Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :      Henri III.

Année :  1588

  Journée des barricades.

Depuis que Henri de Valois avait abandonné le trône de Pologne, où l'avait appelé l'élection, pour venir recueillir la royale succession de son frère, de Charles IX, il n'avait pour ainsi dire pas régné  : placé entre deux partis également impérieux et violents, il essayait de les dominer l'un par l'autre sans y pouvoir réussir.

Les protestants, que le crime odieux de la Saint  Barthélemy avait poussés dans une lutte désespérée, ne reconnaissaient plus l'autorité royale  : la paix sans cesse renouvelée était constamment rompue par de nouvelle prise d'armes ; et au moindre succès, parfois même après une défaite, les calvinistes montraient des exigences inacceptables, des prétentions qui n'arrivaient pas à moins qu'au démembrement de la royauté.

Si le roi se tournait vers le parti catholique, il ne le trouvait pas mieux disposé à la soumission ; de toutes parts on était hostile à son pouvoir, on l'attaquait ouvertement.

Bien qu'il eût été un des auteurs du coup d'État du 24 août 1572, Henri III n'Inspirait aucune confiance aux catholiques ; les pratiques superstitieuses, puériles de sa dévotion ne trompaient personne ; on savait à quelles débauches, à quelles fêtes scandaleuses il se livrait au retour de ses pèlerinages, on connaissait ses vices, son indifférence railleuse, ses incertitudes ; et on méprisait profondément ce lâche caractère, dont les faiblesses faisaient encore ressortir la fermeté et le dévouement du duc de Guise.

Dès les premières années de son règne, les catholiques avaient formé, en défiance de l'autorité, royale, une union ou sainte Ligue pour la défense des intérêts de la foi.

Etablie d'abord en Picardie, l'association catholique s'était rapidement étendue  : la plupart des villes de France y avaient adhéré, et, avec Paris pour centre et le duc de Guise pour chef, la Ligue était devenue une menaçante puissance ; elle reconnaissait encore Henri III comme souverain, mais en fait elle gouvernait plus que lui.

Afin d'en abaisser l'influence, le roi convoqua à Blois des États Généraux  : les élections se firent sous les inspirations de la Ligue, et Henri III échoua dans toutes ses demandes ; on lui imposa les conditions les plus inconciliables ; on exigea la révocation des édits de pacification avec le maintien de la paix ; on réclama impérieusement la destruction du calvinisme, et en même temps on refusa l'argent nécessaire à ]a guerre en rejetant à la fois la proposition de nouveaux impôts et la vente de trois cent mille livres de rente des biens de la couronne.

Les États de Blois firent au roi une position impossible ; et Henri III, dit un mémoire du temps, fut si marri de ces résolutions que l'on vit quasi des larmes lui couler des yeux quand on lui fit entendre cette opiniâtreté :

"Voilà, dit il, une trop énorme cruauté ; ils ne me veulent secourir du leur, ni permettre que je m'aide du mien."

Pendant dix années Henri III se débattit entre les factions ainsi accusé, calomnié, poursuivi d'injures à la fois par les ministres de la réforme, et les prédicateurs de la Ligue, amèrement censuré quoi qu'il fit et soutenu seulement par la prodigieuse adresse de sa mère et par les intérêts divers des partis qui réciproquement balançaient leurs efforts.

La mort du duc d'Alençon, son frère, augmenta encore les dangers de cette situation.

Le roi de Navarre, le chef du protestantisme était devenu l'héritier le plus proche de la couronne des Valois ; à la pensée d'avoir un jour pour souverain un hérétique, la fureur de la Ligue, son fanatisme religieux s'accrurent, la nation s'émut des espérances que pouvait concevoir le chef du parti huguenot.

Tous les regards se tournèrent vers le duc de Guise, et pour le placer sur le trône on sembla ne vouloir pas attendre que Henri III fût mort.

Le Valois avait porté deux couronnes ; il fallait, disait-on, lui en donner une troisième celle de moine.

En face de ces ardentes inimitiés le roi fut obligé de se rapprocher des réformés ; et l'exaspération s'accrut  : tandis qu'à Nancy, où il avait été envoyé en  une sorte d'exil, le duc de Guise réunissait ses frères et les principaux chefs de la Ligue pour adresser au roi une requête dans laquelle il était supplié ou plutôt sommé de se déclarer ouvertement pour l'union en établissant l'inquisition, en livrant aux catholiques des places de sûreté et en faisant la guerre sans relâche aux hérétiques.

Paris insultait ouvertement le monarque ; le prévôt des marchands et les seize quarteniers formaient un pouvoir indépendant, comptaient leurs forces, menaçaient la liberté, la vie même de Henri III, et appelaient avec impatience le héros du catholicisme, le défenseur de la foi, le vaillant balafré Henri de Guise.

Enfin, le lundi 9 mai 1588, malgré la défense expresse du roi, le duc de Guise entra dans Paris par la porte Saint Martin accompagné seulement de quelques gentilshommes ; mais à peine l'eut-on reconnu que la foule l'entoura avec d'incroyables acclamations  : on se pressait sur ses pas, on voulait l'approcher, toucher ses vêtements ; les rues qu'il traversait retentissaient de cris enthousiastes, des milliers de voix répétaient

"Vive le duc de Guise ! vive le pilier de l'Église !

et les chapeaux s'agitaient, tous les bras s'élevaient vers le sauveur de la  patrie, le Machabée de la France, comme on l'appelait.

C'était l'entrée d'un prince dans sa capitale plutôt que celle d'un sujet rebelle.

Le duc de Guise se rendit d'abord à l'hôtel de la reine mère, puis avec elle il alla au Louvre, sans gardes, sans escorte.

A la nouvelle de son arrivée, Henri médita un moment de le faire mourir ; et le duc entra dans le château qu'on délibérait encore.

Pour parvenir jusqu'à l'appartement du roi, il passa entre deux rangs de gardes sombres, silencieux, et son coeur faiblit en soupçonnant les projets qui s'agitaient.

Cependant il se présenta avec fermeté devant Henri , qui le reçut froidement en lui reprochant sa désobéissance ; et le chef de la Ligue se retira en toute hâte tandis que le roi hésitait s'il le ferait arrêter.

Quelques heures plus tard,  le duc de Guise revenait au Louvre ; cette fois environné de ses gardes, de ses officiers. 

Alors il fut fier, hautain, impérieux ; il signifia superbement ses conditions  : le doute n'était plus permis, le roi avait un maître s'il n'agissait énergiquement.

Le 12 mal, par l'ordre de Henri III, quatre mille Suisses et deux mille gardes, mèche allumée, tambour battant, entrent dans Paris et s'emparent des ponts et des places principales.

A cette agression déclarée, l'union s'agite , les prédications retentissent  : la bourgeoisie était prête  : de toutes parts elle s'arme ; les écoliers de l'université, réunis sur la place Maubert, où on n'avait pas placé de gardes, donnent le signal et l'exemple de l'insurrection.

Les chaînes se tendent dans les rues ; en quelques heures des barricades s'élèvent jusqu'aux portes du Louvre aux cris de : Vive l'union ! vive la sainte Ligue !  

Le tocsin sonne à toutes les églises appelant les ligueurs au combat.

Bientôt les soldats du roi sont vigoureusement attaqués ; on les cerne de tous côtés, on les isole, on les sépare de leurs chefs, et, abandonnés à eux-mêmes, sans vivres, sans munitions, bloqués dans des rues étroites où ils ne peuvent répondre aux balles qu'on leur envoie, ils sont obligées de reculer et de capituler pour échapper au massacre.

Le soir, la Ligue, qui avait eu tout le succès de cette journée, demeurait maîtresse de Paris et tenait le roi assiégé dans son palais ; encore un effort, elle s'emparait de Henri III.

Celui ci, épouvanté, délibéra avec son conseil durant toute la nuit sur le parti auquel il fallait se résoudre, et sa mère le décida à fuir plutôt que d'accepter les dures conditions que lui faisait le chef de la Ligue.

Le lendemain, tandis que Catherine de Médicis retenait le duc de Guise à une conférence, Henri III s'échappait du Louvre  : feignant de vouloir se promener, il avait, avec une apparente gaieté, gagné les Tuileries, où étaient situées les écuries ; là il monta à cheval avec les gens de sa suite, et sortit par la Porte Neuve.

Un poste de ligueurs placé à la porte de Nesle, voisine de celle-ci, le vit échapper et lui envoya, sans l'atteindre, quelques coups d'arquebuse.

Henri jeta un dernier. regard à sa capitale, maudit l'ingratitude et la perfidie de ses sujets, puis se dirigea sur Saint Cloud et de là sur Chartres, où il arriva le 14 mai 1588.

"Je suis trahi, s'écria avec violence le duc de Guise en s'adressant à la reine, quand on lui apprit la fuite de Henri, Je suis trahi ; pendant que Votre Majesté m'amuse, le roi est parti de son palais avec l'intention de me faire la guerre ! "

Henri III était sauvé, il avait échappé aux projets des ligueurs ; mais il leur laissait la capitale du royaume et une autorité supérieure à la sienne.

Jusqu'à l'entrée de Henri IV à Paris il y eut dès lors deux pouvoirs en France  : celui du roi, presque sans action et sans ressources, et celui de la maison de Lorraine et de la Sainte Union.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages