Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :        Directoire.

Année :  1796

Funérailles de Marceau.

Marceau fut un de ces intrépides enfants, l'honneur de là révolution, qui les premiers coururent à la frontière quand l'invasion menaça l'indépendance du pays.

Comme Hoche, comme Kléber, ses amis, comme Championnet, il avait gagné sur le champ de bataille la ceinture de général, et justifié par ses services sur le Rhin, en Belgique, en Vendée, les distinctions qu'il avait obtenues. Lorsqu'une balle autrichienne vint arrêter sa noble carrière Marceau commandait l'arrière garde de cette vaillante armée d'Allemagne, dont la jeune gloire de Bonaparte a trop fait oublier les éclatants services.

Il avait alors vingt sept ans, c'était encore un jeune homme, et sa vie déjà était remplie de ces actions héroïques, de ces vives paroles d'intrépidité qui animent chaque page de l'histoire de ce temps.

Renfermé dans Verdun au moment où les Prussiens envahissaient la Champagne, c'est à lui qu'on confia la triste mission de porter au roi de Prusse l'acte qui lui ouvrait les portes de la dernière place forte qui défendait la route de Paris ; de généreuses larmes s'échappèrent des yeux de Marceau en remettant au souverain la capitulation de Verdun.

Au retour de cette désastreuse campagne, dans laquelle il avait perdu ses équipages, ses chevaux, ses armes, un représentant du peuple lui demanda ce qu'il désirait qu'on lui rendît

"Un sabre nouveau pour venger notre défaite",

répondit le jeune officier avec une fière énergie.

A Fleurus il avait eu deux chevaux tués sous lui ; en Vendée il avait combattu vaillamment, sans oublier après la lutte que ses adversaires étaient français, et il avait commencé la grande oeuvre de pacification accomplie par Hoche.

La lutte suprême dans laquelle il succomba fut digne de sa courageuse vie : il mourut en regardant l'ennemi, en protégeant la retraite de nos soldats, sacrifiant un avenir brillant, d'heureuses espérances à sa patrie, léguant à l'avenir un noble exemple de patriotisme.

L'invasion de l'Allemagne, combinée en 1796 par Carnot, n'avait pas réussi ; l'archiduc Charles, commandant en chef de l'armée autrichienne, avait habilement séparé les armées de Moreau et de Jourdan, et forcé ce dernier, après une défaite sur la Lahn, à repasser le Rhin.

Rappelé, par Jourdan du blocus de Mayence et chargé de contenir l'archiduc en escarmouchant contre lui tandis que l'armée franchissait le dangereux défilé d'Altenkirchen, Marceau remplit cette difficile tâche avec son activité et son courage habituels : constamment placé au poste où il y avait le plus de péril, il contenait intrépidement avec son arrière garde les efforts des Autrichiens engagés dans la forêt d'Hochsteinbach, défendait chaque route, chaque passage, sans que le nombre de ses ennemis ni le désavantage d'un mouvement de retraite le décourageassent ; il reculait mais en ordre, avec fermeté, en conservant ses rangs, disputant à chaque pas le terrain qu'il était obligé d'abandonner.

Ainsi combattant, il était arrivé à l'extrémité de la forêt, au défilé d'Altenkirchen, que les troupes de Jourdan n'avaient pas encore entièrement traversé.

Craignant que l'approche de l'arrière garde ne jetât la confusion et le désordre parmi les soldats, le général en chef envoie dire à Marceau qu'il allait le soutenir ; mais qu'à tout prix il fallait qu'il arrêtât encore la marche des Autrichiens. Quelques dangers qu'offrit l'ordre qu'il venait de recevoir, Marceau n'hésite pas : sur les hauteurs qui dominent l'issue de la forêt, il fait monter deux batteries d'artillerie légère ; en même temps il commande de marcher en avant et se place lui même à l'avant garde.

Alors, voulant mieux reconnaître l'ennemi, qui s'approche, il s'avance accompagné seulement d'un officier et de deux ordonnances jusqu'aux premiers postes d'éclaireurs ; il examinait les positions autrichiennes, quand un chasseur tyrolien, caché à peu de distance dans un buisson, l'ajuste et tire.

Marceau, frappé d'une balle, essaie de faire quelques pas, descend de cheval, et tombe dans les bras des soldats accourus pour le soutenir : il était frappé à mort.

Aussitôt que Jourdan apprend la fatale nouvelle il se rend avec un douloureux empressement auprès de l'intrépide général, à qui l'unissait une tendresse profonde.

On transporte Marceau à Altenkirchen, on lui prodigue des secours, qui devaient être, hélas ! inutiles ; et Jourdan. rappelé pour la sûreté de son armée, ne quitte son ami mourant qu'après une vive et touchante entrevue.

Lorsque les officiers de la république purent revenir auprès de leur compagnon d'armes mourant, ils le trouvèrent entouré de soins ; et leurs regrets se mêlèrent à ceux des soldats autrichiens.

Cependant Marceau conservait son calme, son courage ; en face de la mort qu'il avait tant de fois affrontée, il demeurait paisible et voulait consoler ses amis :

"Mes amis, disait il, je suis trop regretté, pourquoi me plaindre ? Je suis bien heureux, puisque je meurs pour la patrie."

Les nécessités de la guerre ajoutèrent encore à l'amertume de ce deuil, nos troupes repassaient le Rhin ; ses chefs devaient la suivre, et il leur fallut laisser Marceau sur la rive gauche du fleuve.

L'armée ennemie reçut avec respect ce précieux dépôt ; tous les généraux autrichiens vinrent saluer l'illustre blessé : le vieux Kray, qui avait échappé à tant de batailles, se rendit vers lui ; ce fut une scène d'un triste et puissant intérêt que les adieux adressés par ce général vieilli sous les armes et dont les talents militaires étaient depuis long temps reconnus à ce jeune homme si vite arrivé au commandement suprême, et dont la vie à peine commencée se terminait avec tant de gloire.

Kray, profondément troublé, les yeux mouillés de larmes, pressa avec émotion les mains déjà glacées de ce jeune homme contre qui il avait autrefois combattu.

Deux corps de hussards envoyèrent une députation à Marceau, afin d'exprimer toute la sincérité du deuil d'une armée qui le pleurait autant que s'il l'eût commandée ; l'archiduc Charles voulut aussi voir le soldat de la république.

Enfin, trois jours après avoir été frappé, le 21 septembre 1796 (cinquième jour complémentaire an IV), environné de quelques officiers français qui, par l'ordre de Jourdan, ne l'avaient pas quitté, Marceau expira avec une calme sérénité, sans regrets, ne songeant encore, à cette dernière heure, qu'à sa patrie, dont le nom errait sur ses lèvres, et se consolant presque de la mort en songeant que du moins il ne repasserait pas le Rhin franchi avec gloire quelques mois auparavant.

Marceau succomba précisément une année avant Hoche, presque le même jour et à la même heure où le général de l'armée d'Allemagne rendit le dernier soupir.

Mais Marceau, plus heureux que Hoche. ne s'éteignait pas dans une maladie de langueur, agité d'une impuissante activité ; il tombait sur le champ de bataille en combattant pour la France, frappé, comme un soldat, d'une balle ennemie.

Quand il fut mort, on demanda à l'archiduc Charles de restituer à la France le corps du glorieux général ; et il y consentit en donnant pour ainsi dire un funèbre rendez vous sur la tombe du héros à l'armée de la république, afin de rendre avec elle un dernier hommage à la mémoire de Marceau.

Le corps de Marceau fut déposé, près de Coblentz, dans la redoute de Pétersberg, qui prit depuis le nom de fort Marceau ; des soldats portaient le cercueil du jeune général, entouré de trophées d'armes et de drapeaux pris à l'ennemi, suivi de ses amis désespérés, des soldats du corps qu'il commandait dans la forêt d'Hochsteinbach et de divers détachements de l'armée.

Les troupes autrichiennes avaient également pris les armes, et des salves d'artillerie parties des deux rives du Rhin annoncèrent en même temps à la France et à l'Allemagne la perte d'un courageux soldat.

A Pétersberg, on éleva à Marceau une pyramide sur laquelle furent gravées ces simples paroles :

"Passant, tu foules la tombe d'un héros."

Monument de deuil élevé sur la terre étrangère, et qu'ont respecté à leur passage les armées qui deux fois envahirent la France.

Jusqu'au dernier moment, les armées française et autrichienne s'étaient unies pour honorer les restes de Marceau ; vingt ans plus tard la noble voix d'un poète étranger, inspiré par le voisinage de cette tombe, rendit encore un hommage au héros.

Lord Byron, dans le Pèlerinage de ChildeHarold, adressa à Marceau un adieu digne de cette pure mémoire :

"Salut, ô pyramide simple et sublime ! dit Harold ; tu couvres les cendres d'un héros. Il était notre ennemi, mais honneur, honneur immortel à sa mémoire ! A peine son corps était il descendu dans le sépulcre, les larmes coulaient des yeux du soldat, et arrosaient la terre où il allait reposer. 

Sa vie fut glorieuse, courte, immortelle ; il se battit pour rendre la liberté à sa patrie , il fut pur comme la cause qu'il avait embrassée, noble comme Paul Émile et Brutus. Il fut magnanime, et ses ennemis ont pleuré sur son tombeau."

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages