Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :      Louis XVI.

Année :  1777

Départ de La Fayette pour l'Amérique.

Les colonies anglaises de l'Amérique du nord, après avoir longtemps opposé une légitime résistance aux injustes prétentions du parlement anglais, venaient de secouer le joug de la métropole.

Le 4 juillet 1776 les députés des treize provinces réunis en congrès à Philadelphie, reconnaissant que leurs tentatives étaient vaines pour concilier leurs droits et la fidélité qu'ils devaient à la couronne, proclamèrent enfin l'indépendance des provinces anglaises, qui furent constituées en république fédérative sous le nom d'Etats Unis d'Amérique.

Cet acte d'émancipation produisit en Europe une sensation profonde mais la France surtout, pénétrée de toutes parts des doctrines philosophiques du dix huitième siècle, l'accueillit avec d'énergiques sympathies ; elle répondit à ce cri d'indépendance parti de l'autre côté, de l'océan par un cri d'enthousiasme.

Ce mouvement cependant ne fut point secondé par le gouvernement de Louis XVI.

Les nécessités de la situation intérieure dominant celles de la politique extérieure, on réprima les trop vives manifestations qui éclataient en faveur des Américains et on n'autorisa qu'avec une extrême réserve l'envoi des secours qu'on voulait leur adresser.

Mais toute la prudence, tous les efforts des ministres de Louis XVI ne purent contenir l'agitation des esprits, et à la cour même de Versailles on défendait la cause de l'Amérique du nord avec chaleur.

Franklin, célèbre déjà dans la science par l'invention du paratonnerre, et qui, avait, comme on le disait alors, arraché la foudre aux cieux et le sceptre aux tyrans devint l'objet de l'attention générale ; chacun voulait le voir, lui parler, et cette noblesse de France si brillante, si élégante, si fort intéressée au maintien de la monarchie dont elle recevait une partie de sa splendeur, ne savait rendre assez d'hommages à cet homme aux moeurs simples, aux libres habitudes qui venait au nom d'un peuple en insurrection représenter à Paris une république naissante.

On demandait à grands cris la guerre : le peuple, en haine de l'oppression ; la noblesse, pour affaiblir l'Angleterre.

Louis XVI, qui, après tout, comprenait bien que son métier était d'être royaliste, comme le disait Joseph II, refusait de se déclarer en faveur de l'Amérique.

Sa politique hésitait, il redoutait à la fois de compromettre les intérêts de la monarchie en les unissant pour ainsi dire à, ceux d'un peuple en insurrection et de perdre cette heureuse occasion d'enlever à la rivale de la France treize riches provinces, quand le courageux dévouement d'un homme qui prêta constamment à la cause de la liberté l'appui de son nom, de son bras et de son intelligence gagna aux États Unis le concours de la France.

La Fayette, en offrant ses services à l'Amérique, ne fut séduit par aucune de ces brillantes espérances que les chances de la guerre présentaient à la noblesse française : servir comme volontaire et à ses frais, dans quelque rang qu'on voulût, furent les seules conditions qu'il fit au congrès.

Modeste, désintéressé, il ne recherchait d'autre prix de ses efforts que le triomphe de la cause et des principes à la défense desquels il se vouait :

"A la première connaissance de cette guerre, a-t-il écrit, mon coeur fut enrôlé, et je ne songeai qu'à joindre mes drapeaux."

Les fâcheux événements qui signalèrent la fin de la campagne de 1776, les défaites successives des Américains à New York, à Long Island, au fort Washington et aux Jerseys hâtèrent l'exécution des projets du jeune enthousiaste.

Les envoyés américains étaient découragés, ils doutaient presque de l'issue de la lutte qu'ils avaient engagée, lorsque La Fayette alla trouver l'un d'eux, M. Deane, et lui dit :,

"Jusqu'ici, monsieur, vous n'avez vu que mon zèle, il va peut-être devenir utile ; j'achète un bâtiment qui portera vos officiers. Il faut montrer de la confiance, et c'est dans le danger que j'aime à partager votre fortune."

Les propositions du marquis de La Fayette furent aisément acceptées ; mais il lui fallait trouver de l'argent, acheter et armer un vaisseau, puis enfin échapper lui-même à la surveillance dont il était l'objet depuis qu'on soupçonnait ses relations avec les agents américains.

La fermeté de ses convictions, l'ardeur de sa jeunesse surmontèrent tous les obstacles, et vers le commencement d'avril tout était, disposé pour un prochain embarquement.

La Fayette alors traversa secrètement la France et se rendit à Bordeaux, en y arrivant il apprit que son projet de départ était connu à Versailles et qu'il était poursuivi par un ordre d'arrestation. Aussitôt le jeune volontaire de la liberté fait partir son vaisseau pour le port du Passage en Espagne et il écrit à Paris, aux ministres, à sa famille, à ses amis, afin d'obtenir l'autorisation de quitter la France et d'aller offrir aux Américains le secours de son épée.

Pour toute réponse, il reçoit l'ordre de se rendre à Marseille et de rejoindre son beau père, le duc d'Ayen, qui visitait l'Italie.

La Fayette feint d'obéir et part pour Marseille en chaise de poste avec un officier, nommé Mauroy, qui désirait comme lui servir sous les drapeaux de l'indépendance ; mais à quelques lieues de Bordeaux leur voiture change de direction, prend la route de Bayonne, et, pour mieux encore éviter les poursuites, La Fayette, revêtant un habit de courrier, monte à cheval et précède la chaise de poste.

Ils avaient évité tous les dangers, ils allaient franchir la frontière, quand à Saint Jean de Luz La Fayette, qui était revenu par cette route du port du Passage lorsqu'il y avait conduit son vaisseau, fut reconnu par la fille du maître de poste ; mais un signe la fit taire, son adroite fidélité détourna même les poursuites, et les deux fugitifs atteignirent le port du Passage, où seulement ils furent rejoints par les dépêches royales qui devaient interdire au marquis de La Fayette l'entrée du continent américain : il était trop tard, et la cause des États Unis avait gagné un de ses plus zélés défenseurs.

Enfin, après six mois d'efforts, de travaux et d'inquiétudes, le 26 avril 1777 La Fayette, le héros des deux mondes, âgé de dix neuf ans, s'embarquait pour l'Amérique du nord sur le bâtiment qu'il avait acheté et qui, par un hasard d'heureux présage, se nommait la Victoire.

Le 15 juin, après sept semaines de traversée, il abordait à cette terre désirée où l'avaient attiré de si nobles convictions, de si généreux sentiments.

Depuis, La Fayette ne cessa de prendre une part active à la lutte jusqu'au jour où triompha le parti de la liberté, qu'il avait si chaleureusement embrassé.

Le départ de La Fayette causa en France, à la cour et parmi le peuple, une vive émotion, on admira tant de hardiesse et de persévérance unies à tant de jeunesse, cet amour de la liberté dans un homme appelé à profiter, par sa naissance, de tous les privilèges du rang.

C'est de ce moment que la révolution américaine fut décidément et sérieusement adoptée par la France ; la cour de Versailles, qui s'était opposée avec tant de persistance au départ de La Fayette, le justifia bientôt par ses propres démarches ; sur les instances et par l'intervention du volontaire des États Unis elle envoya des troupes et des vaisseaux aux Américains, elle unit entièrement ses intérêts aux leurs contre l'Angleterre et reconnut la première leur nationalité.

La Fayette, qui était parti presque proscrit pour les États Unis, fut accueilli à son retour par d'unanimes acclamations, on le fêtait comme un héros, les ministres recherchaient ses conseils, les jeunes nobles voulaient suivre son exemple et s'enrôler sous les drapeaux de la république du Nouveau Monde.

Après un court séjour à Paris, durant lequel il s'occupa de chercher de nouveaux auxiliaires aux Américains, La Fayette se disposa à retourner en Amérique ; mais avant de quitter la France il reçut un témoignage public de la reconnaissance des États Unis : le petit fils de Franklin lui présenta officiellement une épée d'honneur que le congrès lui avait décernée.

Elle était chargée d'ingénieuses allégories, qui toutes rappelaient quelques unes des brillantes actions de celui à qui on l'offrait.

La figure de l'Amérique délivrée de ses chaînes élevait une branche de laurier vers un jeune guerrier dont les traits rappelaient ceux de La Fayette, sur l'autre face il faisait au lion britannique une mortelle blessure ; d'un côté Franklin avait inscrit la devise de l'Amérique, un croissant de lune avec ces mots :

Crescam ut prosim. Je croilrai pour être utile ;

de l'autre était écrite celle que La Fayette avait adoptée à son départ :

Cur non ? Pourquoi non ?

Cette fois son départ pour le Nouveau Monde eut tout l'éclat d'un triomphe, jusqu'à son vaisseau lui et les compagnons qu'il emmenait furent accompagnés par une foule empressée qui les saluait de ses cris d'enthousiasme et de liberté ; sur son canot flottait le drapeau fleurdelisé, et le canon de la France répondit par une glorieuse salve aux adieux que lui adressa le vaisseau qui portait La Fayette.

Ce fut précédé d'une réputation qui s'augmentait chaque jour que La Fayette reparut en Amérique apportant avec son épée l'heureuse nouvelle de l'intervention active du cabinet de Versailles, qui accordait à la république des États Unis le secours de ses soldats et de ses vaisseaux.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages