Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain : Assemblée Nationale.

Année :  1792

Combat de Valmy.

L'Europe s'était déclarée contre la révolution ; le manifeste du duc de Brunwick avait appris à la France quel châtiment lui était réservé si elle se laissait vaincre, et bientôt après cette insultante proclamation les forces réunies de la Prusse et de l'Autriche avaient pénétré en France.

La fortune sembla d'abord favoriser les ennemis de la révolution : l'armée du duc de Brunswick avait pris Longwi, puis Verdun, et elle s'avançait vers Châlons, d'où nul obstacle n'allait plus l'arrêter jusqu'à Paris ; on ne parlait déjà qu'avec un dédain profond de cette révolution de tailleurs et de savetiers, ainsi qu'on appelait l'assemblée législative, le courageux peuple de Paris et toute cette nation dont on se croyait maître, quand la campagne de l'Argonne et le combat de Valmy donnèrent une idée plus juste de ce mouvement prodigieux qui devait changer la face de l'Europe et introduire dans le monde une activité et des passions nouvelles.

Les révolutionnaires avaient répondu à la déclaration de Brunswick et à l'invasion de la France par la déchéance de Louis XVI, s'engageant ainsi sans retour et attestant la foi qu'ils avaient dans la cause nationale ; nos soldats, cette jeunesse arrachée la veille à la charrue, à l'atelier, pour marcher contre l'étranger, prouvèrent bientôt que la révolution saurait combattre glorieusement pour les principes qu'elle proclamait.

La victoire de Valmy, la première que la France révolutionnaire remporta sur ses ennemis au commencement de cette lutte de vingt cinq années qu'elle allait soutenir contre l'Europe, rendit au pays sa confiance et sa force.

A la nouvelle de l'invasion prussienne, et quand on apprit la perte de Longwi et de Verdun, les préparatifs s'activèrent : de tous les points de la France arrivaient à la frontière de jeunes soldats, chaque jour, Paris dirigeait des colonnes de volontaires vers la Champagne ; au nord de la capitale, sur les hauteurs de Montmartre, de Ménilmontant, de Saint Chaumont, on élevait des ouvrages de défense, on formait des retranchements, on montait des batteries, tout se disposait pour une énergique résistance.

En même temps Dumouriez, abandonnant le projet d'invasion de la Belgique, accourait à Sedan afin de prendre le commandement de l'armée de La Fayette ; il la trouva désorganisée, inquiète, doutant du succès devant les progrès de l'armée d'invasion : par son activité, par la supériorité et la hardiesse de ses vues, il relève son courage, rétablit la discipline, et lui rappelle qu'elle doit sauver le pays.

A son arrivée Dumouriez avait réuni un conseil de guerre afin de l'éclairer sur les mesures à prendre, tous les généraux étaient d'avis de reculer derrière la Marne, d'y ramener les armées du Nord et de l'Est et de s'y retrancher fortement.

Dumouriez eut une opinion différente : l'ennemi s'étendait en Lorraine, il ne lui fallait plus qu'un mouvement pour être maître de la grande route de Paris ; mais ce mouvement était environné de périls : la forêt de l'Argonne. coupée de marais, de cours d'eau, ouverte seulement par cinq défilés, lui restait à franchir ; c'est à ces difficiles passages que le général français résolut d'arrêter ses adversaires.

"Ce sont là, dit-il avec ardeur à l'officier à qui il développait ses plans, ce sont là les Thermopyles de la France ; si je. Peux y être avant les Prussiens, tout est sauvé."

Il opère en face de l'armée du duc de Brunswick une marche d'une audace surprenante, s'empare de toutes les routes qui traversent l'Argonne et ferme la route de Paris.

Les Prussiens, reconnaissant la faute qu'ils avaient faite, essayèrent d'enlever les défilés, mais partout ils furent repoussés.

Ce succès cependant inspira à Dumouriez une confiance qui faillit lui devenir funeste : sûr de la forte position qu'il occupait, il se relâche, de ses précautions, il dégarnit un chemin qu'il croyait impraticable et d'une importance secondaire ; les Prussiens profitent de cette faute, traversent la forêt de l'Argonne et débouchent sur la route de Châlons.

Dans cette situation dangereuse, Dumouriez garda un admirable sang froid : quoiqu'il se vît tourné par les ennemis, il ne voulut pas quitter ses positions ; et tandis que les Prussiens s'établissaient entre lui et Paris, qu'ils semblaient défendre, l'armée française, tournant le dos à la frontière, parut vouloir fermer toute voie de retour aux vainqueurs.

Les Prussiens pouvaient désormais s'avancer sur la capitale ; mais leurs derrières n'étaient pas assurés, et ils redoutaient de s'aventurer en pays ennemi en laissant entre eux et la frontière une armée.

Trompé toujours sur la valeur de ces troupes irnprovisées pour ainsi dire, croyant encore qu'au premier coup de canon elles fuiraient lâchement, le roi de Prusse se décida, malgré l'avis du duc de Brunswick, à livrer une bataille ; Kellermann venait de se joindre à Dumouriez, ce fut une raison de plus pour le vainqueur : il était joyeux , disait il, de trouver les deux généraux français réunis, afin de pouvoir les enlever d'un seul coup.

En vain on l'avertit que sa résolution peut être fatale au salut de ses troupes, au succès de sa cause ; Frédéric Guillaume persiste et donne l'ordre de combattre.

Dumouriez, établi à Sainte Menehould, avait fait occuper les hauteurs environnantes, et Kellermann en arrivant s'était établi sur celles du moulin de Valmy, où il concentra ses troupes ; c'est de ces positions que le roi de Prusse prétendait s'emparer.

Le 20 septembre 1792 une violente canonnade s'engage dès le matin entre les deux armées, et la coalition obtient l'avantage au commencement de la journée ; les obus tombent dans nos rangs, quelques caissons d'artillerie éclatent et jettent parmi les Français le trouble et la crainte : déjà les lignes se rompent, la confusion s'accroît. d'instant en instant.

Dans ce mouvement Kellermann est blessé, renversé de cheval ; mais cet accident ne l'arrête pas : il se relève aussitôt, oubliant ses souffrances pour ne songer qu'à la victoire, et fait d'énergiques efforts afin de rallier ses soldats ; ceux-ci, se rassurant enfin, reprennent leur position.

Brunswick, qui s'aperçoit que l'ordre se rétablit, dirige contre la hauteur de Valmy trois colonnes d'attaque soutenues par de la cavalerie, en ordonnant de culbuter les troupes françaises à la baïonnette.

A l'approche de ces régiments formés par Frédéric le Grand, vieillis sur les champs de bataille, nos jeunes soldats hésitent de nouveau, ils regardent avec indécision ces troupes aguerries ; il était midi alors, le brouillard s'était dissipé, et, sous l'immense nuage de fumée qui les couvre, les deux armées se peuvent apercevoir distinctement.

Kellermann voit le doute, l'hésitation de son armée ; aussitôt il s'élance an milieu des rangs Camarades, dit il, le moment de la victoire est arrivé, laissons avancer l'ennemi sans tirer un seul coup et chargeons le à la baïonnette.

Puis il place son chapeau au bout de son épée, l'agite et s'écrie d'une voix forte

"Vive la nation ! allons combattre pour elle !"

Ce cri de victoire est répété sur toute la ligne et se prolonge pendant plusieurs minutes, l'inquiétude fait place à l'enthousiasme, les enfants de la révolution, ces soldats qui bientôt vont porter la victoire partout, inaugurent glorieusement leur première campagne ; ils s'affermissent, serrent les rangs et attendent l'ennemi avec une contenance résolue qui déjà présage le succès.

Trois fois Brunswick essaie d'enlever la hauteur de Valmy, trois fois il est repoussé ; à quatre heures de l'après-midi il tente une dernière attaque qui ne réussit pas mieux que les précédentes : alors il se retire lentement, convaincu de l'impossibilité de l'emporter, appréciant mieux ce que valent ces soldats animés par les inspirations du patriotisme et de la liberté.

A sept heures du soir le feu cessa complètement des deux côtés : la révolution venait de prouver à l'Europe qu'elle saurait défendre ses actes et ses principes.

Tout l'honneur de la journée de Valmy revient à Kellermann et à son armée, qui en supportèrent vaillamment l'effort. Kellermann termina le bulletin qu'il adressa au ministre de la guerre par ces remarquables et prophétiques paroles

"La nation française, après ce que j'ai vu hier, peut être sûre que les soldats les plus aguerris ne doivent pas l'emporter sur ceux qui se sont consacrés à la défense de la liberté."

"Cette épreuve fut décisive, dit M. Thiers dans son Histoire de la Révolution, dès ce moment on crut à la valeur de ces savetiers et de ces tailleurs qui composaient l'armée française d'après les émigrés.

On avait vu des hommes équipés, vêtus et braves, on avait vu des officiers décorés et pleins d'expérience : dans ce moment la révolution fut jugée ; et ce chaos, jusque-là ridicule, n'apparut plus que comme un terrible élan d'énergie."

Aujourd'hui, quand on traverse les plaines arides de la Champagne, au loin, sur une hauteur qui interrompt les lignes uniformes de l'horizon, on aperçoit une colonne qui se dresse fièrement vers le ciel : c'est tout à la fois un monument de gloire et de liberté ; il consacre le souvenir de la première victoire de la révolution.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages