Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :       Napoléon.

Année :  1804

Distribution des Croix d'Honneur
 
au camp de Boulogne.

Élevé au trône impérial par le voeu de la France, Napoléon voulut que son autorité reçût en quelque sorte la triple sanction de la nation, de l'armée, et enfin de la religion, à laquelle il venait de rendre ses temples.

Il avait obtenu déjà celui du peuple ; sur trois millions cinq cent vingt quatre mille cinq cent soixante dix neuf citoyens appelés à voter sur cette importante question, trois millions cinq cent vingt et un mille six cent soixante quinze avaient demandé que Napoléon reçût le titre d'empereur ; bientôt nous verrons le souverain pontife franchir les Alpes et venir à Notre Dame de Paris sacrer le nouveau Charlemagne.

Ce fut au camp de Boulogne que Napoléon fit reconnaître par ses soldats la haute dignité dont la nation récompensait ses services, et qui renouvelait pour l'heureux lieutenant d'artillerie de La Fère toutes les grandeurs du chef de la dynastie carlovingienne.

La fête du camp de Boulogne, fat surtout une fête militaire ; Napoléon s'y montra entouré des compagnons de ses victoires, de ces fiers enfants de la révolution, qu'il venait de revêtir du titre longtemps oublié de maréchal ; et pour la première fois il distribua à ses troupes les croix de l'ordre de la Légion d'Honneur, qu'il avait substituée dans les derniers jours du Consulat au sabre d'honneur, seule récompense exceptionnelle accordée sous la République aux actes d'un courage supérieur.

L'institution impériale, accueillie d'abord avec mécontentement, était bientôt devenue populaire.

Tous les soldats enviaient cette décoration, ils la préféraient même à un grade supérieur, et pour l'obtenir ils ne reculaient devant aucun danger.

Dans cette grande journée du camp de Boulogne, l'empereur, avec cet instinct merveilleux de convenance qu'il mettait dans ses rapports avec l'armée, s'effaça, devant le général, et si Napoléon accueillit volontiers les cris de : Vive l'empereur ! dont on saluait sa présence, ce fut moins pour satisfaire son. orgueil que pour renvoyer de l'autre côté du détroit ces acclamations qui consacraient d'une si éclatante façon le nouveau gouvernement de la France.

Ce n'est pas en effet sans une secrète intention qu'il choisit pour son sacre militaire cette plage de Boulogne, d'où on menaçait depuis six mois ]'Angleterre d'une invasion, et dont les canons éveillaient au loin les échos de Douvres ; et si parfois l'empereur apparut dans tout l'éclat de sa puissance, ce fut surtout afin qu'on l'aperçût des côtes d'Angleterre et qu'on pût juger de la force d'une nation unie à un semblable chef par les liens solides d'une admiration et d'un dévouement absolus.

Arrivé à Boulogne le 24 juillet, Napoléon avait consacré un mois à inspecter le camp établi sur les bords de la Manche ; chaque brigade avait été passée en revue, chaque baraque visitée, et l'empereur dut se trouver satisfait de l'enthousiasme qu'excita partout sa présence.

Le camp avait alors un admirable aspect : de larges rues, qui toutes portaient le nom d'un grand combat ou d'un général illustre, séparaient les différents corps.

Au centre des parterres formés devant les tentes se dessinait en verdure l' N impérial ; des statues rapidement ébauchées durant les loisirs du camp, des colonnes de stuc, des faisceaux d'armes, des trophées décoraient les places et les voles principales de cette ville improvisée, qu'animait l'immense population militaire réunie sur ce point.

Les troupes qui se rendaient aux revues, les trains qui circulaient, les fournisseurs des régiments, tous s'agitaient avec bruit, traversaient incessamment le camp ; les propos joyeux, les chants militaires retentissaient sous chaque tente : puis par instant l'éclat du canon couvrait tous ces bruits, tout ce mouvement ; c'était un combat simulé de la flottille d'invasion, ou l'attaque de quelque frégate anglaise, ou l'empereur qui sortait de son quartier et dont on saluait le passage.

Le 16 août 1804, cent mille hommes, appelés des différents camps formés sur les côtes de la Manche, sont réunis dans un vaste amphithéâtre tracé, naturellement en face de la mer à la droite du port de Boulogne.

Au milieu de cet espace immense s'élevait un tertre entouré d'étendards et de drapeaux surmontés d'aigles d'or qui le dominait entièrement : c'est là qu'était placé l'empereur entouré de ses maréchaux, Murat, Moncey, Jourdan, Masséna, Augereau, Bernadotte, Soult, Brune, Lannes, Mortier, Ney, Davoust, Kellermann, Lefebvre, Pérignon, Serrurier, tous les noms enfin qui s'étaient si rapidement illustrés aux côtés du vainqueur d'Italie dans les dernières guerres de la République.

Sur cette hauteur, au centre de laquelle se trouvait le trône impérial, se dressait un brillant trophée formé des drapeaux que Bonaparte avait enlevés depuis dix ans à l'ennemi, à Lodi, à Arcole, à Rivoli, aux Pyramides, à Aboukir, à Marengo, nobles étendards payés du sang de la France et qui attestaient à la fois son courage et sa gloire.

Cette décoration militaire, la seule dont Napoléon voulut que cette fête fût ornée, était surmontée d'une large couronne formée de branches de laurier et de chêne entrelacées, et sur laquelle s'agitaient les queues empourprées prises autrefois aux enseignes de beys d'Égypte.

De toutes parts s'étendaient au loin les lignes infinies de cette armée en qui ces drapeaux, ces couronnes, tout cet appareil éveillaient tant de glorieux souvenirs.

L'empereur, accompagné de ses frères, des grands dignitaires de l'empire, des hauts officiers de la couronne, après avoir parcouru les rangs monte à la place qu'on lui avait préparée ; l'armée tout entière présente les armes, deux mille tambours battent aux champs, les clairons font éclater leurs fanfares, les spectateurs de cette fête disent le nom de Napoléon, tout s'agite, tout s'émeut pour lui témoigner l'admiration qu'il excite.

Enfin, le bruit s'éteint lentement, les cris s'arrêtent, et le solennel silence de cette heure n'est plus troublé que par le frémissement involontaire qui s'échappe des grandes assemblées et par le lointain murmure de la mer.

Alors Napoléon s'avance en vue de ses troupes et, étendant la main, prononce le premier le serment de l'ordre de la Légion d'Honneur, que répètent avec enthousiasme les nouveaux légionnaires formés en pelotons à la tête de chaque colonne.

Les retentissements des batteries du port, les canons de la flottille qui manoeuvre devant Boulogne, les ardentes acclamations de ces soldats qui bientôt allaient porter dans toutes les capitales le drapeau aux trois couleurs, l'aigle impériale, saluent ce moment solennel où l'empire est pour ainsi dire inauguré.

Après le serment, Napoléon lui-même remet la décoration de la Légion d'Honneur aux braves qui les premiers ont mérité cette distinction ; et l'armée tout entière passe devant lui en inclinant ses drapeaux devant l'empereur, auquel elle vient de se lier par de nouveaux serments.

Tandis que les colonnes d'infanterie se déployaient sur les coteaux pour venir ensuite défiler devant le trône, une division de cinquante voiles, avant-garde de la flottille du Havre, paraît à la hauteur d'Alpreck et vient compléter l'ensemble de cette grande scène.

La fête se continua pendant une partie de la nuit et, dans l'obscurité, on put des rivages de l'Angleterre voir étinceler le chiffre de Napoléon répété dans les airs par les ingénieuses combinaisons de l'artifice, et entendre longtemps encore les joyeux cris, les vives acclamations qui éclataient sur son passage.

Avant qu'il abandonnât le camp de Boulogne pour aller visiter la Belgique et les départements du Rhin, son armée offrit à l'empereur un noble hommage d'admiration : elle lui vota une statue colossale en bronze qui devait être placée an milieu du camp pour conserver d'une façon durable le souvenir de la cérémonie dont Napoléon avait été le héros.

Ce projet fut accueilli avec empressement, et chaque soldat voulut contribuer d'une partie de sa solde à l'érection du monument.

C'est en portant au glorieux chef de la France le voeu de ses soldats que le maréchal Soult dit à Napoléon avec une fière et légitime confiance

"Sire, prêtez-moi du bronze, je vous le rendrai à la première bataille."

Toutefois, malgré la sincérité de ses désirs, l'armée du camp de Boulogne ne devait pas voir l'accomplissement du voeu que lui avait inspiré son dévouement ; la rapidité et l'importance des événements le firent longtemps oublier, et ce n'est que quarante ans plus tard que la ville de Boulogne a réalisé ce projet.

Une colonne surmontée de la statue impériale se dresse maintenant sur l'emplacement même où Napoléon fut salué empereur par son armée.

Ce monument, aujourd'hui que l'empire n'existe plus, rappelle la première solennité de cette grande époque, garde la mémoire du véritable sacre de l'empereur, de celui où son pouvoir fut, reconnu et accepté par ces courageux soldats d'Italie, par ces cent mille hommes qu'il avait formés à la victoire et qui sous ses ordres en Allemagne devaient s'appeler la Grande Armée.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages