.

Recueil      
  des      
    Brochures et écrits 
     

publiés

 
   

depuis 1839 jusqu'à ce jour  (1880.)

   

Henry de Lur-Saluces.

Dates.

Titre. Pages.

10 oct. 1877

Lettre 

337/342

 au rédacteur de

"La Gazette de France".

Qui avait renouvelé l’attaque au sujet de la préface de ma notice « à mes neveux, à mon fils, 
voir précédemment page 300

Monsieur,

Je réponds à votre article du 9 octobre.

Montesquieu a écrit : « Lorsque les Anglais veulent parler d'un mensonge plus noir que tout autre, ils disent : Ceci est jésuitiquement faux. »

Votre article est dans ce cas, puisque vous attribuez et appliquez au temps présent une opinion émise par moi et s'appliquant évidemment au passé, et que vous concluez d'une façon qui m'outrage.

Déjà, le 9 février 1876, j'ai répondu à la Guienne qui avait écrit absolument ce que vous écrivez aujourd'hui

Oui et cent fois oui, le dévouement au roi a été une sublime chose, lorsque le roi pouvait dire : l'État c'est moi, lorsque le roi et la patrie ne faisaient qu'un.

J'ai à plusieurs reprises exprimé mon désespoir de ce qu'une séparation violente ait eu lieu entre eux. Mais cette séparation est accomplie depuis longtemps.

Elle était sans appel à mes yeux dès 1830.

Page 338

Dans une brochure écrite en 1841, après avoir expliqué comment un rapprochement eut pu avoir lieu en 1814 entre l'ancien et le nouveau régime, j'ajoutais:

 

« Mais ce qui est hors de doute, ce qui est positif, ce qui devrait être évident, même aux yeux de ceux dont l'esprit sommeille, c'est que la lutte une fois engagée la Révolution accomplie, l'ère nouvelle, le point de départ de tout gouvernement en France doit être cette Révolution, parce qu'avec elle ont pris naissance, parce que sur elle reposent les droits civils et politiques de la généralité des citoyens, parce qu'elle efface les derniers souvenirs, les dernières traces de servitude que l'invasion des Francs avait laissées après elle !...

Et si le retour du duc de Bordeaux est à jamais. impossible, c'est parce que ce prince, d'abord par sa naissance, mais bien plus encore par les fautes de ses partisans, représente la contre-Révolution, ainsi que la série, d'opinions, d'intérêts et de sentiments qui en sont la suite et pour lesquels l'antipathie de la nation ne saurait être douteuse.»

 

Il me semble, que cela est clair et précis, et parle du temps présent et non du temps passé. De plus, en 1848, j'ai fait divers paris (payés par les actionnaires de la Guienne, qui ont fait dans cette occasion notamment une nouvelle mauvaise affaire) se montant à plus de 20,000 francs, paris échéant à dix ans de date (en 1858) et qui établissaient l'impossibilité de la restauration de la royauté légitime.

Encore aujourd'hui, je propose de renouveler le même pari en le portant à 50,000 francs et à l'échéance du 1er janvier 1888.

Vous voyez donc, Monsieur, que ma conviction est entière. 

Page 339

Cette conviction repose sur l'examen de l'ensemble des faits et ne saurait m'empêcher en aucune façon de rendre hommage aux mérites et aux services rendus autrefois par la royale maison de France.

Dans cinquante ans, je suis certain qu'on ne parlera d'elle qu'avec le respect qu'elle mérite.

Son illustre chef, en tête, sera particulièrement apprécié ; car, s'il eût été ambitieux et égoïste comme d'autres prétendants, aurait pu susciter bien des troubles et être cause de nouveaux malheurs.

Mais quand un peuple renverse une dynastie plusieurs fois séculaire, il ne la relève point.

Ainsi, les Mérovingiens, les Carolingiens en France, les Stuarts en Angleterre, les Vasa en Suède, précipités du trône, n'y sont point remontés.

Si la branche d'Orléans a eu son heure, c'est qu'elle était la Révolution française couronnée et fixée.

Ce n'est pas la Gazette de France qui dira le contraire, car elle a imprimé plusieurs fois: « L'Orléanisme, c'est la Révolution. »

Aujourd'hui, la question est simplifiée : il s'agit de savoir si l'on veut fonder la République on si l'on veut appeler au trône une quatrième dynastie ?

 Il me semble qu'il n'y à pas d'hésitation possible, non seulement de la part des hommes qui croient les principes de la Révolution appelés à faire le tour du monde mais même de la part de ceux qui, disposés à suivre les conseils de la Gazette de France, ont invoqué avec elle, depuis quarante sept ans, la liberté comme, étant le droit de tous.

En résumé, Monsieur, j'ai, depuis 1830, écrit quatre cents pages environ sur la politique ; ma prétention absolue est d'être resté, dans tous ces écrits, d'accord avec moi-même, et mon intention est de les réunir en volume afin d'en donner la preuve à qui la voudra.

Page 340

Je dis en outre qu'il n'est pas loyal de la part du plus ancien journal de France de détacher une phrase isolée d'une brochure qui n'avait d'autre but que de constater les services rendus au pays par mes prédécesseurs, et de conclure de cette phrase, qui s'adresse au passé, que je conseille à mes neveux et à mon fils d'être de voués à la monarchie.

Il est bien évident que si j'avais eu cette pensée, je l'eusse clairement exprimée lorsque je rappelle, dans cette même brochure, les services rendus à cette cause par mon père et mon oncle.

Je raconte et n'ajoute rien. Or, si j'avais cru utile un semblable conseil, certes je n'eusse pu trouver de meilleurs exemples et, j'ose le dire, de plus glorieux ; car, chez eux, dévouement et désintéressement ont composé leur vie entière.

Pour moi, Monsieur, je suis convaincu que le parti royaliste tout patriote qu'il est quant aux intentions, n'a eu, n'a et n'aura d'autre rôle que de rendre plus difficile l'établissement d'un gouvernement régulier dans la France nouvelle. Et voilà pourquoi j'ai résolument rompu avec lui, quels que fussent mes liens et mes affections.

De la bataille de Nazerby à celle de Culloden, il se trouve un espace de cent dix ans, pendant lesquels les partisans des Stuarts ont en mille occasions différentes lutté contre la fondation du gouvernement de la libre Angleterre.

Croyez vous qu'il soit sage de suivre leur exemple ? Je ne le pense pas.

Les Anglais ont fondé une République aristocratique, dans laquelle le roi n'a pas le pouvoir qu'a notre président.

Page 341

Les éléments étant tout autres en France, nous fonderons une République démocratique, qui répondra à ses détracteurs en donnant au pays une prospérité et une somme de libertés inconnues jusqu'à nous.

Voilà, Monsieur, ce que nous espérons et ce que réaliseront les 363 députés de Gambetta, comme il vous plaît de les appeler, si la France continue à avoir confiance en eux.

Maintenant, je joins à ma lettre quelques circulaires. anciennes où vous pourrez trouver la preuve que mes opinions n'ont point varié.

Mais permettez-moi de vous dire qu'un journal aussi considéré que le votre dans un parti qui a la prétention, très légitime assurément, d'être un parti loyal, devrait, quand il attaque un adversaire, attaquer les opinions vraies de cet adversaire et non celles qu'il se plaît à lui supposer en ne citant qu'une phrase détachée.

Ainsi, par exemple, M. de Chateaubriand a écrit à propos de la Révolution de Juillet :

« Je ne m'apitoie point sur une catastrophe provoquée ; il y a eu parjure et meurtre à l'appui du parjure: je l'ai proclamé le premier, etc... »

Et quelques lignes plus loin :

« Mais, parce qu'on rencontrait une opposition constitutionnelle dans une Chambre qui a depuis prouvé qu'elle n'était ni factieuse ni républicaine, sous le prétexte de conspirations qui n'existaient pas, priver toute une nation de ses droits, mettre la France en interdit, c'était une odieuse bêtise qui a reçu et mérité son châtiment.»

Si cette entreprise de l'imbécillité et de la folie eût réussi, pendant quelques jours le sang eût coulé, etc... »

N'est il pas certain qu'en se bornant à cet extrait, on pourrait dire que M. de Chateaubriand était un ennemi de la Restauration, alors que, dans l'ensemble de ses écrits, il en a été le plus sincère et le plus éloquent défenseur ? 

Page 342

Or, Monsieur, si au lieu d'une seule phrase, vous aviez cité la préface entière, qui n'aurait pas occupé une de vos colonnes, j'ose dire qu'auprès de vos lecteurs elle eût pris ma défense et rendu odieuse la fin de votre article.

En effet, cette préface est un appel à l'amour de la patrie, qu'elle place avant tout. Et je puis affirmer que, dans ce moment même, c'est ce sentiment seul qui me soutient et m'anime au milieu de la mêlée, de l'injustice et de la violence des partis !!!

 

Henry de Lur Saluces.

 

 

Table des matières.

 

Réalisée le 10 septembre  2005  André Cochet
Mise sur le Web le  septembre  2005

Christian Flages