Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :      Charles IX.

Année :  1561

  Marie Stuart quitte la France.

Le 15 août 1561 une femme jeune et belle, accoudée au rebord d'un vaisseau qui semblait à regret s'éloigner, saluait du geste et du regard les côtes de France, qui se perdaient dans les brumes vaporeuses de l'horizon ; cette femme éplorée c'était la veuve de François II, la reine de France et d'Écosse, Marie Stuart enfin, l'une des plus charmantes renommées du seizième siècle, si la perfection de la beauté, les grâces ravissantes de l'esprit, la fortune la plus étonnante par d'incroyables prospérités et des malheurs inouïs semblent de légitimes titres de gloire.

Née en Écosse le 7 décembre 1542, Marie Stuart appartient cependant à la France par les liens les plus intimes, par sa famille, par son éducation et par son union avec le roi de France.

Sa mère, Marie de Guise, était de cette fière maison de Lorraine qui gouverna la France pendant trois règnes successifs, Marie Stuart était la nièce de François de Guise et du cardinal de Lorraine son frère.

Son éducation, commencée en Ecosse, avait été terminée en France ; en 1558 elle épousa le fils de Henri II, et ce mariage réunit sur le front de cette jeune fille de seize ans les couronnes de France et d'Écosse.

Cette union fut célébrée le 24 avril avec un magnificence royale, les Parisiens se pressèrent sur les pas de la jeune reine pour saluer tant de grâce et de beauté ; et lorsque Marie Stuart, en présentant au dauphin de France cette main qu'avaient ambitionnée les plus illustres princes de l'Europe, lui donna le titre de roi d'Écosse, l'église retentit de joyeuses acclamations.

Dès lors Marie Stuart occupa à la cour de France le premier rang, les charmes inexprimables de sa personne et de son esprit étendaient partout son influence et lui gagnaient tous les coeurs ; l'admiration délicate de cette cour élégante se produisait autour d'elle de mille façons ingénieuses : dans des fêtes dont elle était la reine, dans des vers qui célébraient ses nobles qualités, dans des joutes où à l'envie on la proclamait la plus belle.

Royauté facile, remplie de plaisirs et d'hommages qui la préparait bien mal aux dures épreuves qui lui étaient réservées.

Tout semblait promettre à Marie Stuart le plus brillant avenir, quand la mort de François II vint interrompre le cours heureux de sa destinée et lui arracher ses premières larmes.

Bientôt elles coulèrent de nouveau lorsqu'il lui fallut quitter ce cher pays, qu'elle aimait tant et où elle était tant aimée.

Depuis le jour de cette cruelle séparation, sa vie, qui devait aboutir à l'échafaud, ne fut plus qu'une lutte pénible avec le sombre fanatisme des religionnaires d'Écosse et avec les haines jalouses de la reine d'Angleterre.

A la mort de François II, Catherine de Médicis, inquiète de l'ascendant qu'avait pris Marie Stuart sur la cour de France, craignant de laisser à ses redoutables adversaires, les princes de Lorraine, l'appui de tant de grâces et d'esprit, obligea la reine d'Écosse à quitter sa patrie d'adoption pour retourner au delà des mers régner, à Édimbourg.

Dans les derniers jours de l'été, après avoir longtemps hésité, Marie Stuart consentit enfin à abandonner la France, et elle se rendit à Calais accompagnée de ses oncles et de sa tante la duchesse de Guise.

Deux galères attendaient la reine d'Ecosse, et, le 15 août 1561, la veuve du roi de France s'embarqua et quitta pour toujours cette terre bien aimée où treize ans auparavant elle avait abordé apportant avec elle tant de joies et de nobles espérances.

Au moment même où elle sortait du port et à peine les rames commençaient elles à se mouiller, qu'elle vit s'abîmer dans la mer un navire et la plupart de ceux qui le montaient ; cet événement d'un si triste présage vint encore ajouter au trouble qui l'agitait, et, comme si déjà toutes les misères de sa vie lui apparaissaient :

Ah ! mon Dieu! quel augure de voyage est ceci !, s'écria t elle.

Enfin, cédant au vent, sa galère s'éloigne du rivage ; alors Marie Stuart, oubliant tous ceux qui l'environnaient pour jeter à la France ses derniers adieux, contemple les côtes qui disparaissent lentement, des larmes coulent doucement de ses beaux yeux, et elle dit tristement : Adieu, France ! adieu, France !

Jusqu'à la nuit ces douloureuses paroles sortent incessamment de ses lèvres ; et lorsque vainement elle essaie de pénétrer les ténèbres, lorsque la terre échappe à ses regards, pleurant avec plus d'amertume, elle dit :

"C'est bien à cette heure, ma chère France, que je vous perds du tout de vue, puisque la nuit obscure et jalouse du contentement de vous voir tant que j"eusse pu m'apporte un voile noir devant les yeux pour me priver d'un tel. bien.

Adieu donc, ma chère France, je ne vous verrai jamais plus !"

Calais et ses rivages avaient disparu dans l'obscurité ; mais, content encore de respirer les brises lointaines qui lui apportaient, comme les derniers souvenirs de la France, les derniers parfums de sa véritable patrie, Marie Stuart ne voulut point quitter le tillac du vaisseau : elle s'y fit dresser un lit ; et avant de dormir elle recommanda au timonier de l'éveiller dès que le jour paraîtrait, si on découvrait encore la France à l'horizon.

Le hasard seconda ses désirs : le vent étant subitement tombé, on n'avança que lentement à force de bras ; et aux premiers rayons du soleil on apercevait les terres grises, les masses incertaines du continent.

Aussitôt qu'on l'eut avertie, la reine d'Ecosse se dressa sur son lit et contempla les côtes de la France aussi longtemps qu'elle le put ; elles s'étaient entièrement effacées que ses regards, errant sur le vaste espace, les cherchaient toujours et essayaient pour une dernière fois de voir la France.

Enfin, quand l'éloignement lui enleva même les douces illusions de cette incertitude, elle redit : "Adieu la France, cela est fait ; adieu la France, je pense ne la revoir jamais plus."

Et ses larmes coulèrent tandis qu'elle demeurait perdue dans de douloureuses pensées, si bien qu'on eût dit plutôt une exilée qu'une reine regagnant ses états.

Une espérance cependant lui resta jusqu'à l'heure de l'arrivée, espérance qu'à peine elle osait s'avouer : triste consolation pour sa douleur.

La reine d'Angleterre, Élisabeth, avait refusé à sa soeur, à la reine d'Écosse, un sauf-conduit.

Par ses ordres, des vaisseaux croisaient dans le détroit pour surprendre la veuve du roi de France ; si on rencontrait les vaisseaux ennemis, on était obligé, de regagner la France afin de leur échapper.

Marie, compta un moment sur cette cruelle ressource ; elle désira la présence des Anglais, au risque de tomber entre leurs mains, de devenir la captive de sa rivale, et de hâter de vingt années le fatal dénouement de Fotheringay.

On réussit cependant à tromper la surveillance de la croisière anglaise, et après cinq jours d'orages, après une pénible traversée, Marie Stuart aborda en Écosse et se rendit à Édimbourg, où elle n'entendit plus autour d'elle, au lieu des poésies délicates où Ronsard, Du Bellay et tous les poètes de ce temps célébraient son esprit et sa beauté, que les farouches déclamations de Knox et de ses religionnaires.

C'est alors sans doute que, se reportant vers la France, vers Paris, vers la cour si brillante de Henri II, où naissaient sous ses pas les hommages et les fêtes, où l'admiration et le respect éclataient partout à sa vue, c'est alors qu'elle soupira ces vers célèbres, où sont recueillis ses mélancoliques regrets : 

Adieu, plaisant pays de France

0 ma patrie

La plus chérie,

Qui as nourri ma jeune enfance !

Adieu, France ! adieu, mes beaux jours !

La nef qui disjoint nos amours

N'a cy de moi que la moitié :

Une Part te reste, elle est tienne,

Je la fie à ton amitié,

Pour que de l'autre il te souvienne.

Pour Marie Stuart le bonheur était à jamais disparu, et ce retour en Écosse sépare sa vie en deux parties dont les chances sont bien différentes : d'un côté du détroit, en France, la jeunesse, la beauté, une union royale chantée par les poètes, applaudie par la plus élégante cour de l'Europe ; de l'autre côté, en Ecosse, des haines sanglantes, les agitations des guerres politiques et religieuses, et une captivité à laquelle la malheureuse reine ne se soustrait que pour souffrir durant dix huit années dans la prison préparée par la haine d'Élisabeth, et pour expier sur l'échafaud sa beauté, son esprit et les adorations dont on l'avait entourée.

Aussi, à l'heure suprême, quand on l'arracha aux déchirants adieux de ses filles d'honneur pour la conduire au supplice :

"Jurez moi, leur dit Marie Stuart, que vous allez vous réfugier en France ; vous savez comme j'aimai toujours ce pays, on m'y pleurera !

Elle avait raison de ne pas douter du souvenir de la France, et, quoique le royaume qu'elle apportait à François II soit passé à l'Angleterre, jamais sa patrie d'adoption, cette contrée qu'elle chérissait, n'a méconnu les liens du coeur et de l'imagination qui l'unissaient à la reine d'Écosse.

 

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages