Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :      Charles IX.

Année :  1572

  Massacre de la Saint Barthélemy.

Dans la soirée du 23 août 1572 Paris présentait un sombre aspect malgré la paix qui depuis deux ans régnait entre les huguenots et les catholiques, on semblait se préparer à une grande lutte. Des compagnies d'hommes armés parcouraient les rues des rassemblements se formaient sur divers points et surtout aux environs de l'hôtel de ville ; successivement les fenêtres s'éclairaient, et aux lueurs douteuses des flambeaux on voyait des officiers placer leurs soldats, échanger un mot d'ordre secret, et désigner des maisons ; le Louvre se remplissait de munitions, des chariots chargés d'armes y pénétraient, et comme des gentilshommes calvinistes demandaient : 

Qu'est-ce tout ce bruit ? 

C'est, répondirent quelques capitaines, que le roi prend plaisir a attaquer un fort la nuit et aux flambeaux, et chacun court pour le voir.

Étrange fête, dans laquelle Charles IX allait pour Jamais déshonorer sa mémoire.

Un peu après minuit, la cloche de Saint Germain l'Auxerrois donna le signal ; le tocsin de l'hôtel de ville y répondit ; bientôt toutes les cloches des églises de Paris s'ébranlèrent ; et le massacre des protestants commença vers une heure du matin, le 24 août 1572. 

En un moment la ville fut remplie de cris, de tumulte, de sang ; les compagnies bourgeoises, les arquebusiers, les gens du duc de Guise, se distinguant dans le désordre à la croix blanche qu'ils portaient à leur chapeau, se répandirent de tous côtés, égorgeant sans pitié tout ce qui n'était pas catholique. 

Dans ce massacre général, la mort de Coligny devait être pour ainsi dire le signal de toutes les autres ; ce fut le duc de Guise qui se chargea de cette exécution.

L'amiral de Coligny, frappé deux jours avant d'un coup d'arquebuse qui l'avait blessé au bras, était dans son lit, près duquel un ministre de la religion réformée lui lisait a haute voix les Commentaires de Calvin, lorsque les premiers bruits du mouvement populaire arrivèrent jusqu'à lui.

Lentement le tumulte s'accrut ; enfin un coup d'arquebuse retentit dans la cour même de son hôtel, et on vint lui annoncer que les premières portes étaient forcées.

L'amiral se leva avec calme, se couvrit de quelques vêtements et, dit au ministre qui veillait à ses côtés :
"Mon père, joignez vos prières aux miennes et recommandons notre âme à Dieu."

Au même instant un officier des gardes du roi chargé de protéger l'hôtel de Coligny cria : 
Au nom du roi, ouvrez la porte !, 
Un valet de chambre obéit et il tomba percé d'un coup de poignard. 

Les assassins, tous serviteurs dévoués de la maison de Lorraine, entrèrent dans l'appartement du chef des protestants, et l'un d'eux, Besme, s'avançant, dit d'une voix sombre 
"N'es tu pas l'admiral ?
Oui, c'est moi, répondit Coligny sans trouble mais toi, jeune varlet, tu devrois respecter ma vieillesse et avoir égard à mon infirmité : cependant, quelque chose que tu fasses, tu n'abrégeras pas beaucoup ma vie."

A peine put-il terminer,  Besme donna l'exemple du  meurtre et lui enfonça son épée dans le gosier ; ceux qui l'accompagnaient achevèrent avec leurs poignards le vieil et courageux amiral, et, comme si l'assassinat n'était point une vengeance suffisante, on y joignit l'outrage. 

Le duc de Guise, qui attendait dans la cour, avec le duc d'Anjou et le chevalier d'Angoulême, la fin de cette sanglante expédition, voulut s s'assurer que son ennemi était bien mort et fit jeter par la fenêtre le cadavre sanglant de Coligny ; puis, après l'avoir reconnu et foulé aux pieds : 

 "Courage, dit il. à ses gens ; allons aux autres, le roi le commande !"
et, laissant étendu dans une boue sanglante ce misérable corps qu'il devait reprendre pour l'accrocher au gibet de Montfaucon, il courut à d'autres meurtres.

Paris semblait une ville conquise ; le tocsin sonnait sans relâche, on était arrêté par des barricades, puis par des tas de cadavres ; les éclats répétés des arquebusades se répondaient des extrémités de la ville ; des troupes effarées de victimes, poursuivies par les égorgeurs, s'enfuyaient vers la Seine, mais par une horrible précaution on avait enlevé toutes les barques : tous ceux qui ne portaient pas la croix blanche, tous ceux qui ne s'avouaient pas catholiques mouraient.

Les hommes qui avaient frappé Coligny n'épargnèrent personne ; dans le Louvre, jusque sous les yeux de la soeur de Charles IX, mariée depuis quelques jours au roi de Navarre, on tua les huguenots. 

Le roi lui-même, qui d'abord avait hésité, sacrifia ses plus intimes familiers, une fois engagé il ne recula plus ; quand on obtint enfin son consentement 
"Tuez les donc tous, s'écria-t-il ; et l'amiral, mais aussi tous les huguenots de France, afin qu'il n'en demeure pas un seul qui puisse me le reprocher après.

Il dut se trouver obéi . 

Téligny, gendre de l'amiral ; La Roche foucauld, ami du roi ; de Piles, Pardaillan, La Force, dont le jeune fils se sauva si heureusement à l'Arsenal, et les plus vaillants chefs du protestantisme périrent.

Le rang, la science, le génie, rien ne trouva grâce : Jean Goujon, l'habile artiste, fut frappé d'une balle tandis qu'il taillait les sculptures du Louvre ; le vieux et savant Ramus, la gloire de l'école française, dénoncé par Charpentier son rival en doctrine philosophique, fut massacré par ses élèves : le roi de Navarre et le prince de Condé, n'échappèrent qu'en rachetant leur vie au prix d'une abjuration.
S'il fallait en croire un récit de Brantôme : 
"Charles IX, dès qu'il fut jour, mit la teste à la fenêtre et, voyant ceux qui se sauvoient par le fauxbourg Saint Germain, il prit une grande arquebuse de chasse et en tira tout plein de coups à eux ; mais en vain, car l'arquebuse ne tiroit si loin."

Toutefois on peut démentir ce fait., qui n'a d'autre garant que les paroles d'un homme dont la véracité est souvent contestable ; mais il faut du moins reconnaître que le roi s'associa pleinement par sa volonté aux meurtres de la Saint Barthélemy.

Il avait d'abord rejeté ces excès sur le peuple et sur le duc de Guise ; mais la reine, qui, avec le duc d'Anjou, le duc de Guise, le chancelier Birague et quelques autres, avait décidé les massacres du 24 août, voyant que la popularité de la maison de Lorraine s'en accroissait, engagea son fils à en prendre l'entière responsabilité. 

Celui ci alors parcourut Paris au milieu des acclamations de la foule, qui jamais, on doit à l'histoire ce triste aveu, ne salua le jeune roi de plus d'hommages qu'au lendemain de cette sanglante journée. 

Le 26 août Charles IX vint au parlement, et, dans une séance solennelle, en présence de toutes les chambres réunies sous la présidence de Christophe de Thou, il dit : 
"Je veux que tout le monde sache que les exécutions qui ont été commises dans ces derniers jours ne l'ont été que par mes ordres, afin d'empêcher l'effet d'une détestable conspiration."

Le premier président demanda s'il fallait enregistrer cette déclaration,
"C'est mon intention !", reprit le roi ; et il ajouta qu'il publierait un édit pour faire cesser les massacres.

Mais ils s'arrêtèrent moins aisément qu'ils n'avaient commencé : le peuple, habitué au sang et au pillage, ne voulait plus poser les armes ; les ordres royaux ne demandaient que la mort des chefs du protestantisme, la fureur populaire exigeait l'anéantissement du parti calviniste. 

Les sanglantes exécutions se prolongèrent plusieurs jours ; on enterra onze cents cadavres du 5 au 13 septembre, et jusqu'au 17 il y eut des meurtres isolés.

Quand le calme revint, le remords pénétra dans le coeur de Charles lX ; on en trouve les traces dans ces lignes des Mémoires de Tavannes, ce féroce exécuteur des rigueurs catholiques qui s'écriait dans la nuit de la Saint Barthélemy : 
"Saignez, saignez ! les médecins disent que la saignée est aussi bonne en ce mois d'août qu'au mois de mai ! "
"Le roi oyant conter, écrit-il, les meurtres qui s'étoient faits des vieillards, femmes et enfants, il témoigna d'en avoir horreur." 

Ces souvenirs de sang le poursuivirent à son lit de mort ; au moment d'expirer : 
"Que de sang, et que de meurtres ! s'écrioit le misérable prince ; ha, que j'ai suivi un méchant conseil ! ô mon Dieu, pardonne les moi et me fais miséricorde !"

Le 30 mai 1574, Charles IX mourut, sinon, comme le rapportent les pamphlets calvinistes, inondé d'une sueur de sang et dans des souffrances surnaturelles, du moins désespéré de cette date fatale du 24 août.

De notre temps on a essayé de justifier le massacre de la Saint Barthélemy, on a parlé du salut du peuple, des nécessités politiques, de l'intérêt de la religion nationale, de la foi catholique ; on a rappelé l'inquiétante ambition des huguenots, leur arrogance, leurs insolentes prétentions.

Tout cela est vrai ; mais, si un intérêt quel qu'il soit peut excuser de pareils excès, où s'arrêtera-t-on dans cette voie ? 

Qu'est ce qui semblera désormais permis ou défendu, si l'on autorise ces grands crimes commis par un parti, par une nation, si l'on veut ? 

La morale supérieure aux passions ne saurait accepter ces accommodements ; et si parfois elle est impuissante à empêcher ces fureurs, du moins elle doit les condamner hautement.

 

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages