Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France.

L. Michelant. 

Souverain :    Louis IX

Année :   1242

Bataille de Taillebourg.

 

Saint Louis n'eut pas seulement le privilège des douces vertus, de la justice, de la piété.

Intrépide autant qu'aucun de ceux qui l'ont précédé ou suivi sur le trône, il sut au besoin porter vaillamment l'épée.

"Heureux les pacifiques !" se plaisait-il à dire dans la modération de son Coeur ; mais, que son droit fût méconnu, il combattait avec un courage qui en fait le modèle de l'héroïsme chevaleresque, comme ses qualités supérieures en font l'exemple glorieux de la royauté.

A peine appelé à l'exercice du pouvoir par sa majorité, il montra aux adversaires de son autorité qu'il n'était disposé à céder aucune portion de l'héritage qu'il devait aux laborieux efforts, à la politique de ses ancêtres et que, si l'on pouvait tout attendre de son équité, il fallait redouter son légitime courroux.

C'est à Taillebourg et à Saintes que Louis IX fit ses premières armes : il dirigea habilement cette entreprise militaire, dont il assura le succès par son courage ; et l'éclat de ses victoires, la rapidité de ses conquêtes prouvèrent suffisamment que les habitudes de son caractère n'en avaient pas étouffé l'énergie.

Excité par les conseils impérieux de sa femme Isabelle, veuve de Jean Sans Terre et mère de Henri III d'Angleterre, Hugues de Lusignan comte de la Marche, après avoir reconnu la suzeraineté d'Alphonse, comte de Poitiers, frère du roi de France, avait désavoué son hommage ; il s'était présenté fièrement au comte de Poitiers, et lui avait dit

"J'avais été déçu et circonvenu quand je me proposais de te faire hommage ; aujourd'hui j'ai changé d'avis et je viens te jurer et t'affirmer que jamais je ne me tiendrai pour ton homme."

Puis, s'élançant sur son cheval, il s'éloigna.

Cette rétractation était une véritable déclaration de guerre.

Dès que Louis l'apprit, il se prépara à combattre ; et, tandis que le comte de la Marche, s'alliant au comte de Provence, provoquant le soulèvement du midi et formant une ligue à laquelle il appela les rois d'Angleterre, d'Aragon et de Navarre, se disposait à défendre énergiquement son indépendance féodale, le roi de France assemblait une armée, réunissait des armes, des machines de guerre, des munitions et convoquait la chevalerie de France à Chinon.

Enfin, au commencement d'avril , il vint à la royale abbaye de Saint Denis pour prendre l'oriflamme, l'étendard de guerre des rois de France : 

"Dieu, s'écria- t- il en le saisissant, par la grâce et prières de notre glorieux patron, monseigneur saint Denis, nous doint avoir victoire de tous nos ennemis."

Il confia la bannière à la garde d'un chevalier, revint à Chinon avec le connétable de France Humbert de Beaujeu, et l'armée se mit en marche pleine de confiance en la cause de son chef.

L'activité de Louis IX avait devancé celle de Hugues de Lusignan : le roi d'Angleterre était venu au secours du comte de la Marche, mais sans amener ses barons d'Angleterre, avec lesquels il était toujours en querelle.

Les seigneurs du midi ne remuaient pas encore, et, sous la menace de l'invasion française, le temps s'était perdu en fêtes, en joutes, en réunions brillantes ; c'est seulement lorsqu'on apprit que Louis : après s'être rendu maître des principales forteresse du Poitou, s'avançait sur le château de Taillebourg que les fêtes cessèrent.

Alors Hugues, Henri III et son frère Richard, comte de Cornouailles allèrent au devant du roi de France afin de défendre le passage décisif de la Charente.

Les deux armées furent en présence à la fin du mois de juillet 1242.

Louis, sur la rive droite du fleuve, occupait le château et la ville de Taillebourg, que lui avait livrés le sire de Rancon, qui y commandait.

Ses adversaires s'étaient établis dans une prairie qui s'étendait sur la rive gauche.

Le 23 juillet, la bataille s' engagea par une attaque des Français ; ils voulaient s'emparer du pont de Taillebourg et de la chaussée de Saint James, qui partageait la prairie.

Le comte de Poitiers dirigeait ce premier mouvement : il passa le pont sans obstacle ; mais à la chaussée il fut repoussé par les arbalétriers anglais.

Les soldats dispersés reculèrent en désordre, plusieurs furent jetés dans la rivière ; et déjà l'armée du roi de France hésitait, quand Louis, accourant l'épée nue, suivi seulement de huit chevaliers, rallie son avant garde et s'élance sur le pont au plus fort de la mêlée.

Sans considérer le péril, il frappe et renverse tout archer anglais qui se présente à ses coups.

Il avait ainsi franchi le pont et s'en était rendu maître ; mais ce premier succès faillit lui devenir funeste son ardeur l'avait emporté ; pendant un instant il resta presque seul au milieu des ennemis.

De tous côtés on l'entourait, et

"pour un homme qu'il avoit quand il fut passé, dit .Joinville, les Anglois en avoient bien cent.

Heureusement les barons avaient vu la situation du roi ; son danger les anime : les uns accourent sur ses pas, en même temps que d'autres traversent la Charente dans des barques ; et les Anglais, qui déjà pensaient triompher, sont obligés de céder à l'impétuosité de cette nouvelle attaque.

Ils s'ébranlent, reculent, tandis que Louis IX les pousse avec plus d'ardeur.

Enfin ils cèdent, s'enfuient dans un désordre complet, et à midi la bannière royale flotte sur le camp du comte de la Marche et de ses alliés.

Hugues de Lusignan et Henri III eussent été faits prisonniers vraisemblablement, si Richard, comte de Cornouailles, en qui le roi de France honorait un des héros de la dernière croisade, n'eût intercédé pour son frère.

Tandis que celui-ci attendait avec anxiété, Richard, déposant son armure et couvert d'une simple robe de pèlerin, se rendit avec confiance au camp de Louis IX.

Celui ci le reçut avec bienveillance et plutôt en ami qu'en ennemi vaincu :

Sire, lui dit ,Richard, je vous demande une suspension d'armes de vingt quatre heures. J'y consens, répondit le roi. Puis il ajouta : Beau cousin, la nuit porte conseil ; donnez en aussi un salutaire au roi d'Angleterre. Oui. sire.

Comte, faites surtout qu'il le suive."

Et il reconduisit le comte jusqu'à l'extrémité de cette chaussée que le matin même il avait si vaillamment enlevée à ses ennemis.

Dès que Richard eut rejoint son frère et le comte de la Marche, tous trois au galop de leurs chevaux regagnèrent Saintes.

Le délai qu'il avait accordé s'étant écoulé sans qu'il eût reçu de propositions de paix, Louis IX s'avança avec son armée sous les murs de Saintes et il y remporta une victoire, sinon la plus brillante, du moins plus décisive encore que celle de Taillebourg.

Louis s'y exposa à tous les dangers, comme il l'avait fait au pont de la Charente ; son courage s'y montra avec autant d'éclat et entraîna le succès de la bataille,

En trois jours le roi de France avait donc remporté deux victoires et forcé à la retraite ces adversaires qui s'étaient promis avec tant de haine de réduire la puissance du fils de l'Espaiqnole.

Quelque juste que pût être son ressentiment, Louis IX usa de ses droits de vainqueur avec cette modération à la fois sainte et habile qu'il sut toujours conserver aux plus heureux instants de sa fortune et qui s'alliait si admirablement à la constance d'âme, à la fermeté qu'on le vit opposer plus tard aux revers.

Le soir même de la bataille de Saintes, le fils aîné du comte de la Marche était venu solliciter pour son père la clémence du roi et lui présenter la soumission de Hugues de Lusignan ; Louis l'accepta et entra dans Saintes, dont les échevins, les bourgeois et le clergé lui apportèrent les clefs, en souverain pacifique plutôt qu'en conquérant, ordonnant le respect des biens et des personnes, et disant aux chevaliers qui lui amenaient des prisonniers

" Ah, que moins vous priserois, beau sire, si l'aviez tué et féri à outrance! .`

Cependant, à la nouvelle de l'accommodement du roi et du comte de la Marche, Henri III avait fui précipitamment à Blaye, puis à Bordeaux ; de là il proposa une trêve de cinq ans, et Louis consentit à traiter : 

pensant en soi même que nul méchant coeur n'acquit oncques salut."

L'heureuse expédition de Louis IX affaiblit du même coup la domination anglaise en France et l'orgueil des grands vassaux du midi:la plupart des barons anglais établis dans le Poitou, l'Angoumois le Maine et la Saintonge furent obligés d'opter entre les deux souverainetés et de se prononcer pour Henri III ou de rendre hommage au roi de France,

Toutefois Louis leur laissa la liberté de choisir entre lui et leur souverain Henri, déclarant qu'aux termes de l'Évangile on ne pouvait servir deux maîtres à la fois,

La tentative du comte de la Marche derrière qui se cachaient tous les seigneurs du midi, fut la seule qui, depuis la majorité du fils de Blanche de Castille, troubla le règne de Louis IX ; la défaite de Hugues de Lusignan assura définitivement sur le midi la supériorité de la royauté capétienne, dont l'influence s'étendit encore par le mariage de Charles d'Anjou, frère du roi , avec la comtesse Béatrix, la riche héritière de Provence.

 

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages