Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :       Napoléon.

Année :  1807

Entrevue

 de Napoléon et d'Alexandre sur le Niémen.

"Soldats, il y a aujourd'hui un an, à cette heure même, que vous étiez sur le champ mémorable d'Austerlitz ; les bataillons russes épouvantés fuyaient en déroute, ou, enveloppés, rendaient les armes à leurs vainqueurs.

Le lendemain ils firent entendre des paroles de paix ; mais elles étaient trompeuses.

A peine échappés, par l'effet d'une générosité peut-être condamnable, aux désastres de la troisième coalition, ils en ont ourdi une quatrième ; mais l'allié sur la tactique duquel ils fondaient leur principale espérance n'est déjà plus, ses places fortes, ses capitales, ses magasins, ses arsenaux, deux cent quatre vingts drapeaux, sept cents pièces de bataille, cinq grandes places de guerre sont en notre pouvoir : l'Oder, la Wartha, les déserts de la Pologne, les mauvais temps de la saison n'ont pu vous arrêter un moment ; vous avez tout bravé, tout surmonté, tout a fui à votre approche.

C'est en vain que les Russes ont voulu défendre la capitale de cette ancienne et illustre Pologne : l'aigle française plane sur la Vistule ; le brave et infortuné Polonais en vous voyant croit revoir les légions de Sobieski de retour de leur mémorable expédition.

Soldats, nous ne déposerons point les armes que la paix générale n'ait affermi et assuré la puissance de nos alliés, n'ait restitué à notre commerce sa liberté et ses colonies. Qui donnerait le droit de faire espérer aux Russes de balancer les destins ? qui leur donnerait le droit de renverser de si justes desseins ? Eux et nous ne sommes nous pas les soldais d'Austerlitz !"

Cette belle proclamation, dans laquelle Napoléon, enivré encore de la victoire d'Iéna, semble prévoir l'avenir, ouvrit la campagne contre les Russes.

On était alors au milieu de l'hiver ; Napoléon désirait prolonger le repos qu'il avait accordé à ses troupes après la campagne de Prusse, mais les Russes, comptant sur les fatigues de notre armée, sur les rigueurs de la saison, auxquelles ils résisteraient mieux que les Français, recommencèrent activement la guerre dans les premiers mois de l'année 1807.

La bataille d'Eylau, livrée le 8 février, mit pour la première fois en présence dans une action générale les Russes et les Français.

La journée fut l'une des plus sanglantes dont l'histoire de la guerre ait conservé le souvenir ; une neige épaisse tomba constamment et rendit plus affreux encore le spectacle du champ de bataille.

Après douze heures d'une lutte acharnée, dans laquelle la cavalerie française perça toute la profondeur des rangs ennemis par une charge célèbre dans les fastes militaires de l'empire, Napoléon resta maître des plaines d'Eylau, qu'encombraient les morts et les blessés ; ce fut tout le fruit d'une victoire indécise.

Après la bataille d'Eylau, l'armée française reprit ses quartiers d'hiver ; et les Russes, attirés au midi par une attaque subite de la Turquie, consentirent à une trêve, qui, jusqu'au printemps, ne fut troublée que par des combats isolés. Napoléon ne demeura cependant pas inactif ; de loin comme de près, il ne cessait, tout en traçant un plan de campagne, en dirigeant les mouvements de ses troupes, de s'occuper du gouvernement intérieur de la France :

"Pour connaître Napoléon tout entier, dit M. Bignon, il faudrait le voir le même jour, dans les mêmes heures, discutant toutes les questions relatives à la guerre, depuis les plans de campagnes, l'artillerie, le génie, la composition de l'armée, jusqu'à la chaussure et à la giberne du soldat ; réglant toutes les parties de la marine, depuis les combinaisons générales, l'expédition et le retour des escadres, jusqu'à l'armement de la dernière de ses chaloupes canonnières ; parcourant toutes les parties de l'administration, depuis la direction du ministère de l'intérieur jusqu'à la réparation de l'église de village ; enfin traitant ces diverses matières et une foule d'autres avec la même connaissance de l'ensemble et des détails, avec la même fidélité de mémoire, la même netteté d'idées, que si chacun des départements ministériels eût été pour lui l'objet d'une étude exclusive... Peut-être, continue M. Bignon, n'a-t-il pas existé au monde un autre individu, soit dans les hautes, soit dans les basses régions de la société, qui ait prouvé, autant que Napoléon, de quelle continuité, de quelle variété, de quelle étendue de travail l'intelligence d'un seul homme est capable."

A la fin du printemps, les hostilités se renouvelèrent ; Napoléon se disposait à prendre l'offensive, quand il fut prévenu par le général Beningsen commandant l'armée russe.

Les deux nations, la France et la Russie, se trouvèrent de nouveau en présence sous les murs de Friedland, le 14 juin 1807

Ce jour est une époque heureuse, s'écria Napoléon en entendant les premiers retentissements du canon ; c'est l'anniversaire de Marengo."

Cette fois, comme à Austerlitz, comme à Iéna, la victoire fut complète, brillante, décisive : les Russes, pris en queue, en tête, sur leur gauche, cherchèrent une retraite à travers les eaux de l'Alle, où leur droite s'appuyait, et s'y perdirent en partie Beningsen avait laissé à Friedland trente mille hommes tués, blessés ou prisonniers, ses canons et tous ses bagages, tandis que cette victoire coûtait seulement quinze cents morts à la France.

Koenigsberg, que les Russes couvraient, fut obligée de se rendre, et Napoléon atteignit Tilsitt sans obstacle.

Arrivé sur la rive gauche du Niémen, il vit s'étendre au loin devant lui les longues plaines de la Russie, où sa fortune devait un jour échouer, et il s'arrêta.

Le czar demandait un armistice ; moins implacable que ne le furent plus tard ses ennemis, Napoléon l'accorda et, pour arriver plus rapidement à la conclusion de la paix, il fit proposer à Alexandre une entrevue que celui ci se hâta d'accepter.

Au milieu du Niémen, à une distance égale des deux rives, on avait construit un vaste radeau sur lequel se dressait un magnifique pavillon garni de riches tentures et décoré des drapeaux russes et français.

Le 25 Juin 1807, Napoléon , escorté du grand duc de Berg, du prince de Neufchâtel, du maréchal Bessières, du général Duroc, du grand écuyer Caulaincourt ; et Alexandre, accompagné du grand duc Constantin son frère, du général Beningsen, du prince Labanow, de l'aide de camp général comte de Lieven, abordaient à une heure et demie au radeau du Niémen.

Les deux empereurs y posèrent en même temps le pied ; ils se prirent la main et s'embrassèrent en présence de leurs armées, qui s'étendaient superbement sur les bords opposés du fleuve.

"Je hais les Anglais autant que vous les haïssez, dit tout d'abord Alexandre ; je serai votre second dans tout ce que vous ferez contre eux.

En ce cas la paix est faite, répondit Napoléon."

Ils entrèrent alors dans le pavillon, où leur conférence se prolongea deux heures.

Avant de se quitter ils convinrent de neutraliser Tilsitt et d'y établir chacun leur quartier général, afin de hâter les négociations.

Tandis que les souverains qui venaient de régler le sort du monde regagnaient, l'un la Russie, l'autre la Prusse, un double cri de Vive l'Empereur ! éclata sur les rives du Niémen et salua cette amitié à peine formée, qui devait être si fatale à Napoléon.

Pendant vingt jours les empereurs séjournèrent à Tilsitt, où le roi de Prusse, sous la protection d'Alexandre, vint pour ainsi dire en suppliant.

Le traité de paix entre la France et la Russie fut signé le 7 juillet ; le surlendemain une convention, qui commençait ainsi :

"L'empereur Napoléon, par égard pour l'empereur Alexandre, consent à restituer au roi de Prusse les pays ci-nommés," 

rendait au roi de Prusse ses États diminués de moitié.

Après s'être donné des marques d'une vive amitié, les empereurs se séparèrent en se promettant de se réunir l'année suivante.

Comme ils en avaient formé le projet, Napoléon et Alexandre eurent au mois de septembre 1808 une entrevue à Erfurth.

L'empereur de Russie se montra plus dévoué que jamais à son allié ; Napoléon avait éprouvé des revers en Espagne :

"Fût-ce sur la brèche, dit le czar en faisant allusion aux événements du midi, nous sommes à vous ; c'est dans les circonstances difficiles que l'empereur nous trouvera."

Il multiplia les témoignages d'amitié ; c'est à Erfurth, à une de ces représentations où se pressait un parterre de rois, qu'au moment où, dans la tragédie d'OEdipe, Philoctète dit en parlant d'Hercule

 

L'amitié d'un grand homme est un bienfait des dieux,

 

Alexandre se tourna vers Napoléon, et s'écria en lui pressant affectueusement la main : "Je l'éprouve tous les jours."

Ces démonstrations, dont il était difficile de soupçonner la sincérité, trompèrent Napoléon ; il crut trop à l'amitié de ce Grec du Bas Empire, dont on a le droit d'accuser la loyauté quand un historien russe (Butturlin) avoue qu'Alexandre ~~ demandait la paix afin de gagner le temps, nécessaire pour se préparer à soutenir convenablement la lutte qu'on savait bien devoir se renouveler.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages