Faits mémorables

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :      Louis XIV.

Année :  1688

 Louis XIV reçoit Jacques II

 

  à Saint Germain.

Jamais Louis XIV ne montra mieux, peut être, le respect qu'il avait pour le caractère de la royauté que dans l'accueil qu'il fit au roi d'Angleterre Jacques II, lorsque celui-ci vint, après la révolution de 1688, chercher un asile en France.

Le prince exilé fut traité avec autant de déférence qu'il l'eût été dans l'éclat même de sa puissance, et l'hospitalité, du château de Saint Germain lui rendit toute la splendeur, tous les honneurs qu'il eût pu exiger au palais de Saint James.

Aux sympathies que devait naturellement inspirer une si haute infortune se joignaient de touchants souvenirs, la France de Louis XIV n'avaient pas oublié par quels liens intimes les Stuarts s'unissaient à la race royale ; on se rappelait que Jacques Il était l'arrière petit fils de cette charmante et malheureuse Marie Stuart, qui fut pendant quelques mois reine de France ; sa mère était la petite fille de Henri IV ; enfin, lors de la première révolution, durant le protectorat de Cromwell, on avait vu Charles Il et son frère le duc d'York combattre dans les rangs français sous les ordres de Turenne et de Condé.

Aussi, quand le souverain déchu vint se placer sous la protection du roi de France, celui ci se plut à honorer avec excès le monarque malheureux, témoignant ainsi à l'Europe la fidélité qu'il savait conserver à ses alliés dans l'infortune.

Louis XIV, qui avait rehaussé l'éclat de sa grandeur héréditaire par celui d'un beau règne, aimait à relever en un roi sans états le caractère royal, et, si ]'on doit chercher les secrètes intentions de sa noble hospitalité, on peut dire que, par les respects multipliés qu'il accordait à Jacques II, il se rendait pour ainsi dire hommage à lui même.

Il ne voulait pas que les peuples vissent un prince fort de son droit réduit à l'humiliation et à la misère

"Votre cause, dit il à son hôte royal, est celle de tous les rois.,

La reine d'Angleterre et le prince de Galles, son fils, arrivèrent les premiers en France ; le roi alla au devant d'eux jusqu'à Chatou : Je vous rends, madame, dit-il à la reine, un triste service ; mais j'espère vous en rendre bientôt de plus grands et de plus heureux.

Puis, après ces paroles qui laissaient aisément pressentir l'appui que Louis XIV était résolu d'accorder à la cause des Stuarts, il la conduisit au château de Saint Germain, où la souveraine exilée retrouva le luxe auquel elle était habituée.

Tout avait été disposé comme pour le service même de la reine de France ; des présents de toute espèce, de riches étoffes, des vaisselles d'or et d'argent, un ameublement splendide attestaient la magnificence du roi de France.

On avait placé sur la toilette de la reine, ainsi que sur celle du prince de Galles, une cassette contenant dix mille louis d'or.

Tout avait été dispose avec une égale profusion pour la réception de Jacques II; pour l'entretien de sa maison on lui régla six cent mille livres et on lui assura une pension annuelle de soixante mille livres.

Le roi d'Angleterre débarqua en France au commencement du mois de décembre 1688, et le 25 il fut reçu au château de Saint Germain par Louis XIV.

Le roi était venu l'attendre dans les appartements de la reine d'Angleterre : dès qu'on lui annonça l'arrivée du prince fugitif, il alla au devant de lui jusqu'à la porte de la salle des gardes ; les deux souverains s'embrassèrent, et Louis XIV accompagna Jacques Il Jusqu'à la chambre de la reine d'Angleterre.

Enfin, en souvenir de cette journée, le roi fit frapper une médaille qui d'un côté représentait la France recevant Jacques II, la reine d'Angleterre et le prince de Galles, avec ces mots en exergue Perfugium regibus. Refuge des rois.

De l'autre côté on lisait les mots suivants :

Jacobus II, Magnoe Britannioe rex, cum regina conjuge et principe Wallioe in Gallia receptus, 1689.

Toutefois, une hospitalité magnifique, des prévenances amicales, de bienveillantes paroles ne furent pas les seuls témoignages de l'intérêt que Louis XIV prenait à la cause des Stuarts : un armement considérable, des armes, de l'argent, vingt mille hommes de débarquement furent mis à la disposition de Jacques; et au mois d'avril 1689 le roi d'Angleterre s'embarquait pour l'Irlande, qui avait repoussé la révolution accomplie l'année précédente au profit de Guillaume d'orange.

En se séparant de Jacques Il

"Tout ce que je peux vous souhaiter de mieux, lui avait dit Louis XIV, c'est de ne nous jamais revoir."

Malgré les plus favorables circonstances et tous les efforts de la France, ce désir ne se réalisa pas. Le malheur semblait avoir abattu dans Jacques Il, le courage du duc d'York ; irrésolu, timide, il demeura une année en Irlande sans obtenir de succès décisifs, et laissa l'armée anglaise faire des progrès et s'établir dans le pays.

Guillaume d'Orange vint enfin défendre en personne la couronne qu'il avait enlevée à Jacques II ; le beau père et le gendre, le roi légitime et son heureux adversaire, se rencontrèrent sur les rives de la Boyne, où la fortune des Stuarts succomba devant celle du prince d'Orange.

Jacques Il pouvait cependant encore continuer la guerre ; mais ce prince, autrefois rempli d'énergie, de volonté, avait perdu toute fermeté : bientôt il ne songea plus qu'à abandonner l'Irlande ; au moment même où la nouvelle de la victoire de Beachy-Head, remportée par la flotte française sur les vaisseaux réunis de la Hollande et de l'Angleterre, devait ranimer son courage, il désespéra de sa cause et regagna la France.

Deux fois encore, mais sans plus de succès, Louis XIV arma en faveur de Jacques II ; il semblait qu'une influence fatale s'étendît sur tous ceux qui prenaient quelque intérêt à la destinée de ce roi malheureux.

Enfin, après avoir assisté en 1692, du haut du cap de La Hogue, à la défaite de la flotte qui devait le conduire une seconde fois dans les trois royaumes, le fils de Charles Il écrivit à Louis XIV

"Ma mauvaise étoile a fait sentir son influence sur les armes de Votre Majesté, toujours victorieuses jusqu'à ce qu'elles aient combattu pour moi ; je vous supplie donc de ne plus prendre intérêt à un prince aussi malheureux."

Pour toujours le roi d'Angleterre rentra dans le silence et l'oubli ; la race des Stuarts venait de signer pour ainsi dire son abdication, le trône d'Angleterre était perdu pour cette famille aussi célèbre par son infortune que d'autres le sont par leur gloire .

Les revers si constants de Jacques Il ne lui purent cependant obtenir l'intérêt de l'Europe ni même de la France.

Sa cause, son infortune excitaient de profondes sympathies ; mais personnellement il n'inspirait qu'une médiocre estime.

Louis XIV seul ne l'abandonna jamais, ne lui laissa jamais apercevoir, même dans les jours malheureux qui attristèrent la fin de son règne, que les Stuarts fussent un embarras pour lui ; mais il faut convenir que Louis XIV honorait et défendait plutôt le souverain que l'homme.

Le caractère de Jacques Il s'était amoindri, effacé pour ainsi dire dans les minutieuses pratiques d'une dévotion inintelligente ; et lorsqu'il mourut, en 1700, c'était moins un roi qu'un moine.

Cependant il retrouva quelquefois des mouvements de grandeur, et conserva avec une inébranlable conviction le sentiment de son droit.

Lorsque Guillaume d'Orange proposa de reconnaître pour son héritier au trône le jeune fils du Stuart exilé, Jacques s'y refusa ; il ne voulut pas reprendre la couronne par ce détour, et répondit fièrement : 

"Je me résigne à l'usurpation du prince d'Orange ; mais mon fils ne peut tenir la couronne que de moi, l'usurpation ne saurait lui donner un titre légitime."

Dans son malheur, le roi d'Angleterre eut du moins la consolation de trouver des amis fidèles à sa mauvaise fortune : ils se réunirent en une compagnie de soldats au service de France, plutôt que de se soumettre au pouvoir nouveau qui dominait en Angleterre.

Lorsque, formés en corps, ils vinrent rendre hommage à leur légitime souverain, celui ci éprouva une émotion dont son âme semblait avoir perdu les mouvements.

Jacques s'avança vers eux, salua ses sujets loyaux par une inclination du corps et le chapeau bas, revint une seconde fois, s'inclina de nouveau et fondit en larmes : la compagnie d'exilés se mit à genoux, baissa la tête contre terre, puis se relevant fit le salut militaire au dernier Stuart qui fut roi.

Le fils de Jacques Il et Charles Édouard son petit fils essayèrent de ressaisir la couronne paternelle, mais tous deux échouèrent.

Charles Édouard en 1745 parut un moment l'emporter sur la destinée fatale de sa race ; mais, presque arrivé au but, maître d'une partie de l'Angleterre, il succomba à Culloden, et jamais la cause jacobite ne releva depuis son drapeau en Angleterre.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages