Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :      Louis XIV.

Année :  1640

 Corneille.

Pierre Corneille est le créateur de la tragédie en France.

Avant lui, Jodelle, Garnier, Mairet et quelques autres dont le nom s'est à peine conservé tentent de louables essais ; mais ce sont encore d'imparfaites ébauches.

Les tragédies de Corneille, au contraire, sont des oeuvres de maître ; quand il a enfin trouvé la véritable vole de son génie, il y marche d'un pas ferme, puissant, et s'élève à de suprêmes hauteurs.

Du même coup il trouve la forme et le langage tragiques, il fournit enfin des modèles dont le sublime de pensée et d'expression n'a jamais été dépassé.

Le Cid, représenté en 1636, fut le premier éclat de cet énergique esprit Corneille avait alors trente ans ; ses travaux, jusqu'à ce moment, l'avaient à peine séparé de la foule des contemporains.

Mélite, Clitandre, la Veuve, la Place Royale, Médée même, étaient des ouvrages ordinaires, comparables à tout ce qu'on produisait alors.

Le Cid est un brillant et lumineux rayon qui répand de vives clartés dans le monde littéraire où il apparaît.

On ne saurait exprimer l'admiration, l'enthousiasme qu'excita en France l'oeuvre héroïque du jeune poète ; tout se réunissait pour ajouter un intérêt particulier à cette heureuse tentative l'éloignement dans lequel vivait l'auteur de Paris et de la société où se faisaient les réputations, l'obscurité presque complète de son nom, son âge enfin, qui rappelait invinciblement ces deux vers du rôle de Rodrigue : 

Je suis jeune, il est vrai , mais aux âmes bien nées

La valeur n'attend pas le nombre des années.

La foule remplissait chaque soir l'hôtel de Bourgogne, et applaudissait avec transport et Rodrigue et Chimène ; il semblait, aux représentations du Cid, que la nation reconnaissait, honorait son propre génie dans celui de Corneille.

Longtemps ces mots , Beau comme le Cid, furent la formule d'une admiration excessive.

Toutefois le triomphe de Corneille ne demeura pas exempt d'amertumes au milieu des hommages:publics quelques critiques violentes se firent entendre, et le poète fut attaqué avec autant de vivacité qu'il était applaudi.

La gloire de l'auteur du Cid importuna un instant le ministre de Louis XIII ; il ne pouvait souffrir d'entendre ce nom dans toutes les bouches, et, s'il ne poursuivit pas Corneille dans sa personne, il ne put s'empêcher de le faire attaquer dans son oeuvre.

Au fond, Richelieu trouvait-il en effet la tragédie inférieure aux tristes productions des auteurs médiocres qui flattaient sa puissance ?

On aimerait presque à le supposer pour l'honneur de son caractère.

Quoi qu'il en soit, que ce fût une inimitié personnelle ou une erreur de goût, qu'il ne comprit pas la forte poésie du Cid ou qu'il se rappelât avec quel empressement, quelle superbe indépendance Corneille avait échappé à sa protection, il fut quelque temps son ennemi.

Scudéry et Colletet devinrent les instruments principaux de son ressentiment, ils attaquèrent avec une envieuse passion l'ouvrage que la France admirait.

L'Académie, nouvellement instituée, fut sollicitée de condamner le Cid, et on doit ajouter que, bien qu'elle fût placée sous l'autorité de Richelieu et unie à lui par tant de liens de reconnaissance, elle remplit cette tâche avec autant de convenance que de modération.

Dans un travail publié sous le titre de Sentiment de l'Académie sur le Cid, elle condamna le sujet de cette tragédie et déclara expressément qu'il n'était pas bon ; mais elle le fit en termes mesurés et avec autant d'impartialité qu'elle le pouvait.

Corneille repoussa fièrement ces attaques par une pièce de vers dans laquelle on trouve ces répliques hardies au poète-ministre, qui confiait à cinq écrivains l'exécution de ses projets littéraires : 

Je ne dois qu'à moi seul toute ma renommée et Mon travail sans appui monte sur le théâtre.

Mais sa meilleure réponse fut la tragédie d'Horace, représentée trois années après le Cid et dans laquelle Corneille se montra supérieur encore à lui-même.

Alors Richelieu avait oublié ses ressentiments, et la tragédie d'Horace lui fut dédiée.

Après ce second ouvrage suivirent Cinna, Polyeucte. Rodogune, Héraclius, produits par le poète dans toute la force de son génie, et qui lui valurent le surnom de grand :

Non seulement, a dit Voltaire, pour le distinguer de son frère, mais du reste des hommes.

Malgré ces hautes qualités et la gloire que ses ouvrages acquéraient à la France, Corneille n'obtint pas de la royauté de Louis XIV les distinctions qu'il méritait ; sa vie fut privée de ces libéralités royales, de cette faveur pleine de bienveillance qui récompensèrent les travaux de Molière, de Racine, de Boileau.

Lorsque le fils de Louis XIII, dans tout l'éclat de sa jeunesse, commença de régner véritablement, Corneille déjà vieux, d'humeur indépendante, un peu chagrine se serait trouvé mal à l'aise dans les galeries de Versailles ; il demeura dans sa retraite et fut entièrement négligé.

Le roi était brillant, plein d'ardeur, de vivacité, fier de sa puissance, et il voulait pour ainsi dire que tout fût à l'unisson de son heureuse fortune, que le génie s'éveillât aux rayons de son soleil levant.

Qu'avait-il affaire de ce poète glacé par l'âge, qui ne pouvait plus illustrer son règne d'aucun chef d'oeuvre ; la majestueuse poésie de Racine, sa perfection, la grâce et la douceur habituelles de son vers firent oublier un moment les fiers et mâles accents du grand Corneille.

Mais si la cour, si le roi ne se souvinrent pas de l'auteur du Cid, d'Horace, de Cinna, le public ne méconnut jamais la gloire de Corneille, il l'applaudit constamment et rendit à son génie des honneurs que la royauté n'obtient pas toujours.

Entre plusieurs époques glorieuses pour Corneille, il en est une surtout qui le dut toucher profondément et qui rappelle ce noble enthousiasme qu'excitait parmi les Athéniens la présence de Sophocle ou d'Euripide.  

Depuis deux années Corneille n'était point paru au théâtre ; il vivait obscurément dans la solitude, à l'écart de tous ces esprits brillants que Versailles réunissait alors.

Un jour cependant que le grand Condé et le prince de Conti étaient venus à une représentation de l'hôtel de Bourgogne, au milieu de ces brillants costumes qui selon la coutume bordaient les deux côtés de la scène, parmi cette foule étincelante de broderies, couverte de velours et de plumes, on vit apparaître un homme d'une taille moyenne, dont les vêtements négligés formaient un contraste complet avec les riches habits qui l'environnaient.

Aussitôt qu'on l'eut aperçu, les acteurs s'interrompirent d'eux-mêmes, les princes, les seigneurs qui formaient leur suite et tous ceux qui étaient sur le théâtre, se levèrent spontanément ; le public imita cet exemple, et le nom de Corneille retentit salué par les applaudissements de toute cette salle : cet éclatant témoignage d'admiration se renouvela à tous les entr'actes, et le grand poète put juger que la mémoire de ses premiers succès n'était pas perdue, que sa gloire n'était pas effacée.

A la fin de cette remarquable représentation, la sortie de Corneille fut encore accompagnée des mêmes hommages ; lorsqu'on le vit se retirer, son nom fut longuement répété , les battements de mains et les acclamations reprirent avec ardeur.

A ce moment l'illustre écrivain dut se sentir largement payé de ses travaux, et la faveur du roi put lui sembler moins regrettable à côté de celle que lui témoignait Paris tout entier.

Certes c'était une grande soirée pour lui que celle où il vit la foule le recevoir comme un roi, et le grand Condé, le vainqueur de Rocroi, de Lens, de Senef, ce prince glorieux qui déjà avait applaudi ses premiers ouvrages, dont les larmes coulaient involontairement en entendant cette belle parole d'Auguste à Cinna

Soyons amis, Cinna c'est moi qui t'en convie,

se lever avec respect à sa présence et incliner sa gloire militaire, devant la gloire littéraire du poète.

En 1684, Corneille se mourait à Paris dans une situation difficile moins heureux que Molière, il avait survécu à son génie ; les faibles efforts de sa vieillesse avaient fait oublier les chefs d'oeuvre de son âge mûr et, pour adoucir l'amertume de ses dernières heures, il fallut que Boileau, rachetant ainsi la dure épigramme qu'il avait adressée à cet esprit défaillant, sollicitât la munificence de Louis XIV et qu'il arrachât à son immense prodigalité un médiocre secours pour le poète expirant.

Corneille fut enseveli à Saint Roch, et, jusque vers les dernières années de la restauration, ni un marbre, ni même une inscription, n'indiquèrent la place où il reposait.

A cette époque seulement, par les soins du duc d'Orléans, un buste surmonta la tombe de l'auteur du Cid, et son nom fut gravé sur la pierre funèbre.

Depuis, Rouen, où Corneille est né, a rendu un solennel hommage à sa mémoire.

On a élevé, une statue à l'illustre poète , et le bronze a fait revivre ses traits énergiques parmi ses concitoyens.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages