.

Recueil      
  des      
    Brochures et écrits 
     

publiés

 
   

depuis 1839 jusqu'à ce jour  (1880.)

   

Henry de Lur-Saluces.

Dates.

Titre. Pages.

22 février 1839

Circulaire 

37/55

Aux électeurs de l'arrondissement de la Rèole.

 

En me présentant à vos suffrages, je dois vous faire connaître non seulement mes opinions, mais les raisons sur lesquelles je les appuie.

Dans un gouvernement constitutionnel, tout citoyen qui  veut ou peut, à cause de la liberté que lui laissent ses propres affaires, s'occuper de celles de l'Etat, me semble devoir d'abord en agir ainsi, offrir ensuite ses services, et attendre.

En me déclarant hautement pour le gouvernement actuel, il m'importe d'être jugé avec impartialité par ceux de mes amis ou des personnes de ma connaissance qui ne partagent pas ma manière de  voir ; j'apprécie trop l'élévation de sentiments et la droiture de la plupart d'entre eux, pour ne pas attacher le plus grand prix à leur estime.

Page 38

Selon moi, la révolution de juillet a été un malheur pour la France ; mais cette révolution, juste dans son principe, est la conséquence naturelle et nécessaire des évènements qui l'ont précédée.

Cette révolution fut un malheur comme l'est et le sera toujours un évènement de ce genre survenant au milieu d'une société calme où les lois paraissent suffisantes pour réprimer à la fois le despotisme et l’anarchie, et substituant à ce calme le désordre des ambitions déchaînées, détruisant en un seul jour l'immense avantage de quinze années d'ordre légal, et rejetant ainsi dans le doute politique des milliers de citoyens qui commençaient à avoir foi dans le régime représentatif.  

Tels sont les maux causés par la révolution de Juillet ; mais faut-il en conclure que cette révolution n'a été ni juste ni légitime ? qu'elle ne peut être la base d'un gouvernement raisonnable ayant de l’avenir ?

Pour moi, je ne le pense pas, et j'en trouve la preuve dans l'histoire du demi siècle qui vient de s'écouler.

Si l'on examine les opinions qui ont précédé le mouvement de 89, on verra que toutes appelaient une réforme: les officiers étaient mécontents d'être commandés par des colonels sans expérience ; les parlements opposaient une résistance perpétuelle aux volontés du roi, suspendaient le cours de la justice, refusaient d'enregistrer les édits ; le clergé des campagnes était irrité de voir les riches bénéfices accordés à de jeunes abbés qui, pour la plupart, vivaient à Paris ; les grands seigneurs eux mêmes, mécontents d'avoir été forcés d'échanger leur indépendance contre le rôle de courtisans, faisaient de l'opposition et entouraient le duc de Choiseul, banni de Versailles; d'autres poussés par des sentiments plus généreux encore, avaient embrassé les idées philosophiques et demandaient l’abolition des privilèges.

Page 39

Si telle était la direction des esprits dans Ies classes qui dominaient alors, quelle devait être l'opinion des classes dominées ?

La réponse est facile, ce me semble. On peut donc affirmer que les idées de réforme étaient presque générales.   

Un parti cependant se montre, dès cette époque, en opposition à ces idées, en opposition au roi lui-même ; ce parti n'a subi que de légères transformations, et c'est contre lui, en définitive, que s'est faite la révolution de Juillet.  

Pour le suivre, il importe de ne pas confondre les dates et d'entrer dans quelques détails. Cette discussion, tout éloignée qu'elle paraisse de la crise actuelle, la touche de bien près ; si par elle je parviens à démontrer la justice de la révolution de 1830, combien deviennent faciles les arguments en faveur du  gouvernement qu'elle a fondé !

 En effet, ce parti de l’opposition royaliste en 89 traite avec la même rigueur le comte de Provence et le  duc d'Orléans, M. de Montmorency et Mirabeau, Lally-Tolendal et Barnave, tous ceux enfin qui voulaient une réforme totale on partielle.

Ses chefs sont, à l'étranger, le comte d'Artois; à Versailles, la reine. Loin de moi la pensée de jeter le blâme sur le noble caractère de ces deux victimes illustres de nos troubles civils !

Assis à l’ombre du sceptre de Louis XIV, ils ont méconnu de bonne foi le mouvement des esprits; leur loyauté dans la vie privée le démontre.

Je suis obligé de parler d'eux ; il est superflu de dire que je le fais avec un sentiment de douloureux respect.  

Page 40

Leur parti devient toutefois pour les royalistes constitutionnels une immense difficulté ; son ascendant sur Louis XVI, dont la faiblesse de caractère est connue, force les députés à limiter dans leur Constitution la puissance royale, à ne défendre que faiblement la prérogative, même dans les étroites limites qu'ils lui ont assignées, et à ne pas réprimer les premiers excès de la Révolution, dans la crainte de voir réprimer la Révolution elle-même...

Je crois donc qu'une partie de nos malheurs auraient été détournés sans l'existence de ce parti, et si un prince ferme et partisan a la fois des idées nouvelles, le comte de Provence, par exemple, eut occupé, le trône.

Au reste, ceci rentre dans le domaine des conjectures ; ce qu'il m'importe de constater, c'est l'existence d'un parti en opposition aux idées constitutionnelles dès leur naissance.

Ce parti, nous le retrouvons en 1814. Louis XVIII rentre et publie la Charte; il rencontre une opposition naturelle contre tout gouvernement nouveau, celle des partisans par sentiment, par intérêt, par habitude, du gouvernement déchu; mais il en rencontre une autre plus extraordinaire, celle des royalistes plus royalistes que le roi !

La Charte assurait aux Français les bienfaits de la révolution; Louis XVIII, en appelant dans ses conseils, à la tête de l'armée, dans la Chambre des pairs, les hommes qui avaient servi la France pendant son exil, en les y appelant, dis-je, conjointement avec ceux qui étaient restés fidèles à sa personne, prouvait qu’à l'exemple de Henri IV, il pensait que, pour devenir le père de son peuple après une guerre civile, il faut n'appartenir exclusivement à aucun des partis.

Mais telle ne pouvait être la logique de ces mêmes partis ; aussi faisaient-ils au roi une opposition cruelle, l'un en tournant la Charte en ridicule, l'autre en soutenant que les principes de la Révolution consacrés par la Charte n'étaient pas franchement adoptés par le roi...

Appliquée à Louis XVIII, cette accusation était injuste:

Page 41

Il est évident que l’opinion personnelle du roi se rapprochait plutôt de celle du duc Decazes que de tout autre, et le duc devait rassurer la révolution.

Aussi les constitutionnels ont regretté Louis, XVIII, et ont pensé qu'il n'avait fait que céder aux exigences contre révolutionnaires lorsqu’il a paru s'éloigner des libéraux modérés.

Mais, à sa mort, ces mêmes constitutionnels, quelque confiance qu'ils eussent dans la droiture privée de son successeur, n'ont pu se dissimuler que le cher du parti opposé aux idées nouvelles dès leur apparition, opposé à la Charte lorsque son frère l'avait donnée, était maintenant appelé à gouverner au nom de cette même Charte : de là cette défiance funeste, mais légitime, qui a doublé les difficultés du gouvernement.

Je sais que de mauvaises passions sont venues s'y joindre, mais de part et d'autre les accusations oui dépassé la vérité.

Cependant, il faut le dire, les ordonnances ont donné gain de cause au parti libéral sur son accusation principale adressée aux royalistes, celle de ne pas  vouloir la Charte.

En effet, elle se trouvait détruite de fond en comble ; je n'ai jamais compris comment un homme de bonne foi pouvait soutenir le contraire.

Le roi peut, dites-vous, par de simples ordonnances, abroger des lois et en promulguer de nouvelles; mais alors, que devient l'article de la Charte qui prescrit le concours des trois pouvoirs ?

L'article 14 permet de faire des ordonnances, mais les ordonnances n'ont jamais été que le corollaire des lois, et le sens vague de cet article ne peut détruire l'obligation très précise que je viens de citer.

Sans doute, ceux qui ont jugé autrement auraient eu besoin qu'au lieu de désigner sous le nom d'ordonnances le coup d’Etat de 1830, on eut dit « les lois promulguées par la seule autorité du roi le 25 juillet ».

Page 42

Existe-t-il autre chose qu'un pouvoir absolu dans un pays où le Roi peut faire et défaire les lois à volonté ?...

Il eût été beaucoup plus loyal de dire : Le gouvernement ne peut marcher avec une opposition factieuse, il suspend la Constitution et la rendra à la France quand il le croira possible... La réponse du pays aurait sans doute été la même, mais la franchise a toujours son côté louable.

Est-il  vrai, maintenant, que le gouvernement royal ne pût marcher avec la Chambre ?

Je pense le contraire. Les difficultés étaient nombreuses, j'en conviens ; mais Casimir Périer, pour ne citer que lui, était-il ou non à l'extrême gauche ?

Oui, sans doute; eh bien ! voulait-il le renversement ?

Tout le monde aujourd'hui sait à quoi s'en tenir... Si de Casimir Périer vous allez vers la droite, vous comptez des amis et peu d'ennemis. Il fallait donc vous soumettre à la majorité, puisque l'opinion était pour elle, mais il fallait en même temps que le parti aristocratique et sacerdotal s'annulât tout à fait, ou du moins se transformât, ce qui était bien difficile, les hommes ne pouvant guère, au déclin de leur vie, renoncer aux passions légitimes on illégitimes qui ont rempli leur existence entière.

C'est donc contre ces écueils que la Restauration est venue se briser; mais elle est tombée en renversant les tables de la loi, en donnant un caractère légal à la révolution de 1830 : voila pourquoi cette révolution est juste !

Mais, elle a un autre caractère de justice c’est qu'elle est la suite de celle de 89, que la France entière a voulue.

Ici l’on doit s'étonner sans doute de trouver le parti royaliste plus nombreux aujourd'hui que n'était le premier que j'ai signalé : ce n'est plus seulement quelques partisans de l'ancien régime qui le composent, ce sont les membres des anciens parlements ou leurs héritiers, ce sont les nobles, autrefois simples officiers dans les régiments; ce sont les grands seigneurs philosophes, devenus zélés catholiques; ce sont enfin les membres de la classe moyenne, que les crimes commis au nom de la Révolution ont séparés d'elle.

Page 43

Maintenant, je le demande, est-il raisonnable, après cinquante années d'agitation, lorsque la société est parvenue au point où vous ou les vôtres vouliez la voir en 89, est-il raisonnable, dis-je, de faire à cette société, une guerre à mort, d'augmenter ses embarras au lieu de venir à son secours, de vous rallier au parti qui ne voulait point de la réforme lorsque vous la  vouliez ?...

Vous avez les premiers provoqué cette révolution ; et aujourd'hui que les hommes qui l'ont souillée par leurs excès ont disparu, vous ne voulez pas la reconnaître, vous refusez de voir que c'est surtout a elle que les Français  tiennent...

Vous ne vous apercevez pas que le combat livré pour on contre la Charte, l'était en réalité pour ou contre la révolution ; que cette Charte elle-même n'était possible que parce qu'elle consacrait, les principes, les actes de la Révolution, et que les princes de la branche aînée n’ont été et ne sont à jamais éloignés de nous que parce qu'ils représentent les principes contraires 

Comment expliquer, sans cela, l'injustice de la France à leur égard ? 

Avait-on vu, avant eux, sur le trône, autour du trône, plus de vertus privées, de douceur, de bonté ? Je ne le pense pas.  

Au reste, la guerre du parti royaliste contre la Révolution devient  chaque jour un non sens, car chaque jour des hommes de ce parti, en adoptent les idées ; vous trouvez parmi eux de nombreux partisans de l’égalité, de nombreux adversaires du despotisme.

Page 44

Si tels sont aujourd'hui vos principes, trouvez donc simple que les Français qui pensent comme vous depuis cinquante ans aient attaqué les opinions contraires et leur aient livré un dernier combat en 1830.

Pour prouver combien les idées de la Révolution sont partagées par les royalistes, je ne parlerai que de ce que j'ai vu moi même. J'étais à l'École Militaire sous la Restauration: là étaient avec nous des fils de ducs et pairs. Eh bien ! j'ai toujours remarqué un sentiment d'égalité très vif de la part de leurs camarades vis-à-vis d'eux.

Ce sentiment, je l'approuve : dans  une âme élevée, il n'est autre que l'amour de la justice ; dans une âme basse seulement, il devient de la jalousie.

D'ailleurs, n'est-ce pas assez, en commençant une carrière, de n'avoir pas pour soi la faveur ? il faut au moins que la loi vous protège.

Dans ce que je dis, rien de personnel ; pendant les six années que j'ai passées au service,  nulle mesure injuste ne m'a froissé, je n'ai rencontré que de la bienveillance.  J'en reviens à mon raisonnement.

Vous ne connaissez aucune supériorité au dessus de vous, et ce que j'ai remarqué à l'École Militaire, je l'ai retrouvé, dans le monde, dans toutes les classes. Trouvez donc simple que, dans ces autres classes que vous croyez inférieures, on raisonne de même; trouvez simple que la Révolution ait traduit en lois vos opinions, vos sentiments, et n'ait pas voulu être  gouvernée par ceux qui les ont combattus.

Je sais, pour en revenir aux événements qui ont précédé 1830, que les libéraux ont été injustes pour M. de Martignac ; beaucoup d'entre eux, toutefois, ont soutenu son ministère.

Page 45

Je sais aussi qu'on a porté contre ses successeurs des accusations ridicules, telles que celles de vouloir rétablir les droits féodaux, de revenir sur la vente des biens.

Ce qu'il y avait de vrai dans la crainte que pouvait inspirer le ministère s'il parvenait à se débarrasser de l'opposition, c'était de le voir favoriser le parti aristocratique, de le voir rappeler les jésuites, et exiger de tous les hommes publics une hypocrisie de sentiments religieux dont nous avons vu, dont j'ai vu de déplorables exemples ; d'aller ainsi contre l'article de la Charte qui accorde la liberté de conscience ; de servir enfin le zèle outré ou ambitieux de quelques catholiques, aux dépens de la religion elle-même.

Eh bien ! me direz-vous peut-être : d'accord, ou a en raison de s'opposer aux ordonnances; mais pourquoi ne pas s'en tenir à un changement de ministère ?  

Pourquoi ? parce que cela était impossible ; parce que vous seriez retombés dans une partie des difficultés contre lesquelles l’Assemblée Constituante a échoué; parce que la Chambre, en défiance perpétuelle du roi, aurait limité son autorité outre mesure, et n'aurait pas réprimé les désorganisateurs dans la crainte de donner des armes à la contre révolution.

Les mêmes motifs s'opposaient à la régence du duc d'Orléans. Voyez quelle peine a ce prince à rallier aux idées du gouvernement les hommes qui, par attachement aux principes nouveaux, ont détruit depuis cinquante années ; il y parviendra, je l'espère, mais ce résultat fût, devenu impossible si le parti aristocratique, en continuant à entourer le trône, eût perpétué leurs inquiétudes.

 Ici une question qui m’intéresse vivement : celle de savoir  pourquoi le parti aristocratique que je viens de désigner, l'ancienne noblesse enfin, a cessé pendant quelque temps d'être nationale en France. 

Page 46

Nous avons vu que plusieurs de ses membres avaient adopté, en 89, les idées nouvelles MM. de Clermont Tonnerre, Noailles, Ségur, Narbonne, Larochefoucauld, Lafayette, Latour du Pin, Talleyrand, Montmorency, Biron, Montesquieu et plusieurs autres, étaient les chefs de cette fraction qui se trouvait d'accord avec les parlements, avec la nation, pour vouloir la réforme.

D'autres résistaient sans doute; mais ils cédèrent dans la nuit 4 août 89, et le discours de M. de Foucauld, un des chefs du côté droit, est plein de dignité et de désintéressement.

Ainsi, jusque là, point de scission profonde. La Révolution, en suivant son cours, sape et renverse la royauté, et la noblesse, élevée depuis longtemps à considérer comme une vérité le principe de Louis XIV :  l'État c'est moi » , croit de son devoir de se réunir en 91 et 92 au faible parti des contre révolutionnaires sortis de France en 89.  

Ici commence cette  guerre funeste dans laquelle des Français dont la gloire venait de ce qu’eux ou leurs ancêtres avaient servi avec honneur dans les armées nationales, se trouvent combattre dans les rangs ennemis...

La nation, abandonnée à elle même, tient tête à l'Europe entière, et, étonnant le monde par ses victoires, promène son drapeau vainqueur dans toutes les capitales de l'Europe...

Sans doute un jour le nom des généraux plébéiens inscrit à la tête de ses phalanges brillera, lorsque les passions des partis seront éteintes, d'un éclat immortel...

Pour moi, je l'avoue, je suis fier de penser que le chef de ma famille a été blessé au point le plus éloigné de l'Europe où nos bataillons aient paru, au delà de Moscou.

Page 47

Mais la noblesse n'a pris part à ces guerres que par exception, en masse elle y est restée étrangère. Ce motif, joint aux principes philosophiques, a rendu toute aristocratie légale impossible en France.

La Charte de 1830 n’a fait que reconnaÎtre cette vérité en supprimant l'hérédité de la pairie.

Nous sommes donc arrivés à l'état démocratique à peu près complet ; et quels moyens nous reste-t-il pour nous préserver des dangers nombreux que les  législateurs de tous les temps ont cru être inséparables  de ce régime ?

Selon moi, le cens à 200 fr. est déjà une puissante garantie ; il laisse supposer de l'instruction et un intérêt réel à maintenir l'ordre, les fils, frères, amis de l'électeur payant un cens moins élevé ne sont pas sur les listes, il est vrai ; toutefois, leurs  intérêts sont les mêmes, et ils les représentent en quelque. sorte.

De plus, rien ne mérite moins le nom d'aristocratie qu'une classe à laquelle on tient aujourd’hui pour n'en plus faire partie demain ; à laquelle  peut arriver l'homme le plus pauvre, s'il est laborieux, et tant soit peu favorisé du sort.

Nous connaissons tous trente, quarante, cinquante citoyens, qui n’étaient pas électeurs, qui le sont aujourd'hui ; plusieurs qui l’étaient ne le sont plus.

Arrêtons nous donc à ce sens  jusqu’à ce que le peuple soit plus éclairé.

Les élections municipales sont d’ailleurs une excellente école où peu à peu la masse des citoyens se formera à la pratique des lois ; mais attendons que l’éducation soit faite, prenons patience sur les inconvénients de cette éducation.

Nous surtout, habitants des communes rurales, ne demandons pas à des hommes qui n’ont fait jusqu’ici qu’obéir aux circulaires de l'autorité centrale, les vertus d’hommes libres habitués à obéir aux lois, et espérons que le salut à venir de la France reposera sur ce respect pour la légalité, que nous devons chercher à inspirer autour de nous.

Page 48

Cependant, au milieu de nos moeurs et de nos lois démocratiques, il existe encore une aristocratie : c'est celle de l'opinion.

La société se composant de familles, plus l'esprit de conduite, de conservation régnera parmi elles, plus la société sera forte et heureuse.

Lorsque l'esprit de conduite n'abandonne pas une famille, il arrive ordinairement que cette famille prospère; celles dont les membres sont dissipateurs, désordonnés, s'éteignent promptement.

Ce n'est donc pas sans raison que dans tous les temps, chez tous les peuples, les familles anciennes ont été considérées...

Un homme a vécu longtemps, sa réputation est intacte ; vous traiterez avec lui une affaire en toute confiance, et  vous ferez bien ; s'il a un fils, vous supposerez qu'il l'a élevé dans ses principes de droiture; et si plus tard vous en avez la preuve, vous auriez encore plus de confiance dans ce fils : voilà toute la base de l'aristocratie d'opinion dont je veux parler.

Elle n'a rien d'injuste ni qui choque une saine philosophie; elle est conservatrice; elle s'accorde à l'individu qui la mérite, et chacun est juge de l'importance qu'elle peut avoir.

Mais revenons à l'aristocratie ancienne, qui n'existe plus comme corps sans doute, mais qui, par la richesse et l'instruction de ses membres, peut encore avoir de l'influence.

Doit-elle, je le demande, rester vis-à-vis de la nation dans cet état d'hostilité que j'ai signalé plus haut ! Non, mille fois non, on ne saurait trop le lui répéter. Quoi ! vous voulez vous tenir à part dans notre société française, vous les descendants de ceux qui ont aidé Charles VII à chasser les Anglais du royaume, vous les héritiers de ceux qui ont combattu  à Ravenne, à Marignan, à Rocroy, à Steinkerque, à Nordlingue, à Denain,  à Fontenoy, partout enfin ou la fortune de la France a appelé ses enfants ; vous les descendants de ces magistrats illustres dont la probité sévère était si connue ; vous enfin, pour qui l'histoire de France est l’histoire de votre propre famille, pouvez-vous oublier votre patrie, pouvez vous ne pas voir les beaux côtés de notre  civilisation actuelle, sa supériorité sur les autres époques ?

Page 49

Pouvez vous ne pas reconnaître la fécondité de ces principes qui, malgré nos longues secousses, ont, depuis 89, doublé la force et la richesse de la France, et qui nous mettent à la tête de la civilisation du monde, car les autres peuples  tendent au but où nous sommes arrivés ?

Que l’on ouvre l'histoire, et l'on cherchera en vain  une société basée sur des principes plus justes que ceux sur lesquels repose la nôtre ; partout ailleurs l’esclavage mile autres défauts qui nous révoltent aujourd’hui.

Ne voit-on pas d’un autre côté, cette prospérité matérielle toujours croissante, ces maisons s’élevant à la place des chaumières, ces canaux à la place des marais, ces routes venant civiliser les contrées reculées ?

Allez en Espagne, allez dans les états romains,  et vous verrez s’il suffit pour le progrès de laisser faire le temps.

Mais vous ignorez, va-t-on me répondre, où vous conduiront ces facultés intellectuelles développées chez tous, cette liberté de penser tout haut accordée a tout le monde… C’est la tour de  Babel que vous reconstruisez !…

Sans doute, cette objection est sérieuse : cependant si l’on observe que les études historiques qui peuvent empêcher un peuple de retomber dans les fautes qui ont perdu ceux qui l’on précédé ; si observe, dis-je, que ces études deviennent chaque jour plus faciles, à cause de l’extension de l'imprimerie, cette puissance sociale inconnue jusqu'à nous: si l'on observe surtout que tous les citoyens ont maintenant des intérêts uniformes, et que l'on peut penser qu'ils s’uniront, pour les défendre; de plus, lorsqu'on ne voit autour de l'empire aucune des nations barbares qui ont détruit la civilisation ancienne, on peut reprendre courage et croire à l'avenir.

Page 50

D'ailleurs, si vous n'avez d'autre objection à faire,  vous hommes éclairés et de bonne foi, ne devez vous pas aider le gouvernement qui dirige cette entreprise indispensable au salut commun ?

En vous y refusant, vous agiriez avec aussi peu de logique que si, traversant un large fleuve dans une barque et ayant à  vos côtés un nageur intrépide, vous disiez à ce nageur : « Votre courage a un noble but, mais vous ne pourrez arriver de l'autre côté; » celui-ci, plein d'ardeur, avance toujours, et vous, de temps en temps, vous appuyez un lourd fardeau sur ses épaules.

N'est ce pas exactement la même chose ?

Vous convenez que nos principes philanthropiques sont parfaits, nos idées fort généreuses, et puis, non seulement vous refusez de nous aider à les mettre en pratique, mais vous nous faites une opposition radicale... Pour être généreux, il faudrait venir à notre secours ; pour être justes, vous abstenir.

Je connais l'immense désavantage qu'il y a et qu'il y aura toujours à soutenir à ses contemporains que tout est pour le mieux dans leur état social ; ils confondent perpétuellement les maux inhérents à la nature humaine avec ceux qui proviennent de la manière dont elle est gouvernée, et nous rendent responsables des souffrances que la fatalité a semées autour d'eux.

Page 51

Cette injustice, vous n'avez point a la redouter de ceux qui ne jugent que par des comparaisons prises dans l'histoire.  

Le   gouvernement, constitutionnel doit être défendu, non en cherchant à pallier ses défauts, mais en l'opposant aux autres systèmes.

Ainsi, vous êtes partisan de l'autorité absolue, cependant vous n'aimez guère les fonctionnaires qui gouvernent aujourd'hui ; eh bien ! supposez que le pouvoir sans contrôle soit entre leurs mains, en seriez vous satisfait ?

Non, sans doute.  

Vous êtes partisan d'une république élective, mais vous trouvez que le gouvernement constitutionnel manque d'unité dans sa marche, de dignité vis à vis de l'Europe : eh ! pensez-vous qu’un président amovible, prenant la place du Roi, pourrait lutter avec plus d'avantages contre les chancelleries étrangères ?

Non, car ce défaut d'unité qui nous manque aujourd'hui serait à son comble sous un gouvernement républicain.  

Les radicaux comptent en dernière analyse sur les moyens révolutionnaires; mais souvenez-vous de la réaction qui s'éleva après le 9 thermidor, contre les hommes qui s'en étaient servis.

Alors pourtant, la France, ardente pour la réforme, était disposée à pardonner les excès qui tendaient vers ce but ; aujourd'hui que ce résultat est obtenu, que la liberté et l'égalité sont consacrées par des lois, que la prospérité matérielle est réelle, pensez-vous que vous puissiez impunément nous priver de ces biens, amener la banqueroute de l'État, et les désastres commerciaux qui en seraient la suite ?...

La réaction serait prompte, et après avoir fait de nombreuses  victimes vous le seriez vous mêmes.

Page 52

Voilà pourquoi je blâme l'alliance qui porte des hommes qui ont des principes d'ordre à seconder  vos projets imprudents, tandis qu'au contraire ils devraient soutenir la constitution, et le faire avec dignité; défendre la Charte et rester en dehors des faveurs du pouvoir ; défendre le Roi et ne pas franchir le seuil des Tuileries ; défendre la liberté et ne pas aider l’anarchie.

Pour moi, simple citoyen, député si le suis jamais, officier dans l’armée si une guerre sérieuse m'y rappelle, telle sera ma conduite.

Maintenant, si nous en venons à la question du jour, je vote pour le ministère; voici pourquoi:

J’approuve dans son ensemble la politique suivie depuis 1830 ; je ne trouve, point que nous ayons peur de l'Europe, mais bien plutôt je vois que l'Europe a peur de nous ; je vois et je pense qu'en donnant aux nations étrangères exemple d'un peuple développant sont industrie, sa prospérité matérielle sous l'égide des principes de liberté, nous leur donnons en même temps des moyens bien plus puissants et plus légitimes de nous imiter.

D'ailleurs, cette propagande armée n'ôte-t-elle pas, dans les pays où on la porte, toute nationalité au gouvernement nouveau que vous venez y établir ?

Approuvant dans son ensemble la politique suivie, depuis 1830, je ne trouve pas que le ministère actuel s'en sépare assez pour qu’on ait raison de se séparer de lui ; je vois au contraire que tous, sans en excepter celui de M. Laffitte, ont dit et fait à peu près la même chose.

Les motifs en sont naturels : les hommes qui arrivent au pouvoir rencontrent les mêmes difficultés, et, par cela seul qu’ils dirigent les affaires, l'esprit de conservation leur vient.

Ce qui est plus extraordinaire, c'est de trouver d’anciens ministres, qui sans doute se croient de bonne foi, faire a leurs successeurs une guerre aussi cruelle que celle qu'ils ont eu à  supporter.

Page 53

Le résultat en est funeste : l’administration n’a plus la suite nécessaire ; le nombre des retraites, des pensions que vous donnez aux fonctionnaires remplacés, devient une charge onéreuse, absurde pour le trésor, puisque vous créez chaque jour de nouveaux droits en appelant des hommes nouveaux.

L'opposition faite au ministère de M. Laffitte par tes radicaux était aussi acerbe, aussi injuste que celle dont, nous sommes témoins aujourd'hui; cependant on ne pouvait l’accuser de trop de rigueur.

L’indiscipline provenant du manque de fermeté commençait à se glisser dans les régiments, et si l’habile main du maréchal Soult n'était pas venue, au 13 mars, rétablir l'ordre, l’armée, malgré ses éléments parfaits, tombait en dissolution.

J'en parle en connaissance de cause, car j’en faisais partie, et dans un régiment où les troubles politiques n'avaient cependant pas altéré l'union et l’esprit de corps : qu'on juge des autres !!!!…

Si donc le ministère de M. Laffitte n'a pu satisfaire l'opposition radicale, il faut en conclure qu'il existe, indépendamment des ambitieux sans frein ni morale, un nombre considérable d’esprits négatifs, misanthropes politiques qui, ne voyant jamais que le revers de chaque question, ne savent que détruire, attaquer, sans être capables  de défendre.

On reproche au ministère d'être l'expression de la pensée royale...

Qu’importe, si la pensée est bonne, si elle tend à effacer nos discordes civiles ?

A moins qu'un roi constitutionnel ne soit absolument nul, il est impossible qu'il n'ait pas une opinion à lui ; il doit la  croire, la meilleure, par conséquent chercher à la faire triompher par les moyens légitimes, nommer un ministère qui s’en rapproche le plus possible, et ne céder que lorsque l'opposition lui présente un système contraire et une majorité pour le soutenir : or, on attend ce système, cette majorité !

Page 54

Certes,. MM. Guizot, Thiers, Odilon Barrot sont persuadés que si l'un d'eux se présentait au roi avec la certitude d'être appuyé par deux cent cinquante membres de la Chambre, il serait ministre le jour même : leurs inquiétudes sur la prérogative parlementaire ne sont donc pas fondées.

Ce qu'il importe au pays, c'est d'avoir une administration de longue durée, qui puisse achever ce qu'elle aura commencé : comment voulez vous que le gouvernement s'occupe d'améliorations de détail lorsque son existence est attaquée chaque jour ?

Si un cavalier est emporté par un coursier fougueux, peut-il s'inquiéter de ses effets, de l'argent qu'il sème par les chemins ?

Eh bien ! je vous le demande, une grande partie de l'opposition ne peut-elle vous représenter l’image de ce coursier furieux, et le gouvernement celle du cavalier dans l'embarras ?

 Cependant nous avons besoin qu'on s'occupe de nos souffrances, nous surtout habitants dit Midi, soumis depuis si longtemps à des lois de douanes désastreuses.

Croyez moi, Messieurs les Électeurs, la durée, la stabilité du gouvernement, peuvent seules lui donner la possibilité d'être juste pour tous, de diminuer nos dépenses, de faciliter nos débouchés commerciaux.

Nommez donc un député qui vienne à son aide.

Si M. Dussaulx consentait à soutenir la Charte de 1830, vous feriez un excellent choix ; mais telle n'est pas sa devise.

Le ministère présente  M. Hervé, ancien député; M. Hervé a montré du talent à la tribune et peut être très utile de nouveau ; ma voix lui est donc acquise, et je ne me présente que dans le cas où les électeurs constitutionnels voudraient nommer un homme du pays.

Page 55

Les lignes qu'on vient de lire ont en résultat pour but d'expliquer mes opinions, plutôt que de réclamer des suffrages qui pourraient se porter sur un autre député constitutionnel.  

Maintenant, Messieurs, vous savez ce que je pense ; si vous jugez que je puisse jamais être utile, vous pourrez disposer de moi dans la ligne politique que je viens d'indiquer.

 

 

Table des matières.

Réalisée le 10 septembre  2005  André Cochet
Mise sur le Web le  septembre  2005

Christian Flages