Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :      François 1er.

Année :  1525

  François I à Madrid.

La bataille de Pavie, qui porta un si funeste coup à la fortune de François 1er, abaissa profondément son orgueil.

C'est alors qu'il écrivit à sa mère, Louise de Savoie, duchesse d'Angoulême, une lettre remplie de découragement :

"Pour vous avertir comment se porte le ressort de mon  infortune, de toutes choses ne m'est demeuré que l'honneur et la Vie, qui est sauve ; "

que l'histoire a si longtemps transformée, par étrange altération de la vérité, en cette parole célèbre : 

"Tout est perdu fors l'honneur." ,

Frappé par un de ces grands revers, qui laissent sans force les âmes les plus énergiques, obligé de rendre son épée au lieutenant de Charles-Quint, à Lannoy, vice-roi de Naples, le roi de France, d'habitude si fier, si fortement épris de la grandeur de son pouvoir, ne sut pas résister à un coup qui compromettait à la fois la gloire de sa couronne et les destinées de son royaume.

Conduit à Madrid, où il avait espéré obtenir directement, de CharIes-Quint des conditions favorables, il fut bientôt atteint d'une langueur maladive lorsqu'il vit son habile rival se refuser avec une dédaigneuse constance à l'entrevue qu'il lui demandait si instamment.

Accablé par un retour si complet du sort, le vainqueur de Marignan tomba gravement malade ; et, pour ne point perdre à jamais le royal otage que la fortune lui avait si aisément livré, l'empereur dut enfin franchir le seuil de la prison où il retenait le roi de France.

François 1er presque mourant, était étendu sur son lit, d'où il pouvait à peine soulever son corps brisé ; son oeil éteint, sa figure amaigrie attestaient ses souffrances : ce n'était plus cette élégante attitude, cette tête fièrement portée, ce regard plein de feu qui dominait naguère la cour de Chantilly et de Fontainebleau ; c'était un captif malheureux et humilié.

Charles-Quint fut effrayé des rapides progrès du mal ; il douta un instant s'il aurait à traiter de la liberté d'un roi ou s'il n'aurait à renvoyer à la France qu'un cercueil, triste témoignage de sa vengeance.

Autant qu'il le put, il essaya de réparer le mal ; son accueil fut rempli d'une trompeuse bienveillance, il s'approcha avec émotion du lit de François 1er, et le traita plutôt en frère que comme un prisonnier dont la destinée était entre ses mains.

Dans l'entretien qu'ils eurent ensemble, il lui fit espérer de meilleures conditions : il lui montra la France qui l'appelait de ses voeux et à laquelle il serait bientôt rendu ; il ranima enfin par de touchantes promesses cet esprit si cruellement éprouvé et ne quitta le roi de France qu'après l'avoir en quelque sorte rattaché à la vie.

François 1er reprit un moment courage ; mais bientôt il s'aperçut que la politique avait seule dicté à l'empereur des paroles consolantes.

Charles V, rassuré sur la santé de son prisonnier, sûr de ne point se voir enlever cette garantie précieuse que la victoire de Pavie lui avait donnée, montra plus d'exigences que jamais : il voulait le démembrement de la France, demandait les plus riches provinces du royaume, et menaçait, si l'on refusait d'accéder à ces dures conditions, de placer la couronne de François 1er sur le front du connétable de Bourbon.

Le roi, fatigué de ces négociations, dans lesquelles on abusait si impitoyablement des nécessités de sa position, était retombé dans son accablement ordinaire : indifférent à toutes choses, bridé par une fièvre lente, il renonça un moment à sa délivrance ; il désespérait de l'avenir, lorsque le noble dévouement, la tendresse empresse de sa soeur vinrent le rappeler à l'existence.

Marguerite, duchesse d'Alençon, cette princesse que les poètes du temps avaient nommée dans leur admiration la Marguerite des princesses, avait toujours eu pour François 1er une vive affection ; lorsqu'elle apprit la douloureuse situation du roi, quand elle sut que chaque jour il  s'affaiblissait davantage et que bientôt peut être le frère qu'elle chérissait n'existerait plus , elle n'écouta que les inspirations fraternelles de son coeur , résolut de porter au roi captif des consolations, et d'aller elle-même solliciter l'inflexible vainqueur de Pavie.

Ayant obtenu un saut-conduit pour six mois, le 27 août 1525, Marguerite d'Alençon s'embarqua à Aigues-Mortes pour l'Espagne et la traversa en litière.

 Au gré de son impatiente tendresse, Madrid, ce but désiré de son voyage, semblait fuir à mesure qu'elle s'efforçait d'y arriver ; pressant son escorte, ne prenant aucun repos, si elle essayait de tromper les longueurs de la route c'était en songeant à son frère, en composant des vers où elle exprimait, dans ce langage élégant qui lui était familier, les inquiétudes de son âme : 

Je regarde de tous costez

Pour voir s'il n'arrive personne

Priant sans cesse, n'en doutez,

Dieu, que santé à mon roi donne

Quand nul ne vois, l'oeil j'abandonne

A pleurer....

 Enfin elle atteignit Madrid, et put serrer dans ses bras ce cher prisonnier ; mais ce premier instant de bonheur fut mêlé d'une singulière amertume.

Lorsqu'elle vit François 1er inanimé, presqu'à l'agonie, ne point s'apercevoir de la présence de sa soeur ; en considérant les traces qu'avait laissées sur le front du roi une si cruelle captivité, les larmes de Marguerite coulèrent en abondance.

Surmontant néanmoins son émotion, madame d'Alençon s'empressa d'invoquer pour François 1er, les secours de la religion : dans la chambre même du mourant, elle fait dresser un autel, devant lequel elle s'agenouille au milieu des Français, serviteurs et compagnons du roi dans son infortune, et tous reçoivent l'hostie sainte des mains de l'archevêque d'Embrun, qui célébrait la messe.

Après cette communion le prélat s'approche du lit du malade et le supplie de fixer ses regards sur le Saint Sacrement, qu'il lui présente.

Cette cérémonie,  la voix qui à ses côtés lui parle de Dieu,  tirent enfin le monarque de sa léthargie ; il s'éveille d'un sommeil qui semblait précurseur de la mort, entr'ouvre les yeux, et demande à communier en disant :

" Dieu me guérira l'âme et le corps."

Sa prière et celles de sa soeur furent exaucées, et dès ce jour sa santé commença de s'améliorer. 

Marguerite, après avoir donné de tendres soins au malade, l'avoir vu revenir à la vie et se ranimer par les efforts réunis de sa piété et de son dévouement, songea à réclamer sa liberté.

Au mois d'octobre 1525 elle se rendit à Tolède, et fut reçue par Charles-Quint ; elle ne le trouva pas moins opiniâtre dans ses prétentions qu'il ne l'avait été avec François 1er : il lui répondait par d'encourageantes promesses, il paraissait céder à ses instances ; mais rien ne se décidait.

Vainement Marguerite s'adressait à tous ceux qui avaient quelque influence dans les conseils de l'empereur ; les serviteurs imitaient leur maître, ou ceux qui s'employaient avec sincérité en faveur de François 1er n'étaient pas écoutés.

Désespérant de rien obtenir par les négociations, Marguerite prépara un projet de fuite dont le secret fut trahi par un valet de chambre du roi.

Durant quatre mois, madame d'Alençon tenta toutes les voles de conciliation, usa de tous les moyens sans que ses démarches réussissent ; et elle allait être obligée de quitter l'Espagne sans pouvoir apporter à la France d'espérances certaines, lorsque le roi de France prit une héroïque résolution : il remit à sa soeur un acte par lequel il abdiquait en faveur de son fils aîné, et Marguerite partit emportant, non pas sans regret, un édit royal qui rendait à la France un roi et ne laissait plus au pouvoir de l'empereur qu'un gentilhomme.

Cependant la duchesse d'Alençon, croyant toujours que quelque heureuse nouvelle l'arrêterait en chemin, apportait à s'éloigner de Madrid autant de lenteur qu'elle avait naguère mis d'empressement à y arriver : elle voyageait à petites journées, lorsqu'elle fut avertie, par une lettre de son frère, que Charles-Quint méditait de la faire arrêter à l'expiration précise de son sauf-conduit si elle n'avait pas à ce moment franchi la frontière.

La duchesse d'Alençon, profitant de cet avis, qui venait, pense-t-on, du connétable de Bourbon, poursuivit en toute hâte son voyage, et, à force de vitesse et de fatigues, atteignit la frontière de France une heure avant que le délai de son sauf-conduit fût expiré.

Elle était sauvée ; mais, dans les derniers instants, elle avait été suivie pas à pas par les soldats de Charles-Quint, et au moment où elle pénétrait en France par Salluces ; devançant le terme où la duchesse d'Alençon pouvait être arrêtée par la rigoureuse observation de son sauf-conduit, ils se disposaient à s'emparer d'elle.

L'édit d'abdication qu'elle apportait à Paris, le mariage de François 1er avec Éléonore, veuve du roi de Portugal et soeur de Charles-Quint. qu'elle avait préparé, amenèrent enfin la conclusion d'un traité entre les deux souverains.

Le 20 mars 15226, François 1er, ayant signé le traité de Madrid, rentrait à Paris après un an de captivité, devant à la fois la vie et la liberté à sa soeur, à cette noble Marguerite d'Alençon, qui toujours se dévoua à la gloire et au bonheur de son frère.

 

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages