Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :       Napoléon.

Année :  1812

Les français à Moscou.

Le 14 septembre 1812, l'armée française, arrivée sur les hauteurs qui environnent Moscou, aperçut à ses pieds l'ancienne capitale de la Russie.

A la vue de cette immense cité, aux mille clochers, aux dômes dorés, resplendissants au soleil, étendue, comme la Rome antique, entre sept collines, au milieu des jardins, baignée par les flots d'argent de la Moscowa, nos soldats furent transportés d'un enthousiasme que partagea bientôt leur chef.

Un cri : Moscou ! Moscou !, s'échappa de toutes les bouches ; et les régiments français pénétrèrent dans Moscou en faisant retentir la ville des czars du chant de la révolution, de la Marseillaise.

Le 9 mai 1812, l'empereur avait quitté Saint Cloud ; pendant quelques jours il s'était arrêté à Dresde, où l'attendaient l'empereur d'Autriche, le roi de Prusse, les princes de la Confédération du Rhin, et pour la dernière fois Napoléon y avait vu les rois, courbés devant sa fortune, encombrer ses antichambres.

Enfin le 21 juin il rejoignait ses troupes à Wilcowiski, et leur annonçait les travaux de la campagne de Russie.

Le 24 juin, l'armée passa le Niémen ; et, après une marche glorieuse à travers la Russie, elle atteignit les champs de la Moscowa, où elle allait remporter une nouvelle et éclatante victoire.

Un moment Napoléon eut la pensée de s'arrêter dans son triomphe ; mais l'ardeur des troupes l'emporta :

"Poursuivons nos succès, dit il ; avec de pareilles troupes on doit aller au bout du monde."

La bataille de la Moscowa ne trompa point ces espérances.

Cependant avant de combattre il voulut encore parler à ses soldats, et il leur adressa cette proclamation :

"Soldats, voilà la bataille que vous avez désirée ! Désormais la victoire dépend de vous ; elle nous est nécessaire, elle nous donnera l'abondance, de bons quartiers d'hiver et un prompt retour dans la patrie.

Conduisez vous comme à Austerlitz, à Friedland, à Witepsk, à Srnolensk, et que la postérité la plus reculée cite votre conduite dans cette journée que l'on dise de vous : Il était à cette grande bataille sous les murs de Moscou."

Le matin de cette grande journée, le soleil, d'abord obscurci, se dégagea radieux des nuages qui le cachaient ; l'empereur le montrant d'un geste d'inspiration et de confiance : C'est le soleil d'Austerlitz, dit-il aux généraux qui l'entouraient, et il donna le signal,du combat.

Le soir l'armée d'Alexandre fuyait en désordre et nous livrait la route de Moscou ; trente mille morts, cinq mille prisonniers, quarante généraux tombés sur le champ de bataille ou demeurés en notre pouvoir attestaient la défaite des Russes.

La grande armée put alors, sans obstacles, s'avancer vers Moscou ; bientôt elle contempla avec enthousiasme ce but de tant d'efforts.

La campagne de Russie, cette expédition gigantesque comme le génie qui l'avait conçue, paraissait accomplie. Pendant trois mois les Russes avaient fui devant les régiments français, on avaient été défaits partout où ils avaient essayé de résister ; Moscou était en notre pouvoir, et tout faisait espérer à l'armée un glorieux repos après tant de fatigues.

Cependant, avant que rien pût faire pressentir la grande catastrophe qui se préparait, le silence et la solitude au milieu desquels les Français entrèrent dans Moscou semblèrent déjà d'un fatal présage.

Les rues étaient désertes.

Dans l'ombre apparaissaient seulement quelques figures sauvages qui s'effaçaient aussitôt.

Néanmoins Napoléon, fier de sa conquête, gagna le Kremlin, citadelle et palais des czars, s'y établit, organisa l'administration de Moscou, nomma un gouverneur général, un commandant d'armes, et assigna à chaque corps sa position.

A cinq heures du soir l'incendie éclata sur trois points principaux : l'hospice des Enfants trouvés, à la Banque et au Bazar. On attribua d'abord ces premiers feux à l'imprudence, au voisinage des bivouacs ; mais le lendemain, 16 septembre, dans la soirée, le feu se manifestant dans les différents quartiers à la fois, on ne put plus douter qu'un affreux système de destruction, dont le secret échappait, ne fût organisé dans Moscou.

Bientôt la grande capitale présenta le spectacle d'un vaste incendie.

De toutes parts les flammes s'élançaient vers le ciel en immenses colonnes, et couvraient la ville d'un tourbillon d'étincelles en s'affaissant sur elles mêmes.

Les édifices publics, les palais s'écroulaient avec un horrible fracas au milieu de nos soldats obligés de fuir devant cet ennemi nouveau.

Enfin on réussit à arrêter quelques hommes, des incendiaires ; on les amena à Napoléon, à qui ils révélèrent l'extrémité où un farouche patriotisme avait poussé Rotopschin, gouverneur russe de Moscou.

A l'approche des Français, il avait ouvert les portes des prisons à tous les criminels :

"Mes frères, leur avait-il dit, vous avez commis quelques crimes ; mais vous n'en êtes pas moins de vrais Moscovites, et vous expierez vos fautes en servant dignement votre patrie."

Puis il livra au feu la cité qu'il était chargé de défendre.

Deux ou trois mille misérables répandus dans Moscou allumaient partout l'incendie : ceux qu'on pouvait surprendre étaient conduits vers l'empereur, qui, après les avoir interrogés, les envoyait à une commission militaire.

Napoléon, impuissant contre l'implacable fléau, fut épouvanté de cette énergie sauvage ; il voyait avec une colère, un désespoir qu'il pouvait à peine comprimer, les sinistres lueurs de l'incendie.

"Voilà donc comme ils font la guerre, dit-il avec amertume ; la civilisation de Saint Pétersbourg nous a trompés : ce sont toujours des Scythes."

Cependant cette mer de feu où Moscou s'abîmait, s'étendant incessamment, atteignit enfin le Kremlin, le séjour de l'empereur.

"Napoléon, dit M. de Ségur dans le tableau saisissant qu'il a tracé de l' Incendie de Moscou, Napoléon marche, convulsivement ; il s'arrête à chaque croisée et regarde l'élément victorieux dévorer avec fureur sa brillante conquête, se saisir de tous les ponts, de tous les passages de la forteresse, le cerner, l'y tenir comme assiégé, envahir à chaque minute les maisons environnantes, et, le resserrant de plus en plus, le réduire enfin à la seule enceinte du Kremlin

Napoléon, maître enfin du palais des czars, s'opiniâtrait à ne pas céder cette conquête, même à l'incendie. quand tout à coup un cri : 

Le feu est au Kremlin !

passe de bouche en bouche.

L'empereur sort pour juger le danger.

Deux fois le feu venait d'être mis et éteint dans le bâtiment sur lequel il se trouvait ; mais la tour de l'arsenal brûlait encore. Un soldat de police vient d'y être trouvé.

On l'amène à Napoléon, qui le fait interroger devant lui.

C'est ce Russe qui est l'incendiaire ; il a exécuté. la consigne au signal donné par son chef.

Tout est donc voué à la destruction, même le Kremlin antique et sacré.

Cet incident avait décidé Napoléon ; il descend rapidement cet escalier du Nord, fameux par le massacre des Strélitz, et ordonne qu'on le guide hors de la ville, à une lieue sur la route de Saint Pétersbourg, vers le Château impérial de Pétrowskoï.

Ce ne fut pas sans peine que Napoléon et sa suite purent échapper à travers les ruines enflammées qui embarrassaient leur route ; plusieurs fois la vie de l'empereur fut en péril, il lui fallut dépasser un long convoi de poudres qui circulait entre ces feux et qu'une étincelle pouvait à chaque moment faire éclater.

Après être, au péril de sa vie, sorti de Moscou, Napoléon put contempler l'immense désastre qui lui ravissait le fruit d'une campagne si brillante et si hardie.

D'abord il voulait poursuivre sa route et marcher vers Saint Pétersbourg, pousser les Russes aux extrémités de l'empire et les forcer à traiter ; mais ses généraux le dissuadèrent de ce projet et le pressèrent de séjourner à Moscou, où restaient encore de considérables approvisionnements, et d'y ouvrir des négociations.

Il céda à regret en disant

"Ceux qui ont brûlé Moscou ne sont pas gens à demander la paix.

Il avait sûrement jugé des dispositions d'Alexandre ; le czar, dominé par le parti de l'aristocratie qui venait de brûler Moscou, refusa toute proposition d'arrangement plutôt que de céder au génie victorieux de Napoléon.

"Ma résolution est inébranlable, répondit-il à toutes les démarches de l'empereur ; aucune proposition de l'ennemi ne pourra m'engager à terminer la guerre."

Après un séjour d'un mois, les Français quittèrent Moscou le 18 octobre 1812 : quatre vingt mille hommes, une artillerie et des bagages nombreux, chargés d'habits, de vivres, de butin, et une masse de cinquante mille personnes, formée des habitants qui abandonnaient la ville incendiée, de femmes, de malades, d'employés civils, prirent la route de Smolensk ; et alors commença cette retraite qui devait être si fatale à la puissance impériale.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages