Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :      François 1er.

Année :  1525

  François I et la reine de navarre

 

Visitent les ateliers de l'imprimeur Robert Estienne.

Dans une des rues obscures, étroites, grimpantes du quartier des écoles on vit parfois, au seizième siècle, s'avancer, parmi les étudiants qui l'encombraient à toute heure, un cavalier de grand air, de noble figure, décoré de l'ordre de Saint Michel, suivi seulement de quelques pages, d'écuyers et de personnages à l'attitude grave et réfléchie ; d'autres fois c'était une dame élégante, d'une figure douce et spirituelle, également accompagnée d'une escorte brillante.

Devant ces deux cavalcades, quand elles apparaissaient au loin, on s'écartait avec respect, et chacun faisait place.

Elles pénétraient dans la rue Saint Jean de Beauvais, située sur les pentes rapides de la Montagne Sainte Geneviève jusqu'à la demeure d'un imprimeur dont la maison s'annonçait par une enseigne représentant un olivier dans les branches duquel s'entrelaçait flottante et large une banderole portant cette inscription : Noli altum sapere, sed time.

Là, les visiteurs s'arrêtaient, descendaient de leurs montures, et entraient.

Ce fier cavalier se nommait François 1er, roi de France ; cette dame, Marguerite de Valois, reine de Navarre : le frère et la soeur venaient visiter Robert Estienne, qu'un des bibliographes les plus ingénieux de nos jours appelle

"le premier imprimeur non seulement de son siècle, mais qui ait paru jusqu'à nous ; un artiste habile, un littérateur, un savant."

A l'arrivée inattendue du roi ou de sa soeur au logis de Robert Estienne, tout le monde s'agitait ; sa femme, ses enfants, ses correcteurs se pressaient au-devant du souverain : un seul quelquefois ne paraissait pas d'abord, c'était le maître.

Enfermé dans son cabinet, en face d'une table couverte de manuscrits grecs, latins, hébreux, il restait absorbé, dans la lecture d'une épreuve de la Bible ou d'un traité de son ami Guillaume Budée, qu'Érasme nommait "le prodige de la France.", François 1er connaissait ces savantes occupations, : il autorisait la libre indépendance de Robert Estienne et respectait ses travaux. 

Quand l'imprimeur arrivait, la conversation s'engageait en latin entre le roi, la reine de Navarre et lui ; on s'informait du livre qui se préparait, de la docte dissertation que la presse allait livrer aux lecteurs érudits de ce temps, et François 1er ou Marguerite de Navarre ne quittait pas les ateliers sans avoir soigneusement examiné l'oeuvre à laquelle s'appliquaient les habiles ouvriers de Robert Estienne.

Ces jours, dit l'écrivain à qui nous empruntons une partie de ce récit,

"où François 1er venait ainsi donner à son imprimeur en titre un témoignage public de sa bienveillance et de son estime pour ses travaux littéraires et pour l'art typographique, furent assurément les plus beaux jours de Robert Estienne."

Nous pouvons ajouter que cette éclatante distinction qu'il accordait à un homme qui avait conquis a son nom par d'utiles travaux, une noblesse égale à toute autre, cet intérêt qu'il montrait pour les productions littéraires honorent particulièrement la vie de François 1er .

Au surplus le roi devait en quelque sorte ces hommages à ce grand art de l'imprimerie, qui allait devenir une puissance dans le monde. 

En effet, si les guerres d'Italie, au seizième siècle, furent une des principales causes de la renaissance des lettres et des arts en France, l'imprimerie en fut l'énergique instrument.

C'est elle qui multiplie et répand tous ces chefs d'oeuvre des écrivains de l'antiquité, à l'étude desquels se forment alors tant d'excellents esprits.

A ces rares manuscrits, avaricieusement gardés au fond des bibliothèques comme les plus précieux joyaux, elle substitue les éditions aux nombreux exemplaires qui livrent pour ainsi dire à la lumière les trésors de l'imagination.

C'est elle enfin qui établit par les livres ces rapides et directes communications entre les savants.

L'imprimerie, on peut le dire, a rendu à la vie les oeuvres du passé et conservé à l'avenir celles du présent : aussi est-elle liée intimement à la renaissance des lettres, et tous les hommes qui se sont distingués par les efforts de l'intelligence lui doivent une part de leur gloire.

Si François 1er , honora dignement l'imprimerie dans la personne du laborieux et habile Robert Estienne, il n'encouragea pas avec moins de zèle les études des littératures anciennes : source féconde où le seizième siècle puisa avec une incroyable ardeur.

La prise de Constantinople, en amenant en Italie les érudits du Bas-Empire, lui avait inspiré l'amour de l'antiquité ; les Français, au retour de leurs expéditions, apportèrent dans la patrie la passion de Rome et d'Athènes.

Les langues latine et grecque sont partout étudiées ; elles deviennent le langage universel, celui que préfèrent les lettres : elles pénètrent dans les correspondances diplomatiques et scientifiques, dans la prose et dans la poésie.

Les écrivains du seizième siècle, Ronsard, Du Bellay, de Bèze, le savant Amyot, leur empruntent leurs formes et jusqu'à leurs pensées.

François 1er ne resta pas en dehors de ce mouvement ; il correspondait avec Érasme, avec Budée, avec le Grec Lascaris : il leur accordait sa bienveillance et les protégeait avec éclat.

Enfin il voulut donner à ces studieux penchants un appui solide, et il fonda le Collège Royal, aujourd'hui le Collège de France, qui, dans l'origine, fut exclusivement consacré à l'enseignement des langues anciennes.

Cet établissement littéraire, créé vers 1536, ne fut d'abord formé que de trois chaires : une d'hébreu, une de latin et une de grec.

Mais son importance et ses privilèges s'accrurent rapidement, on ouvrit successivement des chaires nouvelles pour les mathématiques, la philosophie, la médecine ; et quelques années après sa fondation le Collège Royal avait pris des développements qui assurèrent dès lors la durée de son enseignement.

Secondé ainsi par la volonté du roi, le mouvement littéraire qui remuait l'Europe éclate en France dans sa pleine originalité.

Toutes les questions littéraires y sont abordées avec hardiesse et chaleur, les lettres latines sont choisies comme de parfaits modèles ; la pensée essaie alors toutes les formes pour s'exprimer : la poésie, le roman, l'histoire, la théologie, se produisent en même temps parmi nous ; l'idiome national, dans ses capricieuses fantaisies, dans ses imitations, commence à naître et prépare de loin, en lui léguant les traditions de l'antiquité, si soigneusement recueillies, la splendeur du dix septième siècle ; enfin la France, par ses diverses tentatives littéraires autant que par ses guerres et sa politique, lie des rapports intimes avec les contrées qui l'entourent ; son histoire est à ce moment celle de l'Europe entière, et aux noms éminents qu'elle peut rappeler on mêle nécessairement tous les noms illustres de l'Europe.

A la renommée de Sannazar, Tasse, Machiavel, Guichardin, Cervantès, Spencer, Sydney, tous ces représentants de la renaissance littéraire en Italie, en Espagne, en Angleterre, s'unit sans infériorité celle des hommes qui parmi nous se sont jetés le plus activement dans le mouvement général : des frères Du Bellay, de Guillaume Pélicier, de Georges Selve, qui servirent la France par leurs négociations et l'éclairèrent par leur érudition ; de Guillaume Budée, de Tusan, de Scaliger, de Robert Estienne, qui fouillèrent avec tant de patience dans le passé ; de Marot et de Ronsard, qui ouvrirent à la poésie une voie nouvelle ; de Montaigne, le sceptique philosophe ; d'Amyot, monté par ses talents seuls aux premières dignités de l'Eglise ; et enfin de François 1er cet esprit brillant, distingué, épris des arts et des lettres, poète lui-même, avide de gloire, d'éclat, prodigue à l'excès, qui demeure la plus vive personnification du goût littéraire, de la passion des beaux-arts dans un temps où régnèrent le grand Léon X, Charles-Quint, Henri VIII et Soliman le Magnifique.

On regrette de voir ce règne si brillant à son début s'attrister à sa fin et, sous l'influence des préoccupations religieuses et politiques, rompre en quelque sorte avec les traditions littéraires et poétiques, briser cette union charmante, si longtemps soutenue, de la royauté, de l'art et de la littérature.

Dans les dernières années du règne de François 1er, la réforme religieuse prêchée par Calvin ayant éclaté dans toute sa force, le roi se crut obligé de la réprimer par de rigoureuses mesures : le protecteur de Robert Estienne rendit de sévères arrêts contre l'imprimerie et la proscrivit presque ; il établit la censure et défendit sous peine de mort de publier aucun livre sans la permission royale.

Robert Estienne, le rival, pour ne pas dire le maître des Aldes, des Elzévirs, effrayé de ces signes de persécution, transporta ses presses à Genève ; Marot alla mourir en Piémont, Théodore de Bèze s'exila.

Cependant, malgré les durs édits des dernières années de son règne, la France maintint à François 1er le titre de grand

"pour trois actes honorables, dit Tavannes ; la bataille de Marignan, la restauration des lettres et la résistance à toute l'Europe."

 

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages