Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :      Louis XIII.

Année :  1632

 Supplice du maréchal de Montmorency.

Jamais l'autorité de Richelieu ne fut si gravement menacée, ni si ouvertement attaquée que par la conspiration à laquelle le maréchal de Montmorency prêta l'appui de son nom et de son épée. 

Ce fut une révolte audacieuse, un véritable soulèvement contre le roi, contre la France ; et, pour qu'un si funeste exemple n'entraînât pas de nouvelles désobéissances, le cardinal ministre eut besoin de toute son activité, de toute son énergie.

Après la célèbre journée des Dupes, dans laquelle la confiance de Louis XIII parut échapper à Richelieu pendant quelques heures pour lui revenir plus complète et plus forte, Gaston, duc d'Orléans, frère du roi, qui s'était depuis longtemps mis à la tête des mécontents, avait fui d'abord en Lorraine, puis dans les Pays Bas, d'où il essayait de renouer des intrigues dans le royaume, de susciter de nouveaux troubles et de se former un parti. 

Le maréchal de Montmorency, à qui il s'adressa, céda à ses instances plutôt par un entraînement d'honneur, comme il l'eût accompagné à un duel, que par un ressentiment politique contre le cardinal.
Henri, duc de Montmorency, gouverneur du Languedoc, était âgé de trente sept ans ; à la cour il occupait le premier rang par sa naissance, par ses dignités et surtout par la noblesse et la loyauté de son caractère ; parmi les soldats et le peuple sa bienveillance, ses largesses, l'éclat de sa maison lui avaient acquis une extrême popularité ; ses alliances, les hautes fonctions, l'influence qu'il exerçait dans le Languedoc, où il était maître plus que le roi, faisaient de Montmorency un redoutable adversaire : les états de Languedoc récemment assemblés avaient déclaré confondre les intérêts de la province avec les siens ; le Dauphiné, la Guienne, gouvernés par le duc de Créqui et le duc d'Épernon, n'étaient pas sûrs ; Gaston se dirigeait avec quelques troupes vers le midi, où il espérait voir éclater à son arrivée un soulèvement général ; enfin l'Espagne appuyait secrètement ces mouvements, et Richelieu savait qu'au premier désordre elle les seconderait de ses troupes.

Aussi, dès qu'il connut cette conspiration, le cardinal agit avec sa rigueur habituelle ; le parlement de Paris immédiatement réuni déclara, en présence du roi, rebelles et traîtres Montmorency et tous ceux qui se joindraient à lui. 

Après la séance le souverain et son habile ministre partirent pour le midi, en même temps qu'une armée commandée par le maréchal de Schomberg marchait contre les rebelles.

Schomberg rencontra Montmorency et le duc d'Orléans à peu de distance de Castelnaudary. Aussitôt que Gaston se vit en face des troupes royales, sa résolution commença de faiblir ; et même avant l'engagement il songeait déjà à se soumettre au roi son frère. 

Montmorency, après être allé visiter les avant postes, revint dire au duc d'Orléans : 
"Ah, monsieur, voici le jour où vous serez victorieux ..... mais il faut rougir cette épée jusqu'à la garde. 
Ah ! monsieur de Montmorency, répondit le duc d'Orléans, le chef de la conspiration, à ces paroles encourageantes, il y a long temps que vous me promettez de grandes victoires, et je n'ai encore eu que des espérances. 
Quant à moi, je veux bien que vous sachiez que je saurai toujours bien faire ma paix et me retirer moi troisième."

Malgré cette sorte de désertion, ce lâche abandon du prince qui l'avait entraîné à la révolte, Montmorency ne recula pas, mais il conserva peu de confiance ; et quand il s'avança contre Schomberg, ce fut plutôt en soldat hardi qui cherche la mort qu'en général qui tente de remporter une victoire.

A cheval et le pistolet an poing, il se jeta avec quelques uns des siens au plus fort de la mêlée et combattit résolument jusqu'à l'instant où, atteint de dix blessures, il tomba mourant sous son cheval frappé lui même d'une arquebusade.

Bientôt il fut environné, et on le conduisait prisonnier à Castelnaudary tandis que Gaston jetant ses armes faisait en toute hâte sonner la retraite.

Deux mois après la défaite de Castelnaudary, au moment où les cloches annonçaient à Toulouse l'arrivée du roi de France, le duc de Montmorency, escorté par huit compagnies de cavalerie, tant on craignait un mouvement en sa faveur, entrait dans la vieille capitale du Languedoc ; on l'enferma dans la tour du beffroi de l'hôtel de ville, gardée constamment par cent suisses de la garde, et le procès de l'illustre rebelle s'instruisit devant le parlement de Toulouse. 

Louis XIII et son ministre étaient venus afin d'en surveiller la marche et de lutter par leur présence contre les sollicitations et les influences des amis du prisonnier.

Le crime était trop évident pour qu'aucune défense fût possible, Montmorency n'essaya même pas de se justifier : il avoua son erreur avec un sincère repentir, et témoigna dès lors une résignation et en même temps un courage qui jetèrent sur ses dernières heures un profond intérêt.
"Messieurs, répondit-il à la première interrogation des juges du parlement, quoique vous ne soyez mes juges naturels et ne doive vous reconnoître en ma qualité de duc et pair de France, néanmoins, puisqu'il plaît au roi que je réponde, je le ferai. 
Je m'appelle Henri de Montmorency, duc et pair de France et filleul du feu roi ; quant au sujet de ma prévention, c'est que j'ai eu le malheur d'avoir été pris les armes à la main contre mon prince, dont j'ai un très grand déplaisir."

Puis il ajouta les larmes aux yeux que, s'il plaisait au roi lui donner la vie, il ne la voudrait obtenir que pour l'employer à son service et expier par l'épanchement de son sang la faute qu'il avait commise. 

Il ne pouvait y avoir ni doute ni hésitation parmi les juges ; l'éclat de ce soulèvement condamnait à l'avance l'accusé, et le 30 octobre 1632 le parlement rendit un arrêt qui déclarait la confiscation des biens de Montmorency, abolissait son titre de duc et sa pairie héréditaire et ordonnait qu'il aurait la tête tranchée. 

Le duc entendit avec un calme parfait sa condamnation ; aussitôt qu'elle fut prononcée, il écrivit à sa femme cette lettre touchante.
"Mon cher coeur, je vous dis le dernier adieu avec une affection aussi vive que celle qui a toujours existé entre nous. 
Je vous conjure pour le repos de mon âme, qui espère être bientôt dans le ciel, de modérer vos sentiments de douleur et de recevoir de la main de notre Sauveur cette affliction ; J'ai reçu tant de grâces de sa bonté, que vous devez avoir tout sujet de consolation. Adieu pour jamais."

Puis il devint étranger à toute autre préoccupation que celles de la religion.

Tandis que le duc de Montmorency se soumettait, tout autour de lui s'intéressait à son sort : les églises étaient remplies d'une foule qui priait pour lui ; en même temps le roi et Richelieu étaient vivement sollicités ; le vieux duc d'Epernon se jeta aux genoux de Louis XIII en réclamant le pardon du coupable ; le prince de Condé, sa femme, soeur de Montmorency, la duchesse de Montmorency, le duc d'Angoulême supplièrent également, sans succès : le souverain et le ministre demeurèrent inflexibles. 

Pour toute grâce ils permirent seulement que le condamné fût exécuté dans la cour intérieure de l'hôtel de ville.

Le 30 octobre Montmorency entendit la lecture de son arrêt, il rendit à un officier du roi le collier de l'ordre du Saint Esprit et le bâton de maréchal eu disant simplement :
"Tenez, les voilà ; je les rends volontiers au roi, puisque je suis tout à fait indigne de sa grâce."

Puis ensuite, couvert d'une mauvaise casaque de soldat, le col découvert, il marcha avec fermeté. au supplice, assisté de ses confesseurs et tenant en main le crucifix. 

Les portes de l'hôtel de ville étaient fermées, le palais municipal soigneusement gardé ; dans la cour où allait s'accomplir cette grande expiation il n'y avait que le grand prévôt avec ses archers, les greffiers du parlement, les capitouls et les officiers du corps de ville. 

Le duc, en entrant dans la cour où se dressait l'échafaud, aperçu la statue de Henri IV placée au dessus de la porte intérieure de l'hôtel de ville, il considéra avec un attendrissement profond les traits de ce grand prince, salua les personnes qui l'environnaient, et d'un pas ferme monta sur l'échafaud tendu de noir ; posant sa tête sur le fatal billot sans éprouver un instant de trouble ni de crainte : 
"Mon ami, dit il à l'exécuteur, je te pardonne de bon coeur;"
il adressa au religieux qui l'avait accompagné un adieu suprême, répéta doucement . 
"Domine, accipe spiritum meum ! "
et attendit ; alors la hache du bourreau étincela un instant, et la tête du dernier héritier direct de la maison de Montmorency roula sur l'échafaud.

L'émotion que causa le spectacle de cette mort si pieuse, si résignée, fit aisément oublier la faute du coupable ; la sévérité de Richelieu fut maudite par ses contemporains. 

Mais l'histoire, plus calme, doit se montrer plus impartiale : il faut se rappeler les nécessités cruelles mais légitimes de sa situation ; il faut le voir environné de toute cette noblesse encore ardente, fière, toujours prête à se révolter contre l'autorité royale, à appeler l'étranger en aide à son ambition, pour excuser, tout en les regrettant profondément, les rigueurs qui ont signalé l'administration du grand ministre.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages