Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France.

L. Michelant. 

Souverain :    Jean

Année :   1356

 Le Roi Jean prisonnier

Après la bataille de Poitiers.

A l'heure de mourir Philippe VI fit appeler le duc de Normandie et le duc d'Orléans, ses fils, et, se tournant vers le premier, l'héritier de sa couronne, il lui adressa ces touchantes paroles, où revivait le souvenir funeste de Crécy :

"Mon fils, défendez courageusement la France après ma mort. Il arrive quelquefois, comme j'en ai fait l'expérience, que ceux qui combattent pour une chose juste éprouvent des revers; mais ils doivent mettre leur espoir en Dieu, qui ne permet pas que le règne de l'iniquité soit durable...

Aimez-vous, mes fils; maintenez la justice et soulagez les peuples."

Jean accepta avec ardeur l'héritage de réparation que lui léguait son père; et, tout ému encore de cette journée de Crécy, où il avait combattu quatre années auparavant, il désira l'effacer par un grand succès.

Mais il n'était pas le prince qui devait affermir la couronne des Valois; il n'avait aucune des qualités nécessaires pour lutter contre l'habileté de ses adversaires. C'était un vaillant soldat, d'un inébranlable courage ; mais l'intelligence du commandement lui manquait ; violent, passionné. prodigue au milieu de la misère publique, aveugle dans ses colères, trop faible, trop inconstant, pour ainsi dire, dans ses vengeances, il ne sut guère que combattre avec ardeur, avec témérité . comme un loyal et hardi chevalier, et non pas comme un roi.

Le prince de Galles, fils d'Édouard III, surnommé le prince Noir pour la couleur de son armure, offrit bientôt au roi de France, s'il eût été plus habile, l'occasion de réparer la honte de Crécy.

Débarqué à Bordeaux, le prince Noir, après avoir ravagé le Languedoc, le Limousin, l'Auvergne et le Berri, était remonté vers la Loire afin de se réunir à l'armée du duc de Lancastre.

Jean, aussitôt qu'il avait appris la descente du fils d'Édouard et sa marche vers le Poitou, avait fait le serment de le poursuivre et de le combattre partout où il le rencontrerait.

Les députés des villes venaient récemment de consentir de nouveaux impôts qui permettaient au roi de lever une armée.

Il convoque alors ses barons, grands vassaux, seigneurs, gentilshommes, chevaliers et leur ordonne de se rendre en armes sur les marches de Blois et de Tours, où bientôt s'assemble une armée composée de cinquante mille combattants choisis dans l'élite de la noblesse française.

Le prince de Galles, qui avait perdu du temps au siége de Romorantin, fut surpris dans sa retraite par le roi de France, qui se trouva placé entre les archers anglais et la Guienne de façon à leur fermer toute voie de retour.

Le fils d'Édouard III se trouva alors dans une difficile position.

Devant lui cinquante mille hommes barraient la route du midi, derrière lui la Loire, aucune issue pour échapper, et partout un pays ruiné, dévasté, où les vivres manquaient ; il ne restait nulle ressource aux Anglais : il fallait se rendre ou combattre ; et la bataille leur offrait si peu de chances, qu'à peine valait-il tenter cet effort.

Cependant, avec deux mille cavaliers, quatre mille archers, deux mille fantassins, en tout huit mille hommes, le prince de Galles ne se découragea pas ; il se rappelait Crécy où son père avait, dans une situation aussi désespérée, remporté une éclatante victoire, et il s'inspira de ce souvenir.

Il établit son camp à Maupertuis, sur une hauteur coupée de haies, de buissons, de vignes, impraticable à la cavalerie, ouverte au milieu seulement par un chemin étroit, profond, bordé de haies épaisses.

Là, il s'entoura de chariots, de palissades, creusa des fossés et forma une redoute vigoureusement défendue, dans laquelle il renferma tes troupes.

Toutefois il ne se dissimulait pas le danger : cette armée brillante qui s'étendait devant lui, dont il entendait les clairons raisonner, dont il voyait se déployer au soleil les riches bannières, n'avait même pas besoin de tirer l'épée pour l'obliger à se rendre;il lui suffisait d'attendre, et, pressé de toutes parts, dépourvu de ressources, il était forcé d'accepter toutes les conditions.

Il offrit encore de rendre tout ce qu'il avait pris dans son expédition, places et prisonniers, et de ne pas servir contre la France pendant sept ans : Jean n'y consentit pas.

Le roi de France ne voulait ni traiter ni attendre, tonte la noblesse qui l'entourait demandait le combat ; lui-même le désirait.

Il donna le signal, et, le 19 septembre 1356, les Français se mirent en mouvement ; ils étaient disposés sur une ligne oblique en trois batailles ou divisions : l'aile gauche commandée par le duc d'Orléans, frère du roi ; le centre, par le dauphin Charles ; l'aile droite, par le roi lui-même.

Une compagnie de trois cents gendarmes, s'engageant dans le chemin qui conduisait au camp anglais, commença l'action.

A peine y avait elle pénétré, que les archers cachés derrière les haies lancent une grêle de flèches longues, barbues, dentelées.

A cette attaque, le corps qui suivait se rejeta avec désordre sur l'aile gauche et rompit ses rangs ; au même moment la division du centre était prise en flanc par six cents cavaliers placés en embuscade derrière une colline : le dauphin résista à peine et s'enfuit du champ de bataille tandis que l'aile gauche se réfugiait derrière la division du roi.

Le prince de Galles, de son camp, vit cette déroute :"Sire, chevauchons avant, lui dit Jean Chandos, un célèbre capitaine anglais, la journée est vostre ; marchons au roi de France. Je sais bien que par vaillance il ne fuira point, ainsi il nous demeurera." 

Le prince écoute ce conseil. il crie :

 "Bannière. chevauchez avant au nom de Dieu et de saint Georges. "

Et, avec son armée, il descend la colline.

Les Anglais s'étaient étendus en plaine où les Français pouvaient reprendre l'avantage.

Malheureusement le roi Jean se souvenant que le désastre de Crécy avait été causé par la cavalerie, cria : A pied ! à pied ! Et lui-même se jeta à pied devant tous les siens une hache de guerre en ses mains.

Alors ce ne fut plus un combat, ce fut une horrible et sanglante mêlée ; tous ces chevaliers, embarrassés dans leur lourde armure, ne pouvaient se mouvoir et tombaient sans défense sous les haches des cavaliers anglais et contre les flèches des archers.

Au milieu de ce tumulte le roi demeura inébranlable à sa bataille il mit son honneur à ne point reculer et se défendit avec une intrépidité qui méritait meilleure fortune.

Son plus jeune fils, Philippe qui à peine âgé de quatorze ans conquit le surnom de Hardi à cette journée, resta constamment à ses côtés, et, tandis que le roi frappait sans relâche de sa hache d'armes,  le courageux enfant veillait sur le monarque en disant

" Mon père, prenez garde à droite, à gauche, derrière vous !"

à mesure qu'approchait un ennemi.

Les Anglais de toutes parts criaient au roi "Sire, rendez vous !"

Jean, épuisé de fatigue, blessé au visage, luttait toujours.

Enfin il fallut céder ; le roi jeta son gant à un chevalier français, qui, après un meurtre, avait fui en Angleterre, en lui disant : "Je me rends à vous ;" et il se remit à sa garde avec son fils.

Le prince de Galles accueillit avec un respect profond son noble prisonnier, et rendit à ce courage malheureux plus d'hommages que n'en eût reçu un vainqueur : il s'inclina à l'approche du roi de France, en lui adressant de courtoises paroles et lui présenta le vin et les épices en signe de fort grand amour.

Le soir arrivé, le roi de France, entouré comme à son royal hôtel de Paris, de la plus illustre noblesse de Fronce, se plaça pour souper à une table dressée dans la tente du prince de Galles.

Mais celui-ci refusa de s'asseoir auprès du roi, à côté d'un si grand prince et d'un si vaillant homme ; il voulut le servir lui-même et, comme des larmes de douleur s'échappaient des yeux de Jean anéanti par cette défaite, qui avait brisé son orgueil

"Cher sire, lui dit le prince Noir. ne vous laissez abattre, si Dieu n'a pas voulu aujourd'hui ce que vous désiriez ; Monseigneur mon père vous traitera avec tous les honneurs que vous méritez, et s'accordera avec vous si raisonnablement que vous demeurerez bons amis ensemble à toujours.

Et m'est avis que vous avez grand'raison de vous réjouir, combien que la besogne ne soit tournée à votre gré ; car vous avez aujourd'hui conquis le haut nom de prouesse et avez passé tous les mieux faisans de votre côté.

Je ne die cela, cher sire, pour vous consoler, car tous mes chevaliers qui ont vu le combat s'accordent à vous en donner le prix et la couronne."

Mais c'étaient de tristes consolations que ces louanges données par un ennemi victorieux, et au milieu de ces hommages le roi ne pouvait oublier qu'il était prisonnier de ce prince qui le servait si humblement à sa propre table.

La défaite de Poitiers coûta à la Franco onze mille morts et deux mille prisonniers ; la noblesse, frappée dune si cruelle blessure à Crécy, venait d'éprouver un deuxième échec et d'être battue par les archers, par les hommes des communes :

"Là, dit Froissard, périt la fleur de la chevalerie de France, de quoi le noble royaume fut durablement affoibli."

En effet, à Crécy les Anglais n'avaient gagné que Calais ; mais la bataille de Poitiers leur livra avec le roi de France toutes nos provinces du midi. 

 

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages