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Recueil      
  des      
    Brochures et écrits 
     

publiés

 
   

depuis 1839 jusqu'à ce jour  (1880.)

   

Henry de Lur-Saluces.

Dates.

Titre. Pages.

25 sept. 1877

Circulaire 

330/334

 adressée aux électeurs de la 4ème circonscription de Bordeaux.

 

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Messieurs,

M. le Président de la République a dit, le 16 mai dernier, au lendemain des élections, que la Chambre ne représentait plus l'opinion du pays.

Dans ce cas ; fort étrange assurément, il était dans l'ordre d'interroger au plus tôt le corps électoral. Car pourquoi ces délais, si ce n'est pour préparer la réponse de ceux dont on dit vouloir connaître la pensée ???

Quoi qu'il en soit aujourd'hui M. le Président affirme qu'il ne prétend exercer aucune pression sur vos choix, et, comme conclusion, il déclare qu'il a résolument choisi pour vous-mêmes.

En vérité, ce n'est pas là de la logique ordinaire, et celle-ci ne sera certainement pas comprise par tous ! ...

D'un autre côté, M. de Broglie, au Sénat, et M. de Fourtou, à la Chambre des députés, ont affirmé que la majorité était composée de radicaux ; de plus, ils ont fait imprimer et placarder à grands frais cette assertion sur tous les murs disponibles de la France entière.

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Enfin, le Bulletin des Communes est venu chaque dimanche comme un bourdon sonnant à heure fixe, répéter aux populations étonnées qu'elles avaient couru un immense danger, dont le ministère du 16 Mai les avait momentanément sauvées, et que c'était maintenant aux électeurs eux-mêmes à rejeter dans l'ombre les membres d'une Assemblée dangereuse que l'on venait de dissoudre.

Contre cette agression, et dès le début, 363 députés ont protesté et ont soutenu que les mesures violentes dont ils étaient l'objet étaient aussi singulières que mal fondées, et plusieurs d'entre eux ont appelé «ministère des curés» ces mêmes ministres qui venaient de leur appliquer à eux-mêmes et avec affectation l'épithète de radicaux.

De sorte que, depuis quatre mois, ministres d'une part, et députés de l'autre, se renvoient cette double appellation, avec l'intention évidente de se bien injurier réciproquement.

Toutefois, pour être juste, il faut dire que ce sont les ministres qui ont commencé l'attaque.

Mais mon droit à moi, Messieurs, un des 363 radicaux susnommés, est de vous affirmer que si l'on veut. conserver au mot radical le sens qu'il a eu jusqu'ici, la colère de 350 députés au moins sur 363 est parfaitement légitime.

Et, en effet, si jamais majorité d'une Assemblée a mérité le nom d'honnête et modérée, c'est bien celle que les ministres du 16 Mai poursuivent de leur courroux.

Ainsi, par exemple, si l'on voulait extraire et mettre en relief la substance des idées nouvelles exprimées dans la Chambre monarchique de 1832 à 1834, et si l'on faisait le même travail pour la période des soi-disant radicaux de 1876 à 1877, on verrait que ces derniers ont été de beaucoup plus paisibles et n'ont fait que suivre de très loin leurs devanciers. 

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Que signifient donc ces grands mots : radicalisme latent, péril social ?

Ceux qui s'en servent et veulent en faire un sujet d'épouvante ne savent-ils pas que les théories sociales les plus étranges sont vieilles comme le monde ? car, à cet égard, les philosophes grecs et les hérésiarques chrétiens ont incontestablement dépassé les rêveurs modernes !

Eh bien ! alors, pourquoi cet effroi sincère ou simulé ?

Croyez-vous d'ailleurs que la compression soit un remède ? Non, cent fois non. La liberté et la discussion au grand jour, voilà ce qui doit assurer tôt ou tard le triomphe définitif de la justice et du sens commun. Ainsi, voyez ce qui se passe aux pôles opposés et de la civilisation et du globe

En Russie, en Amérique.

En Russie, un gouvernement despotique a inspiré à quelques, hommes une telle horreur de la vie, qu'il s'est, formé une secte de mutilés volontaires. De cette façon les sociétaires sont certains de ne pas transmettre à d'autres le don fatal de l'existence.

Depuis que ces lignes ont été écrites. ce qui se passe en Russie est bien fait pour prouver le néant du pouvoir absolu.

Cependant l'empereur de Russie est animé des meilleurs sentiments.

Mais la compression administrative est telle, qu'elle a réduit au désespoir des hommes instruits et éclairés d'ailleurs ; si bien que des actes de sauvagerie inconnus jusqu'ici menacent à chaque instant et le gouvernement et la société russe tout entière.

Donc la liberté, alors qu'elle arrive jusqu'à la licence, comme en Amérique, est préférable au despotisme.

Dans le premier cas, le bon sens public résiste au mal et tôt ou tard amène la répression. Dans le second cas, au contraire, une révolution terrible est imminente et les premiers symptômes dépassent déjà tout ce que la rage et la folie on inventé jusqu'à présent.

 

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Et voilà, par parenthèse ce qu'on est en droit d'appeler de véritable, radicaux ; car ils poussent la pratique de leur système jusqu'aux derniers confins de la logique !

D'un autre côté, les Américains ont, fondé une secte toute différente : c'est celle des Mormons ; là, chacun épouse autant de femmes, qu'il veut, et les mariages se nouent et se dénouent avec la plus grande facilité. Mais cette secte, qui avait paru prospérer sous la direction d'une sorte de prophète, qui maintenait un ordre relatif, décline depuis la mort de ce chef et tend à se dissoudre, ainsi que l'on pouvait facilement le prévoir.

De ces deux citations, je conclus qu'il se trouve sous tous les régimes des novateurs concevant les idées les plus fantasques, et j'en tire cette conséquence qu'il est absurde de se faire de ces exceptions une arme contre la liberté, alors que c'est la liberté elle-même qui est le vrai et souverain remède.

Maintenant, Messieurs les Electeurs, je ne puis mieux faire, au moment où vous avez à prendre un parti bien grave, puisqu'il s'agit de savoir si vous voterez pour ou contre la République, que de vous rappeler ce qu'a écrit à ce sujet l'homme dont le souvenir fait l'honneur et la gloire de notre circonscription. J'ai nommé le grand Montesquieu (Lettres persanes, 123)

 

 « La douceur du gouvernement contribue merveilleusement à la propagation de l'espèce. Toutes les Républiques en sont une preuve constante ; et, plus que toutes, la Suisse et la Hollande, qui sont les deux plus mauvais pays de l'Europe si l'on considère la nature du terrain, et qui cependant sont les plus peuplés.

 L'égalité même des citoyens, qui produit ordinairement l'égalité dans les fortunes, porte l'abondance et la vie dans toutes les parties du corps politique, et la répand partout.

Il n'en est pas de même des Pays soumis au pouvoir arbitraire: le prince, les courtisans et quelques particuliers possèdent toutes les richesses, pendant que tous les autres gémissent dans une pauvreté extrême. »

 

Enfin, le vicomte Lainé, ministre de Louis XVIII, qui est aussi l'une des illustrations de nos contrées, a fait entendre du haut de la tribune, il y a près d'un demi-siècle, ces paroles prophétiques : Les rois s'en vont !

Écoutons, Messieurs, cet avertissement, et remplaçons les rois partis par le libre gouvernement que la République nous assurera.

 

 

Table des matières.

 

Réalisée le 10 septembre  2005  André Cochet
Mise sur le Web le  septembre  2005

Christian Flages