VARIÉTÉS

BORDELOISES

ou

E S S A I  HISTORIQUE ET CRITIQUE

SUR

LA TOPOGRAPHIE ANCIENNE ET MODERNE  DU DIOCÊSE DE BORDEAUX

PAR

L'ABBÉ BAUREIN

TOME I

BORDEAUX

FERET ET FILS, LIBRAIRES‑ËDITEURS

15 Cours de L'INTENDANCE

1876

 

 

Extrait :

 

 

Livre Premier

 

Article  III

 

Pages :29  à 31

 

Collection :

 

 

 

Terminaison en AC

 

Il resteroit néanmoins la syllabe ac, dont il seroit question de fixer la signification ; une infinité de noms de lieux dans nos Gaules se terminoit en ac, et quoiqu'un très‑grand nombre ait quitté cette terminaison, néanmoins une quantité considérable l'ont retenue. Il doit y avoir une raison   générale d'une terminaison si usitée dans l'antiquité.

 

Sans entrer ici dans la discussion des différentes opinions sur la signification de la syllabe ac, qui se trouve à la fin des noms d'une infinité de lieux, on observera, d'après ce qu'a écrit Oihenart sur la langue des Basques, dans sa Notice de l'une et l'autre Gascogne (P. 57 et suiv.), que ce peuple met à la fin des mots les articles que nous plaçons à leur commencement, pour en distinguer les divers cas. La lettre a est l'article qu'ils emploient au singulier, et la syllabe ac est celle dont ils font usage au pluriel.

 

Declinandi autent ratio talis est, dit ce Savant, ut noinen quidem ipsum maneat immutatum, articulus vero in fine positus (quent unicà litterài a, in singulari; syllabà vero ac, in plurali, effici suprà diximus), declinatur.

 

Le mot giuçon, par exemple, signifie homme chez les Basques; lorsqu'ils emploient ce mot au singulier avec son article  ils disent guiçon-a, pour exprimer l'hommie, et au pluriel­ guiçon‑ac, C'est‑à‑dire, les hommes. La langue Celtique pouvoit avoir cela de commun avec la langue Basque, qui est une langue des plus anciennes, ainsi que l'affirme Scaliger dans son Traité des Langues de l'Europe; au moins cette quantité, immense de noms des lieux terminés en ac, qui étoient anciennement en bien plus grand nombre, donne‑t‑elle lieu à le soupçonner.

 

Il paroÎt d'ailleurs que la terminaison en, ac ne faisoit pas partie essentielle du mot auquel elle étoit jointe. Ausonne, parlant de Lucaniacum (aujourd'hui Lugagnac), maison de campagne de Lucanus, son beau‑pere, en sépare la terminaison ac, dans le vers suivant de son Epitre an Poëte Théon

 

Villa Lucani mox Polieris aco,

 

Cette terminaison, ne faisoit donc pas partie essentielle du mot Lucaniacum, qui auroit été entiérement défiguré par cette séparation; ce n'étoit donc qu'un article que nous plaçons en Francois au‑devant du nom, et qu'on ne mettoit qu'à la fin dans la langue Celtique. Il seroit même aisé de rapporter quantité de noms de lieux qui ont été dépouillés de cette terminaison, comme ne faisant pas partie constituante de leur nom. On n'a qu'à consulter, pour s'en convaincre , la Notice des Gaules, par Adrien de Valois. Concluons donc que l'étymologie du mot Soulac, qui signifieroit aux chaumieres, ne paroit pas absolument dépourvue de vraisemblance.

 

Au reste, on ne doit point trouver mauvais qu'en faisant la description d'une Paroisse, on s'arrête sur l'étymologie de son nom, lorsqu'on peut en donner des preuves qui paroissent fondées. On a témoigné quelque mécontentement à cet égard; mais, pour rendre raison de la conduite qu'on tient, on croit devoir observer, 1° Que de tous temps on a été curieux d'étymologies, et que de tous temps il y a eu des Savans qui s'y sont appliqués, entr'autres Varron, Ménage, Henri Etienne, Borel, le P.Labbe, et quantité d'autres personnages  distingués , et de nos jours , M. Bullet et l'Auteur du Monde primitif, qui vient de publier un Dictionnaire de la Langue Françoise, ouvrage très profond et très­-bien accueilli du public... 2° Que l'application à rechercher les étymologies n'est point un dessein frivole, ni une entreprise sans utilité; que d'ailleurs c'est une science qui a ses principes et sa Méthode... 3° Qu'il ne faut pas croire que les anciens noms des lieux soient aussi barbares qu'ils peu­      vent le paroître; qu'ils ont eu au contraire leur signification dans l'ancien langage qu'on parloit. au temps qu'ils reçurent leurs dénominations, et que c'est principalement dans ces mêmes dénominations que subsistent encore à présent des vestiges de cet ancien langage, qu'il n'est pas indifférent de

constater... 4° Que plus ces dénominations paroissent barbares, plus c'est une preuve de leur antiquité; que d'ailleurs il en existe dans ce Diocese, même de très‑anciennes : Pauliac, par exemple, nom d'un lieu très‑connu dans le Médoc, l'étoit même sous cette dénomination au temps d'Ausonne, ainsi qu'il est justifié par le vers suivant de sa cinquierne Epitre à Théon :

 

Pauliacus tanti non mihi villa foret.

 

Il est d’ailleurs certain que la dénomination du lieu dePreignac sur Garonne existoit du temps de Fortunat, Evêque de Poitiers, qui vivoit dans le sixieme siécle, et qui en fait mention dans ses vers. Cette dénoimination est parvenue jusqu'à nous, quoiqu'avec quelque altération...   Qu'étant donc certain, d'un côté, que plusieurs dénominations de lieux sont très‑anciennes, et de l'autre, qu'elles ont eu leurs significations, on ne peut raisonnablement désapprouver qu'on s'applique à les découvrir, et qu'on en fasse part au public, surtout lorsqu'on se trouvera dans le cas de les appuyer sur quelque fondement.

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