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Recueil      
  des      
    Brochures et écrits 
     

publiés

 
   

depuis 1839 jusqu'à ce jour  (1880.)

   

Henry de Lur-Saluces.

Dates.

Titre. Pages.

22 avril  1872

Lettre 

262/264

 au rédacteur du 

"La Gironde".

 

Monsieur le rédacteur,

 

Vous témoignez votre étonnement de ce que je n'ai pas signé la lettre que plusieurs de mes honorables collègues du Conseil général ont envoyée à M. le Président de la République.

Voici ma réponse :

Depuis plus de trente ans, j'ai publié un grand nombre de circulaires et d'écrits politiques.

Je pense que ces écrits ont bien peu servi à propager les idées que je crois justes ; je les vois, en outre, perdus dans l'immense océan des élucubrations s'imprimant chaque jour et, dès lors je suis très porté à croire que Molière avait raison lorsqu'il conseillait aux honnêtes gens de résister à la tentation, de se faire imprimer.

Néanmoins, ils pourraient servir à prouver que j’ai toujours été conséquent avec moi-même. Or, j'aurais cessé de l'être si j'avais signé l'Adresse que vous reproduisez.

Selon mon appréciation, en effet, et par suite des circonstances dans lesquelles l'Assemblée nationale a été nommée, il m'a toujours paru qu'elle n'avait point le caractère d'une assemblée constituante. 

Page 263

Sa mission me paraît être de délivrer la France de l'ennemi, de payer le tribut qui nous a été imposé, de rétablir l’ordre matériel, et lorsque la patrie sera rendue à elle même, de convoquer une nouvelle assemblée, qui, elle, décidera de l'avenir du pays.

Nos représentants ont accepté la responsabilité de cette difficile entreprise.

S'ils la mènent à bonne fin, ils auront bien mérité du pays.

Si par leurs dissensions intestines, par leurs revendications intempestives, ils précipitent la France au fond de l'abîme dont elle a côtoyé les bords, ils seront assimilés à ces assemblées funestes, qui, dans d’autres temps et chez d'autres peuples, ont avivé l'anarchie, alors que leur mission était de la faire cesser !

 Mais, si le rôle de l'Assemblée se borne à délivrer le pays il n'y a pas lieu, pour ceux qui, comme moi ont toujours fait profession de respecter la volonté nationale, de demander ni à cette Assemblée ni à M. Thiers de fonder soit institutions républicaines, soit des institutions monarchiques, car ce serait leur demander de faire ce qui nous parait excéder leur droit.

Néanmoins, je suis convaincu qu'en présence des partis qui nous divisent, la République peut seule laisser subsister la liberté de discussion et le contrôle ; tout autre gouvernement ne pourrait se maintenir, qu'en imposant un silence absolu.

Il ne saurait, y avoir sur ce point, d'hésitation dans mon esprit, et je crois que tous les bons citoyens doivent unir leurs efforts pour conserver intacte la liberté, seule base vraie de la dignité humaine.

Au reste, voici ce que j'écrivais le 17 mars 1848, dans des circonstances qui avaient beaucoup de rapport avec la situation présente : 

Je n'ai, à vingt deux ans d'intervalle, rien à changer à ce qui précède ; seulement, l'état actuel de l’Europe me fait penser qu’il faut avancer très prudemment dans voie de la décentralisation, afin de ne point affaiblir le pouvoir, dont la force est nécessaire à la sécurité de la France.

Page 264

« Si l'assemblée nationale adopte, ainsi que le courant des idées l'indique, une constitution démocratique et républicaine, il importe qu'il soit fait, dans cette constitution, une large part aux administrations locales.

Il faut que presque toutes les fonctions publiques soient, ainsi qu'aux Etats-Unis, soumises à l'élection.

Il faut enfin que les attributions des conseils généraux soient étendues, de manière à ce que la plupart des dépenses reportées du budget de l'Etat à celui du département, puissent être votées et contrôlées par eux.

On comprend, en effet, qu'un gouvernement démocratique étant essentiellement mobile par sa nature, si sous ce régime les moindres places continuaient à être données et les moindres affaires décidées à Paris, le pouvoir serait constamment assailli par des chefs de parti, soutenus par l'armée innombrable des solliciteurs éconduits ; nous marcherions de révolution en révolution, et les départements seraient, encore plus que par le passé, la proie des ambitieux de la capitale.

Toutefois, la décentralisation administrative, qui serait la conséquence des idées qui précèdent, devrait être combinée de manière à ne diminuer en rien, en cas de guerre, l'action du pouvoir.

Dans ce cas, en effet, il importe que le gouvernement ait une latitude en quelque sorte dictatoriale, car la guerre doit être faite avec une grande vigueur pour être promptement terminée, et, afin que le pays puisse s'occuper sans retard, du développement de l'industrie et du travail dans la paix, conséquences vraiment logiques des principes de la révolution française ! »

Je n'ai, à vingt deux ans d'intervalle, rien à changer à ce qui précède ; seulement, l'état actuel de l’Europe me fait penser qu’il faut avancer très prudemment dans voie de la décentralisation, afin de ne point affaiblir le pouvoir, dont la force est nécessaire à la sécurité de la France.

   

 

Table des matières.

 

Réalisée le 10 septembre  2005  André Cochet
Mise sur le Web le  septembre  2005

Christian Flages