Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :        Directoire.

Année :  1799

Révolution du 18 Brumaire.

Lorsqu'il partit pour l'expédition d'Égypte Bonaparte ne se sentait pas assez fort pour marcher seul, a-t-il dit plus tard.

A son retour de cette lointaine campagne, l'enthousiasme du pays lui annonça partout que l'heure des hautes destinées était arrivée.

Durant son absence, le Directoire lui avait en quelque sorte ouvert la vole du pouvoir par la faiblesse de son administration, par les revers de sa politique extérieure. Bonaparte avait laissé le pays tranquille et fort, appuyé sur les républiques italiennes dont le traité de Campo Formio avait reconnu l'existence ; il le retrouva déchiré par les partis que le Directoire ne pouvait contenir, menacé sur ses frontières, déchu devant l'étranger.

Cette situation dangereuse, si propice à ses secrets désirs, avait rappelé Bonaparte de l'Égypte ; la France le salua comme un libérateur : tous les regards, toutes les espérances se tournèrent vers lui ; de Fréjus, où il était débarqué le 17 vendémiaire an VIII (octobre 1799), son retour fut jusqu'à Paris un véritable triomphe : on l'appelait le sauveur de la république, le défenseur de la liberté ; tous les partis s'offraient à lui et cherchaient à s'assurer l'appui de son bras et de sa, gloire : l'hôtel de la rue de la Victoire était devenu le rendez-vous de tous les hommes qui se mêlaient alors à la politique.

Le Directoire lui-même, quoique se défiant du vainqueur des Pyramides et d'Aboukir, entraîné par l'admiration publique remerciait officiellement de son retour le débarqué de Fréjus, et lui prodiguait les fêtes et les hommages.

A ces empressements Bonaparte opposait une froide réserve,.il affectait une apparente fatigue des affaires publiques, ne semblait désirer que le repos, mais en secret il agissait activement et préparait le coup d'État qu'il avait résolu.

Il s'était rapproché de Sieyès, l'esprit le plus habile, l'intelligence la plus élevée du Directoire ; Moreau, cédant à l'irrésistible séduction dont Bonaparte savait si bien fasciner ceux qu'il voulait s'attacher. avait promis son sabre à l'heure de l'action, enfin tous les officiers qui avaient fait sous les ordres du jeune ambitieux les campagnes d'Italie se serraient autour de lui.

Le plan des conspirateurs était hardi appuyés sur deux des directeurs, Sieyès et Roger Ducos, ils voulaient demander au conseil des Anciens, dont l'assentiment était à peu près certain, un ordre de translation des conseils hors de Paris et faire remettre à Bonaparte le commandement suprême de la capitale.

Une fois maître de la représentation nationale, on espérait en obtenir aisément, sous le prétexte d'un complot des jacobins, la création d'un gouvernement provisoire et le vote d'une constitution nouvelle.

La première partie de ce projet s'accomplit sans obstacle : sur la proposition du député Cornet, un décret transféra les conseils à Saint Cloud et Bonaparte fut chargé du commandement de Paris.

Aussitôt qu'il a reçu ce décret il va prêter serinent, et adresse une proclamation aux habitants de Paris ; puis, entouré de ses amis, des généraux associés depuis longtemps à sa fortune, il passe en revue dans le jardin des Tuileries les troupes de la garnison et leur adresse un appel énergique :

"Dans quel état ai-je laissé la France et dans quel état l'ai-je retrouvée leur dit-il.

Je vous avais laissé la paix, et je retrouve la guerre !

je vous avais laissé des conquêtes, et l'ennemi presse nos frontières !

je vous ai laissé les millions de l'Italie, et je retrouve des lois spoliatrices et la misère !"

Les soldats lui répondent par le cri de Vive Bonaparte !

Tandis qu'aux Tuileries on s'assurait du pouvoir, au Luxembourg on retenait prisonniers Moulin et Gohier qui avaient essaye de résister aux conspirateurs et refusaient de se démettre de leurs fonctions directoriales ; Barras seul, lâche et corrompu, avait cédé aux premiers ordres et s'était enfui à sa terre de Grosbois.

Le soir du 18 brumaire, il n'y avait plus d'autre autorité ; la constitution était ouvertement violée et le Directoire, le gouvernement légal déchu.

Cependant tout n'était pas terminé, il fallait encore que les conseils sanctionnassent cette révolution ; les conspirateurs voulaient du moins conserver aux yeux du peuple une apparence de légalité.

Les faubourgs s'agitaient, il suffirait d'un signe de résistance des conseils pour qu'une insurrection populaire compromît les succès qu'on avait obtenus.

Le 19 brumaire, Bonaparte, après avoir échelonné différents corps sur la route de Paris à Saint Cloud et garni le château de troupes, y arriva, avec son état major.

Les deux conseils étaient réunis : lorsque Bonaparte pénétra dans le conseil des Anciens, l'assemblée jurait d'un commun accord le maintien de la constitution ; il monte à la tribune, et, dans un discours saccadé, interrompu par les exclamations des députés, par les cris des opposants, il dénonce les démocrates, qu'il accuse de conspirer, sollicite l'assemblée de sauver la république, et s'offre à exécuter fidèlement ses décisions.

"La patrie n'a pas de plus zélé défenseur que moi, dit-il ; mais c'est sur vous seuls que repose son salut : il n'y a plus de gouvernement, trois directeurs ont donné leur démission.

Les dangers sont pressants ; évitons de perdre deux choses pour lesquelles nous avons fait tant de sacrifices, la liberté et l'égalité... Et la Constitution ? s'écrie un député.

La Constitution, réplique Bonaparte, vous l'avez vous même anéantie ; vous l'avez violée au 18 fructidor, au 22 floréal, au 30 prairial.

Elle n'offre plus de garantie aux citoyens ; elle ne peut point sauver la patrie, parce qu'elle n'est respectée par personne."

Et il laisse les Anciens dans la crainte et l'incertitude que leur inspirent ces étranges paroles.

Du conseil des Anciens Bonaparte se dirige vers celui des Cinq Cents, dans la pensée de justifier également sa conduite.

L'assemblée était livrée à une menaçante exaltation : comme aux Anciens on avait solennellement renouvelé le serment de fidélité à la constitution ; et Lucien Bonaparte, qui présidait l'assemblée, avait été forcé de le prêter.

Un député provoquait un rapport sur la situation de la république, quand Bonaparte, escorté de quelques grenadiers, se présente à l'entrée de la salle.

A sa vue tous les représentants se lèvent d'un mouvement unanime ou se précipitent vers l'audacieux interrupteur, et de toutes parts il entend :

"A bas le dictateur ! Hors la loi ! A mort le tyran !"

Quelques uns l'environnent, le repoussent en lui adressant de vives interpellations :

"Que faites-vous, téméraire, que faites-vous ? lui crie-t-on ; vous violez le sanctuaire des lois... Tous vos lauriers sont flétris... Sortez, sortez !,"

Bonaparte est ému, troublé.

Pour la première fois il hésite, et il faut que ses grenadiers le viennent arracher de cette foule qui l'accuse et veut le proscrire.

Sa retraite ne diminue pas le désordre, on demande la mise hors la loi de l'usurpateur ; vainement Lucien essaie de le justifier, on ne l'écoute pas :

"Misérables, dit-il avec fureur, vous voulez que je mette hors la loi mon propre frère,"

et, il quitte le fauteuil de la présidence au milieu du tumulte.

La résistance énergique des Cinq Cents déjouait les projets de Bonaparte.

Étranger jusqu'alors aux agitations politiques, il demeurait incertain ; il lui répugnait de violer à force armée la représentation nationale.

Mais Sieyès et Lucien l'y excitent.

Le président du conseil des Cinq Cents monte à cheval avec son frère, tous deux haranguent les soldats, calomnient les intentions de l'assemblée, déclarent qu'une opposition factieuse opprime ses délibérations.

Enfin Bonaparte s'écrie

"Soldats, puis-je compter sur vous ? Oui, oui ; vive Bonaparte ! Eh bien ! je vais mettre les agitateurs à la raison."

Le général Leclerc prend un bataillon, fait battre la charge, et pénètre dans la salle des Cinq Cents.

L'assemblée se lève avec indignation :

"Au nom du général Bonaparte, dit Leclerc, le conseil est dissous."

A cet ordre les députés répondent par le cri de Vive la république ! et restent immobiles, Représentants, je ne réponds plus de la sûreté du conseil, poursuit le général, grenadiers, en avant !

Quelques députés se jettent au devant des soldats et veulent protester ; mais le bruit du tambour couvre leurs voix. Les grenadiers s'avancent lentement ; et, sans injure, sans violence, cédant comme à regret à la voix qu'ils ont l'habitude de respecter, ils poussent les membres du conseil des Cinq Cents hors de la salle par les portes du jardin. A cinq heures le lieu des séances était vide, et les représentants s'enfuyaient vers Paris.

Aussitôt le conseil des Anciens et une trentaine de Membres du conseil des Cinq Cents se réunissent, légalisent, par un décret, les violences de cette journée, et nomment consuls Bonaparte, Sieyès et Roger Ducos.

Le mouvement du 18 brumaire était accompli, la révolution s'arrêtait ; et la France, qui remettait ses destinées au génie d'un seul homme, put dire avec Sieyès :

"Nous avons un maître ; il sait tout, il fait tout, il peut tout."

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages