Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :        Consulat.

Année :  1800

Assassinat de Kléber.

Bonaparte abandonnant l'Égypte en avait laissé le commandement supérieur à Kléber, une des plus brillantes et des plus solides renommées militaires de la révolution.

Dévoué à la république, à laquelle il devait sa fortune ; général d'une capacité reconnue, éprouvée, Kléber était avec Desaix et Moreau un des rivaux que l'opinion publique opposait à l'ambitieux chef de l'armée d'Italie.

Kléber accepta la mission qui lui était confiée, mais avec l'intention de terminer l'expédition et de ramener à sa patrie menacée les vaillants soldats de l'armée d'Orient.

Toujours contraire à la campagne d'Égypte, irrité d'ailleurs du départ précipité de Bonaparte, séparé de la France par les croisières anglaises, privé de ressources, d'appuis, chargé de la conduite d'une armée qui s'affaiblissait sans cesse sous ce climat dévorant, il se sentit découragé et ne désirait plus que le retour.

Par l'entremise du commandant de la flotte anglaise, Sidney Smith, il ouvrit donc des négociations avec la Porte Ottomane , et conclut définitivement un traité, signé à la forteresse d'El-Arish, par lequel l'armée française devait évacuer le pays à la condition d'être transportée en France sur les vaisseaux anglais ; et en même temps il adressa au Directoire une lettre où il annonçait sa résolution et la justifiait par sa détresse et les dangers de sa situation.

Déjà, après avoir selon les conventions remis aux Turcs les places principales de l'Égypte, il se dirigeait vers la côte avec ses troupes afin de s'embarquer, lorsque l'amiral Keith, qui avait intercepté la lettre envoyée au Directoire et croyait la position des Français désespérée, signifia à Kléber que l'Angleterre ne reconnaissait point la convention d'El Arish , et qu'elle ne consentirait à aucune capitulation avant que son armée n'eût mis bas les armes, ne se fût rendue prisonnière et n'eût abandonné tous ses vaisseaux et toutes les munitions des ports d'Alexandrie aux puissances alliées.

Et c'était après avoir autorisé le traité, après être en quelque sorte intervenu dans les négociations, que le gouvernement anglais déclarait de si perfides intentions et tenait notre armée enfermée entre les villes rendues aux Turcs et les flottes anglaises. Cet acte de déloyauté semblait devoir anéantir les malheureux débris de l'expédition d'Égypte ; mais l'extrémité même où on réduisait nos soldats leur inspira un courage qui nous rendit la possession de l'Égypte.

Kléber, pressé de toutes parts, retrouva son énergie et la communiqua à ses troupes ; il mit à son ordre du jour l'étrange déclaration de lord Keith, et la fit suivre de ces éloquentes paroles :

"Soldats, on ne répond à une telle insolence que par des victoires; préparez-vous à combattre!"

Puis, avec dix mille hommes, il marcha contre les Turcs, les attaqua près des ruines d'Héliopolis, les mit en pleine déroute et s'empara de leurs canons, de leurs bagages, de leurs chameaux ; après cette victoire décisive il revint sur le Caire, bombarda la ville, que lui livra un siége de dix jours, et ramena tout le pays à la domination française.

Ces rapides succès relevèrent la confiance du général en chef ; les nouvelles récemment arrivées de France lui avaient appris le mouvement du 18 brumaire, et, plutôt que d'aller ou combattre ou subir l'influence du premier consul, il conçut le dessein de réaliser enfin la colonisation de l'Égypte, de s'établir sur les rives du Nil et d'y attendre, dans l'indépendance que lui assurait le gouvernement de cette lointaine contrée, l'issue des événements dont la France était alors le théâtre.

Ses triomphes récents le secondaient merveilleusement ; ce retour de fortune contre toute attente semblait aux habitants de l'Égypte le résultat d'une décision supérieure : ils considéraient le général en chef avec un mélange de terreur et d'admiration ; son invariable fidélité à sa parole avait gagné leur confiance, la justice de son administration acheva leur soumission.

Kléber réorganisa les finances, forma différents corps indigènes, rétablit l'ordre et le calme autour de lui ; son activité enfin allait vraisemblablement acquérir pour toujours cette conquête à la France, lorsque l'attentat d'un fanatique en leva tout à coup l'habile général à la gloire de cette grande entreprise.

Le 14 juin 1800, Kléber, après avoir passé la revue de la légion grecque, vint au Caire pour examiner des travaux qu'on faisait au palais qu'il habitait.

Avant de les visiter, il assista à un brillant déjeuner chez le général chef d'état major général ; des membres de l'Institut, des officiers étaient réunis à ce repas, où Kléber se montra plus gai que de coutume.

Le succès qui couronnait ses efforts, le développement des établissements français, les témoignages d'affection qu'il recevait de la population avaient dissipé sa froideur ordinaire ; il était animé, aimable, expansif : aucun de ceux qui l'entouraient ne pressentait que ce joyeux déjeuner fût un banquet d'adieux.

A deux heures, le général, accompagné seulement de Protain son architecte, se rendit à son palais ; pour y arriver il suivait une longue galerie ombragée d une épaisse vigne, qui liait l'habitation du major général à celle du général en chef, et s'entretenait avec son architecte des embellissements qu'il projetait, quand un musulman, sortant à l'improviste d'une galerie voisine, s'approche de Kléber, s'incline devant lui comme pour embrasser sa main et, profitant du premier instant de surprise qu'excite sa présence, se relève et porte un coup de poignard au général en chef de l'armée d'Égypte:

"A moi, guide, je suis assassiné ! "

s'écrie Kléber, qui venait d'apercevoir au loin un de ses guides ; il essaie encore de s'appuyer au mur de la terrasse et tombe baigné dans son sang.

A peine Protain a-t-il vu cette action qu'il se jette sur l'assassin et engage avec lui une lutte, dans laquelle il reçoit six blessures ; son adversaire alors le laisse évanoui, revient sur Kléber, qu'il frappe trois fois encore, bien que déjà le premier coup fût mortel, s'échappe de la galerie et, n'espérant pas trouver une issue pour fuir du palais, se cache dans les hautes plantes des jardins.

Cependant l'alarme s'était répandue, le cri d'angoisse de Kléber avait retenti ; bientôt les gardes, les officiers, tous ces amis avec lesquels naguère il portait la santé de la république l'entouraient essayant d'en obtenir quelques paroles :

Ils l'interrogèrent vainement, Kléber ne put parler.

Quelques instants plus tard le général en chef de l'armée d'Égypte rendait le dernier soupir, la France perdait un de ses plus nobles enfants, un de ses plus intrépides défenseurs.

Tandis qu'on transportait Kléber dans l'appartement du major général on fouillait le palais et les jardins dans tous les sens, sur tous les points.

Deux guides amenèrent un jeune homme qu'ils avaient surpris caché sous un napal touffu : l'architecte Protain, revenu à lui, reconnut l'assassin, qui fut jeté en prison ainsi que trois ulémas de la grande mosquée du Caire.

Lorsqu'elle apprit le meurtre de son chef l'armée fut saisie d'une consternation profonde, qui se changea bientôt en une ardente soif de vengeance.

Tout s'agita dans la ville ; les habitants se renfermaient avec terreur dans leurs maisons, les magasins se fermaient.

Nos soldats, furieux, égarés, parcouraient les rues jetant autour d'eux des regards menaçants et criant :

"Aux armes ! vengeons, vengeons Kléber ! "

Ce ne fut pas sans peine qu'on put contenir l'excès de cette légitime douleur, et il fallut du moins que le châtiment des coupables satisfit pleinement le ressentiment public,

D'abord Soleyman et les ulémas avaient tenté de nier ; mais la torture de la bastonnade força bientôt des aveux complets.

On apprit que le jeune Soleyman avait été envoyé au Caire par le vizir Jussouf, qui prétendait se venger ainsi de ses défaites.

Au Caire, les ulémas de la grande mosquée, à qui on l'avait adressé, avaient exalté par leurs encouragements l'imagination du musulman ; puis ils lui remirent un poignard et lui montrèrent Kléber.

Un exemple était nécessaire ; l'armée d'ailleurs réclamait une expiation rigoureuse. Soleyman fut condamné à avoir le poing brûlé et à subir ensuite l'affreux supplice du pal : ses complices eurent la tête tranchée.

La fermeté inébranlable avec laquelle ce malheureux insensé supporta les angoisses d'une mort horrible éveilla la pitié sur ses dernières souffrances.

Depuis que Kléber était mort, toutes les demi heures on tirait un coup de canon en signe de deuil.

Le 17 juin, dès la pointe du jour, des salves d'artillerie annoncèrent à l'Égypte les funérailles du général, qui furent célébrées avec une pompe digne de ce grand nom et des regrets de l'armée.

Le corps de Kléber, placé sur un char tendu de velours noir semé de larmes d'argent et entouré de trophées, de drapeaux, de lauriers, fut conduit à la redoute d'Ibrahim, où il devait être enseveli.

Tous les corps de l'armée, les principales autorités du Caire, les généraux environnaient le noble cercueil, sur lequel les soldats jetèrent à l'envi des couronnes de cyprès et de lauriers tandis qu'un membre de l'Institut, Fourier, prononçait l'éloge du héros qu'on pleurait.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages