Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :       Napoléon.

 Année :  1805

Bataille d'Iéna.

La Prusse, trompée par les souvenirs de gloire que lui avait légués Frédéric le Grand, se crut appelée à renverser la puissance de Napoléon, que la victoire d'Austerlitz avait élevée si haut l'année précédente ; et, avec un orgueil rempli d'aveuglement, elle adressa à Napoléon un ultimatum qu'à peine elle eût pu se permettre après une longue suite de succès, le plaçant dans un bref délai entre une obéissance absolue aux conditions qu'elle lui faisait et une guerre immédiate.

Le choix de l'empereur n'était pas douteux ; il réunit ses soldats, auxquels il dénonça l'audace de la Prusse dans une énergique et courte proclamation :

"Soldats, disait-il, la même faction, le même esprit de vertige, qui, à la faveur de nos dissensions intestines, conduisit, il y a quatorze ans, les Prussiens au Milieu des plaines de la Champagne, domine dans leurs conseils...

Ils veulent que nous évacuions l'Allemagne à l'aspect de leur armée !

Les insensés ! qu'ils sachent donc qu'il serait mille fois plus facile de détruire la grande capitale que de flétrir l'honneur des enfants du grand peuple."

Puis la grande armée s'avança contre les deux cent mille hommes que commandaient le roi de Prusse et le duc de Brunswick, dont autrefois à Valmy une défaite avait déjà puni les insolentes menaces.

Les premiers engagements purent faire pressentir l'issue de la campagne : le 8 octobre Napoléon quitta Bamberg et aussitôt il battit successivement ses adversaires à Schleitz et à Saafeld, où le prince Louis de Prusse, l'un des plus ardents instigateurs de cette guerre, fut tué ; enfin le 13 octobre 1806 Napoléon et ses troupes s'emparaient des hauteurs d'Iéna, où devait se décider la lutte entre la France et la Prusse.

Cependant, avant d'engager cette bataille, qu'il avait un si légitime espoir de gagner, Napoléon tenta encore d'obtenir la paix sans combattre et donna à l'Europe un grand témoignage de modération ; il adressa au roi de Prusse une lettre, afin d'arriver a une conciliation.

"Le succès de mes armes n'est point incertain, écrivait-il à Frédéric Guillaume, vos troupes seront battues, mais il en coûtera le sang de mes enfants ; s'il pouvait être épargné par quelque arrangement compatible avec l'honneur de ma couronne, il n'est rien que je ne fisse pour épargner un sang si précieux.

Il n'y a que l'honneur qui, à mes yeux, soit encore plus précieux que le sang de nies soldats."

Le roi de Prusse rejeta ces ouvertures pacifiques et préféra s'en remettre au sort des combats.

Le 14 octobre 1806, Napoléon, après avoir donné, au maréchal Lannes ses dernières instructions, traversa les rangs de son armée

"Soldats, dit l'empereur d'une voix ferme et puissante, l'armée prussienne est coupée comme celle de Mack l'était à Ulm il y a aujourd'hui un an.

Cette armée ne combat plus que pour se faire jour et pour regagner ses communications : le corps qui se laisserait percer se déshonorerait.

Ne redoutez pas cette célèbre cavalerie ; opposez-lui des carrés fermés et la baïonnette. En avant, en avant !

vive l'Empereur ! "

s'écrièrent les soldats avec, ardeur ; et les colonnes françaises s'ébranlèrent pour marcher sur les Prussiens.

Il était six heures du matin, et d'épais brouillards obscurcissaient encore le jour naissant ; néanmoins la fusillade s'engagea vivement : les premiers postes ennemis furent rapidement enlevés ; et l'armée française, descendant du plateau d'Iéna par les issues de droite et de gauche, se forma en bataille devant les Prussiens, dont les forces supérieures aux nôtres s'élevaient à cent trente mille hommes.

En quelques heures les lignes prussiennes, attaquées au centre par Lannes et la garde, à gauche par Augereau, à droite par Soult et Ney, étaient entièrement rompues.

Des régiments essayèrent de se former en carrés, ils furent enfoncés ; la cavalerie de Murat acheva la défaite de l'armée ennemie, qui s'enfuit en désordre sur Weymar.

Pas un bataillon n'était resté entier, vingt mille hommes et une artillerie considérable étaient au pouvoir de Napoléon.

A cette sanglante mêlée d'Iéna, Napoléon se montra dans tous les rangs : sa présence y excitait des transports d'enthousiasme et échauffait tous les coeurs ; mais il dut plutôt contenir l'ardeur de ses troupes que l'exciter.

Les bataillons de réserve, en voyant les succès de leurs compagnons, frémissaient d'impatience ; plusieurs voix même firent entendre les mots : En avant !

A ces cris d'un courage irréfléchi, l'empereur s'arrête :

"Qu'est-ce ! dit il. Ce ne peut être qu'un jeune homme sans barbe qui ose vouloir m'indiquer ce que je dois faire. Qu'il attende d'avoir commandé dans trente batailles rangées, avant de prétendre me donner des avis."

En même temps que nous triomphions à Iéna, Davoust remportait une brillante victoire à Awerstadt sur un autre corps de l'armée prussienne.

Il y avait huit jours que la campagne était ouverte et le roi de Prusse, fuyant en toute hâte, n'avait plus pour ressource que l'appui de la Russie, qui l'avait poussé, à cette guerre.

Le 25 octobre, après une marche rapide sur Berlin, Napoléon entra en maître à Potsdam, où il établit son quartier général ; tandis que le troisième corps d'armée et Davoust, qui s'étaient si vaillamment conduits à Awerstadt, entraient à Berlin.

Dans la résidence royale de Frédéric Guillaume on présenta à l'empereur des Français l'épée de Frédéric le Grand, sa ceinture, le grand cordon de l'Aigle Noir qu'il portait habituellement, précieusement conservés à Potsdam.

En recevant ces glorieux restes du prince qui avait affermi la monarchie prussienne par tant de victoires, Napoléon les considéra avec émotion :

"J'aime mieux cela que vingt millions, s'écria t il. Je les enverrai à mes vieux soldats des campagnes de Hanovre ; J'en ferai présent au gouverneur des Invalides, qui les gardera comme un témoignage mémorable des Victoires de la grande armée et de la vengeance qu'elle a tirée des désastres de Rosbach."

Napoléon voulut aussi saluer la tombe de Frédéric le Grand ; accompagné de quelques généraux, il descendit au caveau qui renfermait le cercueil du héros de la Silésie, de l'illustre général du dix huitième siècle, et il demeura quelques instants absorbé dans une silencieuse méditation.

Le 27 octobre Napoléon fit enfin son entrée solennelle dans la capitale de la Prusse ; il passa sous l'arc de triomphe élevé à la gloire de Frédéric II, et reçut les soumissions du corps municipal.

L'empereur fut accueilli par les acclamations de la bourgeoisie de Berlin, qui maudissait l'aveuglement et l'imprudence de la noblesse prussienne, dont les instances avaient secondé les haines de la Russie et décidé le roi à cette guerre désastreuse, et il reçut avec bienveillance les hommages de cette population frappée tout à la fois de crainte et d'admiration ; mais il demeura impitoyable pour les provocateurs de la lutte, et les livra au doute cruel de savoir si la Prusse serait ou non effacée de la carte d'Europe :

"Je rendrai cette noblesse si petite , dit-il avec dureté, qu'elle sera obligée de mendier son pain."

Il mit sur les pays conquis une contribution de guerre de cent soixante millions, partagea la Prusse en quatre départements, dont il confia l'administration générale à des Français, et fit prêter aux autorités prussiennes un serment qui laissait dans l'incertitude le rétablissement de la monarchie.

De sa puissance brisée à Iéna, il ne restait plus au roi de Prusse que quinze mille hommes, Koenigsberg, et quelques places dans la Silésie.

Tous les corps d'armée avaient mis bas les armes, les villes avaient ouvert leurs portes et capitulé presque sans combattre ; Spandau, Fulde, Stettin, Magdebourg, avec d'immenses approvisionnements, appartenaient à Napoléon. Jamais l'insolence d'un peuple n'avait été punie d'une défaite plus rapide et plus honteuse.

La France apprit les brillants résultats de la campagne de Prusse par cette proclamation officielle de l'empereur :

"Une des premières puissances militaires de l'Europe, qui osa naguère nous proposer une honteuse capitulation, est anéantie.

Les forêts, les défiles de là Franconie, la Saale, l'Elbe, nous les avons traversés en sept jours et avons livré dans l'intervalle quatre combats et une grande bataille ; nous avons fait soixante mille prisonniers, pris soixante cinq drapeaux parmi lesquels ceux des gardes du roi de Prusse, six cents pièces de canon, trois forteresses, plus de vingt généraux : cependant plus de la moitié de vous regrettent de n'avoir pas tiré un coup de fusil. Toutes les provinces de la monarchie prussienne jusqu'à l'Oder sont en notre pouvoir."

La Prusse était au pouvoir de Napoléon ; mais sa tâche n'était pas encore entièrement accomplie : la Russie enfin se déclarait et venait au secours de son alliée vaincue ; il fallait, avant d'obtenir la paix, la gagner par de nouvelles victoires.

Après un court repos accordé à ses soldats Napoléon entra en Pologne, où l'ardeur intrépide de la France devait l'emporter encore sur le courage passif des troupes du czar Alexandre 1er.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages