Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France.

L. Michelant. 

Souverain :    Charles VII.

Année :   1431

 Supplice de Jeanne d'Arc.

Le 9 juillet, Charles VII s'était emparé de Troyes avec cette merveilleuse facilité qui partout accompagnait l'étendard de Jeanne d'Arc.

Le 15 du même mois il faisait son entrée à Reims, et le dimanche 17, l'archevêque de Reims sacrait solennellement le roi de France dans la cathédrale de Saint Remi, l'antique baptistère de la royauté française.

Toute la noblesse restée fidèle à la destinée du fils de Charles VI assistait à cette grande cérémonie, dans laquelle la France retrouvait pour ainsi dire sa nationalité ; et le roi, sa force.

Jeanne d'Arc, qui depuis Bourges avait amené à Reims ce gentil dauphin, comme elle l'appelait, pour poser sur son front la couronne de France ; Jeanne, placée auprès de l'autel, tenant en main son glorieux étendard, protégeait pour ainsi dire de sa présence cette consécration de sa victoire.

La solennité fut brillante, ainsi qu'aux meilleurs jours de la royauté ; aucune des cérémonies de ce grand acte ne fut omise.

Après les saintes onctions, le duc d'Alençon arma chevalier le jeune prince ; puis, conformément aux vieilles traditions, comme pour rappeler que. la religion et l'épée étaient les véritables soutiens du trône de France, Charles fut soulevé sur son siége par les pairs ecclésiastiques et servi durant le sacre par les pairs laïques.

Enfin, au moment où le roi fut sacré, Jeanne, se jetant à ses pieds, embrassa ses genoux en versant des larmes abondantes :

"0 gentil roi, lui dit elle, maintenant est exécuté le plaisir de Dieu, qui voulait que vous vinssiez à Reims recevoir votre digne sacre, en montrant que vous êtes vrai roi et celui auquel le royaume doit appartenir."

Alors le peuple, laissant éclater ses transports, fit retentir les voûtes des cris entremêlés de :

Vive le roi de France Charles le septième ! Vive Jeanne d'Arc !

La mission de l'héroïne d'Orléans était terminée : les Anglais, abattus par de successives défaites, cédaient à l'ascendant victorieux des armes françaises ; Charles VII, le petit roi de Bourges, comme ses ennemis le nommaient avec dérision, avait ceint la couronne.

Jeanne voulut déposer son épée, retourner aux champs qu'elle avait quittés pour sauver le pays ; mais elle était trop nécessaire à la cause royale : on refusa de la laisser partir.

Il fallait que sa destinée s'accomplît tout entière, il fallait que le martyre couronnât cette vie de triomphe.

Au milieu de l'enthousiasme du sacre, quand cependant elle songeait déjà au retour, Jeanne eut comme un pressentiment de l'épreuve que le ciel réservait à son courage et à sa résignation.

Lorsqu'elle entrait dans Reims avec le roi et que tout le peuple venait au devant d'eux en chantant des hymnes

"0 le bon et dévot peuple ! dit elle ; si je dois mourir, je serais bien heureuse qu'on m'enterrât ici."

Jeanne, lui répondit l'archevêque, qui accompagnait le roi, où croyez-vous donc mourir ?

"Où il plaira à Dieu, reprit la jeune fille ; j'ai fait du moins ce que Notre Seigneur m'avait recommandé de faire."

Malgré ses secrètes agitations, ses vagues inquiétudes, Jeanne obéit au roi, elle resta ; mais, toujours pieuse, toujours dévouée, toujours intrépide, elle n'eut plus en elle-même une semblable foi.

Toutefois l'héroïne d'Orléans continua de combattre : elle se présenta avec l'armée royale sous les murs de Paris, et fut blessée en montant à l'assaut ; puis elle alla dégager Saint Pierre le Moustier sur la Loire, et emporta la ville.

Enfin le duc de Bourgogne, allié aux Anglais, étant venu assiéger Compiègne, principale place des Français, Jeanne d'Arc, à cette nouvelle, se jette dans la place ; le jour même de son arrivée elle fait une sortie et surprend presque les assiégeants ; mais ceux-ci, après un premier instant de trouble, se rallient et repoussent les assiégés jusqu'au pont. 

Jeanne, protégeait la retraite de ses soldats, reste la dernière ; et, soit que dans la confusion on la crût à l'abri, soit qu'une lâche trahison voulût, comme on l'a soupçonné, la livrer à ses ennemis, on ferme la barrière avant que l'héroïque jeune fille ait pu rentrer.

Son costume la désignait ; bientôt elle est entourée, tirée à bas de cheval, et saisie malgré ses efforts.

C'était un soldat picard qui l'avait prise ; il la vendit à Jean de Luxembourg, qui, trafiquant pour lui-même et au nom de son maître, le duc Philippe de Bourgogne, de sa noble prisonnière, la livra à ses plus acharnés ennemis, aux Anglais.

Après avoir été, traînée durant six mois de prison en prison, Jeanne fut enfin amenée à Rouen et alors, sous la présidence d'un homme à jamais flétri dans notre histoire, de l'évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, qui se fit le honteux instrument de la haine et de la terreur de l'Angleterre, commença cet assassinat judiciaire que les Anglais ont décoré du nom de procès.

Dans le cours de cette longue procédure, Jeanne conserva presque constamment sa fermeté devant ses juges : si on peut appeler ainsi les hommes qui siégeaient au tribunal de Rouen.

En leur présence cette jeune fille, enlevée à ses campagnes pour aller au champ de bataille, cette enfant qui ne savait ni lire ni écrire, si simple, disent les chroniqueurs, que tout au plus connaissait elle son Pater et son Ave, trouva de sublimes réponses aux demandes les plus captieuses, aux insidieuses interrogations de ces docteurs.

Ainsi, l'évêque lui demanda si elle se croyait en la grâce de Dieu ; question subtile, qui présentait un piége à son orgueil ou à sa pureté

"Si je n'y suis, Dieu veuille m'y mettre ; si j'y suis, Dieu veuille m'y tenir ! "

répond l'innocente accusée.

Une autre fois on lui dit :

"Pourquoi portiez vous votre étendard près de l'autel au sacre de Charles ?

Il avait été à la peine, c'était bien raison qu'il fût à l'honneur !, reprit elle. "

Dans cette assemblée, où pas un regard bienveillant ne s'arrêtait sur elle, jamais sa foi en son pays n'hésita, jamais sa haine de l'oppression étrangère n'essaya de se voiler.

Un jour on lui dit :

"Dieu hait il les Anglais ?

De l'amour ou de la haine que Dieu a pour les Anglais, et ce qu'il fait de leurs âmes, je n'en sais rien ; mais je sais bien qu'ils seront mis hors de France, sauf ceux qui y périront,"

réplique fièrement l'héroïque fille.

Le temps cependant s'écoulait, et l'âpre ressentiment des Anglais ne laissait ni trêve ni repos aux juges de Jeanne d'Arc ; il fallait à tout prix une victime à leur vengeance. 

La mort de l'héroïne d'Orléans était le salut du roi ; et quand une grave maladie faillit la soustraire au supplice par la mort, lord Warwick disait hautement :

"Le roi va mal, la fille ne sera pas brûlée ; il faut qu'elle meure par justice, qu'elle soit brûlée."

L'orgueil hautain de ces vainqueurs de la France ne pouvait supporter la honte de tant de revers que Jeanne leur avait fait éprouver ; il fallut que Cauchon se résignât et qu'il fit taire les scrupules devant lesquels il hésitait, qu'il condamnât au plus vite.

L'heure du sacrifice enfin arriva : le 30 mai 1431 un vaste bûcher se dressait sur la place du Vieux Marche à Rouen ; c'est là que Jeanne d'Arc devait payer de sa vie l'honneur d'avoir sauvé la France.

Bientôt elle parut, assistée de ses deux confesseurs, et traversa, dans une misérable charrette, la foule tremblante sous l'épée des soldats anglais.

Le cardinal de Winchester et toute la noblesse d'Angleterre assistaient à ce triste spectacle.

Que l'impression fut différente de celle qu'ils attendaient ! Quand tout ce peuple vit arriver Jeanne d'Arc revêtue d'une longue robe blanche, triste, épuisée, mais saintement résignée ; quand on vit cette fille, hérétique, disaient les juges, demander instamment une croix et la serrer pieusement sur son sein, les larmes coulèrent de toutes parts : les juges, le peuple, le bourreau, l'évêque de Beauvais lui même, tous pleuraient.

Elle parvint enfin au haut du bûcher, qu'on avait singulièrement élevé afin de prolonger le supplice ; Jeanne alors, jetant un dernier regard sur cette ville silencieuse et immobile à ses pieds, lui accorda une parole de pardon :

"Ah ! Rouen, Rouen, j'ai grand'peur que tu n'ales à souffrir de ma mort !"

A cet instant, le bourreau mit le feu ; la nature se réveilla un moment dans cette âme absorbée par Dieu, Jeanne poussa un grand cri ; puis les flammes, s'élançant vers leur proie, la dérobèrent à tous les yeux ; elle laissa tomber sa tête en s'écriant : Jésus !, et l'ange gardien de la France monta au ciel.

Dix mille hommes pleuraient, les soldats anglais autant que les bourgeois de Rouen ; à peine quelques uns songèrent-ils à leur haine.

Un d'entre eux, qui s'approcha pour attiser le feu, recula aussitôt et se trouva mal. J'ai vu, disait-il hors de lui-même, j'ai vu de sa bouche avec le dernier soupir s'envoler une colombe.

Le bourreau épouvanté alla se confesser, ne pouvant croire que Dieu lui pardonnerait ; et, le jour même de cette cruelle immolation, un secrétaire du roi d'Angleterre disait tout haut : 

"Nous sommes perdus, nous avons brûlé une sainte."

 

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages