Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :      Louis XIV.

Année :  1700

 Louis XIV accepte la couronne d'Espagne

 

pour son petit fils.

Le 16 novembre 1700, l'ambassadeur d'Espagne ayant été introduit dans le cabinet dit roi, Louis XIV lui présenta son petit fils le duc d'Anjou, en disant Monsieur l'ambassadeur, vous le pouvez saluer, comme votre roi.

La maison de Bourbon acceptait le testament par lequel le dernier descendant direct de Charles Quint lui léguait la monarchie espagnole.

L'ambassadeur s'agenouilla devant le nouveau souverain, et lui adressa un compliment en espagnol. Après cette déclaration solennelle, sur l'ordre du roi un huissier ouvrit les deux battants de la porte du cabinet aux courtisans qui. se pressaient dans la galerie de Versailles ; Louis XIV, accompagné du duc d'Anjou et de l'ambassadeur, promenant alors un regard majestueux sur la foule qui l'environnait,:

"Messieurs, dit il en montrant son petit-fils, voilà le roi d'Espagne. La naissance l'appelait à cette couronne ; le feu roi aussi par son testament : toute la nation l'a souhaité et me l'a demandé, instamment ; c'était l'ordre du ciel, je l'ai accordé, avec plaisir., Puis, s'adressant au jeune prince Soyez bon Espagnol, c'est présentement votre premier devoir ; mais souvenez-vous que vous êtes né Français, pour entretenir l'union entre les deux nations,: c'est le moyen de les rendre heureuses et de conserver la paix de l'Europe."

La prévoyance politique de Mazarin avait enfin amené les résultats qu'il avait pressentis : l'union intime formée entre les maisons de France et d'Espagne obtenait l'issue la plus belle qu'on pût espérer ; le traité des Pyrénées, malgré les renonciations qu'on y avait insérées, produisait toutes ses conséquences ; après de long efforts, la fortune de la France l'emportait sur celle de l'Autriche ; le rêve de domination universelle de Charles Quint était pour toujours évanoui.

Jusqu'au dernier moment Louis XIV avait douté, qu'un pareil succès couronnât sa politique ; ce n'est qu'après bien des hésitations en effet que Charles Il s'était décidé à transmettre à un Bourbon la couronne d*Espagne, pour laquelle il ne laissait aucun héritier direct.

Trois fois ses résolutions avaient changé, et ce n'était que sur les instances de la noblesse espagnole qu'il avait signé le testament qui appelait le duc d"Anjou au trône.

D'abord il avait nommé pour lui succéder le prince de Bavière, son petit neveu ; à la mort de celui-ci il avait disposé de la domination espagnole en faveur de l'archiduc d'Autriche Charles, fils de l'empereur Léopold qui avait épousé une soeur de Charles Il.

Ce dernier testament semblait irrévocable, l'empereur d'Allemagne se croyait certain de la couronne de Charles II, lorsque la nation espagnole, inquiète du traité de partage signé par Louis XIV, le roi d'Angleterre et le grand pensionnaire de Hollande en prévision de la mort du roi d'Espagne, redoutant qu'un démembrement à la suite d'une guerre malheureuse ne vînt encore affaiblir sa nationalité et lui faire perdre le reste de sa puissance, seconda pour ainsi dire à son insu les désirs de la France.

Malgré les craintes qu'inspirait la grandeur croissante de Louis XIV, un parti se forma pour donner le trône d'Espagne à l'un de ses petits fils.

On espérait, non sans raison, qu'il saurait soutenir les droits de sa famille par la force ; et puisque la guerre était presque inévitable, l'Espagne préféra la faire de concert avec la France plutôt que contre elle.

Enfin la race royale d'Espagne et avec elle la grandeur et l'influence du pays étaient allées toujours en diminuant depuis le règne de Charles Quint et on voulait pour ainsi dire rajeunir la, royauté espagnole par un sang nouveau.

"Charles Quint, dit L. Mignet dans son introduction à l'histoire de la succession d'Espagne, avait été général et roi, Philippe Il n'avait été que roi ; Philippe III et Philippe IV avaient à peine été rois, Charles Il ne fut pas même homme.

La dynastie, continue-t-il, passa de l'incapacité à l'impuissance, et il ne resta plus à l'Espagne que sa loi de succession pour la tirer de son anéantissement.

Il fallait que le continent vÎnt de nouveau à son aide et que l'esprit européen s'y introduisant à la suite d'une dynastie nouvelle, l'animât et la fit sortir de l'immobilité péninsulaire on elle était retombée."

Le parti français, ou, pour dire plus exactement, le parti véritablement espagnol, obtint de Charles Il ce sacrifice des intérêts de famille aux intérêts nationaux.

Après avoir consulté le pape Innocent XII, le roi d'Espagne signa, non pas sans émotion, le 2 octobre 1700, dans le palais de Buen-Retiro, l'acte qui enlevait la couronne d'Espagne à la maison d'Autriche au profit de la famille des Bourbons.

Dans la chambre royale, tendue en velours, le roi pâle, amaigri, abattu par la maladie à laquelle il allait bientôt succomber, languissamment étendu sur un lit enveloppé de longs rideaux, entendit la lecture des dispositions testamentaires dressées par le conseil de Castille.

Lorsque le ministre secrétaire d'état Ubilla, qui lisait l'acte, arriva à cette phrase

"Et ledit duc d'Anjou doit succéder en premier à tous nos royaumes et seigneuries, non seulement à ceux qui appartiennent à la couronne de Castille, mais aussi à ceux de la couronne d'Aragon et de Navarre, et à tous ceux que nous avons dedans et dehors l'Espagne,"

Charles Il tressaillit et fit signe au ministre de relire le préambule où les droits du duc d'Anjou étaient légalement établis pour s'affermir en quelque sorte dans sa résolution et trouver la force de dépouiller la maison d'Autriche, si longtemps unie à l'Espagne ; puis, sans écouter la fin de dé testament, comme épuisé par ses agitations intérieures, il interrompit Ubilla, prit la plume et signa.

Charles Il mourut le 1er novembre, et le 9 du même mois une dépêche du ministre d'Espagne apprenait à Louis XIV la mort du roi d'Espagne et le successeur qu'il avait désigné.

Le roi ne laissa rien paraître de son émotion ; seulement, le lendemain, dans un conseil auquel assistaient le dauphin, le chancelier Pontchartrain, le duc de Beauvilliers et le marquis de Torcy, ministre des affaires étrangères, l'acceptation du testament de Charles Il fut débattue.

Les avis furent partagés,: Torcy et le duc de Beauvilliers se prononçaient pour un refus, Ponchartrain devina mieux les intentions de Louis XIV en conseillant d'accepter.

Le dauphin, qui d'ordinaire se mêlait peu aux affaires, montra dans cette circonstance une ardeur et une énergie inaccoutumées ; il réclama du roi l'autorisation d'accepter pour son fils un héritage qui était le bien de sa mère, et par conséquent le sien propre, déclarant que

"sa demande était juste, conforme à l'honneur du roi, à l'intérêt et à la grandeur de la couronne et qu'il espérait bien aussi qu'elle ne serait pas refusée."

C'est à la suite de ces graves délibérations que le roi présenta son petit fils à la cour comme l'héritier du roi d'Espagne Charles Il.

Dès ce moment le duc d'Anjou, ou plutôt Philippe V, partagea avec Louis XIV les honneurs dus à la royauté.

La résolution qu'avait prise Louis XIV était grande et nationale, mais aussi remplie de périls: c'était déclarer la guerre à la fois à l'Autriche, à laquelle on enlevait de si brillantes espérances, à l'Angleterre et à la Hollande, auxquelles on s'était lié par le traité de partage ; et, de ces deux rois qui unissaient leur fortune contre l'Europe entière, l'un avait soixante deux ans et l'autre atteignait à peine dix sept ans.

Philippe V et Louis XIV se séparèrent pour toujours le samedi 4 décembre 1700.

Le roi de France avait reconduit son petit fils jusqu'à Sceaux, et c'est là qu'eut lieu la dernière entrevue.

La famille royale était réunie autour de Louis XIV ; le dauphin père de Philippe V, les ducs de Bourgogne et de Berri ses frères, les princesses, le duc d'Orléans, tous pleuraient avec amertume : des larmes coulèrent également des yeux du vieux roi, lorsqu'après avoir embrassé encore une fois le roi d'Espagne il lui dit en montrant les princes qui l'entouraient : ..

"Voici, les princes de mon sang et du vôtre ; les deux nations présentement ne doivent plus se regarder que comme une même nation, elles doivent avoir les mêmes intérêts,: ainsi je souhaite que ces princes soient attachés à vous comme à moi ; vous ne sauriez avoir d'amis plus fidèles ni plus assurés."

Après ces touchants adieux, les deux souverains se quittèrent pour aller chacun défendre de toute sa constance et de tous ses efforts la cause à laquelle ils venaient de s'engager.

Louis XIV retourna à Versailles. où l'attendaient les cruels revers de Ramillies, d'Hochstedt, de Malplaquet, qui allaient lui faire payer bien cher la grandeur de sa maison et réduire la France aux dernières extrémités ; Philippe V se rendit en Espagne, où il fit son entrée solennelle à Madrid le 21 avril 1701 au milieu des acclamations populaires mais, avant qu'il demeurât paisible possesseur de sa royauté, c'est province par province qu'il devait conquérir l'héritage que lui avait transmis Charles Il.

 

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages