Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :        Directoire.

Année :  1796

Bonaparte au pont d'Arcole.

La fermeté que Bonaparte avait montrée à la journée du 13 vendémiaire an IV, où il sauva le gouvernement républicain d'une nouvelle et dangereuse insurrection, l'enleva enfin à l'obscurité où il languissait depuis une année dans les bureaux du ministère de la guerre.

Le Directoire le nomma d'abord général de division, et bientôt après il lui confia le commandement en chef de l'armée d'Italie : c'était moins une récompense qu'une heureuse occasion fournie à l'activité du jeune général de se déployer à l'aise.

Sur les Alpes tout était à faire, tout était à créer . l'armée n'avait ni habits, ni vivres, ni solde ; lorsque Bonaparte arriva au quartier général à Nice, le 26 mars 1796, il n'apportait, pour suffire aux besoins de l'armée, que deux mille louis et deux millions en traites qui furent en partie protestées.

Les trente mille hommes délaissés au loin, qu'il venait commander, n'avaient que du courage, son génie fit le reste ; et une année plus tard l'armée d'Italie, glorieusement sortie de cinq grandes batailles, était abondamment pourvue, l'Autriche demandait la paix, enfin le Directoire recevait, avec dix millions levés sur les pays conquis, d'admirables tableaux, des statues, des bas reliefs, les plus remarquables chefs d'oeuvre de l'Italie : nobles trophées de cette belle campagne, où commence véritablement la prodigieuse fortune de Bonaparte.

D'abord Bonaparte fut accueilli sans beaucoup d'empressement par l'armée d'Italie ; son aspect était peu capable d'entraîner.

Petit, maigre, sans autre apparence que des traits romains et un regard fixe et vif, il n'avait dans sa personne et dans sa vie passée rien qui pût imposer aux esprits.

Mais l'influence communicative de son génie anima bientôt ses soldats ; Bonaparte releva leur ardeur, leur fit partager sa confiance, et leur montra les riches plaines de l'Italie, qui promettaient à la victoire un repos abondant.

"Soldats, dit-il à son arrivée, vous êtes nus, mal nourris ; le gouvernement vous doit beaucoup, il ne peut rien vous donner.

Votre patience, le courage que vous montrez au milieu de ces rochers sont admirables ; mais ils ne vous procurent aucune gloire, aucun éclat ne rejaillit sur vous.

Je veux vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde : de riches provinces, de grandes villes seront en votre pouvoir ; vous y trouverez honneur, gloire et richesses.

Soldats d'Italie, manqueriez vous de courage ou de constance ?"

Ces brillantes espérances, cette fière éloquence remplirent l'armée d'un enthousiasme qui ne fut pas déçu.

Aussitôt qu'il eut disposé ses forces, rétabli l'ordre et la discipline, le jeune général commença la grande lutte qui lui livra l'Italie.

Toujours combattant, toujours vainqueur, Bonaparte s'avance en Italie, sépare les armées piémontaise et autrichienne, triomphe successivement à Montenotte, à Millesimo, à Dego, à Mondovi et, après avoir obligé le Piémont à demander un armistice, poursuit librement en Lombardie les armées impériales.

Le 10 mai il gagne la célèbre bataille du pont de Lodi ; le 15, un mois après l'ouverture de la campagne, il entrait en triomphe à Milan, dont la municipalité lui présentait les clefs.

Infatigable dans ses succès, Bonaparte poursuit sa marche victorieuse ; il s'empare de Vérone, dont il fait le centre de ses opérations.

Cette conquête rapide, sans trêve, sans repos, avait dissous la ligue italienne.

Le pape, comme le roi de Sardaigne, avait sollicité un armistice qui lui fut accordé pour la cession des légations de Bologne et de Ferrare.

L'Autriche seule combattait avec une opiniâtre persistance ; des troupes nouvelles venaient constamment remplacer celles qu'elle perdait à chaque combat, et ses armées se succédaient en Italie comme ses défaites.

Le général Wurmser, deux fois battu, s'était enfermé dans Mantoue ; aussitôt deux armées, l'une de vingt mille hommes sous les ordres de Davidowich, l'autre de quarante mille sous ceux d'Alvinzi, descendent en même temps en Italie par le Tyrol et le Frioul, afin de se réunir sous Vérone et d'accabler Bonaparte avec des forces doubles des siennes.

La situation des Français, malgré une si heureuse campagne, n'était pas alors sans dangers ; l'armée de Moreau, qui devait par le Tyrol venir appuyer nos soldats, était forcée de faire sa retraite, de repasser le Rhin, et Bonaparte demeurait seul, livré à lui-même avec une armée inférieure de moitié à celle de ses adversaires.

Il avait cependant conduit ses brigades sur la Brenta au devant d'Alvinzi ; mais, après une journée de lutte, il était rentré dans Vérone le 13 novembre.

Ses troupes s'alarmaient.

"L'armée, dit M. Thiers dans son admirable récit de la campagne d'Italie, était dans la consternation ; ces braves soldats, éprouvés par tant de fatigues et de dangers, commençaient à murmurer.

Comme tous les soldats intelligents, ils étaient sujets à de l'humeur, parce qu'ils étaient capables de juger." 

Néanmoins, au milieu de tant de périls, chargé de tant de responsabilité, Bonaparte, tout en adressant au Directoire de justes et amers reproches, ne se décourageait pas, et son apparente inaction cachait un admirable dessein d'où allait sortir la victoire.

Après avoir médité sur le champ de bataille, il venait de prendre une de ces résolutions que le désespoir inspire au génie.

Réduit à vingt mille hommes pour en arrêter quarante mille, il choisit un champ de bataille où le courage devait être plus important que le nombre et s'en remet avec confiance à l'intrépidité de ses soldats du succès de son plan d'attaque.

Dans la nuit du 14 novembre, il sort de Vérone par la porte qui conduit à Milan : l'armée croit déjà qu'on recule, qu'on abandonne l'Italie ; mais à quelque distance de la ville le mouvement est changé.

Le 15 novembre, au jour naissant, les Français passent l'Adige sur un pont de bateaux, à Ronco, et se dirigent sur les flancs et presque les derrières des Autrichiens, que cette habile manoeuvre allait surprendre dans leur marche sur Vérone.

Bonaparte se trouvait alors jeté au milieu d'immenses marais coupés par deux chaussées qui aboutissaient à la route de Vicence à Vérone, que suivait Alvinzi.

"Il tenait donc, dit M. Thiers, deux chaussées qui, toutes deux, allaient rejoindre la grande route occupée par les Autrichiens, l'une entre Caldiero et Vérone, l'autre entre Caldiero et Villa Nova.

Voici quel avait été son calcul : au milieu de ces marais, l'avantage du nombre était tout à fait annulé ; on ne pouvait se déployer que sur les chaussées, et sur les chaussées le courage des têtes de colonne devait décider de tout.

Par la chaussée de gauche, qui allait rejoindre la route entre Vérone et Caldiero, il pouvait tomber sur les Autrichiens s'ils tentaient d'escalader Vérone.

Par celle de droite, qui passe l'Alpon au pont d'Arcole et aboutit à Villa Nova, il débouchait sur les derrières d'Alvinzi ; il pouvait enlever ses parcs et ses bagages et intercepter sa retraite."

C'est vers ce dernier point, sur le pont d'Arcole, que se portèrent les efforts des armées.

Pendant deux jours on s'y battit avec une fureur égale.

Les Autrichiens disputèrent vivement le passage qui allait décider du sort de la campagne.

Augereau s'engage le premier sur le pont, l'artillerie autrichienne le force de reculer ; cependant il revient à la charge, culbute une division ennemie qui avait franchi le pont, la jette en désordre dans les marais et veut pousser en avant.

Il prend un drapeau, le porte sur le pont, suivi de ses soldats ; mais les batteries qui défendent la rive de l'Alpon et la fusillade des lignes autrichiennes l'obligent encore de revenir en arrière, et Alvinzi a le temps d'envoyer des renforts à Arcole.

Bonaparte, qui suivait de Ronco le mouvement de l'attaque, voit son plan compromis.

Alors il court au pont d'Arcole pour tenter un nouvel effort, saisit un drapeau, ramène ses troupes, qui reculaient en désordre, et s'écrie en s'élançant au milieu de la mitraille

"Soldats ! n'êtes vous plus les braves de Lodi ?  Suivez votre général ! "

A sa voix les soldats se reforment et le suivent ; mais ce mouvement d'énergie ne peut se communiquer à la queue de la colonne, et une dernière décharge balaie encore une fois la chaussée.

 L'aide de camp de Bonaparte tombe en le couvrant de son corps, Lannes est blessé, et les Français abandonnent le pont.

Dans cette retraite précipitée, Bonaparte, renversé dans le marais, s'y enfonce ; il allait être pris par les Autrichiens, lorsqu'une compagnie de grenadiers revient vers lui à la voix de Belliard, le dégage, et le remet à cheval.

Pendant trois jours les positions d'Arcole furent témoins d'une lutte sanglante ; mais enfin la valeur de l'armée d'Italie, l'habileté des manoeuvres de Bonaparte l'emportèrent, et le général autrichien se retira en désordre sur Montebello après avoir perdu douze mille morts et six mille prisonniers.

La journée d'Arcole, où il avait montré à la fois le génie du général d'armée et le courage du soldat, fut décisive pour la renommée de Bonaparte ; c'est de ce moment surtout que son nom devint populaire, que sa gloire brilla de tout son éclat.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages