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Recueil      
  des      
    Brochures et écrits 
     

publiés

 
   

depuis 1839 jusqu'à ce jour  (1880.)

   

Henry de Lur-Saluces.

Dates.

Titre. Pages.

9 février  1876

Lettre 

397/304

 au rédacteur de 

"La Guienne".

(Préface de la Notice sur la famille de Lur Saluces.)

(A mes neveux, à mon fils.)

 

Monsieur,

L'article de la Guienne de ce jour n'est que la suite de ceux que ce journal pris la peine de publier contre moi depuis près de quarante ans.

Il n'est pas difficile d'y répondre.

Seulement, je regrette que ce journal se soit borné à une courte citation ; car à mon sens, et je le dis avec la légitime fierté d'un homme injustement attaqué, la préface entière, adressée à mes neveux et à mon fils, honore celui qui l'a écrite et signée.

Oui et cent fois oui, le dévouement au roi a été une sublime chose, lorsque le roi pouvait dire : l'État c'est moi, lorsque le roi et la patrie ne faisaient qu'un.

J'ai à plusieurs reprises exprimé mon désespoir de ce qu'une séparation violente ait eu lieu entre eux. Mais cette séparation est accomplie depuis longtemps.

Elle était sans appel à mes yeux dès 1830.

Voici ce que j'écrivais en 1841:

« On le voit donc, partout les évènements du jour se lient d'une manière intime à ceux du passé.

Cette vérité admise, la Révolution française cesse d'être un chaos où les esprits s'égarent, où le juste et l'injuste demeurent confondus : elle n'est plus que la conséquence d'un état social où la royauté, privée de ses anciens appuis de hiérarchie militaire féodale, s'est trouvée en présence d'une nation riche, puissante et éclairée, à laquelle elle commandait au nom d'un principe qui ne se défend que par la force. 

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Je sais qu'on invoquait en sa faveur une prescription de plusieurs siècles, une hérédité glorieuse : ces motifs puissants et vénérés chez tous les Peuples, sont devenus une des grandes difficultés de la Révolution ; mais ils ne sauraient empêcher le principe de la conquête d'être un point de départ vicieux, parce qu'on ne peut admettre comme basée sur la justice une société où des hommes ont été soumis par la violence à d'autres hommes, et, en second lieu, parce que, lorsque le temps vient effacer entre les citoyens cette division d'origine, le pouvoir et ses agents en demeurent la personnification vivante.

Si, en l789 la royauté eût pleinement remis ses droits entre les mains de l'Assemblée nationale et si, cet exemple eût été suivi par ceux qui conservaient encore une partie du pouvoir, une transaction pacifique eût été possible.

Cette supposition peut être considérée comme inadmissible, j'en conviens, les hommes ayant rarement cédé par raison ce qu'ils croient pouvoir conserver par la force, et n'ayant jamais non plus acquis de droits nouveaux sans en user avec licence.

Mais ce qui est hors de doute, ce qui est positif, ce qui devrait être évident, même aux yeux de ceux dont l'esprit sommeille, c'est que la lutte une fois engagée la Révolution accomplie, l'ère nouvelle, le point de départ de tout gouvernement en France doit être cette Révolution, parce qu'avec elle ont pris naissance, parce que sur elle reposent les droits civils et politiques de la généralité des citoyens, parce qu'elle efface les derniers souvenirs, les dernières traces de servitude que l'invasion des Francs avait laissées après elle !...

Et si le retour du duc de Bordeaux est à jamais. impossible, c'est parce que, ce prince, d'abord par sa naissance, mais bien plus encore par les fautes de ses partisans, représente la contre-Révolution, ainsi que la série, d'opinions, d'intérêts et de sentiments qui en sont la suite et pour lesquels l'antipathie de la nation ne saurait être douteuse.

En 1814, cependant, l'union de l'ancien et du nouveau régime a été, ce me semble, possible ; Louis XVIII rentrait en France par suite d'évènements auxquels il était en quelque sorte étranger ; les rois de l'Europe ne s'étaient point ligués pour lui ni contre la France, mais pour défendre leur indépendance contre Napoléon.

Louis XVIII en consacrant dans la Charte la plupart des actes de la Révolution, indiquait qu'il voulait devenir le chef de la France nouvelle ; avec de la sagesse de part et d'autre on eût pu s'entendre.

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Elle a manqué es deux côtés : les royalistes n'ont point eu de repos qu'ils n'aient vu au pouvoir le ministre, qui avait longtemps refusé de prêter serment à la Charte ; ils ont ainsi remis en présence le principe de l'ancienne souveraineté royale et celui de l'indépendance de la nation, la Révolution et la contre-Révolution. Le résultat de la lutte ne s'est pas fait attendre.

J'ai dit l'ancienne souveraineté royale, parce que celle qui repose sur la Charte, et en faveur de laquelle les hommes, qui défendent aujourd'hui la monarchie veulent fonder une légitimité nouvelle, cette royauté, dis-je, s'appuie sur l'utilité de l'existence pour une société d'un pouvoir permanent et héréditaire, tandis que l'autre s'appuyait sur un droit supérieur à celui de la société...

Avec la Charte, les rois sont parce que les peuples ont besoin d'eux ; avec le droit divin et la conquête, ils possèdent les peuples. »

 

Maintenant, j'ajoute que la question du moment se réduit à savoir si la France veut consolider un gouvernement républicain libre, ou si elle veut préparer pour l'avenir un retour au césarisme ?

Eh bien ! dans ce cas et sans hésitation aucune, je crie à pleins poumons :

« Vive la République !!!

Au reste, on va lire dans son entier la préface de la Notice sur ma famille, adressée par moi à mes enfants et à mes neveux.

Je la publie, d'abord, parce qu'elle est aujourd'hui, tout comme en juillet 1855, l'expression exacte de ma pensée, et ensuite parce qu'elle a été l'occasion d'une nouvelle attaque de la Gazette de France, en octobre 1877.

Ma réponse à la Gazette, que l'on, trouvera quelques pages plus bas, complète celle que j'ai faite à la Guienne et qu'on vient de lire.

Page 300

Il est à remarquer encore qu'en 1855 l'Empire, vainqueur en Crimée, était dans toute sa splendeur, et que ce n'était guère le moment de revenir sur mes opinions très accentuées et plusieurs fois imprimées au sujet de la légitimité.

Seulement, alors comme aujourd'hui, je n'en rendais pas moins justice à cette race illustre qui sous Louis VI a fondé la commune, qui a délivré le pays de l'anarchie féodale, qui a préparé l'unité de la patrie française, qui a rayonné sur l'Europe entière et à la gloire de laquelle rien n'aurait manqué si elle eût compris que la nation devenue majeure avait le droit d'être émancipée.

Alors sans doute nous aurions eu une royauté semblable à celle des Belges, et le passage de cette royauté à la République, si tel eût été le voeu des Français, se fût opéré sans secousse.

Quoi qu'il en puisse être, ce qui est incontestable, ce qui est certain, c'est que pendant des siècles le roi a été la personnification vivante de la patrie.

Voilà ce que j'ai dit, voilà ce que je devais dire et il faut toute la mauvaise foi de l'esprit de parti pour avoir tenté à cette occasion de dénaturer mes paroles !!

 

 

Octobre 1880.

 

A mes neveux, à mon fils.

Mes chers enfants,

En réunissant ici les documents épars sur notre famille, j'ai surtout pensé à vous, j'ai voulu vous rendre facile la connaissance des services de nos pères , afin que leur exemple pût vous servir de guide pendant tout le cours de votre vie, et vous engageât sans cesse à bien faire.

L'amour de la patrie doit être le premier et le plus constant de vos sentiments, et ce sentiment n'a pas de plus solide base que les traditions de famille.

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La France ne date pas d'hier ; des générations nombreuses ont employé et leurs efforts et leur sang à étendre et fixer ses frontières, à jeter les bases de cette unité puissante à laquelle elle est aujourd'hui parvenue, à lui acquérir une gloire militaire éclatante, enfin à préparer les éléments qui ont fait de la nation française la grande nation ; nom que ses rivaux eux-mêmes ont dû lui donner.

Or, si minime que soit la part prise par une famille dans ce travail des siècles, elle est, pour les descendants de cette famille, un précieux héritage ; il est donc utile de sauver de l'oubli ces honorables souvenirs.

J'espère qu'ils contribueront à développer en vous l'amour du pays, ce sentiment déjà si naturel dans toute âme bien née ; j'espère surtout que vous aurez dans le coeur de trop nobles qualités pour qu'une vanité puérile y trouve sa place ; celui-là est bien peu digne d'aïeux distingués, qui se contente de demander à leur mémoire une stérile satisfaction d'amour propre !

Comme je tenais à abréger cette Notice, je me suis borné à citer les arrêts du Conseil d'État et ceux du Parlement, les lettres patentes, les lettres des Rois et celles des Princes de la maison de France, les extraits de Mémoires et de livres historiques dont l'autorité m'a paru incontestée ; mais mon intention est de réunir dans un Recueil plus étendu, une foule de documents qui vous apprendront sur notre famille tout ce que moi même j'ai pu en apprendre.

Je pense que ce travail pourra vous être utile, parce que vous y trouverez la preuve que les générations qui nous ont précédés ont eu leur large part de difficultés et de labeurs qu'elles ont honorablement surmontés, et vous pourrez y puiser des exemples de persévérance pour lutter contre les obstacles que vous rencontrerez à votre tour.

Il ne suffit pas, en effet, pour qu'une famille se perpétue, que le père transmette à ses enfants et son sang et sa vie ; il faut aussi que l'esprit de conduite, les sentiments d'ordre et de conservation soient héréditaires.

Une, deux, trois générations au plus, dépourvues de ces qualités, ont suffi à toutes les époques pour faire descendre une famille de la position la plus élevée au rang le plus infime.

Et comme, quelle que soit d'ailleurs l'organisation politique d'un pays, la famille a été, est, et sera éternellement la base de toute société, plus l'esprit de conservation régnera dans chacune d'elles, plus la société sera forte et heureuse.

C'est pour cette raison que dans tous les temps et chez tous les peuples, les familles anciennes ont été considérées. 

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Cela ne tient point, au caprice de l'opinion, aux institutions, à des circonstances fortuites cela tient, pour me servir de l'expression consacrée par l'illustre Montesquieu, cela tient à la nature des choses. C'est donc faire acte de patriotisme intelligent que d'avoir pour sa propre famille, qui n'est qu'une unité de la grande famille qui forme la nation, cet esprit d'ordre et de conservation qui fait la force de la nation elle même.

Vous remarquerez, mes chers Enfants, en lisant les documents qui suivent, qu'à toutes les époques vos pères ont été très attachés aux Rois et aux Princes de la maison de France.

Certes cette grande et illustre race royale de France, la première dans les annales du monde, a rendu trop de services à notre patrie, a acquis une gloire trop légitime, pour que vous n'attachiez pas un grand prix aux preuves de cet attachement héréditaire; mais vous remarquerez encore que depuis plusieurs siècles l'Etat et le Roi ont été une seule et même chose; servir le Roi, c'était servir le pays, être dévoué au Roi, c'était être dévoué à la patrie: ces souvenirs seront donc pour vous doublement précieux.

Maintenant, mes chers Enfants je ne puis terminer ces quelques lignes qui vous sont adressées, Sans vous entretenir de ce qui m'intéresse le plus au monde, sans vous parler de votre avenir.

Vous le voyez, tous nos aïeux sans exception, depuis, l'époque la plus reculée jusqu'au marquis Amédée de Lur Saluces, qui a été blessé en 1812 au delà de Moscou, au point le plus éloigné de l'Europe où nos bataillons aient paru, et est mort à l'armée d'Espagne en 1823, tous sans exception, ont suivi la carrière militaire.

J'espère donc que vous voudrez faire comme eux.

Ce n'est point, remarquez le bien, parce que cette carrière est la plus noble et la plus désintéressée de toutes, que vous ferez bien de la choisir c'est encore parce qu'il est indispensable que les saines traditions, l'instinct et l'esprit militaires soient conservés dans l'intérêt du pays; et ils ne le seraient pas longtemps, si les familles qui en ont en quelque sorte le dépôt sacré, venaient à préférer à la noble carrière, d'autres carrières ou plus lucratives ou plus douces.

Or, je vous répète ici ce que l'étude la plus superficielle de l'histoire suffira pour vous apprendre : un peuple n'est vraiment puissant qu'autant qu'il peut toujours compter sur une armée essentiellement nationale et disciplinée; et si le passé ne suffisait pas pour constater cette vérité, Ie spectacle que présente dans ce moment même l'Angleterre la rendrait palpable.

Voila en effet une nation opulente et fière entre toutes, forcée, après une guerre de quelques mois, d'envoyer recruter ou plutôt quémander des soldats sur tous les points de l'Europe. 

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Et ce n'est pas, il est juste de le dire, parce que le coeur et l'énergie manquent aux propres enfants de l'Angleterre. Mais habitués dès longtemps à placer au dessus du noble, modeste et peu lucratif métier de soldat, d'autres carrières où ils ont trouvé et puissance et richesse, ils sont comme étonnés de l'appel qui leur a été fait par le pays.

Ils sont prêts à fournir des subsides, mais non à faire le sacrifice de leur sang, de leur vie, de leur bien être de chaque jour, et ils préfèrent acheter des mercenaires.

Eh bien ! et il ne saurait exister de doute à cet égard, si l'esprit public anglais ne se modifie pas complètement, ce sera là, à une époque plus ou moins reculée, la cause principale de la décadence de l'Angleterre.

Aussi, mes chers Enfants, si plus tard de longues années de paix entraînaient l'opinion générale de notre pays dans des voies tout opposées aux idées et à l'esprit militaires, résistez au courant; continuez à servir; une bonne armée ne s'improvise pas; et le jour viendra où vous serez au rang des hommes utiles à votre patrie.

En agissant ainsi d'ailleurs, vous vous conduirez en bons et vrais gentilshommes; car, ne l'oubliez jamais, la véritable étymologie de ce mot la voici: Gentis homines; les hommes de la nation, les hommes dévoués au service de la patrie !

En attendant, ayez bon courage pour surmonter les difficultés que présente la carrière à son début. De nos jours, les lois nouvelles, le grand nombre de sujets distingués que l'on trouve dans l'armée, rendent l'avancement difficile. Mais aussi, tout grade dû au mérite seul n'est-il pas d'un prix infini ?

Enfin, mes chers Enfants, pour dernier conseil je vous dirai : N'ayez point de luxe au service; si vous avez de la fortune employez la chez vous, mais souvenez-vous qu'il n'est de vraiment bons officiers que ceux qui savent vivre comme s'ils étaient pauvres.

Les équipages nombreux n'ont jamais été utiles dans une armée, et ils ont souvent, au contraire, causé des revers.

 Un mot de moi en finissant, mes chers amis. J'aurais vivement désiré que mon rôle ne se fût pas borné à vous rappeler la conduite de nos pères, et j'aurais voulu que mon propre exemple pût vous être cité.

Il n'en est pas ainsi. Toutefois Dieu m'est témoin que si ma vie a été inutile et inoccupée, ce n'est pas faute de bonne volonté pour qu'il en fût autrement.

Mais les hommes de ma génération se sont trouvés dans une situation exceptionnelle ; et il est d'ailleurs des difficultés de position et de fortune telles, que la plus ferme volonté est réduite par elles à l'impuissance. 

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J'ai cru devoir vous dire ceci, mes chers Enfants, parce que j'ai toujours été frappé de cette devise d'une de nos vieilles familles de France: « La renommée s'en va si les travaux cessent. » J'espère donc que vous reprendrez les travaux ; que les circonstances vous seront favorables, que vous les seconderez avec énergie, et que cette bonne renommée que nous tenons de nos pères n'ira pas en s'amoindrissant.

 

Malle, 1er juillet 1855.

 

Table des matières.

 

Réalisée le 10 septembre  2005  André Cochet
Mise sur le Web le  septembre  2005

Christian Flages