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Recueil      
  des      
    Brochures et écrits 
     

publiés

 
   

depuis 1839 jusqu'à ce jour  (1880.)

   

Henry de Lur-Saluces.

Dates.

Titre. Pages.

11  août  1877

Lettre 

325/329

 au rédacteur du 

"La Gironde".

 

Monsieur,

Les défenseurs du ministère du 16 Mai n'ont point cessé, depuis bientôt trois mois, de déverser l'injure et la calomnie sur les membres de la majorité de l'Assemblée dissoute ; ils se sont servis, dans ce but, de tous les moyens de publicité ; l'inerte et soporifique Bulletin des Communes lui-même a été un moment, comme galvanisé par leur souffle et a lancé sa part de venin !...

Certes, on ne saurait dénier à ceux qui sont ainsi attaqués le droit de se défendre, ils l'ont déjà fait ; ils continueront, s'il plaît à Dieu, à le faire, et ils le ferons victorieusement, je n'en doute pas ; car l'opinion publique, juge souverain et en dernier ressort, finit toujours, quand elle connaît la vérité, par donner raison à qui de droit.

Ma confiance est donc entière.

Toutefois, il faut, pour éclairer l'opinion, non seulement des raisonnements justes mais encore des faits à I'appui.

Essayons d'en grouper quelques uns.

Et d'abord, quelles ont été les accusations réitérées des ennemis de la majorité ?

Ils ont prétendu que les républicains voulaient détruire les grandes. institutions du pays, l'armée, les finances, la magistrature.

Page 326

Voici sur ces diverses questions les témoignages que je suis en mesure de rendre :

On sait que chaque mois la Chambre nomme une commission d'initiative parlementaire composée de vingt deux membres, laquelle est chargée d'examiner les propositions de loi que chaque député a le droit de déposer.

Elle décide quelles seront celles qui seront soumises aux délibérations de la Chambre ; elle écarte les autres.

Au mois de mars dernier, j'ai été désigné pour faire partie de cette commission, et mes collègues m'ayant fait l'honneur de me nommer président, j'ai dû suivre avec une attention toute particulière le sort de chacune d'elles.

La première dont je parlerai est celle de M. Antonin Proust, tendant à augmenter les retraites des officiers.

La commission a été unanime pour approuver la pensée de la proposition, qui est d'assurer un honorable repos à ceux qui ont consacré leur jeunesse, leur santé et leur liberté au service de la patrie.

Seulement, comme cette augmentation ne pouvait être obtenue, dans l'état actuel des finances, qu'au moyen d'une retenue sur la solde d'activité, il a été entendu que cette mesure arriverait à son heure lorsqu'on pourrait augmenter la solde, de manière à ce que le traitement d'activité pût bien être accru, mais dans aucun cas diminué.

De sorte que si on rapproche cette proposition de celle faite par M. Gambetta dans l'intérêt des sous-officiers, et si l'on veut bien se rappeler que ces honorables députés appartenaient non aux centres ou à la gauche, mais à la gauche avancée, on sera forcé de convenir que ceux qui soutiennent que les 363 veulent détruire l'armée, ou ignorent des choses, ou mentent effrontément.

Page 327

Passons aux finances.

L'honorable M. Ménier et plusieurs de nos collègues avaient demandé qu'il fût nommé une commission chargée d'étudier le régime fiscal de la France et de proposer les réformes à y apporter.

Certes, quelque optimiste que l'on soit, on peut bien convenir que tout n'est pas parfait dans nos lois de finances, et dès lors il ne paraissait pas qu'il y eût d'inconvénient grave a mettre à l'étude une question aussi intéressante.

Eh bien ! malgré cela, et après une discussion reprise à trois séances successives, la majorité de la Commission d'initiative a écarté la proposition pour les motifs, ci-après : elle a pensé qu'un système financier qui avait permis à la France de relever si promptement son crédit, après les désastres de 1870 et 1871, avait fait ses preuves, et qu'il était plus sage d'arriver à la suppression de certains impôts au moyen des excédants de recette que l'on devait attendre de l'esprit d'économie d'un gouvernement sincèrement républicain ; et qu'enfin le travail demandé était plutôt le fait d'un ou plusieurs économistes composant un livre dans le silence du cabinet, que celui d'une Commission parlementaire.

Cette résolution et ces motifs prouvent, ce me semble, l'extrême prudence de la Commission ; et si l'on ajoute que le plus grand nombre de ses membres appartenait à la Gauche ou à l'Union républicaine, on voudra bien reconnaître qu'il y a de l'impudeur à vouloir transformer ces hommes de bien en démolisseurs de profession.

Passons a la Magistrature.

Page 328

Une proposition très sage, à mon avis, avait été faite ; elle consistait à demander la création, dans chaque commune rurale, par voie d'élection, d'un Conseil de prud'hommes qui aurait à se prononcer sur les contestations des habitants entre eux.

Ces arbitres conciliateurs, auraient, selon toute probabilité, résolu amiablement la plupart des litiges et notablement réduit le nombre des affaires portées devant les juges de paix.

Néanmoins une Commission d'initiative antérieure à celle désignée ci-dessus ayant accueilli la proposition, et son examen ayant été soumis à une Commission spéciale, celle-ci a rejeté le projet, sans doute afin de ne pas compliquer les rouages judiciaires, et très probablement aussi pour ne pas introduire l'élection à la base de l'édifice.

La majorité dissoute, en effet, sait très bien la valeur de l'organisation actuelle de la justice ; elle sait très bien que la magistrature française est citée en Europe pour sa probité et ses lumières ; elle sait encore mieux que si quelque chose peut la faire descendre du rang où elle est placée, c'est le rôle politique que l'on a essayé de lui faire jouer depuis un quart de siècle, et bien plus encore celui que l'on voudrait lui imposer en ce moment !...

Donc, il est audacieux de prétendre qu'elle veut détruire cette institution.

Mais, patience ! le temps n'est pas loin où tous les esprits éclairés de France seront unanimes dans leurs sentiments de réprobation contre les quelques ambitieux qui ont apporté le trouble dans un pays où l'apaisement et le calme faisaient les progrès les plus évidents...

Au reste, ceux qui les ont secondés au début les condamnent déjà. On sème la vengeance et la tyrannie, leur disait le Constitutionnel ces jours-ci.

Le marquis de Franclieu, bien avant, a écrit à M. de Fourtou lui-même

« ... Il ne vous est pas permis d'affirmer en même temps que le respect des institutions qui nous régissent est la base constante de la politique du gouvernement.

C'est tomber dans une contradiction trop flagrante pour qu'on puisse prendre votre parole au sérieux. »

Et plus loin :

« Peu importe que la Constitution ait fait intervenir, sous le nom de Sénat, un pouvoir modérateur dont l'une des attributions est d'autoriser le Président de la République à renvoyer les députés devant leurs électeurs, pour que ceux~ci décident souverainement dans un conflit quelconque.

Toujours est-il que les électeurs sont les juges, et que le gouvernement devient un accusé dont il s'agit d'approuver les intentions et les actes, et que toute intervention de la part du pouvoir exécutif dans le choix des électeurs est la violation la PLUS AUDACIEUSE du Pacte fondamental. "

Voilà ce que pensent ceux qui étaient disposés à vous soutenir ; vous pouvez facilement deviner ce que pensent les autres... et avec non moins de certitude vous devez compter sur l'opinion définitive qu'auront de vous les honnêtes gens de l'avenir.

 

Table des matières.

 

Réalisée le 10 septembre  2005  André Cochet
Mise sur le Web le  septembre  2005

Christian Flages