heureusement moins mouvementée, mais elle offrait, à sa mesure, son contingent d'évènements.

Chez les MARSAU, le 15 Juin 1755, on avait ainsi accueilli la naissance d'un nouveau petit Guillaume (le troisième de la fratrie...). Guillaume MARSAU avait une fois encore été désigné pour Parrain. C'était son sixième petit-enfant, mais quatre d'entre eux étaient déjà morts. Le baptême fut célébré en l'église de BALIZAC dans l'après-midi du même jour. On n'avait même pas eu le temps de faire venir la Marraine désignée, laquelle vivait à LAULAN. Une certaine Marie RICARD la remplaça au pied levé :

"sa Marraine a été Marie RICARD qui l'a tenu sur les fonds à la place de Marie LARRUE..."Par contre, Monsieur Jean Jacques PERROY, Praticien, assistait à la cérémonie, et c'était un petit évènement que le Curé ne manqua pas de signaler dans son acte. Que faisait là cet homme de loi, était-il ami de la famille ou était-il simplement de passage ? 

Rien ne permet de le dire, mais comme nous savons par ailleurs qu'il habitait NOAILAN, il y a peu de chances qu'on ait eu le loisir de le convoquer tout exprès dans un aussi bref délai pour participer à une cérémonie où, somme toute, il ne devait être que simple témoin. Monsieur PERROY a bien pu se trouver là un peu par hasard tout en étant dans une relation lui permettant de participer à l'événement familial.
 

UN ACCIDENT DE CIRCULATION

Nous sommes à TRISCOS le 10 Septembre 1755, vers les cinq heures du soir. Il reste encore à peu près une heure de jour. Sur le grand chemin de St SYMPHORIEN à LANDIRAS, qui, en ce temps-là, passait tout à côté du Quartier de MOULIEY, deux hommes vont à cheval au pas de leur monture.

Ce sont Lazare DESQUEYROUX, habitant à SAUTERNES, et Bernard DUGOUA, son demi-frère. Tous deux rentrent de St SYMPHORIEN où ils se sont rendus la veille pour affaires. A l'approche du carrefour de leur chemin avec celui reliant MOULIEY au Moulin de la FERRIERE, appelé "lou Gamin Moulian", ils voient venir vers eux une charrette chargée de grain tirée par une paire de boeufs.

Le bouvier se tenait à l'arrière et s'entretenait avec une femme qui marchait auprès de lui. Parvenu à faible distance du carrefour, on ne sait pas pourquoi DESQUEYROUX fit prendre le galop à son cheval, lequel de surcroît, l'enquête le confirmera, était aveugle.

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Juste au-devant des boeufs, le cheval fit un faux pas, et DESQUEYROUX s'en trouva désarçonné. Il tomba à terre, sur le ventre, entre les pattes de l'attelage. Imperturbables, les boeufs poursuivirent leur route et avant que quiconque ait pu esquisser un geste, l'une des roues de la charrette " lui passa dessus les deux épaules ". On se précipita pour le relever, mais à peine pouvait-il parler,

" il dit seulement qu'il estoit mort.."

On courut chercher du vin à MOULIEY,

"mais il ne put en avaler et expira dans le moment."

Quand les gens de TRISCOS, quelques minutes plus tard, parvinrent sur les lieux, tout était terminé.

Tout aussitôt, on courut prévenir le chirurgien au Bourg de BALIZAC et ces Messieurs de la Justice à St LEGER et St SYMPHORIEN.

Entre temps, la nuit était tombée, et c'est à la chandelle que le chirurgien procéda à ses premières constatations dont il dressa Procès Verbal à l'usage des enquêteurs :

"procédant à la visitte dudit cadavre, j'ay remarqué la première vertèbre du col toutte fracturée, de plus j'ay remarqué qu'une roue d'une charrette ferrée luy a traversé les deux omoplates où l'empreynte des clous de laditte charrette m'ont pareu sur cesdittes omoplates et je juge que ledit cadavre, par la chutte qu'il a fait de tomber par terre sept fracturé la vertèbre du col et qu'il luy a causé la mort et que la roue de laditte charrette l'a aydé à mourir..."

Ces Messieurs de la Justice ne purent que prendre acte de tout cela, l'accident ne faisait pas de doute et aucune poursuite ne fut engagée.

 

HEURS ET MALHEURS DE LA FAMILLE MARSAU SUITE

Dans l'après-midi du 15 Septembre 1756, Guillaume MARSAU était à VILLANDRAUT. C'était un Mercredi, alors jour de marché. Il avait rendez-vous avec Pierre DUPUCH, dit CHOYNES, établi marchand à BALIZAC.

Tous deux se rendirent chez le Sieur CAZENAVE où ils savaient rencontrer Me GERMAIN, le Notaire, qui y tenait ses quartiers les jours de marchés. C'était pour parachever une transaction dont ils avaient déjà convenu. Guillaume achetait à DUPUCH :

"une pièce de terre en pelouse cy-devant en pins, appellée à LA CUJOLLE et aux PINS de COURDON..."

Cette pièce, de dimensions modestes, était contiguë à un fonds appartenant déjà aux MARSAU et permettait donc une extension intéressante.

Une estimation commune préalable en avait fixé le prix à 49 Livres et 15 sols que Guillaume paya comptant en présence du Notaire. Cette transaction est assez typique d'opérations identiques que l'on rencontre bien des fois en maintes circonstances.

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Un quidam se trouvant pour une raison quelconque en situation difficile commence par vendre les pins qui couvrent son domaine, puis il en vient à vendre la terre elle-même en s'adressant, en priorité à ses plus proches voisins. Généralement, et c'est bien le cas ici, ces ventes se faisaient au comptant contre paiement immédiat, tout simplement parce que le vendeur avait besoin d'argent frais.

A un mois de là, la famille MARSAU devait être cruellement frappée. En deux jours, les 26 et 28 Octobre 1756, Guillaume MARSAU allait perdre les deux petits enfants qui lui restaient, deux de ses filleuls, Guillaume, âgé de huit ans, et l'autre Guillaume, le dernier né, âgé de 16 mois.

Bien que les textes n'en disent rien, il s'agit certainement de la conséquence d'une épidémie, soit de variole, soit de choléra.

En tous cas, ces décès étaient manifestement attendus car on avait eu le temps de faire appel au Curé ROUDET, du moins pour l'aîné, qui avait reçu les Sacrements de Pénitence et d'Extrême Onction. Il n'avait pas reçu l'Eucharistie car, n'ayant pas encore été en âge d'aller au catéchisme, il n'avait pas encore fait sa première communion.

Ainsi donc, au soir du 28 Octobre 1756, à l'âge de 69 ans, sur les six petits enfants que lui avaient donnés son fils Pierre et sa bru Pétronille, il ne lui en restait plus un seul. Il retrouvait donc, en pire, à la génération suivante une situation qu'il avait bien connue, puisque lui-même n'avait conservé que deux enfants sur les sept qu'il avait eus.

Pourtant, à l'âge de 38 ans passés, sa Bru Pétronille, une fois encore était enceinte. Elle en était à son sixième mois. Est-il besoin de dire comment cet enfant était attendu. Après six garçons, dans l'esprit de tous, ce ne pouvait être qu'un autre garçon, celui qui sauvegarderait, in extremis, le lignage des MARSAU LA BESOÜE, celui sur qui reposait tout l'avenir de la famille...

Et ce fut une fille, Jeanne qui naquit le 30 Janvier 1757, la seule qui survivra et dont tous les DARTIGOLLES sont issus. C'est elle qui se mariera avec Bernard FERRAND dont nous avons déjà conté par ailleurs l'histoire, et qui, la dernière, maintiendra le nom des MARSAU LA BESOÜE jusqu'à son décès, en 1829.

Décidément, tout allait mal, ne venait-on pas d'apprendre, au prône de la Messe qu'un certain DAMIEN venait d'attenter à la vie du Roi le 5 Janvier dernier ?

Ce monde devenait fou. Il est moins sûr que l'on ait eu beaucoup de détails sur la défaite de ROSBACH, en Novembre de la même année, là où SOUBISE perdit une armée de 50.000 hommes mal commandés devant 22.000 Prussiens bien encadrés.

Les Curés recevaient force détails lorsqu'il s'agissait de célébrer des victoires et de chanter des Te Deum. Ils étaient alors à même de faire participer le bon peuple à l'allégresse générale. Mais ils étaient nettement moins documentés sur le fait des mauvaises nouvelles...

Une autre preuve que tout allait mal, c'est que dans la nuit du 10 au 11 Août 1759, vers 22h.15, la terre se mit à trembler fortement. La région de l'Entre Deux Mers fut la plus éprouvée. Le Château de VAYRES en fut ébranlé et plusieurs maisons détruites ici et là, tandis qu'à BORDEAUX, la voûte de l'Eglise Notre Dame s'effondrait.

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A BALIZAC les effets du séisme furent certainement plus mesurés, mais suffisants tout de même pour perturber les esprits. Le souvenir de tout ce que l'on avait dit il n'y avait guère sur la catastrophe de ce lointain LISBONNE revenait nécessairement en mémoire et c'était très inquiétant; on ne pouvait même plus compter sur la terre que l'on avait sous les pieds...

A trois semaines de là, Guillaume MARSAU se vit au plus mal. Nous ignorons tout de cette maladie, mais il la jugea assez sérieuse pour envoyer quérir Me MARTIN, le Notaire de St SYMPHORIEN qui accourut à son chevet au matin du 4 Septembre 1759.

Ce testament est, pour l'essentiel, très classique, mais comporte quelques dispositions particulièrement éclairantes sur les conditions de vie matérielle que l'on pouvait alors rencontrer à TRISCOS dans une famille de laboureurs relativement aisée.

Après avoir demandé à être inhumé dans le cimetière de l'Eglise paroissiale, avoir légué quatre Livres d'argent à la Fabrique et commandé 24 Messes basses de requiem à son Curé, Guillaume en vient à sa situation de famille. Il est veuf depuis bientôt dix ans, et il lui reste deux enfants, Pierre, âgé de maintenant 35 ans, marié avec Pétronille DUPEYRON et qui, de ses enfants, n'a conservé, nous l'avons vu, que sa petite dernière, Jeanne, tout juste âgée de 30 mois.

Mais il y a aussi Mathive, toujours célibataire à 38 ans, on ne sait trop pourquoi, et qui vit au foyer commun. Guillaume MARSAU est un homme trop avisé pour ne pas comprendre que, lui parti, il y aura une femme de trop dans sa maison.

Lorsqu'à l'âge de 23 ans, Pétronille est entré dans cette famille, elle est arrivée avec le statut de "nore", et s'est trouvée sous la coupe de sa Belle Mère, maîtresse incontestée de ces lieux depuis plus de vingt ans.

Le fait qu'il y eut déjà dans la maison une fille de 20 ans, Mathive, ne changeait pas grand chose à l'affaire.

Ni la "nore" ni la fille, selon l'usage, n'avaient voix au Chapitre, il leur suffisait de faire ce qu'on leur commandait et tout allait bien.

Après la disparition de la Belle Mère, en 1749, la situation aurait pu devenir plus conflictuelle entre les deux jeunes femmes, et l'on ne sait pas comment auront été vécues ces années-là; mais ce qui est sûr, c'est que la présence et l'autorité de Guillaume MARSAU, le Père, aurait rapidement remis de l'ordre dans sa maison si les rivalités féminines avaient dû y susciter quelques troubles.

Lui disparu, l'avenir des relations familiales était beaucoup plus incertain. Tout reposerait désormais sur les arbitrages que poserait Pierre son Fils entre les positions de sa Femme et celles de sa Soeur . . . C'est ce problème qu'en bon Père de Famille, il va s'efforcer de résoudre dans son testament.

Il analyse très sainement la situation. Ou bien Mathive, tôt ou tard vient à se marier, et en ce cas, il la dote et elle s'en va. Ou bien elle ne se marie pas, et en ce cas, il va définir les conditions de son indépendance pour qu'elle puisse vivre seule si c'est nécessaire.

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Il n'imposera pas la séparation, mais il la rendra matériellement possible et laissera à Mathive le choix de la formule.

Si Mathive se marie, elle recevra une dot de 600 Livres en argent, ce qui constitue une somme relativement conséquente pour une fille de laboureurs en ce milieu de siècle.

Son Père y ajoute un mobilier classique, un lit garni, une courtepointe, une couverture en laine, un coffre en bois de peuplier, douze draps de chanvre entremêlé, deux douzaines de serviettes et deux nappes, une robe et des souliers. C'est une dotation assez intéressante, mais tout à fait classique; cependant :

"cy toutefois ladite MARSAU ne prenait parti de mariage, il sera loizible à elle de laisser ladite somme dans les mains de son frère quy, audit cas, sera tenu (de) la loger dans une chambre de la présente (maison), (de l')entretenir de bois de pin pour son chauffage et (de) luy bailler une pension annuelle de cinq boisseaux (de) sègle, (de) trois boisseaux de millade, un quartier de cochon, de celluy quy sera dans la maison, et dix huit Livres en argent et demy barrique de vin blanc."

Voilà qui est tout à fait intéressant. C'est en quelque sorte la description du minimum jugé indispensable à la vie confortable d'une femme adulte célibataire à TRISCOS au milieu du XVIIIème siècle.

Il faut bien insister sur le mot "confortable", car, en fait, nombreuses étaient celles qui vivaient avec beaucoup moins. On peut même considérer, sans risque d'erreur que Mathive bénéficiait là d'une situation d'exception. Les 5 boisseaux de seigle, soit 515 litres, étaient destinés à l'alimentation humaine, le pain quotidien étant ainsi assuré. La millade n'était pas panifiable. Elle pouvait tout aussi bien fournir des bouillies ou servir, au moins partiellement à l'alimentation d'une petite basse cour.

On notera qu'il n'est pas encore ici question de maïs. Venant du BEARN, il commençait pourtant, dans ces années-là, à être connu dans la grande lande ; mais il faudra encore une vingtaine d'années avant d'en voir les premières cultures à BALIZAC et une commercialisation sur le marché de VILLANDRAUT. Les indications relatives au porc sont également intéressantes. On élève un porc dans la maison et, apparemment seul : "de celui qui sera dans la maison", est-il dit.

C'est un cas assez général, il semble que, même dans une famille aisée, on n'ait pas normalement envisagé d'élever un second porc. Au surplus, on ne trouve jamais la mention du porc dans les inventaires notariés, même dans les saisons où on aurait dû normalement le rencontrer. Il semble que dans la vie quotidienne, l'élevage du porc ait pu relever d'un statut assez particulier. Quant au vin, il est bien spécifié qu'il doit être blanc, sans que l'on puisse savoir s'il s'agit d'une situation habituelle ou d'un goût personnel de Mathive.

Tout est donc prévu pour qu'elle puisse mener une vie indépendante dans la pièce de la maison qui lui sera affectée. Mais Guillaume ne lui fait aucune obligation de vivre à part; c'est une décision qui sera réservée et que les intéressés prendront, éventuellement, si la vie commune s'avère trop conflictuelle. En attendant, Mathive :

"jusques à sa séparation sera nourrie et entretenue dans la maison et sa pension ne sera exigible qu'après ladite séparation."

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Cette disposition est assez astucieuse car, tous comptes faits, Pierre n'aura aucun intérêt à ce que sa soeur demande cette séparation. L'entretien d'une personne supplémentaire au foyer sera sans aucun doute moins onéreuse que le versement de la pension prévue, beaucoup plus contraignante.

Il y aura donc là un bon facteur d'entente familiale... Etant toujours bien entendu qu'en cas d'insuccès, le problème serait tout aussitôt réglé sans contestation possible. Guillaume MARSAU était un homme avisé.

Contre toute attente, Guillaume se rétablit. Mais il est bien possible qu'il se soit mal rétabli. Si nous n'en avons aucune preuve formelle, nous disposons néanmoins d'une sérieuse indication.

En effet, c'est le 4 Septembre 1759 que nous venons de voir dicter ce testament, et c'est seulement huit ans plus tard que mourra Guillaume. Mais dés le 19 Mai 1763, par une simple mention sur le Répertoire des actes de Me Joseph DARTIGOLLES, Notaire à St SYMPHORIEN, nous apprenons que Pierre MARSAU a pris possession des biens de son Père.

L'acte lui-même est malheureusement perdu, et nous ne connaîtrons donc pas les motivations de cette transmission de propriété. C'est bien dommage car il devait s'y trouver quelqu'explication de cette démarche tout à fait inhabituelle.

Les Pères de Famille conservaient habituellement la haute main sur le patrimoine commun jusqu'à leur dernier souffle. Il a donc fallu qu'intervienne une circonstance tout à fait exceptionnelle pour que Guillaume MARSAU envoie son Fils Pierre en possession de ses biens plus de cinq ans avant sa mort.

Serait-ce trop solliciter l'histoire en imaginant que les contraintes de la maladie avaient rendu Guillaume incapable de gérer le patrimoine familial plusieurs années avant sa mort ? A défaut de preuves, le contexte le suggère fortement, mais nous ne pourrons pas en dire davantage. Toujours est-il que le testament dont nous avons pris connaissance n'a pas été contesté. Il fut enregistré au Bureau du Château de CASENEUVE après la mort de son auteur.

Ces considérations nous ont porté un peu trop en avant en nous faisant franchir trop vite l'étape des dernières années de Guillaume MARSAU. Il nous faut donc revenir un peu en arrière pour nous retremper dans la vie quotidienne de ce temps-là à BALIZAC.

 

AINSI ALLAIT LA VIE QUOTIDIENNE A BALIZAC

Avec une généreuse constance, l'Assemblée des Cardinaux et Archevêques de FRANCE, qui se réunissait tous les cinq ans, demandait instamment à ses Curés d'organiser une instruction primaire de base pour les jeunes enfants des paroisses. Mais dans nos régions, ils rencontrèrent peu d'écho.

D'une façon générale, les Curés, et celui de BALIZAC était du nombre, se souciaient assez peu de prendre cette contrainte en charge. Si le pouvoir civil y avait été nettement favorable, il est probable qu'ils auraient été tôt ou tard obligés d'y venir, mais c'était bien loin d'être le cas.

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On sait la vive opposition des grands esprits du siècle à l'instruction publique des populations rurales. VOLTAIRE l'accable de ses sarcasmes, tandis que ROUSSEAU et bien d'autres encore la jugent non seulement inutile, mais encore nuisible au bonheur du peuple. Mais il n'y a pas besoin d'aller chercher si loin les réactions négatives à ce projet.

L'administration de la Province, en son plus haut niveau, y était également opposée. Encore une fois consulté, sous la pression de l'Eglise, par le Ministère de VERSAILLES, Mr de BOUTIN, Intendant de GUYENNE, répondait le 20 Mars 1760 au Comte de St FLORENTIN, Secrétaire d'État :

"Monsieur, Je suis bien éloigné de penser qu'il faille multiplier dans les Bourgs et dans les Villages les maîtres décolle qui ne produisent souvent d'autre effet que de faire des paysans des demi savants qui, la plus part, ne profitent de l'instruction qu'ils ont reçue que pour abandonner l'agriculture ou faire des procès à leur Seigneur. Je crois que ce n'est que dans les Villes principales, comme celles où il y a un évêché ou sénéchaussée, où il est à propos de fournir des moyens pour l'instruction des enfants..."

En prenant les choses au pied de cette lettre, il n'y aurait donc eu d'école dans notre région qu'à BORDEAUX, BAZAS et CASTELJALOUX... Et c'était bien l'opinion dominante jusqu'au fond de nos contrées. Interrogé une fois encore sur le même sujet, Mr de MARBOTIN du MIRAIL, à LANGON, le 24 Août 1761, répondait à Mr BOURIOT, Subdélégué à BAZAS (une sorte de Sous–Préfet avant la lettre) qu'il souhaitait que l'on défende d'apprendre à lire aux jeunes paysans, "ce qui leur donne de l'ambition".

Tout cela, les Curés locaux le savaient pertinemment, et ceci explique le peu de zèle qu'ils mettaient à suivre sur ce point les instructions de leurs Évêques. D'une façon générale, ils n'étaient d'ailleurs pas très portés sur les problèmes de gestion administrative.

Le Curé ROUDES à BALIZAC, nous en apporte une démonstration lorsque l'on s'aperçoit qu'il ignorait jusqu'au nom de sa servante qui vivait auprès de lui depuis des années. Le 21 Novembre 1760, il enregistre son décès en inscrivant sur son registre que :

"le corps de la nommée Mariane (un grand blanc) domestique, décédée d'hier soir à la cure dudit BALIZAC... a été ensevely dans le cymetière de cette paroisse."

Comment imaginer qu'il ait pu se donner beaucoup de mal pour organiser et contrôler, comme on le lui demandait, une école primaire à BALIZAC ? Il n'y avait donc point d'école, ni là, ni dans aucune des paroisses environnantes.

Cette année 1760 avait été mauvaise dans toute la contrée, sans que nous soyions pour autant renseignés sur la cause exacte de ces déboires. Il est fait état des "intempéries du temps" sans autre précision, mais les conséquences, telles qu'elles nous sont rapportées s'avérèrent passablement désastreuses. Plus de la moitié des récoltes de céréales fut anéantie, annonçant la venue d'une inéluctable disette. Parmi les procès verbaux qui furent dressés de cette situation, nous retiendrons celui de St SYMPHORIEN parce qu'il nous apporte des vues intéressantes sur l'économie locale de cette Paroisse.

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Certes, St SYMPHORTEN n'est pas BALIZAC, mais la répartition des ressources locales ne devait pas être fondamentalement différente d'une Paroisse à l'autre, et l'on doit pouvoir en tirer quelqu'idée transposable.

Ainsi donc, nous apprenons qu'à St SYMPHORIEN, en Août 1760, les ressources générales étaient constituées pour moitié par le seigle, pour un quart par la millade, pour un huitième par les revenus des bestiaux, pour un douzième par le chanvre et les fourrages, et enfin, pour un vingtième, par la cire et le miel.

Et non seulement les céréales avaient été lourdement affectées par les intempéries, mais aussi les bestiaux atteints quant à eux, d'une épizootie de "picote", et par une autre maladie, mal définie, mais dont on savait "qu'elle ataquait le foy" des animaux.

Tout ceci se situait dans l'ambiance plutôt désastreuse de la fin de la Guerre de Sept Ans. Au Traité de PARIS, le 10 Février 1763, pour le plus grand bénéfice de BORDEAUX et de sa région, nous retrouvions la possession des ANTILLES FRANCAISES un moment perdues, mais dans le même temps, nous abandonnions définitivement le CANADA.

La guerre européenne était évidemment bien loin, et plus encore la guerre d'outremer, tout à fait hors de portée de BALIZAC. Pourtant, les conséquences, notamment fiscales en étaient ressenties jusqu'au fond de nos villages. La chose était devenue si commune, depuis les derniers temps du règne de LOUIS XIV que, tout en récriminant contre la pression des impôts, on avait fini, du moins en apparence, par s'y accoutumer.

Ce faisant, on accumulait ainsi une force de contestation qui, dans une vingtaine d'années allait soudain se libérer au moment de la Révolution. Mais d'autres sujets, beaucoup plus proches de la vie quotidienne, agitaient l'opinion locale. Ainsi en allait-il de la suppression de la Fête de la St PIERRE à BUDOS.

Tous les ans, le 29 Juin, toute la paroisse partait, bannières au vent, de l'église de BUDOS, et se dirigeait, derrière son Curé, vers la Chapelle St PIERRE, à peu de distance de la route de BALIZAC. Là, se retrouvait un grand concours de populations, venues parfois de très loin qui s'assemblait autour de baraques foraines de fortune dans lesquelles on vendait quelques modestes victuailles et du vin.

Du vin à profusion, et c'est bien, semble-t-il, ce qui déplaisait au Curé DORAT, Curé titulaire de BUDOS.

Pourtant, l'aspect religieux de la Fête n'était pas oublié puisque les témoignages nous rapportent qu'après la Grand Messe solennelle du Saint, dans la matinée du 29, il se célébrait encore deux ou trois Messes basses supplémentaires pour satisfaire à la demande des pèlerins que l'exiguïté de la Chapelle avait privé d'Office.

L'après midi du même jour, on y chantait des Vêpres solennelles, après quoi, les réjouissances reprenaient jusqu'en des heures très tardives, et le lendemain matin, après que beaucoup aient dormi sur place (la clémence d'une nuit de Juin le permettait) , une dernière Messe réunissait tout le monde, et l'on se séparait, bien fatigués, tandis que les Budossais, toujours en procession, conduits par leur Curé, ramenaient leurs bannières en leur Eglise paroissisale. Tout BALIZAC était là.

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Il n'était pas question de manquer une St PIERRE, pas plus qu'il n'aurait été question, en début du même mois, de manquer une St CLAIR à St LEGER. Ces Fêtes faisaient partie du patrimoine culturel du village, et pour rien au monde on n'y aurait manqué.

Or, voilà que le Curé DORAT, à tort ou à raison, s'était mis en tête que cette Fête était devenue une occasion de dévergondages coupables qu'il ne pouvait plus tolérer. Les excès de vin et les chants qu'ils suscitaient, notamment pendant les vêpres, de même que la présence trop proche d'un petit bois trop complice avaient fini par le conduire à des décisions draconiennes.

Des décisions dont il n'avait fait part à personne mais qui n'en étaient pas moins déterminées. Déjà, en 1762, à la surprise générale, il s'était refusé à chanter les Vêpres dans l'après-midi de la Fête, et n'était pas revenu pour la Messe du lendemain matin. Les Budossais avaient donc dû ramener tristement leurs bannières sans procession.

Ce fut bien pire l'année suivante, en 1763, lorsque le Curé DORAT ne se dérangea même pas, demandant simplement à son confrère de BOMMES d'aller y dire une Messe basse au matin de la Fête, en coupant court à toutes les autres célébrations tant du jour que du lendemain.

Pressé par ses  paroissiens, il fit dans l'année, maintes promesses en vue de les tranquilliser, mais en 1764, au jour dit, il ne se présenta même pas, ni lui, ni personne, et nul ne put obtenir les clés de la Chapelle. Dans les jours qui suivirent, il entama une démarche auprès de l'Archevêque de BORDEAUX en vue de faire définitivement supprimer cette Fête. Ce fut le début d'un interminable procès entre les Budossais et leur Curé, procès dans le détail duquel nous n'entrerons évidemment pas puisqu'il appartient en propre à l'histoire de BUDOS.

Quoi qu'il en soit, BALIZAC devait suivre de très près cette affaire, car c'était aussi sa Fête à laquelle on avait attenté. Ce fût, pendant longtemps, on s'en doutera sans peine, l'objet de bien des polémiques.

Nous avons toujours tendance à croire que nous avons presque tout inventé. Il n'en est rien. L'administration royale se préoccupait déjà d'écologie et soumettait certaines parties de forêt à un véritable Plan de Gestion. En particulier, il était formellement interdit de couper sans autorisation les gros chênes "de place".

Seul le Greffe de la Maîtrise des Eaux et Forêts de GUYENNE pouvait, après enquête, donner éventuellement cet accord au propriétaire qui le sollicitait. Il fallait pour cela faire le voyage de BORDEAUX et aller y plaider sa cause devant Messieurs les Maîtres des Eaux et Forêts. Cette réglementation était née d'un souci de protection des réserves de bois d'oeuvre nobles pouvant être utile à la marine. Et elle était respectée.

Dans l'après midi du 12 Décembre 1764, Pierre DEJEAN, laboureur à BALIZAC, s'en va trouver Me BAYLE, le Notaire de PUJOLS, et lui expose :

"qu'il a quarante arbres chaînes agés de plus de cent ans qui commencent à dépérir dans ladite paroisse, distante de quatre lieues ou environ de la rivière de GARONNE. Lesquels arbres il voudrait faire coupper et exploiter en bois, et ne le pouvant, selon les Ordonnances sans une permission du Greffe de la Maîtrise des Eaux et Forêts de GUYENNE, et ne

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pouvant se transporter à BORDEAUX dans ledit Greffe, il a, par les présentes, donné pouvoir au porteur des présentes de, pour lui, et en son nom, se transporter audit Greffe pour y faire enregistrer sa déclaration et retirer la permission de coupper et exploiter lesdits arbres chaînes..."

On notera la prudence de ce Pierre DEJEAN. Il demande l'autorisation d'exploiter ces chênes "en bois" sans préciser ce qu'il entend par là. S'il s'agit de bois de chauffage, il aura certainement beaucoup de mal à obtenir l'accord de l'administration. La pénurie en bois d'oeuvre est telle, dans nos régions, que ce type d'exploitation est très mal vu, sinon purement et simplement prohibé.

Tout le monde se chauffe au bois de pin, et encore est-il parfois précisé qu'il s'agit de bois mort. Dans les textes qui nous sont parvenus, aucun ne fait référence à la possibilité de brûler du bois de chêne, et pourtant, elle devait bien exister, ne serait-ce que sous la forme de taillis. Mais les taillis eux-mêmes étaient protégés.

Le Parlement de BORDEAUX s'en préoccupe. En effet, une nouvelle méthode de battage s'était fait jour depuis quelques années.

Au lieu d'utiliser leurs fléaux habituels, des "dépiqueurs" avaient trouvé plus expéditif d'utiliser des branches de jeunes chênes, principalement des cimes, pour battre les épis de la moisson. Dans un arrêt du 11 Mai 1765, le Parlement interdit cette pratique, stigmatisant :

" les moissonneurs (qui) vont choisir et voler dans les bois taillis (de chêne) de l'âge de six à dix ans qui se trouvent le plus à leur portée, lesquelles perches qui font de la longueur de dix pieds ils attachent et ajustent par les bouts avec de l'osier..."

Cet arrêt, publié à BALIZAC dans les premiers jours d'Août 1765 précisait que toute contravention serait frappée d'une amende de 300 Livres (le prix d'un troupeau de 120 têtes de moutons !!).. On ne badinait pas avec la protection des jeunes chênes.

Pas davantage on ne badine, à TRISCOS, avec l'honneur des gens. Au printemps de 1765, une certaine Françoise FREYLON, venant on ne sait d'où, était venue s'installer quelque temps à TRISCOS en compagnie, les uns disent de sa Tante, les autres de sa Mère ; bref, on ne savait trop. Les étrangers à la communauté paroissiale faisaient toujours l'objet d'une suspicion de principe, et Françoise FREYLON n'y fit point exception.

Arnaud FOURTENS, vieil habitant du cru, se crut autorisé à formuler publiquement de sérieuses réserves sur la vertu de cette fille. Publiquement, mais sans preuves, simple propos de commérage.

Cette Françoise ne l'entendit pas de cette oreille, et, sans plus tarder, assigna FOURTENS en diffamation devant le Tribunal de CASTELNAU de CERNES. Pour avoir eu la langue trop longue, voilà notre homme engagé dans une bien méchante affaire ; il est bien ennuyé et ne sait trop comment arrêter ce procès avant que les choses n'aillent trop loin car il n'est pas douteux qu'il n'échappera pas à une condamnation. Il s'en explique avec Me DARTIGOLLES, Notaire à PRECHAC, qu'il rencontre au Parquet du Tribunal de CASTELNAU le 22 Avril 1765. Et là, ils conviennent d'adresser un acte à la plaignante afin de tenter de mettre les choses au point. Un acte, oui, mais avant tout un  monument d'hypocrisie doucereuse...

Comment aurait-il pu la diffamer alors :

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"qu'il ne l'a jamais vue ny connue que tout autant qu'elle a resté audit lieu de TRISCOS, pendant lequel temps,(il) ne peut point l'avoir calomniée parce qu'il n'a reconnu en elle que vertu et sagesse."

Voilà qui est bel et bon, mais il n'en demeure pas moins qu'il ne peut nier les propos qu'il a tenus, en particulier à la Mère, et devant témoins.

Et c'est là que nous allons pouvoir apprécier toute la virtuosité dialectique du Notaire en vue de rendre acceptable, voire bienveillant ce qui ne l'était certainement pas dans les faits :

"Il est bien vrai que s'étant trouvé quelquefois à cauzer avec la . . . Mère de ladite FREYLON, et comme malheureusement le monde est assez perverty, voyant cette fille d'un âge assez tendre et au millieu d'un voisinage fourmillant de jeunes garçons, creût devoir inspirer à cette Mère de redoubler ses attentions auprès de sa fille pour la tenir auprès d'elle et sous ses yeux afin d'évitter ce que la nature n'exige que trop au détrimant même des filles les plus vertueuzes que l'occasion met à l'oubly ; mais ce sage avertissement n'auroit point dheû attirer sur luy l'indignation de la Mère et de la Fille ny ne peut être un motif de plainte puisqu'(il) n'a fait en cella qu'uzer de charitté..."

Ah le bon apôtre que voilà ! Heureusement qu'il passait par là pour sauvegarder l'honneur de cette fille. Et comme son beau geste a été mal compris ! Et il conclut qu'il la tient pour:

"une très brave fille, de bonne conduitte et vie et moeurs.."

Et en conséquence, il lui propose de lui rembourser tous les frais qu'elle a pu déjà engager auprès du Tribunal au moment du dépôt de sa plainte, afin qu'on en finisse avec cette malencontreuse affaire.

Et dare dare, on dépêche le Sergent du Tribunal à la recherche de la plaignante pour lui signifier cet édifiant morceau de littérature morale. Celui-ci fit effectivement toute diligence car, parti de St LEGER, il découvrit la plaignante dans le Bourg de NOAILLAN, où il put s'acquitter de sa mission. Nous ne connaîtrons malheureusement pas l'issue de cette affaire et nous ne saurons pas si tant de vertu finit par être récompensée.

Ainsi allait la vie... Et pourtant, ces braves gens avaient assez de soucis avec les caprices de la nature pour n'avoir point besoin de s'en créer d'autres par leurs maladresses ou leurs foucades. L'un de ces soucis, majeur, était celui du défaut de fourrage.

Les prairies étaient rares et par conséquent très chères. Il y avait bien quelques petits prés artificiels le long du Ruisseau, mais ils étaient très insuffisants. Il suffisait d'une année un peu sèche pour que survienne la pénurie. Il ne restait alors, pour assurer la survie des troupeaux, que la solution de la vaine pâture dans la lande. Au cours des mois d'hiver, elle ne pouvait suffire.

C'est alors que l'on voyait fondre, comme en 1765, sur le bétail anémié, de très sérieuses épidémies de fièvre aphteuse. Ou bien encore, comme en 1768, on se voyait contraint de réduire le cheptel dans chaque exploitation. Et comme ces animaux arrivaient sur les marchés à peu près tous au même moment, il s'ensuivait une chute des cours catastrophique pour les paysans locaux.

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Les conséquences de ces avatars ne se limitaient pas aux seules pertes de revenus (8,5% du total avons-nous vu à St SYMPHORIEN), elles touchaient à des postes bien plus importants, ceux de l'énergie, des transports et des engrais.

Les bovidés assuraient la totalité de la force nécessaire aux labours et la quasi totalité des charrois. La vie quotidienne des exploitations dépendait donc nettement plus de ces prestations que des revenus que l'on pouvait attendre du bétail.

Quant aux engrais, les fumiers naturels étaient les seuls connus ; moins de bétail, c'était aussi moins de fumiers et moins de rendements, en particulier dans le domaine vital des céréales, et tout spécialement du seigle.

Et pourtant, les solutions étaient déjà connues, mieux encore, expérimentées, et de surcroît expérimentées avec succès. On venait d'importer dans nos régions le sainfoin et le trèfle de HOLLANDE. Leurs premières cultures expérimentales avaient connu un franc succès. On aurait donc pu trouver là une abondante et précieuse source de fourrages. Et pourtant ce fut un échec général du fait de la routine. L'Administration Royale ne manqua pas de déplorer cet entêtement des paysans qui :

"ne veulent adopter d'autre genre de culture que celui suivi par leurs anciens Pères."

Survint là-dessus le grand hiver de 1766, le plus rigoureux depuis celui de 1709 :

"les hommes existants ne se souviennent pas d'avoir ressenti plus de froid que les mois de Janvier et Février... depuis les gelées de 1709. Celles de ce temps reculé feurent, dit-on, plus fortes d'un degré que celles de cette année, mais elles ne durèrent que huit ou neuf jours à la différence de celles-cy qui ont duré deux mois entiers.... La rivière de GARONNE porta les hommes à pied, à cheval et en voiture pendant quarante ou cinquante jours.."

Il faut quelque peu relativiser ce témoignage. A la vérité, le froid de 1709 avait certes duré plus de huit ou neuf jours, mais il est exact que celui de 1766 fut particulièrement tenace. La grande gelée commença très exactement le 28 Décembre précédent et se prolongea jusqu'au 7 Février.

La GARONNE fut entièrement prise par les glaces en amont de LANGON et on put l'y traverser à pied pendant cinq jours. Quant à BORDEAUX, le plan d'eau fut presqu'entièrement pris par les glaces, ne laissant subsister qu'un étroit canal central encombré de glaces flottantes; mais de ce fait, on ne put jamais l'y traverser d'un bord à l'autre.

Reste qu'il fit réellement très froid cette année-là et que l'on pouvait redouter le pire quant aux récoltes à venir. Des dégâts, il y en eût certes, et très importants, surtout dans les vignobles où bien des ceps gelèrent en profondeur. Mais contre toute attente, les céréales se tirèrent bien de l'épreuve :

"Tous les bleds en général ont annoncé jusqu'à la fin d'Avril la plus triste récolte qu'on ait jamais vue. Ils paroissoient presque tous morts, à la réserve de quelques pieds qui estoient exposés au midi ; mais le mois de May suivant, par un effet de la Providence qui a surpris et consolé tout le monde, ils se sont refaits et multipliés au point qu'ils ont produit une moisson très abondante, moyennant les rosées et les chaleurs qui se sont toujours succédées très à propos..."

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La seule conséquence notable fut que ces moissons furent très tardives et que l'on vit encore des seigles sur les champs à la fin du mois d'Août. Paradoxalement, ce grand hiver fit moins de dégâts dans les paroisses céréalières, comme BALIZAC, que n'en firent les gelées printanière de 1767.

La gelée du 18 Avril 1767, et surtout celle du 7 Mai suivant eurent en effet des conséquences désastreuses. Jean LARRUE, Syndic de BALIZAC alerta la Cour de l'Election de GUYENNE afin qu'il soit procédé à une expertise sur le terrain en vue d'obtenir un dégrèvement sur les impôts royaux. Il obtint satisfaction, et cette expertise se déroula le 26 Juin 1767.

La Commission partit à cheval de LANSOT à 4 heures du matin. Pour des raisons encore mal définies, les quartiers de LANSOT, LAULAN et FONT DE BAQUEY, bien qu'appartenant à la Paroisse de LEOGEATS, étaient alors rattachés au Rôle d'imposition de BALIZAC.

Et toute la journée durant, cette Commission parcourut le Village, de Quartier en Quartier, passant dans chaque champ et dans chaque culture pour y examiner et apprécier les conséquences de ces gelées tardives :

"en divers quartiers, les bleds ont été écrasés par les gelées... les jets ayant tombé et s'étant brisés sur la rège et sillons, que néanmoins, les bleds avoient repoussés mais que cette nouvelle repousse ne peut fleurir à cause de la grande sécheresse du printemps et que les fortes chaleurs (de)puis quinze jours ont brûlé et séché ces nouveau jets..."

Les millades n'ont pas connu un meilleur sort car :

"les millades semées dans le scillon , par la sécheresse et chaleur, sont partie brûlées, les autres de triste apparence.."

Il en va de même des quelques vignes que l'on peut trouver ici et là dans BALIZAC ;

"le peu de vignes qui sont dans les quartiers ont été gelées, partie morte, l'autre partie ayant repoussé de sous terre ne (montrant) nul vestige de récolte.."

Et nous en venons enfin aux prairies et à la conclusion générale :

"les preds qui sont dans ladite paroisse, par les effets de ces gelées, sécheresse et chaleur n'ont produit que peu de foin, partie n'ayant peûe se faucher, en sorte que, tout meûrement combiné et réfléchy, nous estimons que lesdits habitans, en général, ont perdu le tiers de leur récolte en bled (par rapport à) une année commune, qu'il y aura peu de millade, point de vin et que les prairies n'ont produit (rien) au-delà du quart du foin ordinaire, sans espoir de secondes herbes (le regain), abandonnées à la nourriture actuelle des bestiaux, n'ayant d'autres ressources, leurs pacages étant brûlés."

Voilà donc encore une année où l'on survécut plus que l'on ne vécut à BALIZAC ; si cette précarité n'était pas absolument systématique, elle faisait néanmoins partie des aléas de la vie et se voyait acceptée comme telle, mais avec probablement moins de résignation que dans les générations précédentes.

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LA FIN DE GUILLAUME MARSAU.

Nous avons déjà évoqué la fin de Guillaume MARSAU et son progressif effacement des affaires au profit de son fils Pierre. Nous le voyons néanmoins reparaître en quelques circonstances au cours des huit années qui s'écoulèrent encore entre la rédaction de son testament et sa disparition.

Ainsi en va-t-il d'un litige de voisinage survenu entre les LA BESOÜE et leur Cousin Arnaud MARSAU dit de PEYS. Un litige plutôt dérisoire et qui faillit pourtant se terminer en un procès coûteux

Pour bien comprendre la situation, il faut se souvenir qu'à l'occasion du partage d'Octobre 1681, la maison familiale du vieux Pey MARSAU avait été séparée en deux parties entre les deux frères Jean (origine de la branche dite "de PEYS") et Manieu (origine de ceux qui allaient devenir "de LA BESOÜE"). Depuis lors, les générations avaient changé, mais les deux familles n'en continuaient pas moins à vivre, dos à dos, sous le même toit.

Cela durait depuis plus de 80 ans et il ne semble pas qu'il y ait eu entre elles, jusqu'à l'heure, de conflits majeur. En 1739, Guillaume avait fait construire une grange sur le côté sud de la maison commune.

Ce faisant, il avait créé un obstacle au passage de son cousin Arnaud qui ne disposait d'aucun autre moyen d'accès pour assurer l'entretien de sa part de maison (gouttières, toiture, etc . . . ) . Il en avait donc fait la remarque à Guillaume qui l'avait aussitôt rassuré en lui promettant de lui laisser toujours le libre accès à cette :

" espèce de petite cour autrefois occupée par un petit courtey appartenant à l'ayeul (commun des deux cousins)."

Et de fait, depuis 24 ans,

"lorsque ledit de PEYS a eu besoin de servir ladite partie de maison pour lesdites réparations et entretien susdit, il passoit dans la grange, la clef de laquelle ledit LA BEZOUE luy donnoit toutes et quantes fois que ledit de PEYS l'en requérait."

Mais voilà qu'un jour d'Août 1763, pour une raison qui ne nous est pas précisée, Guillaume refusa à son Cousin de lui prêter cette clef :

"prétendant qu'il avait perdu son droit par l'ancienneté d'icelluy et qu'il pouvoit passer ailleurs pour faire faire les réparations nécessaires à ladite maison."

Arnaud soutint qu'il n'avait pas perdu son droit et qu'il n'y avait pas d'autre accès possible. Devant l'intransigeance de Guillaume, un procès s'engagea devant la Juridiction de CASTELNAU de CERNES. Il n'alla pas très loin, car, des deux côtés, on réfléchit, et :

"considérant l'évènement douteux d'un procès toujours ruineux pour eux, (les deux Cousins) auroient préféré la voye de la constitution (d'une) médiation".

A cet effet, ils tombent d'accord sur la personne de Me MARTIN, Notaire à St SYMPHORIEN. La cause de Guillaume était incontestablement mauvaise. C'est lui qui, en construisant la grange avait fait obstacle à un passage auquel Arnaud avait un droit incontestable.

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Ce dernier, conciliant, s'était contenté de l'assurance qu'on lui avait donnée et en avait usé, à l'occasion, sans problème. Il ne pouvait donc pas y avoir de prescription. Tout le travail de Me MARTIN consista donc à faire entendre raison à Guillaume.

Il y parvint le 28 Septembre 1763 et en dressa un Procès Verbal de conciliation; Guillaume ferait un passage plus large, et Arnaud continuerait à passer, moyennant quoi le procès serait abandonné. Pour une fois, la sagesse l'avait emporté sur l'esprit de chicane.

Ce fut la dernière manifestation de Guillaume dont nous ayons conservé la trace. Il devait mourir à TRICOS, au matin du 30 Septembre 1767, muni de tous les sacrements de l'Eglise. Dans son acte de décès, le Curé ROUDET lui attribue généreusement 83 ans, en fait, à quelques mois près, il devait en avoir 80. Il fut enterré le lendemain dans le cimetière paroissial de BALIZAC.

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Chapitre 4.

PIERRE MARSAU

(1724 - An II )

LA JEUNESSE DE PIERRE MARSAU

Nous avons évoqué en son temps la naissance de Pierre MARSAU. Il était le quatrième des sept enfants de Guillaume et de Marie LARRUE. Né le 16 Avril 1724, il avait dix ans de moins que sa soeur aînée, Jeanne, celle qui devait se marier avec Guillaume DEPART et mourir si jeune, à la naissance de son premier enfant. Il avait également trois ans de moins que sa soeur Mathive, celle qui devait rester célibataire. Enfin, trois filles devaient encore le suivre dans la fratrie et mourir toutes trois en très bas âge.

Après avoir passé sa Jeunesse à TRISCOS, il se maria, nous l'avons vu, très jeune, avec Pétronille DUPEYRON, à quelques jours près de six ans son aînée. Cette situation est tellement anormale au regard des usages du temps qu'il y a nécessairement là quelque chose qui nous échappe.

A moins qu'il ne fut orphelin et pupille en tutelle, on ne mariait jamais un garçon, en milieu rural, avant qu'il n'eût atteint l'âge minimal d'une vingtaine d'années. Encore cela avait-il déjà un caractère d'exception car l'âge habituel était bien plus proche de 25 ou 26,voire de 27, plutôt que de 20 ans. Or, ici, Pierre MARSAU n'est orphelin ni de Père, ni de Mère, et on le marie à l'âge de même pas 17 ans. La chose est tout à fait insolite, mais bien plus encore la différence d'âge entre les époux.

Dans tous les mariages, la femme devait être plus jeune que son mari, ne fût-ce que de quelques mois, et cette règle non écrite, mais d'usage constant, était, dans nos campagnes, fidèlement observée. On peut se demander ce qui a pu pousser cette famille MARSAU à déroger à des règles aussi fermement établies par l'usage, alors qu'il n'apparaît aucun motif de précipiter ce mariage.

La seule piste de recherche que nous pourrions suggérer serait une sorte de panique qui se serait emparé des parents devant les décès répétitifs survenus parmi leurs enfants.

En 1740, date de ce mariage, leur situation était effectivement à cet égard dramatique.

De leurs sept enfants, cinq étaient morts, et même leur unique petite fille, Jeanne, venait de mourir dans les derniers jours de 1739. Il ne leur restait que Mathive et Pierre. Et cette Mathive, pour une raison ou pour une autre, devait poser problème, sans que l'on sache d'ailleurs trop lequel.

107

Peut-être était-elle malade ou contrefaite ? On ne saurait le dire.

En 1740, lorsqu'on maria son frère, il n'y avait certes encore aucune urgence à l'établir ; elle avait pour lors 19 ans. Mais nous savons que vingt ans plus tard, elle sera encore célibataire, et pour une fille assez confortablement dotée, c'était une situation tout à fait anormale. Il se pourrait donc bien que dès ce temps-là les Parents aient connu à son égard quelqu'empêchement à prendre un parti normal de mariage.

Si cette hypothèse peut avoir quelque crédit, on pourrait donc imaginer une sorte de panique des Parents cherchant par tous moyens à assurer au plus tôt leur dernière chance de descendance. Ils auraient alors choisi une épouse de maturité plus affirmée pour donner à ce jeune ménage un peu plus d'assurance.

Cette hypothèse est bien fragile et doit être accueillie avec la plus grande prudence. Le seul crédit qu'elle pourrait éventuellement avoir, si tant est qu'elle en ait un, serait qu'elle est à peu près la seule que l'on puisse avancer devant une situation aussi dérogatoire aux usages locaux.

Pétronille n'était pas une inconnue pour les MARSAU, car elle était cousine germaine avec les LARRUE, de LAULAN, avec lesquels Guillaume MARSAU avait eu tant de démêlés pour récupérer la dot de sa femme Marie LARRUE. C'est même une Pétronille LARRUE qui avait été sa Marraine. Elle était né à LEOGEATS, le 27 Avril 1718. Elle était fille de Jean DUPEYRON, établi tonnelier au Bourg de LEOGEATS, et de Jeanne DUBOURG, tous deux issus de deux vielles souches locales.

 

LE MARIAGE DE PIERRE MARSAU

Au tout dernier jour de l'an 1740, dans l'après midi du 31 Décembre, une vaste assemblée familiale se trouva réunie dans la maison de Jean DUPEYRON. Le tonnelier marie sa fille et l'on s'apprêtait à rédiger le contrat de mariage devant Me LAFOURCADE, Notaire à BALIZAC, qui avait fait tout exprès le voyage.

Outre les futurs époux, Pierre MARSAU et Pétronille, il y avait là leurs quatre Parents, Guillaume MARSAU et Marie LARRUE, venus de TRISCOS, et Jean DUPEYRON et Anne DUBOURG. A vrai dire, il n'était pas très fréquent que les quatre Parents d'un couple soient réunis à l'occasion d'un mariage. Un ou plusieurs d'entre eux avaient souvent déjà disparu.

Mais c'est ici le privilège de la jeunesse des époux que d'avoir permis cette parfaite réunion de famille. Les MARSAU avaient convoqué le ban et l'arrière ban de leur famille.

On trouvait là ainsi réunis les cousins CALLEN, les Oncles ESCARPIT et LARRUE, des MARSAU issus des autres branches, des FOURTENS, d'autres cousins par alliance plus éloignés, etc... etc.. Mais les DUPEYRON n'avaient pas été en reste, et avaient, eux aussi convoqué force Parents, sans compter les amis des deux familles que Me LAFOURCADE nous fait la grâce de ne pas énumérer dans leur détail. Il y avait bien là plusieurs dizaines de personnes.

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EXTRAIT DU CONTRAT DE MARIAGE

DE PIERRE MARSAU ET DE PETRONILLE DUPEYRON

31 Décembre 1740

Archives Familiales

 

Au nom de Dieu soit qu'aujourd'huy, trentième du mois de Décembre mile sept cens quarante, après midy, dans le Bourg de LEOGEATS, maison de Jean DUPEYRON, tonnellier, pardevant nous, Notaire Royal soussigné, présens les témoins bas-nommés furent présens Pierre MARSAU, Brassier, fils légitime de Guillaume MARSAU et de Marie LARRUE habitans de la parroisse de BALIZAC, d'une part; et Pétronille DUPEYRON, fille légitime dudit Jean DUPEYRON et d'Anne DUBOURG habitante du présent Bourg, d'autre ; entre lesquelles parties de leurs bons grez et volontez ont été faits les pactes et accords du futeur mariage de la manière quy suit, faisant les dits futeurs époux à sçavoir...

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Dans cette longue évocation des participants à cette réunion, nous noterons en passant un petit détail qui pourrait bien avoir valeur d'indice. Mathive MARSAU n'apparaît ici nulle part. Elle est pourtant la soeur aînée du futur époux et on aurait dû la retrouver dans la liste e ses "assistants", tout comme on trouve Pétronille :

"procédant . . . de l'assistance de Jean DUPEYRON, son Frère..."

Or, il n'est pas douteux, nous le savons déjà, que Mathive fut encore bel et bien vivante en ce moment-là et pour longtemps. Ainsi donc, selon l'usage, elle aurait dû figurer à sa place dans ce recensement familial, et d'autant plus sûrement qu'il est particulièrement développé et scrupuleux. Cette absence est très insolite et nous renvoie une fois encore à la question que nous nous sommes déjà posée à son sujet, sans pour autant y apporter le moindre élément de réponse.

Le jeune Pierre, futur époux, est déclaré "brassier". Cela n'aurait effectivement pas fait très sérieux, vu son très jeune âge, de le qualifier de "laboureur". Au demeurant, c'était bien son état du moment puisqu'il ne possédait rien en propre. Il était en quelque sorte le brassier de son Père.

Pétronille recevait de ses Parents une dot qu'ils lui constituaient chacun par moitié ; une dot très classique mais néanmoins assez confortable, surtout en linge de maison. Il semble que l'on avait filé beaucoup de chanvre dans la famille DUPEYRON... 

Elle aura un lit garni de tous ses compléments habituels et fermé de rideaux en toile de Cadix, mais elle recevra aussi dix draps dont cinq en toile de brin, la plus belle, et les cinq autres en toile d'atramat, un peu plus ordinaire. Ce chiffre est déjà assez confortable, mais surtout, on notera que, chez les DUPEYRON, on ne dort pas dans des draps d'étoupe, la qualité la plus commune que l'on rencontre pourtant souvent, au moins pour partie, dans la dotation des filles du pays.

Quant aux serviettes, Pétronille en aura deux douzaines, ce qui est beaucoup ; nombre de dot s'en tiennent à 18, voire même à 12 ; et sur le nombre, 18 d'entre elles seront en toile de brin et les autres en atramat. 
Ajoutons à cela deux grandes nappes de brin de deux aunes et demi de long (environ 3 mètres) qui permettront, aux jours de Fête, de disposer de grandes tables et de dresser de nombreux couverts. Il est bien précisé que tout ce linge sera neuf. Pétronille apportera également un coffre en bois de noyer fermant à clé, probablement prélevé sur le mobilier de ses Parents car, nous dit-on, il aura déjà servi.

Elle aura du mal à y ranger tout le linge qu'elle apporte car, avec une contenance de deux boisseaux, ses dimensions sont modestes; il pourrait avoir par exemple 40 cm de haut sur 50 de large et un mètre de long tout au plus. Peut-être n'y mettra-t-elle que ses vêtements personnels, et en ce cas, les dimensions en seraient mieux appropriées car sa garde robe était limitée avec une paire de brassières, une côte en Cadix d'AIGNAN et une paire de bas, mais aussi, luxe assez notable, une paire de souliers neufs.

Enfin, les Parents lui constituent une dot en argent de 475 Livres dont 400 Livres payables dans quatre ans, la première année sans intérêt, et les suivantes avec intérêt " au denier vingt "(soit 5%) jusqu'au paiement final.

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Quant aux 75 Livres restantes, il était prévu qu'elles seraient versées, sans intérêt, après le décès du dernier Parent survivant. La relative complexité de la formule n'a rien de surprenant car l'imagination des familles était sur ce point traditionnellement très débridée. Par contre, le montant est plus inhabituel.

Les dots étaient généralement fixées sur un point de cote ronde tel que 300 ou 400 Livres, voire, à la rigueur de 350 ou 450 peut-être, mais rarement sur un chiffre intermédiaire tel que 475... Il faut croire que la famille DUPEYRON avait des prévisions budgétaires particulièrement fines.

Les autres clauses du contrat sont tout à fait classiques et présentent peu d'intérêt pour nous. on notera néanmoins qu'au moment des paraphes, le Notaire aura la surprise de recueillir une signature féminine, fait rarissime dans nos familles rurales.

Ce phénomène à peu près unique dans notre histoire s'appelait Catherine CLAOUEY, elle était la Belle Soeur de Pétronille (la femme de son Frère).

Au terme de toutes ces formalités, en cette fin d'après midi de "Cudan" (ainsi que les Gascons désignent le dernier jour de l'An), toute l'assistance se rendit en cortège à l'Eglise de LEOGEATS toute proche pour y faire bénir les fiançailles de ces deux très jeunes gens.

Le mariage fut célébré par le Curé DUFOUR, en l'église de BALIZAC, cinq semaines plus tard, le 4 Février 1741. 

 

PIERRE ET PETRONILLE, LE TEMPS DES ENFANTS

Pierre était issu d'une famille de sept enfants dont il constitua finalement la seule descendance. Et le même phénomène allait se reproduire à l'identique dans sa propre famille.

Il eût, lui aussi, sept enfants, six garçons et une seule fille; et en définitive, seule, la fille survivra et assurera une descendance. On peut s'interroger sur cette succession de décès ; les textes qui nous sont parvenus ne nous éclairent guère sur leurs causes. On peut penser aux conséquences d'épidémies, et nous savons qu'elles ont sévi dans le village et même jusque dans la maison des MARSAU. A la fin de 1741, l'année même du mariage de Pierre et de Pétronille, le 11 Novembre, un certain Pierre PINGUET mourait "dans la maison de Guillaume MARSAU".

Il devait probablement s'agir d'un domestique logé. Trois jours plus tard, un autre Pierre PINGUET, âgé de cinq ans, fils du précédent, décédait à son tour, toujours dans la même maison.

C'est généralement le signe d'une contagion, et les registres paroissiaux montrent comment deux, trois, et même parfois quatre membres d'une même famille peuvent disparaître en une dizaine de jours. Aucun des MARSAU ne fut touché cette fois-1à, et surtout pas la famille de Pierre puisqu'aucun de ses enfants n'était encore né. Mais il existe au moins un cas dans lequel nous sommes à peu près certain qu'une épidémie fut en cause.

C'est à la fin de 1756, lorsque nous enregistrons le décès de Guillaume, le quatrième fils de Pierre (voir Tableau de la famille), à l'âge de 8 ans, le 27 Octobre, suivi du décès de son frère, un autre Guillaume, le lendemain 28, à l'âge de 16 mois.

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LA FAMILLE DE PIERRE MARSAU

dit

PIERRE DE LA BESOÜE

 

Guillaume MARSAU- Marie LARRUE

 

Jean DUPEYRON- Anne DUBOURG

Pierre MARSAU
16 Avril 1724 – 23 Ter. An II

 

Pétronille DUPEYRON
27 Avril 1718 – 12 Mars 1768

Mariés à BALIZAC le 4 Février 1741
de cette union sont nés sept enfants

1°- Guillaume
 né le 7. I. 1743,
décédé en bas âge.

2°- Jean
 né le 5 .XI .1744,
décédé le 1 . XI. 1748 âgé de 4 ans.

3°- Jean
 né le 1. V. 1746,
décédé le 4. XI. 1749  âgé de 3 ans ½.

4°- Guillaume
né le 8. IX. 1748,
décédé le 27. X. 1756 âgé de 8 ans.

5°- André
né le 6. III. 1753,
décédé le 20. V. 1780, âgé de 27 ans,
célibataire.

6°- Guillaume
né le 15. VI. 1755,
décédé le 28. X. 1756, âgé de 16 mois.

7°- Jeanne
née le 30. I. 1757,
seule à survivre ;
se mariera avec Bernard FERRAND en 1782
 étant ainsi à l'origine de la descendance qui s'alliera aux DARTIGOLLES.
Elle vivra jusqu'au 1. VIII. 1829, à 72 ans passés.

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Ces deux jeunes ont certainement été emportés par une même maladie, soit la variole, soit le choléra.

Mais il nous faut revenir un peu en arrière pour évoquer les débuts de ce jeune ménage. Le jeune Pierre et sa femme s'étaient installés à TRISCOS dans la demeure familiale où vivaient déjà ses Parents.

Leur premier enfant était né le 7 Janvier 1743. Son Grand Père Guillaume fut son Parrain et Anne DUBOURG, sa Grand Mère de LEOGEATS, sa Marraine. C'était, pour un premier né, une configuration tout à fait traditionnelle. En cette circonstance, son Père Pierre, qui n'a pas encore tout à fait 19 ans, est pour la première fois qualifié de "laboureur"; par rapport à son contrat de mariage, c'est une promotion.

En fait, c'est le signe qu'en dépit de son jeune âge, le Curé DUFOUR le considère désormais comme un chef de famille. Ce petit Guillaume ne survivra pas.

Trois autres garçons survinrent dans les cinq années qui suivirent (voir Tableau de la Famille), Jean, un autre Jean, et encore un autre Guillaume. Les MARSAU ne montraient pas beaucoup d'imagination dans le choix des prénoms de leurs enfants, mais cela ne devait surprendre personne car c'était un usage commun dans toutes les familles.

Le 6 Mars 1753, naquit enfin ANDRÉ, le premier à porter un prénom un peu original, et il survécut longtemps. Jusque là, aucun des enfants n'avait dépassé l'âge de 8 ans. Lui, passa le cap de l'adolescence et atteignit même l'âge adulte.

On pensa bien que l'avenir du lignage était assuré. Il n'en fût malheureusement rien car il devait mourir le 20 Mai 1780, à l'âge de 27 ans, sans avoir jamais pris parti de mariage.

Ainsi donc, seule la petite dernière, Jeanne, l'unique fille de la fratrie devait réellement survivre. Elle était née le 30 Janvier 1757, alors que seul, André vivait encore au foyer.

Elle n'avait que 11 ans lorsque sa Mère Pétronille mourut à son tour. Très jeune, elle eût à assumer de lourdes responsabilités domestiques.

 

LA FIN DE PETRONILLE DUPEYRON

Le 7 Février 1768, Pétronille se vit au plus mal. Si mal même que, toutes affaires cessantes, et bien que ce fut un Dimanche, on fit appel à Me MARTIN, Notaire à St SYMPHORIEN pour recueillir ses dernières volontés.

Dans l'après midi, il était là et la trouva dans son lit, malade, mais tout à fait consciente.

Pétronille chargea d'abord son mari d'exécuter un certain nombre de libéralités dont nous le verrons s'acquitter scrupuleusement le moment venu. Elle exposa ensuite qu'il lui restait deux enfants, André et Jeanne.

113

De fait, à part trois mois dans sa vie, sur les sept enfants qu'elle a eus, Pétronille n'en a jamais eu plus de deux simultanément vivants; c'était encore le cas à la veille de sa mort. Elle dispose ensuite de ses biens. Elle en donne un tiers, par préciput, à son fils André et partage le solde, par moitié, entre le frère et la soeur. Ainsi donc, André recevra les 2/3 de l'héritage et Jeanne le denier tiers.

Ce genre de partage est tout à fait classique dans les familles rurales de ce temps. Il suppose, en filigrane, et bien que ce ne soit pas dit ici, que la fille, le moment venu, recevra une dot.

Au total, le partage ne sera pas égal, mais, tout à la différence de ce qui se passait en d'autres régions, la part revenant à la fille n'était pas pour autant négligeable.

Le droit d'aînesse était peu pratiqué dans nos contrées (il n'en existe aucun exemple dans l'histoire de notre famille) , le privilège de masculinité trouvait des applications plus fréquentes, mais presque toujours corrigé par des dispositions dotales ou successorales, comme c'est le cas ici.

Extrait du Testament de Pétronille DUPEYRON.

 "Premièrement, après avoir fait le signe de la croix, recommandé son âme à Dieu et donné toutes les marques de catholicité en véritable fidèle de l'Eg1ise , a dit que dès que son âme sera séparée de son corps, son dit corps voulloir être ensevely dans le cimetière d'icelle de ladite présente parroisse de BALIZAC et que ses honneurs funèbres luy soient faits suivant l'uzage du lieu et que son état et condition le permettra; s'en remettant néanmoins pour la pompe d'yceux à la vollonté et discrétion de son mari, et au-delà, veut qu'il luy soit...

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Chapitre 4.

PIERRE MARSAU

(1724 - An II )

LA JEUNESSE DE PIERRE MARSAU

Nous avons évoqué en son temps la naissance de Pierre MARSAU. Il était le quatrième des sept enfants de Guillaume et de Marie LARRUE. Né le 16 Avril 1724, il avait dix ans de moins que sa soeur aînée, Jeanne, celle qui devait se marier avec Guillaume DEPART et mourir si jeune, à la naissance de son premier enfant. Il avait également trois ans de moins que sa soeur Mathive, celle qui devait rester célibataire. Enfin, trois filles devaient encore le suivre dans la fratrie et mourir toutes trois en très bas âge.

Après avoir passé sa Jeunesse à TRISCOS, il se maria, nous l'avons vu, très jeune, avec Pétronille DUPEYRON, à quelques jours près de six ans son aînée. Cette situation est tellement anormale au regard des usages du temps qu'il y a nécessairement là quelque chose qui nous échappe.

A moins qu'il ne fut orphelin et pupille en tutelle, on ne mariait jamais un garçon, en milieu rural, avant qu'il n'eût atteint l'âge minimal d'une vingtaine d'années. Encore cela avait-il déjà un caractère d'exception car l'âge habituel était bien plus proche de 25 ou 26,voire de 27, plutôt que de 20 ans. Or, ici, Pierre MARSAU n'est orphelin ni de Père, ni de Mère, et on le marie à l'âge de même pas 17 ans. La chose est tout à fait insolite, mais bien plus encore la différence d'âge entre les époux.

Dans tous les mariages, la femme devait être plus jeune que son mari, ne fût-ce que de quelques mois, et cette règle non écrite, mais d'usage constant, était, dans nos campagnes, fidèlement observée. On peut se demander ce qui a pu pousser cette famille MARSAU à déroger à des règles aussi fermement établies par l'usage, alors qu'il n'apparaît aucun motif de précipiter ce mariage.

La seule piste de recherche que nous pourrions suggérer serait une sorte de panique qui se serait emparé des parents devant les décès répétitifs survenus parmi leurs enfants.

En 1740, date de ce mariage, leur situation était effectivement à cet égard dramatique.

De leurs sept enfants, cinq étaient morts, et même leur unique petite fille, Jeanne, venait de mourir dans les derniers jours de 1739. Il ne leur restait que Mathive et Pierre. Et cette Mathive, pour une raison ou pour une autre, devait poser problème, sans que l'on sache d'ailleurs trop lequel.

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Peut-être était-elle malade ou contrefaite ? On ne saurait le dire.

En 1740, lorsqu'on maria son frère, il n'y avait certes encore aucune urgence à l'établir ; elle avait pour lors 19 ans. Mais nous savons que vingt ans plus tard, elle sera encore célibataire, et pour une fille assez confortablement dotée, c'était une situation tout à fait anormale. Il se pourrait donc bien que dès ce temps-là les Parents aient connu à son égard quelqu'empêchement à prendre un parti normal de mariage.

Si cette hypothèse peut avoir quelque crédit, on pourrait donc imaginer une sorte de panique des Parents cherchant par tous moyens à assurer au plus tôt leur dernière chance de descendance. Ils auraient alors choisi une épouse de maturité plus affirmée pour donner à ce jeune ménage un peu plus d'assurance.

Cette hypothèse est bien fragile et doit être accueillie avec la plus grande prudence. Le seul crédit qu'elle pourrait éventuellement avoir, si tant est qu'elle en ait un, serait qu'elle est à peu près la seule que l'on puisse avancer devant une situation aussi dérogatoire aux usages locaux.

Pétronille n'était pas une inconnue pour les MARSAU, car elle était cousine germaine avec les LARRUE, de LAULAN, avec lesquels Guillaume MARSAU avait eu tant de démêlés pour récupérer la dot de sa femme Marie LARRUE. C'est même une Pétronille LARRUE qui avait été sa Marraine. Elle était né à LEOGEATS, le 27 Avril 1718. Elle était fille de Jean DUPEYRON, établi tonnelier au Bourg de LEOGEATS, et de Jeanne DUBOURG, tous deux issus de deux vielles souches locales.

 

LE MARIAGE DE PIERRE MARSAU

Au tout dernier jour de l'an 1740, dans l'après midi du 31 Décembre, une vaste assemblée familiale se trouva réunie dans la maison de Jean DUPEYRON. Le tonnelier marie sa fille et l'on s'apprêtait à rédiger le contrat de mariage devant Me LAFOURCADE, Notaire à BALIZAC, qui avait fait tout exprès le voyage.

Outre les futurs époux, Pierre MARSAU et Pétronille, il y avait là leurs quatre Parents, Guillaume MARSAU et Marie LARRUE, venus de TRISCOS, et Jean DUPEYRON et Anne DUBOURG. A vrai dire, il n'était pas très fréquent que les quatre Parents d'un couple soient réunis à l'occasion d'un mariage. Un ou plusieurs d'entre eux avaient souvent déjà disparu.

Mais c'est ici le privilège de la jeunesse des époux que d'avoir permis cette parfaite réunion de famille. Les MARSAU avaient convoqué le ban et l'arrière ban de leur famille.

On trouvait là ainsi réunis les cousins CALLEN, les Oncles ESCARPIT et LARRUE, des MARSAU issus des autres branches, des FOURTENS, d'autres cousins par alliance plus éloignés, etc... etc.. Mais les DUPEYRON n'avaient pas été en reste, et avaient, eux aussi convoqué force Parents, sans compter les amis des deux familles que Me LAFOURCADE nous fait la grâce de ne pas énumérer dans leur détail. Il y avait bien là plusieurs dizaines de personnes.

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EXTRAIT DU CONTRAT DE MARIAGE

DE PIERRE MARSAU ET DE PETRONILLE DUPEYRON

31 Décembre 1740

Archives Familiales

 

Au nom de Dieu soit qu'aujourd'huy, trentième du mois de Décembre mile sept cens quarante, après midy, dans le Bourg de LEOGEATS, maison de Jean DUPEYRON, tonnellier, pardevant nous, Notaire Royal soussigné, présens les témoins bas-nommés furent présens Pierre MARSAU, Brassier, fils légitime de Guillaume MARSAU et de Marie LARRUE habitans de la parroisse de BALIZAC, d'une part; et Pétronille DUPEYRON, fille légitime dudit Jean DUPEYRON et d'Anne DUBOURG habitante du présent Bourg, d'autre ; entre lesquelles parties de leurs bons grez et volontez ont été faits les pactes et accords du futeur mariage de la manière quy suit, faisant les dits futeurs époux à sçavoir...

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Dans cette longue évocation des participants à cette réunion, nous noterons en passant un petit détail qui pourrait bien avoir valeur d'indice. Mathive MARSAU n'apparaît ici nulle part. Elle est pourtant la soeur aînée du futur époux et on aurait dû la retrouver dans la liste e ses "assistants", tout comme on trouve Pétronille :

"procédant . . . de l'assistance de Jean DUPEYRON, son Frère..."

Or, il n'est pas douteux, nous le savons déjà, que Mathive fut encore bel et bien vivante en ce moment-là et pour longtemps. Ainsi donc, selon l'usage, elle aurait dû figurer à sa place dans ce recensement familial, et d'autant plus sûrement qu'il est particulièrement développé et scrupuleux. Cette absence est très insolite et nous renvoie une fois encore à la question que nous nous sommes déjà posée à son sujet, sans pour autant y apporter le moindre élément de réponse.

Le jeune Pierre, futur époux, est déclaré "brassier". Cela n'aurait effectivement pas fait très sérieux, vu son très jeune âge, de le qualifier de "laboureur". Au demeurant, c'était bien son état du moment puisqu'il ne possédait rien en propre. Il était en quelque sorte le brassier de son Père.

Pétronille recevait de ses Parents une dot qu'ils lui constituaient chacun par moitié ; une dot très classique mais néanmoins assez confortable, surtout en linge de maison. Il semble que l'on avait filé beaucoup de chanvre dans la famille DUPEYRON... 

Elle aura un lit garni de tous ses compléments habituels et fermé de rideaux en toile de Cadix, mais elle recevra aussi dix draps dont cinq en toile de brin, la plus belle, et les cinq autres en toile d'atramat, un peu plus ordinaire. Ce chiffre est déjà assez confortable, mais surtout, on notera que, chez les DUPEYRON, on ne dort pas dans des draps d'étoupe, la qualité la plus commune que l'on rencontre pourtant souvent, au moins pour partie, dans la dotation des filles du pays.

Quant aux serviettes, Pétronille en aura deux douzaines, ce qui est beaucoup ; nombre de dot s'en tiennent à 18, voire même à 12 ; et sur le nombre, 18 d'entre elles seront en toile de brin et les autres en atramat. 
Ajoutons à cela deux grandes nappes de brin de deux aunes et demi de long (environ 3 mètres) qui permettront, aux jours de Fête, de disposer de grandes tables et de dresser de nombreux couverts. Il est bien précisé que tout ce linge sera neuf. Pétronille apportera également un coffre en bois de noyer fermant à clé, probablement prélevé sur le mobilier de ses Parents car, nous dit-on, il aura déjà servi.

Elle aura du mal à y ranger tout le linge qu'elle apporte car, avec une contenance de deux boisseaux, ses dimensions sont modestes; il pourrait avoir par exemple 40 cm de haut sur 50 de large et un mètre de long tout au plus. Peut-être n'y mettra-t-elle que ses vêtements personnels, et en ce cas, les dimensions en seraient mieux appropriées car sa garde robe était limitée avec une paire de brassières, une côte en Cadix d'AIGNAN et une paire de bas, mais aussi, luxe assez notable, une paire de souliers neufs.

Enfin, les Parents lui constituent une dot en argent de 475 Livres dont 400 Livres payables dans quatre ans, la première année sans intérêt, et les suivantes avec intérêt " au denier vingt "(soit 5%) jusqu'au paiement final.

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Quant aux 75 Livres restantes, il était prévu qu'elles seraient versées, sans intérêt, après le décès du dernier Parent survivant. La relative complexité de la formule n'a rien de surprenant car l'imagination des familles était sur ce point traditionnellement très débridée. Par contre, le montant est plus inhabituel.

Les dots étaient généralement fixées sur un point de cote ronde tel que 300 ou 400 Livres, voire, à la rigueur de 350 ou 450 peut-être, mais rarement sur un chiffre intermédiaire tel que 475... Il faut croire que la famille DUPEYRON avait des prévisions budgétaires particulièrement fines.

Les autres clauses du contrat sont tout à fait classiques et présentent peu d'intérêt pour nous. on notera néanmoins qu'au moment des paraphes, le Notaire aura la surprise de recueillir une signature féminine, fait rarissime dans nos familles rurales.

Ce phénomène à peu près unique dans notre histoire s'appelait Catherine CLAOUEY, elle était la Belle Soeur de Pétronille (la femme de son Frère).

Au terme de toutes ces formalités, en cette fin d'après midi de "Cudan" (ainsi que les Gascons désignent le dernier jour de l'An), toute l'assistance se rendit en cortège à l'Eglise de LEOGEATS toute proche pour y faire bénir les fiançailles de ces deux très jeunes gens.

Le mariage fut célébré par le Curé DUFOUR, en l'église de BALIZAC, cinq semaines plus tard, le 4 Février 1741.

 

PIERRE ET PETRONILLE, LE TEMPS DES ENFANTS

Pierre était issu d'une famille de sept enfants dont il constitua finalement la seule descendance. Et le même phénomène allait se reproduire à l'identique dans sa propre famille.

Il eût, lui aussi, sept enfants, six garçons et une seule fille; et en définitive, seule, la fille survivra et assurera une descendance. On peut s'interroger sur cette succession de décès ; les textes qui nous sont parvenus ne nous éclairent guère sur leurs causes. On peut penser aux conséquences d'épidémies, et nous savons qu'elles ont sévi dans le village et même jusque dans la maison des MARSAU. A la fin de 1741, l'année même du mariage de Pierre et de Pétronille, le 11 Novembre, un certain Pierre PINGUET mourait "dans la maison de Guillaume MARSAU".

Il devait probablement s'agir d'un domestique logé. Trois jours plus tard, un autre Pierre PINGUET, âgé de cinq ans, fils du précédent, décédait à son tour, toujours dans la même maison.

C'est généralement le signe d'une contagion, et les registres paroissiaux montrent comment deux, trois, et même parfois quatre membres d'une même famille peuvent disparaître en une dizaine de jours. Aucun des MARSAU ne fut touché cette fois-1à, et surtout pas la famille de Pierre puisqu'aucun de ses enfants n'était encore né. Mais il existe au moins un cas dans lequel nous sommes à peu près certain qu'une épidémie fut en cause.

C'est à la fin de 1756, lorsque nous enregistrons le décès de Guillaume, le quatrième fils de Pierre (voir Tableau de la famille), à l'âge de 8 ans, le 27 Octobre, suivi du décès de son frère, un autre Guillaume, le lendemain 28, à l'âge de 16 mois.

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LA FAMILLE DE PIERRE MARSAU

dit

PIERRE DE LA BESOÜE

 

Guillaume MARSAU- Marie LARRUE

 

Jean DUPEYRON- Anne DUBOURG

Pierre MARSAU
16 Avril 1724 – 23 Ter. An II

 

Pétronille DUPEYRON
27 Avril 1718 – 12 Mars 1768

Mariés à BALIZAC le 4 Février 1741
de cette union sont nés sept enfants

1°- Guillaume
 né le 7. I. 1743,
décédé en bas âge.

2°- Jean
 né le 5 .XI .1744,
décédé le 1 . XI. 1748 âgé de 4 ans.

3°- Jean
 né le 1. V. 1746,
décédé le 4. XI. 1749  âgé de 3 ans ½.

4°- Guillaume
né le 8. IX. 1748,
décédé le 27. X. 1756 âgé de 8 ans.

5°- André
né le 6. III. 1753,
décédé le 20. V. 1780, âgé de 27 ans,
célibataire.

6°- Guillaume
né le 15. VI. 1755,
décédé le 28. X. 1756, âgé de 16 mois.

7°- Jeanne
née le 30. I. 1757,
seule à survivre ;
se mariera avec Bernard FERRAND en 1782
 étant ainsi à l'origine de la descendance qui s'alliera aux DARTIGOLLES.
Elle vivra jusqu'au 1. VIII. 1829, à 72 ans passés.

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Ces deux jeunes ont certainement été emportés par une même maladie, soit la variole, soit le choléra.

Mais il nous faut revenir un peu en arrière pour évoquer les débuts de ce jeune ménage. Le jeune Pierre et sa femme s'étaient installés à TRISCOS dans la demeure familiale où vivaient déjà ses Parents.

Leur premier enfant était né le 7 Janvier 1743. Son Grand Père Guillaume fut son Parrain et Anne DUBOURG, sa Grand Mère de LEOGEATS, sa Marraine. C'était, pour un premier né, une configuration tout à fait traditionnelle. En cette circonstance, son Père Pierre, qui n'a pas encore tout à fait 19 ans, est pour la première fois qualifié de "laboureur"; par rapport à son contrat de mariage, c'est une promotion.

En fait, c'est le signe qu'en dépit de son jeune âge, le Curé DUFOUR le considère désormais comme un chef de famille. Ce petit Guillaume ne survivra pas.

Trois autres garçons survinrent dans les cinq années qui suivirent (voir Tableau de la Famille), Jean, un autre Jean, et encore un autre Guillaume. Les MARSAU ne montraient pas beaucoup d'imagination dans le choix des prénoms de leurs enfants, mais cela ne devait surprendre personne car c'était un usage commun dans toutes les familles.

Le 6 Mars 1753, naquit enfin ANDRÉ, le premier à porter un prénom un peu original, et il survécut longtemps. Jusque là, aucun des enfants n'avait dépassé l'âge de 8 ans. Lui, passa le cap de l'adolescence et atteignit même l'âge adulte.

On pensa bien que l'avenir du lignage était assuré. Il n'en fût malheureusement rien car il devait mourir le 20 Mai 1780, à l'âge de 27 ans, sans avoir jamais pris parti de mariage.

Ainsi donc, seule la petite dernière, Jeanne, l'unique fille de la fratrie devait réellement survivre. Elle était née le 30 Janvier 1757, alors que seul, André vivait encore au foyer.

Elle n'avait que 11 ans lorsque sa Mère Pétronille mourut à son tour. Très jeune, elle eût à assumer de lourdes responsabilités domestiques.

 

LA FIN DE PETRONILLE DUPEYRON

Le 7 Février 1768, Pétronille se vit au plus mal. Si mal même que, toutes affaires cessantes, et bien que ce fut un Dimanche, on fit appel à Me MARTIN, Notaire à St SYMPHORIEN pour recueillir ses dernières volontés.

Dans l'après midi, il était là et la trouva dans son lit, malade, mais tout à fait consciente.

Pétronille chargea d'abord son mari d'exécuter un certain nombre de libéralités dont nous le verrons s'acquitter scrupuleusement le moment venu. Elle exposa ensuite qu'il lui restait deux enfants, André et Jeanne.

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De fait, à part trois mois dans sa vie, sur les sept enfants qu'elle a eus, Pétronille n'en a jamais eu plus de deux simultanément vivants; c'était encore le cas à la veille de sa mort. Elle dispose ensuite de ses biens. Elle en donne un tiers, par préciput, à son fils André et partage le solde, par moitié, entre le frère et la soeur. Ainsi donc, André recevra les 2/3 de l'héritage et Jeanne le denier tiers.

Ce genre de partage est tout à fait classique dans les familles rurales de ce temps. Il suppose, en filigrane, et bien que ce ne soit pas dit ici, que la fille, le moment venu, recevra une dot.

Au total, le partage ne sera pas égal, mais, tout à la différence de ce qui se passait en d'autres régions, la part revenant à la fille n'était pas pour autant négligeable.

Le droit d'aînesse était peu pratiqué dans nos contrées (il n'en existe aucun exemple dans l'histoire de notre famille) , le privilège de masculinité trouvait des applications plus fréquentes, mais presque toujours corrigé par des dispositions dotales ou successorales, comme c'est le cas ici.

Extrait du Testament de Pétronille DUPEYRON.

 

"Premièrement, après avoir fait le signe de la croix, recommandé son âme à Dieu et donné toutes les marques de catholicité en véritable fidèle de l'Eg1ise , a dit que dès que son âme sera séparée de son corps, son dit corps voulloir être ensevely dans le cimetière d'icelle de ladite présente parroisse de BALIZAC et que ses honneurs funèbres luy soient faits suivant l'uzage du lieu et que son état et condition le permettra; s'en remettant néanmoins pour la pompe d'yceux à la vollonté et discrétion de son mari, et au-delà, veut qu'il luy soit...

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Pétronille mourut au matin du 12 Mars 1768, munie de tous les sacrements de l'Église. Il faut croire que jusque dans les derniers temps de sa vie, elle avait su conserver une assez belle apparence car, dans son acte de décès, le Curé ROUDES l'estima âgée "d'environ quarante deux ans", alors que nous savons, preuves en main, qu'elle en avait cinquante. Mais on pourrait tout aussi bien hasarder une autre hypothèse.

Ce n'est pas Me ROUDES qui l'avait mariée, mais bien Me DUFOUR, son prédécesseur. Me ROUDES n'était donc peut-être pas au courant de l'inhabituelle différence d'âge séparant Pétronille de Pierre MARSAU.

Or,  l'âge de Pierre était certainement pour lui plus aisément repérable que celui de sa femme. Né à BALIZAC, et parfaitement intégré dans un réseau de connivences et de solidarités avec les jeunes hommes de son âge parmi lesquels il avait grandi, il n'est pas douteux que le Curé ROUDES avait sur son compte bien plus de points de repère que sur Pétronille, née à LEOGEATS, et venue seulement à BALIZAC pour s'y marier en un temps où il n'était pas encore là. Pierre MARSAU ayant pour lors 44 ans, le Curé a fort bien pu se servir de cette indication comme référence et, lui appliquant la règle commune, attribuer environ deux ans de moins à sa femme, ce qui ferait bien 42 ans.

Ceci n'est rien d'autre qu'une simple hypothèse, mais il existe nombre de cas où, en pareille circonstance, on peut voir ici et là des Curés procéder à de tels raisonnements par approximation. Alors, pourquoi pas? Mais nous n'en saurons pas davantage.

Pétronille fut ensevelie le lendemain 13 Mars dans le cimetière paroissial de BALIZAC, en présence de son mari. Curieuse destinée que la sienne.

Elle fut "nore" en sa maison pendant 26 ans, depuis son mariage jusqu'au décès de Guillaume son Beau-Père, et n'y fut enfin "maîtresse" que pendant 5 mois et demi qu'il faut encore amputer du temps de sa dernière maladie pendant laquelle nous savons qu'elle était clouée dans son lit. Nous ne pouvons dire si cette longue cohabitation fut aisée ou difficile, aucun indice ne nous permet d'en juger.

Deux mois après son décès, le 12 Mai, Pierre son époux, prenait contact avec le Curé ROUDES et réglait avec lui les questions financières découlant des deux décès qui venaient de le frapper.

Il lui remettait 6 Livres d'argent pour le service de 12 Messes de Requiem demandées par son Père Guillaume, et 12 Livres pour 24 autres Messes demandées par Pétronille, il y ajoutait les 6 Livres qu'elle avait spécialement affecté au bénéfice des pauvres de la Paroisse.

Le Curé ROUDES lui donnait ainsi quittance d'une somme globale de 24 Livres. Et dans le même temps, Pierre MARSAU remettait à Pierre MARTIN, Fabriqueur de l'Église de BALIZAC, un don de 4 Livres prévu dans le testament de son Père Guillaume et un de 10 Livres légué par Pétronille pour l'entretien du temporel de la paroisse.

On notera ici en passant que Pétronille s'était montrée en tous points nettement plus généreuse que son Beau-Père qui, pourtant, disposait certainement de moyens matériels bien supérieurs aux siens.

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QUAND LA NATURE SE DECHAINE

Dans les années qui allaient immédiatement suivre, la nature allait manifester des violences dont certaines n'ont toujours pas été égalées jusqu'à nos jours.

Ce fut tout d'abord "l'Ouragan de NOTRE DAME" qui survint dans la soirée 8 Septembre 1768, jour de la Fête dite de Notre Dame de Septembre. L'évènement fut singulier. Non seulement l'ensemble du pays fut parcouru et ravagé par un ouragan furieux venu de l'océan, mais les masses d'air qu'il précipita brûlèrent littéralement toute la végétation, sous quelque forme qu'elle fût.

Tous les témoignages concordent sur ce point, et ils sont nombreux; des témoignages émanant d'observateurs qui ne pouvaient se connaître, et qui, en des termes très voisins, décrivent néanmoins le même phénomène et les mêmes conséquences.

Le vent se leva le 8 Septembre vers 18 heures et s'enfla très vite dans des proportions inouïes que nul n'avait jamais connu. Un vent chargé de sel donnant à chacun une impression de brûlure. Les arbres commencèrent à se vriller, à se déraciner, par dizaines, puis par centaines, par dizaines, puis par centaines, et chaque fois que l'on croyait avoir atteint le paroxysme du déchaînement sa violence augmentait encore, les cheminées s'abattaient, les toitures s'envolaient et les pauvres gens, terrés et sans défense, croyaient voir venir la fin du monde.

Il fallut attendre jusqu'aux environs de 3 heures au matin de la journée du 9, pour qu'apparaissent les premiers signes de décroissance, puis d'apaisement du phénomène. Au lever du jour, tout était pratiquement fini. Et pendant tout ce temps, il n'y avait pas eu un seul coup de tonnerre, et il n'était pas tombé, nulle part, une seule goutte de pluie.

Les dégâts furent immenses. Des dégâts imputables à la force du vent, certes, mais aussi à cette inexplicable brûlure des végétaux qui frappa beaucoup les imaginations. Chacun exprime la chose à sa manière, mais redisons-le nettement, tous ces témoignages concordent

"..on a remarqué que partout où ce vent avait touché, il avait laissé des marques de sa malignité et de sa chaleur. Tous les arbres, les plantes et les fruits en furent macérés, moulus et brûlés comme si un véritable feu l'avait accompagné."
"vingt quatre heures après, toutes sortes de feuillages ont été grillés comme si le feu y eût passé..."
" …il n'y a nulle feuille verte et . . . tout parait mort comme dans le coeur de l'hyver..."etc..

A BALIZAC, et dans les environs immédiats, la situation était la même. Des centaines d'arbres avaient été arrachés ou cassés.

Le Curé d'ORIGNE note sur son registre que l'ouragan fut :
"si furieux qu'il déracina une quantité prodigieuse d'arbres et de pins et brûla toute la récolte de millade."

C'est effectivement la millade qui avait le plus souffert car, en cette période de l'année, à la différence des autres céréales, elle n'avait pas encore été moissonnée. 

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Mais d'autres textes déplorent également la perte de la récolte de chanvre et de tous les fruits d'automne (pommes et châtaignes) qui constituaient traditionnellement dans les familles un précieux appoint alimentaire jusqu'au coeur de l'hiver.

Dix huit mois après cet évènement survint un nouveau cataclysme, celui de "l'Aygat dous Raméous", l'inondation des Rameaux. C'est en effet à la veille de la Fête des Rameaux de 1770, dans la nuit du vendredi 7 au samedi 8 Avril que se produisit la plus forte crue qu'ait connu la GARONNE dans les temps historiques.

On avait certes enregistré un niveau de 31 pieds le 18 Février 1618, et même de 37 pieds à l'occasion de la grande crue de 1712. Mais on n'avait jamais vu la GARONNE s'enfler jusqu'à la côte de 42 pieds, et on ne l'a jamais plus d'ailleurs revue à ce niveau depuis lors. Même la crue dévastatrice du 6 Mars 1930 avec ses 11m,80 à CADILLAC, fut loin d'atteindre ce record qui, au même point, le 7 avril 1770 s'était établi à 12m,60.

Toute la vallée fut ravagée par la violence du courant. Certes, BALIZAC resta à l'abri de cette catastrophe. Mais les paroisses à l'intérieur des terres ne purent ignorer le phénomène car le CIRON, lui-même surchargé, ne pouvant plus s'écouler face à un mur d'eau d'une dizaine de mètres de haut, refluait jusque dans les plus petits de ses affluents dont il contrariait le cours.

En quelques heures, tout l'arrière pays en fut inondé et les ruisseaux faute de ponts, devinrent partout infranchissables avec des conséquences parfois inattendues. Qui aurait pu supposer que le Quartier de TRISCOS puisse un jour être totalement coupé du Bourg de BALIZAC ?

C'est dans cette période, riche en péripéties qu'apparut une nouveauté appelée à un grand avenir, mais qui, dans l'instant, ne souleva que méfiance et scepticisme... C'est de la pomme de terre qu'il s'agit.

Mr BOURIOT, Subdélégué de BAZAS, avait entendu parler de ce légume et des services qu'il pouvait rendre à l'alimentation humaine. A la fin Avril de 1769, il en fit venir d'IRLANDE, conditionnées en 70 barriques qui furent débarquées au port de LANGON.

Ce n'était pas tout que de les avoir fait venir, encore fallait-il expliquer ce que l'on pouvait en faire et en enseigner les rudiments de culture. Mr BOURIOT réussit à mettre les Évêques dans son jeu et obtint leur intervention auprès de leurs Curés ruraux pour faire passer le message. On se mit donc, dans les campagne à prôner, au sens propre du mot, la culture de la pomme de terre à l'occasion des sermons dominicaux.

Et dans le même temps, l'Administration assurait la répartition entre chaque paroisse des précieux tubercules importés. L'accueil que leur firent les populations fut plus que réservé. Disons même que, le plus souvent, il fut franchement hostile. L'administration insista, toujours soutenue par l'Eglise sans laquelle elle n'aurait pu rien faire.

Peine perdue, ces légumes là étaient inconnus des ancêtres et n'avaient donc aucune chance d'être adoptés dans les chaumières. On finit pourtant par en amorcer la culture en la préconisant pour l'alimentation des porcs . . . . Si bien que vingt ans plus tard, quelques cultures en Bazadais purent modestement concourir à passer le mauvais cap du redoutable hiver de 1788 à 1789.

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Mais il semble bien que BALIZAC n'ait pas participé à cette promotion. C'est la Révolution, là comme en bien d'autres endroits, qui réussira à implanter la pomme de terre en nos contrées, à partir du printemps de 1793 . . . Nous n'en sommes pas encore là, il s'en faut.

Et pourtant, BALIZAC aurait eu bien besoin de compléments alimentaires. Le XVIIIème siècle connut une succession de périodes particulièrement froides.

Les gelées printanières étaient quasiment annuelles et provoquaient de très gros dégats dans les cultures. Au soir du 16 Avril 1771, on vit même neiger sur toute une bande de pays de BALIZAC à LEOGEATS, recouvrant également le sud de la paroisse de BUDOS. Et contre toute attente, à la nuit tombante, cette neige prit au sol et sur les végétaux. Une forte gelée au lever du jour le lendemain matin paracheva la catastrophe. L'année, mais surtout l'hiver suivant furent bien difficiles à passer.

Et pour comble de malchance, les redevances féodales se trouvèrent doublées cette année-là "pour cause de la mort du Seigneur". Il était effectivement prévu dans la Coutume que le montant du cens était doublé pour tous les tenanciers lorsqu'il y avait une mutation de Seigneur pour quelque cause que ce soit. Cela ne s'était pas produit à BALIZAC depuis 1737, et au surplus, cet impôt restait généralement très modique.

Pour l'ensemble de ses propriétés, tant bâties que non bâties, Pierre MARSAU acquittait en ce temps-là une redevance de base de 2 Livres 1 sol et 4 deniers, soit, en ordre de grandeur, et pour fixer les idées, la valeur des 3/4 d'une brebis. Il lui fallut donc acquitter cette année-là une somme de 42 sols et 8 deniers.

Mais d'autres problèmes agitaient l'opinion.

 

L'INSECURITE A TRISCOS

Le lendemain de la St JEAN 1771, alors que tout le monde était au champ, un quidam s'introduit chez Arnaud MARTIN, habitant à TRISCOS, et lui vole un gilet rouge en toile de Cadix presque neuf, mais ne touche à rien d'autre.

Cet évènement fait évidemment l'objet de nombreux commentaires, mais personne n'a rien vu ni remarqué et l'on ne sait trop de quel côté orienter les recherches. Pas content, mais finalement résigné, Arnaud MARTIN finit par faire son deuil de son gilet.

Or, voilà que le Dimanche 11 Août suivant, la fantaisie prend à MARTIN d'aller entendre la Messe à LEOGEATS.

Et là, oh surprise il voit son gilet sur les épaules du dénommé MAURUGON, valet à FOND de BAQUEY. Son sang ne fait qu'un tour, il se précipite et le prend au collet. Non, MAURUGON n'a ni acheté ni volé ce gilet, mais il a simplement surpris Jacques DOUELLE, un jeune plus ou moins marginal habitant LAULAN, en train de le cacher dans une grange.

Il n'a rien dit, mais il l'a tout simplement emprunté, ce jour, pour venir à la Messe en sa paroisse. Il ne fait d'ailleurs aucune difficulté pour le restituer à MARTIN qui s'en revient à TRISCOS tout réjoui de cette heureuse coïncidence.

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Mais à peine arrive-t-il chez lui qu'il découvre sa famille en pleine effervescence. Tandis qu'il entendait la Messe à LEOGEATS, tous les siens s'étaient rendus à l'Office de BALIZAC. Pendant ce temps, il n'y avait donc plus personne à la maison, ni dans tout le Quartier d'ailleurs puisqu'il n'était pas question que quiconque puisse manquer la Messe.

Et à leur retour, les siens avaient trouvé un volet du côté nord du logement fracturé. De l'extérieur, on avait entamé au couteau le montant de bois dans lequel pénétrait le verrou intérieur, et, l'ayant libéré, le volet s'était ouvert sans résistance.

Toute la famille était en train de procéder à l'inventaire des objets volés. Il manquait 15 écus de 6 Livres chacun, cachés dans une armoire, 4 grandes serviettes, une nappe et 4 chemises d'homme. De plus, on avait manifestement cherché à forcer la serrure du coffre de l'épouse d'Arnaud MARTIN, sans pour autant y être parvenu.

Au surplus, on leur avait mangé une bonne part de la cruchade destinée à leur repas de midi. Mais dans le même temps, des clameurs s'élevaient de la maison voisine où Antoine GUICHENEY et sa famille, revenant eux aussi de la même Messe venaient de découvrir que leur habitation avait, elle aussi, été cambriolée, le voleur étant entré par un passage pratiqué dans le mur mitoyen commun avec les MARTIN. Chez les GUICHENEY, le vol était moins conséquent. On leur avait pris un morceau de lard de trois à quatre livres, une vielle culotte et une chemise d'homme.

La nouvelle se répandit aussitôt comme une traînée de poudre. Mais voici que l'on recueille très vite un renseignement important. Marie DUPRAT, épouse de Guillaume CASTAGNET, était restée ce jour-là dans son lit pour cause de maladie. Elle habitait au Quartier de MOULIEY. Or, voilà que pendant que tous les siens étaient à la Messe, elle entend du bruit à sa porte, laquelle s'ouvre, et elle voit entrer... Jacques DOUELLE qu'elle reconnaît formellement. Surpris de trouver quelqu'un dans une maison qu'il croyait déserte, il fait aussitôt retraite et s'enfuit vers TRISCOS. Marie DUPRAT en est sure, el1e l'a vu par sa fenêtre.

Ce témoignage important, rapproché de l'affaire du gilet désigne aussitôt le coupable. MARTIN et GUICHENEY prennent la tête d'une troupe formée des hommes de TRISCOS et partent en campagne à la recherche de DOUELLE. Ils se rendent à LAULAN d'où il est originaire, mais il ne l'y trouvent pas.

Cependant, ils ont alerté beaucoup de monde, et le Lundi, leur parvient un renseignement leur faisant connaître que DOUELLE est en train de dormir dans une grange à FOND de BAQUEY. Les voilà aussitôt repartis, et ils l'y trouvent. Le réveil est plutôt rude, d'autant qu'il porte la chemise de GUICHENEY...

Il reconnaît l'avoir volée, ainsi que le pantalon, mais, connaissant les lieux mieux que les Balizacais, il profite de la confusion pour s'enfuir dans les bois en dévalant la pente en direction du CIRON. Il a toute la meute des hommes à ses trousses criant "Aoû boulure !" (Au voleur) à qui mieux mieux.

Il tente de passer 1'eau au barrage du moulin de CAUSSARIEU, mais là, le dénommé LAPIN, un homme de BUDOS, "allerté à la clameur publique" s'interpose devant lui, permettant aux Balizacais de le reprendre. On le ramène à la grange où il restitue ce qui reste du lard de GUICHENEY.

Mais il prétend n'avoir rien volé d'autre, ce qui ne fait pas du tout l'affaire de MARTIN.

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On le ramène à TRISCOS sous bonne escorte. Là, il reconnaît être venu une première fois, fin Juin, pour voler le gilet, puis une seconde fois, la veille, après sa tentative infructueuse à MOULIEY. En le fouillant, on trouve sur lui une clé dont une dent est fraîchement cassée et qui a bien pu servir dans la tentative de forcer le coffre de l'épouse de MARTIN.

L'affaire est entendue. On le conduit à St LEGER pour l'enfermer dans la prison de la Juridiction de CASTELNAU.

Cette prison était située dans les caves du Parquet qui ne sont autres que celles de l'actuel Restaurant du village dont nous avons déjà évoqué l'existence.

Mais là, les choses se compliquent. Devant tant de preuves réunies sur la tête d'un délinquant que les victimes elles-mêmes viennent livrer, ces Messieurs de la Justice sont bien d'accord pour l'incarcérer. Mais la prison est pleine . . . (il semble bien qu'en tout et pour tout, elle ait offert deux places).

Qu'à cela ne tienne, il y a une place de libre à la prison du Château de CASENEUVE, ce n'est pas la même Juridiction, mais après tout, c'est le même Seigneur. On conduit donc DOUELLE à CASENEUVE où il est incarcéré le 13 Août.

On a tout de même procédé à un premier interrogatoire de l'accusé, ce qui nous permet de nous faire une idée sur son compte. Il a 22 ans, il habite LAULAN, ainsi que nous le savions déjà, il a perdu ses Père et Mère en bas âge, et, n'ayant aucune profession :

" il se seroit atruandy à mendier pour amasser sa vie. . . ',

Tel est donc le personnage ; or, le 24 Août, à 7 heures du matin, coup de théâtre ! DOUELLE s'est évadé !

Jean LOUIS, Geôlier de CASENEUVE se précipite chez Me Joseph DARTIGOLLES, Juge Civil et Criminel du lieu, en son domicile au Bourg de PRECHAC. Ce prisonnier qu'on lui avait confié, il dit l'avoir soigneusement "tenu clos et fermé" jusqu'à la veille au soir. Mais dans la nuit :

" ledit prisonnier ayant enlevé les gonds du bas de la porte, et par des efforts des plus vigoureux, il a entraîné ladite porte d'en bas en dedans . . . quoique garnie d'une grosse et belle serrure et verrouil en dehors; il a plié et forcé ledit verrou qui a laché la porte en dedans (ce qui) luy a donné la lissence de passer par dessous et s'est évadé..."

C'était faire montre d'une force peu commune qui aurait mérité d'être appliquée à de meilleures activités. Inutile de dire l'émoi que suscita un pareil évènement. On envoya des courriers dans toutes les directions pour alerter les Juridictions voisines et même bien au-delà.

DOUELLE finit par être repris et ramené à la prison de CASENEUVE (réparée entre temps) par deux cavaliers de la Maréchaussée, le 27 Octobre suivant. De là, il fut ensuite transféré à St LEGER dés qu'une place s'y trouva disponible afin qu'y fut instruit son procès.

A quelques temps de là, le 26 Janvier 1772, un Dimanche matin, Louis BOURDET, Geôlier de St LEGER :

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" ayant porté audit prisonnier son pain et de l'eau, ayant bien clos et fermé les prisons, auroit été entendre la Sainte Messe en la Paroisse dudit St LEGER, et à son retour, il auroit été instruit que ledit DOUELLE avoir arraché une barre de fer qui fermoir une lucarne qui donnoit le jour auxdites prisons, étoit sorty, et s'estoit évadé sans que personne fut pour lors à portée de l'arrêter, estant tous à entendre la Sainte Messe."

DOUELLE s'était encore évadé ! Et une fois encore, toute la Justice entra en effervescence. Accompagné de son Greffier, du Procureur d'Office et du Geôlier, le Juge se rendit sur les lieux et entreprit une enquête approfondie. Nous ne la suivrons pas dans son détail car cela nous entraînerait réellement très loin, mais il faut tout de même dire ce qui s'était passé.

La porte de la cellule fut trouvée fermée et ne portait aucune trace d'effraction. Par contre, une grosse barre de fer d'environ 65 cm de long et de 15cm de circonférence, avait été descellée du soupirail éclairant le local. Encore fallait-il l'atteindre car il était situé à plus de 3 mètres du sol. Mais DOUELLE était doté d'un bel esprit d'invention. Il avait réussi à insérer en force chacun de ses sabots entre des pierres de la muraille un peu disjointes et s'en était servi comme autant de marches d'escalier afin d'atteindre la lucarne.

De plus, avec la paille abondante qu'on lui avait fournie pour son couchage, il avait tressé une sorte de corde qui lui avait permis de s'assurer pendant qu'il travaillait au descellement de la barre de fer.

Et là, les circonstances lui avaient été favorables car cette barre n'était scellée dans la pierre que de 7,5 cm, dans une pierre qui, de surcroît, était "molle et sans consistance". Au moyen d'un fragment de pierre dure dégagé du mur, il avait ainsi déchaussé la grosse barre de protection et n'avait plus eu qu'à se glisser à l'extérieur. Ce fut pour lui un jeu d'enfant, d'autant plus que la prison étant souterraine, la lucarne, vers l'extérieur, affleurait au niveau naturel du terrain.

DOUELLE fut repris, plus tard, jugé et condamné. La morale était sauve. Mais cette anecdote illustre bien l'insécurité qui pouvait régner parfois dans les campagnes. Les modes de fermeture des maisons rurales étaient des plus sommaires et n'offraient aucune garantie sérieuse.

Par ailleurs, les braves gens qui disposaient de quelques dizaines de Livres d'argent provenant de la vente de leur résine, ou d'un animal, ou encore d'une coupe de bois, ne disposaient d'aucun lieu de sûreté où ils auraient pu les déposer en attendant d'en trouver l'usage. Ceci explique bien souvent de modestes achats de terres quelquefois difficilement exploitables dont on se demande bien ce qu'ils pouvaient en faire. C'étaient des sortes de "placements relais" d'inspiration sécuritaire. La démarche devient évidente lorsqu'on les voit revendre ces quelques friches ou bouts de landes au moment, par exemple d'acheter une paire de boeufs.

C'était en quelque sorte la fuite devant le bas de laine et l'application d'une vieille habitude, celle de ne point conserver d'argent à la maison. Il est bien évident que DOUELLE n'aurait jamais pu mettre la main sur les 15 écus d'Arnaud MARTIN s'ils avaient été investis dans un petit bien, et Dieu sait s'il y en avait de modestes ! parfois quelques mètres carrés tout au plus.

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Mais ne quittons pas le domaine judiciaire, il va nous offrir un procès retentissant qui va diviser le Quartier de TRISCOS en deux camps pendant plus de trois ans.

 

LE CLAN DES MARSAU SE DRESSE CONTRE LES FAURENS

Disons tout net pour commencer qu'il va nous falloir résumer, résumer, et encore résumer cette affaire sur laquelle nous disposons de dizaines de pages de documents.

Elle était pourtant fort simple au départ, mais fut embrouillée à plaisir jusqu'à devenir parfaitement obscure pour tout le monde, y compris pour la Justice. De quoi s'agissait-il ?

De temps immémoriaux, les MARSAU, tous les MARSAU, y compris les diverses branches qui en étaient issues au fil du temps, avaient bénéficié d'un droit de passage en forme de "péguillère" sur un lopin de lande situé au nord du Quartier de TRISCOS aux abords du lieu-dit du BIGNEY, et appartenant à Jeanne DUPART, épouse de Guilhem FAURENS, dit MOUTCHIC.

Ce passage permettait aux MARSAU et à leurs bestiaux d'aller et revenir en direction du GOUA de lès BAQUES, et du GOUA de la COLETE, sur le Ruisseau d'ORIGNE, pour emprunter ensuite le chemin de la Lande vacante de MALENTE où ils avaient des intérêts.

Or, les FAURENS, au printemps de 1772, venaient de faire clore ce passage par des barrières et construire une borde à toit de paille en travers du terrain.

Pour compléter leur oeuvre, ils mettaient le restant du terrain en culture sous forme d'un jardin. Ils ne laissaient pour passage qu'une étroite bande de trois pas de large située tout à l'extrémité est de la parcelle et que l'on ne pouvait pratiquer qu'au prix d'un certain détour par rapport au passage central direct consacré par l'usage. Les MARSAU protestèrent vivement, en vain, les FAURENS persistèrent dans leur entreprise.

Le procès s'engagea à la suite d'une sommation adressée aux FAURENS le 5 Juin 1772 par tous les MARSAU réunis. On trouva là Nicole MARSAU dite de PEYS et ses deux fils Guilhem et Pierre, Jean MARSAU, dit CALEBIN, et, bien entendu, Pierre MARSAU, dit Pierre de LA BESOÜE.

Ils demandaient le rétablissement pur et simple de leur passage et la démolition de la grange nouvellement construite. Ce texte fut signifié le jour même aux époux FAURENS par Pierre CAUBIT, le Sergent Ordinaire de la Juridiction de CASTELNAU.

Les FAURENS commencent par jouer sur divers incidents de procédure sans intérêt pour nous ; ils sont tantôt défaillants, et tantôt ils demandent des délais pour étudier l'affaire . . . Un affaire pourtant bien simple.

A la suite d'un dernier constat de défaut à l'audience, le Juge s'apprêtait à trancher au fond lorsque soudain, le 22 'lors, après plus de neuf mois d'atermoiements, les FAURENS réagirent enfin sur ce même fond.

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Dans une longue supplique adressée au Juge de CASTELNAU, ils répondent qu'ils ont laissé un passage suffisant en bordure de parcelle, et que de ce fait, ils n'ont pas interrompu le passage des MARSAU.

Au surplus, ils invoquent le sacro-saint droit de propriété, estimant que personne n'a le droit de leur interdire de construire une borde sur leur terrain du moment qu'ils ont ménagé le susdit passage. C'est une réponse que l'on pouvait attendre et qu'ils auraient pu faire bien plus tôt et avec beaucoup moins de frais.

C'est au tour des MARSAU de prendre leur temps jusqu'au 4 Août suivant, date à laquelle ils adressent à leur tour un autre supplique au même Juge disant :

"qu'il auroit mieux convenu à (leurs) adversaires de subir sans mot dire la condamnation que les (MARSAU) sollicitoient contre eux que d'excepter ce qu'ils ont fait à la veille du jugement dont le retardement auquel ils donnent lieu ne peut avoir pour eux d'autre effet que le triste repentir de leur entêtement et de leur caprice."

Voilà qui est bien envoyé . . . Ensuite de quoi, pendant des pages et des pages, les MARSAU distillent une prose, fort indigeste dont nous retiendrons qu'ils ont pris bonne note que les FAURENS ne contestent pas le bien fondé de leur droit de passage puisqu'ils ont ménagé un petit espace à cet effet, mais que cette solution que l'on veut leur imposer ne leur convient pas du tout :

"ils se sont . . . toujours contentés et se contentent très volontiers (du passage) sur lequel ils sont accoutumés de passer pour aller et venir . . . et qui est l'endroit par lequel la barre de fermeture du jardin est placée, ils n'en veulent point d'autre ny n'en peuvent prétendre..."

et ils suggèrent au Juge de venir sur le terrain pour se faire une idée exacte de la situation et recueillir tous les témoignages de tiers qu'il souhaitera en confirmation de leur droit, les FAURENS ayant tout loisir d'en faire autant s'ils le peuvent.

On aurait pu croire qu'à ce stade, l'affaire allait avancer. Il n'en fut rien, au contraire elle s'enlisa davantage dans les méandres d'une procédure obscure. Ce sont les MARSAU qui relancèrent le débat au fond; et cette fois-ci, ils se déchaînèrent littéralement en présentant au Juge, le 11 Avril 1774 une nouvelle supplique sous la forme d'un fort cahier de huit pages écrites recto-verso et qui n'apporte aucun élément réellement nouveau. 

Les FAURENS ne seront pas moins prolixes. Le 13 Juin, ils adressent à leur tour leur nouvelle supplique en réponse à celle des MARSAU. Et cette fois-ci, nous avons droit à quatre pages recto-verso d'une écriture incroyablement serrée car il ne faut pas être en reste de littérature. 

Une littérature non moins fleurie d'ailleurs que celle des MARSAU. Les FAURENS disent ainsi qu'ils auraient pu penser que leurs adversaires :

"abandonneroient leur chimérique prétention qui n'est que le fruit de la jalousie et de l'inquiétude..." 

Mais, ici encore, ils n' apportent aucun argument nouveau, et l'affaire n'avance toujours pas, la seule ouverture étant qu'à leur tour les FAURENS suggèrent au Juge de procéder à un transport de Justice.

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Le 27 Juin intervient une "sentence interlocutoire" décidant de ce transport de Justice. Mais il faut encore une supplique des MARSAU pour en fixer la date, et le temps passe toujours . . . Enfin, le 17 Septembre 1774, le Juge décide de ce transfert :

"nous nous transporterons vendredy prochain vingt trois du courant à huit heures du matin sur les lieux contentieux..."

On se doutera aisément qu'une telle procédure avait son prix ; d'autant que le Juge ne se déplaçait pas seul car il était accompagné de son Greffier, mais aussi du Procureur d'Office, et du Sergent de la Juridiction, chacun facturant ses honoraires dans un décompte spécial.

Le simple fait de décider de se déplacer, avant même d'avoir bougé d'un pouce, avait été taxé pour 17 Livres 11 sols, soit 13 Livres 3 sols 6 deniers pour le Juge, et le solde pour son Greffier (environ le prix de sept moutons) ceci uniquement pour la "sentence interlocutoire" portant la décision du transport.

Le Procès Verbal de ce déplacement n'a pu jusqu'ici être retrouvé, mais l'on pouvait raisonnablement croire une fois encore que l'affaire allait être tranchée dans les semaines qui allaient suivre.

Ce ne fut pas encore le cas puisque l'on trouve encore sept mois plus tard, le 1er Mai 1775, une nouvelle supplique des MARSAU où, sur des pages et des pages, ils exposent des arguments qui auraient dû trouver leur place une fois pour toutes dans le Procès Verbal d'enquête, et sur lesquels il était parfaitement inutile de revenir.

Voilà déjà trois ans que ce procès avait débuté, et sa conclusion définitive ne nous est pas connue. Ce qui est par contre bien établi, c'est que dans l'intervalle Nicole MARSAU avait eu le temps de mourir ainsi d'ailleurs que Jean MARSAU dit CALEBIN, ce qui éclaircissait singulièrement les rangs des Plaideurs. En tous cas, gare à celui qui aura perdu ce procès.

En de telles circonstances, on pouvait aisément dévorer la valeur d'une propriété entière lorsque l'on n'avait pas su trouver à temps le terrain d'une transaction amiable. De plus, ces litiges laissaient dans les Quartiers et les Villages des traces profondes et durables.

En appelant des témoins pour soutenir le point de vue de l'un ou l'autre des adversaires, on obligeait les tiers à prendre ouvertement parti pour les uns ou pour les autres et cela n'était pas sans conséquences sur l'avenir des relations sociales à l'intérieur de la communauté.

Certaines inimitiés tenaces entre familles n'ont pas d'autre origine et ont pu, parfois, se poursuivre sur plusieurs générations. Il arrivait souvent que les descendants de deux clans fussent "brouillés", selon l'expression locale, sans qu'aucun d'eux en connaisse l'exacte raison car la mémoire en était perdue.

Pourtant, la difficulté des temps aurait dû inciter à un peu plus de mesure. La période sur laquelle se développe ces joutes judiciaires dérisoires correspond en effet très précisément à un moment particulièrement difficile de l'histoire locale, avec la grande famine de 1773 et l'épizootie de 1774.

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LA FAMINE DE 1773 ET LA CATASTROPHE DE L'EPIZOOTIE DE 1774

Les récoltes céréalières de 1772 avaient partout été désastreuses, non seulement en quantité, mais aussi en qualité. Les grains que l'on ne savait déjà pas trop bien conserver en temps normal avaient une fâcheuse tendance à s'échauffer et à fermenter.

Nul ne savait comment pourrait s'effectuer la soudure avec la récolte à venir, d'autant que l'on n'avait pu cette année-là ramasser aucun des fruits de substitution traditionnels en nos régions (essentiellement les pommes et les châtaignes déjà citées) lesquels permettaient parfois de franchir des caps difficiles.

En bref, dès l'automne de 1772, la famine était programmée pour le printemps suivant, et tout le monde le savait. On avait bien tenté de semer des fèves et des haricots, tardivement dans la saison de 1772 pour tenter de pallier le déficit en grain, mais à l'évidence, on s'y était pris trop tard et les résultats ne furent pas du tout au niveau des attentes.

L'Administration Royale se donna beaucoup de mal pour importer des grains, essentiellement par voie de mer, de ROUEN, d'AMSTERDAM, et même de DANTZIG. Mais d'où qu'ils viennent, de partout en EUROPE, ces grains maigres et charbonneux s'avéraient de mauvaise qualité et ne se conservaient pas.

La situation devint réellement difficile à partir de la fin Avril - début Mai. Le 8 Mai 1773, une première émeute éclata à BORDEAUX. Ce fut comme un signal pour toute la province.

On se mit à piller les maisons, les greniers, les marchés, tout au long de la vallée de la GARONNE, provoquant une panique qui finit de désorganiser le commerce. Le peu de grains qui subsistait dans les réserves disparut en deux ou trois jours, comme par enchantement, et partit alimenter une économie souterraine au grand dam des pauvres gens qui n'avaient pas les moyens de s'approvisionner aux sources de ce marché noir.

Dans notre contrée, l'émeute éclata sur le marché de VILLANDRAUT le Mercredi 12 Mai à 11 heures. Ce marché s'était ouvert dans une ambiance lourde. Une soixantaine de charrettes venues souvent de la Lande avaient apporté un peu de grain, pas beaucoup, mais un peu tout de même. Du grain plus ou moins dissimulé sous la provision de foin des boeufs et que l'on ne montrait pas trop, en attendant ce qu'allaient donner les prix du marché. Et tout autour, rodaient des gens venus de BOMMES, de BUDOS, de BALIZAC, LANDIRAS, ILLATS et même au-delà. Une certaine MARIANE, de BUDOS, chauffait les esprit en proclamant partout

"qu'ils verraient quelque chose de joly à l'heure d'ouverture du marché..."

A 11 heures, le dénommé NOAILLAN, qui était de LANDIRAS, s'approcha d'un chariot situé au milieu de la place et se mit à :

"découvrir ledit chariot des fourrages dont le bouvier estoit muni et . . . se chargea un sac remply de grain qu'il emporta..."

Dans le même instant, MARIANE, la Budossaise, monta sur une autre charrette et :

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" de ce moment, le marché fut remply d'une populasse qui suivit le même exemple, et dans moins d'une demi(heure) ou trois quarts d'heure, tous les grains qui estoient sur la plasse... furent enlevés"

Dans l'après midi, la foule s'en prit à l'auberge du dénommé PEYRAGUE, lequel avait pour habitude de louer ses greniers aux négociants landais, et la pilla de fond en combles.

Au soir de cette journée, il ne restait que deux greniers à VILLANDRAUT qui n'avaient pas été touchés, l'un d'entre eux étant celui du Seigneur de PONS. Mais l'affaire n'était pas terminée.

Tout au long de la matinée du lendemain, VILLANDRAUT se vit investi par des groupes de gens arrivant progressivement, armés de bâtons et munis de sacs vides. Ils envahirent les cabarets et se mirent à boire.

Mais dans le même temps, les gens de VILLANDRAUT avaient réfléchi. Il était évident qu'avec ce qui s'était passé la veille, ils n'étaient pas près de revoir un charrette de grain sur leur marché...

Si donc ils se laissaient déposséder des grains du Seigneur, ils n'auraient strictement plus rien sous la main d'ici la récolte prochaine. Qu'il soit au Seigneur ou à quiconque d'autre, ce grain était là, il fallait qu'il y reste.

Et c'est ainsi que 25 hommes décidés, armés de solides gourdins vinrent prendre place devant ce grenier pour le défendre. En face, on nous dit que les assaillants étaient au nombre de 300, d'autres disent 400, c'est peut-être beaucoup. Mais à coup sûr, ils étaient très nombreux.

Les défenseurs tentèrent de parlementer. Pour toute réponse, les assaillants s'ébranlèrent sous la conduite de deux meneurs brandissant leur bâton. En bons tacticiens, les hommes de VILLANDRAUT fondirent sur ces deux-là et, en un instant, les assommèrent Il y eut alors un flottement; privée de ses chefs, la foule hésita, puis, devant l'attitude déterminée des défenseurs, recula, et finit par se débander dans une fuite éperdue. On poursuivit les fuyards jusqu'au moulin du BALLION sur la route de BALIZAC.

Il y eût même des prisonniers. En particulier, le dénommé LIBERS, de BALIZAC, qui fut capturé par les vainqueurs et fut ramené jusqu'à l'auberge de Jeanne SORS, et là :

" ils le déculotèrent et lui frottèrent le cu avec (des) horties..."

C'est ainsi que se terminèrent les émeutes frumentaires de VILLANDRAUT. La vie de tout le pays se trouva un moment bouleversée. La récolte suivante fut néanmoins de bonne qualité et la Justice, sur ordre, eut des réactions très modérées, l'affaire finit par s'étouffer et ce ne fut plus qu'un mauvais souvenir parmi d'autres, mais l'alerte avait été chaude...

A peine était-on remis de cette épreuve que l'on se trouva engagé dans une autre, plus grave encore du fait de ses conséquences lointaines qui se prolongèrent sur bien des années.

Venue des environs de BAYONNE, une épizootie se déclara au mois de Juin 1774. Plus tard, on pensa qu'elle avait été introduite par un chargement de cuirs infectés, entré dans le port, en provenance de la GUADELOUPE.

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Après quelques mois d'incubation en Pays Basque, pendant lesquels on ne soupçonna rien, le fléau s'abattit d'un seul coup à partir de la grande Foire annuelle aux bestiaux tenue à St JUSTIN, dans les LANDES, le 23 Juillet 1774, communiquant ainsi "l'incendie à toute la Province".

C'était juste quelques semaines après la mort de LOUIS XV (le 20 Mai 1774) , et partout, on faisait prier dans les églises pour le repos de l'âme du défunt Roi. Les deux souvenirs sont restés longtemps associés dans les mémoires.

L'été fut torride et particulièrement sec, favorisant, a-t-on dit, le développement de la contagion. En tous cas, tout le monde fut surpris par son extension foudroyante. Toutes les foires furent aussitôt interdites et les bestiaux contaminés mis en quarantaine. L'Intendance prescrivit d'enfouir les animaux morts dans de profondes fosses en mêlant des épineux à la terre remuée pour dissuader les prédateurs de venir les déterrer.

Le 13 Octobre, l'Intendant écrivait au Contrôleur Général à VERSAILLES :

"Les progrès sont si rapides que les précautions les plus promptes et les plus multiples qu'on ne cesse de prendre sont une faible digue à lui opposer..."

Les 22 Octobre et 8 Décembre, on afficha à la porte de l'église de BALIZAC, comme dans toutes les autres paroisses, l'obligation de déclarer tout animal suspect de porter la maladie. S'il venait ensuite à mourir, son propriétaire était indemnisé des deux tiers de sa valeur. Mais s'il mourait sans avoir été déclaré malade, le même propriétaire se voyait frappé d'une lourde amende.

L'Eglise prescrivit des prières publiques. On fit des processions les 18 Janvier et 3 Février 1775 pour demander au Ciel "la cessation de la maladie du bétail" . Avec l'été de 1775, la contagion, un moment assagie, repartit de plus belle aux premières chaleurs. Finalement, elle ne cessa qu'à la mi 1776, d'elle-même, comme elle avait commencé. Nos régions avaient été durement touchées.

Dans son Registre Paroissial, le Curé d'ORIGNE mentionne :

"une très grande mortalité sur les bestiaux, causée par une maladie épizootique qui s'est répandue dans presque toutes les Paroisses des LANDES."

En fait, ce sont les 80% du cheptel bovin qui, en deux ans avaient disparu. Ce fut une catastrophe pure et simple.

Plus d'engrais, plus de labours, plus de transports, ou si peu ; toute l'économie rurale s'en trouva bouleversée pendant bien des années, jusqu'à ce qu'une nouvelle génération d'animaux vienne assurer le renouvellement du cheptel. Et cela prit beaucoup de temps.

 

FAITS DIVERS ET VIE QUOTIDIENNE A TRISCOS

En dépit des lourdes inquiétudes que suscitait la reprise de l'épizootie au début de l'été de 1775, il y avait néanmoins quelques motifs d'espoir et de réjouissances.

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Le 11 Juin, toute la paroisse s'était retrouvée pour chanter un Te Deum solennel en l'honneur du sacre de LOUIS XVI. Et on put le chanter d'un coeur d'autant plus léger que les récoltes s'annonçaient bonnes.

L'automne précédent, avec un cheptel réduit, on avait procédé aux labours comme on avait pu, travaillant bien souvent à la main sur des superficies plus réduites, et pendant tout l'hiver, on vécut dans l'inquiétude du lendemain. Mais cet hiver fut beau et sec, et les céréales levèrent à plaisir.

Partout, on souhaitait quelques pluies qui seraient venues au secours de la végétation. Il ne plut pas, et les observateurs avisés s'aperçurent que cela avait probablement été une bonne chose:

" Le bled a monté sans secours (de l'eau) sur une tige longue, belle et forte, et s'étant toujours soutenu gaillard, il se seroit couché et pourry s'il eût eu une bonne pluye."

Finalement la récolte fut bonne. On déplora seulement la rareté des fruits d'automne qui firent largement défaut.

C'est bien souvent à l'occasion de faits divers croqués sur le vif, que l'on en apprend le plus sur les détails de la vie quotidienne. Quelques anecdotes et faits divers locaux vont ainsi nous apporter un certain nombre d'éclairages précis sur les faits et gestes de tous les jours.

Ce sera tout d'abord une affaire de charroi. Nous savons qu'à BALIZAC s'organisaient de véritables convois de charrettes se rendant au Port de PODENSAC pour y embarquer les produits locaux à destination de BORDEAUX, et quelquefois bien au-delà, essentiellement des bois bruts ou ouvrés et des produits résineux.

Mais il faut bien dire que nous avons peu de détails sur l'organisation de ces voyages. La plainte en diffamation d'un certain Arnaud FORTENS, laboureur à TRISCOS, contre MARSAU dit TCHICOY de CALEBIN, va nous en fournir quelques uns.

Nous sommes au mois d'Août 1776, très exactement le 19, Arnaud FORTENS est :

"parti de son domicile avec ses boeufs et charrette avec plusieurs autre bouviers de... BALIZAC pour aller au Port de POUDENSAC, il (sont) parvenus ledit jour sur les dix heures du matin sur la lande du village de BERNADET, susdite Paroisse de BALIZAC, où, ils se (sont) arrêtés pour laisser reposer et pacager leurs boeufs. (FORTENS s'est) couché sur sa charrette pour se reposer..."

Et de là, alors qu'on ne peut le voir, il entend que MARSAU CALEBIN raconte à Jean CALLEN, un autre bouvier, qu'il lui aurait volé des bûches. Le reste de l'affaire est sans intérêt pour nous, mais ce qui doit retenir notre attention, c'est ce qui illustre l'ambiance de ce voyage. 
On est parti certainement d'assez bon matin, et sur les dix heures, on n'est encore qu'à BERNADET à environ 5 km du point de départ. 
Déjà, une première halte est programmée pour permettre au bétail de se reposer et de se restaurer. Combien va-t-elle durer ? et surtout combien y en aura-t-il d'autres avant d'arriver au Port de PODENSAC à une vingtaine de kilomètres de là ? 

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De toutes manières, on ne peut envisager l'arrivée que très tard dans la soirée, après quoi, il faudra encore procéder au déchargement des charrettes.

Le retour ne peut donc s'envisager que le lendemain après une soirée et une nuit que ce groupe de bouviers aura passées dans une auberge du Port.

Il fallait donc deux jours pour faire ce qui peut nous demander actuellement environ deux heures; c'est une assez bonne échelle des temps qu'il. ne nous faut jamais perdre de vue dans l'appréciation des situations qui nous sont exposées.

Autre anecdote, également liée à un transport, mais tout à fait différente. Elle va nous éclairer sur l'habillement et le costume. Il est rare qu'un texte précis nous fournisse ce genre de renseignements, c'est pourtant bien ici le cas.

Le 24 Janvier 1777, Jean PARATGE Fils, laboureur à BUDOS, au Quartier de JANOT BAYLE, tout près du Bourg de cette paroisse, était parti de bon matin avec son Oncle, un autre Jean PARATGE, son parfait homonyme.

Ce dernier était veuf, et vivait dans le même Quartier, dans une maison voisine. Ils avaient chargé chacun une barrique de vin sur leur charrette commune et allaient, de ce pas, les livrer au dénommé LIBERE, laboureur à TRISCOS.

Ce LIBERE, nous le connaissons déjà, c'est lui qui avait été fait prisonnier par les hommes de VILLANDRAUT au second jour des émeutes de 1773 et qui avait pour lors subi un sort ignominieux dont on peut espérer qu'il avait eu le temps de se remettre.

Alors que les deux hommes approchaient de TRISCOS, marchant auprès de leur charrette, et qu'il était environ 14 ou 15 heures, l'Oncle, tout en devisant, se plaignit d'un point de côté. Deux ou trois cents pas plus loin

"arrivés qu'ils furent à un petit escoul d'eau, dans un enfoncement près le Ruisseau (de) BALIZAC que l'on appelle vulgairement la ROUILLE DE SARROQ, ... (1')Oncle passe devant les boeufs et, ayant traversé ladite rouille et escoul d'eau, montant la côte vers ledit lieu de TRISCOS, et environ dix pas dudit escoul d'eau et au côté droit du chemin, (Jean PARATGE Fils s'aperçut) que sondit Oncle (était) tombé sans aucune plainte ny mouvement. Y ayant accouru pour lui prêter secours, et l'éloignant un peu plus de devant la voiure où il se serait trouvé exposé, il (l'a) trouvé sans pas une espèce de respiration et véritablement mort, ce quy luy (a) donné lieu, pour éviter tout soubçon de quelque cause de mort forcée, de se présenter devant (la Justice) et de requérir qu'il (lui) plaise de se transporter de suite audit lieu..."

Cette description est tellement précise qu'il nous est encore possible aujourd'hui de localiser cet accident au mètre près. La "rouille", en gascon, est un fossé dans lequel s'écoule l'eau ("l'escoul") ; et la ROUILLE de SARROQ est le grand et profond fossé parallèle au Ruisseau d'ORIGNE que l'on rencontre sur la petite route du Moulin de TRISCOS, entre le Ruisseau et la route d'ORIGNE.

Il suffit de compter dix pas sur le côté droit de la route à partir du fossé en direction du moulin pour situer exactement l'emplacement désigné.

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De TRISCOS, on a aussitôt envoyé des émissaires pour quérir le Juge de CASTELNAU, son Greffier, le Procureur d'Office, tous habitant à ST SYMPHORIEN et ST LEGER, et le Maître chirurgien qui lui, résidait au Bourg de BALIZAC.

Ces Messieurs de la Justice partent aussitôt à cheval et :

"parvenus audit lieu de TRISCOS, y (ont) laissé (leurs) chevaux et de là, à pied audit lieu de la ROUILLE de SARROQ"

Ils dressent un Procès Verbal extrêmement précis de la position du corps et de la charrette, mais aussi, et c'est, pour nous le plus intéressant, des vêtements de la victime.

Voici donc comment était vêtu Jean PARATGE, petit laboureur relativement aisé (nous le savons par ailleurs par d'autres documents), un jour d'hiver de 1777 (rappelons que nous sommes en Janvier) :

- une veste de droguet brun
- une culotte de même
- un gilet rouge
- une chemise
- une paire de bas bruns
                                               le tout usé
- une paire de sabots
- un bonnet blanc

Dans ses poches, on trouvera un couteau à manche de bois et un mauvais mouchoir de couleur (il n'est pas précisé laquelle).

Le droguet était une étoffe de laine feutrée par foulage, lourde et assez grossière. Il était généralement de fabrication locale; on en a fait pendant longtemps à BUDOS au foulon du BATAN. On notera le gilet rouge. Arnaud MARTIN en avait également un, celui que Jacques DOUELLE lui avait volé. Mais nous en connaissons d'autres exemples ici et là ; il semble que le rouge ait été une couleur assez prisée. D'autres documents nous montrent une même faveur pour cette couleur dans les tabliers que portent les femmes.

L'indication semble donc avoir une portée assez générale. On retiendra l'absence de sous-vêtements; elle aussi parait avoir été générale, aucun inventaire n'en fait jamais mention. Enfin, l'Oncle ne porte pas d'argent sur lui, pas même les quelques sols qui nous sont parfois signalés dans les poches des voyageurs, pas beaucoup plus, d'ailleurs, en dehors des cas bien particuliers où l'on se rendait à la foire ou au marché avec l'intention d'y acheter quelque chose.

Encore une anecdote que nous survolerons simplement parce que la suite de son développement ne concerne que l'histoire de St LEGER, c'est, moins de deux mois plus tard la capture d'un loup, aux confins de BALIZAC. Un loup poursuivi par deux bergers et leurs chiens pendant toute une nuit et finalement acculé au matin du 14 Mars, et tué au couteau.

La dépouille de cet animal sera vendue 3 Livres et 10 sols, puis subrepticement volée, donnant lieu par la suite à une bataille de femmes qui, à son sujet, finirent par en venir aux mains, le tout se terminant par un procès haut en couleurs devant le Tribunal de CASTELNAU.

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Nous n'en retiendrons ici que la présence du loup. Ni BALIZAC, ni St LEGER n'en étaient vraiment infestés, mais leur rencontre n'était pas rare non plus, surtout l'hiver lorsqu'en quête de nourriture, ils remontaient du fond de la grande Lande. A TRISCOS, on comptait encore avec l'éventualité de leur rencontre, et l'on en a tenu compte pendant près d'un siècle encore. Le souvenir n'en est donc pas si lointain.

Autre anecdote, autre problème ; celui de l'incendie. Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer le problème du feu en forêt. Il est toujours d'actualité. Il était interdit :

"de mètre le feu directement ni indirectement dans les landes ni dans les bois..."

Et le renouvellement de cette interdiction, tant par Déclarations Royales que par Arrêts du Parlement et Règlements divers réitérés, donne à penser que les infractions devaient être nombreuses. C'était pourtant une affaire très suivie. La Justice ouvrait des enquêtes et les sanctions prévues étaient lourdes.

Mais les preuves étaient difficiles à rapporter, car i1 s'agissait le plus souvent d'incendies volontaires allumés par des bergers pratiquant l'écobuage et qui prenaient évidemment les précautions utiles pour ne pas se faire prendre. Ces bergers venaient pour la plupart de la Grande Lande et s'engageaient chez des laboureurs locaux. Ils étaient d'ailleurs très appréciés car ils étaient réellement compétents et riches d'une expérience que les gens du cru ne possédaient pas. Mais ils apportaient avec eux la détestable technique de l'écobuage qu'ils avaient toujours vu pratiquer dans leurs contrées pour obtenir des pâturages de meilleure qualité. Le feu dans une lande inculte et désolée est une chose, mais le feu dans une forêt cultivée en est une autre. Et il y avait un abîme d'incompréhension entre ces pasteurs plus ou moins nomades habitués aux grands espaces et les propriétaires locaux, tels Pierre MARSAU, qui exigeaient, à juste raison, une stricte application de la réglementation protégeant leurs forêts. Les choses allaient parfois très loin, et l'aventure survenue à Pierre MARSAU en constitue un excellent exemple.

Le 28 Août 1777, sur le coup de midi, Pierre MARSAU se dirigeait vers LES PELOUEYRES où il possédait une pièce de 38 à 39 journaux (environ 5 hectares) qu'il avait fait ensemencer en pins qui étaient déjà :

 "d'une croissance flateuze.."

Et là, il tombe sur une assemblée de bergers parmi lesquels il reconnais Pierre LACROTE, pasteur de Bernard MARSADIE, Raymond, pasteur de la famille ESCARPIT, Jean COURBIN, pasteur de Jean FOURTENS, et enfin le nommé BARBE Fils, surnommé DROLLE. Tous sont occupés à activer un feu qu'ils viennent d'allumer dans la lande,

"un feu si considérable que si (MARSAU) ne fut pas sitôt arrivé, il se seroit produit dans le petit pin qu'il auroit infailliblement entièrement incendié." "MARSAU) voulut représenter à ces particuliers la noirceur de leur procédé.(Il)) leur fit envisager le danger évident auquel ils s'exposoient et les dommages qu'il lui occazionnoient. Ledit Raymond, peu repentant, sauta sur (MARSAU), lui donna des coups de poing, parvint à le terasser et, le tenant sous 1uy, 1'assoma de coups de genoux et de coups de pieds et de poing."

Et non content de cela,

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"ces quatre malfaiteurs . . . luy promirent, avec de vives menaces qu'ils achèveraient de faire brûller sa lande et son petit pin, (et) que s'il s'avisoit de s'y opposer de nouveau, ils luy oteroient la vie."

A la suite de cette plainte de Pierre MARSAU, une information criminelle fut ouverte devant 1a Juridiction de CASTELNAU. L'enquête suivit son cours, et pour une fois, les accusés n'eurent pas de chance.

Leurs méfaits étaient généralement couverts par le secret des grands espaces de la forêt; il n'est pas facile de prouver ensuite ce qui s'est exactement passé lorsque l'affaire s'est déroulée sans témoins au fond des bois. Mais là, il se trouva précisément qu'il y avait eu deux témoins que personne n'avait remarqués. Deux jeunes pâtres de TRISCOS, dont les troupeaux s'étaient égarés par là : Pierre DARTIGOLLES, âgé de 15 ans, et le jeune Pierre CALLEN Fils, âgé de 14 ans, et ils avaient vu pas mal de choses qu'ils vinrent raconter au Juge après avoir prêté serment à DIEU. En particulier, le jeune DARTIGOLLES avait vu :

"les quatre accusés (qui) mirent le feu à la lande et proche des petits pins dont il est question; et le soir du même jour, le pasteur de MARSADIE luy dit que sans luy, le pasteur des ESCARPIT, aussi accusé, auroit laissé le plaignant raide mort sur la plasse."

Sur ces témoignages et autres indices, tels les traces des coups reçus, le Juge ordonna que les quatre accusés seraient :

" pris et saisis au corps pour être conduits dans la prison de la juridiction (de CASTELNAU)."

Le procès criminel s'engageait. Faute d'avoir pu retrouver jusqu'ici les pièces d'archives utiles, nous n'en connaissons ni la suite ni l'issue. Mais ce fait divers illustre parfaitement la tension qui pouvait régner entre le monde des pasteurs et celui des laboureurs sédentaires.

MARSAU pouvait-il imaginer qu'un jour de 1810, sa Petite Fille Jeanne épouserait le Fils de ce jeune Pierre DARTIGOLLES, dit GUIGNET, dont le témoignage l'avait si bien servi...?

Par rapport à ces bergers landais plutôt frustres, Pierre MARSAU était incontestablement l'image même du laboureur sédentaire. Cultiver sa terre, acheter des parcelles ici et là pour agrandir son domaine, et y semer des pins, c'était bien le plus clair de ses préoccupations. Juste une semaine avant son altercation avec les bergers, le 20 Août, il était chez Me MARTIN, Notaire à St SYMPHORIEN, en train de traiter une affaire comme il en avait le secret. Guilhem FONTEBRIDE, laboureur à MOULIEY avait besoin d'argent pour acheter une paire de boeufs, et pour cela, il était disposé à vendre une pièce de lande au lieu-dit de LA MOLLE, pas très loin de TRISCOS.

Pierre MARSAU n'avait probablement pas l'argent nécessaire disponible, mais il avait une paire de boeufs correspondant peu ou prou à ce que cherchait FONTEBRIDE.

Ils vont donc passer un contrat de troc, la parcelle contre les boeufs. l'échange se fait, sans soulte, sur la base d'une estimation de 150 Livres. Pour une paire de boeufs, c'est vraiment le plancher de la fourchette. Le prix normal du marché se situait aux alentours de 280 à 300 Livres et même parfois davantage en cette période de pénurie car les conséquences de l'épizootie étaient encore bien en loin d'avoir été gommées.

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A 150 Livres, ou bien ce sont de tout petits boeufs très jeunes à peine dressés ou bien ce sont des boeufs âgés très fatigués. Il est vrai que, de son côté, la description du terrain n'est pas très engageante non plus puisqu'il s'agit d'une :

"pièce de terre en lande où il y a quelques pins épards..."

Si tout cela est vrai, Pierre MARSAU , selon son habitude, y sèmera certainement des pins et confortera d'autant son patrimoine. Mais, si tout cela est vrai . . . . car un petit doute subsiste.

Ces laboureurs sont des malins, il se pourrait bien qu'il y ait ici une sous-estimation et des boeufs et de la terre pour diminuer les droits fiscaux ad valorem établis sur la valeur déclarée de l'échange. Outre le prix vraiment très bas de ces animaux, un détail un peu insolite peut mettre la puce à l'oreille. Les parties sont d'accord pour constater que les limites ne :

"sont marquées que par quelques abatis ou coupe de certains pins et arbrisseaux..."

De ce fait, elles :

"conviennent d'y planter incessemment des bornes de pierre, et ce, sur la réquisition de l'une ou l'autre des parties..."

C'est bien un cas à peu près unique où l'on déclare dans un contrat de vente que l'on ne donnait pas les limites de la parcelle. Ne serait-ce pas une précaution pour le cas où quelqu'un, intrigué par la modicité du prix, déciderait de venir voir sur place... En jouant sur les limites, on pourrait toujours s'ajuster sur la valeur des 150 Livres, et si, d'aventure, les bornes ne sont pas encore en place, ce sera tout simplement parce qu'aucun des deux n'aura fait diligence pour les demander...

Ce n'est qu'une hypothèse que rien d'autre ne vient conforter; mais une pratique assidue des transactions rurales passées devant les Notaires révèle tant et tant d'imagination et d'esprit d'invention quand il s'agit d'épargner quelques sols que l'on peut s'attendre, sinon à tout, du moins à bien des choses....

Pour en terminer avec cette série d'anecdotes, nous évoquerons un moment important dans la vie du village, celui où l'on changeait de meunier.

Il y avait alors deux moulins à BALIZAC, celui de LA FERRIERE, le plus important, et celui dit "de BALIZAC", sur LA NERE, au pied du Château, un peu en aval du Quartier de PINOT.

Ces deux moulins appartenaient au Seigneur qui les donnait à ferme à un meunier concessionnaire. Le paysan n'était pas tenu de faire moudre dans tel ou tel de ces deux moulins, le choix lui en était laissé.

Il appartenait au meunier, par son sens du commerce plus ou moins développé, par sa compétence, et, éventuellement par son honnêteté, de drainer la pratique dans son moulin plutôt que de l'abandonner au moulin concurrent. Par contre, nul n'avait le droit de construire un autre moulin et de s'y installer à son compte. Le privilège de meunerie appartenait au Seigneur et à lui seul.

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Sauf urgence, on ne portait pas son grain au moulin, c'était le meunier ou ses valets qui passaient le prendre dans les fermes et rapportaient de même la farine et les issues correspondantes.

Pour cela, ils se servaient de chevaux alors que tous les autres transports, nous l'avons vu en maintes circonstances, s'effectuaient avec des boeufs. Curieusement, lorsqu'il y avait plusieurs moulins sur la Seigneurie, le nombre de ces chevaux était contingenté par le Seigneur. Le contrat de bail précisait par exemple à BALIZAC que le meunier travaillant sur LA NERE, pourrait :

" quetter (les grains) avec deux chevaux . . . sans qu'il puisse se servir de plus grand nombre pour ladite quette ny la faire les jours de Dimanche et Fêtes à peine de trente Livres d'amende chaque fois qu'il seroit trouvé en contravention en vertu de la présente clauze".

Le souci du Seigneur était, certes, d'avoir un fermier actif et entreprenant, mais il ne voulait pas que l'un de ses meuniers accapare toute la clientèle, au risque de ne pouvoir faire face à ses obligations, tandis que l'autre moulin aurait connu un quasi chômage. En limitant ses moyens de quête, il mettait un frein à un abus possible. De même fallait-il couper court aux ruses des meuniers qui arrêtaient le travail du moulin le Dimanche, repos dominical oblige, mais profitaient de ce jour-là pour effectuer les ramassages et les livraisons, activité un peu moins visible, mais en infraction à cette même obligation de repos.

On ne payait pas le meunier. Il rémunérait son travail en prélevant sur la farine qu'il restituait un "droit de moulange" qui, à BALIZAC, était fixé à 1/16ème, soit donc 6,25.%. Ceci explique que les meuniers, outre leur activité technique, étaient toujours qualifiés de "marchands" puisqu'ils gagnaient leur vie en faisant commerce des farines qu'ils prélevaient sur les moutures. Les habitants n'étaient pas consultés pour le choix du meunier, mais ils s'intéressaient à tout nouveau contrat car, de l'honnêteté du fermier désigné découlaient beaucoup de choses dans la Paroisse. Le meunier exerçait incontestablement un service public ; et d'ailleurs les contrats de ferme le disent toujours expressément, lui imposant :

" de bien et fidellement servir le public et de ne prendre pour son moulange que les droits ordinaires..."

Les Justices Seigneuriales étaient chargées de surveiller le fonctionnement des moulins, en particulier leurs poids et leurs mesures. Mais les paysans n'avaient pas trop confiance dans ces contrôles qu'ils auraient souhaités plus inopinés. On parlait beaucoup de "faux poids" et de mesures à double fond qui disparaissaient lorsqu'une visite du Juge et du Procureur d'Office était annoncée.

Mais le meunier détenait souvent un autre levier important dans la vie de la paroisse. En bien des circonstances, il était le maître de l'approvisionnement en poisson. Le droit de pêche appartenait au Seigneur qui l'affermait souvent au meunier en annexe du bail du moulin :

"... pourra ledit preneur pêcher dans l'étendue de la gourgue (l'étang) quand il le trouvera à propos, sans qu'il puisse prendre aucun nourrin (alevins)..."

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Pendant le Carême, les Quatre Temps, et autres vigiles de Fêtes, la fourniture du poisson dépendait de l'adresse et du bon vouloir du meunier. Et si BALIZAC, comme les autres paroisses rurales des environs pouvait trouver quelques poissons de mer salés ou séchés sur les foires et les marchés des alentours, il faut savoir que ces poissons étaient tenus (du moins en milieu rural) pour une nourriture relativement chère. On servait de la morue à un repas de mariage...

Si l'on voulait du poisson frais, on avait donc tout intérêt à être en bons termes avec le meunier. D'autant que si la viande était sévèrement taxée (et nous en avons maintes preuves) il semble bien que le poisson ne l'ait pas été. En tous cas, aucun tarif, aucune contestation sur les prix, aucun procès verbal de contrôle ne nous est parvenu, en la matière, dans aucune des paroisses de la contrée.

Il y avait donc bien des motifs pour que l'opinion locale se préoccupe de la désignation d'un nouveau meunier. Et le 10 Janvier 1778, elle trouva matière à s'y intéresser plus encore, car la ferme du moulin de BALIZAC fut attribuée ce jour là pour sept ans à Etienne FERRAND qui détenait déjà le moulin de LA FERRIERE.

Les deux moulins de BALIZAC étaient donc réunis désormais dans une seule main, ce qui aggravait nettement le degré de dépendance des manants locaux.

Grâce au ciel, il semble bien qu'Étienne FERRAN se soit montré raisonnable car on ne trouve ici non plus aucune trace de plainte ou de contestation importante dans ses relations avec ses pratiques. Nous verrons un peu plus loin comment l'un des fils de ce meunier épousera Jeanne, la dernière fille survivante de Pierre MARSAU. Mais avant d'en venir à cet heureux dénouement, Pierre connaîtra bien des démêlés avec un autre Etienne FERRAND, frère cadet du meunier ci-dessus.

 

UNE BIEN MAUVAISE AFFAIRE

Pierre MARSAU est incontestablement un laboureur aisé. Il est difficile d'estimer le montant de son patrimoine, mais il est évident qu'il a su le développer au fil du temps. Pour les seules terres relevant du domaine royal affermées par la couronne au Marquis de PONS et qui lui sont concédées en tenure, il déclare un montant de 3.000 Livres au Receveur des droits domaniaux le ler Octobre 1780. C'est déjà une belle somme, mais encore faut-il bien noter que ces 3.000 Livres sont le fruit de sa propre estimation.

C'est le montant qu'il déclare. Il y a peu de chances pour que ce chiffre soit surévalué, il aurait normalement plutôt tendance à être minoré, au demeurant sans excès car l'Administration Royale n'aurait pas accepté une déclaration dérisoire.

Au surplus, il est bien précisé que cette déclaration ne concerne que les terres appartenant à la couronne, celles relevant des biens propres du Marquis de PONS étaient en sus, sans que l'on puisse pour autant en évaluer le montant.

En outre, cette déclaration ne prend en compte que le prix de la terre elle-même et non la valeur de ce qu'elle porte. 

Cette distinction est particulièrement importante en matière de forêts. Il semble bien, d'ailleurs, que Pierre MARSAU ait été un forestier avisé. Nous l'avons vu acheter du terrain, semer des pins, mais nous le voyons aussi exploiter des bois ainsi que le montre l'aventure que nous allons lui voir courir maintenant.

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Précisons tout d'abord que dans la gestion de l'époque, la production du bois ne constituait pas une fin en soi, ce serait plutôt une sorte de sous-produit d'exploitation.

L'objectif majeur de l'économie sylvicole était alors la production de la résine et, éventuellement sa transformation. Le fait de couper des pins était considéré comme une dilapidation du capital de la famille.

Et comme il fallait bien un jour s'y résoudre, pour cause de vieillissement inéluctable, on était, certes, obligé de procéder à des coupes, mais, le plus tard possible, et en un temps où le bois n'avait plus qu'une valeur marchande déjà un peu dégradée.

Après la catastrophe du grand hiver de 1709, les cours du bois de pin, stimulés par la rareté du produit, étaient monté en flèche et de façon durable. Trente ans plus tard, une série de graves incendies dans la grande lande avait relancé les cours sur le marché.

En 1780, le prix des pins avait désormais tendance à se normaliser sur la base approximative de 10 sols par arbre. C'est dans ce contexte que Pierre MARSAU avait pris contact avec Etienne FERRAND Cadet en vue de lui vendre un important lot de pins.

Cet Etienne FERRAND était établi au Quartier de PEYREBERNEDE, sur la Paroisse de NOAILLAN. Il était le jeune frère d'un autre Etienne FERRAND, le meunier de LA FERRIERE et du Moulin de BALIZAC. Ce cadet avait été successivement meunier du Moulin de VILLANDRAUT, puis du Moulin du CASTANG, et il avait même, pendant un temps, pris à ferme le Moulin de LEOGEATS.

Il avait brassé beaucoup d'affaires, soutenu d'innombrables procès en toutes sortes de circonstances, mais, en définitive avait vécu, sans plus, et sans vraiment prospérer. Or, voilà qu'ayant abandonné la meunerie, il devint soudain marchand de bois, on serait presque plutôt tenté de dire qu'il s'en improvisa marchand.

Pierre MARSAU aurait dû se méfier du personnage. Il ne le fit pas, pourquoi ? Serait-ce parce qu'une alliance allait bientôt se nouer entre les deux familles ? Dans les mois qui allaient suivre, Pierre allait en effet marier Jeanne, sa fille unique avec Bernard FERRAND, un neveu d'Etienne FERRAND Cadet.

Peut-être des contacts avaient-ils déjà été pris en ce sens, ce qui aurait pu faciliter le rapprochement. Toujours est-il, que vers le mois d'Avril 1780, Pierre MARSAU avait conclu avec ce FERRAND Cadet une vente verbale portant sur un coupe de pins d'une valeur de 1800 Livres; une somme considérable.

Pour fixer les idées, si l'on retient le prix approximatif de 10 sols par arbre, cette coupe pouvait représenter environ 3.600 pins soit une superficie de l'ordre d'une petite vingtaine d'hectares.

Dans l'agrès midi du 2 Février 1781, jour de la Fête de la Chandeleur, Pierre MARSAU retrouva Etienne FERRAND Cadet dans la salle de l'auberge du Cadet de CAILLETON, au Bourg de NOAILLAN. Et là, par devant Notaire, ils régularisèrent officiellement leur marché. FERRAND ne fit aucune difficulté pour se reconnaître débiteur des 1.800 Livres du marché.

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"laquelle somme de dix huit cents Livres ledit FERRAND promet et s'oblige de la payer audit MARSAU, savoir six cents Livres au premier Juin prochain, et les douze cents Livres du surplus dans un an prochain courant à compter de ce jour, le tout sans intérêt jusqu'aux deux époques. Et faute de payement, les deux époques (étant) expirées, avec l'intérêt suivant les derniers règlements..."

C'étaient là pour FERRAND des conditions financières nettement avantageuses puisqu'elles lui donnaient le temps d'exploiter progressivement les bois, de les scier et de les vendre avant de les avoir les avoir payés.

Or, à l'échéance du ler Juin, FERRAND n'est pas au rendez-vous. Les retards dans les paiements étaient alors chose on ne peut plus courante ; des retards parfois , même, très conséquents. Le débiteur payait alors les intérêts convenus et nul n'y trouvait à redire. Mais avec Pierre MARSAU, ce fut une toute autre affaire ! Sa réaction fut littéralement fulgurante. Trois semaines plus tard, le 21 Juin 1781, il avait déjà en main un ordre exécutoire délivré par le Parlement de BORDEAUX lui conférant le droit de saisir, si besoin est, les biens de FERRAND.

Pourquoi une telle célérité ?

Peut-être s'est-il mieux renseigné dans l'intervalle sur la solvabilité de son débiteur et a-t-il conçu quelques craintes ? Et pour cela, il n'aura peut-être pas eu besoin d'aller très loin, car Etienne FERRAND l'Aîné, qui va devenir très bientôt le Beau Père de sa fille, a pu éventuellement le mettre en garde. Nous savons en effet par ailleurs que l'aîné des FERRAND s'est souvent montré plus que critique quant aux méthodes de gestion de son Cadet.

C'est une première question. Mais comment surtout Pierre MARSAU a-t-il pu faire pour obtenir si vite une décision exécutoire d'une aussi haute Juridiction que le Parlement de BORDEAUX. C'est une seconde question, et pas la plus facile à résoudre.

Autant l'Administration Royale était expéditive, autant les Justices civiles, à quelque niveau qu'elles se situent pouvaient être lentes à se mouvoir. Nous ne savons pas par quelle procédure Pierre MARSAU a bien pu passer, mais il est incontestable qu'elle a été efficace puisqu'avant la fin du mois, il avait en main, à l'encontre de FERRAND, un document absolument imparable. Il le fit signifier à l'intéressé le 3 Juillet en son domicile à PEYREBERNEDE, non point par le Notaire du lieu ou par le Sergent de la Juridiction locale, mais par un Huissier de la Prévôté Royale de BARSAC. Il est vrai qu'il s'agissait d'une décision de la Cour Souveraine. Chez MARSAU, on ne plaisantait pas avec les affaires.

Du coup, FERRAND vit le danger. En d'autres circonstances, il aurait fait le mort pendant des semaines, mais il est trop rompu à la pratique judiciaire pour ne pas comprendre qu'il est effectivement menacé de saisie immédiate. Alors il va user de procédés dilatoires. Cette affaire qui a démarré très vite et très fort va s'enliser dans les marais de procédures locales. FERRAND attaque la saisie dont il fait l'objet "en cassation" devant le Tribunal de NOAILLAN. Procédé dérisoire dans son principe mais efficace dans ses conséquences.

Comment imaginer que la modeste Cour Seigneuriale de NOAILLAN pourrait réformer une décision du Parlement de BORDEAUX ? Mais il s'agit seulement pour FERRAND de gagner du temps et de repousser les contraintes de la saisie.

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D'ici à ce qu'une décision de rejet soit prise, il pourra s'écouler bien des mois; et FERRAND, qui n'a manifestement pas l'argent nécessaire pour s'acquitter de sa dette espère, dans l'intervalle, rencontrer une meilleure fortune.

Or, là, Pierre MARSAU va commettre une erreur, il va confier son affaire à l'un de ses cousins, Bernard LARRUE, qui habite NOAILLAN, et lui remettre tous les documents utiles à la poursuite de ses intérêts contre FERRAND. Ce LARRUE est loin de développer la même énergie que MARSAU.

Au bout de deux longues années, cette affaire, à bien peu près, n'a pas évolué d'un pouce. Soudain, Pierre MARSAU se réveille, il en a assez d'être mené en bateau . . . Et le fait qu'entre temps sa fille soit devenue la nièce de son débiteur ne va pas freiner la vigueur de sa réaction.

Elle sera énergique. Il s'adresse directement au Procureur Général du Parlement de BORDEAUX.

Apparemment il ne fréquente que les plus hauts degrés de juridiction, mais la chose lui réussit assez bien. Il lui présente donc une supplique qui, une fois n'est pas coutume, est parfaitement claire et explique fort bien sa situation :

A Monseigneur le Procureur Général du Parlement de BORDEAUX.

"Supplie humblement Pierre MARSAU, dit de la BEZOÜE, habitant de la Paroisse de BALIZAC, disant que voulant ramener à exécution un contrat d'obligation d'une somme de 1800 Livres consenti en sa faveur par Etienne FERRAND, cy-devant meunier à NOAILLAN, il (a) fait procéder contre lui par saisie sur laquelle (est) intervenue une instance en cassation... devant l'Ordinaire de NOAILLAN, entre le suppliant et ledit FERRAND. Que n'ayant pu poursuivre par lui-même cette instance, il (a) accepté l'offre que lui fit Bernard LARRUE dit REY, scieur de long de NOAILLAN, son cousin, d'en faire les poursuites, et lui (a) remis, il y a environ deux ans, les pièces qui y avoient trait, avec soixante douze Livres pour fournir aux frais.
Le suppliant n'ayant jamais vu la fin de cette affaire, ni ne sachant ( où) elle en est, soit parce que ledit LARRUE, après avoir reçu son argent a trouvé à propos de ne faire aucune poursuite, ou, s'il en a fait, les a abandonnées; et il s'est constamment refusé de remettre au suppliant ses pièces pour poursuivre lui-même le jugement, (il) se voit (donc) dans la nécessité d'implorer le secours et l'autorité de votre Grandeur..."

C'était toucher juste. On ne peut pas dire que le Procureur Général ait beaucoup apprécié d'apprendre qu'une décision du Parlement était battue en brèche depuis deux ans par la Juridiction de NOAILLAN. Aussi prend-il en charge la requête de MARSAU, et les choses vont alors très vite.

La saisie effective des revenus de FERRAND intervient le 26 Mai 1784. Il était désormais au pied du mur; il avait une expérience suffisante de la chose judiciaire pour comprendre que le temps des tergiversations était bien terminé. Il se le tint pour dit et entreprit de commencer à se dégager de sa dette. 
Mais il est à coup sûr en situation difficile, car, ayant beaucoup attendu, des frais de justice considérables s'étaient accumulés. Le réveil, tout à coup est très pénible.

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Le 20 Juin, FERRAND procède à un premier versement. On sent qu'il a mis au jeu tout ce dont il disposait, savoir l'équivalent de 630 Livres tant en monnaie d'argent qu'en vin rouge que MARSAU a bien voulu accepter en paiement.

Sur cette somme, 132 Livres seront prélevées pour régler les intérêts échus, et 38 Livres pour les frais de saisie, si bien que seules 460 Livres viendront en déduction des 1800 Livres dues, et FERRAND restera redevable de 1340 Livres. Pierre MARSAU accepte néanmoins de lui accorder main levée de la saisie pour lui permettre de remettre en ordre ses affaires qui paraissent être plutôt mal en point.

Au prix d'une incursion dans les années à venir, nous allons en terminer avec cet important litige. Important car, à l'échelle des revenus de Pierre MARSAU, 1800 Livres représentaient, à n'en point douter, une somme tout à fait considérable, peut-être de l'ordre du quart ou du tiers de son patrimoine.

Depuis l'accord de Juin 1785, assorti d'un premier versement, et jusqu'à la fin de 1785, FERRAND n'avait plus donné signe de vie. A juste raison, Pierre MARSAU s'impatiente. Il revient devant le Parlement de BORDEAUX, et, le 7 Décembre, en obtient à grands frais (qui seront répercutés sur FERRAND, bien sûr), des "Lettres de Chancellerie" autorisant une nouvelle saisie des revenus du débiteur récalcitrant.

Une fois encore, l'affaire s'étire en divers combats d'arrière garde qui nous conduisent jusqu'aux premiers jours de 1787. C'est alors que, le 7 Janvier, FERRAND, le dos au mur et acculé dans ses derniers retranchements :

"étant instruit des agissements rigoureux dont il est menacé, (est) allé vers (MARSAU et) lui(a) fait part de l'impossibilité où il se trouvoit de luy payer ladite somme... et (l'a) prié de luy accorder pour cela un délay de quatre ans à conter du 20 Juin prochain, qu'en attendant, (il) luy en payeroit l'intérêt chaque année... sans qu'il (soit) besoin de luy faire faire des commandements afin de luy éviter des frais... A laquelle prière, ledit MARSAU, par bonté de coeur a déféré. En conséquence, ledit MARSAU a prorogé et accordé audit FERRAND ledit délay de quatre ans.... de manière que ledit FERRAND promet et s'oblige de payer audit MARSAU ladite somme de 1340 Livres 17 sols dans le délay de quatre ans... avec l'intérêt d'icelle annuellement (fixé)... à deux barriques de vin chaque année, savoir une du rouge et l'autre du blanc, fût remis (c'est-à-dire non logé), de celuy que ledit FERRAND recueillera dans son bien, (et) au choix dudit MARSAU... chaque mois d'Octobre de chacune desdites années..."

Il était en outre prévu que FERRAND aurait éventuellement la faculté de se libérer avant l'échéance, en un ou plusieurs paiements, à condition que chacun d'eux ne soient pas inférieur au tiers du total, l'intérêt diminuant au pro rata des remboursements.

En outre, dans le même acte, FERRAND versait à MARSAU 177 livres représentant à la fois les intérêts échus jusqu'au 20 Juin suivant, et les frais de justice engagés par MARSAU dans les différentes procédures de poursuite.

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On voit bien que FERRAND était parvenu assez bas. non seulement il se reconnaissait incapable de régler le montant de sa dette, mais il ne pouvait même plus envisager de solder ses intérêts autrement qu'en nature, et encore heureux pour lui que son créancier ait accepté un tel arrangement après toutes les manifestations de mauvaise foi dont il avait fait preuve à son endroit au fil des dernières années.

Il fallait pour cela que Pierre MARSAU fut un homme réellement accommodant...

Sa mansuétude fut bien mal récompensée. Il suffit pour s'en rendre compte de calculer le terme du délai dont les parties viennent de convenir.

Quatre années à compter du 20 Juin 1787 arrivent à échéance à la mi-Juin de 1791.

 Or, nous sommes là au moment où les Assignats viennent de faire l'objet d'un cours forcé (depuis le 6 Mai précédent) au lieu et place de la bonne monnaie métallique. FERRAND règlera donc à ce terme l'essentiel de sa dette avec quelques poignées de papier "ramassées dans le ruisseau" dont la véritable valeur n'aura pas dépassé quelque sols de la monnaie précédente.

En définitive, si l'on déduit les frais de justice qui lui furent remboursés, sur les 1800 Livres de ses pins, le pauvre MARSAU n'en aura perçu que 460 ainsi que les intérêts payés en vin de NOAILLAN... Même si le vin était bon, ce fut vraiment une bien mauvaise opération qui obéra sérieusement, et pour bien des années, la gestion de son bien.

En menant l'examen de cette affaire jusqu'à son terme afin d'en rendre l'exposé plus cohérent, nous avons pris une très sérieuse avance sur le cours de l'histoire. Il nous faut maintenant en reprendre le fil là où nous l'avons laissé, au début de 1782 au moment où Pierre MARSAU va marier sa fille Jeanne.

 

PIERRE MARSAU MARIE SA FILLE JEANNE

Au début de 1782, Pierre MARSAU va avoir 58 ans, il est veuf depuis bientôt 14 ans et il vient, ainsi que nous l'avons déjà vu, de perdre son dernier fils, André, à l'âge de 27 ans, le 20 Mai 1780, il y a donc un peu plus de 18 mois. Jeanne, dernière survivante de la famille va avoir 25 ans dans quelques jours. Il est grand temps d'assurer une descendance à une famille aussi éprouvée par le destin.

On va lui trouver un mari en la personne du septième fils du meunier; le septième garçon d'une série continue sur les dix enfants qu'il avait eus.

Ce meunier n'était autre qu'Étienne FERRAND, le frère aîné de l'autre Étienne FERRAND le Cadet de NOAILLAN que nous venons de voir dans l'exercice de ses malhonnêtes acrobaties financières.

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Ce garçon se prénommait Bernard, dit BERNACHON, il avait un an de plus que Jeanne. Rien ne nous est parvenu sur les capacités particulières dont il aurait pu disposer.

Et pourtant, dans le secret des chaumières, tout un chacun savait que, dans une famille donnée, le septième enfant d'un même sexe, sans interruption de la série par un enfant de l'autre sexe, était doté de pouvoirs secrets qui en faisaient une sorte de sorcier aux dons pas très clairement définis mais que l'on disait incontestables.

On n'en parlait qu'à mots couverts, bien sûr, ne serait-ce que pour éviter les foudres du Curé, lequel n'aurait pas du tout apprécié ce genre de proposition . . . Mais on en était pourtant plus ou moins convaincu; allez savoir...

En tous cas, une fois encore, Bernard FERRAND, futur époux de Jeanne MARSAU, ne nous a légué aucune image de lui-même qui puisse accréditer une telle légende.

Les deux familles se réunirent dans l'après midi du 5 Janvier 1782, dans la maison de Pierre MARSAU à TRISCOS, en vue de rédiger le contrat de mariage. Etienne FERRAND, meunier de LA FERRIERE et Père de Bernard le futur époux était là, accompagné de Jeanne CASTAGNET, sa troisième femme. Marie CABIROL, sa première épouse, Mère de Bernard était déjà morte depuis 15 ans. Jean, un autre Bernard, et un autre Etienne FERRAND, les trois frères survivants du futur époux s'y trouvaient également.

Côté MARSAU, Pierre est le seul des deux Parents puisque Pétronille DUPEYRON, ainsi que nous l'avons vu est également décédée depuis 14 ans; il est entouré d'oncles et de cousins.

La ligne directrice de ce contrat est assez originale. Pierre MARSAU vivant seul, et Jeanne tenant son ménage, elle ne quittera pas sa maison, et c'est Bernachon qui viendra s'installer "gendre" chez MARSAU, le jeune couple vivant "à même pot et feu" avec le Père. Celui-ci :

"s'oblige de les nourrir (ainsi que les) enfants qui pourroient provenir de leur mariage, (qu'ils soient) sains ou malades... les futurs époux et leurs enfants le respectant et honorant, travaillant à son profit et luy rapportant le produit de leurs travaux et industrie et les revenus de (leurs) droits."

De ce fait, la situation traditionnelle est inversée, et c'est le garçon qui apportera une dot que lui constitue son Père.

Et ce sera un époux bien doté, mais il est bien précisé que tout ce qu'il apporte est une avance sur la future succession du meunier et non un privilège par rapport à ses frères.

BERNACHON apportera un lit qui sera garni selon l'usage, mais outre la courtepointe de laine, il comportera une couverture de laine valant 24 Livres; ces jeunes gens passeront les hivers au chaud...

Les rideaux, de couleur verte, seront en Cadix, c'est tout à fait classique, mais il est précisé qu'ils seront garnis d'un galon de soie ce qui l'est beaucoup moins.

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Ce garçon se prénommait Bernard, dit BERNACHON, il avait un an de plus que Jeanne. Rien ne nous est parvenu sur les capacités particulières dont il aurait pu disposer.

Et pourtant, dans le secret des chaumières, tout un chacun savait que, dans une famille donnée, le septième enfant d'un même sexe, sans interruption de la série par un enfant de l'autre sexe, était doté de pouvoirs secrets qui en faisaient une sorte de sorcier aux dons pas très clairement définis mais que l'on disait incontestables.

On n'en parlait qu'à mots couverts, bien sûr, ne serait-ce que pour éviter les foudres du Curé, lequel n'aurait pas du tout apprécié ce genre de proposition . . . Mais on en était pourtant plus ou moins convaincu; allez savoir...

En tous cas, une fois encore, Bernard FERRAND, futur époux de Jeanne MARSAU, ne nous a légué aucune image de lui-même qui puisse accréditer une telle légende.

Les deux familles se réunirent dans l'après midi du 5 Janvier 1782, dans la maison de Pierre MARSAU à TRISCOS, en vue de rédiger le contrat de mariage. Etienne FERRAND, meunier de LA FERRIERE et Père de Bernard le futur époux était là, accompagné de Jeanne CASTAGNET, sa troisième femme. Marie CABIROL, sa première épouse, Mère de Bernard était déjà morte depuis 15 ans. Jean, un autre Bernard, et un autre Etienne FERRAND, les trois frères survivants du futur époux s'y trouvaient également.

Côté MARSAU, Pierre est le seul des deux Parents puisque Pétronille DUPEYRON, ainsi que nous l'avons vu est également décédée depuis 14 ans; il est entouré d'oncles et de cousins.

La ligne directrice de ce contrat est assez originale. Pierre MARSAU vivant seul, et Jeanne tenant son ménage, elle ne quittera pas sa maison, et c'est Bernachon qui viendra s'installer "gendre" chez MARSAU, le jeune couple vivant "à même pot et feu" avec le Père. Celui-ci :

"s'oblige de les nourrir (ainsi que les) enfants qui pourroient provenir de leur mariage, (qu'ils soient) sains ou malades... les futurs époux et leurs enfants le respectant et honorant, travaillant à son profit et luy rapportant le produit de leurs travaux et industrie et les revenus de (leurs) droits."

De ce fait, la situation traditionnelle est inversée, et c'est le garçon qui apportera une dot que lui constitue son Père.

Et ce sera un époux bien doté, mais il est bien précisé que tout ce qu'il apporte est une avance sur la future succession du meunier et non un privilège par rapport à ses frères.

BERNACHON apportera un lit qui sera garni selon l'usage, mais outre la courtepointe de laine, il comportera une couverture de laine valant 24 Livres; ces jeunes gens passeront les hivers au chaud...

Les rideaux, de couleur verte, seront en Cadix, c'est tout à fait classique, mais il est précisé qu'ils seront garnis d'un galon de soie ce qui l'est beaucoup moins.

141

Quant au linge de maison, il comportera douze draps de toile entremêlée de 3 aunes 1/2 (4m,15), deux douzaines de serviettes en toile de brin et deux nappes ouvragées. Le mobilier sera complété par un "demi cabinet" (armoire à une seule porte) en cerisier.

Tout ceci, encore une fois, est très classique, mais avec une touche de luxe caractérisée. La belle couverture, le galon de soie, le bois de cerisier, sont autant de signes d'une certaine aisance. Enfin, et c'est considérable, BERNACHON apportera une somme de 1.500 Livres payable dans trois ans, sans intérêt jusqu'à ce terme.

Dans le cours de la même journée, tout le monde se rendit à l'église de BALIZAC où le Curé ROUDES attendait les deux familles pour célébrer les fiançailles de Bernachon et de Jeanne. Le mariage fut célébré dans la même église le Dimanche 9 Février suivant.

 

PIERRE MARSAU SE RETROUVE AU COEUR D'UN LITIGE PASTORAL

L'affaire commence au début de 1781. Jean et Pierre CAZENAVE, Jean et Pierre DEJEAN, Pierre LAPIOS et Pierre GAILLERE, tous habitants de BERNADET avaient saisi le Juge de CASTELNAU de leur plainte contre les habitants de TRISCOS et d'ORIGNE.

Ceux-ci conduisaient leurs troupeaux sur les landes de BERNADET et du ROUCHOULA pour y chercher leur pâture, démarche que les habitants du lieu contestaient vigoureusement. Dans des conditions mal précisées, les demandeurs obtinrent du Juge une interdiction formelle à tous autres qu'eux-mêmes de mener des troupeaux en ces lieux.

Le 8 Juin 1781 le Juge prononça cette interdiction et leur confia le soin d'en assurer la publicité.

C'est ainsi qu'ils firent publier cette sentence et la firent afficher sans tarder par le Sergent de la Juridiction de CASTELNAU, le Dimanche 17 Juin 1781, à la porte des églises de BALIZAC et d'ORIGNE. Il est peu probable qu'une démarche aussi officielle ait pu passer inaperçue; et pourtant, aucune trace de réaction des propriétaires concernés ne nous est parvenue.

L'affaire rebondit soudain l'année suivante, le 23 Mai 1782, lorsque les habitants de BERNADET surprirent le troupeau de chèvres de Pierre MARSAU, sous la conduite de son gardien, en flagrant délit de pâture sur la lande du ROUCHOULA. Ils portèrent immédiatement plainte auprès du Juge de CASTELNAU en lui rappelant sa décision de l'année précédente.

Et non point une plainte générale et indéterminée, mais une plainte bel et bien nominative "au criminel", demandant des sanctions pénales en sus des réparations civiles :

" ... au mépris des dites défenses, il plait aux.. habitants de TRISCOS et d'ORIGNE de continuer de faire pacager leurs bestiaux dans les fonds des (habitants de BERNADET) et, nommément à Pierre MARSAU, dit de la BESOÜE, laboureur habitant dudit TRISCOS, (dont) le troupeau de chèvres ... (a été) surpris Jeudi dernier vingt trois du présent mois de May, environ les deux heures de relevée, gardé par son pasteur à pacager dans la pièce de lande... appelée AU ROUCHOULA .... "

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" . . . sur l'interpellation qui fut faite par des personnes qui se trouvèrent présentes audit pasteur, à qui lesdites chèvres appartenoient, et qui lui avoit donné l'ordre de les garder dans ce lieu, il répondit qu'elles appartenoient audit MARSAU qui luy avoit exprèssément recommandé de les garder et faire pacager dans cet endroit..."

Et les plaignants ajoutèrent, entre autres considérations sur les interdictions prononcées à leur profit :

"qu'on se fait un plaisir (d'y) contrevenir".

Et sur ce dernier point, il est bien possible qu'ils aient eu une bonne intuition; la suite, du moins, le donne à penser.

Le Juge autorisa les poursuites, au pied de leur requête, le 27 Mai, et le Procureur d'Office commença l'enquête le 3 Juin suivant.

Des témoins comparurent et confirmèrent les faits. Il est inutile d'entrer dans le détail de leurs dépositions sinon pour retenir quelques précisions utiles. Etienne LAPEYRE, tanneur, qui travaillait à BERNADET ce jour-là s'est rendu sur les lieux et a vu le troupeau :

"que son pasteur gardoit à vue et bâton planté sur ladite lande où il n'y avoit autre chose que de la bruyère et herbe à pacager sans autre objet à causer du dommage..."

L'expression "à bâton planté" signifie que le troupeau n'était pas en cours de route d'un point à un autre, mais bel et bien installé à poste fixe sur une aire de pâturage où le pasteur avait le dessein avéré de séjourner.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que ces parcelles, actuellement très boisées étaient alors constituées de landes à bruyère.

Au surplus, l'objectivité du témoignage nous permet de dire qu'elles ne comportaient même pas de semis puisque les chèvres ne pouvaient y provoquer aucun autre dommage.

Enfin, tous les témoins sont d'accord pour dire que le pasteur interrogé n'ignorait rien de l'interdiction de conduire là ses bêtes, mais :

"que s'il y gardoit le troupeau qu'il avoit en main, cela n'estoit que du commandement et de l'ordre de son maître..."

L'instruction de l'affaire aurait pu suivre son cours normal à l'encontre de Pierre MARSAU si les habitants de TRISCOS n'avaient soudain mené, devant le même Juge, une vigoureuse contre offensive.

Le 18 Juillet suivant, six semaines donc après le début de l'enquête, ils convoquèrent Me LATASTE, Notaire à NOAILLAN, et se réunirent à TRISCOS dans la maison de LABARDE, dit BIQUEY.

Et là, ils revendiquèrent haut et clair leur droit imprescriptible à conduire leurs bestiaux sur ces landes dont on prétendait leur interdire l'accès. Ils disent :

"que eux et leurs auteurs sont d'ancienneté et temps immémoriaux, et sans interruption de la part de qui que ce soit, en possession et jouissance d'envoyer pacager leurs bestiaux de toute espèce, tant gros que menus sur une lande située sur ladite Paroisse

143

de BALIZAC, appelée à la GRAVETTE de MALENTE, Quartier de BERNADET, et de faire abreuver leurs dits bestiaux à un ruisseau qui est aussi en ce lieu, appelé le TURSAN, et qui fait la séparation de la Paroisse de BALIZAC avec celle de LANDIRAS..."

Et tous font bloc derrière Pierre MARSAU qu'ils estiment injustement poursuivi par les habitants de BERNADET qui ont :

"intenté un procès en l'ordinaire de CASTELNAU de CERNES contre Pierre MARSAU dit LA BESOÜE...parce qu'il usoit du droit qu'il a, tout comme lesdits (habitants de TRISCOS) de faire pacager ses bestiaux sur ladite lande et de les faire abreuver audit ruisseau..."

En conséquence, devant le Notaire, ils fondèrent une association de défense de leurs intérêts qui aurait pour mission de poursuivre en Justice la défense de leur droit. Et à cet effet, ils désignèrent deux Syndics pour les représenter dans cette instance en prenant bien soin de ne pas mêler MARSAU à cette action afin qu'elle ne puisse être interprétée comme une manoeuvre de diversion de sa part. Ce ne sera pas Pierre MARSAU, accusé, qui agira, mais bien toute la population du Quartier, dressée pour la défense d'une cause commune.

Il n'est pas impossible que MARSAU ait joué en cela le rôle d'un provocateur, cherchant l'incident pour déclencher la crise. Mais ce n'est pas pour autant absolument évident, car s'il en avait été ainsi, les habitants du Quartier n'auraient probablement pas attendu six semaines avant de déclencher leur contre offensive. Ce délai donne plutôt à penser à un cheminement d'idées aboutissant à la prise de conscience collective d'un intérêt commun, à partir de la menace pesant sur l'un d'entre eux.

Nous ne connaîtrons pas l'issue de cette affaire. Tout ce que nous en savons est qu'elle était encore en cours en Avril 1784. Il n'est pas impossible qu'elle ait été encore pendante au moment de la Révolution...

LA VIE CHEZ PIERRE MARSAU AU JOUR LE JOUR

Bernard FERRAND, dit Bernachon, était donc venu s'installer chez son Beau Père MARSAU lors de son mariage le 9 Février 1782. Très vite, la famille s'enrichit d'un premier enfant, Pierre FERRAND, né le ler Novembre de la même année. A quelques jours près, il n'aurait même pas eu le temps d'arriver à terme; c'était aller vite en besogne. Pierre MARSAU, son Grand Père en fut le Parrain. Cet enfant, à l'image de tant d'autres ne devait pas survivre.

Nous savons que, dans la même période, Pierre et quelques uns des siens ont eu des ennuis de santé, mais nous ne savons pas lesquels. Le reçu d'un Officier de Santé en date du 26 Janvier 1783, conservé dans les archives familiales en porte témoignage. Mais ce praticien, peu disert, se borne à tenir quitte son patient :

"de ce qui (lui) est dû des traitements faits à lui et à sa famille juqu'au 26 janvier 1783"

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QUITTANCE MEDICALE DELIVREE A PIERRE MARSAU

26 Janvier 1783
(Archives Familiales)
   

"Je tiens quîtes à Pierre MARFSAU de ce qu'il mest du des traitements faits à lui et à sa famille jusqu'au 26 Janv. 1783".
A BALIZACQ le 26 Janv 83
AUGE Fils

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Nous aurions bien aimé en savoir un peu plus. Nous ne connaîtrons même pas l'importance de ces soins dont le montant des honoraires aurait pu, éventuellement, nous fournir une idée.

Dans le même temps, Pierre donne les signes d'une certaine aisance. Coup sur coup, nous le voyons acheter plusieurs parcelles de terre venant arrondir son patrimoine.

Il y avait plus de six ans de cela, il avait prêté 72 Livres à un laboureur de MAHON. Celui-ci était mort dans l'intervalle, laissant deux enfants mineurs en tutelle. Manifestement, la succession n'était pas en mesure de rembourser cette dette pourtant modeste, et le tuteur, dénommé DUPART, voulait mettre de l'ordre dans les affaires des mineurs. Il tomba d'accord avec Pierre MARSAU pour lui vendre une prairie "en très mauvais état", située sur la Paroisse de St LEGER sur la rive gauche de la HURE, juste en bordure du ruisseau. Mais dans tout le pays, les prairies étaient rares et leur terrain valait très cher.

Celle-ci, même en mauvais état avait été estimée 192 Livres, ce qui en faisait une parcelle de bien modeste dimension.

En ordre de grandeur, et pour fixer les idées, au prix habituel pratiqué pour ce genre de terrain, elle ne devait guère excéder 50 ares. La transaction fut conclue au Bourg de VILLANDRAUT, dans l'après midi du 23 Juillet 1783, un mercredi, jour de marché, alors que Me LATASTE, Notaire à NOAILLAN, attendait ses pratiques dans son auberge habituelle. DUPART et MARSAU convinrent d'apurer la dette de 72 Livres, et MARSAU versa comptant au vendeur les 120 Livres de soulte en présence du Notaire.

Cinq mois plus tard, le 27 Décembre 1783, Pierre achète encore deux parcelles plus importantes à Marguerite DUCASSE, une veuve vivant au Bourg de BALIZAC, pour la somme de 327 Livres. L'une d'entre elles est constituée d'une pièce de pins, et l'autre d'une lande.

A défaut d'autres précisions, nous ne pouvons nous faire aucune idée de leur superficie.

Si le prix de la lande nue est à peu près constant, autour de 150 Livres l'hectare, celui de la forêt est évidemment très dépendant de la qualité des bois qui la peuplent (jeunes pins, gros pins, etc. . ) , si bien que nous ne pouvons formuler aucune hypothèse sur la répartition du prix qui nous est annoncé. Pierre MARSAU prendra possession de ces parcelles un mois et demi plus tard, le 19 Février 1784 avec pour témoin Pierre DARTIGOLLES, laboureur à TRISCOS, qui deviendra plus tard le Beau Père de l'aînée de ses Petites Filles.

On ne s'écarte jamais beaucoup des mêmes cercles de famille.

Entre temps, le 6 Novembre 1783, un second enfant était né dans la maison de Pierre, au foyer de Jeanne MARSAU et de Bernard FERRAND, un autre garçon, né un an après son aîné à cinq jours près, on l'appela Etienne.

Lui non plus ne devait pas survivre. Après ces deux naissances si proches, ce jeune couple devait rester dix ans sans avoir d'autre enfant, vivant dans le souci et l'incertitude de pouvoir assurer l'avenir de leur lignage.

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AU FIL DES JOURS

Il faut se garder de croire que, au fil des jours, la vie quotidienne de ces campagnes fut sereine et paisible. Elle était souvent agitée de violents conflits de personnes qui formaient la toile de fond de la chronique locale.

Pierre LAFOURCADE, laboureur à MOULIEY, vivait en mauvaise intelligence avec ses voisins Vidal DUPART et sa femme dénommée FOURTAGE lesquels :

"ne cessent de proférer contre (lui) les injures les plus atrosses..."

Dans la soirée du 18 Mai 1783, LAFOURCADE avait envoyé sa fille Anne et Marie HAZERA sa servante porter une paire de draps à CURTON. Partant de MOULIEY et se dirigeant vers ORIGNE, ces deux filles parvinrent au lieu dit de PLACOS où elles tombèrent dans une véritable embuscade tendue par les DUPART qui :

"vomirent contre elles les injures les plus atrosses (et), non contents de ce, leur enlevèrent les susdits deux linceuls qu'ils s'emportèrent..."

Cela, c'est la version des LAFOURCADE. En fait, si l'on s'en remet aux témoignages recueillis par la suite, l'incident s'est déroulé d'une façon un peu différente. L'agression verbale est incontestable ; de même, il est certain que les DUPART se sont emparés des draps, mais apercevant les témoins, ils ont voulu les restituer. C'est alors que les deux filles, pressentant le parti que l'on pouvait tirer de cette situation, se refusèrent absolument à les reprendre, disant aux agresseurs, que puisque ils les avaient pris ils n'avaient qu'à les garder...

Et ceux-ci, bien embarrassés, et ne sachant qu'en faire, les jetèrent sur le chemin aux pieds des deux filles qui les y laissèrent et s'en retournèrent en leur maison pour y conter leur aventure. Ne pouvant abandonner ces draps en pleine campagne, les DUPART furent bien obligés de les emporter pour les mettre à l'abri, constituant ainsi à leur charge tous les éléments d'un vol caractérisé... Il s'ensuivit bien sûr un procès criminel devant la Cour de CASTELNAU, et nombreux furent ceux qui y furent convoqués pour y apporter leur témoignage.

Mais ces litiges de voisinage peuvent parfois revêtir des formes beaucoup plus violentes. Le 10 Juillet de la même année 1783, de grand matin, Anne SUBERVIE, servante du Curé d'ORIGNE se trouvait sur le pas de la porte du presbytère. Soudain, elle vit arriver Jean LAURIOL, dit JEANTILLE, "marchand quincailleur", habitant au hameau de BERRON, à environ 600 mètres du Bourg, à gauche du chemin conduisant à BALIZAC. Passablement agité, celui-ci lui demanda si Monsieur le Curé était là. Il n'y était pas. Il lui dit qu'il y avait un poulet mort devant sa porte, un poulet lui appartenant, mais que revendiquaient aussi ses voisins BARREYRE. Il la chargea de dire à son Maître :

"que s'il arrivoit quelque chose d'extraordinaire dans le voisinage, que Mr le Curé n'en fut pas surpris, parce que sy on le commençoit, il se vengeroit vivement jusques à leur tirer un coup de pistolet s'il se trouvoit l'avoir en main..."

Sur ce, il s'en retourna chez lui.

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La bonne du Curé, qui devait être au fait de l'inimitié régnant entre les deux familles, ne parait pas avoir attaché une réelle importance à cette déclaration fracassante. En tous cas, s'en tenant à la mission dont on l'avait chargée, elle attendit le retour de son Maître, et, dans l'immédiat, n'alerta personne.

Sur les 8 heures du matin, Jeanne DARTIAILH, épouse de Nicolas BARREYRE, le voisin, abandonna son travail sur le champ où elle était en train de sarcler la millade pour regagner:

"son domicile pour donner à téter à sa fille encore au berceau."

Pour ce faire, il lui fallait passer sur un sentier, devant la maison des LAURIOL. Dés lors qu'elle y parvint, ceux-ci jaillirent sur le chemin, lui, armé d'un pistolet et sa femme tenant en main une forte barre de bois. Ils se précipitèrent tous deux sur cette malheureuse, la jetèrent à terre et la rouèrent de coups. Elle criait :

" Ajude ! Ajude ! me tuouent! lous mercants me tuouent ! " (Au secours! au secours! ils me tuent! les marchands me tuent ! ) .

Attiré par ses cris, son mari sortit de leur maison voisine et voulut se précipiter, mais elle lui cria de n'en rien faire " Escape té, baou miou qué n'en tuouent un que dus ! " (Echappe toi, il vaut mieux qu'ils n'en tuent qu'un plutôt que deux ! ) .

Nicolas BARREYRE partit alors en courant vers le Bourg, criant à son tour de toutes ses forces " Ajude ! ajude ! lous mercants tuouent la mye hemne!" (Au secours! au secours! les marchands tuent ma femme!). Que pensez-vous qu'il arriva ? Eh bien, rien.

Lors de l'enquête ultérieure, tous les témoins répartis dans les champs d'alentour déclareront bien avoir entendu tout cela, mais aucun, à l'exception d'un seul, ne s'est approché, même pour voir ce qui se passait. Et le plus fort, c'est que les enquêteurs auront l'air de trouver cela parfaitement normal et ne leur en feront d'ailleurs aucun reproche.

Entre temps, les agresseurs auraient laissé la victime sur place :

"si, par un esprit des plus méchants et des plus cruels ils ne (l'eurent) traînée comme une charogne d'une main, par les cheveux, ayant à l'autre ledit pistolet, dans la fougère à quatre ou cinq pas hors dudit sentier où elle a resté jusqu'à près (de) quatre heures de l'après midy..."

Et c'est l'exacte vérité. Il ne s'est trouvé personne pour la tirer de là jusque dans l'après midi. Seule, Catherine COURBIN, une jeune veuve du Bourg d'ORIGNE, attirée par tout ce tintamarre s'est rendue sur place et l'a trouvée :

" étendue dans la bruyère, presque sans parole..."

et faute de pouvoir la déplacer avec ses seules forces,

"elle (la) garda là depuis environ les huit heures du matin qu'elle fut maltraitée jusque sur les quatre ou cinq heures du soir; à laquelle elle fut même obligée de luy faire une tente avec un linceul pour la soustraire de la rigueur du soleil..."

C'est à l'arrivée du Maître Chirurgien de BALIZAC que l'on put enfin la tirer de là, la ramener chez elle et la déposer sur son lit.

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La Justice alertée se rendit sur place le lendemain matin dès 8 heures. Le Maître Chirurgien dressa procès verbal de l'état de la victime, et de fait, elle était en assez piteux état. Une page manuscrite entière suffit à peine à décrire avec une scrupuleuse précision, les plaies et bosses de cette malheureuse. Les agresseurs furent :

"pris et saisis au corps, (et) conduits en bonne et sure garde ez prisons de la présente Juridiction pour y répondre et fournir à droit..."

Cette prison de St LEGER faisait recette. Elle recrutait sa clientèle d'une façon très éclectique et à chaque incarcération, la nouvelle faisait rapidement le tour de tous les villages concernés avec les commentaires appropriés. Ainsi, lors de la fête de la Saint CLAIR suivante, le ler Juin 1784 avait-on vu à St LEGER un jeune homme inconnu cherchant à vendre la selle d'une jument. Il y avait là, sur la place, des milliers de personnes, mais il avait peu ou prou attiré l'attention. Il finit par trouver preneur pour sa selle.

Le lendemain, se tenait traditionnellement à St SYMPHORIEN une grande foire qui prolongeait la Fête. Ce jeune homme était encore là, et, cette fois-ci, cherchait à vendre sa jument. Mais sur le champ de foire se trouvait aussi Jean CAZENAVE, Commandant de Brigade de Maréchaussée en résidence à LANGON, accompagné des cavaliers DUPRE et LABAT, de la même Brigade. Or donc, étant :

"sur la Paroisse de St SYMPHORIEN, jour de foire,... pour y maintenir le bon ordre, et environ trois heures du soir, nous (avons) appris par la clameur publique que rodoir un certain quidam inconnu dans le païs dans ladite foire, qu'il vouloir vendre une jument..."

On l'interpelle, on l'interroge, la prise est bonne. On le conduit tout droit à la prison de St LEGER.

Le lendemain, on l'interrogera de nouveau. Après avoir décliné une fausse identité et passablement tergiversé, il finira par reconnaître qu'il était originaire du MEDOC, qu'il n'avait pas de domicile fixe, qu'il rayonnait autour de LA TESTE en

" faisant commerce ou trafic du coquillage "

à la saison, de paroisse en paroisse ; qu'il s'employait comme journalier là où il le pouvait aux autres temps de l'année, et qu'enfin, il avait bel et bien volé la jument :

"au pacage dans la Paroisse de St CHRISTOLY en MEDOC, la nuit du 28 au 29 du mois dernier..."

sans savoir à qui il l'avait volée.

Il n'en fallait pas plus pour mettre tout un village en émoi et répandre un sentiment d'insécurité et de défiance vis-à-vis de "l'étranger" dans toutes les paroisses voisines. Mais, au fond, les choses ont-elles tellement changé ?

 

DES HOMMES QUI MONTENT AU CIEL

Les méfaits des violents et des voleurs trouvaient ainsi de bons échos dans l'opinion, surtout lorsqu'ils étaient commis dans le village ou dans une paroisse voisine. Ils n'étaient cependant pas les seuls à mobiliser l'attention du bon peuple.

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D'autres évènements, à l'occasion, ne manquaient pas d'alimenter les conversations dans les auberges les jours de foires et de marchés. Les marchés de VILLANDRAUT, en particulier, constituaient à cet effet pour la contrée, chaque mercredi, un carrefour d'information tout à fait privilégié.

Bien des nouvelles y aboutissaient et en repartaient, souvent grossies ou, à tout le moins déformées, en direction des paroisses avoisinantes.

Ainsi en est-il allé des premières expériences d'aérostation. Les premières ? pas tout à fait. Cela se passait en VIVARAIS le 5 Juin 1783. C'était trop loin, beaucoup trop loin. Il n'est même pas sûr que la démonstration d'ascension d'un ballon non monté, faite à VERSAILLES devant le Roi le 19 Septembre suivant ait connu un meilleur sort. Par contre, les choses allant très vite, on commença à parler vraiment de ces évènements lors des premières expériences conduites à BORDEAUX.

Après les premiers échecs des 3 Décembre 1783 et 17 Janvier 1784, un petit ballon réussit à tenir l'air pendant un peu plus de quatre minutes le 18 Janvier. C'était un modeste début qui suscita un vif intérêt dans la ville mais qui fut peu connu en campagne.

Par contre, l'évènement majeur éclata littéralement cinq mois plus tard, le 16 Juin 1784, et fit le tour de la province en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Ce jour-là, à BORDEAUX, un ballon monté par trois jeunes gens s'éleva de la cour de l'Hôpital de la Manufacture, dans le quartier de la Monnaie, passa près de la Tour St MICHEL, survola la Grosse Cloche pour aller se poser dans les vignes du côté de la CHARTREUSE. Des hommes dans le ciel ! Non ! Si !... C'était absolument incroyable, et pourtant, il y avait eu des milliers de témoins.

Le Journal de GUYENNE que quelques notables ruraux recevaient relata l'évènement comme il se devait. Des gens connus pour leur sérieux étaient donc à même de confirmer, sur place, ce que les marchands venus de la ville racontaient sur les marchés locaux. Mais que des hommes puissent voler bousculait pas mal d'idées reçues. On se demanda même s'il n'y avait pas quelque incongruité à aller ainsi chatouiller le ciel dans ses retranchements.

La question fit débat.

Ce que nous en retiendrons, sur un tout autre terrain, c'est l'extraordinaire rapidité avec laquelle la technique se développa. Cinq mois avaient suffi pour passer du stade tâtonnant des premières expériences à l'envol de PILATRE de ROZIER, premier homme à s'élever dans le ciel, et sept mois de plus pour que trois compères survolent BORDEAUX devant des milliers de spectateurs ébahis.

 

LA VIE A TRISCOS LES PIEDS SUR TERRE

Dans le même temps, à TRISCOS, on s'émerveille, certes de telles nouvelles, mais on vit sur une autre planète.

Pierre MARSAU achète toujours des terres. Des achats dont la logique nous échappe parfois. Jusqu'ici, les MARSAU en général, et Pierre en particulier, ont acheté des parcelles situées autour de TRISCOS, ou, à tout le moins, dans la partie occidentale de la paroisse.

150

Le 9 Mars 1785 Pierre achète au charron de BALIZAC une pièce de jeunes pins et de lande à RISTON, au bord de la NERE, près du moulin de PINOT.

Une petite parcelle au demeurant puisqu'elle n'est estimée que 135 Livres qu'il paye comptant. A quoi pouvait donc lui servir un petit bois aussi loin de son exploitation principale ? Peut-être s'agissait-il d'un placement, comme on le voit faire parfois. Mieux vaut investir 135 Livres, quand on les possède, plutôt que de les conserver à la maison, quitte à les réaliser le moment venu ; c'est une sorte d'assurance contre le vol. L'idée ne peut être écartée à priori...

A quelques semaines de là, le Dimanche 10 Avril 1785, sur mandement de Monseigneur l'Archevêque, les Balizacais se virent conviés à chanter un Te Deum solennel en l'honneur de la naissance du Duc de NORMANDIE, le futur LOUIS XVII, le jeune garçon qui mourra à la prison du Temple en 1795.

Mais voilà que de nouveau, on s'agite à TRISCOS. Cette fois-ci, c'est le cabaret qui est en cause; il va s'y dérouler une mémorable arnaque en présence de nombreux témoins ; nombreux furent en effet, dans le Quartier, ceux qui, à des titres divers, furent impliqués dans cette affaire. Elle fit en tous cas grand bruit.

Un mercredi de la fin octobre 1785, un bon nombre des hommes de TRISCOS s'était rendus au marché de VILLANDRAUT. Ils y avaient vaqué à leurs diverses affaires et, par petits groupes, sur la fin de la journée, regagnaient TRISCOS, à pied, tout en devisant.

Dans l'un de ces groupes, se trouvaient, entre autres, Jean DUBOS, Etienne DUPART, Jean DUPART Père, tous de TRISCOS, et le nommé DUBOS, dit BEROTTE, habitant d'ORIGNE.

Ces deux derniers, dans le courant de la journée, avaient décidé de procéder à l'échange leurs boeufs. En l'absence de ces animaux, aucun des deux ne les avait réellement examinés. Il avait dû s'agir de l'une de ces transactions dite "de cabaret" décidée pendant boire et qui, le temps de la réflexion étant venu, donnait lieu, souvent, à nombre de contestations.

En bref, chacun, ventant ses boeufs, avait persuadé l'autre de procéder à ce troc. L'affaire conclue avait fait l'objet de nombreux commentaires au sein du petit groupe des marcheurs pendant tout le trajet du retour.

Parvenus à TRISCOS sur les cinq heures, à la tombée de la nuit, ils entrèrent chez Arnaud FOURTENS, dit ARNAUTILLE, qui y tenait auberge, et lui demandèrent une demi bouteille de vin qu'il leur servit tout aussitôt. Jean DUPRAT Père qui était tout d'abord passé par chez lui vint bientôt rejoindre le restant de la troupe. On le convia à boire, et la conversation reprit sur cet échange de boeufs qui constituait décidément l'évènement de la journée.

Pour concrétiser ce marché, les deux parties convinrent de déposer chacune trois Livres entre les mains de Jean COUTHURES qui se trouvait là, en spécifiant que celle qui se dédirait du marché les perdrait au profit de l'autre. Finalement, tous demandèrent à FOURTENS de leur servir à souper, tandis que l'on envoyait quelqu'un à ORIGNE, en pleine nuit, pour aller chercher les boeufs de BEROTTE.

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Entre temps, d'autres clients étaient arrivés, Jean MARQUES, de TRISCOS,venu passer là un moment "à l'après soupée", Jean DUBUN, goldroneur (fabriquant de poix) à LEOGEATS qui, lui aussi, passait par là, d'autres encore.

Le temps passant, voici enfin que les boeufs arrivent. Il est déjà passablement tard, et il fait nuit noire. Tout le monde sort, y compris l'aubergiste, pour examiner ces animaux à la chandelle. Ce n'étaient peut-être pas les meilleures conditions pour en apprécier la valeur, toujours est-il que :

"DUPART se récriait de ce qu'ils n'estoient pas aussi beaux que ... BEROTTE les lui avoit faits.."

Sur ce, tous regagnent la salle du cabaret, et BEROTTE se dit prêt à parier un Louis d'or qu'il a déjà trouvé acquéreur pour ses boeufs à 44 pistoles (440 Livres, prix supérieur d'environ 20% à celui d'une belle paire dans la force de l'âge). Et ce disant, il met la main à la poche, en tire un papier qu'il déplie, duquel tombe une pièce. L'aubergiste qui est debout à côté de la table saisit d'une main la chandelle qui s'y trouve, se baisse, ramasse la pièce de 1'autre main et la dépose sur la même table en même temps que la chandelle.

Oh ! surprise ! ce n'est pas un Louis, c'est un simple jeton . . . ! Immédiatement, BEROTTE se récrie, dénonce le subterfuge, on vient de lui escamoter son Louis . . . Arnaud FOURTENS s'en défend comme un beau diable, prend tous les autres à témoin. D'ailleurs, cette pièce en tombant a fait un bruit tout à fait anormal, il va dans la pièce à côté quérir un vrai Louis dans son armoire, on le fait tinter sur le carrelage ainsi que le jeton, le son, évidemment, n'est pas du tout le même, tout le monde en convient, sauf BEROTTE bien sûr qui continue à soutenir qu'on lui a subtilisé son Louis...

Des propos plutôt vifs sont tenus de part et d'autre. FOURTENS avance que BEROTTE n'a pas une tête à porter des Louis sur lui et prend le pari qu'il n'a même pas dix sols dans sa bourse, BEROTTE le tient et vide sa bourse en laine. Il ne s'y trouve que 7 sols 6 deniers. Oui, mais tout à l'heure, il y avait 3 Livres en plus, avant qu'il ne les dépose entre les mains de Jean COUTHURES, etc..etc . . .

Cette affaire finit par tourner à la querelle d'ivrognes. Elle aurait pu en rester là si, les esprits des uns et des autres étant repris, on l'avait recouverte du voile de l'oubli. Mais il n'en fut rien, car BEROTTE dans les jours qui suivirent courut tout le pays racontant à qui voulait l'entendre comment il avait été escroqué d'un Louis d'or chez Arnaud FOURTENS. Ce dernier, excédé de tant de mauvaise foi finit par porter plainte auprès du Tribunal de CASTELNAU. Ce fut le début d'une très longue enquête qui vit comparaître tour à tour tous les protagonistes de l'affaire, mais ceci est une autre histoire qui est, d'ailleurs, de bien faible intérêt...

 

UN PEU DE GEOGRAPHIE LOCALE

Nous ne disposons pratiquement pas de documents fiables sur la géographie physique et économique de la Paroisse de BALIZAC jusqu'à la publication de la Carte dite de BELLEYME. Cette carte, dans nos contrées est à peu près contemporaine des évènements que nous venons de relater, au début des années 1780. C'est donc bien le moment de l'évoquer et de l'examiner.

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Un agrandissement à l'échelle approximative du 1/25.000ème, reproduit ci-après permet de se faire une idée relativement précise de l'aspect qu'offrait alors le pays entre le Bourg et les Quartiers de TRISCOS et de MOULIEY. Relativement, mais pas absolument précise car cette carte, dans ses détails connais parfois quelques à peu près et prend un peu de liberté avec le tracé des chemins secondaires.

Par contre, elle se révèle très fiable quant à la position des cours d'eau et des hameaux, et dans l'ensemble assez crédible dans l'affectation des terrains aux cultures, aux landes et aux forêts.

Dés l'abord , il apparais que ce secteur de BALIZAC, bien drainé par le Ruisseau d'ORIGNE et par la HURE était largement voué à la forêt et aux cultures. Les grands espaces des landes rases se situaient plus au nord, vers BUDOS, dans la zone dite "du POUY", ainsi que plus au sud, vers l'ouest, en direction du MAYNE du RIQUE. La superficie dévolue aux cultures dans le grand champ commun aux Quartiers de TRISCOS et de MOULIEY est assez impressionnante. Elle représentait nettement plus de 250 hectares. Mais compte tenu du faible rendement des cultures, notamment en céréales (4 Kg de récolte pour 1 Kg de semence en année moyenne) il n'y a là rien de très surprenant. 

Le tracé actuel de la Route Départementale N°11 en direction de LANDIRAS était déjà en place, il n'a guère évolué depuis lors. Il en va de même de son tracé entre le Bourg de BALIZAC et le Quartier de TRISCOS. L'actuelle RD 110 entre BALIZAC et ORIGNE était déjà en place elle aussi. 

Par contre, et c'est plus surprenant, aucun chemin ne se dirigeait vers St SYMPHORIEN au-delà de TRISCOS. Cette desserte aurait été assurée par un chemin reliant directement BALIZAC à St LEGER et par un embranchement venant de TRISCOS (voir reproduction de la carte ci-jointe). 

Cet itinéraire a incontestablement existé et d'ailleurs existe encore sous forme d'un chemin vicinal et de chemins de sable. Il se détache de la route actuelle au lieu-dit de "LA CROIX DES MORTS", et file vers St LEGER par TOUTSENS, le RIQUE et CASTELNAU de CERNES. C'était alors l'itinéraire principal assurant la liaison la plus directe entre BALIZAC et son Chef Lieu administratif et judiciaire qui se trouvait à CASTELNAU et à St LEGER. 

Mais divers textes nous apportent la preuve qu'il existait bien un autre chemin, sur le tracé de la route actuelle, reliant TRISCOS à St SYMPHORIEN par la voie directe. La carte de BELLEYME, à l'évidence, ne reprend que les itinéraires les plus fréquentés..

Enfin, sur le Ruisseau d'ORIGNE, on notera à juste titre, l'absence du moulin de TRISCOS qui ne sera construit qu'en 1793.

BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN

Dans l'hiver 1785/86, Pierre MARSAU avait vendu des pins à un certain CLAVERIE, marchand à BALIZAC. Ces pins se trouvaient sur une parcelle située au lieu-dit LES COMBES; elle était contiguë à une pièce appartenant au Marquis de PONS, Seigneur du lieu.

En cours d'exploitation, CLAVERIE coupa par erreur quelques pins en lisière du fonds du Seigneur. Il n'y avait pas de quoi fouetter un chat, il suffisait de prendre contact entre parties et de convenir d'un dédommagement approprié.

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Au lieu de cela, Me François RAMUZAT, Juge de CASTELNAU s'empara de l'affaire et lui donna, d'emblée une dimension démesurée. Certes, son Maître , Louis Marie, Marquis de PONS était alors Ambassadeur en SUEDE, mais ce n'était pas suffisant pour transformer la simple erreur d'appréciation d'une limite par un marchand de bois en une sorte de crime de lèse majesté.

Pierre MARSAU ne contesta rien, pour l'excellente raison qu'il n'y avait rien à contester. CLAVERIE avait coupé quelques pins de trop, un point c'est tout, et c'est ce modeste contentieux qu'il fallait régler.

Mais Me RAMUZAT, qui ne pouvait être Juge et partie, avait déjà saisi la Justice Sénéchale constituant le degré de Juridiction supérieure, et il y avait introduit sa plainte "au criminel" comme s'il s'était agi d'un vol.

Ces grandes envolées judiciaires étant un peu calmées, on en vint à une meilleure raison. Finalement, Pierre MARSAU, le 26 Avril 1786, fit le voyage de CASENEUVE pour y rencontrer le Juge RAMUZAT devant Me AUDINET, Notaire. A la vérité, l'affaire était déjà réglée, il suffisait d'entériner la solution convenue. On avait en effet, d'un commun accord, désigné Arnaud CALLEN arpenteur à BOURIDEYS, qui avait procédé au bornage de la parcelle en litige. Il lui avait trouvé une contenance "de 18 lattes (35 ares)".

Ceci étant bien arrêté, MARSAU prenait à sa charge tous les frais de Justice déjà engagés devant le Sénéchal, et Me RAMUZAT, au nom du Marquis de PONS, l'investissait d'une tenure à fief nouveau pour les 18 lattes en question.

L'acte est aussi solennel et détaillé que s'il avait porté sur des dizaines d'hectares, et au terme de calculs très précis, il aboutit à la définition d'une rente annuelle de... 3 deniers 3/5èmes par an ! . . 3 deniers 3/5ème , soit donc, comptons bien, trois deux centièmes de Livre !! . . . Moyennant quoi, toute action en justice était abandonnée entre les parties.

Pierre MARSAU s'en tirait à bon compte, encore que le montant des frais de justice déjà engagés, qui ne sont pas ici précisés, ait bien pu être fort appréciable. Une vingtaine de Livres pour les seuls frais d'introduction d'instance ne serait pas improbable, peut-être même bien davantage.

 

PIERRE MARSAU L'EMPORTE DANS UN CONFLIT AVEC L'ADMINISTRATION

C'était déjà une vieille affaire, mais c'est en ce moment de notre récit qu'elle va trouver son épilogue.

Le 10 Juin 1782, il y avait donc cinq ans de cela, Pierre Jean VIGNOLLES, Sergent Royal, avait été désigné séquestre d'une saisie exercée par Me Nicolas DARROMAN, Notaire au NIZAN sur les biens de Guillaume FONTEBRIDE, dit MOURET, laboureur à BALIZAC.

Ce n'était certes pas de gaieté de coeur qu'il avait pris cette charge, mais bien faute de pouvoir la refuser, car, dés lors qu'on était judiciairement désigné, on ne pouvait l'esquiver; il avait bien fallu, contraint et forcé, qu'il l'accepte.

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Selon le droit de l'époque, à partir de l'été 1782, c'est donc lui qui avait, en sus de son propre travail, bien sûr, procédé à toutes les récoltes de FONTEBRIDE, en ses lieu et place, et en avait remis le produit à VIGNOLLES, lequel en avait assuré la vente aux enchères sur le marché de VILLANDRAUT.

MARSAU n'était pour rien dans les dettes de FONTEBRIDE, pas plus que dans la créance de Me DARROMAN, mais c'était bien lui qui, à son corps défendant, avait dû faire face à ce travail supplémentaire, qui au demeurant, on l'imagine sans peine, était fort désagréable au regard de ses relations personnelles avec son voisin saisi. Le système juridique d'alors était comme cela, personne n'y pouvait rien.

Mais le séquestre désigné, outre sa responsabilité, engageait nécessairement des frais dans l'exécution de sa mission : le prix de ses journées de travail, les frais de livraison et de transport des fruits saisis (seigle, millet, par exemple), etc . . . Qu'à cela ne tienne, cela était prévu, et, sur justification, le séquestre devait être défrayé par un prélèvement effectué sur le produit des ventes aux enchères.

Pierre MARSAU présenta donc sa facture; au demeurant une facture bien modeste s'élevant à 9 Livres, mais que personne ne voulut la lui régler. Il discuta se fit pressant, se fâcha enfin, peine perdue.

Il intenta alors un procès contre le Sergent Royal qui détenait toujours l'argent produit par les ventes et accessoirement contre le créancier et le débiteur, devant le Tribunal de CASTELNAU. 

Passons sur les péripéties de ce procès qui sont sans intérêt, et venons en directement au jugement du 3 Mai 1784 qui lui donna raison sur toute la ligne. Il aura donc ses 9 Livres qu'il percevra effectivement, ses adversaires étant condamnés aux dépens du procès, soit 22 Livres 4 sols 9 deniers. 

On notera en passant que les frais de justice représentaient ici deux fois et demi le montant du litige. Fort mécontent, Jean VIGNOLLES fit appel de cette décision devant le Sénéchal d'ALBRET qui siégeait à CASTELJALOUX. 

Encore bien des tracas pour Pierre MARSAU qui, une fois encore, ne demandait rien à personne, mais qui n'avait pour autant aucune envie de payer ces frais qui ne lui incombaient pas. Passons un fois encore sur ce procès d'appel devant la Cour Sénéchale dont le détail, ici encore, est totalement dépourvu d'intérêt. 

Ce procès dura un an et se termina le 23 Mai 1785 par une décision confirmant en tous points le Jugement de CASTELNAU. Les nouveaux dépens étaient mis à la charge de VIGNOLLES, mais cette fois-ci, ils étaient de 108 Livres 12 sols 5 deniers. Le moindre procès en appel entraînait toujours des frais considérables.

Obstiné, et professionnellement formé à l'esprit de chicane, Jean VIGNOLLES fit appel de ce nouveau Jugement devant le Parlement de BORDEAUX. Là, nous parvenons vraiment devant les grandes orgues de la Justice ; gare à celui qui perdra définitivement ce procès.

Mais bientôt, probablement mis en garde par un bon conseil, VIGNOLLES se ravise et adresse à Pierre MARSAU, le 31 Mai 1786, un acte notarié lui faisant connaître qu'il se désiste de ce dernier appel et qu'il se soumet à la décision du Sénéchal d'ALBRET.

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L'un des témoins de cet acte est un certain André BOIVAL, avocat au Parlement de BORDEAUX, qui habitait à LEOGEATS.

Il y a quelques chances pour qu'il ait été le "bon conseil" faisant enfin comprendre à VIGNOLLES que sa cause était mauvaise et qu'il courait tout droit à une catastrophe programmée.

Décider d'arrêter une instance engagée devant le Parlement était une chose, mais l'arrêter effectivement en était une autre. La lourde machine judiciaire était déjà en marche bien avant que VIGNOLLES ne jette l'éponge.

Quinze jours après son désistement, le 13 Juin 1786, le Parlement rendait un Arrêt le condamnant une fois encore, avec de nouveaux dépens s'élevant, cette fois–ci à 214 Livres.

Pour les 9 Livres en jeu au départ, les frais de Justice aux trois niveaux successifs s'étaient donc élevés à la somme totale de 344 Livres 17 sols 2 deniers, soit, pour fixer les idées, la valeur d'un troupeau de 12 à 13 vaches ou encore d'un troupeau de bien près de 140 moutons...

MARSAU et VIGNOLLES se rencontrèrent le 30 Juin 1787 au Bourg de VILLANDRAUT, au domicile d'un certain Me PERRIER, Procureur auprès de la Juridiction du même lieu, en présence de Me LATASTE, Notaire à NOAILLAN. VIGNOLLES versa à Pierre MARSAU un acompte de 150 Livres dont il reçut quittance et MARSAU, bon prince, accorda à son débiteur un délai de six mois pour s'acquitter du solde, étant :

"convenu entre les parties que ledit MARSAU, ni les siens... ne pourront se les faire payer qu'après le délay de six mois à compter de ce jour (que) ledit MARSAU a bien voulu accorder audit VIGNOLLES pour lui faire plaisir..."

Ce délai expirait donc au 30 Décembre suivant. Jean VIGNOLLES ne fut pas tout à fait exact au rendez-vous, mais son retard fut quasiment négligeable.

Les deux hommes se retrouvèrent une fois encore à VILLANDRAUT le 16 Janvier 1788 devant le même Notaire et VIGNOLLES versa à Pierre MARSAU les 194 Livres 17 sols 2 deniers restants pour solde de tous comptes.

Cette affaire était terminée, elle avait duré plus de cinq ans pour un litige de 9 Livres, mais Pierre MARSAU, au prix de bien des tracas, avait fini par l'emporter sur une Administration qui avait, obstinément contesté son droit le plus légitime.

 

BALIZAC RECOIT UN NOUVEAU CURE

Le Curé ROUDES était mort au début de 1788. Son successeur, Me Jean Antoine PRADIE était prêtre au Diocèse de MENDE. On ne sait trop par quel cheminement il vint échouer à BALIZAC.

Mais on peut craindre qu'il y ait rencontré quelques problèmes de communication. Ses nouveaux paroissiens ne pratiquaient que le gascon, et si certains d'entre eux comprenaient bien le français, ce n'était pas le cas de tous.

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Les prônes dominicaux et les confessions se faisaient en gascon. Il est vrai que la situation ne pouvait guère être pire qu'à une lieue de là, lorsque la Paroisse d'ORIGNE s'était vu attribuer un prêtre irlandais...

Me PRADIE vint prendre possession de sa Cure en présence de Me Charles Hyacinthe LATAPY, Chanoine du Chapitre de VILLANDRAUT, le Dimanche ler Juin 1788. Me AUDINET, Notaire à PRECHAC, avait été convoqué pour dresser le Procès Verbal de cette démarche, laquelle se déroula, à quelques détails près, selon le rite que nous avons déjà rencontré et rapporté lors de l'arrivée de Me ROUDES en Novembre 1747.

La seule différence notable concerna le presbytère car là où Me ROUDES n'avait trouvé que ruines, son successeur découvrit un bâtiment qui n'avait pas plus de quarante ans d'âge. Bien qu'il fut encore habité par les domestiques du défunt Curé, il y entra et y :

"a ouvert et fermé les portes, fait , allumé et éteint du feu, (puis) au jardin en dépendant, (il a) arraché de l'herbe, puis des poignées de terre, le tout jetté au vent..."

sans que personne y trouve à redire. Tout était donc parfait.

Pas tout à fait cependant. En effet, voilà que le temps passe, et les héritiers du Curé ROUDES ne se pressent pas pour déménager. Me PRADIE les relance, peine perdue. Il s'impatiente et se met à écrire un peu partout.

Au Doyen du Chapitre de VILLANDRAUT d'abord, et c'est un bon choix car il a été désigné comme exécuteur testamentaire du défunt Curé. Mais il n'en obtient que de bonnes paroles et aucun commencement d'exécution. Il écrit alors au Procureur du Roi auprès du Sénéchal de GUYENNE, sans beaucoup plus de succès semble-t-il. Parvenu au seuil de l'automne, il en est toujours au même point, et comme il estime que des travaux sont nécessaires avant qu'il n'entre dans les lieux, il devient de plus en plus impatient. Le temps de définir ces travaux, de décider la Paroisse à les financer, et de les réaliser, il se voit désormais à la porte jusqu'au coeur de l'hiver.

Une perspective qui ne l'enchante guère . . . Il décide donc de forcer le cours des choses et, de son propre chef, le 15 Septembre 1788 après midi, provoque une expertise du bâtiment par des hommes de l'art, en présence de Me AUDINET.

Ces experts sont Arnaud BALIS, maçon, et François PAGES, charpentier, tous deux du Bourg de VILLANDRAUT. Le premier estime que les murs sont en bon état et qu'ils ont tout juste besoin d'être reblanchis à l'intérieur; encore n'est-ce pas nécessaire dans les deux salons, celui du nord et celui du midi.

"qui paroissent l'avoir été depuis peu".

Généralement, toutes les pièces d'une maison sont dénommées "chambres"; or, ici, on nous parle de "salon" sans que l'on puisse vraiment dire si le mot correspond simplement à une simple façon de dire ou s'il s'agit bel et bien de vrais salons. La première alternative pourrait avoir quelques chances d'être la bonne car il serait plutôt surprenant qu'il y ait eu deux véritables salons dans le presbytère de BALIZAC. Pourtant, un peu plus loin, BALIS fait état de quelques carreaux manquants "dans la chambre au levant", montrant bien par là qu'il savait établir la différence.

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En dernière analyse, on peut avancer prudemment qu'il aurait pu y avoir au rez-de-chaussée de ce presbytère un bureau et une salle à manger, pièces spécifiques que BALIS n'avait pas l'habitude de rencontrer dans les maisons qu'il construisait, raison pour laquelle il les aurait dénommées "salons" plutôt que "chambres".

Quoi qu'il en soit, BALIS estime que pour réaliser ces travaux, il faudra prévoir huit journées de maçon, deux barriques de chaux et 150 carreaux. Pour sa part, PAGES se montre plus critique. Il passe en revue toutes les ouvertures, les planchers, les charpentes, etc . . et il trouve beaucoup de défauts et de lacunes.

Des contrevents sont abîmés, des portes ne ferment plus, des étagères font défaut, des planchers sont vermoulus, sans parler des gouttières qui sont nombreuses. Sans être catastrophique, le tableau est assez dégradé.

Il y a beaucoup à faire. Les bordures de la terrasse qui donne sur le jardin sont également à réviser, et il n'y a même plus de loquet aux deux portes du parc à cochon... François PAGES estime que pour pourvoir à tout cela il faudra trois barriques de chaux, au moins six douzaines de planches fortes de six pieds chacune, et 6.000 clous !

Quant à la main d'oeuvre, elle pourra exiger " de 16 à 18 pistoles". Tout cela va donc coûter au total, maçonnerie et charpente réunies, plus de 250 Livres, ce qui fait tout de même beaucoup pour une maison qui, répétons-le, n'avait pas plus de quarante ans. Le Curé ROUDES n'avait pas dû y assurer beaucoup d'entretien.

 

PIERRE MARSAU A BIEN DU MAL A RECUPERER LA DOT DE SON GENDRE

Décidément, les MARSAU n'ont jamais eu beaucoup de chance quand il leur a fallu récupérer les dots qui leur avaient été promises.

Nous avons encore en mémoire les interminables démêlés judiciaires qui avaient opposé Guillaume MARSAU à la famille LARRUE à la génération précédente. Nous allons maintenant en retrouver d'autres avec la famille FERRAND. Rappelons que Bernard FERRAND, dit Bernachon, lors de son mariage avec Jeanne MARSAU en 1782, s'était vu constituer par son Père Etienne une dot de 1500 Livres.

Il était prévu que son versement interviendrait dans les trois ans du mariage, soit donc, au plus tard, en Février 1785.

Or, au décès d'Etienne FERRAND, le Père, le 23 Octobre 1787, pas un sol de cette somme n'avait encore été versé. Les intérêts prévus couraient donc déjà depuis deux ans et demi.

Au titre de cette dot, Pierre MARSAU était donc créancier de la succession d'Etienne FERRAND à trois titres différents :
- du fait des 1500 Livres promises,
- du fait des intérêts échus à la date du décès du Père,
- du fait des intérêts à venir sur les sommes dues jusqu'à complet paiement.

Chez les FERRAND, quatre garçons prétendaient à la succession de leurs Parents :

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- Jean, l'aîné, dit JANTOULET, qui avait été désintéressé en recevant la totalité des biens propres de sa mère à LIGNAN de BAZAS, et qui en contre partie, avait renoncé à toute participation au partage des biens de ses Parents à BALIZAC.

- Bernard, dit TCHIC, fermier du petit moulin de BALIZAC près de PINOT, et prétendant à ce partage pour un tiers.

- Bernard, dit BERNACHON, le mari de Jeanne MARSAU, revendiquant ses 1500 Livres de dot et son propre tiers de l'héritage.

- et enfin Etienne Fils, dit CADICHON, qui avait pris la succession de son Père dans la ferme du moulin de LA FERRIERE, également partie prenante dans cette succession pour un autre et dernier tiers.

CADICHON, dont la situation financière n'était pas des meilleures, aurait vivement souhaité voir s'instaurer une sorte de moratoire figeant la situation au moment du décès de son Père. Il aurait ainsi poursuivi seul l'exploitation de LA FERRIERE, sans rendre de comptes à personne. En d'autres termes, il aurait souhaité voir se prolonger indéfiniment, et à son profit, l'indivision entre les trois frères concernés.

Or, à TRISCOS, chez les MARSAU, Pierre et son gendre BERNACHON, avait un tout autre point de vue sur la question.

Le 9 Janvier 1788, en plein accord avec son Beau Père, BERNACHON assigne ses deux frères TCHIC et CADICHON devant le Tribunal de CASTELNAU :

"pour se voir condamner à division et partage de la succession mobilière et immobilière délaissée par feux Etienne FERRAND et Marie CABIROL leurs Père et Mère."

Les biens de Marie CABIROL dont il est ici question, sont constitués par la part d'acquêts qu'elle a gagnée pendant son mariage, à l'exclusion de ses biens propres de LIGNAN qui ont déjà été donnés à JANTOULET. Il y a plus de vingt ans qu'elle est morte, mais ces acquêts n'avaient pas encore été partagés parce que son mari Etienne en avait conservé la jouissance sa vie durant.

Nous n'entrerons pas dans le détail des négociations qui vont s'amorcer entre les trois frères FERRAND concernés ; elles sont extrêmement complexes.

Il nous suffira de savoir que, dans un premier temps, le 11 Janvier 1788, moyennant 2500 Livres, TCHIC a racheté sa part à BERNACHON, et que dans un second temps, en Mai 1791, CADICHON, celui de LA FERRIERE, rachètera tous ses droits à TCHIC et restera de ce fait l'unique héritier de la succession.

Mais ce faisant, il a pris à sa charge les 2500 Livres promises par TCHIC à BERNACHON, lesquelles n'étaient pas encore payées, et, bien évidemment, les 1500 Livres de la dot toujours pendantes. Il a bien réuni en ses mains l'ensemble du patrimoine, mais aussi l'ensemble des dettes qui progressivement étaient venues le grever.

Si la situation s'est incontestablement clarifiée en désignant nettement le débiteur, elle n'a, aux yeux du clan MARSAU, pas avancé d'un pouce. Quand seront-ils payés ? . . . C'est la question qu'ils se posent depuis le décès du Père FERRAND.

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Dans un premier temps, Pierre MARSAU, en homme sage, n'avait pas trop voulu précipiter les choses afin de laisser aux trois frères le loisir de procéder à leur partage. Il avait commencé à s'impatienter lorsqu'il avait compris que CADICHON était bien décidé à faire traîner les choses en longueur.

Dés lors, il avait tenu, et c'était un minimum, à ce que les intérêts échus des 1500 Livres de la dot de BERNACHON lui fussent payés. Il les demanda, puis, il les exigea, en vain.

Le 17 Septembre 1788, toujours en accord avec son Beau Père, BERNACHON assigna ses deux frères en paiement immédiat de ces intérêts. D'audience en audience, de défaut en défaut, et de renvoi en renvoi, ce procès dura deux ans. Finalement, le 30 Août 1790, le Juge de CASTELNAU condamna les deux frères à payer à BERNACHON et à son Beau Père l'intégralité de ces intérêts, et mit les dépens à leur charge.

Pierre MARSAU calcule alors ce qui lui est dû et parvient au chiffre de 170 Livres. Le 8 Septembre, il soumet cette proposition au Juge en lui demandant de l'entériner. Celui-ci ne veut pas se prononcer sans avoir entendu ceux qu'il a condamnés. Mais il mettra jusqu'au 29 Novembre pour prendre cette décision pourtant toute simple ; il les convoque alors à la prochaine audience pour :

"s'accorder ou contredire ledit règlement.."

Seulement voilà, il n'y aura jamais de prochaine audience, car c'est le moment où le Tribunal Seigneurial est supprimé pour faire place à la nouvelle organisation judiciaire issue de la Révolution.

Après un temps de flottement consacré à la mise en place des nouvelles institutions, Etienne FERRAND, le 7 Avril 1791, fit appel du Jugement du 10 Août précédent devant le nouveau Tribunal de BAZAS. Il voulait absolument faire admettre que les intérêts sur les 1500 Livres étant à la charge de la succession, BERNACHON devait en prendre un tiers à sa charge.

En face, le clan MARSAU faisait valoir à juste raison que cette dette était antérieure au décès du Père FERRAND et qu'elle n'aurait jamais dû se retrouver dans la succession s'il l'avait réglée à son heure. C'était l'évidence même, et pourtant, la nouvelle Justice de la Nation ne se montra pas, sur une affaire aussi simple, plus expéditive que la défunte Seigneuriale. De défauts en renvois successifs, ce procès reviendra huit fois devant la Cour jusqu'au 21 Mai 1791. Pierre MARSAU et BERNACHON finirent par l'emporter. Leur 170 Livres d'intérêts leur furent reconnues. Mais il restait à établir le compte des dépens ; il nous est parvenu dans son détail, au denier près, et il est très conséquent. Le procès devant le Tribunal de CASTELNAU avait coûté 45 Livres 12 sols 3 deniers, mais celui plaidé devant la Cour de BAZAS s'était élevé à 81 Livres 13 sols 3 deniers, ce qui faisait un total de 127 Livres 5 sols 6 deniers, dont le mémoire fut présenté aux frères FERRAND au titre des dépens. Le rapprochement des 127 Livres des frais de justice avec les 170 Livres objet du litige donne à réfléchir, mais mieux encore si l'on prend conscience qu'en fait, la dette des 170 Livres n'avait jamais été contestée par quiconque.

Ce qui a été en cause tout au long de ce procès, c'est sa répartition entre deux (selon MARSAU) ou trois héritiers (selon les FERRAND).

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Le litige, a donc uniquement porté sur un peu moins de 57 Livres, et c'est pour cela que l'on a exposé les 127 Livres de frais et de dépens...

Quand au capital des 1.500 Livres de la dot, il sera liquidé par une compensation générale dans le règlement final de la succession le 11 Février 1793. Ce jour-là, Pierre MARSAU, BERNACHON son gendre et Etienne FERRAND dit CADICHON se retrouvèrent à TRISCOS, dans la maison des MARSAU en présence de Me DARTIGOLLES, Notaire.

Au terme de calculs passablement complexes, ils finirent par convenir que, tant en capital qu'intérêt, pour solde de tous comptes, CADICHON devait aux MARSAU une somme de 2913 Livres dont 104 avaient déjà été payées à BERNACHON dans des conditions qui ne sont pas précisées mais qui ne sont contestées par personne, et 2809 qui sont versées entre les mains de Pierre MARSAU, en présence du Notaire, pour le compte de BERNACHON. Il avait fallu beaucoup, beaucoup de temps pour en venir là....

 

LES DERNIERES ANNEES DE PIERRE MARSAU

Sans se laisser distraire par tous ces évènements, Pierre MARSAU poursuivait sa politique que l'on pourrait qualifier "d'achats à petits pas". Il s'agissait de petites opérations successives, peu spectaculaires, mais allant toujours dans le même sens, celui de l'extension de son patrimoine. Ainsi, le 26 Mars 1786, le voit-on acheter deux petites parcelles à TRISCOS à un certain Bernard RICARD dit LAMATONNE. La contenance n'en est pas précisée, mais ce doit être une bien mince affaire. Il s'agit en effet d'une pièce de terre labourable au lieu-dit de BERNOY, et d'une pièce de terre à LA COLETTE, le tout pour un prix total de 54 Livres; il ne pouvait donc y avoir là que quelques ares tout au plus.

Tout cela n'allait pas pour autant sans soucis de toutes sortes. A force d'acheter de tous petits lopins de terre dans un pays où les parents et voisins en faisaient tout autant, on finissait par constituer des propriétés aux formes complexes et quelquefois mal définies. Ce genre de situation débouchait inévitablement sur des conflits de voisinage. Ainsi Pierre MARSAU est-il en procès (un de plus) avec son cousin, un autre Pierre MARSAU, mais dit CALEBIN, celui-là, devant le Tribunal de CASTELNAU depuis le 21 Novembre 1787. Il s'agissait de délimiter deux parcelles de terre contiguës qu'ils possédaient AU PRUOUEY.

Sur jugement rendu le 26 Août 1788, Pierre dit LA BESOÜE, l'avait emporté, et le Juge avait décidé que l'on planterait

"autant de bornes qu'il le faudra.."

Ce n'est que le 4 Mars 1789 que les deux parties s'accorderont pour décider de confier ce bornage à deux amis communs qui y procéderaient. Cette affaire se terminait en quelque sorte par où la sagesse aurait voulu qu'elle commence. Cela aurait en tous cas évité à MARSAU, dit CALEBIN, de régler 17 Livres de frais de justice à LA BESOÜE, sans parler des frais qu'il avait lui-même engagés dans cette instance et qui devaient bien en représenter autant. Décidément, nos Ancêtres, dans leur rage de plaider, étaient incorrigibles.

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Parvenus à ce stade du récit, il n'est pas possible de passer sous silence le contexte dans lequel se déroulaient ces menus épisodes de la vie quotidienne. Plusieurs évènements allaient marquer profondément cette période.

Ce fut d'abord le grand hiver de 1788/89. Le froid apparut soudain le 8 Décembre 1788 et se prolongea, sans discontinuer, jusqu'au 11 Janvier suivant. Certes, on ne connut pas les records absolus que l'on avait noté en 1709, mais le thermomètre oscilla sur toute la période entre -10° et -15,6° sans jamais remonter au-dessus de -10. Le JOURNAL de GUYENNE signale 8 pouces (près de 22 cm) d'épaisseur de glace sur la GARONNE devant PODENSAC,

"permettant aux charrettes chargées de farine de traverser la Rivière..."

Partout dans la campagne, sur les tables où il y en avait, le pain gelait au point de ne pouvoir le couper avec une hache et dans les tonneaux, les mauvais vins se prenaient en un bloc de glace. A la fin de l'épisode la débâcle de la GARONNE fut spectaculaire et frappa vivement les imaginations. On parla de :

"ces fameuses glaces qui portèrent l'épouvante partout et quy , en brisant et ravageant toutes les contrées lors de leur débacle (firent de gros dégâts) . . ."

Le fait est que ces dégâts furent considérables, en particulier au Port de BARSAC que les Balizacais connaissaient bien, à l'occasion de certains de leurs charrois.

A la suite de cette épreuve, et jusqu'à la fin Mars, survinrent deux mois de pluies continuelles qui compromirent la pousse normale de toute la végétation qui avait pu survivre à cet excès de froid. Les récoltes de 1788 avaient été mauvaises, celles de 1789 furent pires encore.

Le seigle se vendit jusqu'à 18 Livres le boisseau, ce qui le mettait évidemment hors de portée du petit paysan, et en dépit d'importations de grains étrangers, la famine fut générale.

C'est au plus fort de cette disette, en Mars 1789, que l'on désigna les délégués des Paroisses aux Etats Généraux. En exécution des Lettres du Roi données à VERSAILLES le 24 Janvier, Monsieur le Grand Sénéchal de GUYENNE invita chaque Paroisse à désigner ses délégués, lesquels se réunirent à BORDEAUX le 9 Mars pour élire leurs députés de la Province.

On notera avec intérêt que dans la plupart des cas, ces délégués furent choisis parmi les petits notables locaux, essentiellement parce qu'ils étaient à peu près les seuls à savoir lire et écrire tout en disposant des moyens nécessaires pour abandonner pour un temps l'exercice de leur état.

Ce profil ne correspondait pas du tout à celui des laboureurs que nous avons fréquentés tout au long de ce récit. Ils n'avaient aucune chance de se voir confier une délégation, même au niveau de leur Paroisse.

La Révolution ne fera qu'accentuer ce phénomène. Et comme les notables locaux n'étaient pas très nombreux, ceci expliquera que l'on retrouvera souvent, du moins dans nos campagnes, dans les nouvelles institutions municipales, les juges, procureurs et notaires de l'ancienne administration seigneuriale.

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Aucun témoignage local ne nous a jusqu'ici permis de reconstituer ce qui a pu se passer à BALIZAC lors de la grande peur du 16 Juillet 1789. Il serait bien surprenant que ce vent de folie aussi violent qu'irrationnel ait épargné BALIZAC.

Nous savons qu'à VILLANDRAUT, chacun s'arma comme il le put pour se porter au devant des "brigands venus de LA TESTE" qui venaient de ravager St SYMPHORIEN et St LEGER, dans le temps même où St SYMPHORIEN prenait massivement les armes pour arrêter les "brigands" attendus de VILLANDRAUT où ils s'étaient livrés aux pires exactions.

Mais au même instant, St MACAIRE voyaient affluer une foule de réfugiés complètement paniqués à l'idée de connaître le sort que, sur l'autre rive de la GARONNE, venait subir LANGON.

Et les Langonais, eux aussi sous les armes, observaient de loin ces mouvements désordonnés en attendant que ces "brigands" tentent de traverser le fleuve. Or, en fait, il ne s'était strictement rien passé nulle part. Ce mouvement de panique fut très bref mais délirant ; il ne dura parfois que quelques heures, tout juste le temps de s'apercevoir qu'il n'avait aucun fondement.

Personne ne fut ensuite très fier de ce qui s'était passé dans sa Paroisse, d'autant que chacun avait été témoin direct de la déraison de son voisin. Ceci explique peut-être que si peu de documents nous soient parvenus sur cet évènement incontestable mais si mal connu.

Il fut t très probablement lié à la prise de la BASTILLE, plus ou moins vécue comme un phénomène de transgression politique et sociale bien plus sensible dans les lointaines provinces qu'à PARIS même. Mais à la vérité, cette grande peur, probablement faute de documents, a été assez peu étudiée sur le plan local.

Ces premières turbulences, pas plus que les mesures draconiennes qui devaient survenir au cours de l'année (abolition des privilèges, suppression des titres de noblesse, refonte complète de l'organisation judiciaire, etc ... etc ... ) ne détournèrent en rien Pierre MARSAU de la ligne patrimoniale qu'il s'était tracée. Il poursuivait ses achats de terres. Le 23 décembre 1790, chez Me MARTIN, Notaire à St SYMPHORIEN, il rencontre un certain Vidal DUBERGEY, charpentier de haute futaie, habitant au Diocèse de DAX, et lui achète :

"une maison ruinée et tombée, (des) terres labourables, landes, pignadas, preds, jardin et autres..."

sans qu'aucune indication de lieu ne soit donnée. Il doit s'agir d'un petit héritage abandonné par un fils parti chercher fortune dans les Landes ; mais un tout petit héritage, car il est évalué à 144 Livres, ce qui est bien peu. Qu'importe, Pierre MARSAU l'achète et le paye comptant en trois Louis d'or de 48 Livres pièce.

Dans les mois qui suivent, pendant la période des grands bouleversements qui secouent le pays tout entier, rien ne transparait de ce qui a bien pu se passer à TRISCOS. Tout au plus voyons nous Pierre MARSAU procéder à un dernier ajustement de parcelles, le 9 Septembre 1792, par un échange avec Pierre CALLEN, qui lui fait acquérir une minuscule pièce de pignada dont on vient de couper les arbres. Cette parcelle se situe au lieu-dit des HARRIEYRES, et touche, en son côté nord au ruisseau d'ORIGNE.

Ce sera là le dernier acte connu passé par Pierre de La BESOÜE.

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Il vivra encore deux années, assez longtemps pour finir de liquider son contentieux avec Etienne FERRAND, ainsi que nous l'avons déjà vu, le 11 Février 1793, trois semaines après l'exécution de LOUIS XVI ; assez longtemps aussi pour connaître l'abolition du culte catholique, le 10 Novembre de la même année; assez longtemps enfin pour avoir vécu toute la période de la Terreur quand St LECER devint la Commune de BALION et celle de St SYMPHORIEN, LA HURE, la chasse aux Saints était ouverte . . . .

Il en connut aussi la fin, puisqu'il mourut à TRISCOS en sa maison, peu après le 9 Thermidor, très exactement le 23 Thermidor de l'An II à 18 heures (10 Août 1794). Il avait tout juste un peu passé ses 70 ans.

Pierre MARSAU avait connu bien des épreuves tout au long de sa vie; son veuvage, à l'âge de 44 ans, mais aussi la perte de six de ses sept enfants et des deux premiers de ses petits enfants.

Dans les tous derniers temps de sa vie, à défaut d'avoir assuré la pérennité de son "lignage" puisque, faute de descendance mâle parmi ses enfants, le nom des MARSAU, après lui, serait perdu, il avait vu naître son petit fils Etienne en 1791. Il avait pu y voir une légitime récompense à l'obstination laborieuse qu'il avait mise, pendant tant d'années, à développer le patrimoine familial. Il eût encore la joie de voir naître la petite Jeanne FERRAND, sa petite fille, le 24 Août 1793, tout juste un an avant sa mort. Il partit donc en sachant qu'il laissait une descendance, mais sans savoir qu'elle serait finalement assez différente de ce qu'il avait pu imaginer.

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Chapitre 5.

JEANNE MARSAU

( 1757 - 1829 )

Jeanne MARSAU était née à TRISCOS le 30 Janvier 1757. Elle était, ainsi que nous l'avons vu, la septième et dernière enfant de Pierre MARSAU, dit de la BESOÜE, et de Pétronille DUPEYRON.

De cette nombreuse famille, après le décès de son frère André à l'âge de 27 ans, elle devait rester la seule et unique survivante.

Nous avons évoqué son mariage avec Bernard FERRAND, dit BERNACHON, le 9 Février 1782. Depuis lors, comme il avait été convenu dans leur contrat de mariage, ce jeune couple avait vécu dans la maison de Pierre MARSAU au Quartier de TRISCOS.

Aucun de ses deux premiers enfants, nés très vite après son mariage, Pierre et Etienne, n'avait survécu, pas plus que le troisième, un autre Etienne, né en 1791, qu'elle avait attendu huit ans et qui mourra le 12 Germinal de l'An IV (ler Avril 1796) , à l'âge de cinq ans.

Deux ans plus tard, le 23 Août 1793, à 10 heures du matin devait enfin naître la petite Jeanne FERRAND, la première enfant qui allait survivre et qui, dix sept ans plus tard, devait faire alliance avec Pierre DARTIGOLLES, consacrant ainsi l'union des deux familles.

Lorsque son Père alla présenter cette enfant le lendemain matin à Jean BATAILLEY, Officier d'Etat Civil à BALIZAC, il devait régner une certaine confusion dans la "Maison Commune", car, si l'enfant est appelée Jeanne dans l'intitulé de l'acte, elle répond ensuite au prénom de Marie dans le corps du texte.... En fait, c'est bien de Jeanne qu'il s'agit car elle s'appellera ainsi jusqu'à la fin de ses jours, et nous pouvons le vérifier dans tous les actes ultérieurs qui la concerneront.

Jeanne MARSAU avait 36 ans lors de cette naissance. C'était, pour l'époque un âge un peu limite. Mais Jeanne fera beaucoup mieux en donnant le jour, quatre ans plus tard à une seconde fille, une autre Jeanne, qui elle aussi, survivra, et cela était un peu plus exceptionnel au regard de l'âge de la mère.

Jeanne, Mère de Jeanne et d'une autre Jeanne, on n'avait décidément pas beaucoup d'imagination pour le choix des prénoms chez les MARSAU....

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LA FAMILLE DE JEANNE MARSAU

 (1757 - 1829 )

 

Pierre MARSAU-Pétronille DUPEYRON

 

Etienne FERRAND-Marie CABIROL

Jeanne MARSAU
(30 Janvier 1757-ler Août 1829)

 

Bernard  FERRAND
(23 Mars 1756-28 Brum.An XI)

mariés à BALIZAC le 9 Février 1782

De cette union sont nés cinq enfants :

 1° Pierre FERRAND
 né le ler Nov. 1782
mort jeune

 2° Etienne FERRAND
 né le 6 Nov.1783
mort jeune

 3° Etienne FERRAND
 né en 1791 mort
le ler Avril 1796

 4° Jeanne FERRAND
 née le 24 Août 1793
 épouse Pierre DARTIGOLLES
à BALIZAC le 14 Juin 1810
   15 Mars 1854

 5° Jeanne FERRAND
 née en l'An VI épouse Jean BRUN,
de BUDOS en 1818
en 1863

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JEANNE MARSAU DEVIENT MEUNIERE

Nous avons vu que Pierre MARSAU vivait encore au moment de la naissance de la première petite Jeanne. Mais il commençait à prendre de l'âge. Certes, personne ne pouvait encore douter qu'il fut le maître en sa maison, mais son gendre FERRAND, dit BERNACHON, commençait à prendre des initiatives.

En particulier, lui qui avait passé toute son enfance et sa jeunesse dans des moulins devait être un peu frustré du défaut de la bonne odeur des farines... Mais l'odeur ne devait pas être le seul motif en jeu.

Dans les temps troublés que l'on vivait en 1793, il devait y avoir quelqu'intérêt à commercer dans les grains et farines plutôt que de se cantonner dans les autres productions de la terre ou dans les produits résineux.

Le marché de VILLANDRAUT ne fonctionnait plus que sur réquisitions et sous la surveillance de la Garde Nationale. Les Districts de la Lande, en particulier ceux de SORE et de TARTAS, si fidèles jusque là aux marchés du Mercredi, ne fournissaient plus rien. La Municipalité de VILLANDRAUT s'était donc un peu naïvement étonnée de cette carence et avait invité ses fournisseurs traditionnels à revenir sur son marché. En vain. Elle écrivit alors très officiellement au District de TARTAS en invoquant la réglementation prévoyant:

"que les Communes qui étaient dans l'usage de fréquenter le marché de  VILLANDRAUT fussent tenues d'y apporter tous les grains qu'elles avaient à vendre..."

Et pour donner du poids à sa démarche, le ler Brumaire An II (22 Octobre 1793), elle en informa le Département en lui demandant son appui pour :

"l'aider à sortir de la situation alarmante où se trouvait le marché de VILLANDRAUT relativement aux subsistances..."

Le Département avait bien d'autres soucis en tête avec l'approvisionnement de BORDEAUX et les fournitures aux Armées. La Commune n'obtint même pas de réponse.

Il n'est pas douteux que dans un tel contexte, on avait intérêt à se situer dans le courant actif des affaires plutôt que d'attendre passivement les évènements. D'autant que la fonte rapide de la monnaie incitait aux investissements immédiats.

Or, comme le privilège seigneurial de meunerie avait été aboli, n'importe qui, désormais, s'il en avait les moyens et pour peu qu'il connaisse un peu le métier, pouvait se faire construire un moulin.

C'est ce que fit Bernard FERRAND dit BERNACHON. Et c'est bien lui qui parait partout dans cette affaire et non plus son Beau-Père. BERNACHON construira son moulin, dans un endroit fort discret, loin de toute Habitation, sur le Ruisseau d'ORIGNE; ce sera le moulin que nous appelons "de TRISCOS", et qui, avec des fortunes diverses, fonctionnera jusqu'au début du XXème siècle.

Pour cette construction, il aura recours à l'aide technique et financière de son frère Etienne dit CADICHON, ce qui tend à prouver que leurs relations avaient dû s'améliorer depuis la fin de leur procès.

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Ne péchons pourtant pas par excès d'optimisme, car ce concours fraternel donnera lui-même matière quelques années plus tard à un nouveau conflit heureusement arrêté à temps par quelques amis raisonnables. Ces FERRAND étaient décidément d'incorrigibles procéduriers...

C'est comme cela que Jeanne FERRAND devint meunière, une expérience qu'elle n'avait certainement pas imaginée dans son jeune âge car cette activité était très étrangère aux traditions de sa propre famille.

Quelle que soit l'envie qu'ait pu en avoir BERNACHON, il y a très peu de chances pour que les FERRAND soient allés s'installer à ce moment-là dans la maison du nouveau moulin. N'oublions pas qu'ils étaient tenus par contrat à la cohabitation avec Pierre MARSAU, lequel vivait encore ; or, il est bien établi que celui-ci, l'année suivante, mourut en sa maison de TRISCOS. De même, il est également certain que la seconde petite Jeanne naîtra à TRISCOS le 17 Octobre 1797. Ainsi donc, si Jeanne MARSAU est bien devenue la femme du meunier, elle ne semble pas avoir, dans ce premier temps, habité son moulin. La construction de ce moulin avait été mal engagée. On avait dû vouloir le bâtir très vite, et certainement trop vite. Le déversoir ne résista pas à la pression des eaux. A peine avait-il été mis en service qu'il fallut le refaire.

Mais nous étions alors en l'An II, en pleine guerre, et la conscription battait son plein; la main d'oeuvre était devenue rare, de plus en plus rare même. BERNACHON connaîtra donc quelques difficultés à faire réaliser ces travaux. Il en connaîtra bien d'autres.

C'est à ce moment que disparaît Pierre MARSAU, le 9 Août 1794.

Nous ne saurions passer cette période sans évoquer les rigueurs de l'hiver 1794/95. Jusqu'à la Noël, la température avait été très clémente. Le 24 Décembre, il faisait encore relativement doux puisqu'on relevait 6°, mais à la sortie de la Messe de minuit, les choses avaient déjà beaucoup changé. Au matin, il faisait -5°. On avait donc perdu 11° degrés en quelques heures.

La chose surprit par sa soudaineté, mais ce n'était qu'un début. Dès le 26 Décembre, la GARONNE commença à charrier des glaçons venus du Haut Pays et fut bientôt prise presque en son entier; cela dura jusqu'au 30. Après un dégel de quelques jours, il se mit à neiger abondamment et le froid revint en force, encore plus vif que la première fois.

La GARONNE gela complètement et resta prise du 17 au 26 Janvier 1795, si bien qu'une fois encore, on put la traverser à pied entre PODENSAC et RIONS.

Avec ce moulin de TRISCOS, BERNACHON avait voulu se faire plaisir. Peut-être y était-il parvenu, il ne nous en a pas fait la confidence. Mais ce qui est bien établi c'est qu'il y a récolté toute une série d'ennuis. Au printemps de 1795, le déversoir était de nouveau remis en cause.

Il fallut encore le refaire entièrement. BERNACHON jeta alors l'éponge et vendit ce moulin à son frère Etienne, dit CADICHON, lequel engagea aussitôt un maçon de NOAILLAN pour entreprendre ces travaux, le 4 Floréal de l'An III ( 23 Avril 1795). Mais le plus curieux, c'est que quelques mois plus tard, on ne sait trop quand ni dans quelles circonstances, BERNACHON lui rachètera cette installation.

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En Janvier 1797, les FERRAND de TRISCOS sont incontestablement de nouveau propriétaires de leur moulin. Mais le retrait d'Etienne de cette affaire ne se passa pas sans contestations. Des contestations dans le détail desquelles nous nous garderons d'entrer ici.

Toujours est-il que, contrairement à ce que l'on aurait pu attendre, BERNACHON ne reprit pas l'exploitation du moulin à son compte. Il la donna à ferme pour cinq ans à des cousins d'une autre branche MARSAU, le 12 Pluviose de l'An VI (1er Février 1798).

Cette ferme ne parvint pas à son terme. Le bail de cinq ans aurait dû conduire jusqu'au début Février 1803. En fait, les deux parties se rencontrèrent dés le 3 Germinal de l'An VIII (23 Mars 1800) et se dirent :

" bien aize de résilier le susdit acte de ferme..."

Tous les comptes étant arrêtés, les fermiers se retrouvèrent redevables de 300 Francs envers BERNACHON. Une somme qu'ils ne possédaient pas, mais qu'ils s'engageaient à lui régler dans les deux ans à venir. 300 Francs de déficit en deux ans d'exercice montre bien qu'il était effectivement temps d'arrêter l'expérience.

Cette dette sera réglée à son heure, partie en monnaie métallique, et partie par la cession d'une pièce de jeunes pins contiguë au moulin..

Dès lors, BERNACHON reprend lui-même l'exploitation de son moulin, et il semble bien que, cette fois-ci, il y ait effectivement habité. En trois textes distincts mais tous concordants, datés de 1802, nous apprenons qu'il est

"meunier dans son moulin de TRISCOS..."

" (et) titulaire d'une patente de la 3ème classe pour l'An X, à lui délivrée le 20 Ventôse dernier par le Maire de BALIZAC sous le N° 5 de son Registre."

Jeanne MARSAU, était donc bien redevenue meunière, mais cette fois-ci à part entière puisque la famille était établie dans le moulin lui-même. Cela ne dura que bien peu de temps car BERNACHON devait mourir le 28 Brumaire de l'An XI (18 Octobre 1802), à l'âge de 46 ans ½.

Nous ne disposons d'aucune indication sur les conditions de ce décès. Il semble qu'il ait pu être assez rapide. Peut-être pas accidentel, car en pareil cas, les Registres de 1'Etat Civil en faisaient souvent une mention sommaire, et ce n'est pas ici le cas. Mais il est bien probable que, d'une façon ou d'une autre, BERNACHON ait été surpris par la mort. 

Comment en effet expliquer qu'il n'ait pas rédigé de testament et qu'il ait laissé sa Veuve seule, face à une famille plutôt turbulente, et sans lui avoir expressément confié la tutelle de ses deux petites filles ? 

Jeanne MARSAU va de ce fait se trouver immédiatement en situation délicate puisque sa désignation comme tutrice va désormais dépendre pour une large part du bon vouloir de ses Beaux Frères réunis en conseil de Famille; trois Beaux-Frères dont deux avaient passé à peu près toute leur vie en conflit permanent avec son défunt mari...

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JEANNE MARSAU PREND SES AFFAIRES EN MAIN

Mais sur ces trois Beaux-Frères, i1 y avait heureusement le troisième, Jean FERRAND, dit JEANTOULET, celui qui s'était établi à LIGNAN de BAZAS. En prenant les affaires les plus urgentes en main, il allait être l'homme de la situation.

BERNACHON était mort à 9 heures du soir le 18 Octobre, et dès le lendemain, Jean était déjà là. C'est lui qui va déclarer le décès de son frère à la Maison Commune. Aîné de la famille, il n'a jamais été mêlé aux conflits qui ont opposés ses trois autres frères. C'est le "sage" de la famille, il en fallait bien un ...

Jeanne MARSAU avait pour lors 45 ans ½, l'aînée de ses filles avait 9 ans et 3 mois, et la plus jeune 5 ans. Allait-elle pouvoir faire tourner le moulin ? Ce n'était pas un métier très féminin ; il y avait beaucoup de manutentions lourdes, il fallait piquer les meules, aller sur les marchés, autant d'activités peu compatibles avec les obligations d'une femme en charge de jeunes enfants.

Par contre, Jeanne pourra très bien gérer les propriétés qui lui viennent de son Père. Nombre de veuves l'ont fait avant elle en pareilles circonstances et y ont fort bien réussi.

C'est alors qu'intervient son Beau-Frère JEANTOULET. Il va prendre le moulin de TRISCOS à ferme pour une durée de neuf ans, et il en prend effectivement possession dès le 6 Frimaire de l'An XI (7 Décembre 1802). L'acte sera passé dans le moulin lui-même devant Me PERROY, venu tout exprès de NOAILLAN, le 22 Frimaire (13 Décembre). Le bail porte sur les bâtiments et leurs annexes, le déversoir, la maison, les parcs, le four, les terrains environnants dont il est précisé qu'ils sont entourés de fossés.

De plus, un moulin doit toujours comporter quelques prairies dans sa concession afin de nourrir les chevaux qu'entretient le meunier. Qu'à cela ne tienne, Jeanne inclut dans le bail :

"deux près, l'un appelé à GARRE, près le RIQUE, et l'autre à TOUTSAINTS, tous les deux dans le champ de TRISCOS."

Sont également compris dans le contrat, tous les ustensiles du moulin, ainsi que deux chevaux qui sont estimés 240 Francs. Les autres clauses de ce bail sont très classiques et se retrouvent dans tous les contrats contemporains du même type. Pourtant, deux clauses sont originales et ne se retrouvent nulle part ailleurs en pareilles conventions.

Nous serions assez tentés d'y voir une touche féminine qu'aurait pu introduire Jeanne de son propre mouvement. Tout d'abord, une clause d'assurance prenant en compte les risques d'accidents :

"en outre, il est bien convenu que le preneur répondra et supportera tous les frais pour les accidents qui surviendront par sa faute et négligence ou (celle) des siens et payera tous les dépens dommages ou intérêts, ou bien rétablira les choses qui auraient été gâtées par cet accident et les remettra dans le premier état..."

Mais au surplus, il est prévu qu'à la fin du bail, le fermier devra :

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"laisser le tout libre et net de toutes saletés et immondices, les portes et les fenêtres ouvrantes et fermantes, les clefs, serrures et autres fermures en bon état..."

Et cela, aucun des nombreux contractants, dans aucun autre des contrats de ferme de moulins que nous connaissons n'y avait jamais pensé . . . Le prix était fixé à 460 Francs par an, étant bien précisé qu'il serait versé "en bon numéraire métallique", semestre par semestre et payable d'avance.

On notera ici que dans les derniers jours de 1802, la confiance dans la monnaie commence à se rétablir. L'inflation est désormais maîtrisée, mais le billet de banque n'est pas encore reconnu comme une monnaie fiable, et il faudra beaucoup de temps, du moins en milieu rural, pour qu'il le devienne. Enfin :

"le fermier donnera à la propriétaire chaque année deux paires de canards, deux paires de chapons et six douzaines d'oeufs, livrables, partie à la St MARTIN, partie au Carnaval."

L'un des témoins de ce contrat était Gabriel PERIE, Officier de Santé, Maire de BALIZAC, dont le fils épousera plus tard la petite fille de Jeanne MARSAU.

Jeanne avait manifestement besoin d'argent, cela se devine à quelques détails que l'on peut relever au passage. Dans le contrat de ferme qu'elle vient de passer, au moment de la détermination du prix du bail et des modalités de paiement, elle fait préciser que :

"le premier semestre actuellement commencé (sera) payé dans dix jours sans faute..."

Ce "sans faute" en dit très long... Mais il est bien probable que les 230 Francs qu'elle va percevoir à l'occasion de ce premier versement ne suffiront pas à régulariser sa situation. Il lui faudra avant tout liquider les affaires que le décès de BERNACHON a laissées pendantes. Ce n'est probablement pas le plus facile, car il y a bien peu de chances pour qu'elle fût au courant de leur détail. BERNACHON n'ayant jamais su écrire, il est bien évident que l'essentiel des transactions qu'il avait en cours n'avaient laissé de traces que dans sa mémoire.

En pareil cas, une veuve voyait souvent se manifester des personnes peu recommandables, toujours prêtes à exploiter la situation en faisant état de créances et d'engagements plus ou moins supposés. Le 13 Nivôse de l'A XI (3 Janvier 1803), elle se décida à vendre deux parcelles lui appartenant en propre pour en avoir hérité de son Père en Août 1794.

L'une d'entre elles, située à LA MOLE, aux limites méridionales de BALIZAC, était partie en lande rase et partie en pins ; l'autre, tout près de là, mais dans St LEGER, comportait une petite prairie sur le bord de la HURE et une pièce de pins. Par un contrat passé en sa maison de TRISCOS devant Me PERROY, elle en tira 380 Francs payés comptants en monnaie métallique. Ce n'était pas un bien ancestral faisant partie du patrimoine fondamental de la famille, mais plutôt de ces petits fonds, objets d'achats "de précaution" pour le cas où l'on en aurait un jour besoin.

Son Père les avaient acquis vers 1783, très probablement au titre d'un placement provisoire. Il n'était pas en effet prudent de conserver de l'argent liquide chez soi ; on ne saurait trop rappeler que le bas de laine ou le pot de terre n'offraient aucune sécurité.

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Ainsi que nous l'avons déjà vu dès que l'on avait un peu d'argent devant soi, ou bien on le prêtait moyennant intérêt, avec des garanties hypothécaires, ou bien on l'investissait dans l'achat de quelques parcelles, parfois minuscules, parfois plus conséquentes, que l'on pourrait, en cas de besoin, ultérieurement négocier.

Nous avons vu Pierre MARSAU pratiquer cette politique patrimoniale. Le moment était venu, pour sa fille, d'en tirer un premier parti. Jeanne MARSAU poursuivit sans désemparer son entreprise d'assainissement et parviendra à son terme au début du printemps de 1804.

Son dernier règlement connu concerne l'apurement d'un compte relatif à diverses opérations successives, échelonnées sur une dizaine d'années, et qui avaient mis en rapport BERNACHON avec une certaine Demoiselle DURAND à BARSAC. Jeanne négocia cette affaire avec Jean CONSTANTIN, l'homme d'affaires de la Demoiselle et finit par en obtenir une quittance libératoire le 26 Ventose de l'An XII ( 17 Mars 1804) . Il n'est pas certain que Jeanne ait fait là une bien bonne affaire car, en gros, si la Demoiselle avait bien prêté 1200 Livres à Pierre MARSAU, elle les lui avait remises en assignats, tandis que lui, il lui avait fourni du bon bois d'oeuvre et autres marchandises d'ailleurs non désignées dans les documents. Mais l'affaire était si embrouillée qu'il a peut-être été sage, en définitive, d'estimer que chacun était quitte envers l'autre et de ne pas chercher au-delà...

 

JEANNE MARSAU ET SES DEUX FILLES

La situation de Jeanne MARSAU était donc désormais assainie. Mais il faut bien souligner qu'elle avait réglé tout cela sur "les ressources de son industrie " et sur ses fonds propres.

Sa situation vis à vis de ses deux filles restait à régler. Son mari était mort depuis le 19 Octobre 1802 et, en l'absence de testament, elle n'était toujours pas tutrice de ses enfants. Il fallait régler cet important problème.

Mais il fallait aussi, avons-nous dit, compter avec la personnalité de ses Beaux Frères FERRAND qui avaient vocation naturelle à constituer le Conseil de Famille. Leurs incessants démêlés auguraient mal d'une solution raisonnablement concertée et Jeanne MARSAU avait tout à craindre de leur intervention qui, devant un Juge, ne manquerait certainement pas d'être déterminante. Pourtant, les choses allaient mieux se passer que prévu.

Le Conseil de Famille se réunit le 28 Germinal de l'An XI (18 Avril 1803) au domicile du Juge de Paix de St SYMPHORIEN.

Sa composition était un peu surprenante. On y trouvait évidemment Jeanne MARSAU, Mère des deux fillettes qui avaient respectivement 10 et 6 ans ; y figuraient également Jean FERRAND dit JEANTOULET, leur Oncle paternel qui représentait un élément solide et sûr; Etienne FERRAND dit CADICHON, beaucoup plus imprévisible, deux Jean CALLEN, parfaits homonymes, tous deux cousins seconds de Jeanne et enfin Jean DUPART, dit Jean de MICHEL :

"cousin à un degré éloigné des mineures du côté maternel..."

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ARRETE DEFINITIF DES COMPTES 
ENTRE JEANNE MARSAU ET LA DEMOISELLE DURAND DE BARSAC

26 Ventôse An XII

(Archives Familiales)

Je soussigné Jean CONSTANTIN, homme d'affaires de Mademoiselle DURANT, de la Commune de BARSAC, déclare avoir arrêté tous comptes avec Jeanne MARSAU, Vve FERRAN de la Commune de BALIZAC, que lad. Dlle avoit avec feu Bernard FERRAN son mari, soit pour prêt en douze cents Francs en assignats que lad. Dlle avoit prêté aud. FERRAN, que de certaines marchandises, soit en bois d'oeuvre et autres que led . FERRAN avoit fourny et livré à lad. Demoiselle et par l'arrestation du compte qu'il en a été fait  entre moi soussigné et Jeanne MARSAU, d'après la réduction des assignats faitte en argent ainsi que les dtes marchandises fournies par le dt. FERRAN à lad. Dlle, j'ai trouvé que lad. Dlle et led. MARSAU se trouvent réellement quittes l'un envers l'autre dont je lui ai livré bonne et valable quittance. BALIZAC, le 26 Ventôse An 12ème Républicain. CONSTANTIN aprovent.

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On remarquera tout de suite l'absence de Bernard FERRAND dit TCHIC, lui aussi Oncle des enfants et qui, de ce fait, était l'un de leurs Parents les plus proches. Cette absence est d'autant plus notable qu'il aurait pu parfaitement avoir sa place dans ce Conseil puisqu'il n'y avait que deux représentants côté paternel contre trois côté maternel.

Quant à ces trois derniers, leur lien de parenté était beaucoup plus lointain, ce qui s'expliquait par le fait que Jeanne MARSAU, ayant perdu tous ses frères, se retrouvait à peu près dépourvue de famille immédiate. Finalement la composition de ce Conseil permettra de faire l'économie des affrontements que l'on aurait pu redouter entre TCHIC et CADICHON, l'un d'entre eux, ou les deux, pouvant parfaitement revendiquer l'attribution de cette tutelle.

On peut se demander si le Juge de St SYMPHORIEN n'avait pas eu vent des problèmes qui l'attendaient et n'avait pas infléchi la composition du Conseil en conséquence... La question restera pendante, mais le fait est que tout va se passer dans une ambiance un peu inespérée :

"Tous lesquels parents des mineures sus-nommées nous ont dit et déclaré qu'ils sont d'avis de nommer... ladite Citoyenne Jeanne MARSAU, veuve de Bernard FERRAND, dit BERNACHON, pour tutrice desdites 2 mineures ses filles, à l'effet de gérer et gouverner leurs personnes et (leurs) biens.

Et ladite Citoyenne Jeanne MARSAU, veuve FERRAND, dit BERNACHON, ayant déclaré accepter ladite commission, et à l'instant, fait et prêté en nos mains et en présence des parents susnommés le serment de  bien et fidèlement remplir la fonction qui luy est defférée."

Voilà donc une affaire réglée et bien réglée. Jeanne MARSAU alliera désormais la gestion des biens propres qu'elle à reçus de son Père à celle des biens que ses deux filles ont hérités du leur.

Ces derniers biens devaient être exclusivement immobiliers car on ne trouve nulle part aucune trace d'inventaire, ni au moment du décès de BERNACHON, ni au moment de la prise en charge de la tutelle. Il faut donc croire qu'on ne l'avait pas jugé nécessaire.

LA CHARGE DU MOULIN DE TRISCOS ET LA SITUATION MATÉRIELLE DE JEANNE MARSAU.

La rentabilité du moulin de TRISCOS posait certainement question. Pas plus que ses prédécesseurs, Jean FERRAND ne put mener son bail à son terme. Il en abandonna l'exploitation au bout de deux ans et demi alors qu'il s'était engagé pour neuf ans. Aucun des fermiers qui l'avaient jusqu'ici pris en main n'était parvenu au terme de son bail. Ce peut être un hasard, mais tous, et c'est plus inquiétant, en sont ressortis avec des dettes.

C'est bien ce qui va se renouveler avec Jean FERRAND. Lorsque le 9 Mai 1806 il arrête ses comptes avec sa Belle Soeur Jeanne, il se trouve déjà redevable de la somme de 562 Fr, 40 qu'il ne conteste d'ailleurs absolument pas. Ce montant est le résultat de compensations passablement complexes dans lesquelles on retrouve à la fois le montant des loyers, de fournitures diverses, de travaux, etc... Il s'en reconnais débiteur devant Me PERROY et promet de s'en acquitter :

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"en numéraire dans deux ans de ce jour avec l'intérêt à raison de cinq pour cent l'an...".

C'est bien ce qu'il fera, scrupuleusement, devant le même Notaire, le 27 Mai 1808. Jean FERRAND, dit JEANTOULET, était un homme sérieux dans une famille où ils n'étaient pas légion."en numéraire dans deux ans de ce jour avec l'intérêt à raison de cinq pour cent l'an...".

Reste que le problème de la rentabilité du moulin de TRISCOS était bel et bien posé. Dès que l'abolition des privilèges l'avait permis, BERNACHON s'était offert "son" moulin. Il n'avait pas dû procéder, au préalable, à des études de marché bien approfondies.

Il s'était lancé dans l'aventure avec l'enthousiasme propre à un esprit d'entreprise soudain libéré de contraintes séculaires. Ce fut très probablement un fantaisie coûteuse.

Elle le fut dès le départ du fait des incroyables malfaçons que nous avons eu l'occasion de découvrir dans la construction de ce moulin ;

elle le fut encore, dans les années qui suivirent car nous verrons Jeanne MARSAU lourdement sollicitée pour son entretien, mais elle fut tout aussi coûteuse dans son exploitation au fil du temps.

De toute tradition, il y avait eu deux moulins à BALIZAC, celui de LA FERRIERE, important, et le Petit Moulin, plus modeste, sur LA NERE. Il n'est pas évident que, dans le pays, il y ait eu assez de travail pour un troisième. La production céréalière locale restant stable, la part de marché conquise par le nouveau venu ne pouvait provenir que d'un prélèvement sur l'activité des deux autres. Cette évidence a pu cependant être masquée dans les premières années de son exploitation.

Dans un temps de disette et de sévère contingentement, nous avons eu l'occasion de penser qu'un moulin discret, situé loin des regards trop curieux pouvait offrir un précieux intérêt. Mais lorsque la situation normale fut rétablie, ce moulin ne put guère prétendre  à accueillir autres pratiques que celles du Quartier de TRISCOS. Et même si les superficies ensemencées étaient alors très supérieures à celles que nous avons pu connaître en des temps plus récents, la faiblesse des rendements obtenus à l'époque ramenait la production à des chiffes dont la modestie ne permettait probablement pas à ce moulin de travailler tout au long de l'année.

 Tout cela ne faisait évidemment pas l'affaire de Jeanne MARSAU dont la situation matérielle, après apuration de tous les comptes pendants, n'était peut-être pas très confortable. Certes, elle avait du bien ; sa situation d'héritière unique des MARSAU, dits la BESOÜE, la mettait à coup sûr à l'abri du besoin.

L'évaluation de sa succession que nous découvrirons un peu plus loin nous éclairera sur ce point. Mais ce qu'elle possède n'est pas négociable, du moins à ses yeux. Vendre quelques pièces de terre acquises, il n'y avait guère, au titre de provisions en vue de mauvais jours, elle l'avait fait sans trop de scrupules, comme bien d'autres l'avaient fait, en d'autres temps, dans l'histoire de sa famille. Mais toucher au noyau dur du patrimoine, celui que l'on avait reçu des ancêtres, cela ne pouvait s'envisager. Or il semble bien qu'après avoir rétabli la situation que son mari lui avait laissée, et face à de nouveaux problèmes soulevés par le moulin de TRISCOS, Jeanne MARSAU a pu en venir au seuil de cette extrémité. Il semble évident qu'elle a vécu là quelques années difficiles. La branche la BEZOÜE des MARSAU avait connu à TRISCOS de meilleurs temps.

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Nous ne disposons pas de documents suffisants pour analyser finement cette situation, mais quelques raisons simples permettent de comprendre le sens général de cette évolution malheureuse. Pierre MARSAU avait perdu pas mal d'argent dans de mauvaises affaires dont, à vrai dire, il n'était pas réellement responsable. Nous avons eu l'occasion de suivre l'une d'entre elles en évoquant toutes les péripéties qui ont entouré le règlement des 1.800 Livres que lui devait Etienne FERRAND Cadet pour une grosse coupe de pins effectuée en 1780 et qui ne lui seront réglées, en assignats, que bien après l'inflation.

La même mésaventure lui est arrivée avec la dot de son gendre BERNACHON, affaire que nous avons également suivie ; et puis il y a eu également, en 1793, la construction de ce fameux moulin qui s'est révélée bien plus coûteuse que prévue et n'a pas, nous l'avons vu aussi, apporté les résultats escomptés. Tout cela cumulé faisait beaucoup de choses à supporter pour un patrimoine qui, au départ, était tout à fait confortable, qui l'était encore, mais qui est incontestablement sorti amoindri de la tourmente révolutionnaire.

 

JEANNE MARSAU MARIE SA FILLE AINEE A PIERRE DARTIGOLLES

Jeanne MARSAU élevait tant bien que mal ses deux filles, mais elle devait marquer quelqu'impatience à établir au moins l'Aînée dès qu'elle serait en âge de mariage. C'est en tous cas ce qui va se produire sans tarder.Il y avait pour lors à TRISCOS un parti tout à fait convenable; c'était le plus jeune des fils DARTIGOLLES, le jeune Pierre.

Les DARTIGOLLES étaient presque des nouveaux venus à TRISCOS. Pierre, le Père du jeune homme à marier, était né posthume à NOAILLAN en 1762; un lieu de naissance un peu dû au hasard, car toute sa famille paternelle était originaire de St LEGER, au lieu-dit du GUIGNET.

Après le décès subit de son Père, sa Mère était venue trouver refuge à NOAILLAN chez ses propres Parents, et c'est ainsi qu'il y vit le jour. Très jeune, en 1765, il devint pupille d'un cousin dénommé MARTIN qui habitait TRISCOS et qui l'y recueillit. Il y vécut jusqu'à son mariage avec Catherine FAURENS qui, elle, appartenait à une très ancienne famille locale. En fait, les DARTIGOLLES n'étaient donc là que depuis une génération.

Toutes leurs racines et leurs propriétés se situaient à St LEGER autour du Quartier du GUIGNET. Les hasards de la vie (et surtout de la mort...) avaient fini par réunir sur la tête de Pierre, le posthume, la quasi totalité du patrimoine de sa famille, et ces biens étaient assez considérables. Son mariage avec Catherine FAURENS lui avait permis de recueillir dans BALIZAC, par voie de succession, d'autres propriétés, moins conséquentes mais non négligeables, qui étaient venues conforter son patrimoine ancestral.

Chez les DARTIGOLLES, il y avait eu trois enfants

-                Guillaume, né en 1782, marié une première fois, tombé veuf, et remarié depuis 1806 ;

-                Pierre, né en 1785, encore célibataire ;

-                Jeanne, née en 1791 qui, également célibataire, mourra très jeune avant d'avoir atteint ses 22 ans.

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Leur Père, Pierre était mort depuis les derniers jours de 1795. Sa succession n'avait pas encore été partagée, et ses deux fils, Guillaume et Pierre en poursuivaient l'exploitation en indivision, donnant l'exemple d'une très remarquable entente qui leur permit de gérer leurs affaires avec un certain succès.

C'était donc ce Pierre qui formait un bon parti possible pour la jeune, la très jeune Jeanne FERRAND, fille aînée de Jeanne MARSAU.

Au début de 1810, Jeanne FERRAND a tout juste 16 ans, Pierre DARTIGOLLES en a un peu plus de 24. Il n'y avait pas, semble-t-il, d'urgence particulière à les marier; mais ce ne devait pas être l'avis de Jeanne MARSAU, la Mère.

Un alliance avec les DARTIGOLLES était à coup sûr, financièrement avantageuse. Une alliance, dans l'autre sens, avec les FERRAND, l'était certainement beaucoup moins. Par contre, du point de vue "notoriété locale", on ne pouvait ignorer que la petite Jeanne descendait directement par sa Mère de cette très vieille Famille MARSAU, branche des la BESOÜE, qui, depuis des siècles avait compté parmi les notables de BALIZAC.

Dans cette longue tradition de notoriété, de sérieux et de travail opiniâtre, la survenance d'un gendre FERRAND n'avait , en sorte été qu'une péripétie …  Mais une péripétie lourde de conséquences tout de même, Jeanne MARSAU en vivait l'expérience. Bref, ce mariage fut décidé, mais sa préparation et sa célébration fournirent matières à plusieurs singularités.

On aurait pu penser que les deux fiancés vivant à TRISCOS, la rédaction du contrat aurait pu y trouver sa place naturelle, généralement au domicile de la future. Eh bien, pas du tout..! Le 17 Février 1810, les deux familles se retrouvèrent à NOAILLAN, chez un certain SARRAZIN au lieu-dit de PIQUELAINE, encore non identifié. Pourquoi à NOAILLAN ?

Nous n'en savons strictement rien.

Ce contrat, et c'est une première dans toute l'histoire de la Famille, est conclu sous le régime paraphernal, à l'exclusion des régimes dotal et de communauté (le texte le précise expressément afin de lever toute ambiguïté). C'est donc dire que chacun des époux conservait la propriété de ses biens présents et à venir, ne mettant en commun que les acquêts du ménage.

La seule concession faite à la communauté consistait à se faire donation réciproque de la jouissance de ces acquêts au survivant des deux époux, avec une donation supplémentaire : de 400 Francs en toute propriété. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la confiance ne régnait guère dans ces conventions...

Pour l'essentiel, chacun gardait son bien à l'abri des défaillances éventuelles de l'autre. Et le régime dotal était si soigneusement exclu que ce contrat ne fait strictement aucune allusion aux meubles que toute nouvelle épouse apportait normalement dans son ménage.

Ici, il n'est question ni de lit, ni d'armoire, ni de draps, ni même de la moindre serviette de table . . . Est-ce que Jeanne MARSAU a réellement laissé partir sa fille sans rien, lui donner ?

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Il semble bien que la réponse soit positive; nous en aurons pratiquement 1a confirmation, à la fin de sa vie lors de la liquidation de sa succession.

Mais nous ne sommes pas au bout des singularités de cette union. La très grande majorité des mariages ruraux se célébrait en fin d'hiver, entre la mi-Janvier et le début du mois de Mars, ou encore, quelquefois, au cours du mois de Novembre, deux périodes de faible activité agricole offrant les loisirs convenables aux festivités des mariages.

La signature du contrat un 17 Février s'inscrivait parfaitement dans cette tradition. Mais alors pourquoi avoir attendu le 14 Juin suivant pour célébrer ce mariage à BALIZAC ? Un mois de Juin au cours duquel les deux Familles et leurs invités avaient certainement bien d'autres choses à faire qu'à festoyer à l'occasion d'une fête de famille. Ici encore, nous resterons sans réponse.

Nous ne pourrons que constater que ce mariage offre des aspects bien singuliers.

Le 15 Avril 1812, à 5 heures du matin, naissait Guillaume DARTIGOLLES, fils aîné du jeune couple. Sa Mère Jeanne venait tout juste d'avoir 18 ans. Jeanne MARSAU devenait Grand Mère pour la première fois.

 

JEANNE MARSAU MARIE SA SECONDE FILLE ET REGLE LA SUCCESSION DE SON DÉFUNT MARI

Après le départ de sa fille aînée, Jeanne MARSAU vécut seule avec sa seconde fille, âgée de 12 ans ½  au moment du mariage de sa sœur.

Elle devait se marier à son tour en 1818 avec Jean BRUN, fils d'une très ancienne Famille de BUDOS. Et cette fois-ci, ce mariage se déroula dans les meilleures traditions locales, aussi bien du point de vue des conventions matrimoniales que des dotations mobilières. Cette expérience, on ne peut plus classique ne fait que renforcer la singularité du mariage de son aînée.

A partir de ce moment-là Jeanne MARSAU se retrouva définitivement seule en sa maison avec l'une de ses filles vivant non loin d'elle dans le même Quartier de TRISCOS et l'autre à BUDOS, beaucoup moins proche compte tenu des moyens de communication de l'époque.

La pauvre femme n'en avait pas fini pour autant avec les soucis que lui procurait son moulin de TRISCOS. Les réparations succédaient toujours aux réparations sur une installation qui n'avait même pas trente ans d'âge.

C'est une situation à peine croyable, manifestement anormale, et pourtant parfaitement incontestable. Jeanne a besoin d'argent pour faire face à ces travaux indispensables; de l'argent qu'elle n'a pas, du moins disponible dans l'immédiat. Elle va se tourner vers son Gendre Pierre DARTIGOLLES qui va effectivement le lui prêter.

A cet effet, le Notaire LABARTHE MONGIE fait le voyage de TRISCOS et, le 26 Mars 1820, se rend au domicile des FERRAND où il rédige le contrat d'obligation. Jeanne MARSAU reconnaît devoir à Pierre DARTIGOLLES :

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"la somme de 3.206 Francs, 45 centimes, provenant de prêt de pareille somme (qu'il) lui a fait avant ces présentes... en diverses reprises... déclarant avoir employé cette somme aux réparations qu'elle a fait à un moulin qu'elle possède dans la Commune de BALIZAC."

Elle s'oblige à rembourser cet emprunt dans un an et d'en payer l'intérêt au taux de 5 %. En garantie, elle offre une hypothèque sur le moulin et les terres qui en dépendent.

Curieuse situation au demeurant car neuf mois plus tard, le 23 Décembre 1820, Jeanne MARSAU verse, rubis sur l'ongle, et dans le délai prévu, une somme de 1.000 Francs en pièces d'or et d 'argent, à la Famille BRUN, au titre de la dot de sa fille cadette.

Nous la voyons ainsi tour à tour, et à bref intervalle, contrainte d'emprunter de l'argent pour réparer son moulin, et disposer d'une somme importante pour doter sa fille. Tout ceci, du moins en apparence, n'est pas très cohérent.

Nous devrons nous résoudre à ne pas en savoir davantage.

Cinq ans plus tard, le 24 Janvier 1825, Jeanne MARSAU, la Mère, convoqua en sa maison de TRISCOS Me LABARTHE MONGIE, le Notaire attitré de la Famille. Elle avait également convoqué ses deux filles et leurs époux respectifs, et là, par donation entre vifs :

"voulant donner des preuves d'attachement (à ses filles)...  "     

elle leur remit la propriété de tous les acquêts réalisés

"soit par elle, soit par feu Bernard FERRAND, son mari, pendant tout le cours de leur société conjugale..."

Il s'agit ici des acquêts de son ménage et absolument pas du patrimoine qui lui vient des MARSAU. Celui-là reste son bien personnel et sera tenu en dehors de cette donation. Toutefois, et par une curieuse exception, elle ajoutera à sa libéralité :

"une prairie située sur la Commune de BALIZAC appelée de TOUTSENS, (qu'elle) possède en toute propriété . . . comme lui provenant de l'hérédité de son Père..."

On ne saisit pas très bien ce que vient faire ici cette prairie qui, elle, fait incontestablement partie du patrimoine ancestral des MARSAU. Pourquoi ce don spécifique au demeurant de bien modeste valeur puisqu'il est évalué à la somme de 100 Francs, alors que Jeanne disposait de 15 ou peut-être 20 parcelles comparables...? Il devait bien y avoir une raison à cela, mais elle n'apparaît nulle part. Quoi qu'il en soit, les deux filles acceptent leur donation et :

" la remercient et lui renouvellent l'expression de leur respectueuse reconnaissance."

Mais le Notaire ne range pas son écritoire, on a encore besoin de lui. Dans l'instant qui suit, et sans désemparer, Jeanne, la cadette, épouse BRUN, avec l'accord de sa belle-famille, et en particulier de son Beau-Père, vend à sa soeur aînée et à son Beau-Frère DARTIGOLLES, tout ce qu'elle vient de recevoir de sa Mère, y compris sa moitié de la prairie de TOUTSENS.

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Cette vente est consentie pour la somme de 1.500 Francs dont on apprend que les DARTIGOLLES en ont déjà versé 1.000 entre les mains du Beau-Père BRUN, ce qui prouve bien que cette affaire a fait l'objet d'une négociation préalable entre les deux familles. Le solde de cette somme est remis à Jeanne la cadette, comptant, en monnaie d'or et d'argent. Elle ne le conserve que quelques instants et le remet tout aussitôt, à la vue du Notaire, à son Beau-Père BRUN. Dans la perspective de l'époque, il ne devait pas être considéré comme bien prudent de laisser tant d'argent entre les mains d'une faible femme...

Ce renoncement des BRUN aux propriétés foncières de BALIZAC se comprend très bien. Comment auraient-ils pu les exploiter depuis le siège de leur activité principale qui se trouvait à BUDOS ? Les moyens de transport de l'époque ne le permettait guère. Ils n'auraient pu envisager qu'une solution de mise en métayage, mais pour cela, il leur aurait fallu disposer d'une maison, si modeste fut-elle et de quelques bâtiments d'exploitation. Or, les biens objets de la succession ne comportaient ni l'une ni les autres. Dans ces conditions, il valait beaucoup mieux pour eux de réaliser ces biens et d'en investir la valeur dans un développement de leur propriété de BUDOS. C'est exactement ce qu'ils ont fait.

 

LE TESTAMENT ET LES DERNIERES ANNEES DE JEANNE MARSAU

Depuis le mariage de sa seconde fille et son départ pour BUDOS, Jeanne MARSAU vit seule, désormais, à TRISCOS. Le temps passe. Et voilà que survient un évènement insolite. Insolite non point en lui-même, certes, mais bien plutôt en raison des circonstances qui l'accompagnent. Jeanne MARSAU va faire son testament. La belle affaire !

Elle a 70 ans passés, qu'y a-t-il donc là d'insolite ? Oui, mais . . . Nous avons vu avec quelle fidélité elle s'est toujours adressée à son Notaire, Me LABARTHE MONGIE à St SYMPHORIEN.

Elle l'a convoqué en sa maison de TRISCOS chaque fois qu'elle a eu besoin de ses services. Elle n'a dérogé à ces deux règles qu'à l'occasion du mariage de sa fille aînée avec Pierre DARTIGOLLES dont le contrat a été inexplicablement dressé à NOAILLAN chez des inconnus et devant un autre Notaire. Cette fois-ci, et contre ses habitudes, elle se déplace et, le 6 Octobre 1827, prend le chemin de LANDIRAS où elle va trouver Me DUPIN, un Notaire local à qui personne, dans la famille, n'avait jamais eu recours.

Et là, devant quatre témoins inconnus, tous de LANDIRAS, elle explique au Notaire qu'elle est en bonne santé et qu'elle veut lui dicter son testament. Il règne autour de cette démarche comme un parfum de mystère. Rien ne cadre, en tous cas avec les usages familiaux.

Après avoir exposé qu'elle est veuve de Bernard FERRAND et mère de deux filles, elle en vient aux dispositions qu'elle a arrêtées :

"Voulant donner des marques de son amitié à... Jeanne FERRAND, ma fille puînée, épouse de Jean BRUN Fils, demeurant à BUDOS, et la récompenser des soins affectueux qu'elle me rend journellement, je lui donne et lègue par mon présent testament le tiers de tous les biens meubles et immeubles, propres et acquêts quelle que soit leur nature, origine et situation qui

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pourront m'appartenir à l'époque de mon décés pour . . . ( qu 'elle puisse) . . . en jouir et disposer en toute propriété . . . Je lui fais ce legs par préciput et hors part avec dispense de rapport. Et le restant de ma succession se partagera, ainsi que je le veux, entre mes deux filles susnommées... Je nomme ma dite fille Jeanne FERRAND, épouse BRUN, mon exécutrice testamentaire..."

Les choses sont parfaitement claires. La succession FERRAND étant liquidée depuis 1825, il s'agit ici de la succession de la Famille MARSAU (moins la prairie de TOUTSENS déjà donnée et partagée par moitiés). En donnant un tiers, hors part, à Jeanne BRUN, et en partageant le reste, Jeanne Brun aura donc les deux tiers du patrimoine familial et Jeanne DARTIGOLLES un seul.

Que Jeanne MARSAU ait voulu marquer un préférence entre ses deux filles, c'est l'évidence, mais la motivation avancée laisse un peu perplexe. Comment Jeanne, la Cadette, aurait-elle pu prodiguer à sa Mère ces :

"soins affectueux qu'elle (lui) rend journellement.."

alors qu'elle vit à BUDOS et sa Mère à TRISCOS ? Ce n'était pas un temps où l'on se déplaçait si facilement que l'on puisse se rendre aussi souvent de l'une chez l'autre. Par ailleurs, chaque fois que Jeanne MARSAU a eu besoin d'un service pour son moulin, c'est bien à la porte de son gendre DARTIGOLLES qu'elle est allé frapper, et non point chez les BRUN.

C'était au demeurant bien naturel puisque les uns étaient sur place et les autres au loin. De même chaque fois, et les occasions en ont été diverses, qu'elle a eu besoin d'argent, c'est bien chez son gendre Pierre qu'elle l'a trouvé. On peut donc se poser bien des questions et envisager bien des hypothèses.

 La première serait que Jeanne MARSAU ait quitté TRISCOS à notre insu (il n'existe aucun document sur ce point) pour aller s'installer et vivre chez sa fille puînée à BUDOS. Cette hypothèse aurait le mérite d'expliquer les "soins journaliers", et le recours au Notaire de LANDIRAS qui avait effectivement de nombreuses pratiques à BUDOS.

Cette hypothèse est séduisante, mais elle est bien fragile, car, 22 mois plus tard, c'est bien  à TRISCOS que mourra Jeanne MARSAU, et non à BUDOS...

Autre piste de recherche; comment se fait-il que Pierre DARTIGOLLES soit incontestablement propriétaire du moulin de TRISCOS, en Mars 1828, date à laquelle il le donne à ferme à un tiers ? N'y aurait-il pas eu quelque part une donation entre vifs portant sur ce moulin au bénéfice de Jeanne l'Aînée ? En ce cas, le raisonnement de Jeanne aurait pu être du type "ce moulin me donne bien des soucis, je frappe à la porte des DARTIGOLLES à tout instant pour les régler, autant le leur donner tout de suite et ne plus en entendre parler..."

Ceci expliquerait alors que, par son testament Jeanne MARSAU cherche à rétablir entre ses deux filles l'équilibre un moment rompu par cette donation. Ici encore, hypothèse très fragile car aucune trace d'une telle donation n'a jamais pu être trouvée ; et par ailleurs il serait bien surprenant que le texte du testament ne fasse aucune référence, sous une forme ou sous une autre, à une opération aussi importante. Pierre DARTIGOLLES était peut-être tout simplement devenu propriétaire du moulin en exécution de l'hypothèque dont il disposait sur lui depuis son prêt du mois de Mars 1820.

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Si Jeanne n'a pu rembourser sa dette, elle aurait alors abandonné le gage. En ce cas, Pierre DARTIGOLLES en serait bien devenu propriétaire, mais tout cela n'aurait pu se faire sans laisser de trace. Or aucun acte de cet ordre n'a pu jusqu'ici être retrouvé.

On peut se demander aussi si Jeanne MARSAU, ayant perçu la différence de situation financière entre les deux belles familles de ses filles n'a pas cherché, par ce biais à rétablir un certain équilibre entre les positions respectives de ses enfants. En majorant la part de Jeanne BRUN, Jeanne sa Mère savait qu'elle ne lui donnait pas des propriétés, mais en fait, de l'argent.           

En effet, les BRUN n'avaient toujours aucune intention de s'installer à BALIZAC et les DARTIGOLLES manifestaient à la fois leur désir de racheter ces biens et leur capacité à le faire. En cela, Jeanne ne se trompe pas, car c'est exactement ce qui se produira six mois après son décès.

En l'état actuel de nos connaissances, il ne nous est pas possible de trancher entre ces diverses hypothèses, d'autant que la vérité peut encore fort bien se trouver ailleurs. Il faut nous résoudre, du moins pour le moment, à ne pas savoir ce qui a réellement motivé les dernières volonté de Jeanne MARSAU.

S'agissant toutefois d'une période dont les documents nous ont été à peu près conservés, tout espoir n'est pas perdu d'éclairer un jour cette zone d'ombre.

Jeanne MARSAU devait mourir à TRISCOS le ler Août 1829 à l'heure de midi. Elle était née le 30 Janvier 1757, sous LOUIS XV et avait donc 72 ans ½. Elle était le dernier témoin d'une génération. Elle avait bien connu son Beau-Père Etienne FERRAND l'aîné, décédé à LA FERRIERE en 1787, mais elle avait bien connu aussi ses petits enfants dont le dernier, Jean DARTIGOLLES, notre Arrière Grand Père, avait déjà 8 ans ½  au moment de son décès.

De la lignée de Bernard FERRAND dit BERNACHON, issue de Jeanne MARSAU, il ne restait donc plus que les deux Jeanne FERRAND, épouses DARTIGOLLES et BRUN.

Il restait à liquider entre elles la succession des MARSAU, selon les dispositions arrêtées, dans les conditions que l'on sait, par Jeanne MARSAU en 1827.

Liquidation de sa succession. 

Ce partage se fit a TRISCOS le 5 Février 1830 devant Me LABARTHE MONGIE. Les deux Familles DARTIGOLLES et BRUN se réunirent ce jour-là à cet effet, en terrain neutre, chez une voisine des DARTIGOLLES.

Tout se passa comme prévu. Les BRUN confirmèrent leur position. Ils voulaient de l'argent liquide et se disaient prêts pour cela à vendre aux DARTIGOLLES tout ce qui pouvait leur revenir dans cette succession. Cette part fut évaluée à 5.840 Francs. Par une simple règle de trois, cette estimation nous permet donc d'évaluer la totalité du patrimoine des MARSAU dits la BESOÜE, à l'exclusion de tout ce qui avait pu venir des FERRAND.

Nous parvenons ainsi au chiffre de 8.760 Francs auxquels il faut ajouter les 1.000 Francs et le mobilier donnés en dot à Jeanne BRUN à l'occasion de son mariage. En ordre de grandeur, la fortune des MARSAU s'élevait donc aux environs de 10.000 Francs.

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Pour fixer les idées, cela représentait à l'époque un troupeau d'environ 200 vaches. Jeanne MARSAU, sur la fin de ses jours avait connu des moments difficiles, elle avait néanmoins réussi à sauvegarder l'essentiel du patrimoine ancestral que ses ancêtres avaient si laborieusement constitué.

Jeanne FERRAND, l'aînée de ses filles vécut toute sa vie au Quartier de TRISCOS en élevant ses trois enfants dont l'aîné, Guillaume, devait mourir prématurément en 1840, à l'âge de 28 ans. Elle vécut assez longtemps pour voir célébrer le mariage de sa fille Catherine avec Charles PERIE en 1836, et de son second fils, Jean, avec Léontine ROUMEGOUX en 1847. Elle connut même ses petits enfants issus de ce second mariage; le dernier d'entre eux, Alexandre, notre Grand Père, avait en effet déjà 2 ans lors de son décès. Elle mourut à TRISCOS le 15 Mars 1854.

Jeanne, sa soeur cadette, épouse BRUN, vécut à BUDOS où elle éleva ses six enfants. Elle devait y mourir le 13 Juillet 1863.

Du règne d'HENRI IV à celui de CHARLES X, nous venons de voir se développer, sur un peu plus de deux siècles, l'histoire de cette Famille MARSAU. Une Famille laborieuse, sérieuse en toutes choses, toujours soucieuse de conforter sa position sociale, mais sans ambition au-delà du statut de "laboureur" qu'elle avait toujours connu et qui lui convenait parfaitement en dépit de sa rudesse et de ses moments difficiles. Une Famille typiquement Balizacaise enfin, qui a été mêlée à bien des évènements locaux dont nous avons tenté de restituer le contexte au fil du temps.

Puisse ce travail avoir contribué à redonner un peu de souffle à la vie de ces braves paysans qui ont fait, en leur temps, ce que nous sommes devenus aujourd'hui.

Jean Dartigolles.

184

.

 
 

GENEALOGIE DES MARSAU AU XVIIème SIECLE

 

 
     

Micheau DESCARPIT
Né vers 1590/95
Epoux de X

 

Pey MARSAU 
Né vers 1610 

Début Oct.1663  

 

Jeanne DESPEYS
 Née vers 1615 

 
en 1676 ou 77

Arnaud DESCARPIT 
Né vers 1620   

Jeannne CALLEN
Née vers 1625

 

Jean dit de PEY
Né av.1638

Marie
Née vers 1644/47

Endrine
Née vers1650

Miramonde
Née vers 1653

Manieu MARSAU
Né vers 1655
 
Oct/Nov 1686

Jeanne DESCARPIT
Née vers 1657/60
après Avril 1713

Marié à
Jeanne DEPART

Mariée à PUDAL
 
en 1667

Mariée 
à Jean FOURTENS
Fév 1673

Mariée à
Laurent DUBOURG
en 1677

Mariés fin Janv./ début Févr. 1682

       

Jeanne   Née en 1683
Mariée 12 Sep.1713
avec Etienne CALLEN
27 Fév.1751

 

Guillaume MARSAU 
dit de la BESOÜE 
Né fin 1686/début 87
Marié le 12 Sept.1713 
avec Marie LARRUE 

le 30 Sept.1767

       

Jeanne CALLEN (1714)

Catherine CALLEN (1716)

Bernard CALLEN (1718)

Jeanne CALLEN (1721)

Mathive CALLEN

Etienne CALLEN (1724)

 

Jeanne MARSAU (1714)

Etienne MARSAU (1719)

Mathive MARSAU (1721)

Pierre MARSAU (1724)

Marie MARSAU (1726)

Jeanne MARSAU (1727)

Jeanne MARSAU (1733)

 

GENEALOGIE DES MARSAU AU DEBUT DU XVIIIème SIECLE

 
 

Manieu MARSAU - Jeanne DESCARPIT
 
à TRISCOS

 

Bernard LARRUE - Jeanne DUPUCH
à LAULAN

 
 

 

 
 

Guillaume MARSAU  dit la BESOÜE
 
Né entre Nov. 1686 et Avr.1687
le 30 Sept.1767

 

    Marie LARRUE
Née vers 1693
le 17 Déc.1749

 
   

Mariés à BALIZAC le 12 Sept. 1713

   

Jeanne
Née le
5.XI.1714
épouse
Guillaume DEPART
le 7.2.1736

en 1737

 

Étienne
Né 9.X.19

 

Mathive
Née le
24.X.1721
reste
célibataire
après Sept1759

 

Pierre MARSAU
dit de la BESOÜE
Né le 16 Avr.1724
Épouse
Pétronille
DUPEYRON
le 4 Février 1741
23 Therm. An 2

Marie
Née le
26.II.26
2.3.26

 

Jeanne
Née le
7.XI.27
 23.8.28

 

Jeanne
Née le
17.II.33
obiit

 

   

     

Jeanne DEPART
Née le 18.6.37
 le 18. XII. 39

 

   

Guillaume MARSAU
(1743)

Jean MARSAU
(1744)

          Jean MARSAU
(1746)

Guillaume MARSAU (1748)

André MARSAU (1753)

Guillaume MARSAU (1756)

Jeanne MARSAU (1757)

     

GENEALOGIE DES MARSAU A LA FIN DU XVIIIème SIECLE

 

Guillaume MARSAU - Marie LARRUE
à TRISCOS

Jean DUPEYRON - Anne DUBOURG
    
à LEOGEATS

Pierre MARSAU  Dit de la BESOÜE
Né le 16 Avril 1724
 23 Thermidor An 2

Pétronille DUPEYRON
Née le 24 Avril 1718
 
le 12 Mars 1768

Etienne FERRAND 
1723 /1787
  
Marie CABIROL
1727  / 1767
Mariés à BALIZAC le 4 Février 1741

 

                     

Guillaume
1743

Jean
1744 / 48

Jean
1746 / 49

Guillaume
1748 / 56

André
1753 / 1780

Guillaume
1755 / 56

Jeanne MARSAU
Née 30 Janv.1757
ler Août 1829

Bernard FERRAND
Né le 23 Mars 1756
28 Brumaire An 11

           

Mariés à BALIZAC le 9 Février 1782

                                     

Pierre
1782

 

Etienne
1783

 

Etienne
1791 / 96

 

Jeanne FERRAND
Née le 24 Août 1793
le 15 Mars 1854
épouse
Pierre
DARTICOLLES
à BALIZAC  
le 14 Juin 1810

Jeanne FERRAND
An II - 1863
Épouse BRUN 
à BUDOS

 

TABLE DES MATIERES  ANALYTIQUE

LES MARSAU

Histoire d'une Famille de Laboureurs au Quartier de TRISCOS

Deux siècles de vie quotidienne à BALIZAC (1610-1829)

AVANT PROPOS : Page 1

Chapitre l 
LES MARSAU AU XVIIème SIECLE; PEY MARSAU ET SES ENFANTS 

Page 2

Les Origines :  Les nombreuses branches MARSAU.

Page 2
Le pont de BALIZAC : 
Pourquoi un pont de pierre à BALIZAC ? Description de ce pont. Appel d'offres à BORDEAUX. Premiers travaux, premiers déboires; expertise.
Page 3
Pey MARSAU : 
De sa jeunesse à l'âge mûr. Son mariage avec Jeanne DESPEYS. Ses enfants. Le jeu des prêts et des dettes.
Page 6 
La famille de Pey MARSAU :  Page 7
Procès et transaction avec la Dame de VICOSE : 
Procès fleuve devant divers Parlements. La transaction de 1656. Les redevances et les corvées. Pey MARSAU "Fabriqueur" de l'Eg1ise de BALIZAC. Son implication dans un nouveau procès avec la Dame. LOUIS XIV à CAPTIEUX, le tremblement de terre de 1660.
Page 8 
Les dernières années de Pey MARSAU : 
Maladie probable de Pey. Sa mort en Octobre 1663. Dépôt de son testament. Jean, son fils ainé devient tuteur de son frère cadet. Jean liquide les affaires de son Père.
Page 11
La gestion de Jean et le conflit avec son frère Manieu : 
Mariage de Marie MARSAU en 1667. Mariage d'Endrine MARSAU en 1673. Conflit d'intérêts avc PUDAL, le mari de Marie MARSAU. Mariage de Miramonde MARSAU en 1677. Les deux frères Jean et Manieu commencent à se dresser l'un contre l'autre. Jean abuse de la confiance de son frère Manieu en lui faisant accepter un contrat léonin. Manieu se ravise et attaque ce contrat en justice. Il obtient gain de cause.
Page.12
La liquidation de la succession de Pey MARSAU : 
La succession de PEY MARSAU sera partagée en deux lots (Octobre 1681). Le partage de la maison familiale. Solde de tous comptes.
Page 15
Lecture juxtalinéaire d'un extrait du partage des biens de :
 feus Pey MARSAU et Jeanne DESPEYS : 
Page 16
Le mariage de Manieu MARSAU avec Jeanne DESCARPIT . 
La famille DESCARPIT. Le contrat (Janvier 1682) . La dot de Jeanne. 
Page 18
Le testament et la fin de Manieu MARSAU : 
Son testament ( 1684) . Il recouvre la santé. Sa femme est enceinte. Il retombe malade. Il rajoute un codicille à son testament pour tenir compte de l'enfant à naître. Il meurt (Novembre 1686) avant cette naissance.
Page 21
Inventaire des meubles de la maison de Manieu MARSAU :  Description de la maison, de son mobilier et des dépendances. Examen critique de cet inventaire. Page 22
Extrait de l'inventaire des meubles de Manieu MARSAU :  Page.23

Chapitre 2

Page 27
JEANNE DESCARPIT ET SES ENFANTS JUSQU'A LEUR MARIAGE ( 1686 - 1713 ):  Page 27
Jeanne prend ses affaires en main : Naissance posthume de Guillaume (1687). 
Jeanne connaît des moments difficiles. Elle fait entériner par la Justice sa désignation en qualité de tutrice de ses enfants. Elle parvient à régler la part qui lui incombe dans la dot de sa Belle Soeur Endrine (1689). Elle est totalement intégrée dans le "clan" MARSAU.
Page 27
Extrait du jugement de tutelle investissant Jeanne DESCARPIT de ses nouvelles fonctions :  Page 28
Les temps difficiles de la fin du siècle : 
Succession de mauvaises récoltes. Les jardins potagers, les légumes, le chanvre et son importance. Les disettes et la résignation populaire ; réflexion sur l'évolution des mentalités dans le siècle à venir. Création du nouvel impôt de la Capitation. Passage du Roi d'ESPAGNE à PREIGNAC.
Page 31
Le Grand Hiver de 1709 : 
Un extraordinaire enneigement. Cinquante jours de températures négatives battant tous les records. La famine. Les dégâts sont immenses et durables. La pénurie de bois et de résine pour plus d'une génération.
Page 34
Guillaume MARSAU arrive aux affaires : Guillaume engage une procédure de retrait lignager. Il procède à quelques petits achats de terres. Il se fait concéder une nouvelle tenure par son Seigneur, le Marquis de PONS (1712). Les redevances correspondantes. Information de la population locale sur les deuils qui frappent la Cour de FRANCE. Le carnet des redevances féodales des MARSAU (1713-1784). Tentative d'estimation de leurs propriétés. Page 35
Le temps des mariages : 
Au terme de la tutelle qu'elle a exercé sur ses enfants Jeanne DESCARPIT procède au partage du patrimoine familial selon les règles posées par son défunt mari. Le partage (1713), analyse critique de son détail en matière de meubles et d'effets. Contrats de mariage de Jeanne MARSAU avec Etienne CALLEN (4 Mai 1713) et de Guillaume MARSAU avec Marie LARRUE (7 Juin 1713). Les deux mariages le même jour (12 Septembre 1713).
Page 39

Chapitre 3

 
GUILLAUME MARSAU ( 1687 - 1767  Page 43
Une bien mauvaise affaire : Guillaume est débouté de sa demande en retrait lignager. Il n'insiste pas. Page 43
La vie à TRISCOS au fil des jours : 
Naissance de Jeanne MARSAU, fille de Guillaume. Évolution des mentalités.
Page 44
Guillaume MARSAU règle la dot de sa soeur : 
Guillaume doit cette dot mais ne dispose pas des fonds nécessaires pour la payer. Il mobilise ses moyens et procède à un premier versement (1718), puis à un second (1719) pour solde de tous comptes.
Page 45
Le temps des enfants : Décès du Curé De ROCHE. Naissance d'Étienne MARSAU, puis de Mathive, de Pierre , de Marie, de Jeanne et encore d'une autre Jeanne. Page 46
La Famille de Guillaume MARSAU (Tableau) :  Page 47.
Guillaume MARSAU revendique la dot de sa femme : 
La Famille LARRUE, au bout de dix ans, n'a encore rien versé de la dot de Marie son épouse. Pire, elle commence à vendre des propriétés foncières. Guillaume commence à réagir.
Page 48
Les comptes du Curé Etienne DUFOUR : 
Le système de l'impôt écclésiastique, la Dîme, les Quartières et les Pouillés. Evaluation du revenu de la Dîme de BALIZAC par son Curé. Examen critique de ces chiffres. Evaluation des charges supportées par le Curé ; les contestations qu'elles suscitent. L'hiver de 1728.
Page 49
Guillaume MARSAU figure au nombre des notables locaux : 
Les Assemblées Capitulaires et la gestion des affaires paroissiales. Les Syndics. La collecte des impôts royaux. Désignation d'un Syndic Fiscal permanent (1731). Guillaume figure parmi les notables ayant droit de vote. Dans le même temps, il relance l'affaire de la dot de sa femme, toujours en suspens.
Page 52
Guillaume relance sa belle-famille à LAULAN : 
Il a gagné tous les procès engagés, il fait saisir les biens des LARRUE, mais il se laisse fléchir et accorde un délai dont les LARRUE profitent pour ne rien faire... Nouvelle saisie arrêt (1733).
Page 54
Guillaume MARSAU dans son rôle de Père de Famille : 
Il devient tuteur de deux de ses Petits Cousins, petits enfants de sa Tante Miramonde (1734) . Sa fille aînée Jeanne MARSAU épouse Guillaume DEPART à MOULIEY (1736). Il devient Grand Père (1737), mais Jeanne ne survit pas (1737) et sa petite fille meurt à son tour (1739).
Page 56 
Les Balizacais en butte aux sollicitations des Preignacais: 
Les Preignacais veulent obtenir une participation des Balizacais aux frais d'amélioration du chemin royal de BORDEAUX à LANGON à la traversée de leur Paroisse (1735). Les Balizacais ne sont pas du tout d'accord et le disent nettement. Par ailleurs, les impôts seigneuriaux de 1737 sont doublés du fait du décès du Seigneur.
Page 58
Guillaume récupère enfin l'essentiel de la dot de sa femme: 
Il relance sa saisie arrêt et finit par obtenir gain de cause.
Page 59
La succession de Jeanne MARSAU, épouse DEPART : 
Jeanne est morte, sa fille aussi, la dot qu'elle avait apportée n'a plus lieu de rester dans la famille DEPART. Elle est restituée, sous réserve des frais d'obsèques (1739). Guillaume n'a plus que deux enfants.
Page 61
L'affaire de la Lande de CANTAU : 
BALIZAC, BUDOS et GUILLOS se disputent cette Lande; long procès très coûteux (1758).
Page 62
Le Curé DUFOUR tient la banque : 
Il prête de l'argent à diverses personnes; ses moyens sont donc probablemment supérieurs à ceux dont il rend compte à son Archevêque.
Page 63
La Fabrique paroissiale de BALIZAC reçoit un héritage : 
La Fabrique paroissiale, son Fabriqueur et ses ressources. Elle reçoit un héritage, mais il faut un procès pour le récupérer.
Page.64
Des problèmes de santé : 
Les épidémies frappent à la porte des MARSAU. Guillaume se trouve en danger de mort et dicte son testament (1742). Ce que prévoit ce testament. Le rétablissement de Guillaume.
Page 66
Guillaume Marsau défend ses droits : Page 67
Au hasard de l'actualité Page 70
La paroisse de Balizac change de curé Page 76
Heurs et malheurs chez les Marsau Page 80
Balizac change de syndic de fabrique - l'affaire des cloches Page 83
Enquête sur le péage de Castelnau Page 87
Le printemps de 1755 Page 91
Guillaume Marsau est de nouveau grand père Page 92
Un accident de circulation : 
Un cavalier est écrasé à TRISCOS par une charrette. Enquête.
Page 92
Heurs et malheurs de la Famille MARSAU, suite : 
Guillaume achète une pièce de terre. Il perd ses deux derniers petits enfants en deux jours (1756), sur les six, il n'en a plus un seul. Naissance de Jeanne, la septième (1757). Tremblement de terre (1759). Guillaume se voit perdu et va dicter un nouveau testament (1759). Analyse des dispositions de ce texte. Description du minimum vital estimé nécessaire à sa fille adulte pour la rendre indépendante. Guillaume survit, mais semble être resté malade.
Page 93
Ainsi allait la vie quotidienne à BALIZAC : 
Absence d'instruction primaire ; personne ne tient à l'organiser. L'année 1760 est mauvaise et les temps sont durs. La supression de la Fête de la St PIERRE à BUDOS, vives polémiques. Gestion écologique de la forêt. Protection des chênes et des taillis. L'honneur d'une fille, procès en diffamation à TRISCOS (1765). Pénuries de fourrages; des solutions étaient possibles, mais, par routine, elles ont été rejetées. Le grand hiver de 1766. Les gelées printanières de 1767, leurs
conséquences, enquête.
Page 97
La fin de Guillaume MARSAU : 
Un nouveau litige de voisinage (1763). Le procès est évité. Guillaume meurt (1767).
Page 105

Chapitre 4

 
PIERRE MARSAU ( 1724 - An 2) :  Page 107
La jeunesse de Pierre MARSAU : 
Sa place dans la fratrie. Son mariage à moins de 17 ans avec Pétronille DUPEYRON qui en a 23 (1741). Le caractère insolite de ce mariage.
Page 107
Le mariage de Pierre MARSAU : 
Le contrat à LEOGEATS. La famille qui y assiste. La dot de la mariée. Fiançailles à LEOGEATS, mariage à BALIZAC.
Page 108
Extrait du contrat de mariage de Pierre MARSAU et de Pétronille DUPEYRON :  Page 109
Pierre et Pétronille, le temps des enfants : 
Ils vont avoir sept enfants et n'en garderont qu'un, Marie, la seule fille, laquelle assurera la descendance. Le dernier garçon survivant, André mourra à 27 ans célibataire (1780) .
Page 111
La Famille de Pierre MARSAU, dit Pierre de la BESOÜE :  Page.112
La fin de Pétronille DUPEYRON : 
Son testament (1768). Les dispositions qu'il comporte. Sa mort. Elle n'aura été "maîtresse" chez elle que pendant cinq mois de sa vie. Exécution de son testament.
Page 113
Quand la nature se déchaîne : 
L'ouragan de Notre Dame (8 Septembre 1768). Ses conséquences. L'Aygat dons Rameous (7 Avril 1770) . L'arrivée de la pomme de terre (1769); son insuccés. Gelées printanière de 1771 ; il neige à la mi-A
Page 116
L'insécurité à TRISCOS : 
Le vol d'un gilet rouge. On le retrouve par hasard, mai: deux nouveaux cambriolages se produisent. Il y a un témoin, L'affaire Jacques DOUELLE commence. On le capture, on l'interroge, il s'évade, on le reprend, il s'évade de nouveau. Enquête sur enquête.
Page 118
Le clan des MARSAU se dresse contre les FAURENS : 
Encore une affaire de droit de passage à TRISCOS. Les MARSAU, toutes branches de la Famille réunies prétendent avoir un droit immémorial à traverser tout droit un terrain appartenant aux FAURENS. Ceux-ci le contestent et ferment ce passage en ménageant un itinéraire contournant le terrain. Un procès s'engage (1772) et se développe de rebondissement en rebondissement, avec transport de Justice sur les lieux, pendant au moins trois ans.
Page 122
La famine de 1773 et la catastrophe de l'épizootie de 1774 : 
Récoltes céréalières désastreuses en 1772, famine à partir de Mai 1773. Révoltes frumentaires à VILLANDRAUT (12 et 13 Mai 1773). Attaques, bagarres et déroute. Épizootie venue de BAYONNE (1774). Suspension des foires et marchés aux bestiaux. Mesures draconiennes. Rien n'y fait. L'Eglise prescrit des prières publiques (1775). Extinction du mal (1776). Conséquences catastrophiques.
Page 125
Faits divers et vie quotidienne à TRISCOS : 
Avènement de LOUIS XVI (1775). Les récoltes sont bonnes. Une affaire de diffamation entre bouviers de TRISCOS pendant un charroi faisant étape à BERNADET (1776) . Une mort subite au cours d'un charroi de vin sur un chemin tout près de TRISCOS (1777). Enquête et examen de la victime. Mort d'un loup à SAINT LÉGER aux confins de BALIZAC (1777). Le problème des incendies criminels ; l'écobuage; la triste expérience de Pierre MARSAU (1777). Pierre MARSAU échange des boeufs contre de la terre. BALIZAC et ses meuniers.
Page 127
Une bien mauvaise affaire : 
Une approche du patrimoine de Pierre MARSAU. Bois et résine. Prix des bois. Pierre MARSAU vend une grosse coupe de pins à Étienne FERRAND Cadet (1780) . Mais celui-ci s'avère être un bien mauvais payeur. L'affaire est portée devant la justice. FERRAND se dérobe et use de procédés dilatoires. MARSAU confie la poursuite de son procès devant le Tribunal de NOAILLAN à un cousin qui est sur place. C'est une erreur, l'affaire s'enlise. Le temps passe, il la reprend en main. Il fait saisir FERRAND qui procède à un premier versement et demande un délai que MARSAU lui accorde. Mais FERRAND joue l'usure, il finit par être au pied du mur. Finalement il ne règlera sa dette qu'en assignats dévalués au cours de la Révolution.
Page 135
Pierre MARSAU marie sa fille Jeanne : 
Jeanne reste seule descendante de la Famille, elle va avoir 25 ans (1782). Elle va se marier avec le septième fils du meunier FERRAND. Le septième, toujours un peu sorcier... Contrat de mariage à TRISCOS. C'est le gendre qui viendra à TRISCOS et qui apportera une dot. Fiançailles et mariage (1782).
Page 140
Pierre MARSAU se retrouve au coeur d'un litige pastoral 
Les habitants de BERNADET font interdire l'accès de leurs pâturages aux bestiaux de TRISCOS. La Justice se prononce en ce sens (1781). Le troupeau des MARSAU est surpris au pacage au ROUCHOULA (1782). Plainte est déposée. Enquête. Les habitants de TRISCOS se mobilisent et contre attaquent en Justice.
Page 142
La vie chez Pierre MARSAU au jour le jour : 
Naissance rapide d'un premier enfant chez Jeanne MARSAU ; il ne survivra pas. Quelques ennuis de santé, mais nous ne savons lesquels. Quittance de l'Officier de Santé (Page 145) . Pierre achète coup sur coup plusieurs parcelles de terre. Naissance d'un second petit-enfant qui ne survivra pas davantage. Le jeune couple attendra huit ans la naissance du troisième.
Page 144
 Au fil des jours : 
Injures et agressions à MOULIEY (1783). Violences graves à ORIGNE. Enquête. Arrestation pour vol à SAINT SYMPHORIEN (1784) .
Page 147
Des hommes qui montent au ciel : 
Premières expériences d'aérostation à BORDEAUX (1784).
Page 149
La vie à TRISCOS les pieds sur terre : 
Nouveaux achats de parcelles. Te Deum pour la naissance du futur LOUIS XVII. Arnaque au cabaret de TRISCOS (1785).
Page 150
Un peu de géographie locale : 
Superficies dévolues aux cultures. Extrait de la Carte de BELLEYME à l'échelle approximative du 1/25.000ème (Page 154). Les chemins de l'époque.
Page 152
Beaucoup de bruit pour rien : 
Quelques pins coupés par erreur en bordure de la forêt du Seigneur (1786) . Une affaire dérisoire démesurément gonflée et aussitôt dégonflée.
Page 153
Pierre MARSAU l'emporte dans un conflit avec l'administration: 
Pierre a été désigné comme séquestre d'une saisie en 1782. Le Sergent Royal conteste le montant de ses frais. Un procès est engagé et, d'appel en appel, va jusqu'au Parlement de BORDEAUX. Cela dure cinq ans. Pierre MARSAU gagne à tous les niveaux sur toute la ligne. Les frais de Justice sont énormes.
Page 155
BALIZAC reçoit un nouveau Curé : 
Le Curé ROUDES meurt au début de 1788. Son successeur est Jean Antoine PRADIER. Sa prise de possession de la Cure.
Expertise de l'état du presbytère. Des travaux assez importants y sont nécessaires.
Page 157
Pierre MARSAU a bien du mal à récupérer la dot de son gendre: 
A la mort d'Etienne FERRAND, Père de son Gendre, les 1500 Livres de sa dot ne sont toujours pas payées. Partage de la succession d'Etienne, leur Père, entre trois des frères FERRAND. Les MARSAU attendent toujours d'être payés et rien ne vient. Procès, et procès gagné, mais le Tribunal de CASTELNAU est supprimé avant exécution de la sentence. FERRAND en fait appel devant le nouveau Tribunal de BAZAS. Les MARSAU l'emportent de nouveau. Ici encore, les frais sont considérables. L'affaire est enfin liquidée en Février 1793.
Page 159
Les dernières années de Pierre MARSAU : 
Il poursuit sa politique d'achats de petites parcelles. Un conflit de bornage avec les MARSAU CALEBIN (1788), il l'emporte. Le grand hiver de 1788/89, ses conséquences. Mauvaises récoltes successives en 1788 et 1789. Famine générale. Élection des Députés aux États Généraux. Les notables locaux l'emportent partout. La Grande Peur de Juillet 1789. Pierre MARSAU achète encore d'autres parcelles. La Terreur. Il meurt juste à sa fin, à l'âge de 70 ans. Il lui reste une fille et une petite-fille.
Page 162

Chapitre 5

 
JEANNE MARSAU (1757 - 1829 : 
Sa naissance à TRISCOS (1757). Son mariage avec Bernard FERRAND (1782) ; naissance et mort de ses premiers enfants. Naissance de Jeanne FERRAND Aînée qui survivra (1793), puis d'une autre Jeanne, Cadette, qui survivra également.
Page 166
La Famille de Jeanne MARSAU :  Page 167
Jeanne MARSAU devient meunière : 
Bernard FERRAND veut un moulin. Dans ces temps de disette ce peut être bien utile. Le marché de VILLANDRAUT est déserté. Il fait construire ce moulin à TRICOS, sur le Ruisseau d'ORIGNE. Il est très mal construit ; des travaux importants s'imposent dès sa mise en service. L'hiver de 1794/95. De nouveaux travaux sont nécessaires au moulin. Bernard FERRAND le donne à ferme à des cousins. Cela ne marche pas. Il le reprend à son compte (1800) et va y habiter avec sa famille. Mais il y meurt très vite (1802) à 46 ans et sans avoir désigné sa femme comme tutrice de ses enfants.
Page 168
Jeanne MARSAU prend ses affaires en main : 
Jean FERRAND son Beau-Frère, le seul sur lequel elle puisse compter prend le moulin de TRISCOS à ferme. Le contrat de fermage porte la marque de Jeanne. Elle a besoin d'argent. Elle vend quelques parcelles. Elle liquide les comptes pendants.
Page 171
Jeanne MARSAU et ses deux filles : 
Elle obtient la tutelle de ses deux filles sans trop de difficultés. il n'y a pas d'inventaire.
Page 173 
Arrêté des comptes des MARSAU avec Mlle DURAND :  Page 174
La charge du moulin de TRISCOS et la situation matérielle de Jeanne MARSAU : 
Le moulin de TRISCOS n'est pas rentable. Jean FERRAND renonce à la ferme qu'il a prise. Raison probable de cette absence de rentablité. Jeanne MARSAU vit des temps difficiles. Tentative d'explication de cette situation.
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Jeanne MARSAU marie sa fille Aînée à Pierre DARTIGOLLES 
Les DARTIGOLLES et leur position à TRISCOS. Jeanne, fille aînée, se marie très tôt, elle a 16 ans ½ . Pourquoi ? Les singularités de ce mariage ; lieu du contrat, son contenu (rejet du régime dotal et de communauté). La jeune épouse n'apporte rien. La date insolite de la célébration (14 Juin 1810). Naissance de Guillaume DARTIGOLLES (1812), filleul de son oncle, son parfait homonyme, avec lequel il ne faut pas le confondre.
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Jeanne MARSAU marie sa seconde fille et règle la succession de son défunt mari : 
La Cadette épouse Jean BRUN, de BUDOS (1818), dans le respect des traditions locales que le mariage de sa soeur avait bousculées. Il faut encore faire des réparations au moulin de TRISCOS. C'est Pierre DARTIGOLLES, son gendre, qui avance les fonds nécessaires. Jeanne MARSAU partage les acquêts de son mariage entre ses filles. Les DARTIGOLLES rachètent la part des BRUN. Explications.
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Le testament et les dernières années de Jeanne MARSAU : 
Singularité de ce testament rédigé en l'Etude du Notaire de LANDIRAS. Elle avantage sa seconde fille d'un tiers de ses biens au détriment de l'Aînée; les raisons qu'elle donne de ce choix sont peu claires. Tentative d'explication et hypothèses sans conclusion possible. Mort de Jeanne MARSAU (1829).
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Liquidation de sa succession. Ici encore, les DARTIGOLLES rachètent leur part aux BRUN. Evaluation du patrimoine des MARSAU. La fusion des MARSAU et d'une branche FERRAND dans la famille des DARTIGOLLES.  
Généalogie des MARSAU au XVIIème siècle (Tableau) :  Page 185
Généalogie des MARSAU au début du XVIIIème siècle : Page.186
Généalogie des MARSAU à la fin du XVIIIème siècle Page.187

Réalisée le 6 janvier 2014

André Cochet

Mise sur le Web en  janvier  2014

Christian Flages.